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Troisième Conférence Annuelle du Réseau Régional de Recherche des

Banques Centrales de la Région MENA

Marchés du Travail et Transformation Structurelle

Mot introductif de Monsieur Abdellatif Jouahri

Wali de Bank Al-Maghrib

Rabat, 14-15 septembre 2023


Monsieur le Ministre,

Monsieur le Vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA,

Eminents chercheurs et professeurs,

Chers amis, chers collègues,

Honorable assistance,

Je voudrais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue à Bank Al-Maghrib et


vous remercier d’avoir accepté notre invitation à cette troisième édition de la
Conférence du Réseau de Recherche des Banques Centrales de la région
MENA.

Notre rencontre d’aujourd’hui est le fruit d’une collaboration fructueuse avec


la Banque mondiale et les Banques centrales membres du Réseau de Recherche.
Je voudrais à cette occasion leur exprimer mes vifs remerciements pour les
efforts et la mobilisation sans relâche qui ont permis la concrétisation de cet
évènement, en particulier, Mme Roberta Gatti, économiste en chef pour la
région MENA au sein de la Banque mondiale, qui a joué un rôle crucial dans la
coordination entre les différentes parties prenantes de cette conférence.

Je voudrais aussi préciser que cette rencontre s’inscrit dans le cadre de « la route
vers Marrakech », une série d’évènements qui ont débuté depuis quelques mois
déjà et qui visent à préparer et à promouvoir les Assemblées Annuelles de la
Banque mondiale et du Fonds Monétaire International qu’abritera notre pays
du 9 au 15 octobre prochain à Marrakech.

Mesdames et Messieurs,

Il est clair qu’il n’est nul besoin de justifier l’importance du thème choisi pour
cette édition. Outre son impact sur le niveau de vie, l’emploi est un facteur

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d’inclusion et de cohésion sociale. Il est au centre des préoccupations de la
politique publique et un baromètre de sa performance.

Pour les banques centrales, l’emploi est une variable clé qui affecte la
consommation et l’investissement et in fine les prix des biens et services. Une
compréhension approfondie des développements sur le marché du travail est
ainsi essentielle pour la conduite de leurs missions en particulier en matière de
politique monétaire.

Au niveau de notre région, la problématique de l’emploi se pose avec davantage


d’acuité. En effet, le chômage atteint globalement un niveau deux fois plus
élevé que la moyenne mondiale, soit 10,4% contre 5,8% en 2022. Il touche
particulièrement les jeunes dont un sur quatre est au chômage et pour la tranche
de 15 à 24 ans, environ le tiers ne sont ni employés, ni scolarisés, ni en
formation. Dans de nombreux pays, ce sont paradoxalement les jeunes
diplômés qui souffrent le plus du chômage, généralement de longue durée. La
région reste aussi confrontée à la faible participation des femmes qui
enregistrent un taux d’activité avoisinant 20%, bien en dessous de la moyenne
mondiale qui est proche de 50%.

Plusieurs de ces constats qui caractérisent notre région sont observés également
dans de nombreux pays émergents et en développement. Dans les économies
avancées, l’emploi constitue aussi un défi, mais souvent de moindre ampleur,
la différence résidant essentiellement au niveau de sa qualité. En effet, dans ces
économies, l’emploi est généralement garant d’une certaine sécurité sociale et
d’un revenu minimum, alors que dans les pays en voie de développement, il ne
permet même pas parfois d’accéder à un niveau de vie décent, de larges franges
de la population active occupant des emplois informels où elles ne bénéficient
pas de protection sociale.

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Mesdames et Messieurs,

Il est clair que l’emploi reste tributaire essentiellement de la dynamique


économique et sa promotion passe donc en premier lieu par des politiques
visant l’investissement et la croissance. Toutefois, la politique publique peut
aussi contribuer sur plusieurs autres volets. Il s’agit en amont de la préparation
des jeunes au marché du travail à travers l’amélioration de la qualité de
l’éducation et de la formation, et plus globalement l’investissement dans le
capital humain. En aval, sa contribution passe par la mise en place de mesures
et d’une réglementation adéquate du marché du travail, facilitant l’embauche,
octroyant des incitations ciblées à l’emploi salarié ou à l’entrepreneuriat,
apportant un soutien direct aux personnes ayant des difficultés d’accès à
l’emploi, …

Toutefois, concevoir et réussir la mise en œuvre de politiques d’emploi efficaces


reste un exercice complexe. Il requiert une compréhension approfondie des
dynamiques du marché et de ses interdépendances avec les différents secteurs
de l’économie.

Cela renvoie naturellement au rôle de la recherche pour éclairer la prise de


décision et sans prendre de risque d’être contredit, je dirais qu’il est
fondamental. Il faudrait à cet égard rappeler que la science économique a réalisé
des avancées majeures dans l’étude du marché du travail notamment dans les
pays avancés. Toutefois, les questionnements restent nombreux, en particulier
dans un contexte comme celui de notre région, et même pour les
problématiques ayant été largement étudiées, les conclusions sont parfois
remises en question par des nouveaux travaux favorisés par la disponibilité
croissante des données et l’amélioration des techniques de modélisation
économique.

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Les développements autour de la courbe de Phillips dont la première version
remonte à 1958 et qui dans sa version la plus populaire représente la relation
entre l’inflation et le chômage, illustrent ce questionnement perpétuel des faits
établis. Au gré des contextes, des périodes, des méthodes et des données,
l’évaluation de sa forme et de sa solidité varie de manière significative. Un autre
résultat publié initialement presque à la même date (1962) sur la relation entre
la croissance et le chômage, connu sous le nom de la loi d'Okun, est sujet
également à des remises en question.

De nombreuses autres problématiques restent à approfondir et plusieurs


travaux de recherche académiques ou dans les institutions spécialisées leur sont
consacrés annuellement. J’évoquerai à titre d’illustration, la productivité du
travail, l’impact de certaines mesures de régulation comme l’institution d’un
salaire minimum ou encore les déterminants du niveau de participation que j’ai
évoquée précédemment. Dans ce cas par exemple, comment expliquer dans le
contexte marocain la faible et décroissante participation des femmes au marché
du travail malgré l’émancipation sur le plan légal et l’amélioration significative
de la scolarisation depuis le début du millénaire ?

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, avec les changements de paradigmes et les transformations


profondes que les chocs successifs des dernières années ont initiées ou
accélérées, l’appréhension de l’évolution des marchés du travail devient de plus
en plus difficile, ce qui rend plus complexe la formulation de la politique
publique.

Il s’agit notamment du changement climatique dont les conséquences directes


et indirectes s’annoncent importantes notamment dans des pays comme le
Maroc où l’agriculture concentre toujours une part importante de la main

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d’œuvre. La montée du protectionnisme et du souverainisme économique
engendre une reconfiguration des chaines de production et en conséquence une
redistribution de l’emploi au niveau international. De plus, la révolution digitale
rehausse certes les exigences en matière d’accès au marché, mais la disparition
massive annoncée de l’emploi ne parait pas se matérialiser et de nombreuses
études mettent en exergue que l’impact final reste en grande partie incertain.
Par ailleurs, l’essor que devait connaitre le travail à distance après la pandémie
ne semble pas se confirmer, certains travaux soulignant la baisse de la
productivité qu’il induit.

A cela s’ajoute le vieillissement démographique dans les pays avancés qui,


conjugué aux autres changements de paradigme précités, les amène à mener des
politiques d’immigration parfois agressives pour attirer les jeunes qualifiés de
tous horizons.

Pour un pays en développement, quelle est la résultante de toutes ces forces qui
sont en train de concourir pour refaçonner les dynamiques sur les marchés du
travail ? Il faudrait avoir l’humilité de reconnaitre que c’est difficile, voire
impossible à anticiper.

Outre ces transformations, la difficulté dans la formulation de la politique


publique se trouve accentuée ces dernières années par la montée des
incertitudes, un constat largement mis en exergue lors de la dernière édition de
la conférence de Jackson Hole. Celles-ci affectent certes davantage les
politiques conjoncturelles comme la politique monétaire, mais elles impactent
aussi le rendement des politiques structurelles au regard du changement que
pourraient connaitre les données et les hypothèses sur lesquelles elles se basent.

Dans de telles conditions, il est clair qu’il ne peut y avoir de recherche avec des
implications concrètes en matière de politique publique sans la disponibilité

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d’une donnée fiable et d’actualité. Alors que dans de nombreux pays avancés,
le besoin en données de base est largement dépassé et la recherche économique
bénéficie de nouvelles sources telles que les big data, de nombreux pays en voie
de développement peinent toujours à produire de manière régulière et fiable les
indicateurs de base du marché.

Aujourd’hui, le choix d’une politique publique « basée sur des preuves » n’est
plus un luxe, mais plutôt une nécessité au regard des attentes en matière de
rendement et des marges en ressources publiques. La Professeur Esther Duflo
nous éclairera davantage sur le sujet au cours de cette conférence.

Je saisis donc cette opportunité pour plaider en faveur de plus d’investissement


dans la production des données, dans l’amélioration de leur qualité et de leur
granularité et surtout d’une plus grande accessibilité à la donnée en particulier
publique.

C’est dans ces conditions que les pouvoirs publics, guidés par les résultats d’une
recherche de qualité, pourraient mieux répondre aux attentes de la population
en matière d’emploi décent en faveur en particulier de notre jeunesse et de nos
femmes.

Mesdames et Messieurs,

Je suis convaincu que par la diversité et la pertinence des thèmes abordés ainsi
que par la qualité des intervenants et des participants, cette conférence
permettrait d’apporter un éclairage supplémentaire en faveur de la politique de
l’emploi.

En souhaitant plein succès à nos travaux, je vous remercie pour votre attention.

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