Synthèse Maëva MAJ

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 91

Petit Cerisier Maëva Psychologie interculturelle et du genre 2022-2023

Synthèse psychologie interculturelle et du


genre
Cours donné par Laurent Licata
Chapitre 0 : introduction – Pourquoi s’intéresser à la psychologie
interculturelle ?
Partie Laurent Licata

1. Qui dort auprès de qui ? (Shweder, 2003)


Il faut imaginer que nous avons une famille. Nous sommes le père ou la mère, nous prenons
des décisions sur la répartition des chambres. Il y en a en tout 3. Il y a les parents, 3 fils et 2
filles.
Un wooclap est fait en cours pour regarder ce qui va ressortir de nos choix.
→ La réponse majoritaire est de mettre les parents ensemble, les filles ensemble et les garçons
ensemble (72% des réponses). Selon une fille de l’auditoire, cela serait car il faut laisser de l’intimité
aux parents et ne pas mélanger filles et garçons.

Il s’agit donc d’une étude où les auteurs ont comparé les préférences de couchage entre
deux couples culturels.
- Mère : m - Garçon de 8 ans : g8
- Père : p - Fille de 14 ans : f14
- Garçon de 15 ans : g15 - Fille de 3 ans : f3
- Garçon de 11 ans : g11 - Séparation : /

Exemple : m g11/p g15/f14 f3 f8


→ Cela veut dire que la mère dort avec le garçon de 11 ans, le père avec le garçon de 15 ans
et les deux filles dorment avec le garçon de 8 ans.
Oriyas (= nord est de l’Inde) États-Unis : Illinois

2
Les auteurs se sont d’abord posé la
question des chambres. Ils ont regardé
plusieurs combinaisons possibles.
Au total, il y a 301 possibilités.
Ils ont ensuite comparé quelques
individus en fonction de la culture. Nous
pouvons remarquer qu’il s’agit d’un
échantillon assez petit et qu’ils ont presque tous choisi le 2-3-3.
La solution préférée par les couples, c’est les
parents seuls et la répartition des enfants par
sexe (comme pour nous, dans l’auditoire). On
observe aussi que chez les Américains, c’est
tellement dominant que peu d’autres couples
pensent à une autre solution.
Chez les Oriyas, il y a quand même plus de
diversité.
Ensuite, les auteurs ont soumis des personnes a une autre solution : 2 chambres au lieu de 3.
Solution à 2 chambres :

• Oriyas : 16/19
- p g15 g11 g8/ m f14 f3
- p g15 g11/ m f14 f3 g8
→ 16 couples sur 19 ont réussi à prendre une décision
• Américains : 7/19
- p m f14 f3/ g15 g11 g8
→ Seulement 7 couples sur 19 ont réussi à prendre une décision
Les auteurs ont par la suite demandé aux différents couples ce que serait les pires situations
de couchage ainsi que les moins graves :

Oriyas Américains
Pire Pire
- p f14/ m f3/ g11 g8/ g15 - p f14/ m g15/ g11/ g8/ f3
- f3/ p/ m f14/ g15 g11 g8 - p m/ g15 f14/ g11/ g8/ f3
→ Possibilité d’inceste chez le père → Possibilité d’inceste chez les
parents
Moins grave Moins grave
- p g11/ m f3/ g15/ f14 g8 - p g15/ m f14/ g11/ g8/ f3
- p g15/ m f3/ f14 g8/ g11 - p/ m/ f14 f3/ g15 g8/ g11

Par la suite, les auteurs ont fait ressortir des principes qui sont des préférences culturelles
qui expliquent les choix des individus.

3
1.1 Préférences culturelles
On y retrouve :

- Évitement de l’inceste : les mâles et les femelles pubères et non mariés ne doivent
pas avoir de relations sexuelles et doivent éviter les situations qui le permettent
→ Il s’agit de quelque chose d’universel bien qu’il existe des variations tant au niveau
de l’étendue de cet interdit au-delà de la famille nucléaire (jusqu’à quel degré de lien
familial l’interdit s’applique-t-il ?) qu’à celui de l’âge à partir duquel les personnes de
sexe différent doivent être séparées.
Rq : l’inceste homosexuel n’est pas pris en compte car c’est insensé dans ce contexte-

- Anxiété à propos de la chasteté féminine : les filles pubères doivent être
chaperonnées car elle doit être vierge pour son mariage (Inde)
- Respect de la hiérarchie : entre mâles pubères, la supériorité sociale s'exprime par la
déférence et la distance (Inde)
→ Les garçons ne vont donc pas dormir avec leur père
- Protection du vulnérable : les jeunes enfants ne doivent pas rester seuls la nuit (Inde)
- Idéal d’autonomie : apprentissage de l'indépendance (USA)
→ >< à la protection du vulnérable : l’enfant doit être séparé le plus tôt possible de
ses parents afin d’apprendre l’indépendance et l’autonomie
- Le couple sacré : l'intimité émotionnelle, l'engagement mutuel et l'intimité sexuelle
requièrent que les adultes mariés dorment ensemble et seuls (USA)
➔ Ces deux derniers points sont généralement liés
Voici un classement en fonction de la culture :
Oriyas Américains
1. Évitement de l’inceste 1. Évitement de l’inceste
2. Protection du vulnérable 2. Le couple sacré
3. Anxiété à propos de la chasteté 3. Idéal d’autonomie
féminine
4. Respect de la hiérachie

Les auteurs se sont par la suite rendus chez les individus pour voir le choix de couchage.
Cet exemple montre que la culture introduit une contrainte : elle restreint les choix de
comportement envisageables au sein d’un groupe culturel. Il montre également qu’il est
possible de mettre à jour des préférences, et donc des valeurs culturelles, à partir de
l’observation de comportements concrets. Enfin, même si cet exemple montre qu’il existe
des différences culturelles, il nous pousse également à nuancer ces différences. En effet, il
convient de reconnaître les points communs entre les membres des deux groupes culturels :
la solution la plus fréquemment adoptée était la même dans les deux groupes et la
préférence culturelle dominante, l’évitement de l’inceste, était dans les deux groupes.
Cet exemple (parmi d’autres), illustre les liens qui peuvent exister entre la culture et le
comportement : l’objet d’étude de la psychologie interculturelle.

4
1.2 Culture et comportement
La question des liens entre culture et
comportement se présente comme un
dilemme : il s’agit de se situer par rapport à
deux réponses à la question des liens entre la culture et le comportement qui ont chacune
leurs avantages et leurs inconvénients. Ce dilemme se fait entre deux choses très simple :
sous-estimer et surestimer. Quand on essaie de comprendre le lien, on peut vite tomber
dans un excès ou dans un autre : négliger l’influence culturelle ou encore dire que la culture
explique tout.
Il est important de veiller à éviter ces deux pièges.
1.2.1. Première erreur : sous-estimer l’influence de la culture
Sous-estimer l’influence de la culture, c’est en quelque sorte penser qu’il existe une
prétention universaliste des cultures occidentales. En effet, nous considérons nos manières
d'être, de penser et d'agir comme 'naturelles' et donc, que tout ceci pour se mettre en place
pour l’ensemble de l’humanité. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de
l’homme a été créée dans une vocation universaliste, c’est-à-dire qu’elle était censée
concerner tous les êtres humains de toutes les cultures (Doise, 2011). Cependant, son
caractère universel a été rapidement questionné et, dès 1981, l’Organisation de l’unité
africaine a adopté la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui « met en
avant l’équilibre entre l’individu et le groupe auquel il appartient ». En effet, pour certains,
les droits de l’homme apparaissent comme le produit d’une tradition occidentale plutôt que
comme des principes universels. Ils reposent sur des principes d’égalité, de liberté, de non-
discrimination qui peuvent se heurter à des coutumes, des croyances, et des pratiques
d’autres cultures.
Certains envisagent les droits de l’homme dans une optique universaliste tandis que d’autres
les envisagent dans une perspective relativiste.
Il s’agit également de quelque chose de récent, de moderne. Avant, l’individu était défini par
ses appartenances, sa position dans une structure sociale ; bref, son statut social. Tout cela a
changé quand la structure sociale a été repensée : l’individu est libéré de ses appartenances
et est porteur de droits universels. L’individu est donc générique, une sorte de modèle
abstrait dont les caractéristiques s’appliqueraient à tous les êtres humains Ce que l’on
observe chez l’un est donc potentiellement vrai pour tous les autres. Il y a une également
une reconnaissance de la culture mais elle est moindre par rapport aux individus ; il s’agit
plutôt de légères variations sur un thème commun.
➔ L'Occident projette ses propres caractéristiques sur l'ensemble de l'humanité
On retrouve également une prétention universaliste de la psychologie occidentale. Les
chercheurs en psychologie tendent à généraliser ce qu’ils observent dans les laboratoires
européens ou nord-américains à l’entièreté de l’humanité, la plupart du temps sans vérifier
que cela se justifie réellement. Amir et Sharon (1987) ont répliqué 6 recherches classiques
de la psychologie sociale en Israël. Ils ont réalisé 30 essais : 6 réplications réussies, 4
réplications partielles, 20 échecs.

5
→ C’est compliqué de répliquer malgré le fait qu’ils ne se situeraient pas a priori dans un
contexte culturel très éloigné du contexte occidental.

➔ Il faut étudier les modèles culturels grâce auxquels les gens pensent, ressentent, jugent
et agissent
1.2.2. Seconde erreur : surestimer l’influence de la culture
Dans cette seconde erreur, on retrouve le fait de croire que l'on peut tout expliquer grâce à
la culture : « Dis-moi quelle est ta culture et je te dirais qui tu es. ». Ce serait là pousser à
l’extrême une manière de penser que l’on peut qualifier de « culturaliste » ou de
« relativiste ».
→ On ne connait pas un individu car on a des connaissances culturelles.
Cette attitude peut nous mener à négliger d'autres facteurs qui sont non-négligeables et
souvent bien plus influents que la culture qui sont susceptibles d’influencer nos
comportements.
Ex : Position sociale, situation politique, économie, personnalité, etc.
Si l’on pousse la tendance culturaliste à l’extrême, cela aboutit à un relativisme culturel
absolu selon lequel chaque culture forme un tout distinct et cohérent et où les pratiques
culturelles doivent être acceptées quelles qu'elles soient (or, ce n’est pas le cas : les
frontières entre cultures sont souvent très floues et les cultures s’empruntent depuis
toujours certains de leurs éléments).
Dans cette posture, le relativisme culturel pourrait, en outre, nous conduire à une
acceptation aveugle de n’importe quelle pratique culturelle.
→ Danger de légitimation culturelle des atteintes aux Droits de l'Homme
Ex : Mobutu http://screencast.com/t/0I0BxTT5T
➔ Dans ce cas-ci, les cultures sont réifiées et figées (alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas,
elles évoluent parfois rapidement)
 Nécessité d'une réflexion sur les limites de l'explication culturaliste

2. Problématiques sociétales
L’étude des liens entre culture et comportement pose la question de l’importance que l’on
accorde à la variable culturelle pour décrire et expliquer les comportements. Comme nous
l’avons vu, cela peut mener à deux écueils : un universalisme uniformisant ou un
culturalisme qui exacerbe les singularités.
Deux phénomènes sociaux illustrent bien cette tendance différencialiste appliquée à la
question culturelle : l’ethnicisation des rapports sociaux et la racialisation de la notion de
culture.
2.1 Ethnicisation des rapports sociaux
Il s’agit de l’explication ethnique des problèmes sociaux, c'est-à-dire le fait d'utiliser presque
exclusivement le critère ethnique pour décoder les interactions sociales (Costa-Lascoux et
Hilly, 2001).

6
Ex : expliquer les difficultés scolaires rencontrées par des enfants issus de l'immigration
uniquement en termes de différence culturelle.
L'école représente l’Occident, la modernité et des valeurs différentes tells que
l’indifférenciation sexuelle et la réussite sociale. Néanmoins, l’hypothèse du conflit de
valeurs ne semble pas suffisante pour render compte complètement des difficultés des
jeunes issus de l’immigration à l’école (Heine, Van der Linden, Van der Abeel & Licata, 2008).
Vallet et Caille (1996) & Tribalat (1996) ont ainsi montré que, à condition socioéconomique
égale, les enfants issus de l’immigration réussissaient mieux que les enfants français. Born et
ses collègues ont démontré que l’origine extra européenne des élèves était loin d’être la
seule responsible de la situation d’échec : le niveau socio-économique des familles explique
en partie les taux d’échec et complètement l’orientation en section professionnelle.
→ La cause de l’échec scolaire ne devrait donc pas être recherché exclusivement dans les
aspects culturels du rapport aux savoirs mais bien dans une interaction entre ceux-ci et la
dimension socio-économique (Hein & al, 2008). Or, cette dernière est bien souvent
assujettie à la question ethnique dans la comprehension du rapport à l’école chez les enfants
d’immigrés.
2.2 Racialisation de la culture
Les cultures sont représentées comme :
- Distinctes : comme s’il n’y avait pas d’interprétation entre les cultures
- Homogènes : comme si tous les members d’un groupe cumturel partageaient
exactement les mêmes idées, faisaient, pensaient, aimaient les mêmes choses
- Déterministes : la culture determine les individus mais on semble oublie que l’inverse
est également vrai
- Stables : les cultures n’évolueraient pas, surtout celles des autres
- Définissant les individus dans leur essence
Ex : “Tu es une culture”
On retrouve un passage de la « race » à la culture comme base du préjugé (Taguieff, 1988)
suite à la fin de la 2e GM. Ces concepts sont pourtant totalement différents, voire opposés :
- Le concept de race, concept biologique, fait référence à la nature
- La culture se définit précisément en opposition avec la nature.
Dans les discours et le sens commun, ils sont utilisés comme des synonymes.
→ Le mot culture est utilisé mais il sera malheureusement à la tête des préjugés. Cependant,
ce mot sera utilisé d’une manière dite acceptable alors qu’en fonction, ça revient au même
que le terme “race”.
On y retrouve également des accusations de racisme inversé, de communautarisme,
d’islamo-gauchisme, de wokisme, etc.
Extraits d'interventions au forum sur le vote des immigrés extra-européens, site de La Libre
Belgique, 2002 : « On reste toujours sous l'influence de sa culture d'origine et on continue à en
partager les idées - ou au moins à les accueillir avec bienveillance - pendant des générations. Bien
sûr, on ne s'en vante pas en public. (…) Alors, lier l'octroi du droit de vote à une durée de séjour en

7
Belgique ou au fait de payer des impôts, comme le défendent certains, est une vision artificielle des
choses. »
→ Donc, d’après ce participant au forum, le fait de provenir d’une culture différente
détermine les manières de penser. De plus, ces manières de penser continueraient à être
transmises sans changement de génération en génération. Cela lui semble constituer un
argument justifiant son opposition à l’octroi du droit de vote aux immigrés extra-européens.
Cette personne oppose en outre le côté artificiel de l’octroi du droit de vote aux étrangers à
quelque chose de naturel évoqué implicitement : la transmission culturelle immuable serait
donc un phénomène naturel. Les gens provenant d’autres groupes culturels seraient donc
essentiellement différents de « nous » ; tellement différents qu’il n’est pas envisageable
qu’ils fassent partie de la même société.
→ Cette personne considère donc qu’une société est censée être mono culturelle,
naturellement.
« Certaines choses sont miscibles entre-elles, l'eau et la grenadine par exemple. Au-delà de cette
image, c'est ce que l'on appelle l'enrichissement culturel. Mais l'eau et le feu, ça ne marche pas, je
respecte l'être humain, quelle que soit sa couleur, son origine, sa culture, sa religion, je n'ai pas la
prétention d'appartenir à un groupe supérieur, loin de là. Nous sommes TOUS des citoyens du monde,
ni plus ni moins. MAIS, j'ai la conviction d'après ce que je vois, dans nos villes, nos quartiers, nos rues,
que la coupe est pleine; si on continue à inverser la tendance démographique qui se creuse
inexorablement, insidieusement, notre culture dans peu de temps aura vécu. Nos aïeux ont versé leur
sang, dans d'indicibles souffrances pour qu'aujourd'hui nous soyons ce que nous sommes. Que
quelques politiciens en mal de voix s'adonnent à de bas calculs politico-spéculatifs est TRES GRAVE !
Car, notre héritage, notre vie, la vie de nos enfants en dépendent. Le cheval de Troie est déjà dans la
place. .... Ouvrez donc les yeux !!! »

3. Utilité de la psychologie interculturelle

- Améliorer les sciences psychologiques


- Questionner les implicites universalistes de la psychologie
- Développer une connaissance nuancée et non réductrice de la psychologie humaine
en regard des contextes culturels.
- Améliorer les pratiques professionnelles confrontées à la diversité culturelle
- Susciter la réflexion des citoyenn.es sur la diversité culturelle

8
Chapitre 1 : Fondements théoriques
Partie Laurent Licata

1. Culture et comportement
Le comportement humain est fondamentalement social. Effectivement, nous sommes des
animaux sociaux.
On retrouve des relations avec :
- Les autres personnes
Ex : l’auditoire. Nous sommes tous dans des interactions +/- fortes.
- Leurs comportements : ce qu’ils font, ce qu’ils ont l’air de penser, …
- Les produits de leurs comportements
→ Tout ce qui nous entoure est le produit des comportements des autres. Nous
vivons dans des cadres structurés qui sont susceptibles d’influencer notre manière de
penser, ressentir les choses et de se comporter.

Segall et al (1990) définissent la culture comme étant constitué des stimuli sociaux, qui
sont le produit des comportements d’autres personnes.
Selon Herskovits (1948), la culture est la partie de l'environnement faite par l'Homme.
On y retrouve :
- Objets matériels
- Idées
- Institutions
Ex : l'auditoire
1.1. Constitution mutuelle
Comment penser le lien entre la psychologie et la culture ?
→ Par des domaines !
Domaine psychologique Domaine socioculturel
On y retrouve : On y retrouve des modèles situés dans le
- Modèles de pensée monde social. Les termes utilisés sont :
- Émotions et actions - Socialités
Ainsi que des termes bien précis qui vont - Contextes socioculturels
avoir des niveaux d’analyse précis : - Systèmes sociaux
- Esprit - Manières d’être - Environnement
- Psyché - Mentalité - Structure sociale
- Soi - Culture

Nous retrouvons un processus permanent de constitution mutuelle entre les deux :


- Le psychologique est ancré dans, et génère le socioculturel
- Le socioculturel est ancré dans, et génère le psychologique

9
 Il s’agit selon Markus et Hamedani (2007) de l’interdépendance dynamique
Cette interdépendance ne peut être comprise que si l’on admet que le comportement
humain est fondamentalement social.
La psychologie humaine dépend de la culture, mais cette contingence est gouvernée par des
principes universels (Fiske et al., 1998)
- L’esprit humain a évolué pour opérer dans des mondes sociaux structurés par la
culture
→ Évolution de l’espèce
- Le nouveau-né possède des capacités pour s’insérer dans le monde social. Ces
capacités peuvent être réalisées en utilisant des modèles culturels spécifiques qui
médiatisent l’interaction sociale. Afin de s’insérer dans des relations sociales
harmonieuses, les gens se réfèrent à des modèles culturels, qui constituent en partie
leur psychologie
Ex : pleurer pour avoir des soins, à manger, …
- Le psychisme n’est pas un ensemble séparé et autonome de processus ; il existe et
fonctionne uniquement en conjonction avec la culture (Kimura, 1972)
→ Le psychisme est donc un système ouvert qui fonctionne avec un cadre qui est
déjà structuré quand on y arrive
Voir Bruner (1997) « … car la culture donne forme à l’esprit »

1.2. Le modèle éco-culturel


Voici le modèle éco-culturel adapté par Berry & al (2011). Il essaie de comprendre comment
se développement les caractéristiques psychologiques des personnes en fonction des
différents contextes.
Depuis les années 70 ; Berry a
développé un cadre conceptuel
général dans lequel la plupart des
questions posées par la
psychologie (inter)culturelle
peuvent être situées.
Le modèle éco-culturel se
présente comme un schéma
mettant en relation des
caractéristiques psychologiques
avec des facteurs d’arrière-plan :
- Contexte écologique
- Contexte sociopolitique

10
Et cela à travers un ensemble de processus situés au niveau du groupe et au niveau de
l’individu. Il distingue des catégories de variables qui peuvent intervenir dans l’explication
des similarités et différences dans le comportement humain à travers les cultures.
Le schéma se lit de gauche à droite : les variables d’arrière-plan influencent des processus.
Certains processus (= adaptations biologiques et culturelles) se situent au niveau de la
population alors que d’autres (= influences écologiques, transmission génétique,
transmission culturelle et acculturation) établissent un lien entre les variables situées
au niveau de la population et les variables situées au niveau individuel (= caractéristiques
psychologiques : caractéristiques observables et inférées).
Nous pouvons remarquer des flèches de rétroaction qui vont de la psychologie vers le
contexte écologique et sociopolitique qui sont deux domaines interdépendants. Berry et al
précisent que pour être complet, le modèle devrait comporter des flèches de droite à
gauche vers l’ensemble des variables. En effet, les êtres humains sont considérés comme des
participants actifs des contextes sociaux et environnementaux dans lesquels ils vivent plutôt
que comme les réceptacles passifs d’influences externes.
➔ Principe d’interdépendance dynamique.
1.3. Contextes écologiques

Il s’agit du milieu dans lequel les êtres humains interagissent avec un environnement
physique donné. Cela comprend les facteurs climatiques et divers facteurs naturels :
l’approvisionnement en eau, la qualité des sois, la température, …
→ Ces facteurs ont un impact direct sur la quantité et la qualité de la nourriture
disponible sur un territoire, ainsi que sur les méthodes de production de nourriture
envisageables.
Nous allons nous intéresser à l’humain avec son adaptation. Nous pouvons en distinguer 2 :
- Phylogenèse : histoire de l’espèce
→ Adaptation de l’humain par rapport à l’environnement, à son milieu.
➔ Une grande partie de l’adaptation biologique se retrouve à ce niveau
- Ontogenèse : tous les processus adaptatifs qu’une personne mobilise au cours de
son existence. Elle se base donc sur l’expérience individuelle. Il est important de
savoir que l’influence de la culture ne peut se marquer qu’à travers les processus
d’adaptation ontogénétiques. Autrement dit, la culture n’est pas innée, elle ne peut
qu’être acquise à travers la transmission culturelle : la culture est transmise par
l’éducation et elle a lieu dans la vie de chaque être humain.
L’adaptation ontogénétique comprend aussi des aspects biologiques.

 L’interaction entre les deux donnent une diversité biologique et culturelle de


l’humanité.
Certains chercheurs se sont intéressés à l’influence des contextes écologiques sur la culture
et sur la psychologie. Ainsi, Barry, Child & Bacon (1959) ont réalisé une étude sur le degré

11
d’accumulation de la nourriture en fonction du groupe culturel. Cette étude va nous servir
d’exemple. Ces chercheurs ont comparé deux sortes de sociétés :
- Sociétés vivant de la chasse et de la cueillette : pas voire peu de stockage de
nourriture
→ Nomades et peu peuplées
- Sociétés vivant de l’agriculture et de l’élevage à grande échelle : stockage important
(ils pourront donc faire face à une période compliquée et y survivre)
→ Sédentaires et denses
 Cela a forcément des implications culturelles importantes
Ils ont mis en évidence qu’il y avait moins de différenciation des rôles de genre en 1 qu’en 2
(cueillette) car les femmes ont un rôle actif dans la subsistance du groupe ; il n’y a donc pas
de différence de statut ; les individus ne sont pas spécialisés dans un domaine. Attention que
chez les chasseurs, il y a une différence.
→ Au plus les rôles sont spécifiés et au plus il y a des différences dans les statuts et les rôles
entre homme et femme.
Cela est lié aux types de relations maritales, aux pratiques éducatives moins différenciées, à
la valeur accordée aux femmes, à la liberté, … De plus, il y a moins de différences
psychologiques entre garçons et filles dans les sociétés de chasseurs cueilleurs.
Selon Barry, Bacon et Child (1957), la différenciation des rôles sexuels représente un
ensemble de solutions que les sociétés ont inventées pour faire face à des problèmes
pratiques. La relégation des femmes dans les domaines d’activité domestiques serait une
réponse fonctionnelle des sociétés et serait initialement liée à des différences biologiques au
niveau de la force physique et de la capacité à donner naissance et à nourrir les enfants
plutôt qu’à des différences psychologiques fondamentales entre les femmes et les hommes.
La socialisation différente des deux sexes s’est développée en tant que moyen de préparer
les filles et les garçons à assumer leurs rôles respectifs à l’âge adulte. En conséquence, les
différences psychologiques observées entre les filles et les garçons sont un produit d’une
différenciation culturelle, et pas l’inverse. De fait, les différences psychologiques entre les
deux sexes sont moins fortes dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs que dans les sociétés
agricoles ou industrielles.
Mais, cette version de l’évolution des sociétés est actuellement remise en cause. Graeber &
Wengrow (2021) montrent que des chasseurs cueilleurs peuvent être beaucoup plus
concernant leur population et que leur manière de fonctionner dépends surtout des
saisons : sédentaire en été et nomade en hiver, par exemple.

12
Contextes sociopolitiques

Les contextes sociopolitiques sont déterminés par l’histoire des sociétés humaines et par
leurs interactions.
Il s’agit de formes d’organisation des États et des sociétés. Ce sont des rapports de
pouvoir où nous retrouvons des institutions politiques :
- Démocratie – dictature
- Castes – classes sociales
- Communautarisme – individualisme, etc.
Il s’agit également d’une question d’économie (comment faut-il produire les richesses ?) :
- Nomadisme – sédentarisme
- Cueillette, pêche, chasse, agriculture, industries, etc.

Comme le montre le schéma (p12), le contexte sociopolitique a en outre un effet sur les
processus d’acculturation car il détermine en partie la possibilité qu’aura la société de
s’acculturer : d’une part en rendant la rencontre culturelle possible (ou pas) et d’autre part,
si rencontre il y a, en déterminant les modalités de cette rencontre.
Ainsi, aujourd’hui, ce sont les gouvernements qui adoptent et appliquent les politiques
d’immigration qui régulent les flux migratoires, ainsi que les politiques d’intégration qui
gèrent (ou pas) la présence de personnes d’origine étrangère sur le territoire national.
1.4. Processus au niveau de la population

1.4.1. Adaptation culturelle

Il s’agit des processus qui touchent les groupes. Il s’agit de toutes les inventions qui
permettent de s’adapter aux contraintes écologiques en tenant compte de l’histoire du
groupe.
→ Les individus ont un bagage culturel
Ex :
- Accumulation de nourriture → sédentarisme → système hiérarchique
- Le choix d’élever du bétail lorsque le contexte écologique le permet

Mais attention, toutes les significations et pratiques culturelles n’ont pas un


caractère fonctionnel. En effet, tout n’est pas lié à la survie biologique.
Les croyances et les valeurs constituent, en retour, l’environnement.
La culture est en même temps le processus d’invention, d’innovation mais aussi le
contexte dans lequel a lieu le comportement des gens. « Croyant, avec M. Weber, que
l’homme est un animal suspendu dans les toiles de signification qu’il a lui-même tissées,
je tiens la culture pour être ces toiles (...) » (Geertz, 1973)

13
1.4.2. Adaptation biologique

Il s’agit des transformations génétiques liées à l’adaptation aux contraintes


environnementales
Ex : Sensibilité aux maladies

1.4.3. Interaction entre adaptation culturelle et biologique


Il peut être intéressant de prendre en compte les interactions
entre l’adaptation culturelle et l’adaptation biologique.
Ex : boire du lait  lactase (enzyme). La plupart des adultes
ne possèdent plus l’enzyme permettant de boire du lait, sauf
dans les groupes dont les ancêtres ont dû se nourrir de lait
(unique source de calcium). Il y a donc une aversion culturelle
dans certaines régions d’Asie et d’Afrique (sociétés
anciennement sans élevage) liée à l’absence génétique de
lactase chez les adultes.
→ Les caractéristiques biologiques des individus jouent donc un rôle
Plus c’est foncé et moins les gens sont capables de boire du lait.
Plus récemment, Schaller et Murray (2011) ont réalisé une étude sur l’influence de la
prévalence des maladies infectieuses pour montrer cette interaction.
Pour eux, l’épidémie est une des principales menaces pour les êtres humains. Ils se sont
posé la question : « Que font les humains quand il y a une épidémie ? ». Ils se sont rendu
compte que les individus vont mettre en place des normes comportementales pour les
éviter ce qui va donner un système immunitaire comportemental.
Ils ont par la suite comparé 71 régions et on mit en évidence que, quand il y a beaucoup
d’épidémies, les personnes ont une personnalité plus introvertie. De plus, il existe des
normes sexuelles plus restrictives que les habitants des régions ayant subi moins
d’épidémies.
→ Corrélation entre la prévalence des épidémies et le collectivisme
1.4.4. Processus entre le niveau de la population et le niveau individuel
➔ C’est ce qui permet de faire le pont entre les individus et le groupe

1.4.4.1. Influences écologiques


Ces influences écologiques sur le comportement peuvent être directes (si le contexte
écologique influence directement le comportement) ou
indirectes (si l’influence du contexte écologique passe par
les processus d’adaptation biologique ou culturelle).
Nous allons voir un exemple d’influence directe : illusions
perceptives. Voici une étude qui a une hypothèse du monde
charpenté (Segall, Campbell & Herskovits, 1966).

14
Rq : un monde charpenté est un environnement structuré par des lignes droites, des rectangles, des
carrés ; on est donc capable d’interpréter les angles.

Les personnes ayant grandi dans des environnements riches en rectangles auraient tendance
à interpréter des figures non rectangulaires comme des représentations de formes
rectangulaires vues en perspective. Cette illusion de Müller-Lyer plus forte parmi les
Occidentaux.
L’influence écologique peut également être indirecte, comme l’illustre l’exemple des
aversions alimentaires liées à l’adaptation biologique et culturelle du groupe.
1.4.4.2. Transmission génétique
À travers les mécanismes génétiques, certaines caractéristiques biologiques sont transmises
à travers les générations. D’après Berry et al (2011), il est erroné d’opposer processus
culturels et processus biologiques lorsque l’on tente d’expliquer le comportement humain
car les deux sont étroitement liés.
Cette transmission génétique provient de la psychologie évolutive (= Darwin). L’idée de cette
dernière est que les comportements humains sont soumis à la sélection naturelle des
comportements : les comportements adaptatifs seront sélectionnés et les autres, non.
→ Les processus culturels et biologiques sont étroitement liés.
 Articulation d’explications biologiques et socioculturelles
Des comportements procurant un avantage dans la compétition sexuelle (ex : altruisme) se
rencontrent dans toutes les cultures.
Ces tendances transculturelles se manifestant de manières différentes en fonction du
contexte culturel.
1.4.4.3. Transmission culturelle
Le concept de transmission culturelle a été
proposé en référence à celui de transmission
biologique. À travers la transmission culturelle,
un groupe culturel peut perpétuer des
caractéristiques comportementales. Le but est
de perpétuer les caractéristiques
comportementales du groupe. Autrement dit,
comment nous sommes censés nous comporter,
ce qui est bien ou mal, …
→ Cela se fait de différence manière : verticale,
horizontale ou oblique.

La transmission génétique (parents → enfants)


se fait toujours verticalement. Concernant la
culture, cela est plus complexe :

15
- Dimension verticale : il s’agit de ce que les parents veulent transmettre de leur
culture mais attention, les enfants influencent également les parents
- Dimension oblique : concerne la transmission de la part d’autres adultes que les
parents de l’enfant, ainsi que de la part des institutions
- Dimension horizontale : les ami.es (= les pairs) des enfants vont également avoir une
plus grande influence sur le développement de l’individu
Enculturation, socialisation et acculturation
Il faut distinguer l’enculturation et la socialisation.
Enculturation Socialisation
Selon Herskovits (1948) l’enculturation est Il s’agit des efforts délibérés réalisés par
tout l’apprentissage qui a lieu au cours de la d’autres pour contrôler notre
vie humaine à cause de ce qui est comportement et le rendre acceptable,
disponible pour l’apprentissage. c’est-à-dire conforme aux normes du
groupe. On retrouve donc une volonté
Chaque fois que nous apprenons par d’éduquer.
observation quelque aspect de notre
société, l’enculturation a lieu. On y retrouve l’influence des agents de
socialisation qui sont les personnes qui ont
Il s’agit de l’apprentissage sans du pouvoir (parents, enseignants, anciens,
enseignement délibéré. pairs, etc.) et qui ont un rôle central dans ce
Les personnes n’en sont généralement pas processus. Si conflit : punitions,
conscientes. récompenses ou comportements subtils
→ Les gens ne savent pas ce qui ne peut Ex : empêcher certains comportements,
pas être appris dans leur société sauf à des lieux et moments bien précis
➔ Les manières de vivre sont tellement (nourriture : on empêche l’enfant de
habituelles que l’on n’est même pas manger en dehors du temps de repas)
conscient qu’elles ont un caractère
arbitraire, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas
les seules manières de vivre possibles.

Ex : on acquiert l’accent spécifique de la


région dans laquelle on grandit sans que
personne n’ait décidé de nous l’apprendre

Child (1954) : « l’ensemble du processus par lequel un individu, né avec une gamme énorme
de potentialités comportementales, est amené à développer un comportement confiné dans
une gamme beaucoup plus réduite – la gamme de ce qui est coutumier et acceptable pour lui
en fonction des normes de son groupe »
Ex : comportement linguistique (Chomsky)
→ Cette citation vaut pour l’enculturation et la socialisation
 L’enculturation et la socialisation mènent à des similarités comportementales à
l’intérieur du groupe et à des différences comportementales entre groupe.
Ces processus aboutissent donc à une différenciation entre les sociétés et à une
certaine homogénéité à l’intérieur d’une même société.
16
Ces transmissions font que les groupes humains se distinguent de plus en plus.
Jusqu’ici, nous avons abordé la question de la transmission culturelle comme si les gens
n’étaient confrontés qu’à une seule culture. Or, de nombreuses personnes vivent dans des
environnements où diverses cultures se côtoient. Le cas le plus évident est sans doute celui
des sociétés qui ont accueilli des personnes issus de l’immigration (il a y bien entendu, pleins
d’autres exemples). Dans ces situations, l’influence du processus d’acculturation s’ajoute à
celle du processus de transmission culturelle du groupe d’origine sur le développement
psychologique individuel.

L’acculturation concerne les processus d’influence mutuelle entre groupes culturels en


contact.

1.5. Variables psychologiques

Il s’agit de tous les aspects mesurables du comportement individuel dont on peut


montrer qu’ils sont liés à des variables écologiques ou adaptatives.
On y retrouve :
- Comportements observables : ce que disent et font les gens
- Caractéristiques inférées : traits de personnalité, valeurs, motivations, attitudes,
compétences, etc.

Pour terminer avec le modèle écoculturel : « La relation des variables écologiques et


sociopolitiques avec le développement psychologique individuel est fonction d’un contexte
épistémologique d’élaboration des connaissances par le sujet, sous l’effet du processus
d’enculturation durant l’enfance » (Troadec, 1999, p. 38)
→ D’une part, les variables écologiques et sociopolitiques influencent la psychologie
individuelle à travers ces processus d’enculturation et de socialisation. Mais, il faut souligner
que ces processus se font aussi à travers une élaboration active du sujet, à travers la
signification que le sujet, en tant qu’être pensant, attribue à tout ce qui est disponible dans
son milieu culturel.
→ Le sujet n’est pas passif.
 Attention, il faut tenir compte de ce qui est en gras, sinon, il s’agit d’un modèle
déterministe. Les sujets restent des sujets actifs. Certains pensent qu’il y a un certain
déterminisme mais il faut retenir que les individus interprètent ce qu’il se passe
autour d’eux. Cela impact la manière dont ils font se comporter.

17
1.6. Universalisme et relativisme
Segall & al vont poser deux approches qui ont deux points de vue différents :
Relativisme culturel Déterminisme universalitste
Notre psychologie est influencée par notre La culture n’influence pas
culture à un point tel qu’il n’existe pas une fondamentalement notre psychologie, les
seule psychologie humaine mais bien des aspects fondamentaux de la psychologie
psychologies distinctes et relatives aux humaine sont partagés par tous les êtres
différences cadres culturels. humains.

Selon le schéma :
- Relativisme culturel : ces systèmes ont beaucoup d’influence sur la psychologie. Le
problème si nous nous trouvons dans le relativisme culturel, c’est qu’il sera
impossible d’énoncer des théories générales de la psychologie humaine.
→ Il faudrait faire une psychologie pour chaque groupe culturel.
- Déterminisme universaliste. Malgré les intentions universalistes, il y a un grave
danger d’ethnocentrisme. En effet, en psychologie, la majorité des connaissances ont
été développées en Amérique du Nord et en Europe. Les individus qui ont réalisés ces
connaissances peuvent dire qu’elles sont valables pour tout le monde (or, ce n’est
pas le cas)
Il y aura donc une posture entre les deux qui est l’universalisme culturel.
→ Il s’agit d’un paradoxe qui va dire que les deux approches vont être prise en compte.
➔ On se retrouve dans la nuance pour mieux comprendre l’esprit humain.

De même, selon Fiske, Kitayalan, Markus et Nisbett (1998), la psychologie humaine dépend
de la culture mais cette contingence est gouvernée par des principes universels. Ces auteurs
fondent leur raisonnement sur une considération liée à la phylogenèse (= genèse de
l’espèce) : l’esprit humain a évolué dans des contextes particuliers afin d’opérer dans des
mondes sociaux qui sont structurés par la culture. Notre SNC serait prédisposé à s’adapter à
des contextes cultures. Ainsi, le nouveau-né a déjà des capacités qui ne sont au début que
potentielle, il lui faut mettre en œuvre des modèles culturels qui, eux, sont spécifiques. Ces
modèles médiatisent et régulent les interactions sociales : nous n’entrons en contact avec

18
les autres qu’à travers certains modèles culturels qui spécifient la manière dont ces
interactions doivent avoir lieu, de manière à établir et maintenir des relations sociales
harmonieuses et efficaces. Ces modèles culturels sont peu à peu intériosrisés et en viennent
ainsi à constituer en partie la psychologie des membres de chaque groupe culturel.
Le psychisme n’est pas un ensemble séparé et autonome de processus. C’est une
représentation que l’on retrouve parfois dans certaines approches de la psychologie
cognitives qui comparent le cerveau, explicitement ou implicitement, à l’ordinateur. Au
contraire, il fonctionne en conjonction avec la culture.
→ Ce serait là un principe fondateur de la nature humaine (Bruner, 1991).
2. La notion de culture
Le mot culture est polysémique : il s’emploie dans des domaines variés. Le terme renvoie
parfois à des aspects intellectuels ou spirituels, parfois à des aspects matériels et parfois au
sens social.
Selon Morin, le mot culture est utilisé tant pour désigner le savoir, le savoir-faire, les
mythes… que pour désigner les diverses cultures, leurs formes singulières, chacune avec
ses rites, sa technique…
2.1. Le concept de culture

2.1.1. Histoire
Le mot culture vient du champ lexical de l’agriculture. Au départ, on parlait de la culture du
blé, des pommes de terre, …
→ Il s’agit du sens propre.
Au 18e siècle (= siècle des lumières) arrive le sens figuré où il s’agit plutôt de « culture des
arts », « culture des sciences ». En France, toujours au 18e siècle, la culture sera vue comme
une formation de l'esprit (toujours au singulier = une culture) : il s’agit d’une vision
universaliste des Lumières de France.
En Allemagne, les lumières prennent le contre pieds des lumières françaises et prennent une
vision plus particulariste de la culture. Ils vont dès lors opposer « civilisation » et « Kultur » :
Civilisation Kultur
Conception universelle, progressive et Associée à un peuple particulier qui va être
sociétale lié à des différences interculturelles et à des
valeurs morales

Dès la seconde moitié du 18e siècle ont ainsi coexisté deux manières de concevoir la culture :
- L’une universelle et progressive : les progrès de la civilisation pouvant se mesurer aux
progrès de la raison + sociétale
- L’une associée à un peuple en particulier, délimité dans le temps et dans l’espace et
associée à des valeurs morales personnelles.

19
Cette opposition dans la manière de concevoir la culture colore la plupart des courants
théoriques qui définissent la notion de culture.
La première définition scientifique de la culture arrive au 19ème siècle. Elle nous vient de
l’anthropologie anglaise :
« Ce tout complexe qui inclut savoir, croyance, art, morale, lois, coutumes et toutes autres
capacités et habitudes acquises par l'Homme en tant que membre d'une société » (Tylor,
1878). Il s’agit d’une définition qui a plusieurs caractéristiques :
- Énumération des domaines de la culture : les savoirs, la croyance, les lois, l’art, les
coutumes, …
→ Ils sont partagés entre les êtres humains en tant que membre d’une société : la
culture relie les individus à travers l’appartenance à quelque chose
- Acquis  → inné
- Concerne l'Homme en tant que membre d'une communauté

Le terme culture fut plus lent à émerger dans l’ethnologie française. Il fallut attendre les
années 30 et les premiers ethnologues de terrain pour voir le concept de culture se diffuser
en France. Durkheim (sociologue) et Lévy-Bruhl (ethnologue) défendirent deux visions de la
culture dans l’ethnologie française :
- Durkheim s’attachait à comprendre le social. Selon lui, la dimension culturelle n’était
qu’un aspect du social.
→ Il se référait d’ailleurs plus au terme ‘civilisation’ qu’au terme ‘culture’.
➔ Vision unitaire des faits de culture
- Lévy-Bruhl (1910) proposait une vision différentielle de la culture. Il s’intéressait
avant tout à la différence culturelle ou plutôt de mentalités entre les peuples. Il
étudiait les populations dites primitives et cherchait à identifier les particularités de
l’activité mentale de celles-ci.
Dans le domaine de la psychologie également, l’intérêt pour la/les culture.s est ancien. En
1799, plusieurs expéditions furent menées par des scientifiques pour comparer les formes
de vie collective dans un souci de rigueur scientifique. Elles avaient pour objet l’étude des
comportements, de la culture, de la morale, de l’anatomie et de la physiologie.
→ Précurseurs des principes méthodologiques et éthiques contemporains pour les pratiques
d’investigation en psychologie interculturelle et en anthropologie.
Ensuite, pendant le 19e siècle, ces analyses ont été entravées par l’émergence du concept de
race. Les différences raciales étaient considérées comme un facteur explicatif central des
comportements au détriment des aspects culturels.
2.1.2. Une définition adéquate pour la psychologie interculturelle

Selon Kroeber et Kluckhohn (1952), la culture consiste en des modèles, explicites ou


implicites, d'idées et de leur incarnation dans les institutions, les pratiques, les artefacts
(= tout ce que nous faisons), dérivés et sélectionnés par l'histoire ; les modèles culturels
peuvent, d'une part, être considérés comme les produits de l'action et, d'autre part,
comme conditionnant les éléments d'une nouvelle action. 20
Il s’agit d’un ancrage historique. La culture est vue en tant que processus évolutif influençant
le psychisme. On retrouve dans cette définition des aspects idéels et matériels ainsi qu’une
influence réciproque entre la culture et le comportement.
Il s’agit de la définition la plus adéquate selon Adams & Markus (2004). Les éléments de
cette définition permettent de concevoir la culture comme un processus dynamique. Les
fondations psychologiques de la culture sont envisagées dans le même ordre d’idées. Ces
bases psychologiques de la culture se réfèrent à un niveau d’analyse microsocial qui tient
compte des spécificités plutôt qu’à une perspective plus macrosociale qui risquerait, selon
les auteurs, de conduire à une vision réifiée du concept de culture. Cependant, malgré une
approche micro, ces fondements psychologiques ne se limitent pas à l’étude des éléments
intrapsychiques.
→ Ils s’attachent à comprendre l’expression des modèles mentaux dans les pratiques, les
institutions et les artéfacts et donc à repérer une série de points communs entre les cultures.
Définition psychosociologique :
Selon Camilleri (= psychologue interculturel), la culture est l'ensemble plus ou moins lié
des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres
d'un groupe, de par leur affiliation à ce groupe*, sont amenés à distribuer de façon
prévalente sur les stimuli provenant de leur environnement et d'eux-mêmes**,
induisant vis-à-vis de ces stimuli des attitudes, représentations et comportements
communs majoritairement valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par des
voies non-génétiques.

Interprétation : la culture donne un prisme pour voir la réalité.


*c’est parce qu’on a une identité sociale partagée que l’on partage également les cultures.
**on va utiliser les grilles de lecture que nous donne la culture pour interpréter nos propres
états mentaux internes.
→ On est intimement influencé par la culture.
2.2. Fonctions de la culture

2.2.1. Adaptation
Comme mis plus haut, pour Malinowski, la culture permet de satisfaire les besoins
fondamentaux – psychologiques, techniques, économiques, sociaux – de l’individu.
→ Raisonnement très concret et basique.
Ex : Mariage et la sexualité dans les sociétés primitives (Malinowski, La sexualité et sa
répression dans les sociétés primitives) :
- Plus la durée de la grossesse et de l’élevage de la progéniture est longue, plus la
femelle et le nouveau-né ont besoin de la protection du mâle
- L’affection conjugale du mâle pendant la grossesse est parfaitement conforme aux
fins de l’espèce et indispensable pour assurer sa continuité
Cet exemple illustre parfaitement la fonction sociale de la culture.

21
Radcliff Brown (1965) soulignait, quant à lui, que la culture ne répond pas seulement aux
besoins de l’individu mais également à ceux de la société dans son exemple.
La culture est-elle toujours adaptative ?
→ Non ! Nous allons voir des exemples où la culture n’était
pas adaptative :
Les Vikings « Norse » vivaient de base (autour de l’an 1000)
en Norvège puis sont allés coloniser le sud du Groenland. Ils
y avaient jusqu’à 5000 personnes qui y vivaient. Ils ont
disparu vers 1450. Pourquoi ? Selon Jared Diamond
« Collapse » (2005), la culture qu’avait déjà les Norse leur a empêché de s’adapter à
l’écosystème.
→ Les Norses ont voulu adapter l'environnement à leur culture au lieu de s’adapter à
l’environnement. Ils mangeaient de la viande. Ils ont amené leurs bétails là-bas, ils ont fait
en sorte d’avoir des prairies et ont dû faire une déforestation. Cela a causé pas mal de
problèmes. Ils sont morts de faim.
Viande → prairies → déforestation → dégradation
Mais, les chercheurs ont également retrouvé des traces qui montrent qu’ils ont continué à
investir dans leurs églises (ils étaient chrétiens).
Les Inuits (ils vivaient depuis longtemps au Groeland) ont survécu dans les mêmes
conditions, mais les Norses n'ont pas voulu apprendre leur mode de vie. Les Inuits pêchaient
beaucoup et ne faisaient pas d’élevages. Les Morses ne se sont pas adaptés à ce mode de
vie. Ils ont donc fini par manger leurs chiens, mais pas de poisson.
→ Sorte de tabou culturel autour du poisson.
« Pour eux, soucieux de leur survie sociale autant que de leur survie biologique, il était hors
de question d'investir moins dans les églises, d'imiter ou de se marier avec les Inuits, et ainsi
de risquer une éternité en enfer juste pour survivre à un autre hiver sur terre » (Diamond,
2005)
« Pourquoi les Norses ont-ils choisi de ne pas manger de poisson ? Parce qu'ils ne pensaient
pas à leur survie biologique. Ils pensaient à leur survie culturelle » (Diamond, 2005)
Nous pouvons également prendre un autre exemple qui est l’Île de Pâques. Diamond
propose la thèse (qui est vachement controversée) que la population qui vivait sur cette île
là a disparu à cause de la déforestation.
2.2.2. Symbolisation
→ Il s’agit d’une autre fonction de la culture
Selon Piaget, il s’agit de la capacité d’évoquer un objet ou une personne en son absence
→ Fonction symbolique
L’enfant apprend à distinguer le signifié (= ce qui est évoqué) et le signifiant (= ce qui sert à
le représenter). Le contenu des représentations est façonné par l’environnement social. La

22
culture va nous donner des clés d’interprétation du réel que l’on va partager entre nous.
Cela marque l’appartenance au groupe et donc les limites entre les groupes qui sont une
volonté de se distinguer les uns des autres.
En psychologie sociale, l’intérêt pour la fonction symbolique a donné lieu au concept des
représentations sociales qui sont une manière pour les individus de construire du sens sur le
monde.
2.2.3. Humanisation
La culture distinguerait radicalement l’être humain des autres êtres vivants. Autrement dit,
l’être humain n’est pas un animal.

Selon Segall et al. (1999) la culture n’est possible que grâce au langage et à l’utilisation
d’outils, des caractéristiques essentiellement humaines.

2.2.3.1. Une faculté de l’espèce humaine ?


Les animaux peuvent-ils avoir une culture ?
Frans de Waal dans son livre « Quand les singes prennent le thé » (2001)
explique qu’il y aurait bel et bien quelque chose qui s’apparente à la
culture chez les animaux.

Selon lui, la culture est un mode de vie partagé par les membres d'un groupe, mais pas
forcément avec ceux d'autres groupes de la même espèce.

Ex : le lavage de patates au Japon. Des macaques vivent sur cette île. Des scientifiques les
ont étudié et leur ont donné des pommes de terres non lavées. À un moment, Imo (femelle
macaque de 18 mois) trouve la solution : elle va jusque la mer, elle la met dans l’eau : la
pomme de terre ne craque plus à cause de la terre et en plus de ça, elle est salée.
3 mois plus tard, ses 2 copines et leur mère font la même chose.
5 ans plus tard, les ¾ des jeunes et jeunes adultes vont laver les pommes de terre dans la
mer.
→ Adaptation du comportement
3. Psychologie et culture
L’étude des liens entre psychologie et culture remonte à la fin du 19 e siècle et au courant de
la psychologie des peuples. Ce courant a été initié en Allemagne par Lazarus, Steinthal et
Wundt. Ce dernier est souvent cité en tant que fondateur de la psychologie scientifique
puisqu’il crée le premier laboratoire de psychologie à Leipzig en 1879. Il a également écrit
plusieurs ouvrages sur des sujets culturels comme la mythologie, les religions, …
→ Il s’intéressait dès lors au versant collectif de l’expérience, dont l’unité est le groupe
culturel et non l’individu. Il jugeait important de prendre en compte la dimension culturelle
afin de comprendre adéquatement le comportement des membres des groupes sociaux.
➔ Réflexion sur la relation dialectique entre la psychologie individuelle et la psychologie
collective, qu’il considérait comme complémentaires.

23
➔ Premier psychologue à avoir abordé la question fondamentale de l’universalité ou de la
relativité des processus mentaux.
3.1. Associations
On parle d’associations scientifiques. Il y en a des récentes et des anciennes :
Récentes Ancêtres Premières recherches
- Fondation de l’IACCP Allemagne : Wilhelm Wundt 19ème siècle
– International « Völkerpsychologie » = la → Compare de manière
Association of Cross- psychologie des peuples systématique différents
Cultural Psychology ➔ Expériences collectives peuples.
en 1972 des groupes culturels :
- ARIC – Association Langage, mythes, Péron va essayer de faire
pour la Recherche coutumes une comparaison de la
Interculturelle – en ➔ Aspects collectifs de force physique entre
1984 l’expérience “sauvages” tasmaniens
- IAIR – International ➔ Il s’intéresse à la et “civilisés” européens.
Academy for dialectique entre → Il ne va pas réussir à
Intercultural Research psychologie prouver sa thèse qui est
– en 1997 individuelle et que les tasmaniens ont
collective plus de force que les
Il s’agit donc d’une sous- ➔ Il pose la question : européens.
discipline jeune. « Les processus Critique : outil de
mentaux sont-ils mesure n’a pas la même
universels ou sont-ils validité en fonction des
relatifs aux cultures ? » groupes

France : Le Bon*, Tarde, Cambridge


Fouillée, Letourneau Anthropological
➔ Caractère national des expedition aux îles
peuples Torres Traits dirigée par
➔ Comparaisons entre les Haddon. Des mesures
peuples sans faire de sont prises sur des
réelles recherches espèces animales, des
scientifiques. Ils ont roches, … et ils vont
surtout proposé des aussi prendre des
théories audacieuses. mesures sur :
- Fonctions
sensorielles
- Sensibilité aux
illusions optiques
Et cela dans une visée de
psychologie
interculturelle.

*Ex : « Les éléments de classification que l’anatomie, les langues, le milieu, les groupements
politiques ne sauraient fournir, nous sont donnés par la psychologie. Celle-ci montre que, derrière les

24
institutions, les arts, les croyances, les bouleversements politiques de chaque peuple, se trouvent
certains caractères moraux et intellectuels dont son évolution dérive. Ce sont ces caractères dont
l’ensemble forme ce que l’on peut appeler l’âme d’une race. Chaque race possède une constitution
mentale aussi fixe que sa constitution anatomique. Que la première soit en rapport avec une certaine
structure particulière du cerveau, cela ne semble pas douteux (…). Les caractères moraux et
intellectuels, dont l’association forme l’âme d’un peuple, représentent la synthèse de tout son
passé, l’héritage de tous ses ancêtres, les mobiles de sa conduite. Ils semblent très variables chez les
individus d’une même race ; mais l’observation prouve que la majorité des individus de cette race
possède toujours un certain nombre de caractères psychologiques communs, aussi stables que
les caractères anatomiques qui permettent de classer les espèces. Comme ces derniers, les
caractères psychologiques se reproduisent par l’hérédité avec régularité et constance. » (Gustave Le
Bon – Lois psychologiques de l’évolution des peuples (1895, pp. 16-17))
→ Il dit que la psychologie des individus est interprétable au niveau de leur cerveau. Il y a de
telles différences que cela peut se rapporter à leur cerveau. Cependant, la psychologie du
peuple est stable et c’est même elle qui explique l’histoire des peuples.
3.2. Structure actuelle de la discipline
Nous retrouvons 3 branches même si leurs frontières sont loin d’être nettes :
- Psychologie (inter)culturelle comparative (= Cross-cultural psychology) : les tenants
de cette discipline s’inscrivaient dans une perspective universaliste et cherchaient, au
moyen de méthodes comparatives à démontrer l’unité du psychisme humain
- Psychologie culturelle (= Cultural psychology)
→ Adopte un point de vue émique (voir plus loin)
- Psychologie interculturelle (= Intercultural psychology)
Elles ont le même objet. Elle a un objet différent des deux autres.
En français, le mot interculturel peut aussi bien référer à la comparaison interculturelle qu’à
la rencontre interculturelle, ce qui peut induire une certaine confusion dans l’utilisation des
termes.
3.2.1. Psychologie interculturelle comparative
3.2.2.
Selon Berry et al (2011), il s’agit de l’étude des similarités et des différences au niveau du
fonctionnement psychologique individuel entre divers groupes culturels et ethnoculturels
➔ S’intéresse aux différences et aux similarités entre des groupes culturels différents.
; des changements continus des variables qui reflètent ce fonctionnement ; et des
Comparaison
relationsentre
entrecultures
les variables
: valeurs,
psychologiques
attitudes, rôles,
et des
perception,
variables socioculturelles,
cognition, éco-
développement, acculturation, etc.logiques et biologiques.
Au départ, cette branche de la psychologie interculturelle abordait la question de
l’universalité des processus psychologiques et psychosociaux dans une optique
principalement transculturelle.
Se posait donc une question : « Les processus psychologiques sont-ils universels ? » c’est-à-
dire : « est-ce que les théories que nous avons sur la psychologie humaine sont valides entre
les cultures ou devons-nous les adapter ? »

25
Segall et ses collègues démontrent cette démarche à travers le débat autour de l’universalité
du complexe d’Œdipe.
→ La fonction de démêlage (Segall et al., 1990) de la comparaison interculturelle.
Ex : le rêve d’un garçon de 12 ans.
Lui et son père voyageaient ensemble en bus vers le musée des sciences et technologies, où
ils allaient tous deux admirer les expositions de machines. Soudain, le bus dérape sur le pavé
humide et heurte la remorque d’un tracteur. Les passagers sont projetés parmi les débris de
verre et de métal. Après l’accident, le garçon, miraculeusement indemne, recherche
frénétiquement son père. Se frayant un chemin parmi les corps enchevêtrés, il découvre
finalement le corps de son père, ensanglanté, les jambes écrasées, ses yeux le fixant dans un
regard de mort accusateur.
➔ Comment interpréter ce rêve ?
Freud fait une interprétation intéressante :
- Un rêve est un mécanisme de réalisation des souhaits
→ Si on est frustré de quelque chose pendant la journée, on va rêver de ce que l’on a
envie de faire
- Le souhait du garçon doit donc concerner la mort de son père
- Dans le rêve, il y a plusieurs indices qui suggèrent qu’il aime son père
→ Il est ambivalent : il ressent de la détresse car son père souffre et est mort mais en
même temps, il a réalisé son souhait
- Pourquoi cette haine ? Rôle du père : amant de la mère
→ Rival sexuel
- Le garçon voudrait la place du père comme amant de sa mère, c’est pour cela qu’il
souhaite sa mort
- La littérature occidentale est riche de récits, comme celle d’Œdipe, qui a tué son père
et épousé sa mère.
→ Cela suggère que le triangle mère-enfant-père est universel et atemporel
- Tous les mâles traversent un développement psychosexuel qui implique de tomber
amoureux de leur mère et d’être jaloux de leur père, que l’on peut appeler le
complexe d’Œdipe
Freud avait-il suffisamment d’information pour conclure à l’universalité du complexe
d’Œdipe ?
➔ Qu’en serait-il si le garçon avait raconté un autre rêve ?
Ex : Il chasse avec son oncle. Celui-ci trébuche sur sa lance et est éventré.
S’agit-il du complexe d’Œdipe ?
Malinowski (1927) va contester Freud. Il réalise son terrain en Papouasie Nouvelle Guinée
qui se trouve sur les îles Trobriand. Dans la culture qu’il étudie, l’oncle maternel éduque
l’adolescent.
→ Société avunculaire où l’oncle a une place importante dans l’éducation des enfants

26
Cependant, il n’est pas l’amant de la mère mais il éduque l’adolescent et le frustre ; il
discipline l’adolescent.
Malinowski explique donc que le rêve ne peut pas être expliqué par la théorie de Freud. Il
faut plutôt se poser comme question : « Qu’est-ce qui frustre l’adolescent ? » → C’est la
personne qui l’éduque !
 La théorie de Freud n’est donc pas universelle
La fonction de démêlage de la comparaison interculturelle c’est de dire que dans certains
contextes, il peut y avoir plusieurs facteurs qui sont confondus car co-présent dans la
culture. Le père occidental a des rôles confondus :
- Discipline
- Rival sexuel
➔ Quel rôle explique le rêve ?

 Fonction de « démêlage » des données interculturelles : si plusieurs facteurs sont


emmêlés dans une situation culturelle particulière, on peut, en étudiant des
situations culturelles dans lesquelles ces facteurs ne le sont pas, mettre en évidence
des liens de causalités plus valides.
Étique vs émique
Ces termes sont utiles pour distinguer les différentes branches de la psychologie
interculturelle. Ce sont des termes empruntés à la linguistique :
- Phonétique : étude des aspects généraux des sons vocaux (= phones)
- Phonémique : étude des sons utilisés dans une langue particulière (= phonèmes)
Berry (1969) applique cette distinction à la psychologie interculturelle :
Approche étique (universaliste) Approche émique (relativiste)
Comparer des cultures à partir de critères Comprendre une culture de l’intérieur (=
jugés absolus ou universels (= psychologie psychologie culturelle).
culturelle comparative) et extérieur au
système culturel étudié, en ayant recours à Le chercheur essaie de pénétrer la
la comparaison de deux ou plusieurs complexité des comportements en
cultures. adoptant le point de vue des membres du
➔ Risque de dérive ethnocentrique car groupe culturel étudié. Il tente d’éviter
la personne arrive avec ses propres d’imposer ses propres préconceptions.
préconceptions.
Généralement, une seule culture est
approchée, le plus souvent à travers des
méthodologies qualitatives.

Berry a proposé d’adopter une procédure en étapes afin ‘éviter ce biais tout en permettant
la comparaison interculturelle. Elle consiste à partir d’une approche étique (étique imposée),
puis à passer par une phase émique afin de vérifier la pertinence des concepts et

27
instruments de mesure, puis de procéder aux comparaisons interculturelles à partir de cette
étique dérivée.
Du transculturel à l’écoculturel
L’approche ‘transculturelle’ (universaliste) a progressivement incorporé les éléments de la
psychologie culturelle (relativiste).
La psychologie interculturelle comparative tente aujourd’hui une synthèse des deux
approches.
Voir le modèle écoculturel.

3.2.3. Psychologie culturelle


Il s’agit d’une approche émique qui est apparut en réaction face à l’approche étique de la
psychologie interculturelle comparative dont elle critique l’approche universaliste de la
psychologie humaine.
La psychologie culturelle tente de mettre en évidence des liens de cohérence entre la
psychologie individuelle et l’appartenance à une culture particulière.
→ La culture est ici un tout complexe.
La culture envisagée comme un tout complexe = approche émique.
→ Influence de l’anthropologie psychologique : Malinowski, Mead, Benedict, Linton et
Kardiner. Ces chercheurs vont s’intéresser à la relation intime entre les structures socio-
culturelles et le développement psychique individuel.
→ Cette psychologie est donc essentiellement relativiste.
Le « chef de file » de cette génération-là est Shweder. Il a beaucoup théorisé cela et déclare
en 1991 : « étant donné que la culture et l’esprit se constituent mutuellement, différents
esprits émergent en fonction du contexte culturel »
→ L’esprit des êtres humains varie entre les membres de culture différente : ce n’est pas
comparable. Il faut vraiment comprendre la manière dont la psychologie prend place dans
un contexte culturel qui est lui-même organisé en système pour comprendre le lien entre
culture et comportement.
Plus récemment, il a entendu des critiques comme quoi il ferait du particularisme et du
relativisme absolu : il n’y a plus moyen de reconnaître des points communs en tant qu’être
humain, …
Il change un peu de slogan et propose d’adopter l’idée du pluralisme psychologique : « One
mind, many mentalities : universalism without the uniformity » (Shweder, 2003, p. 30)
→ Un seul esprit mais plusieurs mentalités. L’universalité mais pas d’uniformité.
Exemples :
- Théorie de la conception du Soi indépendant ou interdépendant (Markus et Kiayama,
1991) qui est liée à la différence entre les cultures individualistes et collectivistes.
Le besoin d’estime de Soi positive serait typiquement occidental (Heine, Lehman,
Markus, & Kitayama, 1999)
- Réflexion de Richard Shweder (2003) sur les mutilations génitales féminines

28
3.2.4. Psychologie interculturelle
Elle est parfois appelée : psychologie (inter)culturelle interactionniste. Cette orientation
s’intéresse plus précisément aux contacts culturels. L’objectif est de proposer un schéma
d’analyse pour cerner l’ensemble des processus (psychiques, relationnels, groupaux,
institutionnels) générés par les contacts de cultures ethniques, nationales, régionales,
générationnelles, de genre, etc. (Guerraoui et Troadec, 2000).
Que se passe-t-il lorsqu’il y a un contact interculturel prolongé au niveau du comportement,
des émotions, … ?
Nous allons aussi nous intéresser à l’acculturation (= une personne est socialisée dans un
contexte puis, elle va être mise en contact avec des individus d’autres contextes – les
chercheurs regardent ce qu’il se passe) et interculturation (= on grandit dans des
environnements qui sont multi-culturels : on grandi avec l’influence des autres).
Comment les membres de cultures différentes peuvent-ils faire face aux situations de
contact culturel ?
Ex : Immigration :
- Changements physiques, biologiques
- Transformations culturelles :
o Structures économiques, politiques, linguistiques, religieuses
o Relations sociales
o Psychisme : essais d’adaptation au nouveau milieu

L’acculturation est l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu


entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des changements
subséquents dans les types de cultures originaux de l’un ou des deux groupes (Social
Science Research Council, 1936)
➔ C’est une définition qui provient de l’anthropologie.
Est-ce une adaptation mutuelle ou il y a-t-il qu’un seul groupe qui s’adapte et qui va imposer
sa culture ? Est-ce que les relations de pouvoirs vont intervenir là-dedans (oui, bien sûr).
Aujourd’hui, la distinction entre enculturation et acculturation tend à s’estomper.

29
Chapitre 2 : Identité et altérité
Partie Laurent Licata

1. Le rapport à l’Autre

1.1. Les images des sauvages


Gustav Jahoda (1999) dans son livre « Images of savages » retrace l’évolution des
représentations des « autres » par les Occidentaux. Il démarre de l’Antiquité et remarque
une certaine continuité dans les processus : bien qu’elles aient pris différentes formes, ces
images ont toujours été négatives. Il montre l’importance de l'héritage historique sur les
représentations actuelles des autres cultures.
→ Les individus hérite d’un bagage culturel, qu’il le veuille ou non.
La psychologie du préjugé et des stéréotypes néglige souvent cette dimension historique.
1.1.1. Les races monstrueuses
D’après Jahoda, l’une des premières
sources de représentations de l’Autre
dont ont pu disposer les Européens fut la
description de Pline l'Ancien1 (23-79
après J-C) dans « L'histoire naturelle ». Il
s’est inspiré des récits d'Hérodote (484-
425 avant J-C), Ctésias (V siècle avant J-C)
et Mégasthénès (III Siècle avant J-C).
« Gens sans tête avec les yeux dans les
épaules, à tête de chien, avec un seul pied,
sans bouche qui se nourrissent de « l'air
qu'ils respirent et des parfums qu'ils aspirent par les narines ; telles sont, parmi d'autres,
quelques variétés de l'espèce humaine, que l'ingénieuse nature a créées pour son amusement
à elle, pour notre émerveillement à nous » (Pline l'ancien, Histoire Naturelle, Livre VII-32, 65)
→ Ces êtres sont placés au même rang que les êtres humains : certain ancrage.
Ces œuvres découlent de la mythologie grecque, récits de voyageurs, observation de singes,

Cela va arriver aux oreilles des occidentaux et les informations vont être transformées.
Nous retrouvons ces représentations dans la littérature médiévale et elles perdureront au
moins jusqu’à la Renaissance.

1
Il se prétend comme un naturaliste : il décrit toute une sorte de créature et explique que la nature émerveille 30
l’être humain.
Sciapode
Umberto Eco raconte l’histoire de « Baudolino » qui est un peu
mythomane (2000) : « Quand l'être s'arrêta devant eux, ils virent que son
seul pied avait deux fois la grandeur d'un pied humain, mais bien formé,
avec des ongles carrés, et cinq doigts qui ressemblaient tous à des orteils,
trapus et robustes. (…) Baudolino et ses amis le reconnurent aussitôt, pour
en avoir lu et entendu parler tant de fois : c'était un Sciapode » (pp. 390-
391)
→ Ils ne sont pas surpris de rencontrer cette créature, ils savent même son nom.
➔ La connaissance précède la rencontre : ils voient la créature et la reconnaissent
Blemmye
« Il était très différent du Sciapode, et, au reste, à entendre nommer un Blemmye,
nos amis s'attendaient à voir ce qu'ils virent. (…) Sur sa poitrine, là où les hommes
ont des bouts de sein, s'ouvraient deux yeux en amande, très vifs, et, sous un léger
renflement avec deux narines, une sorte d'orifice circulaire, mais très ductile, si
bien que lorsqu'il se mit à parler il lui faisait prendre différentes formes, selon les
sons qu'il produisait. » (p. 393)
→ Ils ne voient pas la créature mais avec le nom, ils vont avoir l’image de cette
dernière en tête.
➔ Ils s’appuient sur un registre et pense connaître
Münster, Sebastian : Cosmographie (Basel, 1544)
Autres créatures
- Cynocéphale : « On les voit souvent en Russie comme
captifs, et ils prononcent leurs mots en aboyant » (Adam
de Brème, XIème s.)
→ Ces créatures ne sont pas encore trop loin
géographiquement. Elles sont considérées comme des
chiens car les personnes ne comprenaient pas leur
langage.
→ Elles ne sont donc pas humaines.
- Anthropophages et Garamantes (peuple cannibale aux mœurs dissolues)
- Pygmées (Iliade d'Homère) : leur sexe est si long qu'il leur tombe jusqu'aux chevilles
→ Cela montre l’importance de la sexualité
Pour Albertus Magnus (XIIIème s.), il s’agit du chaînon manquant entre le singe et
l'Homme
Les autres font ce que nous ne faisons pas. La réflexion des européens entre la limite de
l’humanité et le règne animal est une longue histoire : nous ne savons pas où s’arrête la
limite.
D’après les récits médiévaux, ces races monstrueuses vivent dans des régions lointaines
indéterminées : Asie, Afrique, Nord de l'Europe.

31
Saint-Jérôme, quant à lui, au 5e siècle dit : « … lorsque j'étais enfant en Gaule, je vis des
Attacoti, un peuple britannique, manger de la chair humaine, lorsqu'ils rencontrent des
troupeaux de porcs et de bétail et de moutons, ils tranchent les fesses des bergers et les
poitrines des femmes et les jugent la meilleure des nourritures. La nation écossaise ne
pratique pas la monogamie … mais comme il plaît à chacun, ils satisfont la luxure à la
manière des brutes. Les Perses, Mèdes, Indiens et Éthiopiens … s'accouplent avec leurs mères
et grands-mères, avec leurs filles et leurs nièces. » (Boas, 1948, cité par Jahoda, 2005)
→ Ils ont des mœurs bizarres.
Source d’ancrage : les autres sont très différents moralement comme physiquement :
polygamie, cannibalisme, …
Cependant, selon cette citation, ‘ailleurs’ n’est pas toujours aussi loin que l’on pourrait le
croire.
1.1.2. L’homme sauvage des bois
Dans la mythologie grecque, il y a une interfécondité entre les
hommes, les dieux et les animaux.
→ Ce n’est pas un problème. Cependant, chez les hébreux,
l’interfécondité est maléfique. Cela va engendrer une race de géants
sauvages et mauvais.
Une autre source de représentation de l’homme sauvage est biblique : Malédiction de Ham
ou Cham. Pour l’histoire, Noé avait planté une vigne, goûté le vin et s'était enivré. Alors qu'il
dormait nu dans sa tente, son fils Ham le vit et appela ses frères. Ceux-ci détournèrent le
regard et couvrirent Noé. En représailles, Noé maudit Canaan, le quatrième fils de Ham. De
Canaan descendent les hommes sauvages : noirs et poilus.
→ Justification raciste de l'exploitation des Noirs jusqu'à la moitié du XXème siècle (et
encore, c’est encore source de préjugé de nos jours).
L’homme sauvage des bois se retrouve également dans le folklore médiéval européen : il
peut donc dépasser les normes. Dans ce cas-ci, l’homme sauvage est sans Dieu ni moralité,
sans langage, esclave de ses passions (surtout sexuelle). L’homme viole puis mange les
femmes tandis que les femelles ont un besoin irrépressible de copuler avec des hommes
ordinaires.
Ce personnage partage les caractéristiques des races monstrueuses mais il a également
beaucoup de points communs avec les satyres de la mythologie grecque : semi-animalité et
sexualité débridée
➔ Projection de pulsions libidinales prohibées : les européens vont projeter sur les autres
peuples toutes les pulsions qu’ils ne peuvent pas satisfaire vu les normes présentent dans
leur civilisation.
Jahoda accorde beaucoup d'importance à la dimension sexuelle dans la construction de
l'« Autre ».

32
1.1.3. Clivage et projection
Hélène Joffe (2005) propose une interprétation des représentations de l’altérité inspirée par
la psychanalyse. Elle tente de comprendre ce genre de représentation en mixant la théorie
des représentations sociales (Moscovici) et la théorie psychanalytique (Mélanie Klein). Selon
elle, il y a l’idée que l’enfant fait un clivage entre le bon et le mauvais : il garde le bon et
projette le mauvais sur les autres. Selon elle, il s'agirait d'un processus universel, pas
uniquement occidental.
Ce mécanisme psychodynamique intra individuel se traduirait également aux niveaux
groupal et intergroupal : les gens puisent dans les représentations sociales partagées dans
leur groupe d’appartenance afin d’établir une limite claire entre un espace interne pur et un
monde externe pollué.
1.2. Les récits de voyage
Les premiers voyageurs interprètent ce qu'ils voient, ou ce qu'on leur raconte, à partir de
leurs préconceptions (= le registre culturel dans lequel se trouve toutes les créatures depuis
l’Antiquité) nourries par ces figures de races monstrueuses.
Ex : Pigafetta (équipage de Magellan, XVème s.) : les Indiens de l'Est mesurent 45
centimètres de haut et ont des oreilles si longues qu'ils peuvent en utiliser une comme
matelas et l'autre comme couverture.
1.3. Des races monstrueuses au racisme scientifique
D’après Jahoda, à travers l’histoire occidentale, se succéderont deux grandes tendances :
initialement, les « autres » (Indiens d'Amérique, puis Africains) sont assimilés à des animaux.
→ Cette animalisation des Autres se fait surtout en cas de conflit, quand les Européens
n’arrivent pas à maitriser les autres.
➔ Confusion entre les singes et les hommes sauvages
Plus tard, lors de la colonisation, les « sauvage » seront vu comme des enfants.
→ Les ‘gentils’ homme blanc devront alors s’occuper des autres peuples non blancs.
➔ Il s’agit du fardeau de l’homme blanc
La cruauté des Indiens
Les Indiens sont cannibales, cruels.
Sur l’image, c’est une sorte de barbecue… sauf qu’ils mangent un
homme.
→ Anthropophagie

33
Sciences naturelles XVIIIe siècle
Il existe des créatures monstrueuses dans un traité de sciences naturelles.
Africains/ Hommes des bois
Il s’agit d’une représentation d’un troglodyte et d’un
pygmy. Nous pouvons remarquer que le pygmy a des
pieds de singe : source du racisme scientifique qui va,
petit à petit, s’affirmer.

Racisme scientifique (XIX – XXe siècle)


Les êtres humains sont classés à partir de théorie biologisante. Il s’agit ici
d’une comparaison entre un homme européen, un homme africain et un
singe.
1.4. Les idées fausses ont la peau dure
Comment expliquer cette continuité ?
→ Quelque soit la forme des Autres, ils ont tous des caractéristiques assez stables. Jahoda
évoque deux citations :
- Selon l’axiome de Vico (XVIIIème) : « Lorsque les Hommes ne peuvent pas se faire une
idée de choses distantes et inconnues, ils les jugent à partir de ce qui est familier et à
portée de main »
Autrement dit, les gens vont se faire une idée des personnes qu’ils ne connaissent
pas à partir des représentations du passé.
- Selon Levine & Campbell (1972) : « Les conditions menant à une faible précision des
stéréotypes produiront les images ou les stéréotypes reflétant le plus les motivations,
souhaits, culpabilités, peurs et frustrations de l'endogroupe » (p. 161)
Ces deux extraits nous disent que quand nous étudions les représentations des Autres, nous
en apprenons surtout sur les individus faisant ces représentations.
1.5. La théorie des représentations sociales

Une représentation sociale est une forme de connaissance socialement élaborée et


partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité
commune à un ensemble social. (Jodelet, 1991 p. 51).

➔ Cela désigne un ensemble d’idées, de croyances, de représentations, d’images qui


sont partagées par les membres de groupes sociaux. Ces représentations sont
construites à travers les processus de communication ayant lieu au sein des groupes.
Une fois construites socialement et partagées par les membres du groupe, les gens
s’y réfèrent comme à des vérités.

34
➔ Ils orientent leurs comportements en fonction de ces représentations du réel
plutôt qu’en fonction de la réalité objective.
Moscovici (1961) est l’auteur de cette théorie. Il va écrire un livre : La psychanalyse, son
image et son public. Ce livre s’intéresse à la manière dont la psychanalyse est comprise par
la société française. Il va distinguer deux sortes de savoir :

Savoir scientifique Sens commun


Il s’agit des connaissances de tout en
chacun
- Style de pensée formel - Style de pensée ‘naturel’ : les gens
- Produit dans des cadres déterminés fonctionnent par association d’idées
Ex : laboratoire universitaire et disent qu’elles sont liées
- Validité empirique : les théories - Production ‘décentralisée » : tout le
doivent être mise en épreuve pour monde peut le faire
voir si elles seront ou non réfutées - Validité consensuelle : au lieu de
- Critères logiques mettre la théorie en épreuve, on
pose des questions autour de nous.
Si beaucoup de personnes sont
d’accord avec nous, nous allons
valider la croyance
- Valeurs et normes sociales

1.6. La représentation

Il s’agit d’une instance médiatrice entre l'objet et le sujet


percevant. On s’en sert pour filtrer les informations et
interpréter la réalité. Le sujet va percevoir à travers ses
sens (comme la vision par exemple) les caractéristiques de l’objet. L’impression que va se
former le sujet serait uniquement lié aux caractéristiques objective de l’objet (sa couleur, sa
forme exemple). Cette manière de voir les choses, on y croit plus trop en psychologie depuis
longtemps, donc on pense qu’il y a autre chose entre le sujet et l’objet.
Cette représentation dépend donc des caractéristiques de l’objet, mais, il y a aussi une
flèche de l’autre côté, c’est-à-dire que la représentation que l’on va avoir du monde dépend
de toute une série de facteur qui se trouvent chez le sujet. Cela peut être par exemple : ses
capacités de traitement cognitif, le fait de retirer l’information de la mémoire, mais ça peut
aussi l’héritage de notre bagage culturel.
Attention : les sujets pensent que la représentation, c’est l’objet. On se réfère tous à une
réalité construite en pensant que c’est la réalité officielle. La représentation a, en réalité, un
rapport avec l’objet directement.
Deux types de processus sont responsable de cette genèse :
- L’objectivation
- L’ancrage

35
• L’objectivation

L’objectivation sert à rendre concret ce qui est abstrait. Lors de leur intégration dans la
pensée du sens commun, les concepts abstraits qui constituent les théories scientifiques
ou les savoirs experts vont progressivement prendre le contour d’images concrètes. Les
êtres humains aiment travailler avec des choses qu’ils voient car la vue est le sens
dominant chez l’Homme. Les personnes vont donc remplacer un concept par une image
bien claire.
→ Il s’agit d’un processus qui rend la perception et le concept interchangeables.
L’image que les individus se font est très importante.

Comme les deux faces d’une feuille de papier ou d’une médaille, l’image et la signification
sont indissociables. En référence au modèle dyadique du signe de Ferdinand de Saussure,
Moscovici propose la formule suivante : Représentation = Figure/Signification.
→ Une représentation est le rapport entre la figure et la signification.
➔ Nommer le concept, évoquer l’idée, active l’image. Inversement, percevoir l’image active
le concept.
« Ainsi l'objet du concept peut être pris pour objet d'une perception, le contenu du concept
être 'perçu' » (Moscovici, 1976, p. 55)
« La figure est un stimulus visuel pouvant, par simple association avec un thème donné,
véhiculer, entretenir ou produire une signification. Cette dernière peut à son tour susciter
l'image » (Sanchez-Mazas, 2004, p. 96)
Ex : la nudité des Indiens – Sanchez-Mazas (2004). Christophe Colomb avait
rapporté, dans son récit de la découverte des Amériques, avoir rencontré des
Indiens qui vivaient nus (Todorov, 1982), il insistait vraiment sur ce détail. À
l’époque, la symbolique de la nudité signifie la pureté (concept), en référence
avec la représentation de l'Eden (avant le péché originel d’Adam et Ève, les
hommes et les femmes vivaient nus, démontrant leur pureté). Colomb voulait dire à ses
contemporains qu'il avait rencontré des gens qui vivaient comme à l'époque du paradis
terrestre. Il devait trouver une bonne raison pouvant financer son voyage. Il a donc évoqué
le percept : « J'ai vu des Indiens nus ».
Le processus d’objectivation nous permet de comprendre pourquoi certaines
caractéristiques physiques ont été attribuées aux peuples lointains.
Ex : le cynocéphale (= l’homme à la tête de chien). Adam de Brème, au Xie siècle écrit : « On
les voit souvent en Russie comme captifs, et ils prononcent leurs mots en aboyant ».
➔ Les anciens Grecs considéraient que les langues parlées par les étrangers étaient
semblables à des cris d’animaux plutôt que des langages humains.

36
• L’ancrage

Il s’agit de l’intégration cognitive de l'objet représenté dans le système de pensée


préexistant. Cela permet de rendre familier ce qui est étrange et de faire face à la
menace de la nouveauté, de l’inconnu.
Par l’ancrage, nous rendons familier ce qui au départ, nous paraît étrange. Il permet
également de rendre l’élément nouveau conforme aux normes et aux valeurs du groupe.
Le processus d’ancrage est donc une stratégie visant à faire face aux situations
menaçantes : l'élaboration de représentations sociales est une activité collective stimulée
lors de situations anxiogènes.
Ex : rencontrer des gens que l’on ne connaît pas

La rencontre avec les « autres » est assez angoissante. Les individus vont donc faire un repli
sur des choses qu’ils connaissent déjà et réaffirment des valeurs du groupe lors des
rencontres interculturelles. Nous pouvons parler d’ancrage de la représentation de l'Autre
dans les représentations préalablement partagées par les membres du groupe (races
monstrueuses, hommes des bois, etc.).
 L’ancrage est une forme de continuité, même si l’ancien se transforme, il se transmet
de génération en génération
Jahoda (1999) dans le principe de 'familiarité' critique la théorie de la représentation sociale.
Il évoque dès lors le principe de familiarité (qui est identique à l’ancrage).
1.6.1. Produit et processus
Nous pouvons voir une représentation sociale comme une expression/une
activité à se représenter. Nous pouvons également nous intéresser au produit
de la représentation : si le produit se répand et que le groupe adopte cette
représentation, le produit devient le cadre symbolique où les actions
subséquentes vont se produire.

1.6.2. Formes et figures de l’altérité

Denise Jodelet (2005) voit l'altérité comme objet d'étude qui est situé au plan du lien
social « apparaissant non comme un attribut qui appartiendrait à l'essence de l'objet visé,
mais comme une qualification qui lui est appliquée de l'extérieur, c'est une propriété qui
s'élabore au sein d'une relation sociale, et autour d'une différence » (p. 26)
➔ Nous avons des relations sociales où le groupe met un autre en altérité. Cette
altérité n’existe que dans cette relation ; personne n’est intrinsèquement « autre ».
➔ Nous parlons d’une différence qui signifie la distinction entre un groupe et un
autre groupe

37
Il y a plusieurs types d’altérité :
Altérité du dehors Altérité du dedans
Les autres vivent très très loin de nous. Il s’agit des personnes qui vivent dans les
Nous n’avons aucun contact avec eux. mêmes sociétés que nous, à la même
➔ Nous pouvons donc les considérer époque mais avec qui, on estime, qu’il n’est
comme ‘Autre’. pas légitime d’avoir des rapports entre les
Ex : pays, peuples situés dans un lieu/temps groupes.
distant
 Caractère exotique défini en  Personnes ou groupes marqués du
fonction des critères de la culture sceau d'une différence (physique,
mœurs, ethnie, religion, etc.)

Selon Jodelet, « L'altérité est le produit d'un double processus de construction et


d'exclusion sociale qui, indissolublement liées comme les deux faces d'une même feuille,
tiennent ensemble par un système de représentations » (p. 27). Cela signifie que la mise
en altérité ne se confond pas avec la simple catégorisation sociale ; s’y ajoute une
construction symbolique attribuant à l’Autre des qualités radicalement différentes des
nôtres.
Processus de « mise en altérité » : invention, symbolique et matérielle, par laquelle
s'opère un basculement de la différence dans l'extériorité
Altérité et identité : l'autre se définit par rapport à un même ; la réflexion sur l'altérité
permet la définition identitaire (Augé, 1994)
-→ Autrement dit, nous utilisons les autres mis en altérité pour savoir qui nous sommes.
Nous projetons sur les autres le manque de qualité que nous ne voulons pas nous
approprier.
1.6.3. Autrui
Jodelet propose de distinguer deux formes de représentation de l’autre : l’autrui et l’autre.

L’autrui c’est le prochain, qui suppose que l’on appartienne à une communauté, une
appartenance commune (groupe, humanité). Cette appartenance peut être groupale,
nationale, ethnique, … voire une appartenance commune à l’humanité.
La conscience de soi est dérivée de l'échange avec les autres, vient de l'intériorisation de
la perspective de l'autre sur soi (Mead)
À travers ces interactions, ces autruis nous permettent de nous développer en tant
qu’individu. Ces processus ont lieu dans un espace social et culturel commun, dans le
cadre dune appartenance commune.

« L'homme entre dans des relations de vie avec autrui, d'action pour, avec, contre autrui,
dans des situations de corrélation avec autrui » (Simmel, 1908/1984, p. 43)

L'alter, suppose une différence découlant d'appartenances distinctes. Il y a donc une


catégorisation qui est l’opposition entre l'identique et le différent selon des codes
culturels. 38
Si l’on pousse cette représentation à l’extrême, nous retrouvons un étranger à qui l'on dénie
jusqu'à la communauté des attributs généraux de l'espèce ou de l'humanité.
→ Le rapport avec eux devient un non-rapport
Le racisme est l’un des aboutissements de cette mise en altérité. Jodelet en différencie
deux :
Racisme auto-référentiel Racisme hétéro-référentiel
C’est une forme de racisme caractérisé par Ce racisme met l’accent sur l’infériorité ou
la valorisation du groupe de référence : le le caractère maléfique de l’Autre. Ils
racisme considère qu’il appartient à une pensent représenter l’être humain dans ce
race supérieure. qu’il y a de plus universel mais cet universel
Ex : les nazis se compare à des groupes considérés
comme particuliers et inférieurs car ils ne
Se focalisant, à travers un processus d’auto- possèdent pas les qualités jugées
racisation, sur la pureté et la supériorité de universelles.
sa prétendue race, le raciste dévalorise les → Focalisation sur les caractéristiques
autres catégories racialisées. particulières des autres plutôt que sur la
pureté du groupe d’appartenance.
 Associé à des comportements
d’exclusion ou d’extermination  Associé à des comportements
(purification) d’oppression ou d’exploitation
comme l’esclavagisme

Depuis la fin de la 2WW, les manifestations de racisme auto-référentiel sont heureusement


devenues plus rares. Par contre, les préjugés à l’égard des personnes issues de l’immigration
dans les pays occidentaux prennent souvent la forme d’un racisme hétéro-référentiel selon
lequel les communautés immigrées se situent hors de l’universalisme moderne de par leur
attachement à des pratiques culturelles et/ou religieuses spécifiques.
1.6.4. La délégitimation

Oren et Bar-Tal (2005) défini la délégitimation comme étant une catégorisation excluant
un groupe de la sphère où les groupes humains sont tenus pour agir selon des normes
et/ou des valeurs acceptables, et le construisant comme violant les principes
fondamentaux sur lesquels repose l'humanité. Nous y retrouvons donc l’application de
traits négatifs, exclusion, usage d'étiquettes politiques négatives, comparaisons
intergroupes, etc.
→ Les autres sont donc déshumanisé (catégories infra-humaines (= animaux, sauvages,
etc.) ou surhumaines négatives (= démons, monstres, etc.))

Selon Bar-Tal, c’est en se basant sur leur système de valeurs que les membres
d’un groupe social délégitiment les membres
d’autres groupes sociaux. En leur attribuant des
comportements et des normes incompatibles avec
les nôtres, nous leur dénions le partage de ces

39
valeurs et de ces normes fondatrices. Il n’est dès lors plus jugé légitime d’entretenir des
relations avec ces personnes.
Jodelet met en lien l’altérité et l’identité : l’autre se définit par rapport à un même ;la
réflexion sur l’altérité permet la définition identitaire.
1.7. L’orientalisme (Edward Saïd, 1978)
Saïd propose une critique radicale, non seulement d’une discipline académique,
l’orientalisme, mais plus généralement, du regard porté par les Occidentaux sur l’Orient :
« L'Orient n'est pas seulement le voisin immédiat de l'Europe, il est aussi la région où l'Europe
a créé les plus vastes, les plus riches et les plus anciennes de ses colonies, la source de ses
civilisations et de ses langues, il est son rival culturel et lui fournit l'une des images de l'Autre
qui s'impriment le plus profondément en elle. De plus, l'Orient a permis de définir l'Europe (ou
l'Occident) par contraste : son idée, son image, sa personnalité, son expérience. La culture
européenne s'est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d'un Orient qu'elle
prenait comme une forme d'elle-même inférieure et refoulée. »
→ Nous retrouvons encore une fois la dynamique de l’altérité : l’occident à projeter ses
images sur l’orient.
Selon Saïd, l’une des caractéristiques de l’orientalisme, c’est
qu’il fonctionne en circuit fermé : L'orientalisme repose sur
l'extériorité, c'est-à-dire sur ce que l'orientaliste, poète ou
érudit, fait parler l'Orient, le décrit, éclaire ses mystères pour
l'Occident. Les habitants des contrées étudiées sont réduits à
des "ombres muettes", à des "types".
→ Jamais la parole ne leur est donnée Selon Karl Marx : « Ils
ne peuvent se représenter eux-mêmes ; ils doivent être représentés. ».
Non-réciprocité de l'orientalisme : occidentalisme ?
Saïd interprète la construction de ces représentations de l’Orient dans le cadre d’une
relation de pouvoir entre l’Occident et l’Orient. Ce pouvoir est non seulement physique,
militaire, économique, mais aussi représentatif. Les occidentaux se sont arrogé le pouvoir de
nommer, décrire, catégoriser. « L'orientalisme a plus de valeur en tant que signe de la
puissance européenne et atlantique sur l'Orient qu'en tant que discours véridique sur celui-
ci. ». Il est plus intéressant selon Saïd de mettre au jour le rapport de forces plutôt que de
s’intéresser à l’objet décrit.
➔ L’orientalisme ne nous apprend pas grand-chose sur l’Orient. Cependant, il apporte
beaucoup sur le regard porté par l’Occident sur l’Orient.
« Les représentations ont des fins » : l’action de représenter n’est pas une action innocente,
elle est dirigée vers un but, la domination de l’Occident sur l’Orient.
Voici les caractéristiques de l’Orient :

- L'Orient forme un tout : les sociétés sont considérées comme étant semblables et
comme radicalement différentes de l'Occident

40
- Masses indistinctes ; pas d'individualité
- Chateaubriand : « La liberté, ils l'ignorent; les propriétés, ils n'en ont point: la force
est leur Dieu »
- « Libération » de l'Orient par l'Occident
→ Il faut libérer l’Orient pour le faire sortir de la soumission à la religion
- Civilisations hors du temps, sans histoire
- Vision téléologique de la domination occidentale
Saïd décrit une série d’oppositions dont le discours orientaliste se sert afin de différencier
l’Orient et l’Occident :
Soi (= Occident) Autre (= Orient)
- Masculin - Féminin
- Civilisé - Sauvage
- Mature - Puéril
- Rationnel - Irrationnel
- Développé - Primitif
- Moral - Barbare
- Culture - Nature
- Dynamique - Statique
- Moderne - Traditionnel
- Industriel - Naturel
Malheureusement, ces traits stéréotypés sont toujours utilisés aujourd’hui.
1.7.1. Typologie des relations à autrui

Tzvetan Todorov (1982) dans son livre « La conquête de l’Amérique : la question de l'autre »
propose une typologie des relations à autrui selon 3 axes :

Plan axiologique Plan praxiologique Plan épidémique


Il s’agit des attitudes, de Il s’agit de ce que l’on fait. Il s’agit du fait de connaître
jugement de valeur à l’égardOn retrouve une action de ou d’ignorer l’identité de
de l’Autre (L'autre est bon rapprochement ou l’Autre.
ou mauvais, égal ou d'éloignement par rapport à
inférieur) l'Autre. Nous pouvons :
- Nous mettre à
l’autre : j’adopte ses
valeurs et m’identifie
à lui
- Nous soumettre de
l’autre : je l’assimile
à moi et lui impose
mon image
- Neutralité ou
indifférence par
rapport à cet Autre
 Ces 3 plans sont indépendants les uns des autres.

41
À partir de ces trois plans, il décrit trois attitudes par rapport à l’Autre incarnées par trois
protagonistes de la conquête de l’Amérique :
- Christophe Colomb n'aime pas, ne s'identifie pas et ne connaît pas les Indiens
- Hernan Cortès essaie de comprendre la culture, de s’intéresser à leur mythologie et
utilise cela pour dominer les astèques. Il méprise mais a quand même été stratégique
au niveau praxiologique : il veut imposer sa culturer
- Bartolomé de Las Casas aime les Indiens mais ne les connaît pas et vise l'assimilation
par l’évangélisation
→ Il ne respecte pas leur différence.

« Conquérir, aimer et connaître sont des comportements autonomes et, en quelque sorte,
élémentaires » (p. 234)
Les autres sont :
- Soit ramené à nous-mêmes mais leurs
spécificités ne sont pas reconnues
- Soit construit comme Autre, il n’y a donc
pas de respect ni d’application de norme
sociale
- Soit comme étant l’envers du Nous, c’est-à-dire que toutes les qualités que nous
avons vont être projeter négativement sur les autres
→ Méconnaissance totale des autres
Le rapport à l’Autre n’est donc jamais simple. Il comporte en quelque sorte un défi : celui de
reconnaître sa différence sans le situer sur un échelon inférieur d’une quelconque
hiérarchie. L’Autre est différent mais pas inférieur.
Généralement, l’Autre ne reste pas passif lorsqu’il est mis en altérité : les colonisés ont
souvent gagné leur indépendance à travers la lutte et les minorités d’aujourd’hui tentent de
faire entendre leur voix de diverses manières.

42
Chapitre 3 : La comparaison interculturelle
Partie Laurent Licata

1. La comparaison interculturelle des valeurs


« Il y a deux propositions à propos des êtres humains qui sont vraies : que
tous les êtres humains se ressemblent, et que tous sont différents. Toute la
sagesse humaine est fondée sur ces deux faits » (Mark Van Doren)
Il existe 7 milliards d'autres.
Il y a 3 phases dans l'évolution de la recherche sur les différences interculturelles en
psychologie :
- Mise en évidence de différences
→ Études quasi-expérimentales où culture = variable indépendante
Ex : recherche sur la sensibilité aux illusions optiques
- Identification des dimensions qui sous-tendent les variations interculturelles
observées
→ Comparaison interculturelle des valeurs
- Étude des processus psychologiques responsables des différences interculturelles
→ Habitudes mentales, représentation des personnes, représentation des normes,
etc.
Cross et Markus (1999) ont analysé des petites annonces amoureuses parues le même jours
dans deux journaux californiens :

San Francisco Chronicle Indian Tribune

28 SWM, 6'1”, 160 lbs. Handsome, artistic, Gujarati Vaishnav parents invite
ambitious, seeks attractive WF, 24-29, for correspondence from never married
friendship, romance, and permanent Gujarati well settled, preferably green card
partnership. holder from respectable family for green
card holder daughter 29 years, 5'4”, good
Very attractive, independent SWF, 29, 5'6”
looking, doing CPA.
110 lbs., love fine dining, the theater,
gardening and quite evenings at home. In Gujarati Brahmin family invites
search of handsome SWM 28-34 with correspondence from a well cultured,
similar interests beautiful Gujarati girl for 29 years, 5”8”,
145 lbs. Handsome looking, well settled
boy.

Outre certains points communs, les différences sont frappantes. Dans les annonces du San
Francisco Chronicle, les informations données concernent principalement les préférences
individuelles ainsi que des traits de personnalité. Tandis que dans l’autre, il y a des
informations permettant de situer la personne dont il est question, ainsi que sa famille dans

43
une structure sociale. De même, les descriptions des personnes recherchées diffèrent : les
Américains recherchent quelqu’un qui partage leurs intérêts et dont les traits de
personnalité sont compatibles tandis que les Indiens cherchent une personne ayant la même
origine, religion, caste et possédant une bonne situation matérielle.
Nous le voyons, dans les deux cas, les individus recherchent un.e partenaire mais nous
voyons bien une différence en fonction du groupe culturel.
Les valeurs

Segall et al. (1999) définissent les valeurs comme étant les préceptes généraux d’une
société entière. Les valeurs sont en effet partagées par de larges ensembles sociaux Elles
sont des références morales et éthiques qui définissent le bien et le mal dans une
société. Elles sont liées aux croyances, attitudes et comportements des individus. Les
valeurs se présentes généralement comme des concepts abstraits mais elles permettent
aux individus d’évaluer des comportements spécifiques. Elles définissent aussi bien les
objectifs à atteindre que les comportements jugés appropriés pour les atteindre.
Les valeurs sont investies émotionnellement ; leur transgression suscite une réponse
émotionnelle.

Plusieurs modèles de comparaison interculturelle des valeurs existent. Deux seront


présentés dans ce cours :
- Le modèle de Geert Hofstede
- Le modèle de Shalom Schwartz

1.1. Les quatre dimensions de comparaison interculturelle des valeurs selon Geert
Hofstede
Une certaine conception de la culture

Avant de décrire les quatre dimensions, il faut regarder la manière dont Hofstede conçoit
l’influence de la culture sur la psychologie. Dans son ouvrage « Vivre dans un monde
multiculturel : comprendre nos programmations mentales (1994) », il défini la culture
comme une sorte de programmation mentale. Il propose l’ordinateur comme métaphore de
l’esprit humain et établit une correspondance entre hardware et software.

La culture est une « programmation collective de l'esprit qui distingue les membres d'un
groupe ou d'une catégorie de personnes par rapport à un autre » (p. 20)

Cette définition et métaphore n’est pas compatible avec ce que nous avons vu auparavant.
En particulier, la notion de programmation collective qui a une connotation très passive :
l’esprit humain se laisserait programmer par l’influence du groupe.
Cette manière de présenter les choses à le mérite d’attirer l’attention des responsables
d’entreprises et gestionnaires de ressources humaines : Appliqué à la gestion des
entreprises : « La culture est plus souvent une source de conflit que de synergie. Les
différences culturelles sont au mieux une nuisance, et souvent un désastre »

44
Exemple : conclure un marché :
- À l’Ouest : on négocie, on trouve un accord, et on se serre la main les négociations
sont terminées ; on peut commencer à travailler ensemble
- Au Moyen Orient : On négocie, on trouve un accord, on se serre la main on peut
commencer à négocier sérieusement

 Il est nécessaire de tenir compte des différences culturelles


Les conséquences de la culture

Il y a 4 dimensions primaires différenciant les cultures :


- Distance hiérarchique – IDH
- Individualisme/collectivisme – IND
- Masculinité/féminité – MAS
- Contrôle de l'incertitude – ICI

• Distance hiérarchique – IDH


« Stockholm, 13 décembre 1988. Le roi de Suède Carl Gustav a été considérablement retardé
dans ses achats de Noël pour ses enfants : un vendeur a refusé son chèque car il ne pouvait
fournir de pièce d'identité. Le vendeur n'a fini par céder que grâce à l'intervention d'autres
clients qui ont sorti de leurs poches des pièces d'une couronne à l'effigie du roi. Le vendeur a
cependant vérifié l'authenticité du chèque et noté scrupuleusement le nom et l'adresse de
l'émetteur »
Selon Hofstede, l’indice de distance hiérarchique est une mesure du degré d'acceptation par
ceux qui ont le moins de pouvoir dans les institutions ou les organisations d'un pays d'une
répartition inégale du pouvoir. Si l’indice de distance hiérarchique d’un pays est élevé, cela
signifie que les gens occupant une position subalterne ont tendance à accepter la différence
de pouvoir et inversement.
Degré d'égalité ou d'inégalité entre les membres d'une société :
Distance hiérarchique élevée Distance hiérarchique faible
- Inégalités de pouvoir et de richesse - Inégalités de pouvoir et de richesse
→ Fossé social très large entre les réduites
classes sociales supérieures et - Insiste sur l'égalité
défavorisées - Interdépendance : les subordonnés
- Peu de mobilité sociale sont consultés
Ex : Système de castes - Distance émotionnelle faible
- Forte dépendance aux supérieurs ou
parfois contre-dépendance (=
révolte, défiance)
- Distance émotionnelle élevée : on
ne partage pas ses émotions avec
son patron

45
La distance hiérarchique se manifeste également dans la famille :
IDH élevé IDH faible
- Obéissance aux parents - Enfants considérés comme des
- Hiérarchie dans la fratrie égaux : ils sont consultés et souvent
- Respect inconditionnel : le pouvoir écoutés lors des prises de décisions
mérite le respect en tant que tel - Expériences des enfants
- Tendresse et attention, mais encouragées
dépendance - Autonomie, mais plus froid
- Déférence même à l'âge adulte - Relations égalitaires à l'âge adulte

Selon Hofstede (1994), la position d’un pays sur cette dimension culturelle a également des
implications politiques : « Dans ces sociétés [IDH élevé], les puissants ont droit à des
privilèges et on s'attend à ce qu'ils utilisent leur pouvoir pour accroître leur richesse. Leur
statut est rehaussé par un comportement symbolique qui les fait paraître aussi puissants que
possible. Leurs principales sources de pouvoir sont leur famille et leurs amis, leur charisme
et/ou leur capacité à utiliser la force; cette dernière explique la fréquence des dictatures
militaires dans les pays à fort IDH. (…) Si cela va vraiment trop mal, la seule façon de modifier
le système consiste à remplacer les gens en place en recourant à la révolution. La plupart de
ces révolutions échouent, même sous une réussite apparente, puisque les nouveaux maîtres
finissent par rééditer les comportements de leurs prédécesseurs, soutenus en cela par les
valeurs dominantes vis-à-vis de l'inégalité »
« Dans les pays à faible IDH, le sentiment général est que l'usage du pouvoir doit être
légitimé et soumis au jugement entre le bien et le mal. L'inégalité n'est pas souhaitable; bien
qu'inévitable, elle doit être réduite par des moyens politiques. (…) Il n'est pas nécessaire que
pouvoir, richesse et prestige aillent de pair, au contraire. Les symboles de prestige sont
suspects et les leaders peuvent voir leur prestige augmenter s'ils renoncent à certains
attributs du pouvoir. C'est l'exemple du ministre qui se rend à son bureau en autobus.
L'origine du pouvoir tient à la position officielle de celui qui le détient, à la compétence qu'on
lui prête et à sa capacité à donner des récompenses. (…) Les révolutions sont impopulaires.
(…) La vie politique est rarement violente. Les pays à faible IDH ont le plus souvent des
gouvernements pluralistes et peuvent passer de façon pacifique d'un parti ou d'une coalition
à l'autre selon le résultat d'élections démocratiques. »
Hofstede se permet de porter des jugements qui dépassent de loin ce que ses données lui
permettent d'avancer.
Origines de l’IDH :
- Langues et civilisations
o Langues germaniques : faible IDH
o Langues romanes : fort IDH
- Latitude : plus un pays est éloigné de l'équateur, plus l'IDH est faible
→ Lutte contre la nature plutôt que contre les autres hommes
- Taille de la population → fort IDH
Centralisation → autorité

46
- Richesse → faible IDH
o Agriculture moins traditionnelle
o Technologie
o Urbanisation
o Mobilité sociale
o Système d'éducation
o Classe moyenne

• Individualisme/collectivisme
L’exemple des annonces matrimoniales nous a permis de mettre en évidence des différences
concernant l’importance relative accordée à l’individu et à ses groupes d’appartenance.
L’individualisme et le collectivisme seraient lié à des structures de rapports sociaux très
différents mais constitueraient les deux pôles d’une même dimension.
L’individualisme Le collectivisme
L'individualisme caractérise les sociétés Le collectivisme caractérise les sociétés
dans lesquelles les liens entre les personnes dans lesquelles les personnes sont
sont lâches ; chacun doit se prendre en intégrées, dès leur naissance, dans des
charge, ainsi que ses parents les plus groupes forts et soudés qui continuent de
proches. les protéger tout au long de leur vie, en
échange d'une loyauté indéfectible (p. 76)
- Temps pour soi : avoir un travail qui
laisse suffisamment de temps pour - Formation : avoir des possibilités
la vie personnelle et familiale d'apprendre ou de se perfectionner
- Liberté : avoir une très grande - Conditions de travail : bonnes
liberté pour pouvoir organiser son conditions matérielles
travail comme on l'entend - Utilisation des capacités : avoir la
- Challenge : avoir un travail possibilité d'utiliser pleinement des
stimulant, qui donne le sentiment aptitudes et ses capacités
de se réaliser

La distinction entre pays individualistes et collectivistes correspond donc à la distinction


entre pays occidentaux et non occidentaux. Ces différences se manifestent dans de
nombreux domaines. Le premier est le contexte familial :
Individualisme Collectivisme
- Famille nucléaire = norme - Famille élargie = norme
- Solitude - Contacts sociaux fréquents
- Dormir seul Ex : Laroui (2006) « Nos pendus ne
- On dit ce qu'on pense : « Non » sont pas les leurs »
- Valorisation des opinions - On évite l'affrontement
personnelles → harmonie des relations sociales
- Indépendance matérielle : les Ex : « Vous avez peut-être raison »
enfants sont donc éduqués de - Valorisation des normes du groupe

47
manière à devenir autonome le plus - Partage des ressources avec le reste
vite possible de la famille

La communication varierait également selon cette dimension. Ainsi, en référence aux


travaux d’Edward Hall (1976), Hofstede qualifie la communication dans les contextes
culturels individualistes de communication à contexte faible, alors que la communication à
contexte fort serait caractéristique des contextes collectivistes.

Communication à contexte fort Communication à contexte faible

- L'essentiel de l'information se L'essentiel de l'info est contenu dans le


trouve dans l'environnement message explicite
physique ou les relations entre les
personnes
- La partie explicite du message
importe peu : le contenu est moins
important que la relation
Ex : visite de famille à Java (p. 87)
- On vient sans s'annoncer
- On reste ensemble en parlant peu

Dans le contexte du travail et concernant les relations patron-salarié :


Individualisme Collectivisme
- Salarié = personne individuelle avec - Salarié = quelqu'un qui appartient à
ses propres besoins (psychologiques un groupe, et qui veille aux intérêts
et économiques) de ce groupe en plus de ses intérêts
- Relation patron-salarié : contrat, qui - Recrutement : famille de
s’assimile à une transaction l'employeur, puis famille des salariés
commerciale neutre ➔ La famille corrigera les
→ Mauvaises performances ➔ perd comportements déviants car si un
l'emploi individu fait un comportement
déviant, cela va toucher absolument
toute sa famille
- Relation patron-salarié // relation
familiale
→ On ne renvoie pas son enfant

Toujours selon Hofstede, les relations d’affaires :


Universalisme = individualisme Particularisme = collectivisme
- Chacun doit être traité sur un pied - Le groupe d'appartenance sociale
d'égalité prime
- Faire bénéficier un client d'un - Traiter un ami mieux que les autres
traitement de faveur est non est éthique
éthique - Une personne individualiste devra
d’abord instaurer une relation de

48
confiance pour être admis dans le
groupe et enfin bénéficier d'un
traitement de faveur
- On traite avec la personne plutôt
qu'avec l'entreprise
→ Si nous voulons changer de
personne, il faudra reprendre le
processus dès le début
« Dans une société collectiviste, la relation personnelle l'emporte sur l'affaire à traiter et doit
être établie prioritairement ; dans la société individualiste, l'affaire est censée l'emporter sur
toutes les relations personnelles »
Les origines des IND seraient lié à :

- La distance hiérarchique : latitude


(plus un pays est loin de l’équateur,
plus la distance hiérarchique est faible
et plus il est individualiste), taille de la
population (+ = collectiviste ; - =
individualiste) , richesse (+ =
individualiste ; - = collectiviste)
- L’histoire : influence de l'empire
romain en Europe, du confucianisme
en Asie, caractéristiques des
fondateurs des USA, etc.

 Le degré d’individualisme serait inversement proportionnel à la distance


hiérarchique. Les deux indices sont négativement corrélés : les pays collectivistes ont
donc généralement un fort indice de distance hiérarchique (il existe cependant des
exceptions : le Costa Rica)

• Masculinité/féminité (MAS)
La question qui se pose est la suivante : « À quel point la société renforce ou pas les modèles
traditionnels de différenciation des rôles de genre ? »
Selon les modèles traditionnels des relations de genre, les hommes sont censés être assurés,
compétitifs, durs et réaliser leur activité à l’extérieur. Tandis que les femmes sont censées
être modestes, coopératives, tendres et exercer leur activité à l’intérieur du foyer.
Pays masculins Pays féminins
Il y a une forte différenciation des genres : Il y a peu de différenciation de genre : il y a
les mâles dominent et les femmes sont d’ailleurs une tendance à l’égalité hommes
dominées. et femmes.
On y retrouve comme valeurs : On y retrouve comme valeurs :
- Accomplissement - Coopération
- Compétition - Modestie

49
- Recherche du succès matériel - Qualité de vie
- Attention (et aide) pour les plus
Ex : la Belgique faibles

Ex : la France
 Vouloir être le meilleur vs. aimer ce que l'on fait
Dans le questionnaire de Hofstede, les questions permettant de mesurer cette dimension
étaient :

Pôle masculin Pôle féminin


- L’importance de la rémunération - Hiérarchie : bonnes relations de
- Le besoin d’être reconnu dans son travail avec son patron direct
travail - Valoriser la coopération
- Le besoin d’avancement - Cadre de vie : environnement
- Le goût pour les défis agréable
- Sécurité de l'emploi

Il s’agit de la seule dimension qui différencie systématiquement les hommes et les femmes
dans l’étude de Hofstede (1980).
Exemple : Entretien d'embauche. Aux Pays-Bas, il s’agit d’une culture féminine. Les individus
réalisent donc un CV court et modeste. Tandis qu’aux USA, c’est une culture masculine. Le
CV est long, plein de superlatifs.
- Un recruteur américain face à un CV hollandais va se dire que la personne est un
pauvre type
- Un recruteur hollandais face à un CV américain va se dire : « Quel vantard ! »

• Contrôle de l’incertitude (ICI)


« Ce qui frappe le voyageur étranger en Allemagne c'est l'importance accordée par ce peuple à la notion
de ponctualité... Dans un compartiment, les conversations ne s'engagent pas à propos du temps qu'il
fait mais de la ponctualité du train. Sur les grandes lignes, un document appelé le Zugbegleiter est
distribué dans tous les compartiments ; il donne la liste de tous les arrêts avec l'heure d'arrivée et l'heure
de départ, et toutes les correspondances possibles sur le trajet. C'est presque un sport national de se
ruer sur le Zugbegleiter à chaque arrivée dans une gare et de vérifier montre en main la progression du
train. Quand un train a du retard, ce qui arrive, les haut-parleurs diffusent une annonce dont le ton
hésite entre le stoïque et le tragique. Ce qui peut arriver de pire, c'est le retard de durée indéterminée
(unbestimmte Verspatung) : le ton devient alors celui de l'oraison funèbre. » (Lawrence, 1980)

Le contrôle de l’incertitude peut être défini comme le niveau de tolérance envers


l’incertitude et l’ambiguïté dans une société.
Dans les pays à haut contrôle d’incertitude, les gens tentent de contrôler les différents
aspects de l’existence. L’obsession du règlement serait un indice. Par contre, dans les pays à
faible contrôle de l’incertitude, on tolère mieux le fait de ne pas pouvoir tout contrôler et
l’on impose moins de règlements. Le changement est vécu de manière moins traumatique.

50
Cela se traduit, selon Hofstede, par davantage de prises de risques, notamment en termes
d’investissement financiers et de création d’entreprises, ce qui favorise d’après lui, le
dynamisme économique.
La question qui se pose est la suivante : « Vous sentez-vous souvent tendu ou nerveux
pendant votre travail ? ». Notons que les réponses à ces questions étaient corrélées au
niveau national, mais pas au niveau individuel. Les règlements d'une entreprise ne doivent
pas être enfreints, même si l'employé estime que c'est dans l'intérêt de l'entreprises. Si une
majorité de personnes sont stressées au travail, la majorité des gens souhaite que l'on
respecte les règlements et apprécie la stabilité de l'emploi.
→ Cela ne signifie pas que tous les individus stressés sont attachés au respect des
règlements et à la sécurité de l’emploi : pas de corrélations individuelles.
Les sociétés à faible niveau de contrôle de l’incertitude seraient plus ouvertes aux idées non
conformistes et innovatrices :
- Éducation plus souple
- Individus motivés aussi bien par le besoin d’estime et de réussite que par les relations
sociales
Les sociétés à haut niveau de contrôle de l’incertitude résisteraient davantage à l’innovation
et accueilleraient les idées non conformistes avec méfiance :
- Éducation plus stricte
- Les individus seraient motivés par le besoin de sécurité, autant que d’estime et
d’appartenance

• Individualisme et collectivisme selon Triandis


L’individualisme et le collectivisme sont les principales dimensions retenues pour comparer
les cultures.
Harry Triandis (1995) critique la méthodologie de Hofstede et propose une théorie
modifiée où I et C ne sont pas les deux pôles d'une même dimension mais bien deux
dimensions indépendantes : il y aura un facteur d’individualisme (fort et faible) et un facteur
de collectivisme (fort et faible).
→ Une personne pourrait donc très bien être individualiste et collectiviste en même temps
Pour Triandis, l’individualisme s'oppose à l'autoritarisme (= une variante du collectivisme).

L’autoritarisme = l’obéissance à l'autorité, approbation de la punition de ceux qui


s'écartent des normes, soutien au contraintes sociales.

Afin de conceptualise ces différents types de collectivisme, Triandis ajoute une autre
dimension : la relation au pouvoir.
→ Il va la croiser avec l’individualisme et le collectivisme afin d’obtenir une typologie des
cultures
Nous y retrouvons deux pôles :

51
- Horizontal : égalité des statuts à l’intérieur des groupes
- Vertical : hiérarchie
Typologie I-C/ H-V

Nous en retrouvons 4 :

Individualisme Individualisme Collectivisme Collectivisme


horizontal vertical horizontal vertical

Les gens veulent Les gens veulent se Les gens se Intégrité de


être uniques et différencier d'autrui perçoivent comme l'endogroupe,
distincts, mais égaux en fonction de leur similaires, sacrifice des intérêts
et sans statuts statut. Il s’agit de soulignent les buts personnels et
différenciés sociétés plus communs et ne soumission à
Ex : Suède compétitives (USA) dominent pas les l’autorité : ni libres,
autres, mais peu de ni égaux (fascisme)
liberté individuelle
(Kibboutz,
communisme)

Selon Triandis, les pays ne sont cependant pas figés dans cette typologique.
Ex : Japon traditionnel (collectivisme vertical) passe à un Japon moderne (collectivisme
horizontal)
Variations intra culturelles
Selon Triandis (1994), bien que le score moyen des habitants d’un pays donne une indication
sur la tendance générale d’un pays à valoriser fortement ou faiblement l’individualisme, il
existe de larges variations interindividuelles à l’intérieur de ces mêmes sociétés. Il
distinguera deux types d’individu :
- Individus idiocentriques : orientation plus individualiste que la moyenne dans leur
culture
- Individus allocentriques : orientation plus collectiviste que la moyenne
Il souligne également la spécificité des domaines : une personne peut être idiocentrique et
donc exprimer des tendances plutôt individualistes dans un domaine et faire preuve de
tendances plutôt allocentriques dans un autre domaine.
Ex : une personne va être plus allocentrique en famille que dans son domaine professionnel
« Tout être humain est conscient qu'il a des perspectives individualistes et collectivistes »
1.2. L’inventaire des valeurs de Schwartz
Schwartz a mené une série d’enquêtes internationales pour identifier les dimensions
universelles structurant les valeurs humaines. Il est arrivé à un modèle multidimensionnel
plus complexe que celui de Hofstede et basé sur des preuves empiriques plus robustes.

52
Il identifie 7 orientations culturelles des valeurs que l’on peut retrouver, à des degrés divers,
dans toutes les cultures.
→ Différences entre les groupes culturels. Ces orientations structurent les réponses à
travers les groupes culturels
Il a recueilli des données auprès de plus de 55 000 personnes résidant dans 72 pays et issues
de 81 groupes culturels différents. Ces échantillons étaient constitués d’étudiants,
d’enseignants ou étaient des échantillons représentatifs des populations concernées.

Selon Schwartz, les valeurs culturelles sont liées à la manière dont chaque groupe
culturel apporte des réponses aux 3 problèmes de base que rencontrent toutes les
sociétés humaines :
- Relations entre l’individu et le groupe
- Contrôle du comportement des membres de la collectivité
- Réguler l’utilisation des ressources humaines et naturelles

Le premier problème consiste à définir les relations entre les individus et le groupe. Les
réponses à ce problème peuvent être situées sur une dimension dont les deux extrêmes
s’opposent et représentent deux solutions possibles :
- Autonomie
- Incorporation sociale

• Autonomie
Les gens sont encouragés à exprimer leurs préférences personnelles, leurs sentiments et
opinions. Chaque individu est considéré comme une entité cohérente et clairement séparée
des autres. Schwartz distingue deux types d’autonomie :
- Autonomie intellectuelle : encourager les individus à exprimer et à réaliser leurs
propres idées
→ On y retrouve l’ouverture d’esprit, curiosité et créativité
- Autonomie affective : recherche d’expériences affectives agréables par chaque
individu
→ On y retrouve le plaisir, une vie excitante et variée

• Incorporation sociale (social embeddedness)


Les personnes sont perçues comme des entités incrustées dans la collectivité. La vie
individuelle ne prend un sens qu’en regard des relations avec les autres membres de la
collectivité et de l’identification avec le groupe. Ce sont des buts collectifs qui guident
l’action. Le maintien de la stabilité du groupe est recherché, notamment par le respect des
traditions, la sécurité, l’obéissance et la sagesse.
 Cette dimension recouvre partiellement la notion d’individualisme et de
collectivisme. Elle est d’ailleurs corrélée avec l’indice IND de Hofstede (r = ,61) mais
est plus précise.

53
Le deuxième problème envisagé est le contrôle du comportement des membres d’une
collectivité, de manière à préserver le tissu social. Il est nécessaire de s’assurer que les gens
œuvrent en faveur des intérêts de la société. Il y a deux types de solutions pour résoudre ce
problème :
- Égalitarisme
- Hiérarchie

• Égalitarisme
Les gens sont égaux d’un point de vue moral et ils partagent des intérêts fondamentaux en
tant qu’êtres humains. Les gens sont socialisés de manière à favoriser la coopération et à se
soucier du bien-être des autres. Les valeurs caractéristiques sont les suivantes :
- Égalité - Justice sociale
- Responsabilité - Entraide et honnêteté

• Hiérarchie
Il s’agit plutôt de s’appuyer sur une structure hiérarchique afin de s’assurer de la
participation des individus à la poursuite des objectifs du groupe. Cela suppose une division
inégale du pouvoir, des rôles sociaux et des ressources. La socialisation favorise l’acceptation
de cette hiérarchie et des rôles sociaux assignés à chacun. Le pouvoir social, autorité,
humilité et la richesse sont valorisés dans les cultures hiérarchiques.
 Semblable mais distinct de la distance hiérarchique (Hofstede) ou la dimension
horizontale-verticale (Triandis)
Le troisième problème sociétal consiste à réguler l’utilisation des ressources humaines et
naturelles. On y retrouve :
Harmonie Maîtrise
Promouvoir l’insertion de la personne dans Auto-affirmation active visant à maîtriser,
le monde naturel et social : tenter de orienter et transformer l’environnement
s’adapter et d’accepter ce monde plutôt naturel et social afin d’atteindre des
que d’essayer de le changer objectifs personnels ou collectifs

Valeurs : Monde en paix, unité avec la Valeurs : Ambition, succès, audace,


nature, protection de l’environnement, autosuffisance et compétence
acceptation de la part dévolue à chacun

54
Relations entre ces valeurs
Les valeurs adjacentes sont vues comme
compatibles ; celles qui s’opposent sont
considérées comme incompatibles :
- L’harmonie s’oppose à la maitrise
- L’incorporation sociale s’oppose à
l’autonomie intellectuelle et affective
- L’égalitarisme s’oppose à la hiérarchie

Une cartographie mondiale des valeurs


Bien qu’il existe des différences importantes entre les individus concernant l’importance
relative des valeurs, la hiérarchie des valeurs est stable à l’échelle d’une société. Il existe
également des variations culturelles quant à l’importance relative accordée à ces sept
orientations des valeurs. Ainsi, l’analyse des données d’enquêtes a permis à Schwartz (2009)
de situer 77 groupes cultures par rapport à ces 7 orientations culturelles des valeurs. Il
identifie 8 aires culturelles transnationales :
- Europe occidentale : Suisse, Allemagne de l’Ouest, Suède, Espagne, Danemark,
Belgique, France, etc.
→ Valorisent l’égalité et l’autonomie intellectuelle
- Pays anglophones : Royaume-Uni,
Canada, Irlande, Nouvelle-Zélande,
Australie, États-Unis.
→ Valorisent l’autonomie affective et
la Maîtrise
- Amérique latine : Chili, Argentine,
Mexique, Brésil, Venezuela, Costa Rica.
→ Combinent différentes orientations
de valeurs
- Europe Centrale et pays baltes :
Slovénie, Tchéquie, Estonie, Lettonie, Bosnie, Pologne, Roumanie, etc.
→ Valorisent l’harmonie
- Pays d’Europe de l’Est orthodoxes : Serbie, Russie, Bulgarie, Ukraine, Croatie,
Macédoine.
→ Combinent différentes orientations de valeurs
- Asie du Sud : Philippines, Malaisie, Indonésie, Singapour, îles Fidji, Inde, Népal.
- Pays influencés par le confucianisme : Chine, Taiwan, Hong Kong, Corée du Sud,
Thaïlande.
→ Valorisent l’incorporation sociale et la hiérarchie
- Afrique sub-saharienne et Moyen-Orient : Éthiopie, Cameroun, Sénégal, Nigéria,
Ghana, Ouganda, Zimbabwe, Afrique du Sud, Égypte, Iran, Jordanie, etc.
→ Valorisent l’incorporation sociale

55
Ces 8 régions se différencient quant à l’importance qu’elles accordent aux différentes
valeurs.

Ces aires culturelles correspondent le plus souvent à des aires géographiques. Il existe
cependant des exceptions :
- Allemagne de l’Est plus proche de l’Allemagne de l’Ouest que des pays de l’Est
- Israël plus proche des pays anglo-saxons
- Turquie plus proche de l’Occident
- Pays anglo-saxons semblables malgré l’éloignement
- Canada francophone plus proche de l’Europe de l’Ouest
- Pérou et Bolivie plus éloignés de l’Europe que les autres pays d’Amérique latine
Japon : hiérarchie et harmonie, mais pas incorporation sociale, valorise l’autonomie
mais pas l’égalitarisme
→ Ressemble peu aux autres pays asiatiques
D’après Schwartz, son modèle permet d’obtenir une vision plus fine et fidèle des différences
interculturelles que celui de Hofstede. Il observe, par exemple, que l’opposition entre
individualisme et collectivisme menait Hofstede à ranger les USA et les pays d’Europe
occidentale dans la même aire culturelle « individualiste ». Au contraire, les résultats de
Schwartz montrent que l’Europe de l’Ouest est plus individualiste dans la mesure où
l’autonomie intellectuelle et affective y est valorisée, alors que la hiérarchie et
l’incorporation sociale y sont peu valorisées. Cependant, ce sont les pays obtenant les plus
hauts scores d’égalitarisme et d’harmonie, et les plus bas score de maîtrise.
→ L’individualisme américain serait différent car il insiste sur l’autonomie affective et sur la
maîtrise, au détriment de l’harmonie. De plus, les niveaux d’incorporation sociale et de
hiérarchie y sont plus élevé qu’en Europe de l’Ouest.
Il est toutefois important de noter que certaines tendances sont constantes à travers toutes
les aires culturelles. Ainsi, l’égalitarisme est l’orientation jugée la plus importante partout et
la hiérarchie est jugée la moins importante partout.
→ Les différences culturelles entre aires culturelles doivent donc être interprétées comme
des variations autour de tendances globales communes.
➔ Question de nuances
Orientations culturelles des valeurs et structure sociale
À travers ses analyses, Schwartz a pu mettre en évidence des liens entre ses dimensions des
orientations culturelles de valeurs et divers indicateurs sociaux et politiques. Ainsi, le degré
d’égalité entre hommes et femmes (égalité à l’emploi, accès aux soins de santé et
l’éducation) d’un pays est fortement corrélé avec la valorisation de l’autonomie,
l’égalitarisme puis l’harmonie. Cela signifie que les préférences culturelles sont liées à des
pratiques concrètes dans les pays concernés. De même, le pourcentage du produit national
brut que les pays investissent dans les soins de santé varie à peu près de la même manière
en fonction de ces trois dimensions. À l’inverse, la part de richesse investie dans la défense
militaire est inversement proportionnelle aux scores des pays sur la dimension Harmonie –

56
Maîtrise : plus un pays a un score élevé de maîtrise, plus il consacre de richesse à
l’armement.
Cependant, comme il le souligne, cela ne signifie pas qu’il existe un lien de causalité
univoque et unidirectionnel allant de la culture vers ces indicateurs. Il envisage plutôt une
influence réciproque entre culture et indicateurs concrets :
Niveau de développement économique 1993 prédit l’Autonomie 1995 qui prédit le niveau
de développement économique 2004
Avantages et inconvénients des modèles globaux de comparaison interculturelle
L’approche par les modèles globaux de comparaison interculturelle consiste donc à
rechercher une structure globale à travers laquelle une grande variété d’éléments culturels
peuvent être saisis en relation avec leurs corrélats psychologiques. Il s’agit donc clairement
d’une démarche étique.
Chiu et Hong (2006) comparent ces dimensions transculturelles à la latitude et à la longitude
en géographie. Ces derniers forment un système de coordonnées afin de situer un groupe
culturel sur le globe terrestre. De même, les dimensions de modèles tels que celui de
Hofstede et Schwartz permettent, en les croisant, de situer culturellement un pays.
Connaître ces dimensions permettrait de faire un certain nombre d’inférences concernant
les caractéristiques psychologiques des individus. Notons toutefois que les coordonnées sont
moins précises et mouvantes. De l’autre, même si les observations culturelles globales
étaient précises et stables, elles ne constitueraient qu’un facteur parmi d’autres pour
comprendre la psychologie des personnes.
2. La comparaison interculturelle dans d’autres domaines de la connaissance
Les psychologues culturels envisagent la culture comme un fait psychologique, alors que les
psychologues interculturels comparatistes portent davantage d’attention aux contextes
écologiques et socio-politiques. On peut situer l’origine de cette troisième phase au moment
de la publication de l’article de Markus et Kitayama (1991) où ils décrivent la théorie du Soi
indépendant et interdépendant. Celle-ci a ouvert la voie à de
nombreuses études empiriques et élaborations théoriques. Il s’agit,
pour la plupart, de comparaisons entre les occidentaux (surtout USA)
et les extrême-orientaux.
Chiu et Hong (2006) se sont basés sur une taxonomie de savoir afin
de structurer ces observations. Les psychologues cognitifs
distinguent :
Savoir procédural Savoir déclaratif
Il consiste en des représentations Il concerne des propositions qui peuvent
concernant la manière de parvenir à un être vraies ou fausses. Ce type de savoir fait
résultat donné. Il s’agit donc de séquences une description des objets et des
de comportements apprises en réponse à événements en précisant leurs propriétés
des indices situationnels (cela peut devenir spécifiques.
des routines).  Il s’agit de savoir quoi

57
Peu ou pas de réflexion sera nécessaire
pour l’exécuter.
Ex : conduire une voiture
 Il s’agit de savoir comment on
réalise une action

2.1. Les habitudes mentales

Les habitudes mentales représentent des savoirs procéduraux partagés au sein des
groupes culturels. Elles sont acquises à travers la répétition fréquente de l’activité
cognitive ou du comportement concerné. Elles sont souvent exécutées sans délibération
consciente.
2.1.1. Pensée analytique et pensée holistique

L’expression contexte fort qualifie des sociétés au sein desquelles les gens ont des relations à
long terme, où le savoir est situationnel et relationnel, et où la communication verbale est
peu importante (= Extrême-Orient, sociétés méditerranéennes). Concernant le contexte
faible, il caractérise des sociétés au sein desquelles les gens ont de nombreuses relations
sociales, mais de plus courte durée, le savoir est codifié (verbal) et publiquement accessible,
et où les croyances culturelles sont critiquées (USA, Europe occidentale).
Selon Masuda & Nisbett (2001), les personnes vivant dans des cultures à contexte fort sont
habituées à être attentive aux significations contextuelles, alors que les personnes ayant
vécu dans des cultures à contexte faible négligeraient le contexte au profit des éléments
perceptifs saillants.
Nisbett (2003) fait référence à ces différentes manières de percevoir le monde en termes de
pensée analytique et pensée holistique :
Pensée analytique Pensée holistique
- Focalisation sur les objets et leurs - Attention globale incluant les objets
attributs et leurs contextes
- Les objets sont perçus - La pensée est associative ; on porte
indépendamment de leurs contextes attention aux relations entre les
- On s'intéresse aux éléments objets et entre les objets et leur
composant l'objet plutôt qu'aux contexte
relations entre cet objet et son - Cette connaissance est utilisée afin
environnement de prédire et d'expliquer les
- On se réfère à un ensemble de événements
règles abstraites afin de prédire ou - Ce savoir se baserait davantage sur
d'expliquer le comportement des l'expérience que sur l'application de
objets règles abstraites

58
2.1.2. Perception et attention
Les stratégies attentionnelles seraient influencées par l'organisation sociale d'une société.
Ainsi, Nisbett et Masuda (2003) ont pu mettre cette différence en évidence à travers une
série d’études portant sur la perception visuelle de sujets américains et japonais. Par
exemple, ils ont réalisé une étude où ils montrent 2 fois un film de 20 secondes à des
participants japonais et américains (aquarium). Ils posent ensuite la question : « Qu'avez-
vous vu ? »
- Objets saillants (plus grands, bougent plus vite, plus colorés que les autres)
- Environnement (couleur de l'eau, sol, objets inertes)
Résultat :
- Les Américains mentionnent plus souvent les objets saillants
- Les Japonais mentionnent des éléments de l'environnement quasi 2 x plus que les
Américains et mentionnent deux fois plus de relations entre le champ et les objets
que les Américains
Ces différences peuvent être liées aux habitudes acquises dans des contextes perceptifs
différents. D’après les auteurs des illusions visuelles (Segall & al), les différences de
sensibilité à ces illusions trouveraient leur origine dans des habitudes perceptives liées aux
environnements physiques, charpentés ou non charpentés. Nisbett et ses collègues ont
développés un raisonnement semblable. Toutefois, selon eux, les caractéristiques des
environnements perceptifs sont elles-mêmes un produit des différences culturelles. Ainsi,
l’étude de paysages similaires aux USA et au Japon a montré que les environnements
japonais sont riches en détails enchevêtrés, alors que les environnements américains sont
plus simples et font ressortir de manière plus nette un nombre limité. Les Américains et les
Japonais ne vivent donc pas dans les mêmes environnements perceptifs.
 Ces environnements influencent l'attention perceptive (Miyamoto & Nisbett, 2005)
Miyamato et al ont vérifié cette hypothèse en
demandant à des participants japonais et
américains d’observer des photos de paysages.
Ils devront ensuite passer un test d'attention
(détection des changements).
Résultat :
- Américain : focalisation sur objets
saillants
- Japonais : attention au contexte
→ Dépendance au champ ; difficulté à
séparer un objet de son environnement.
Les asiatiques devraient être plus
susceptibles de ressentir cette difficulté

59
 La pensée analytique devrait procurer des avantages dans certaines tâches et des
désavantages dans d’autres. De même pour la pensée holistique.
Ainsi, Ji & al (2000) ont montré que des Chinois réussissaient mieux à détecter des
associations entre objets que des Américains. Les participants devaient observer une série
de paires d’images. Ensuite, on leur montrait l’une de ces images et ils devaient désigner,
parmi toutes les autres images, celle qui était apparue le plus souvent en compagnie de
cette image.
→ Cette tâche requiert d’être attentif au contexte : pensée holistique.
Par contre, les Américains obtiennent en
général de meilleurs résultat que les
Asiatiques au test de la tige et du cadre.
Cette tâche consiste à orienter une ligne
droite de manière à ce qu’elle soit
totalement verticale. La difficulté réside
dans le fait que cette ligne est présentée à l’intérieur d’un cadre penché. Réussir ce test
requiert de pouvoir se concentrer sur la ligne en faisant abstraction du cadre : pensée
analytique.
Une étude a utilisé des techniques oculométriques qui permettent d’enregistrer en temps
réel les mouvements oculaires, et donc ce qu’une personne regarde (Masuda & al, 2008).
Les participants japonais et américains regardaient un dessin animé où il y avait un
personnage à l'avant-plan et d'autres en arrière-plan. Ils avaient des expressions
émotionnelles convergentes ou divergentes. La tâche consistait à identifier l'émotion du
visage d'avant-plan. Les chercheurs prenaient des mesures occulométriques.
Résultats :
- Réponses JP davantage influencées par les visages d'arrière-plan
- Regards USA davantage focalisés sur visage d'avant-plan que JP
- Regards JP davantage focalisés sur visages d'arrière-plan que USA
Mais la majorité des regards portaient sur le visage d'avant-plan dans les deux groupes
→ Question de nuance plutôt que de différences radicales.
Ces résultats suggèrent que les penseurs analytiques font preuve d’indépendance au champ,
alors que les penseurs holistiques font preuve de dépendance au champ (Nisbett & Masuda).
2.1.3. Catégorisation
Les Extrême-Orientaux auraient tendance à classer les objets en fonction de critères de
relations entre eux ou de ressemblance, alors que les Américains tendraient à catégoriser en
fonction de règles abstraites.

60
• Que met-on ensemble ?

- Américains : vache et poule


→ Appartenance catégorielle basée sur une règle abstraite
- Chinois : vache et herbe
→ La vache mange l'herbe : lien fonctionnel entre les deux sans
faire appel à une loi abstraite ainsi que ressemblance familiale

• À quel groupe appartient cet objet ?


Dans cette étude, les chercheurs demandaient aux
participants d’assigner un objet cible à l’un de deux
groupes d’objets. Les fleurs du groupe 1 ressemblent
globalement davantage à l’objet cible du groupe 2.
Cependant, si on analyse les éléments constituant
chaque fleur, on se rend compte que le seul trait
commun à l’objet cible et à tous les objets appartenant
à l’un des groupes est la tige de la fleur. Cette observation nous mène alors à classer l’objet
cible dans le groupe 2. Les résultats de cette étude ont de nouveau mis en évidence des
différences entre les participants asiatiques et Américains, ces derniers utilisant plus souvent
la règle logique, alors que les Asiatiques catégorisent davantage en fonction de la
ressemblance globale.
Selon Nisbett (2003), les Asiatiques et les Américains ont acquis, à travers l'expérience
répétée de différents contextes sociaux et perceptifs, des habitudes mentales qui les
prédisposent à porter leur attention et à raisonner différemment. D’après Nisbett et
Masuda, ces différences peuvent être interprétées comme reflétant les différences entre les
sociétés occidentales individualistes et les sociétés extrême-orientales collectivistes. D’après
les auteurs, un long héritage culturel expliquerait ces différences.
Ainsi, la pensée occidentale subirait toujours l’influence de la philosophie grecque
(analytique) alors que l’extrême-orientale serait toujours imprégnée de la pensée chinoise
ancienne (holistique). Ces philosophies auraient d’ailleurs vu le jour dans des contextes
sociaux différents, organisés et manière à s’adapter à des contraintes environnementales
différentes. Nisbett parle de cela dans son livre « The geography of Thought : How Asians
and Westerners Think Differently and Why ». Selon lui :
- Chine : plaines fertiles, montagnes basses, rivières navigables → société agricole
centralisée → entraide et coordination des activités → tenir compte des contraintes
sociales
- Grèce : montagneux et entouré de mer → chasse, élevage et commerce → plus de
liberté individuelle → débat et argumentation

61
En fin de compte, ces différences perceptives et cognitives seraient donc liées à des
différences dans les systèmes de valeurs des sociétés, même si cette influence transite en
partir par la manière dont chaque société, en fonction de ses valeurs, structure
l’environnement.
2.2. La représentation des personnes

2.2.1. La représentation des autres


Les recherches montrent que les représentations des autres les plus cognitivement
accessibles chez les Occidentaux consistent en des traits de personnalité généraux, alors que
celles des Extrêmes-Orientaux comprennent également des rôles sociaux ainsi que des
comportements spécifiques à des situations. Cela se manifeste notamment dans les
processus d’attribution causale qui tente de répondre à la question : « Comment les gens
expliquent-ils les comportements d'autrui ? »
Les recherches sur les attributions causales ont notamment montré qu’en Occident, les
explications se font généralement par référence aux propriétés de l’objet ou de la personne.
Ex : si un élève échoue à un examen, on aura tendance à l’attribuer à son manque d’effort
ou son manque d’intelligence. L’erreur fondamentale d'attribution (Ross, 1977) consiste
donc à privilégier les attributions internes (disposition ou personnalité) et à négliger les
causes externes (environnement).
La comparaison interculturelle dans ce domaine montrent que ce biais n’est pas aussi
fondamental que le pensaient les psychologues sociaux car les Extrême-Orientaux tendent à
fournir des explications causales impliquant les interactions entre l’objet ou la personne et le
contexte. Ainsi, Choi et Nisbett (1998) ont réalisé une étude avec des étudiants US et Sud-
Coréens qui doivent lire un texte écrit par un autre étudiant sur la peine de mort. Ils sont
informés que le professeur avait demandé à l'étudiant d'écrire en faveur de la peine de
mort, et qu'il lui avait fourni la liste des arguments. Il n’y avait donc aucune raison objective
d’attribuer des attitudes particulières à cet étudiant.
Résultat : Les participants US infèrent que l'étudiant est favorable à la peine de mort
(attribution interne).
➔ Les Occidentaux croient que les comportements d'une personne sont cohérents avec
leurs attitudes. Ce n’est pas le cas des participants Sud-Coréens.

D’autres études ont mis en évidence des différences en termes d’attributions causales. Par
exemple, des chercheurs ont demandé à des participants chinois ou américains d’expliquer
des meurtres (Morris & Peng, 1994) ou des évènements sportifs (Lee & al, 1996). Dans les
deux cas, l’échantillon américain avait tendance à souligner les traits de personnalité
(psychopathe, pervers pour les meurtres ; capacités individuelles ou effort pour les sportifs).
Les Chinois incriminaient quant à eux beaucoup plus de facteurs contextuels.

62
2.2.2. Les représentations de Soi
Les conceptions du Soi indépendant ou interdépendant
La théorie culturelle du Soi de Markus et Kitayama (1991) est l’une des plus influentes des
approches du lien culture – comportement. Leur thèse est que la culture affecte la
psychologie à travers l'influence qu'elle a sur la manière dont les personnes se représentent
leur identité, et plus précisément leurs conceptions du Soi. Cette théorie est bien d’autres
repose en grande partie sur la distinction entre individualisme et collectivisme :
- Cultures individualistes : conception du Soi indépendant
- Cultures collectivistes : conceptions du Soi interdépendant
Les conceptions du Soi sont-elles les mêmes dans les sociétés collectivistes et
individualistes ? L’étude de Ma & Schoeneman (1997) suggère que non. Ces chercheurs ont
demandé à des étudiants américains et à des kenyans de répondre au test du « Qui suis-
je ? ». Il devait répondre à cette question 20 fois et se décrire soi-même. Les chercheurs ont
distingués plusieurs catégories de personnes en fonction de leur degré de contact avec la
culture occidentale.
Les chercheurs ont analysés les réponses en
distinguant les caractéristiques personnelles telles
que les traits de personnalité et les rôles sociaux ou
les appartenances. Les kenyans répondent pour la
majorité par des rôles et appartenances et les
américains plutôt par des caractéristiques
personnelles. Il y a tout de même une exception, les
étudiants de Nairobi. En effet, ils ont plus dit des
caractéristiques personnelles sans doute parce qu’ils fréquentent une institution
d’enseignement relativement occidentalisée.
Selon Hazel Markus et Shinobu Kitayama (1991), il existe donc différentes significations
culturelles du Soi et c’est par le biais de son influence sur la conception du Soi que la culture
influence la psychologie des individus (cognitions, attitudes, émotions). Ces auteurs
identifient deux grands types de systèmes de significations s’appuyant chacun sur des
conceptions différentesa du Soi :
Soi indépendant Soi interdépendant
- Représenté comme une entité - Soi conçu comme connecté à des
clairement délimitée et distincte, autres significatifs (membres de la
autonome et indépendante famille, amis, etc.)
- L'identité d'un individu est conçue - Le comportement est perçu comme
comme dérivant de ses attributs dépendant de la perception des
internes pensées, sentiments et actions des
- Ces attributs sont censés rester autres
stables à travers les situations et - Inversement, l'individu
tout au long de la vie interdépendant est conscient que
- Ils sont contenus dans le Soi car ses propres comportements
perçus comme provenant de affectent les autres
63
l'individu plutôt que de ses - Attention soutenue aux contextes
interactions avec d'autres sociaux
- Les individus qui conçoivent leur Soi - Les individus ne sont pas perçus
comme indépendant se sentent comme des entités séparées, mais
tenus de s'exprimer publiquement plutôt comme des participants à une
en cohérence avec ces attributs unité plus large
internes

Une conceptualisation alternative


Selon Çiğdem Kağitçibaşi (2011), l’opposition entre le Soi indépendant et interpédendant
n’est pas légitime et serait influencée par une vision occidentale selon laquelle l’autonomie
implique forcément le manque de relations sociales. En effet, selon elle, il n’est ni logique ni
psychologiquement parlant pertinent de faire rimer autonomie et séparation, pas plus que
de faire converger l’importance des relations sociales avec le manque d'agencéité
(“agency” : la capacité d’agir de manière indépendante). Nous serions en fait face à deux
dimensions orthogonales répondant à des besoins distincts plutôt qu’à une seule dimension
bipolaire. Une première dimension concerne l’agencéité et oppose l’autonomie et
l’hétéronomie alors que la seconde concerne la distance interpersonnelle et oppose la
séparation et la relation. La première concerne la source de la motivation et la seconde le
degré de connexion aux autres.
L’autonomie est une sorte
d’agencéité reposant sur la volonté
individuelle alors que l’hétéronomie
consiste à déléguer la prise de
décision aux autres. La séparation
représente l’absence ou la rareté des
liens sociaux, contrairement à la
relation. En croisant ces deux dimensions, on obtient 4 types de Soi différents.
Selon Kağitçibaşi, les recherches se sont jusqu’ici surtout focalisées sur le Soi autonome –
séparé (individualiste) et sur le Soi hétéronome – reliée (collectivisme). Le Soi autonome –
séparé peut être considéré comme une configuration pathologique car elle ne remplit aucun
des deux besoins fondamentaux. Par contre, le Soi autonome – relié serait courant,

64
représenterait une configuration optimale et mériterait donc davantage d’attention.
L’auteure le mesure par exemple à travers des items tels que : « Je me sens indépendant.e
des personnes qui me sont proches ». Cela touche le degré d’autonomie et le degré de
proximité de l’entourage.
Conscience de Soi
Les recherches concernant la conscience de Soi consistent généralement à comparer deux
groupes de sujets : un groupe contrôle et un groupe dont les participants sont mis en
présence de stimuli qui affectent leur niveau de conscience de Soi.
Ex : ils se voient dans un miroir, entendent leur propre voix enregistrée, ou savent qu’ils sont
filmés. Ces stimuli suscitent une conscience de Soi objective : le sujet se perçoit comme un
objet.
→ Soi interdépendant
D’autres tendent à placer les sujets dans un état de conscience subjectif en attirant
l’attention sur des stimuli se trouvant en-dehors du soi = conscience de Soi subjective
(attention tournée vers l'extérieur)
→ Soi indépendant
D’après Steven Heine (2008), les personnes ayant un Soi interdépendant seraient plus
souvent en état de conscience collective car elles portent une attention soutenue à la
manière dont elles sont perçues par les autres, de manière à veiller à l’harmonie sociale.
Alors que, en Occident, les gens seraient le plus souvent en état de conscience de Soi
subjective. En conséquence, placer des sujets interdépendants dans une situation censée
augmenter leur conscience de Soi objective devrait avoir peur de conséquences, alors que
cela devrait en avoir pour les sujets indépendants.
Heine, Takemoto, Moskalenko, Lasaleta, & Henrich (2008) 1,5
ont testé cette hypothèse en demandant à des participants
1
japonais et américains d’évaluer la distance entre leur Soi
USA
réel et leur Soi idéal. Plus la distance entre les deux est 0,5
Japon
élevée, plus les participants se montrent critiques envers 0
eux-mêmes. La manipulation expérimentale consistait à Miroir Sans
miroir
leur demander de le faire soit devant un miroir, soit pas.
Résultats :
- Les Japonais semblent en permanence en état de conscience objective
- Seuls les Américains sont sensibles à la manipulation
Estime de Soi
Selon Heine (2008), les différences interculturelles au niveau de la conception du Soi
entraîneraient des différences quant à la manière dont un individu peut acquérir une estime
de soi positive en Occident ou en Asie. Bien que le besoin d’estime de soi soit considéré
comme universel, il pourrait être atteint en suivant des voies différentes selon que le Soi soit
conçu comme indépendant ou interdépendant :

65
Soi indépendant Soi interdépendant
- Revendication de ses droits, besoins - Honorer ses obligations
et intérêts personnels - Reconnaître ses faiblesses
- Focalisation sur ses propres points - Être motivé à apprendre à partir de
forts et potentiels ses échecs
- Recherche de l'excellence - Chercher à corriger les
- Mise en avant de ses qualités et imperfections qui portent atteinte à
accomplissements personnels l'image de la communauté
- Réaliser des actions susceptibles de
Les personnes atteignent un sentiment bénéficier au groupe ; d'améliorer
positif envers leur Soi en augmentant son image et d'être accepté comme
l’estime de Soi personnelle. un membre valable du groupe

Heine et al. (1999) dans leur étude ont montré que l’estime de Soi d’étudiants japonais
augmente après 7 mois de séjour au Canada et que l’estime de Soi de professeurs canadiens
diminue après 7 mois de séjour au Japon. Cela suggère que les différences en termes
d’estime de Soi sont dues à l’apprentissage culturel.
Cohérence du Soi
Les personnes ayant un Soi indépendant devraient percevoir leur Soi comme une entité
cohérente, alors que les personnes ayant un Soi interdépendant devraient être moins
soucieuses de cette cohérence interne, et plus soucieuse d’adapter leur Soi aux situations
sociales qu’elles rencontrent. Par exemple, Choi et Choi (2002) ont montré que des
participants sud-coréens avaient tendance à exprimer leur accord avec des propositions
apparemment incompatibles concernant leur Soi
alors que les participants américains marquaient 4
clairement leur préférence pour l’une des 3
propositions. Dans une autre étude, des étudiants 2
USA
japonais et américains ont répondu au test du 1
« Qui suis-je » dans différents contextes sociaux : Japon
0
en présence d’un professeur (autorité), d’un autre
étudiant (pair), en groupe, ou seuls. Les
chercheurs ont ensuite calculé la valence (positive
ou négative) de chaque liste de réponses. Les résultats ont montré que la valence des
réponses des répondants américains restait relativement stable à travers toutes ces
conditions, alors que celle des répondant japonais variait fortement d’un contexte à l’autre.
Il est intéressant de remarquer que la valence moyenne était nettement inférieure chez les
Japonais que chez les Américains, et ce dans toutes les conditions. La valence la plus élevée a
été atteinte en présence de l’autorité chez les Américains, alors qu’elle l’a été dans la
condition solitaire chez les Japonais.
Soi indépendant Soi interdépendant
- Soi perçu comme une entité - Adapter le Soi aux situations sociales
cohérente - Sud-Coréens : Accord avec des
propositions apparemment

66
- Américains : Préférence claire pour incompatibles (« Je suis introverti »
des traits de personnalité (Choi et et « Je suis extraverti » )
Choi, 2002)

Théorie implicite concernant la nature du Soi

Les théories implicites sont des ensembles de croyances qui sont considérées comme
allant de soi. Certaines de ces théories implicites concernent le Soi.
Théorie incrémentale du Soi Théorie entitative du Soi
- Le concept de Soi est mouvant et - Le Soi est une entité stable
dépend de nos efforts - Immuable à travers le temps et les
- Capacités et traits de personnalité contextes
sont malléables - Ex : Intelligence = trait stable donné
- Ex : Intelligence = caractéristique à la naissance
dépendant des efforts fournis - Effort considéré comme inutile
- Motivation à l'effort afin de - Américains
s’améliorer - Test Q. I.
- Asiatiques

2.2.3. Les représentations des groupes

D’après Triandis (1994b, 2000), le conflit intergroupe est plus probable que le conflit
interindividuel dans les cultures collectivistes, alors que l’inverse serait vrai dans les cultures
individualistes. Il considère en effet qu’il est plus probable de voir émerger des conflits
ethniques, linguistiques, raciaux ou religieux dans des contextes culturels plutôt
collectivistes. Ainsi, dans les contextes cultures collectivistes, les gens tendent de préserver
l’harmonie au sein du groupe en évitant les conflits interindividuels. Par contre, puisque le
groupe d’appartenance est fortement valorisé, le risque de développer un biais
ethnocentrique est plus fort que dans les cultures individualistes.
 Donc, selon Triandis, préjugé et discrimination seraient davantage liés aux cultures
collectivistes.
En fait, plus spécifiquement, on peut s’attendre à ce que le collectivisme vertical amène plus
de préjugés et de discriminations que l’individualisme vertical, qui serait lui-même plus
chargé en préjugés et discriminations que le collectivisme horizontal. Enfin, ce serait dans les
sociétés individualistes horizontales que l’on observerait le moins de préjugés et de
discriminations.
Certains résultats de recherche ont confirmé cette tendance. Par exemple, Al-Zahrani et
Kaplowitz (1993) ont observé que des Saoudiens faisaient preuve de plus de biais pro-
endogroupe et de plus de dénigrement de l’exogroupe que des Américains. Leung (1988) a
aussi observé que, en réponse à des scénarios décrivant un conflit entre deux personnes, des
étudiants chinois étaient moins susceptibles de poursuivre le conflit avec un membre de leur

67
groupe qu’avec le membre d’un exogroupe, alors que cette différence se marquait moins
chez des étudiants américains.
Cependant, d’autres études contredisent ces tendances. Ainsi, Yuki (2003) a comparé les
réponses d’étudiants japonais et américains à une série de questions concernant leur
perception de deux groupes de tailles différentes : leur nation et un petit groupe
d’appartenance. Les mesures comprenaient, d’une part, des mesures du degré
d’interconnexion entre les membres du groupe, c’est-à-dire leur connaissance concernant
les relations entre les membres du groupe et, de l’autre, des mesures concernant la
perception du groupe en tant que catégorie.
Les résultats ont montré que seules les mesures concernant les relations à l’intérieur du
groupe prédisaient l’identification et la loyauté au groupe chez les Japonais, alors que les
mesures de perception du groupe en tant que catégorie sociale influençaient également les
Américains. Or, on considère généralement que le biais pro-endogroupe, c’est-à-dire la
tendance à valoriser son propre groupe et à dévaloriser les autres groupes, est basé sur la
catégorisation sociale. D’autres études encore ont révélé davantage de biais pro-
endogroupe chez des membres de cultures individualistes que chez les membres de cultures
collectivistes. Les travaux de Yuki suggèrent que les groupes sont vus comme des catégories
sociales homogènes dans les pays individualistes, alors qu’ils sont représentés comme des
réseaux de relations dans les pays collectivistes. Cette observation est à mettre en rapport
avec le passage de la société d’ancien régime, structurée par des liens d’interdépendance
forts, à la société postrévolutionnaire, fondée sur l’égalité des individus, en Occident.
Toutes les recherches n’abondent donc pas dans le sens prévu par Triandis.

2.2.4. Les représentations des normes


La représentation d’une norme comprend trois éléments :
- Les circonstances dans lesquelles une norme s'applique : conditions d’activation de la
norme
- La norme elle-même : état des choses considéré comme désirable
- Les implications comportementales : réponses qu’une personne est censée donner
dans cette situation
Les normes d’expression émotionnelle
Les recherches célèbres de Paul Ekman (1973) ont
montré que les membres de cultures très différentes
reconnaissent les 6 émotions de base. Elles ont aussi
montré que des personnes ayant eu très peu de
contacts avec les cultures occidentales – des membres
d’une tribu isolée de Nouvelle-Guinée – exprimaient
les émotions à travers les mêmes expressions faciales. Cependant, nous y retrouvons des
variations culturelles dans l'expression des émotions. Après tout, nous sommes tous
capables de cacher notre état émotionnel ou de feindre une émotion. On peut donc
s’attendre à observer certaines variations culturelles en fonction des normes qui régissent

68
l’expression émotionnelle dans différentes cultures. Ces normes spécifient quelles
expressions émotionnelles sont appropriées dans une situation donnée.

Certaines cultures encouragent l'expression émotionnelle, alors que d'autres favorisent la


retenue. Prenons pour exemple l’étude d’Ekman (1971) : des participants américains et
japonais regardent un film dérangeant. Dans une condition, ils étaient seuls dans une pièce
alors que dans l’autre, ils étaient assis à côté d’un expérimentateur plus âgé.
Résultats :
- Condition seul : Mêmes expressions de dégoût
- Condition assis avec un expérimentateur plus âgé :
o Américains : expression identique
→ Normes américaines encouragent l'expression ouverte des émotions
o Japonais : masquent l'émotion
→ Normes asiatiques encouragent leur désamplification (Matsumoto &
Juang, 2004)
Les expressions émotionnelles américaines sont généralement plus faciles à interpréter que
les expressions asiatiques. De plus, les inférences que les gens font concernant le ressenti
émotionnel d’une personne à partir de son expression émotionnelle varient également.
Lorsqu’il leur est demandé de juger l’intensité d’une émotion :
- Les Asiatiques estiment les émotions comme plus intenses que les Américains
- Les Asiatiques supposent que la personne a déjà désamplifié l'émotion
- Les Américains supposent que l'émotion a été exagérée
À l’échelle européenne, les habitants des pays méditerranéens amplifieraient leurs émotions
alors que ceux des pays du nord les désamplifieraient.
Les cultures de l’honneur
La notion d'honneur a deux définitions (Nisbett & Cohen, 1996) :
La première définition est commune à la plupart des cultures humaines. L’honneur est
conçu comme une vertu : comportement vertueux, caractère moral, intégrité et
altruisme.
Dans certaines cultures, s’ajoutent la définition en termes de statut. L’honneur est donc
lié à la préséance et la réputation d’une personne (souvent un homme). Il est basé sur la
force et le pouvoir d'imposer sa volonté et d'être traité avec déférence d'un individu
(souvent un mâle).
Ce code peut exister de manière formelle ou informelle. Il serait d’application dans les
pays méditerranéens, Proche Orient et monde arabe, Amérique du Sud, Sud des Etats-
Unis.
Ces auteurs considèrent les cultures de l’honneur comme un script culturel normatif
implicite susceptible de faciliter l’usage de la violence dans des contextes
interpersonnels.

69
Ainsi, les auteurs observent que les Américains d’origine européenne du Sud des USA ont
trois fois plus de chance de commettre un homicide que leurs compatriotes du Nord. De
plus, cela ne concerne que les crimes commis lors de conflits ou de bagarres, mais pas ceux
liés à d’autres situations comme par exemple les vols. D’ailleurs, les lois des USA du sud sont
plus clémentes envers l’usage de la violence dans les cas d’auto-défense, pour répondre à un
affront, ou même pour éduquer les enfants que celles du Nord. En 1996, la peine légale était
légale dans 94% des USA du Sud contre 43% des USA du Nord. Selon les auteurs, cela serait
dû à la mentalité des pionniers de l’Ouest et du Sud des USA : les lois étaient faiblement
imposées et les gens ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour protéger leur bien, leur
famille et leur vie. Il s’agissait alors de montrer aux autres que l’on était capable de, et prêt
à, se défendre. Cela s’est notamment traduit par une grande réactivité par rapport aux
insultes :
- Tolérer une insulte = faire preuve de faiblesse
- Faire usage de la violence ou menacer = faire preuve de force.
➔ Cela perdure malgré le changement de contexte.

Le script culturel de la culture de l'honneur se décline en différentes étapes :


- Un homme reçoit une remarque négative à propos de lui-même ou de sa famille
- Il interprète cette remarque comme une remise en question de son honneur
- Cela le met en colère
- Il fait usage de violence ou menace de le faire de manière à soumettre le coupable et
à restaurer son honneur
- Que cette stratégie rencontre ou non le succès, il se sent fier d'avoir réagi pour
sauvegarder son honneur. Et il considère qu'il était légitime de le faire.
Une série d’expérience de Cohen, Nisbett, Bowdle, & Schwarz
(1996) a mis en évidence des différences de réactions entre des
Américains originaires du Nord ou du Sud. Dans la première
expérience, les participants (masculin) se rendaient au
laboratoire, soi-disant pour participer à une étude sur le
jugement humain sous contrainte temporelle. Ils demandaient
au préalable à chaque participant de remplir une fiche
d’identification et d’aller la déposer sur une table se trouvant
au bout du couloir. Sur le trajet de retour, la moitié étaient
gênés, bousculés, et insultés par un comparse. Deux autres
comparses observaient les manifestations émotionnelles du
participant :
- 85% des sudistes manifestaient plus de colère que d’amusement
- 2/3 des nordistes manifestaient plus d’amusement que de colère
D’autres variantes de la même expérience montrèrent que les taux de cortisol et de
testostérone augmentaient davantage chez les sudistes que chez les nordistes.

70
 Ces études ont également montré que les sudistes tendaient à penser que l’insulte
diminuait leur statut aux yeux des témoins. Ils avaient également tendance à
exprimer ensuite davantage de comportement dominant susceptibles de réaffirmer
leur masculinité.
Cultures de l’honneur et violences contre les femmes
Les cultures définissent des rôles complémentaires pour les hommes et les femmes :
- Homme : force et préséance
- Femme : faire preuve de modestie, éviter tout comportement susceptible de
compromettre l’honneur de la famille, d’amener la honte sur la communauté
Cela se manifesterait selon Vandello et Cohen (2003) chez les hommes par une
hypersensibilité aux insultes ou à tout ce qui porte atteinte à l'image des hommes… comme
la réputation de leur femme, de leur fille ou de leur sœur : chasteté, pureté, modestie.
« L'honneur d'un homme se trouve entre les jambes de sa femme »
Un homme trompé par sa femme perd son statut d'homme, paraît faible et vulnérable et
porte atteinte à la réputation de sa communauté. Dans ce cadre, la violence contre les
femmes peut être perçue comme nécessaire et adéquate pour préserver l'intégrité de
l'homme et de la famille. Inversement, ne pas réagir au déshonneur par la violence peut être
source de honte.
Les études menées par Vandello & Cohen (2003) sont à cet égard éloquentes. Ces
chercheurs ont procédé à des comparaisons entre culture Nord-américaine (non-CH) et
cultures de l'honneur (CH : latino-américains, Brésiliens, Sud des USA) :

• Étude 1 : Infidélité de la femme (connue)


Le mari apprend par ses voisins que sa femme entretient une relation amoureuse avec un
autre homme.
→ À l’infidélité de l’épouse s’ajoute le déshonneur public.
Après cette présentation de la situation, les chercheurs demandaient aux participants de
faire part de leur impression concernant la personnalité du mari et de son épouse.
Résultats :
- Impact plus négatif sur la perception du mari dans CH que dans non-CH
- Impact plus négatif sur la perception de la femme dans non-CH que dans CH

• Étude 2 : Réponse à l'infidélité


Dans cette étude, qui est la deuxième partie de la première, les chercheurs décrivaient
également les réactions du mari face à cette infidélité :
- Crier « Tu dois rompre immédiatement ! »
- Crier et frapper son épouse

71
Résultats :
- Non-CH : mari moins fiable ; aime moins son épouse
- CH : mari plus masculin, plus fort ; pas moins fiable ; n'aime pas moins son épouse

• Étude 3 : Perception de la violence conjugale


Un couple arrive dans la salle d'attente où se trouve le participant à l'expérience. Les
participants étaient soit nord-américains, soit latino-américains. L’homme et la femme
étaient des collaborateurs des expérimentateurs jouant la comédie. L'homme se fâche car la
femme dit qu'elle compte passer chercher des affaires chez son ex-petit ami. Il crie, la
bouscule et lui arrache des mains les clés de la voiture puis part en claquant la porte.
Ensuite, la femme vient s’asseoir auprès du participant et lui explique :
- Condition Soumission : « C'était mon fiancé. Il est parfois jaloux … c'est sans doute un
peu de ma faute. C'est sa manière de me montrer qu'il tient à moi »
- Condition Révolte : « C'était mon fiancé. Il est parfois jaloux … j'en ai vraiment marre,
tu sais ? Il me rend dingue. Je devrais lui rendre ses clés et aussi sa bague ! »
Après avoir discuté avec la femme, chaque participant remplissait un questionnaire de
perception de la femme.
Résultats :
- Non-CH : femme perçue plus positivement, et plus forte si elle ne tolère pas la
violence
- CH : femme perçue plus positivement ; pas moins forte ; mais plus chaleureuse et
plus sage si elle se soumet
Il n’y avait pas de différences selon le sexe des répondants. Les femmes membres de
cultures de l’honneur semblent donc adhérer à une idéologie qui les désavantage.
En bref, dans les cultures de l'honneur :

- L'infidélité féminine porte atteinte à la réputation de l'homme


- Cette réputation peut être restaurée par l'usage de la violence
- On attend des femmes qu'elles tolèrent cette violence
Différentes moralités
Les valeurs et les normes sont ancrées dans des conceptions de la moralité plus
fondamentales.
« Un homme se rend chaque semaine au supermarché et achète un poulet. Mais avant de le
cuire, il a une relation sexuelle avec ce poulet mort »
Nous pouvons dès lors nous poser quelques questions :
- Est-ce mal ?
- Est-ce universellement mal ?
- Faudrait-il le punir ?

72
- Faudrait-il instaurer des lois pour interdire ce comportement ?

Les systèmes moraux constituent des ensembles indissociables de valeurs, pratiques,


institutions, et mécanismes psychologiques évolués qui participent à la suppression ou à la
régulation de l’égoïsme et rendent ainsi la vie sociale possible (Haidt, 2008)

Shweder et al. (1997) distinguent trois types d’éthique :


- Éthique d’autonomie
- Éthique de communauté
- Éthique de divinité

• Éthique d’autonomie
Elle conçoit la moralité en termes de liberté individuelle et de violations de droits. Un acte
est considéré comme immoral dans la mesure où il fait du mal à une autre personne ou
enfreint ses droits en tant qu’individu.
Ex : le vol est mal parce qu’il prive une personne de son bien.
Cette éthique serait jugée importante dans toutes les cultures. Toutefois, la plupart des
cultures humaines se réfèrent aux deux autres systèmes de moralité, alors que les cultures
occidentales (classes sociales moyennes et supérieures) privilégient presque uniquement
l’éthique d’autonomie.
Le modèle de Kohlberg se baserait exclusivement sur cette éthique.

• Éthique de communauté
Elle est basée sur l’idée que les individus ont des devoirs liés à leurs rôles dans une
communauté ou une hiérarchie sociale. Un comportement est jugé comme immoral lorsque
les devoirs et obligations envers les autres ne sont pas respectés.
Ex : Un fils ne participe pas à la célébration de l’anniversaire de mariage de ses parents parce
qu’il n’en a pas envie.
Une étude de Miller, Bersoff & Harwood (1904) permet de montrer l’importance de cette
éthique en Inde par rapport aux USA.

Un comportement est une obligation morale dans la mesure où les individus ont le
sentiment qu’il s’agit d’une obligation collective qui se doit d’être respectée quel que soit
le contexte, même si aucune loi ou aucun règlement ne les y oblige. Si une loi l’impose,
on parle plutôt de convention. Les gens considèrent qu’une transgression d’une
obligation morale mérite d’être punie.

Par exemple, en Occident, voler est considéré comme la transgression d’une obligation
morale, alors que ne pas assister à la fête d’anniversaire d’un ami est perçu comme une
préférence personnelle. Peu d’Occidentaux considéreraient que ce dernier comportement
mériterait d’être puni.

73
Dans l’étude de Miller & al., les participants étaient mis face à diverses situations dans
lesquelles une personne refusait de venir en aide à une autre. Ces situations variaient en
fonction de deux variables :
- L’importance du besoin de la personne : besoin vital, modéré ou bénin
- Le type de relation entre les deux personnes : enfant de la personne cible, son.sa
meilleur.e ami.e, un.e inconnu.e
Résultats :

- Les réponses des Indiens et des Américains ne diffèrent pas lorsque le besoin est
vital : obligation morale
- Les Américains vont aider leurs enfants dans une situation de besoin modéré :
obligation morale
- Les Américains ne vont pas aider quelqu’un d’autre dans une situation de besoin
modéré
- Les Indiens considèrent toutes les situations comme des obligations morales

• Éthique de divinité
Elle est basée sur le souci de l’ordre « naturel » des choses, tel que défini par une instance
divine ou transcendante. Selon ce système moral, une personne est censée préserver les
normes imposées par une autorité transcendante. Selon la religion, un dieu (ou plusieurs)
aurait créé un monde qu’il faut respecter et préserver. Les actions immorales sont celles qui
font preuve d’un manque de respect pour la divinité ou pour sa création, ce qui inclut les
actions qui entraînent l’impureté ou la dégradation de soi ou des autres.
Ex : Ne pas respecter un interdit alimentaire.
Haidt, Koller, & Dias (1993) présentent des scénarios dans lesquels un comportement
transgresse ce code moral, alors qu’il ne transgresse ni l’éthique d’autonomie, ni l’éthique
de communauté. Exemple : avoir des relations sexuelles avec un poulet mort, manger son
chien mort, etc.
→ La réponse émotionnelle est le dégoût
Est-ce mal, même dans une culture où ce comportement serait rituel ?
- Statut socioéconomique élevé :
o Américains : 23% considèrent que ce comportement est mal dans une culture
dans laquelle ce comportement est rituel
o Brésiliens : 50% considèrent que ce comportement est mal dans une culture
dans laquelle ce comportement est rituel
- Statut socioéconomique modeste :
o Américains : 87% considèrent que ce comportement est mal dans une culture
dans laquelle ce comportement est rituel
o Brésiliens : 87% considèrent que ce comportement est mal dans une culture
dans laquelle ce comportement est rituel

74
Cet homme devrait-il être puni ?
- Statut socioéconomique élevé :
o Américains : 27% jugent que oui
o Brésiliens : 56% jugent que oui
- Statut socioéconomique modeste
o Américains : 80% jugent que oui
o Brésiliens : 83% jugent que oui
L’analyse de ces résultats a également révélé que, parmi les répondants Américains
favorisés, les réponses positives à ces questions étaient liées à la perception que quelqu’un
pourrait pâtir de ce comportement.
→ Éthique d’autonomie
Concernant les Américains défavorisés, cela les gênerait d’être témoins.
→ Éthique de divinité
Il convient donc de porter attention aux systèmes moraux à partir desquels les gens
formulent leurs jugements moraux. En effet, ces différences peuvent donner lieu à des
incompréhensions profondes entre membres et cultures différentes. Il est en effet difficile
de s’imaginer ce que peut ressentir une personne face à un comportement qui peut nous
sembler anodin, alors qu’il transgresse profondément sa conception de la moralité.
Heine (2008) interprète de cette manière les manifestations de mécontentement dans le
monde musulman suite à la parution des caricatures du prophète Mahomet dans un journal
danois en 2006. L’incompréhension entre Occidentaux (laïcs ou chrétiens) et musulmans
serait due au fait que les premiers ont interprété cette problématique à travers l’éthique
d’autonomie sur laquelle est fondée le principe de liberté d’expression, alors que les seconds
appliquaient l’éthique de divinité et y voyaient une grave profanation.

75
Chapitre 4 : La psychologie des contacts interculturels
Partie Laurent Licata

1. L’acculturation
Exemple : “Mémoires d’immigrés” de Yamina Benguigui :
http://www.youtube.com/watch?v=mXbmjmO5rX8. Cela parle de l’immigration et de la
confrontation à de nouvelles pratiques culturelles
L’acculturation signifie le mouvement vers une culture.
« L’acculturation est l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu
entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des changements
subséquents dans les types de cultures originaux de l’un ou des deux groupes » (Social
Science Research Council, 1936)
Plusieurs éléments sont à retenir de cette deuxième définition :
- L’acculturation consiste à une influence externe au groupe, contrairement à la
socialisation et l’enculturation qui ont une influence interne
- L’acculturation ne peut avoir lieu qui si deux conditions sont remplies : les contacts
entre les groupes culturels doivent être directs et durables
Les auteurs du mémorandum établissent une classification des contacts interculturels sur
base des critères suivants (Cuche, 2004) :
- Contacts entre des groupes entiers, entre populations entières ou entre des groupes
particuliers d’une autre population (colons, immigrants, …)
- Contacts amicaux/hostiles
- Contacts entre groupes de tailles égales ou différentes
- Contacts entre groupes de culture de même niveau de complexité ou non
- Contacts résultant de la colonisation ou de l’immigration
En outre, selon Bastide (1970), la nature des contacts (libres, forcés ou planifiés), le degré
d’homogénéité, la plus ou moins grande ouverture des groupes concernés, ainsi que leurs
rapports de pouvoir sont déterminants dans la forme que prendra l’acculturation.
Baré (1992) souligne que les études d’acculturation tendent implicitement à déchiffrer le
changement culturel du point de vue d’un seul des univers en présence, culture ‘source’ ou
culture ‘cible’. La deuxième définition a été remise en question notamment par Malinowski
et Ortiz qui ont insisté sur la complexité du processus d’acculturation. Selon eux, s’il s’agit
bien d’influences culturelles externes aux groupes culturels, les groupes acculturés ne sont
pas pour autant passifs : ils ont leur propre logique culturelle et les transformations
culturelles se feront plus facilement si elles prennent sens pour la culture du groupe
concerné.
Que font les gens confrontés à une autre culture ?

76
1.1. Les modèles d’acculturation
Plusieurs modèles ont été élaborés. Ils peuvent être regroupés en deux catégories :

Les modèles unidimensionnels Les modèles bidimensionnels ou


orthogonaux
Ils impliquent, comme leur nom l’indique, Ces modèles impliqueraient de considérer
que les individus ne peuvent exprimer le maintien de la culture d’origine et le désir
valeurs et pratiques que sur une dimension de s’adapter à la culture d’accueil comme
culturelle à la fois. deux dimensions indépendantes. Dans un
En situation d’acculturation, les individus tel plan à deux dimensions, il est possible
passeraient alors d’une culture X à une de concevoir qu’une forte motivation à
culture Y sans pouvoir pratiquer les deux maintenir sa culture d’origine puisse
simultanément. De plus, selon ces modèles, coexister, par exemple chez une personne
cette transition culturelle se ferait issue de l’immigration, avec un fort désir de
uniquement dans le sens de la culture s’adapter à la culture dominante du pays
minoritaire traditionnelle vers la culture de d’installation.
la société majoritaire.
Certains modèles unidimensionnels
impliquent l’idée que les individus
pourraient être situés.
→ Ils pourraient donc se trouver au centre
d’un continuum.

1.1.1. Le modèle d’acculturation psychologie de Berry


Berry conceptualise l’acculturation comme un
processus double, impliquant un changement
tant au niveau culturel/groupal qu’au niveau
psychologique/individuel, résultant des contacts
entre deux ou plusieurs groupes culturels. Le
niveau culturel comprend les caractéristiques
des cultures en présence, la nature des contacts
en interactions entre ces deux cultures et les
changements qui s’y produisent. Ces
caractéristiques influencent les modalités
d’acculturation psychologique qu’adoptent les individus membres de ces groupes culturels.
Enfin, les stratégies d’acculturation influencent à leur tour les modalités et la qualité de
l’adaptation – psychologique et socioculturelle – des individus au nouveau cadre culturel.
Le niveau culturel/groupal
Ce niveau peut être décortiqué en 3 sous-niveaux :
- Présence de 2 groupes culturels (A et B) ayant leurs propres caractéristiques
- Ces deux groupes peuvent entrer en contact
- Cela va engendrer des changements culturels

77
En pratique, cependant, le groupe dominant (A) possède souvent une influence plus forte et
les transformations culturelles touchent davantage le groupe non dominant (B). Ces
changements peuvent être de plusieurs types :
- Physiques (nouveau milieu, nouvel habitat, urbanisation, pollution, …)
- Biologiques (nouvelle alimentation, nouvelles maladies, métissage, …)
- Économiques (emploi salarié, …)
- Culturels (langue, religion, éducation, …)
- Sociaux (nouvelles relations interindividuelles et intergroupales, …)
Pour comprendre la nature des contacts entre les groupes culturels et les changements qui
en résultent, il est nécessaire d'étudier cette accumulation. Ainsi, d'une part, l'analyse du
contexte d'origine (sur le plan économique, politique, démographique et culturel) permet de
connaître les motivations qui ont poussé ces personnes à immigrer. D'autre part, l'analyse
du contexte d'installation sur le plan historique nous informe quant aux politiques
d'intégration choisies par les pays d'accueil. Par exemple, si la tradition d'immigration du
Canada a donné lieu à des politiques axées sur le multiculturalisme, la France, malgré qu'elle
soit également un pays d'immigration, s'est plutôt inscrite dans une perspective
assimilationniste et à opter pour des politiques universalistes. L’examen de l'histoire de ces
sociétés permet de comprendre ces différences.
Or, les attitudes du groupe dominant jouent un rôle important dans ce processus
d'acculturation. En effet, elles peuvent favoriser certains modes d'acculturation et en inhiber
d'autres. Hé ainsi, par exemple. Dans un contexte idéologique et multiculturel, les stratégies
d'intégration seront les plus valorisées par les par la société d'accueil. Des sociétés
construites sur d'autres modèles idéologiques pourront par contre chercher à supprimer les
différences culturelles, ou du moins les cantonner au domaine privé et prôner alors des
stratégies d'assimilation à la culture du pays d'accueil.
Ce niveau culturel groupal nous informe enfin sur le type de groupe qui entre en contact. En
effet, les groupes sont caractérisés par leur niveau de mobilité et le degré de volonté avec
lequel ils entrent en contact. Il est possible de se représenter les liens entre ces
caractéristiques de la manière suivante :
Mobilité Volonté
Volontaire Involontaire
Sédentaire Groupes Peuples indigènes
ethnoculturels
Migrant
Permanent Immigrés Réfugiés
Temporaire Expatriés Demandeurs d’asile

Par exemple, les peuples colonisés sont des groupes culturels en contact culturel
involontaire et sédentaire. Les groupes ethnoculturels cohabitent sur un même territoire
depuis très longtemps, voire depuis toujours. En Belgique, ce serait le cas des Flamands et
des Wallons. Le contact entre les membres du groupe ethnoculturel se fait souvent sur base

78
volontaires dans la mesure où il vit sur des territoires distincts. Cette assertion doit bien
entendu être nuancée en fonction des situations particulières.

Parmi les migrants, Berry distingue les migrants permanents des migrants temporaires. Les
immigrés sont considérés comme des migrants permanents, c'est-à-dire des personnes qui
ont changé de contexte culturel, avec en perspective l'idée de s'installer durablement dans
un autre pays. Le migrant temporaire volontaires sont les expatriés, ceux qui changent de
pays pour une durée courte.
Ex : les fonctionnaires européens, les étudiants en Erasmus, etc.
Parmi les migrants involontaires, on trouve les réfugiés (permanent car ayant obtenu le
statut de réfugié, ils peuvent rester durablement sur le territoire), les demandeurs d'asile et
les immigrés illégaux. Le statut de ces 2 derniers groupes est tellement incertain qu'il est
réaliste de les classer parmi les migrants involontaires temporaires.
D'après John Berry, malgré sa diversité de situation, les processus psychologiques sont
essentiellement les mêmes. Ils considèrent qu'une approche universaliste des processus
d'acculturation se justifie.
Le niveau individuel

L'acculturation groupale va d’abords susciter un processus d'acculturation psychologique


chez l'individu qui lui influencera ensuite la qualité d’adaptation de cet individu.
Berry (1980) détermine quatre «
stratégies d'acculturation »
fondamentales. Elles sont
constituées de deux composantes :
les attitudes et les comportements.
Alors que les premières se réfèrent
aux préférences et choix des
individus concernant les modalités
d'acculturation, les seconds
peuvent être le résultat des
contraintes imposées par la société d'accueil. En effet, il n'est pas rare que les personnes en
situation d'acculturation ne soient pas totalement libres d'exprimer leurs préférences en
termes de stratégies d'acculturation.
- Doit-on valoriser le maintien de sa culture d’origine ?
- Doit-on valoriser le contact avec le groupe culturel dominant ?

• Intégration
Les membres de groupes culturels minoritaires souhaitent garder des contacts avec leur
culture d'origine tout en entretenant des contacts avec la culture d'accueil. Selon Berry,
pour que cela soit possible, les groupes non dominants doivent accepter les valeurs de base
de la société et les groupes dominants doivent être prêts à adapter les institutions.

79
• Assimilation
Les membres de groupes ne valorisent que le contact avec les membres de la culture
d'accueil et souhaitent adopter leur modèle culturel. Aux États-Unis, on évoque la
métaphore du « melting pot » (pot-au-feu) pour désigner l'attente, de la part du groupe
culturel dominant, que les différentes vagues d'immigration se fondent progressivement
dans le modèle américain. Cela peut se faire sur base volontaire. Si ce n'est pas le cas,
lorsque l'assimilation se fait sous la pression de la culture dominante, on évoque plutôt la
métaphore du « pressure cooker » (casserole à pression).

• Séparation
Dans le cas où c’est volontaire de la part du groupe non dominant : celui-ci tend à
s’organiser en communauté relativement fermée, dans le but de maintenir et valoriser la
culture d'origine. Si la volonté de favoriser cette stratégie d'acculturation est imposée par le
groupe dominant, on parle alors de « ségrégation » : les minoritaires ont le droit de
maintenir leur héritage culturel, mais l'accès à la culture du groupe dominant leur est barré.

• Marginalisation
Ces personnes rompent le contact avec les deux groupes. Selon Berry, cette stratégie
d'acculturation trouve moins son origine dans une volonté des minoritaires que dans une
combinaison d'injonctions à l'assimilation (pressure cooker) et de politiques
ségrégationnistes de la part du groupe majoritaire : les minoritaires sont invités à
abandonner leur culture d'origine au profit de la culture dominante, mais l'accès à ce groupe
culturel leur reste concrètement barré. Ils se retrouvent déliés de toute appartenance.
Il est important de remarquer que l'intégration et la séparation sont des stratégies
collectives alors que l'assimilation et la marginalisation sont des stratégies individuelles : le
maintien de la culture d'origine nécessite la participation de la communauté minoritaire,
alors que l'adoption du cadre culturel dominant peut se faire de manière individuelle.
1.2. Adaptation

Elle correspond au bien être, à l'estime de soi et implique que le migrant possède une
idée claire de son identité personnelle et culturelle. Selon ces auteurs, adaptation
psychologique et adaptation socioculturelle seraient interdépendantes mais une enquête
réalisée en Nouvelle-Zélande a montré qu'alors que l'adaptation psychologique est très
variable au cours du temps, l'adaptation socioculturelle augmente elle de manière
constante (Searle & Ward, 1990).

Il semble que les variables relatives à la personnalité – lieu de contrôle, extraversion, anxiété
et Big Five (cinq dimensions de base de la personnalité) – et à l'attachement (Van
Oudenhoven & Hofstra, 2006) ont un impact sur l'expérience d'adaptation psychologique. Le
soutien social – en termes de qualité et de quantité – est quant à lui associé au niveau
d'adaptation socioculturel.

80
Facteurs d’adaptation
Les processus d'acculturation peuvent être stressants, voire pathogènes. Dans ce cas, Berry
et Kim (1988) parlent de stress d'acculturation.

Le stress d'acculturation est un concept qui se rapporte à un stress particulier, celui dont
la source provient du processus d’acculturation ; de plus, on retrouve un ensemble de
comportements particuliers associés au stress et qui découlent du processus
d'acculturation, tels un état de santé mentale précaire (spécialement la confusion,
l'anxiété et la dépression), le sentiment d'être marginal et aliéné, un taux élevé de
symptômes psychosomatiques, et des troubles de l'identité

Néanmoins, d'après Berry, la plupart des individus parviennent à gérer ce stress sans
développer de pathologies mentales ou somatiques et parviennent à réaliser des
adaptations positives.

Facteurs existant avant l’acculturation

• Âge
Plus il est jeune, plus l'enfant intériorisera facilement des codes nouveaux, des références
culturelles nouvelles. Plus tard, il sera beaucoup moins simple d'en changer. Cependant,
comme chez tous les adolescents, des tensions peuvent naître suite aux divergences perçues
entre les exigences du milieu familial et celles du groupe de pairs. En situation migratoire, la
tension peut se cristalliser sur des enjeux de maintien (souvent préconisé par les parents) ou
de changement (souvent recherché par les pairs) culturel. De même, les attentes familiales
entrent parfois en conflit avec celles du milieu scolaire (A. Heine et al., 2008)

• Sexe
D’après Berry, les femmes éprouvent souvent plus de difficultés à s'adapter à s situation
d'acculturation. Cela serait souvent dû au fait qu'il existe des différences portantes entre les

81
deux cultures quant aux conceptions des rôles de genre. Les cultures dont sont issus les
migrants sont généralement plus « traditionnelles » que les cultures occidentales qui les
accueillent. Les femmes immigrées ou issues de l'immigration peuvent ressentir des
difficultés à se positionner par rapport aux injonctions contradictoires de leur culture
d'origine et de la société d'accueil. Les hommes, eux, peuvent éprouver des difficultés face à
la perte de statut social qu'entraîne généralement l'immigration.

• Éducation
Plus le niveau de scolarisation avant la migration est élevé, plus l'adaptation est facilitée.
D'après Berry, la scolarisation représenterait une sorte de pré acculturation

• Statut
Dans la plupart des cas, l'immigration s'accompagne d'une perte de statut. Or, cette perte
entre souvent en dissonance avec le projet migratoire. Lorsqu'il est motivé par des
considérations économiques, il s'agit d'un projet de promotion sociale. Or, les immigrés
occupent une position sociale très basse dans la société d'accueil. Même les personnes
possédant un diplôme universitaire rencontrent d'importantes difficultés pour faire
reconnaître leurs compétences.

• Projet migratoire
Il faut distinguer les facteurs Push et les facteurs Pull :
Facteurs Push Facteurs Pull
Ils représentent donc une motivation Ils représentent des motivations proactives
réactive à émigrer (= quitter le pays : l'espoir d'une vie meilleure, la perspective
d’origine) : la pauvreté, un taux de chômage de trouver un emploi, de pouvoir bénéficier
très élevé, la qualité des systèmes éducatifs de meilleures structures éducatives et d'un
ou médicaux du pays d'origine, la système de soins de santé convenable, …
corruption, les persécutions, guerres civiles, Les images de l'Occident, parfois très
conflits ethniques ou religieux, ou les éloignées de la réalité, qui circulent dans les
problèmes climatiques, isolément ou en pays d'origine des personnes qui prennent
interaction, sont des causes fréquentes la décision d'émigrer, en feraient partie
d’émigration, …

D'après Berry, les personnes qui quittent leur pays par motivation réactive ressentent
davantage de problèmes d'adaptation psychologique (migration dans la précipitation,
parfois à la suite d’évènements violents, stress post-traumatique, etc.). Toutefois, d'autres
recherches ont montré que les difficultés ressenties étaient presque aussi importantes en
cas de migration proactive qu'en cas de migration réactive (Berry, 2006b).

• Distance culturelle
Plus les deux cultures sont différentes, plus l'acculturation exige des changements, et plus le
risque de voir apparaitre des difficultés d'adaptation est grand.

82
• Personnalité
Les individus dotés d'un lieu de contrôle interne – ayant le sentiment que leur destin dépend
d’eux – auraient tendance à s'adapter plus facilement que les personnes dont le lieu de
contrôle est externe – ayant le sentiment que leur destin dépend de forces extérieures non
contrôlables. Cela n'est guère surprenant si l'on tient compte du fait que l'internalité est
fortement valorisée en Occident (Dubois, 1994). De même, les personnes extraverties
s'adapteraient mieux que les personnes introverties
Les facteurs intervenant en cours d’acculturation

• Phase
La qualité de l'adaptation varie avec le temps. Certains auteurs décrivent une courbe en U
inversé : les migrants ressentent peu de difficultés d'adaptation au début du processus
d’acculturation ; les difficultés apparaissent plus tard ; ensuite, les migrants font face à ces
problèmes et retrouvent un bon niveau d'adaptation. Il n'existe cependant pas de consensus
entre les chercheurs à propos de cette courbe.

• Stratégies d’acculturation
Berry propose qu'adopter une orientation d'intégration mène à une meilleure adaptation
que l'orientation de l'assimilation, qui elle-même est plus favorable qu'une stratégie de
séparation. La stratégie de marginalisation, qui implique de renoncer à toute appartenance,
serait la solution la moins favorable à une bonne adaptation. De nombreuses recherches
tendent à corroborer ces propositions.
Selon Mokounkolo et Pasquier (2008), les pratiques sociales déployées par les migrants
pour s'adapter à la nouvelle société vont avoir un effet sur des caractéristiques
psychologiques telles que la satisfaction de vie, l'identité culturelle, l'estime de soi et les
valeurs. Selon les auteurs, l’accompagnement des migrants devrait avant tout viser à
développer les capacités psychosociales par le biais d'interactions sociales concrètes et
d'apprentissages en situations réelles (Mokounkolo & Pasquier, 2008)

• Soutien social
Certaines recherches montrent qu'entretenir des liens avec d'autres membres de la culture
d'origine tend à minimiser le stress acculturatif et à favoriser l'adaptation. De même,
l’entretient des liens avec des autochtones (membres de la société d'accueil) tend
également à minimiser ce stress. D'autres encore démontrent qu'entretenir des relations
avec des membres de deux cultures maximise l'adaptation.

• Préjugés et discrimination
De nombreuses recherches montrent clairement que le fait de faire l'objet de préjugés et de
subir la discrimination entrave sérieusement l'adaptation allant jusqu'à affecter la santé
mentale des migrants.

83
1.3. Limites du modèle de Berry
Premièrement, ces modèles envisagent uniquement l'interaction entre deux cultures (des
sociétés d'origine et d'installation) et ne prennent pas en compte l'existence des sous-
cultures de ces sociétés. Deuxièmement, ces modèles ont pour cible principale les immigrés
et non les habitants du pays d'accueil. En outre, et cette critique concerne plus
spécifiquement les modèles bidimensionnels (Rudmin, 2003; Rudmin & Ahmadzadeh, 2001).
L’existence de certains modes d'acculturation tels que l'intégration ou la marginalisation est
interrogée. Ainsi, le concept d'intégration suppose la coexistence de valeurs de la société
d'accueil et de la société d'origine, ce qui paraît impossible pour des valeurs qui, telles les
valeurs religieuses, requièrent l'exclusivité.
Berry insiste bien sur l'influence de la société d'accueil sur les stratégies d'acculturation des
groupes migrants (ou culturellement minoritaires), mais il n'envisage pas systématiquement
l'acculturation du groupe culturel dominant.
Par ailleurs, comme le rappelle Sabatier (2001), ce modèle est ancré dans la réalité
canadienne. Depuis 1971, ce pays a officiellement adopté une politique multiculturaliste. Ce
contexte politique influence très certainement la manière dont les auteurs conceptualisent
puis étudient empiriquement la question des contacts entre groupes culturels. Il est donc
nécessaire de recontextualiser la notion d'acculturation et d'envisager les orientations qui en
découlent au regard du pays concerné. Ainsi, Personnaz, Bourhis, Barrette et Personnaz
(2001) ont fait cet effort de contextualisation et ajouter une nouvelle orientation
d'acculturation aux quatre orientations proposées par Berry afin de tenir compte de la vision
individualisante de la France. Il s'agit de l'orientation individualiste qui « met l'emphase sur
l'individu comme un être libre de ses choix plutôt que celui de l'appartenance à « une
catégorie sociale » (Sabatier, 2001 p. 5). Ainsi, dans un contexte prônant l'individualisme, le
fait de valoriser le détachement, tant du groupe culturel d'origine que du groupe culturel
dominant, constituerait une stratégie adaptée et ne mènerait pas forcément à la
marginalisation.
En outre, Lasry et Sayegh (1992) se sont montrés sceptiques quant à la réelle orthogonalité
du modèle. Étant donné que les deux dimensions du modèle de Berry traitent, toutes deux,
d'attitudes face à l'identité culturelle et face aux comportements l'indépendance entre ces
dimensions ne serait pas clairement identifiable et n'a selon ces auteurs pas encore été
démontrée. Oetting, Swaim et Chiarella (1998) et Ryder Alden, & Paulhus (2000) ont quant
à eux discuté le fait que la typologie de Berry renvoie à quatre stratégies d'acculturation
mutuellement exclusives. Pour d'autres, il semble que cela tienne davantage à la
schématisation du modèle qui propose quatre réponses sous forme dichotomique (oui/non)
aux questions d'identification culturelle qu'à une réelle volonté de catégorisation des
individus (Bourque & Larose, 2006).
Enfin, il faut préciser que le modèle de Berry opérationnalise d'une certaine manière les
stratégies d'acculturation, mais il existe d'autres modèles référant à d'autres concepts pour
rendre compte de la situation d'acculturation. Liebkind (2001) distingue trois modèles
d'acculturation :

84
- Celui de Berry analyse les contacts des individus avec soit la culture d'origine soit
avec la culture d'accueil
- Celui de Bourhis, Moïse, Perreault et Senécal (1997) remplace l'idée de contact et de
participation à la culture d'origine et/ou d'accueil par l'idée de l'adoption de la
culture d'origine et/ou d'accueil
- Celui de Hutnik (1986, 1991) est basé sur un modèle à deux dimensions de
l'identification
Il est important de distinguer les modèles basés sur l'identification de ceux basés sur
l'acculturation parce que ces conceptions de l'acculturation sont faiblement corrélées
(Snauwaert, Soenens, Vanbeselaere, & Boen, 2003). Malgré ces critiques, le modèle des
stratégies d'acculturation et de l'adaptation psychologique et socioculturelle reste une
référence incontournable dans ce champ d'études.
Il insiste sur l’influence de la société d’accueil sur les stratégies d’acculturation des groupes
migrants (ou culturellement minoritaires), mais il n’envisage pas l’acculturation du groupe
culturel dominant

Complément : Notes de Téo ↓


1.4. Le modèle d’acculturation interactif
Bourhis et al (1997) proposent un modèle en réponse à des limites au modèle de Berry. En effet, Berry
insiste sur la société d’accueil mais n’envisage pas l’acculturation du groupe dominant. Bourhis propose
alors de s’intéresser aux conséquences relationnelles entre les groupes, Ces conséquences dépendent :
• De politiques d’immigration
• De politiques d’intégration qui découlent des politiques d’immigration
• De l’orientation d’acculturation de la communauté migrante
• De l’orientation d’acculturation des communautés d’accueil

Ainsi, selon les orientations d’acculturation des deux communautés, les conséquences pourront être
harmonieuses, problématiques ou conflictuelles au cas par cas. Si les migrants veulent s’intégrer dans un
pays voulant l’exclusion, cela causera problème.

1.5. Idéologies inspirant les politiques d’intégration


Diverses idéologies peuvent exister à un niveau politique, définissant les possibilités d’intégration des
immigrés.

L’idéologie pluraliste ou multiculturelle – il est attendu des personnes migrantes qu’elles adoptent les
valeurs publiques de la société d’installation. L’État n’a cependant aucune prérogative concernant les
valeurs privées ; ils peuvent faire ce qu’ils veulent, en ce compris la langue, la culture, la religion… L’État
fournira même des aides à ces individus.
Le Canada serait l’exemple le plus abouti d’une telle politique.

L’idéologie civique – il est attendu des personnes migrantes qu’elles adoptent les valeurs publiques, mais
l’état n’intervient pas dans le domaine privé ; les minorités ont le droit de promouvoir leur spécificités
culturelles mais l’État n’aide pas et ne subside pas.
Les Royaumes-Unis répondaient à cette description.
85
L’idéologie assimilationniste – il est attendu des personnes migrantes qu’elles adoptent les valeurs
publiques, et le domaine privé est respecté avec une intervention partielle de pression sur les
minorités ; par exemple, il sera attendu des personnes immigrées qu’elles abandonnent leur spécificités
linguistiques et culturelles de façon naturelle ou imposé par l’état.
Les USA correspondaient à cela jusqu’à la moitié du 20e.

L’idéologie ethniste – les immigrés doivent adopter les valeurs publiques et l’Etat intervient parfois pour
limiter l’expression de leurs spécificités. Les migrants doivent abandonner leur culture d’origine au profit
de celle de la majorité pour s’intégrer, et l’intégration est parfois refusée. En effet, l’appartenance à la
communauté majoritaire se base sur des critères divers (ethniques, religieux, de citoyenneté…) qui ne
sont donc pas ouverts aux populations immigrantes.
C’était le cas en Allemagne (mais ça a évolué), et c’est le cas au Japon et en Israël.

Le modèle définit les orientations comme combinant attitudes, croyances et comportements qui guident
les individus. Selon Bourhis, les membres de la communauté d’accueil peuvent également endosser
certaines orientations qui sont pratiquement les mêmes que ce que la communauté immigrante peut
faire :
• Intégrationnisme : accepter et valoriser qu’un immigrant maintienne sa culture et adopte certains
éléments de la culture d’accueil
• Intégration-transformation : être ouvert à transformer certains aspects de la culture d’accueil
pour accueillir les immigrants
• Individualisme : se définir et définir les autres comme individus plutôt que membres de groupes ;
chacun se débrouille
• Assimilationnisme : s’attendre à ce qu’un immigrant renonce à sa culture d’origine pour adopter la
culture d’accueil
• Ségrégationnisme : tolérer les immigrants seulement s’ils ne se mélangent pas à la culture
d’accueil ; ils peuvent garder leur culture tant qu’ils sont dans leur coin
• Exclusionnisme : s’opposer à ce que les immigrants conservent leur culture d’origine, et refuser
qu’ils adoptent celle de la communauté d’accueil

86
Chapitre 5 : Conclusion – Relativisme et universalisme culturels
Partie Laurent Licata

Des différences psychologiques entre personnes ayant été socialisées dans différents
contextes culturels ont été observées à différents niveaux : valeurs, cognition, émotions,
bases de la moralité, etc. Il est important de pouvoir les reconnaître et les interpréter
correctement afin d'adapter les pratiques professionnelles et, de ce fait, en améliorer
l'efficacité.
Toutefois, une concentration excessive sur les différences culturelles peut également
aveugler (surestimation de l'influence de la culture). Ainsi, les stratégies d'acculturation
d'adaptation et les stratégies identitaires sont relativement indépendants des différences
culturelles ; elles sont le produit d'une situation sociale particulière : elles peuvent se
présenter de diverses manières en fonction d'un grand nombre de facteurs (politiques
d'intégration, attitudes réciproques des uns envers les autres, situation socio-économique,
etc.). Seule une partie restreinte de cette situation est déterminée par la nature des cultures
en présence. Il convient donc de veiller à ne pas amalgamer les effets d'une situation sociale
avec les effets d'une différence culturelle. Pour ne citer qu'un exemple, interpréter le repli
communautaire de certaines communautés issues de l'immigration vivant dans les pays
d'Europe occidentale comme la manifestation d'un collectivisme culturel serait
extrêmement réducteur. En effet, les recherches concernant la réaction face à la
discrimination nous ont montré que, quelle que soit sa culture, faire face à la non-
reconnaissance sociale ou à la discrimination pouvait mener n'importe quel groupe social à
se replier sur lui-même. Il ne faut pas confondre les effets d'une dynamique sociale avec ses
causes.
Une connaissance approfondie et nuancée des liens entre culture et psychologie est donc
certainement un atout pour les professionnels concernés. Pourtant, certaines situations de
rencontre interculturelle peuvent susciter le malaise chez les professionnels qui les
rencontrent. Comment respecter la diversité culturelle tout en restant fidèles à nos propres
valeurs ?
À première vue, la réponse universaliste consisterait à répondre que nos valeurs, étant
universelles, sont valables et applicables quelle que soit la situation. Au contraire, la réponse
relativiste pourrait consister à répondre que, les valeurs étant relatives à chaque cadre
culturel, il n'est pas légitime de mobiliser nos valeurs lorsque nous avons affaire à des
membres d'autres groupes culturels. Cependant, cette manière de concevoir l'universalisme
et le relativisme est probablement erronée. Afin de pouvoir répondre à cette question, il est
nécessaire d'examiner plus précisément ce que le relativisme et l'universalisme signifient
réellement, et quelles sont leurs implications.

87
1. Universalisme et relativisme culturel
On se réfère tantôt au relativisme culturel comme à une norme : il ne faut pas juger les
autres à partir de nos propres cadres de référence ; tantôt comme à un danger. Ainsi, au
lendemain du 11 septembre 2001, le journaliste italien Panebianco écrivait : « Comme la
guerre contre le terrorisme durera des années, nous aurons besoin de nous équiper pour
neutraliser (...) le principal allié de Ben Laden et de ses associés en Occident, leur plus
précieuse "cinquième colonne" : le relativisme culturel » (cité par Rivera, 2005). Mais que
signifie au juste le relativisme culturel ? Et qu'est-ce que cela implique réellement
concernant notre rapport à nos propres valeurs et notre rapport aux membres d'autres
cultures ?
L'anthropologue Dan Sperber (1993) propose de distinguer deux types de relativisme – le
relativisme métaphysique et le relativisme anthropologique – et deux domaines – le
relativisme cognitif et le relativisme moral. Le domaine cognitif concerne les connaissances,
les représentations de la réalité partagées au sein des cultures, alors que le domaine moral
concerne les conceptions du bien et du mal. La métaphysique s'interroge sur ce qui est vrai
ou faux, bien ou mal, dans
l'absolu. Elle recherche avant tout
la vérité. L'anthropologie, comme
la psychologie interculturelle et les
autres sciences humaines, n'a pas
du tout le même objectif. Sa
vocation est l'étude scientifique
des représentations cognitives et
des valeurs morales partagées par
les membres de groupes culturels.
Elle cherche donc à connaître et à
comprendre les représentations
partagées par les membres de
différentes cultures, ainsi que
leurs conceptions du bien et du mal, et pas à apporter une réponse dans un débat
métaphysique.
Les positions métaphysiques sont logiquement indépendantes des positions
anthropologiques : on peut par exemple penser qu'il n'existe qu'une seule version du « bien
» au sens métaphysique – sans pour autant nier que les conceptions du bien varient entre
les cultures humaines – au sens anthropologique. À l'inverse, on pourrait croire que tous les
êtres humains partagent la même conception du bien, alors qu'en vérité il existe plusieurs «
biens » incompatibles entre eux. Cette thèse se rencontre moins souvent, mais elle est
logiquement possible. Adhérer à une thèse cognitive anthropologique relativiste n'implique
en rien que l'on adhère également à une thèse cognitive métaphysique relativiste.
Sperber attire notre attention sur deux sophismes, deux méprises, qu'il convient d'éviter si
l'on cherche à adopter une position réaliste. Le premier serait de considérer que les
conceptions du bien et du mal divergent radicalement entre les cultures et d'en déduire qu'il

88
existe une pluralité de biens incompatibles. S'il ressort bien des études en anthropologie et
en psychologie interculturelle que les représentations cognitives divergent fortement entre
cultures, les conclusions sont beaucoup plus nuancées concernant les conceptions morales.
Certains pensent même que, au-delà de différences de surface, certaines normes morales
seraient fortement partagées à travers les cultures, voire universelles, car elles seraient liées
à des mécanismes mentaux d'origine biologique (Krebs & Janicki, 2004 ; Workman & Reader,
2007).
Cependant, l'état des recherches ne nous permet tout de même pas de tenir le
raisonnement suivant – l'autre sophisme –, qui consiste au contraire à considérer que, au-
delà des apparences, les représentations du bien convergent entre toutes les cultures, et en
déduire qu'elles convergent vers un bien objectif et universel. En effet, si les questions
métaphysiques appellent des réponses catégoriques – une proposition est vraie ou elle ne
l'est pas ; une valeur est bonne ou elle ne l'est pas –, les questions anthropologiques ou
psychologiques appellent des réponses nuancées. La question n'est pas de savoir si les
conceptions du bien diffèrent, mais bien à quel point elles diffèrent entre les cultures.
Selon Sperber (1993), « l'opposition entre le relativisme et l'universalisme anthropologique
ne prend un tour catégorique que sous l'influence de considérations métaphysiques, certes
intéressantes en elles mêmes, mais sans pertinence dans ce débat. » Ainsi, il convient
d'examiner avec prudence chaque étape de la chaîne causale qui va de la culture au
comportement, en passant par les conceptions morales.
1.1. Psychologie et doctrines culturelles
Selon Sperber (1993), il importe de ne pas confondre les états mentaux – y compris les
conceptions morales – des membres d'un groupe culturel avec les doctrines culturelles de ce
groupe. Les doctrines culturelles se situent au niveau du groupe (elles sont parfois
rassemblées dans des livres sacrés), et paraissent souvent incompatibles.
Prenons un exemple cognitif (représentation du monde) : le créationnisme adopté par
certains groupes culturels, souvent en lien avec leur religion, s'oppose à la théorie de
l'évolution (darwinisme), considérée comme une base légitime de la connaissance sur
l'origine des espèces par d'autres groupes culturels. Par contre, les états mentaux – l'objet
d'étude de la psychologie – se situent au niveau des individus : ce sont eux qui pensent,
ressentent et agissent. Les doctrines sont l'objet des états mentaux, elles ne les déterminent
pas directement. De plus, ces doctrines sont elles mêmes les produits collectifs des pensées
et sentiments d'individus. De ce fait, on observe généralement que les doctrines d'un groupe
culturel divergent plus entre elles que les états mentaux de leurs membres. Beaucoup de
personnes adhèrent – implicitement ou explicitement – à des croyances créationnistes dans
les cultures où la science est considérée comme la source légitime de la connaissance ; et de
nombreux membres de cultures « créationnistes » reconnaissent – en tout ou en partie – la
validité de la théorie de l'évolution.
De plus, les individus sont capables d'élaborer des stratégies afin de concilier ce qui est
apparemment contradictoire entre différents modèles culturels (Haas, 2006). Par exemple à
une question concernant la diversité des espèces, des élèves tunisiens musulmans avaient

89
répondu : « Il y avait une diversité parce que Dieu a créé une diversité dès l'origine... une
diversité de premier degré. Mais, après, les liens de reproduction ont entrainé l'apparition
d'une diversité de second degré... » (Aroua, Coquide, & Abbes, 2005). Il convient donc de
tenir compte de la créativité dont peuvent faire preuve les personnes afin de composer avec
des doctrines culturelles différentes.
Par ailleurs, comme nous l'avons vu, il existe plusieurs systèmes moraux basés sur différents
principes (autonomie, communauté ou divinité). La référence à ces trois systèmes varie
fortement d'une culture à l'autre (Bègue, 2011). Toutefois, il ne faut pas confondre la
justification d'une norme morale avec la nature de cette norme. Par exemple, l'interdit du
meurtre peut être justifié en fonction du principe d'autonomie - selon lequel il ne faut pas
faire de tort aux autres -, par le principe de divinité - Dieu a interdit l'homicide -, ou par ces
deux principes.
1.2. Morale et comportements
D’après Sperber (1993), les pratiques ne reflètent jamais parfaitement les conceptions
morales des individus. Les influences externes – liées à la situation, aux actes d'autres
personnes, etc. – peuvent avoir énormément d'importance. L'exemple le plus célèbre est
sans doute celui des expériences de Stanley Milgram (1974) sur la soumission à l'autorité.
Dans ces expériences, les gens étaient amenés à poser des actes contredisant fortement
leurs conceptions morales, sous l'influence d'une personne représentant l'autorité.
Dans un autre exemple : lorsque les survivants d'une catastrophe aérienne en viennent à
manger les cadavres des victimes afin de survivre, nous n'en déduisons généralement pas
qu'ils adhèrent à des conceptions morales radicalement différentes des nôtres ; nous tenons
compte de la situation dans laquelle ils se trouvent. Alors pourquoi le ferait-on lorsque des
personnes issues d'autres cultures posent des actes qui heurtent nos conceptions morales ?
Lorsque des membres de la culture majoritaire posent des comportements que nous
réprouvons, nous attribuons cela au délitement des valeurs. Lorsque ces mêmes actes sont
commis par les membres de cultures minoritaires, nous avons plutôt tendance à incriminer
leur adhésion à un système de valeurs différent. Est-il raisonnable de croire que seules les
personnes issues de la culture majoritaire peuvent prendre de la distance à l'égard des
valeurs morales de leur groupe culturel ?
2. Comprendre et agir
Ces distinctions, qui semblent a priori théoriques et abstraites, ont des implications
concrètes sur la manière dont nous pouvons nous positionner dans nos pratiques
professionnelles. En effet, de notre analyse de chaque situation dépendra la manière dont
nous y adapterons nos actions. Ces actions, il ne faut pas l'oublier, impliquent tout autant
notre rapport à nos propres normes et valeurs que notre manière de donner du sens aux
actes des autres. Ainsi, une personne qui confondrait relativisme métaphysique et
relativisme anthropologique pourrait conclure, face à la différence culturelle, que ses
propres valeurs ne doivent plus guider ses actes dès lors qu'elle croit que les bénéficiaires de
ces actes ne partagent pas ses conceptions du bien et du mal. Elle pourrait tout aussi bien

90
considérer que la diversité anthropologique des conceptions du bien remet totalement en
cause ses propres valeurs. Nous avons vu que ces conclusions n'étaient pas légitimes.

De plus, nous avons vite tendance à déduire, à partir de l'observation de différences


interculturelles au niveau cognitif – les représentations du monde – que les conceptions
morales divergent fortement entre cultures, alors que la réalité est souvent bien plus
nuancée. Nous avons tôt fait, aussi, d'interpréter les pratiques que nous observons chez les
membres d'autres cultures comme étant l'expression de leur différence culturelle, oubliant
ainsi que les conceptions morales ne dérivent pas directement de la culture, et que les
pratiques ne reflètent jamais complètement les conceptions morales des gens.
Il semble que l'attitude adéquate consiste moins à abandonner ses propres valeurs morales
qu'à pouvoir trouver le moyen de les traduire en des actes qui tiennent compte de la
différence culturelle entre soi et l'Autre. Car, en fin de compte, la question importante est
moins de savoir si l'on a raison ou si l'on a tort dans un débat métaphysique que d'être
capable d'apporter une aide efficace aux personnes qui en ont besoin. Cela n'est possible ni
en négligeant le facteur culturel, ni en se focalisant uniquement sur les causes culturelles des
comportements problématiques des Autres.
Pour conclure, bien que la rencontre interculturelle soit une occasion de réflexion sur nos
propres valeurs, voire de remise en question, elle n'implique en rien leur abandon. Il n'y a
donc pas de paradoxe à défendre ses propres valeurs tout en prônant le respect des
différences culturelles. L'approche interculturelle consiste à tenir compte des différences
culturelles de manière nuancée afin de mener à bien une action qui reste inspirée par des
valeurs qui, le plus souvent, sont d'ailleurs partagées par les personnes issues d'autres
cadres culturels. Adhérer à ses propres valeurs n'implique pas la non-reconnaissance des
valeurs des autres

91

Vous aimerez peut-être aussi