63 Cist - 2011 11
63 Cist - 2011 11
63 Cist - 2011 11
AUTEURS
Romain LAJARGE
INTRODUCTION
La question territoriale n’est pas qu’une question politique. Parce que le territoire est d’abord la résultante d’un
processus d’activation de territorialités en partie contradictoires, il faut d’abord des dispositifs de stabilisation et
d’organisation (que l’on nommera « territorialisation »). Si la question se pose (par ailleurs) de savoir ce qui fondent
ces territorialités, cette communication se propose de ne traiter que de la question du comment cela se passe.
Comment se construisent intentionnellement de nouvelles territorialités ? Comment s’orchestrent les relations entre
ces nouvelles territorialités et celles qui les précédaient ? Comment se stimulent ces interactions constitutives des
territorialités ? Nous proposons ici de définir le développement territorial comme ce qui permet la construction et la
reconstruction continuelle de ces territorialités.
1. LE PROBLEME DE LA TERRITORIALISATION
Les propositions théoriques de l’analyse des politiques publiques sont nombreuses : « procéduralisation » (Gaudin
(J.-P.), 2004), régulation politique, « horizontalisation » et circulation plutôt que conception linéaire et hiérarchique
(Lascoumes (P.), 1994), l’analyse de réseaux et les « policy networks » (Le Galès (P.), Thatcher (M.), 1995), l’analyse
en terme de gouvernance et la réinterprétation des sciences du gouvernement. Toutes s’accordent à considérer le
problème de la territorialisation plus vaste et plus épineux que ceux, finalement plus techniques, de la
déconcentration ou de la décentralisation. L’enjeu semble bien de saisir les dynamiques infra-étatiques, les pratiques,
les usages et mouvements qui affectent les territoires en tant que sujets sociaux et, en retour, d’analyser les impacts
du pouvoir que les territoires génèrent nécessairement.
La longue discussion sur la distinction entre « territoires institués » et « territoires émergents » est contenue dans le
principe autoréférentiel de la territorialisation : il n’y a de territorialisation que si un minimum de territoires préexiste.
Pour se faire, il faut que quelque chose prenne du sens « territorial » pour ensuite pouvoir être visé par la
transformation souhaitée de l’action publique. D’un côté, du politique ; de l’autre, du social et au milieu un impératif :
relier ! Ce « sens territorial » a donc fait l’objet d’une triple irruption : dans la société, dans les sciences et dans le
politique. Et cette concordance fut presque simultanée (en tout cas situable quelque part entre le milieu des années
70 et le début des années 80). S’il faut encore une dizaine d’années pour aboutir à sa pleine maturation sociale,
pluridisciplinaire et interministérielle, la période de maturation peut dorénavant être considérée comme achevée. Alors
pourquoi préserver aujourd’hui cette méta-hypothèse qu’il existerait une disjonction entre « territoires institués » et
« territoires réels » pour laquelle la science serait chargée de fournir quelque éclairage ? Tout d’abord parce que ce
« sens territorial » après lequel de nombreux laboratoires, équipes de recherches et disciplines scientifiques courent,
est fort pourvoyeur de contrats, de financements, de terrains demandeurs, de commanditaires (Douillet (A.-C.), 2006).
Ensuite, parce que la perméabilité des milieux scientifiques et politiques est telle sur cette thématique que cela
constitue une petite communauté partageant le même souci de mieux comprendre le troisième terme de la triade. En
cela, la recherche de « ce qui fait sens dans les territoires » a permis la constitution d’une certaine pratique
scientifique bien au-delà de la seule doxa de l’aménagement du territoire. De nombreuses disciplines ont été alors
convoqué à « descendre d’un étage », à se rapprocher d’une dimension plus anthropologique de cette question, de
déconstruire les « territoires » comme des objets clairement délimités, de chercher les « territorialités émergentes »,
de s’occuper bien plus des mouvements qu’opèrent les territorialités que des calculs stratégiques que les grands
opérateurs de l’Etat font avec les territoires existants (Lajarge R., 2009). Une partie de la réorientation des politiques
d’aménagement du territoire semble bien se trouver sur ce registre pour lequel les sciences territoriales sont en train
de se renouveler. Et ce mouvement fait naitre de nouveaux enjeux pour l’aménagement du territoire.
Le développement territorial participe donc de la mise en tension entre, d’une part, la mise en valeur de l’existant et,
d’autre part, la mise en oeuvre d’un changement nécessaire. Cette tension permet de modifier notre conception du
développement en lui affublant un adjectif « territorial » et notre conception du territoire en le faisant précéder d’un
substantif « développementaliste ». Il nécessite de faire appel aux notions de spécificité et spécification (Pecqueur
(B.), 2005), aux travaux sur l’écologie industrielle - économie des conventions (Buclet (N.), 2011), sur la dimension
historique de ces constructions en palimpseste de la figure territoriale (Corboz (A.), 2001) mais oblige à effectuer un
retour anthropologique sur le fondement de ce que sont les territorialités humaines, leurs nombreuses significations et
leurs usages en tant que pratique effective des acteurs. Le développement territorial émerge à un moment où la
pensée fonctionnaliste s’essouffle et où le pragmatic turn s’impose dans de nombreuses disciplines.
REFERENCES
Buclet N., 2011, Ecologie industrielle et territoriale : stratégies locales pour un développement durable, Presses
Universitaires du Septentrion, coll. Environnement et société, 310p.
Corboz A., 2001, Le territoire comme palimpseste et autres essais, éd. Les éditions de l’imprimeur, collection
tranches de villes, recueil de textes présenté par Sébastien Marot, 281p.
Davezies L., Talandier M., 2009, « Repenser le développement territorial ? Confrontation des modèles d’analyse et
des tendances observées dans les pays développés », éd. PUCA-Recherche, 143p.
Douillet A.-C., 2006, « Les sciences sociales entre analyse et accompagnement de la territorialisation de l’action
publique », in Ihl (O.) (dir.), 2006, Les ‘sciences’ de l’action publique, éd. PUG, pp.133-148
Gaudin J.-P., 2004, L’action publique. Sociologie et politique, Presses de Sciences Po / Dalloz, 242p.Greffe (X.), 2002
Lajarge R., 2009, « Pas de territorialisation sans action (et vice-versa ?) », in Vanier (M.) (dir.), 2009, Territoire,
territorialité, territorialisation … et après ?, Presses Universitaires de Rennes, pp. 193-204
Moulaert F., Nussbaumer J., 2008, La logique sociale du développement territorial, Presses de l’Université du
Québec, coll. Géographie contemporaine, 153p.
Pecqueur B., 2005, « Les territoires créateurs de nouvelles ressources productives : le cas de l'agglomération
grenobloise », Géographie, économie, société 3/2005 (Vol. 7), p. 255-268.
Raffestin C., 1980, Pour une géographie du pouvoir, Paris : éd. Librairies Techniques, tome XIII de la collection
Géographie économique et sociale, 249p.
Waterhout B., 2011, « European spatial planning : current state and future challenges », in Adams (N.), Cotella (G.),
Nunes (R.), 2011, Territorial development, cohesion and spatial planning, Routledge, coll. Regions and cities, pp.84-
102
Werlen B., 1993, Society, Action, Space. An Alternative Human Geography, Londres, Routledge [1987]
LES AUTEURS
Romain LAJARGE
UMR PACTE, Université J.Fourier,
Grenoble
Romain.Lajarge@ujf-grenoble.fr