LACROIX Lucas-mémoire-Les Chants Du Silence - LIVRE

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Les Chants Du Silence

Étude des expériences du silence.

Crémieu Cimetière de San Cataldo Conques


Je tiens à adresser mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans
la réalisation de ce mémoire particulièrement mon professeur, Ivry Serres,
mes camarades, Océane Boisset, Letizia Peres et Alisée Pibot ainsi que
mes parents pour leurs regards extérieurs.
Table:

Introduction 5

I-Silence du paysage 11

II-Silence de la fragilité 21

III-Silence de la nature 31

IV-Silence de l’intime 41

VI-Silence de la lumière 45

Conclusion 53

Bibliographie 59
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Introduction

Nous marchons entre montagnes, vallées et plateaux et il arrive ce moment,


ce point d’arrêt, lorsque l’on arrive au refuge. Le temps se ralentit observe
ce que l’on vient de monter, nous nous plongeons alors dans le paysage, on
laisse la nature nous parler : le souffle du vent, la vallée remplie de nuages
que le soleil ne parvient pas à transpercer. Le silence ainsi que notre ouver-
ture à la beauté du lieu remplissent notre esprit. Nous descendons ensuite
au ruisseau qui s’était installé une dizaine de mètres plus bas, notre silence
nous permet d’écouter Le chant du monde1, celui de l’eau et du temps qui
caresse les pierres jusqu’à les transformer en billes. Puis le soleil se couche,
« Ici la nuit ne tombe pas, elle se lève »2, le silence cyclique arrive à son
paroxysme et prend de l’épaisseur à ce moment-là, « la lune éclairait le
sommet des montagnes. Sur le sombre océan des vallées pleines de nuit,
la haute charge des rochers, des névés et des glaces montait dans le ciel
comme un grand voilier couvert de toiles. »3 Et le lendemain, comme un or-
chestre la marche et sa polyphonie reprend puis fait de nouveau une pause,
laissant place à une singularité instrumentale, un autre chant du monde,
pendant cet arrêt dans le flux de la marche et du temps.

ERNST Max, A Very Quiet Evening, 1957. 28.1 x 35.8 cm, huile et décalcomanie sur toile. 1. GIONO Jean, Le chant du monde, éd. Galimard 1934. 2. GIONO Jean, ibid. 3. GIONO Jean, ibid
7|8

Introduction

Nous allons, à travers trois lieux-refuges, examiner et classifier ces expé- Le second lieu, quant à lui, est le souvenir d’une expérience éphémère,
riences personnelles de pauses et de moments de silence en différentes fugace, d’un endroit que je n’ai visité qu’une seule fois, le vivant donc d’une
catégories, pour comprendre ce qui peux nous plonger dans une expérience manière unique. Les circonstances dans lesquelles je l’ai découvert étaient
sensorielle et émotionnelle si forte. Ces trois lieux sont liés à une temporalité singulières. Et ma sensation marquée du silence dans cet endroit est donc
différente et cela influence fortement l’expérience avec ce lieu et les souve- fortement liée à cette temporalité spécifique. Ce lieu, le cimetière San Ca-
nirs que l’on garde. taldo de Modène, je l’ai visité en voyage d’étude avec l’école, mais bien que
nous fûmes nombreux, la force du silence de ce site m’a marqué, particu-
Le premier lieu, la colline Saint-Hippolyte de Crémieu, est un ancien prieuré lièrement dans la partie moderne du cimetière conçue par Aldo Rossi. Ce
dans lequel j’ai très régulièrement flâné et erré jusqu’à mes 13 ans, c’est en rectangle bâtit entoure une étendue végétale sur laquelle s’est posées un
surplomb du village médiéval de Crémieu dans l’Isère en région Lyonnaise. monolithe accueillant les âmes des défunts. Cette expérience par sa fuga-
Nous y allions régulièrement en famille avec mes grands-parents et mes cité s’est révélée être un moment hors du temps, l’un de ces instants qui se
frères et sœurs, ce sont à la fois des souvenirs de jeux et de tranquillité qui distinguent par leur capacité à suspendre le temps et à permettre au silence
me viennent en tête, car nous y allions initialement pour s’amuser, mais je de nous envelopper.
me rappelle de ces moments où je m’arrêtais simplement, captivé par les
espaces offerts par cet endroit, laissant la poésie de l’atmosphère et du lieu Le dernier lieu c’est le village de Conques en Aveyron, un village dans le-
m’envahir. C’est une expérience ancrée dans une période passée, dont la quel je suis allé de nombreuses fois durant ma vie et où j’ai pu retourner
nostalgie, bien présente a surement accentuée cette impression de silence durant l’écriture de ce rapport d’étude. C’est un village installé sur le flan
et de lenteur, comme l’explique Jankélévitch lorsqu’il parle des lieux et de d’une colline face à une vallée, au milieu d’une végétation verdoyante. Prin-
la nostalgie à travers la musique : « L’espace est lié au temps […] et c’est cipalement connu pour son église abbatiale, par son tympan ou encore ses
pourquoi la nostalgie concerne le temps mais aussi l’espace, il y a un Jadis vitraux, le village médiéval entretient un rapport très fort avec son paysage.
et un Ailleurs. […] La musique a son langage et la nostalgie aussi c’est celui Ses petites ruelles médiévales regorgent de lieux de contemplation et de
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de la lenteur » tranquillité.

4. JANKELEVITCH Vladimir. Cours: La musique et l’ineffable. [Enregistrement audio] https://youtu.be/O8s3zsH57js


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Y retourner pendant l’écriture fut une expérience complètement différente,


on se base sur autre chose que des souvenirs mais sur une expérience plus
contrôlée durant laquelle on recherche ces situations de silence qui finale-
ment viennent à nous et nous emporte dans l’errance, on finit par se laisser
guider par nos intuitions et on redécouvre des lieux sous un autre regard.

Durant ce rapport d’étude nous allons identifier les différentes raisons du


silence à travers mon ressenti de ces lieux et espaces vécus, pour mieux
comprendre les caractéristiques du silence. L’ouvrage sera donc structuré
en plusieurs chapitres, chacun explorant un type de silence spécifique mê-
lant ainsi les trois expériences et lieux décrits.
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Silence du paysage

Les paysages de Turner nous offrent des représentations de sensations, la


capture d’une instantanéité de son expérience sensorielle, enveloppant les
spectateurs dans ces grandes atmosphères où réside le silence des lieux
qu’il décide de capturer.
Ce silence du paysage est très palpable dans nos expériences des lieux et
dans nos expériences de marches car sa contemplation provoque un arrêt
dans la cadence durant lequel nous laissons le lieu nous parler et nos sens
capter ce qu’il a à nous dire.

Crémieu:
A Crémieu, ce paysage nous saisit après avoir gravi une vertigineuse mon-
té rectiligne nous amenant sur un promontoire naturel, située juste devant
la grande porte et la tour de l’horloge qui marque l’entrée du site. C’est
maintenant que l’on s’arrête pour observer l’ascension effectué et pour fixer
le paysage. Le promontoire nous incite au silence contemplatif face à cette
grandeur. Et ce paysage devient alors comme Max Picard l’illustre « un
grand lac réservoir de silence »5, dans lequel la grandeur des paysages
révèle la profondeur du silence, transformant le silence en un instrument
évaluant l’ampleur de l’espace. Dans cet endroit, le silence prend forme
dans l’écoute du paysage, laissant ainsi la nature s’exprimer. Le paysage
s’invite dans l’espace palpable et nous plonge au sein de cette scène natu-
relle depuis ce promontoire massif.

TURNER William, peintures et aquarelles. Collections de la Tate, musée Jacquemart André, Paris 8e 5. PICARD Max, Le monde du silence. Ed. La Baconnière, 2019.
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Silence du paysage

San Cataldo:
Les paysages du cimetière de San Cataldo sont également saisissants, leurs di-
versités s’intensifiant au grè de la visite. La temporalité de la visite, ainsi que ma
sensibilité à l’architecture au moment de celle-ci a révélé ces paysages comme des
composants délibérément intégrés par l’architecte à l’ensemble de la composition,
pour renforcer cette atmosphère silencieuse que nécessite un tel programme.

Aldo Rossi a conçu un paysage fort à travers l’ensemble des éléments bâtis qui
encerclent ce lieu où la nature prend place. L’un de ces paysages vient à nous dès
l’entrée, où le cube se met en scène devant cette toile de fond composé par une
ligne bâtie et par l’infinité du ciel. Au premier plan de cette composition architectu-
rale, deux arbres que le vent a par persévérance, finit par courber, deux arbres qui
en dissimulant le monolithe, accentuent son aura intrigante. Lorsque l’on regarde ce
paysage vers le Nord nous voyons qu’il a, à travers une fine bande bâtie, fabriqué
un paysage où le ciel est l’élément qui domine le reste de la composition. Il cache
l’horizon et les éléments qui le précèdent, ici une route et un paysage péri-urbain. Et
il nous révèle, posé sur cet océan vert et sur cette bande ocre, le ciel et ses épais
nuages nous offrant sa splendeur et son infini profondeur. Le silence imprègne l’air,
renforcé par la simplicité de la composition du paysage et la vaste étendue du ciel.

Photgraphie de visite, Cimetière San Cataldo, 2023.


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Silence du paysage

Une fois à l’intérieur du volume central, il y a une autre relation au paysage.


Dans ce volume plongé dans une atmosphère lumineuse plus silencieuse,
il y a des ouvertures régulières et lumineuse nous offrant une vue sur l’ex-
térieur. Dans ces vues sur le reste du cimetière nous avons réellement l’im-
pression de voir des tableaux, avec une composition qui nous montre les
relations entre les bâtiments le ciel et la nature. Chaque ouverture invite à
une pause, nous incitant à contempler ces scènes paysagères régulières,
simples et semblables avec une profondeur émotionnelle, dans le silence
bienveillant que ce lieu de recueillement nous offre.

Conques:
Le village de Conques, est un village paysage seul et isolé dans la vallée
observable de bien des points de vue. Il se dresse dans une forte pente,
devant ce paysage qu’il semble dominer. Mais une fois dans le village la re-
lation avec le paysage s’inverse et se diversifie par les différentes situations.
En se laissant perdre par la complexité du tissu médiéval, accentué par les
différences de niveaux dues à la forte pente, nous nous arrêtons pour obser-
ver les différentes situations paysagères. En flânant dans le village on prend
la posture de se laisser surprendre par celui-ci et dès lors des situations
paysagère viennent au flâneur : Perdus dans les hauteurs du village, une
vue vertigineuse s’offre à nous, où le paysage, par sa majesté, semble écra-
ser le village et surtout l’abbatiale. Nous contemplons alors la profondeur
de cette puissance silencieuse qui surpasse et domine la création humaine,
comme un témoignage immuable de la nature.

Photgraphie de visite, Cimetière San Cataldo, 2023.


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Silence du paysage

Plus bas dans le village, près de l’abbatiale, le paysage est plus discret, se
fondant en une toile de fond pour le village. Dans cette harmonie paisible
les hauteurs des bâtiments semblent danser avec les contours de la colline
et ce grand paysage que l’on oublierait presque, mais lorsqu’on marche cer-
taines percés viennent stopper notre parcours et nous rappeler sa présence.
Ces percées ce sont des ruelles qui descendent, semblant mener nulle part
si ce n’est vers le silence du vide et du paysage, on a l’impression qu’au bout
de ces ruelles le village se termine et le paysage commence. Ces endroits
sont des haltes, des pauses dans notre marche à travers le village, nous
incitant à nous arrêter et à contempler ces perspectives sur la nature. Si
l’on s’engouffre dans ces percés elle nous emmènent progressivement vers
la nature, jusqu’à arriver au niveau de jardins suspendu au-dessus de la
vallée. Ici confrontés à cette puissance silencieuse et aux murs fragiles qui
nous poussent à faire face au paysage, nous pouvons ressentir des émo-
tions similaires à celles vécues sur le promontoire de Crémieu : la grandeur
du paysage, et la profondeur de son silence nous enveloppent.

Photgraphie de visite, Conques, 2024.


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Silence du paysage

Comment concevoir un lieu dans lequel ce silence du paysage nous englo-


berait. On a vu grâce à mes expériences des lieux, de nombreuses manières
de s’adresser au paysage. D’après moi quand on construit il y a deux sortes
de paysages auxquels il faut réfléchir : le paysage que l’on perçoit depuis
l’architecture et celui que l’on perçoit de l’extérieur. Pour que ce silence du
paysage nous imprègne il faudrait alors s’ouvrir totalement à lui de manière
à ce que le contemplateur se sente projeter dans celui-ci comme sur un bel-
védère par exemple. Nous pouvons, par exemple concevoir des ouvertures
bien précises sur une partie du paysage pour inciter l’arrêt et la contempla-
tion d’un élément précis à travers un cadrage et une perspective étudiée.
Et depuis l’extérieur d’un espace construit il faudrait qu’il se mette en scène
dans le paysage existant et qu’il mette en scène ce paysage. Créer des
dialogues subtils entre les différentes formes bâties et les éléments naturels
pour créer une composition paysagère calme.

ZUMTHOR Peter, Therme Vals, Graubünden, Switzerland, 2006, 2007. Photographe: BINET Hélène.
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Silence de la fragilité.

Ce silence évoque celui qui est intrinsèquement lié à l’existence humaine, sym-
bolisant ainsi sa présence passagère, ainsi que son repos éternel:
Le silence de la fragilité, je l’ai nommé ainsi en référence à Roberto Peregalli
qui, dans Les lieux et la poussière6, évoque ces lieux fragiles, ces lieux qui
nous touchent parce qu’ils reflètent notre propre vulnérabilité et qui nous at-
tendrissent parce qu’ils nous ressemblent. Ces lieux sont éphémères dans le
temps et partagent avec nous un instant passager mais précieux.

Crémieu:
« Ces ruines qui se dégradent ou pourrissent sont l’ombre A Crémieu cette fragilité se ressent dès l’entrée, au sein des remparts délimi-
de notre vie. Et nous avons besoin de cette ombre. Elles tant le prieuré. On s’arrête face à une immense porte, un gardien silencieux du
sont dans l’éternel présent qui nous entoure le signe d’une temps passé dont la massivité et la grandeur sont les témoins de son inutilité
attendrissante temporalité, de la fragile inconsistance des actuelle et de la mort d’un temps. Cette porte garde de son histoire uniquement
choses. La beauté de l’instant. Le silence. » sa monumentalité, nous évoquant ainsi l’idée qu’elle n’était pas la seule à ar-
borer une telle grandeur, et que le reste, sans doute, s’est évanoui, renforçant
le caractère éphémère de ce lieu. Ensuite au sein du rempart, où les ruines
prennent demeure et nous expriment leurs silences, « ce qui nous saisit, c’est la
tranquillité, la quiétude. Elles ne servent plus à rien, on ne peut plus les utiliser,
les manipuler. »7. On va déambuler entre murets en pierre terrassant et divisant
l’espace et la végétation qui prend demeure dans l’enceinte. Là, nous saurons
écouter le murmure des pierres, capturant l’éphémère, suspendant le temps
dans un ballet de fragilité, offrant une pause dans la temporalité quotidienne à
tout ceux voulant l’accepter.

PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière. Paris: ed. Arléa, 2017. 6. PEREGALLI Roberto, ibid. 7. PEREGALLI Roberto, ibid.
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Silence de la fragilité.

A une époque dans laquelle on veut rendre les lieux rassurant, immacu-
8
lé et pures en « exorcisant la mort et la fragilité de la vie » , les ruines
sont des lieux qu’on a laissé parler et où le temps s’est alors exprimé. Les
murs en pierres s’effritent et laissent la mousse pousser, certaines pierres
s’échappent et parfois une simple ligne de cailloux échoués au sol nous
disent qu’autrefois un mur prenait place. Ces ruines sont les témoins de
la temporalité des lieux, qui un jour n’auront plus rien à dire mais qui par-
viennent au moment présent à nous transmettre leurs beautés fragile et
silencieuse.

San Cataldo:
Au cimetière de San Cataldo le silence omniprésent découle de son architec-
ture dédiée au deuil et à la mémoire, évoquant les silences qui habitent les
ruines, symbolisant la fugacité de notre existence humaine et témoignant de
l’infini silence qui suit le passage vers l’au-delà. Le monolithe qui se dresse,
immuable, dans ce paysage contraste avec la finitude des âmes qu’il abrite,
incarnant ce que Louis Kahn décrit comme une «perfection silencieuse»
en référence aux pyramides, elles sont comme le cube, des volumétries
creusées à la géométrie parfaite abritant la mort et ancrées dans le paysage
et le sol. Cette présence éternelle évoque le monolithe emblématique du
film réalisé par Stanley Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace, persistant sans
interaction à travers les âges de l’évolution humaine, depuis bien avant sa
naissance jusqu’à sa mort, témoignant ainsi de la fragilité de notre existence
face à une force supérieure, le temps.

Le Monolithe 2001, l’odyssée de l’espace. 8. PEREGALLI Roberto, op.cit. 8. KUBRICK Stanley,2001, l’odyssée de l’espace, Warner bros., 1968.
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Silence de la fragilité.

Conques:
Ici, le village entier a un rapport particulier avec le temps. Il est comme une
immense ruine qui revit parfois dans l’année pour des évènements religieux,
mais qui le reste du temps, demeure un simple témoin de cette présence
spirituelle passée ou ponctuelle. Nous retrouvons partout dans le village
des murs en pierre envahis différemment par la nature et le temps, certains
ne le sont que partiellement car ils sont encore arpentés. Dans ces murs
qui jonchent le village il règne toute la poésie du temps et de l’existence
humaine ; Thierry Grillet parle de ces murets « de caillasse moussue »9
bordant les chemins, que l’homme et le temps ont façonné : « la grammaire
du marcheur. Sa règle. Son refuge »10. Il dit que c’est à leurs pieds que le
randonneur s’arrête pour chercher un peu d’ombre, de fraicheur et de tran-
quillité. Il se questionne sur son origine puis sur son évolution dans le temps
« Comment se sont-ils perpétués jusqu’à nous et dans un tel silence »11.
C’est un mystère car on a l’impression que ces murs se dégradent, puis que
quelqu’un les reconstruits, en laissant sur eux la trace de leur caducité, leurs
usures et leurs fissures.

Photgraphie de visite, Conques, 2024. 9. GRILLET Thierry, «face au mur» dans le mur oublié, leçon du Thoronet, Marseille: MAV Paca, 2009. 10.GRILLET Thierry, ibid. 11.GRILLET Thierry, ibid.
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Silence de la fragilité.

A certains endroits cette nature a complètement envahi les constructions.


On a du mal à définir ce qui est ruines ou non car certains lieux bien qu’abî-
més par le temps sont encore utilisés. Des fougères poussent dans les
murs, les marches d’escaliers sont polies et s’arrondissent jusqu’à parfois
disparaitre, une imperfection silencieuse et attendrissante caractérisée par
la présence du temps sur la matière. Certains endroits sont entièrement en-
vahis et dépourvus de toute fonction, devenant ainsi des lieux où le silence,
résultant de leur transitoire nature, est le plus fort. Le silence qui imprègne
ces espaces m’a captivé dès l’instant où j’y suis entré, m’incitant à m’arrê-
ter et à contempler attentivement les traces laissées par le temps sur ces
constructions. D’autres lieux malgré le fait qu’il soient encore pratiqué et
utilisé sont des espaces où le temps s’est quand même exprimé, et que l’on
sent très fragiles car le temps prendra surement bientôt le pas sur eux et leur
substituera leur langage d’un temps ancien.

Croquis de visite, Conques. 2024.


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Silence de la fragilité.

Comment concevoir une architecture qui entretient un rapport avec cette


fragilité ? Probablement en concevant une architecture qui entretient un rap-
port fort avec le temps et la mémoire. Elle pourrait être conçue de manière
à laisser transparaître les marques du temps sur sa matière, son corps. Ou
peut-être peut-on donner à son architecture ce caractère immuable et silen-
cieux, celui d’une masse parfaite et ancrée dans le continuum temporel, en
contraste avec la fragilité de nos existences. Construire avec le temps c’est
aussi reconstruire. Reconstruire un lieu que le temps a détruit. Reconstruire
ce lieu silencieusement, en laissant sur celui-ci les traces du temps et donc
de sa fragilité et en prenant en compte ce qu’il y avait avant et qui n’est plus,
pour perpétuer l’âme du lieu, son identité et exprimer sa finitude. C’est peut-
être aussi parfois ne pas reconstruire ou construire à coté pour témoigner le
contraste entre un bâtiment naissant et un lieu mourant, en rappelant que ce
bâtiment naissant est fait pour disparaitre lui aussi.

Zumthor Peter, Kolumba Museum, Cologne, Germany, 2007 – 2008. Photographe: BINET Hélène
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Silence de la nature.

Je voudrais parler, à présent, du silence que révèle la nature. Cette nature


que l’on entend et qui nous rappelle que si on l’entend c’est parce que le
reste s’est tue.

Crémieu et Conques :
Ici la nature est présente partout, elle est liée selon moi à un grand nombre
de silences, notamment à celui du paysage, ce paysage naturel, immense
dans lequel la nature est prépondérante, cette nature qui peut mettre en
lumière l’absence ou la discrétion des interventions humaines. À Crémieu
ou à Conques lorsque l’on s’arrête et observe une ruine ou un mur en pierre
nous constatons que ce silence induit de la nature va également accentuer
celui provoqué par les ruines lorsque nature et ruines dialoguent. Cette na-
ture par son enracinement parfois destructeur, cette persistante volonté à se
faire une place même dans les lieux les plus hostiles de la ville va contraster
et renforcer la caducité et la fragilité des lieux. Les racines font tomber les
pierres, la mousse va les dissimuler puis la nature va finir par les faire dis-
paraitre.

Photgraphie de visite, Conques, 2024


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Silence de la nature.

C’est en ça que cette nature révèle le silence des ruines, c’est en ça qu’elle
nous émeut tant ou qu’elle nous fait parfois peur, par sa résilience à occuper
l’espace, à attendre la petite faille pour reprendre de l’importance, jusqu’à
reprendre tout l’espace une fois que les constructions passagères n’ont plus
rien à dire. Il y a-t-il une plus belle lutte que celle des « mauvaises herbes »
face au joint des pavés? il y a-t-il une lutte plus discrète et silencieuse que
celle d’un arbre qui s’enracine dans un mur en pierre pour accéder à ses
ressources?

«E rre r da ns les for êts ténébr euses et douces. Crémieu :


O ù l e si l e n ce dor t sur le velour s des m ousses.» En plus de cela cette nature va nous faire entendre ses sons discrets. Les
souvenirs sonores de Crémieu sont pour moi très flous, mais lorsque je m’y
replonge j’ai l’impression d’y entendre les abeilles butiner et le bruit du vent
secouant les branches, et des sons assez abstraits donnant à l’expérience
de la nature un caractère enveloppant. Rien d’autre, c’est grâce à cela que
l’on se rend compte à quel point un lieu est paisible, lorsque le son de la
nature nous rappelle que si on l’entend si bien c’est qu’il n’y en a pas d’autre.

HUGO Victor, Les voix intérieures; poème à un riche, Paris: Bibliothèque Nationale de France, 1837.
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Silence de la nature.

Conques :
A Conques j’ai là des situations du même types, très précises qui me
viennent en tête. Ce jour où j’y suis retourné, c’était l’un de ces jours où le
village reprend vie, où ses lieux majeurs sont investis de manières presque
excessive. Durant le week-end de Pâques on entend le murmure des gens
qui parlent doucement, leurs pas et leurs activités dans le village mais dès
lors que l’on quitte les abords de l’abbatiale, le lieu le plus fréquenté, le
contraste est alors saisissant puisque les sons de la nature prennent totale-
ment le dessus sur les murmures de ce rassemblement humain, que ce soit
lorsque l’on monte dans les hauteurs du village, lieu chargé en ruines où la
nature s’exprime dans cette lutte silencieuse avec la pierre, ou que ce soit
lorsque nous descendons vers le bas du village, le moment après s’être en-
gouffré dans les perspectives que j’ai décrit plus tôt pour vous évoquer leurs
relations particulières avec le paysage. Lorsque l’on est dans ces lieux, pour
vraiment laisser la nature s’exprimer, il faut nous-mêmes se taire, s’arrêter
dans la cadence de nos pas et se laisser immerger dans le lieu. C’est une
posture que l’on doit prendre pour mieux entendre la nature et ses chants.
Et au bout de ces percées, les sons de la nature nous englobent sans que
jamais nous ne la voyons réellement, on entend le ruissellement de l’eau
paisible sans fracas dans le creux de la vallée, le vent qui s’engouffre dans
cette percée et le bruissement des arbres présents en contre bas.

Vassily Kandinsky, Paysage romantique, 1911 - 94,3 x 129 cm, huile sur toile - Musée Lenbachhaus de Munich.
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Silence de la nature.

San Cataldo :
Cette posture dont je parle, j’ai la sensation qu’Aldo Rossi la prise à tra-
vers la conception du cimetière. Il laisse parler la nature en étant discret
dans ses interventions en la laissant s’exprimer et même en lui permettant
de mieux s’exprimer En arrivant dans le cimetière, face au monolithe qui
trône au centre de cet ensemble conçu par l’architecte. Ce qui frappe avant
tout, c’est le silence induit par la nature environnante, symbolisé par la mer
verdoyante qui entoure l’édifice central, évoquant le mouvement calme des
vagues sous l’impulsion d’une brise légère, créant une ambiance sonore
douce mais présente. De plus, les conditions de ce jour-là étaient idéales
pour visiter le cimetière : c’était le printemps, le pollen dansait dans l’air et le
soleil faisait scintiller les particules. De vastes cumulus flottaient également
dans le ciel, ajoutant une profondeur supplémentaire à l’atmosphère et nous
invitant à contempler en silence la beauté de la nature mise en scène. Si
cette nature parle autant c’est parce que le reste est discret, le cube parfait
par sa perfection géométrique et son caractère immuable déjà évoqué, ainsi
que les bandes simples entourant la nature se mettent en retrait par rapport
à elle. Cette bande bâtie ocre très fine permet de rendre le lieu encore plus
paisible en ne révélant que la nature et sa profondeur silencieuse, si bien
que j’ai eu l’impression que les bruits de voiture au loin que dissimule visuel-
lement la bande étaient des bruits provenant de la nature comme peut l’être
celui du vent.

Photographie de visite, San Cataldo, 2023.


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Silence de la nature.

À travers mes expériences des interactions entre les lieux construits et la na-
ture, je tire plusieurs hypothèses pour établir une relation silencieuse entre
le lieu et son environnement naturel : Tout d’abord, il s’agit de concevoir des
espaces que la nature peut s’approprier, leur offrant une flexibilité qui per-
met un dialogue direct avec le bâtiment, laisser l’eau de pluie rentrer dans
une partie du bâtiment puis s’écouler à l’extérieur, permettre à la végétation
de s’emparer de certains espaces construits etc...
«Ecouter les lieux sans avoir l’ambition démesurée de s’en emparer»
Ensuite, il s’agirait d’adopter la posture qu’Aldo Rossi a adoptée pour le
cimetière, à savoir parfois se mettre en retrait avec une écriture simple,
être discret, et ainsi permettre à la nature d’envelopper le lieu et l’espace
construit dans une atmosphère silencieuse et lente où le vocabulaire de la
nature s’empare du lieu.

Paolo Zermani, Eugenio Tessoni, Cappella nel bosco, Varano dei Marchesi, Parma, 2012. Photographe: Mauro Davoli PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière. Paris: ed. Arléa, 2017.
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Silence de l’intime

L’intime peut être défini de deux manières assez différentes comme l’ex-
plique André Lalande : il y a « ce qui est fermé, inaccessible à la foule, réser-
vé ; par suite, ce qui est individuel, connu du sujet seul »12. De l’étymologie
intimus désignant celui en lequel on a foi. C’est quelque chose qui peut être
un lieu de confiance, comme la maison, ou en tout cas une entité matérielle
se référant à l’individu, opposée au public, un refuge d’intimité comme peut
l’être la maison selon Gaston Bachelard : « la forme la plus simplifiée de
la condensation d’intimité du refuge »13. Mais Lalande le définit également
comme ce « qui tient à l’essence de l’être dont il s’agit ; qui en pénètre toutes
les parties »14. De l’étymologie intim, « ce qui est au plus profond ». Cet in-
time est quelque chose qui n’a pas ce rapport extérieur versus intérieur mais
c’est plutôt un état d’âme dans lequel l’individu se connecte au plus profond
de son être. Selon mes expériences, malgré le fait que ce soient deux défi-
nitions distinctes, l’une est liée à l’autre car les lieux intimes favorisent cette
connexion à son être intérieur. Dans mes trois expériences, le seul lieu dans
lequel j’ai pu ressentir cette connexion à l’être était Crémieu car c’est le seul
lieu que j’ai pu réellement m’approprier pour avoir cette relation spatiale de
l’intime permettant de me connecter à mon être.

12. LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophe, Paris: éd. Quadrige, 1993.
Henri de Toulouse-Lautrec, Seule, 1896 13. BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris: éd. Quadrige, 2012.
Huile sur carton - 31,0 x 39,6 cm - RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay). 14. LALANDE André, op. cit.
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Silence de l’intime.

Crémieu:
Cette spatialité de l’intime dans le prieuré est à l’image d’une maison ou d’un
jardin, il y a des limites spatiales marquées, ici avec les remparts qui sont
une protection symbolique et physique vis-à-vis de l’extérieur. Et d’autres
limites à l’intérieur de cette limite divisent et isolent certains espaces. L’at-
mosphère évoque celle d’un jardin secret, où chaque limite, chaque muret
et chaque arbre, divise l’espace et défini un degré d’intimité supplémentaire.
En son cœur, le lieu se fragmente en une multitude de petits recoins, offrant
des refuges isolés où se perdre et se retrouver. Ces lieux intimes permettent
à celui qui le fréquente une connexion plus importante à sa propre intimité.
Comme une chambre dans une maison que Louis Kahn illustre par cette
mise en abîme : « La Chambre à coucher veut être en soi une petite maison
», il y a ici une mise en abîme du silence et de l’intimité au sein d’un lieu de
silence favorisant l’introspection ainsi que la contemplation du lieu, de sa
nature et de sa fragilité.

Comment concevoir l’intimité ? Est-ce un jeu de limite, de mise en abîme


et de seuil ? Surement, puisque cela permet une mise à distance, un iso-
lement favorisant l’introspection. Mais je pense aussi que ce qui favorise la
connexion spirituelle, c’est également le caractère silencieux du lieu dans
sa globalité et non seulement son intimité spatiale. La lumière, la fragilité
et la connexion à la nature, entre autre, permettent selon moi aussi cette
connexion à l’être.

Coupe de souvenir, Crémieu.


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Silence de la lumière

Soulages : « je considère que la lumière telle que je l’emploie est une ma-
tière. »15. Il transforme la lumière en une matière. Elle n’est pas lumineuse
mais devient épaisse, striés, évidée… Il travaille la manière dont la matière
va rentrer dans le tableau et va se révéler en matière.

En parlant de Conques il dit de la lumière que : « C’est une matière qui joue
avec le temps, qui joue avec la pierre…et qui a un spectre différent selon
les heures… »

Conques:
Il veut faire pleinement de l’église ce que l’on peut qualifier de réceptacle
et d’instrument de lumière. en la mettant à nu, les vitraux retrouvent un rôle
plus architectural que pictural, celui d’ouverture permettant réellement à la
lumière de pénétrer son épaisseur. La lumière révèle le bâtiment par sa
masse caractéristiques de l’art roman, ses volumes et sa matière qui n’ont
pas échappés au temps. Cette lumière va mettre en lumière les épaisseurs,
les stries et les vides façonnés par le temps. De plus, l’épaisseur de la lu-
mière se manifeste à travers les rayons qui acquièrent une densité. Le vitrail
diffuse la lumière naturelle, créant ainsi une épaisseur et une masse va-
riable grâce aux différences de densité des grains présents dans sa matière.
A l’intérieur de cette architecture de vide et de pleins on est alors plongé
dans le silence de l’ombre et de la lumière, du plein et du vide, où la lumière
révèle la massivité et pénètre le vide par son épaisseur lumineuse, donné
par le vitrail.

Pierre Soulages, Peinture, 9 mars 2014 15. Pierre-Soulages.com, Pierre-Soulages: La lumière comme matière. Adresse disponible sur:
Acrylique sur toile - 57 × 81 cm, Courtesy Galerie Karsten Greve Köln, Paris, St Moritz. https://www.pierre-soulages.com/document/pierre-soulages-la-lumiere-comme-matiere/
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Silence de la lumière

Cette lumière ayant un caractère temporel car révélant les traces du temps
sur la matière, a ici un autre rôle dans ce témoignage du temps qui passe
puisqu’elle joue le rôle d’une horloge lumineuse. Ce jour-là j’ai pu la voir à
la fois bleutée et orangée car j’y suis allé durant un après-midi ou le bleue
se révèle dans la faible luminosité de l’extérieur puis lors de la fin de cet
après-midi pendant que le soleil se couchait exprimant sa faible teinte oran-
gée. Ces variations de teinte révèlent le vrai caractère de la lumière et de sa
temporalité qui va changer au gré de la journée et des saisons parfois plus
froide; bleutée, ou plus chaude; orangée.

Une autre manifestation du silence de la lumière dans ce lieu fait référence


à ce que Louis Kahn décrit comme le silence : ce n’est pas le calme absolu
mais à la fois un lieu « sans lumière et sans obscurité »16, qui laisse entrer
la lumière et qui laisse une place importante à l’ombre. Un lieu où il y a une
atmosphère ambiante en son sein « un seuil ambiant » entre ombre et lu-
mière. A Conques on retrouve ce qu’il décrit : la lumière remplit l’espace à
certains endroits, les absides deviennent des pièces de lumière, les ouver-
tures dans les bas cotés semblent percer l’obscurité. Puis en se rapprochant
du chœur, lumière et obscurité se mélangent, la lumière se dilue pour au
centre, être dans une atmosphère lumineuse, homogène, silencieuse, un
seuil ambiant ni obscur ni lumineux.

Plan-lumière, Eglise abbatiale de Conques. 16. KAHN Louis.I, Silence et lumière : choix de conférences et d’entretiens, Paris: éd. Du Linteau, 1996.
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Silence de la lumière

San Cataldo:
De la même manière, à Modène, dans le monolithe évidé de San Cataldo, on
retrouve cette atmosphère de seuil ambiant entre ombre et lumière. Cela est
rendu possible par ce que Kahn appelle des « modules de lumière-non-lu-
mière »17, qui peuvent être comparés à des voûtes ou des colonnes. Ici,
ces modules prennent la forme de carrés réguliers, parfois ouverts pour «
libérer la lumière », parfois pleins pour laisser place à l’ombre. À l’intérieur
de cet espace, on se retrouve alors plongé dans une atmosphère calme et
sereine où la lumière et l’ombre semblent se diluer pour se fondre harmo-
nieusement. Cette sensation de tranquillité est renforcée par la douceur des
contrastes lumineux et l’impression de fluidité qui émane de cet espace, of-
frant une expérience sensorielle apaisante qui évoque ce que Kahn qualifie
de silence.

Plan-lumière, Cimetière de San Cataldo. 17. KAHN Louis.I, Silence et lumière : choix de conférences et d’entretiens, Paris: éd. Du Linteau, 1996.
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Silence de la lumière

Cette sensation de calme, cette atmosphère lumineuse silencieuse, Hélène


Binet parvient à nous la faire ressentir à travers sa photographie du Musée
Kolumba de Peter Zumthor. En observant cette image, on a l’impression
de voir la lumière et l’ombre se diffuser et se mélanger comme des fluides.
Avec cette photographie et en se remémorant les ambiances lumineuses
de mes autres expériences, on peut imaginer l’atmosphère lumineuse que
j’aurais pu ressentir à Crémieu, avec les branches et les feuillages agissant
comme des « modules de lumière-non-lumière », et les rayons de soleil qui
se faufilent à travers les feuilles, créant un ballet de lumières et d’ombres
dansant et se mélangeant grâce au rythme du vent, enveloppant l’endroit
d’un voile doux et apaisant.

Grâce aux trois exemples, j’ai donc plusieurs hypothèses sur la façon de
créer une atmosphère lumineuse silencieuse similaire dans un lieu. En per-
mettant au lieu de révéler sa matière, et sa temporalité grâce à la lumière,
en instaurant un équilibre entre ombre et lumière qui dilue la frontière entre
luminosité et obscurité, ou en permettant au lieu lui-même de se manifester
en tant que substance lumineuse.

ZUMTHOR Peter, Kolumba Museum, Cologne, Germany, 2007 – 2008. Photographe: BINET Hélène.
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Conclusion

Dans ces lieux de silence, nous avons découvert un monde de contem-


Les silences que j’ai distingués ne sont évidemment pas universels, car la
plation et de tranquillité, que ce soit par la lumière, l’intimité, par la relation
perception du silence est subjective et peut varier d’une expérience à une
importante qu’entretien l’espace avec le temps et la caducité des choses.
autre. C’est pourquoi j’ai choisi trois lieux ayant des contextes temporels
Ou même par la présence marquée de la nature ou la projection du paysage
distincts, ce qui m’a permis de percevoir l’atmosphère de chaque lieu de
dans le lieu, le silence nous permet d’isoler et d’embrasser pleinement la
manière différente. Si l’on intervertissait les contextes entre ces lieux, cela
beauté des lieux. Cette manière de voir les lieux peut nous permettre de
modifierait sans doute ma perception : par exemple, à Crémieu, je n’aborde
réfléchir le projet par ces points, par ces pauses que le silences permet de
presque pas la notion de lumière car cela ne m’avait pas marqué, bien que
contempler et d’isoler du reste.
je sois convaincu de l’importance de la relation entre le silence de la lumière
Concevoir un point d’arrêt ou une succession de point d’arrêt que l’un ou
et ce lieu. Crémieu évoque plutôt en moi un sentiment nostalgique car cet
plusieurs des silences identifiés viendraient marquer pour nous englober
ailleurs est associé à un jadis. Et cela reflète la fragilité du moment ainsi que
dans une atmosphère silencieuse, peut être une base de la réflexion archi-
le caractère transitoire d’un lieu composé de ruines et de végétation comme
tecturale.
celui-ci. Nos expériences de ces lieux vont donc beaucoup influencés notre
manière de voir les lieux en général et également de concevoir l’architecture,
peut être que d’autres lieux m’aurait fait percevoir le silence différemment.
Nous avons donc observé que certains endroits, certains moments inclus
dans ces espaces, constituent de véritables points d’arrêts dans l’expé-
rience du lieu, des instants hors du temps, ou l’on s’arrête pour observer la
beauté et laisser le silence nous englober. Ces lieux pourraient être décrits
selon la vision de Kandinsky du point comme « un petit monde à part [...]
isolé plus ou moins de tous côtés, et presque arraché à son entourage. »
Comme dans un refuge qui serait niché au cœur des montagnes, un havre
de paix qui offre une évasion totale dans la linéarité de la randonnée. C’est
un univers à part où le temps semble suspendu, et où la contemplation du
calme environnant nous plonge dans une atmosphère de silence profond.
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Conclusion

Après avoir pensé l’architecture par les pauses, nous pouvons également
la penser par le parcours qui relirait ces points. Pour l’illustrer je vais vous
décrire une partie de mon expérience du parcours à Crémieu :
Le chemin vers l’ancien prieuré menant à la colline Saint-Hippolyte à Cré-
mieu s’élève, tel un sentier initiatique vers un sanctuaire oublié.
Comme l’évoque Franco La Cecla, dans Perdesi, l’uomo senza ambiente18,
cet espace saisit notre mouvement, et l’environnement nous domine, nous
impose une manière de pratiquer l’espace et donc de le percevoir. À me-
sure que l’on avance, ce chemin linéaire, abrupte et relativement long dans
l’expérience du lieu nous met à distance de l’espace de la ville et de son
chaos symphonique, de ses nombreuses voies différentes et de son rythme
effréné. La tour de l’horloge et la grande porte qui marque l’entrée du prieu-
ré, guide nos pas vers cette élévation que l’on pourrait comparer à celle ma-
térialisée par les grands escaliers qui mènent à certains temples Japonais
traduisant une volonté d’élévation spirituelle, une élévation durant laquelle
la marche traduirait le labeur avant d’arriver à la tranquillité spirituelle du
temple. Créant un contraste marquant entre le bruit de la marche et le si-
lence de la pause. A Crémieu c’est le silence du paysage qui nous saisit sur
ce grand promontoire suite à cette marche abrupte.

Perspective de souvenir. 18. LA CECLA Franco, Perdesi, l’uomo senza ambiente. Ed. Meltemi, 2020.
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Conclusion
« la musique naît du silence et retourne au silence »19 Pour que musique
existe il faut que le silence existe, un silence qui permet à la musique de
mieux se mettre en valeur, de mieux s’exprimer. Parmi les silences il y a
Des sons et des silences qui permettent à l’humain de se laisser porter par
ceux qui sont entre deux notes importantes qui permettent une pause dans
le lieu, qui lui permettent de s’y ouvrir en laissant le silence l’envahir pour
la mélodie pour mieux apprécier ces deux notes et la reprise de la mélodie.
mieux savourer la beauté des espaces et des lieux. S’arrêter pour mieux
Deux notes permettant elles aussi de mieux apprécier la profondeur et la
savourer la marche, marcher pour mieux savourer l’arrêt, la tranquillité et le
préciosité du silence.

Le parcours, cette marche, cette note qui relirait les arrêts serait liée au
rythme, entre sons et silences. On pourrait imaginer un parcours qui contras-
terait avec le silence avec donc, peu d’arrêt, peut être avec peu de silence
majeur ou un unique silence ultime, qui contrasterait grandement avec ce
parcours, comme à Crémieu où la mélodie est soutenue et se termine par
ce grand silence. Ou au contraire peut être une marche qui serait rythmé par
ses temps d’arrêts et donc faire de la marche une expérience silencieuse
marqué par ce rythme plus lent durant laquelle la récurrence de l’arrêt de
la mélodie, influencerait notre expérience de la marche, une marche durant
laquelle la cadence est plus lente où l’arrêt entre chaque pas ou notes est
plus prononcé.
La marche peut aussi être un moyen de mettre à distance, d’écarter le point
d’arrêt silencieux, d’un lieu plus bruyant comme c’est le cas à Crémieu.
L’utilisation de la marche et de son rythme peut être multiples et beaucoup
plus diverses que les situations que j’ai identifié grâce à cette expérience.
Chaque approche du parcours peut donner une dimension différente à l’ex-
périence des points silencieux et des lieux par la manière dont le parcours
dialogue avec l’arrêt. Que ce soit en contrastant avec, en l’accompagnant,
en le mettant à distance, en les rapprochant, en les dissimulant…

19. JANKELEVITCH Vladimir, La musique et l’ineffable, Paris, éd. Points, 1983,


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Bibliographie

BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris, éd. Quadrige, 2012. SANSOT Pierre, Du bon usage de la lenteur, Paris : éd. Payot et Rivages, 1988.

CARRERI Francesco, Walkscapes : la marche comme pratique esthétique, Arles : Actes Sud éd., 2020 ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle : éd Birkhäuser, 2008.

GIONO Jean, Le chant du monde, éd. Galimard 1934.

GRILLET Thierry, «face au mur» dans le mur oublié, leçon du Thoronet, Marseille: MAV Paca, 2009.
BIHL Gwenaëlle, Architecture et dialectique du silence (Sous la direction de Séverine Bridoux-Michel et de Jean-Christophe
JANKELEVITCH Vladimir, La musique et l’ineffable, Paris, éd. Points, 1983.
Gérard), Lille: École Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Lille, 2018.

JANKELEVITCH Vladimir. Cours: La musique et l’ineffable. [Enregistrement audio] https://youtu.be/O8s3zsH57js


LE MAIRE Judith, Arpenter, guider, jalonner. La marche, outil des processus participatifs en architecture et urbanisme du
XXe siècle, URL : https://www.cairn.info/revue-clara-2013-1-page-133.htm
KAHN Louis.I, Silence et lumière : choix de conférences et d’entretiens, Paris: éd. Du Linteau, 1996.

KUBRICK Stanley,2001, l’odyssée de l’espace, Warner bros., 1968.

LA CECLA Franco, Perdesi, l’uomo senza ambiente, 1988. https://www.beauxarts.com/grand-format/les-vitraux-de-conques-quand-soulages-reinvente-la-lumiere/

LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophe, Paris: éd. Quadrige, 1993. https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/le-paysage-reinvente-de-turner-maitre-de-la-couleur-11130444/

PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière. Paris: ed. Arléa, 2017. https://www.helenebinet.com

PICARD Max, Le monde du silence. Paris: ed. La Baconnière, 2019. https://www.medart.pitt.edu/_medart/menufrance/conmain.html

ROBERT Philippe Architrek, Marcher pour savourer l’espace dans la ville, l’architecture, le paysage. Paris : éd. D. Carré, https://www.pierre-soulages.com/document/pierre-soulages-la-lumiere-comme-matiere/
Rapport d’étude de fin de licence, encadré par Ivry Serres, École Nationale Supérieur d’Architecture de Marseille, 2024.
LACROIX Lucas
Les Chants Du Silence

Étude des expériences du silence.

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