L'Air Et La Chanson Tacaille v1 Hal
L'Air Et La Chanson Tacaille v1 Hal
L'Air Et La Chanson Tacaille v1 Hal
Alice Tacaille
L’air et la chanson
Les paroliers sans musique au temps
de François Ier
Ouvrage inédit
Cet ouvrage est composé en deux parties. Le catalogue, qui a absorbé un temps considérable, est
présenté en seconde partie, la première vise à établir les principes selon lesquels nous pouvons lira
aujourd’hui ces rares plaquettes gothiques du début du XVIe siècle, dans leur insaisissable dimension
sonore.
Cette « longue introduction » ne devrait pas être lue d’un seul tenant, chaque partie formant d’une
certaine manière une totalité, sur un des aspects qui m’ont préoccupée.
Trois divertimenti, des études singulières, plus approfondies, ponctuent l’étude, qui se pensait à
l’origine en deux mouvements : la poésie à l’épreuve de la musique, la musique à l’épreuve de la
poésie.
Sur le temps long de la rédaction, plusieurs rencontres décisives ont modifé le cours de mes réflexions,
et c’est une charge agréable de les évoquer : d’abord le séminaire de Frank Lestringant, en 2009,
consacré à l’Ile et l’utopie, qui est venu éclairer et revivifier un intérêt pour les lettres françaises du
XVIe siècle par les perspectives vertigineuses qu’il offrait sur la pensée moderne. Ensuite, la rencontre
avec Olivier Millet, qui a partagé notamment à travers sa thèse sa profonde connaissance des enjeux
de la langue vernaculaire en contexte réformé, et finalement permis, peut-être à son insu,
qu’apparaisse mieux la nécessité d’entendre la petite voix des formes brèves vernaculaires, à la
frontière de la littérature populaire, au début du siècle en France. Une curiosité qui devait se révéler
fructueuse pour penser aux vertus affectives de ces pièces brèves, qui jouent magistralement sur les
airs intériorisés par leurs lecteurs : au début du seizième siècle, les auteurs des nouveaux textes sur
ces mêmes airs sont aussi des maîtres de l’exhortation à la foi.
Leur intérêt, à tous deux, devait m’encourager, mieux, m’inciter à re-prendre la parole, sur un sujet
qui s’est révélé me passionner peut-être plus que de raison… Je dois à Jean-Eudes Girot une exigence,
un temps et une patience infinis pour m’apprendre à éditer un texte de cette période, et m’orienter
8 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
mieux vers la poésie contemporaine de la jeunesse de Marot, un domaine moins fréquenté que
d’autres semble-t-il dans les études littéraires actuelles. Il va de soi que les réussites dans ces aspects
lui sont dûs, et que les approximations qui restent sont celles du disciple maladroit. On peut dire sans
forcer le trait que ces trois rencontres ont modifié entièrement le cours de mes recherches, en ce
qu’elles ont permis notamment que se développe une matière rare, la confiance, qui a suscité un éveil.
Le monde du livre, des bibliothèques, qui est mon univers le plus quotidien et le plus ancien, a été ici
placé au centre de l’aventure, et joue le rôle de scène unique où se déroule l’intrigue, et où les
découvertes se sont faites. Ces ouvrages rares et précieux ont été en leur temps acquis, collectionnés,
conservés et décrits par des conservateurs, bibliographes et bibliophiles immenses, aujourd’hui
disparus. Mais les conservateurs qui leur succèdent, à Wolfenbüttel, à Séville, à Chantilly, ou à Paris,
portent haut le flambeau de l’érudition et transmettent au lecteur passionné des informations qui
seules permettent d’aborder correctement des supports dont la moindre caractéristique matérielle
peut revêtir une importance capitale. Et dans ce monde réservé, la communication des informations a
été d’une générosité et d’un professionnalisme sans égal. Je pense avec gratitude au Dr Thomas
Stäcker, de la HAB à Wolfenbüttel, à Christophe Guillotel-Nothmann qui était alors docteur boursier
sur place, à la Biblioteca capitular y Colombina de Séville, qui a favorisé par la digitalisation l’accès à
un rare recueil de noëls, avec l’intermédiaire bienveillant comme toujours de Paloma Otaola,
professeur en études hispaniques à Lyon III. Les séjours à Chantilly restent un souvenir impérissable,
pour des raisons liées à l’ambiance particulière de la bibliothèque proche du cabinet des livres du Duc
d’Aumale au musée Condé, et à l’aide exceptionnelle accordée par Léa Ferrez-Lenhard sur les
plaquettes gothiques de cette collection. Je remercie également la Réserve des Livres rares de la
Bibliothèque nationale, notamment Geneviève Guilleminot-Chrétien et Fabienne Le Bars, ainsi que le
département des Manuscrits, d’une remarquable constance au travers des évolutions importantes qui
ont affecté la salle de lecture, le Département de la Musique, au travers de ses conservateurs, Elisabeth
Giuliani, Catherine Vallet-Collot, François Pierre Goy pour le luth, et chacun d’entre eux pour l’intérêt
qu’ils m’ont porté et le cadre intellectuel du travail qui s’y effectue ; Laurent Guillo, sur les imprimés
musicaux lyonnais, a été d’une générosité proportionnelle à sa discrétion, ce qui n’est pas peu dire.
Les conversations et échanges avec Annie Cœurdevey, Pierre Rézeau, Peter W. Christoffersen, Jean
Vignes ont nourri ce travail, dont j’espère qu’ils seront heureux en dépit de ses imperfections.
On se souviendra peut-être que trois ans ont été consacrés à la transformation de mon équipe de
recherches en équipe CNRS. À l’issue de ce processus, Cécile Davy-Rigaux a été élue à la tête de l’UMR
ainsi créée : le projet Neuma, qu’elle a fondé, et son propre intérêt pour la liturgie à la période
moderne ont constitué le cadre apaisé dans lequel a pu se dérouler la fin de la rédaction, dégagée de
tout souci institutionnel, et c’est un point inestimable, que je lui dois en propre. Mon institution,
l’université Paris-Sorbonne, et particulièrement son président Barthélémy Jobert ont fait confiance à
mon projet et ont soutenu un congé de six mois qui ont permis d’amorcer la rédaction finale. Pendant
ce temps, Christophe Dupraz a pu assurer ma charge de cours, et j’ai également bénéficié de son
soutien amical. Ces années ont également été marquées par le travail aux côtés de François Picard,
qui, à force d’intérêt pour mes travaux dans leur partie analytique, et sous l’œil bienveillant de Nicolas
Meeùs qui vient d’accéder à l’éméritat, m’a encouragée implicitement à réfléchir aux méthodes de la
musique traditionnelle et à l’ethnomusicologie. En ce sens, ils contituent le fil conducteur d’une
formation toujours renouvelée, à laquelle j’associe avec émotion le souvenir de Serge Gut, qui a guidé
Avant-propos
mes premiers pas en analyse, au moment crucial où Mme Edith Weber encadrait avec patience et
tolérance ma formation doctorale.
Une dédicace ne peut certes pas remplacer le temps que l’on a dû distraire aux uns et aux autres pour
conclure un tel projet, ni témoigner du silence, des heures partagées, des pas perdus et des chansons
retrouvées. Mais j’ai plaisir à adresser ma gratitude et mes derniers mots à mes parents, ma famille,
mes enfants pour tout ces espoirs vécus souvent en commun.
Les chants non notés, sources, usages, relations à l’imprimerie
polyphonique
Cette étude est née d’une curiosité pour les sources musicales dans les décennies qui précèdent
l’imprimerie musicale française. L’histoire des sources françaises de cette période est peu bavarde, les
sources, peu nombreuses et discontinues. Que chantait-on du vivant de François Ier, dans son enfance,
tout au long de son règne, dans les cours, à la Cour, dans les jardins, côté cour et côté jardin…que
dansait-on, sur quel air, qu’essayait-on au luth ? Quels airs entendaient les jeunes poètes de la
génération de Marot, et les inspiraient-ils ? Mais encore, et surtout, comment pourrions-nous le
savoir ?
Il existe pourtant à cette même époque une importante source de vers à chanter : ce sont de
petites plaquettes gothiques, sans aucune note de musique, qui contiennent de deux à plus de 160
« chansons », issues des presses de Trepperel, puis Lotrian, Nyverd, Nourry, Arnoullet… nous ne les
connaissons plus, il est difficile même de les éditer, et ce n’est qu’assez tard, vers 1530, que les textes
des chansons tirées des imprimés musicaux y sont intégrés, comme s’il s’agissait d’un répertoire
différent venu s’ajouter à ces premiers témoins. Ces opuscules font partie de l’histoire du livre
populaire, à grand tirage, ce sont de modestes ouvrages anonymes de divertissement. Au milieu des
années soixante-dix, Brian Jeffery a publié une vingtaine de ces plaquettes, en tant que luthiste et
grand amateur de chanson populaire1. Et si ces sources représentaient les sources musicales
françaises ? L’époque semble inondée de ces supports, et l’on trouve en 1525 une procédure
consignée dans les registres du Parlement de Paris, qui s’appuie, pour établir une preuve d’hérésie et
de troubles à l’ordre public, sur deux chansons issues de ces plaquettes, recopiées intégralement dans
la procédure. Parce qu’elles ne contiennent pas de musique notée, parce qu’elles n’ont, pour
beaucoup, aucun point de contact avec les polyphonies existantes, elles offrent peu de prise à la
1
Brian Jeffery, Chanson Verse of Early Renaissance, London, B. Jeffery, 1971, Tecla Editions, 1976, 2 vol.
12 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
réflexion musicologique. Pourtant, dans les milieux lettrés, on les cite, on en fait des mots d’esprit, on
les liste, elles servent à brocarder et à plaisanter…comment et où ont-elles pu disparaître, et le
développement de l’imprimerie musicale française en est-il la cause ?
Ces sources cependant, pour une grande part, et notamment celles qui sont le mieux exploitées,
conservent véritablement des chefs d’œuvre, des pièces exceptionnelles, remarquables fleurons
d’écoles musicales lettrées qui puisent bien en amont leur cohérence stylistique, renforcée par des
institutions qui fournissent aux musiciens des cadres d’emplois rémunérateurs dans l’église de l’ancien
régime (pré-conciliaire). La carrière de Josquin des Prés, pour prendre l’exemple le plus
immédiatement connu, se trouve précisément à la frontière de l’ancien et du nouveau monde, celui
qui, après 1501 en Italie, et 1528 en France, voit se développer le commerce de partitions
polyphoniques imprimées. On imagine quel puissant levier a pu représenter en musique cette
évolution, dans toutes ses subtilités : et du point de vue, par exemple, des répertoires, non pas
seulement dans le sens d’une ouverture, d’un élargissement, mais aussi dans le sens d’une sélection,
d’orientations stylistiques plus rapides, plus nationales, et donc plus internationales au sens de la
différence entre les nations. Ce mouvement accompagne d’ailleurs le développement des littératures
nationales en langue vernaculaire, un développement dont il fait partie tout simplement.
À l’époque de Machiavel, de Bembo et du jeune Marot, définie ici comme une période de plus
ou moins trente ans qui précèdent immédiatement l’implantation de l’officine de Pierre Attaingnant,
les manuscrits musicaux, pour leur dernière période d’exclusivité, transmettent la musique des grands
polyphonistes français et flamands, messes, motets, chansons polyphoniques de la fin du XVe siècle,
parfois en accumulant des genres distincts comme le fait le manuscrit Pepys 17602, parfois non. C’est
ainsi qu’un groupe de cinq chansonniers exceptionnels (les chansonniers de Copenhague,
Wolfenbüttel, Dijon, Laborde, Nivelle) a été récemment exposé comme un ensemble témoignant de
la sociabilité poétique et musicale de la cour et plus particulièrement de ses résidences du Val de Loire
au tournant du siècle3. Ces chansonniers sont exclusivement « profanes » et mettent en valeur la
lyrique vernaculaire française de ces années 1470-1530.
Les chansonniers donnent à voir des techniques musicales qui ne sont pas nécessairement
distinctes de ce que l’on peut faire dans le domaine religieux : en profondeur du moins, les règles de
réalisation et les défis stylistiques contrapuntiques représentent une technique d’excellence qui n’est
pas réservée à tel ou tel type de texte, mais s’applique aussi bien à la chanson qu’à la messe. Et dans
2
GB-Cmc ms. 1760. Les manuscrits musicaux seront désignés plutôt par leur signe au Répertoire
International des Sources Musicales (RISM).
3
Jane Elise Alden, Songs, scribes, and society, New York (N.Y.), Oxford University Press, 2010.
LES CHANTS NON NOTÉS, SOURCES ET USAGES 13
ce domaine, qui consiste à considérer in abstracto d’où surgit l’idée musicale, quelle est sa forme,
comment elle est mise en œuvre dans le tissu musical, l’application de telle ou telle technique n’est
pas strictement ordonnée, ni essentiellement chevillée à la destination ou à l’usage « rituel » ou a
contrario « quotidien » de la musique. Les techniques de citation, le placement d’une mélodie au
superius (hymnes), les superpositions de plusieurs mélodies (et dans ce domaine, peu importe leur
provenance), l’écriture canonique dans toute sa splendeur (Ockeghem), et l’imitation à partir de motifs
successifs, toujours plus irréalisables et toujours plus subtils, si difficiles à faire s’enchevêtrer sans
heurt, ne connaissent pas de limite d’application. Leur assimilation au style palestrinien, au grand style
sévère, plus particulièrement lié à la musique d’église, est plus pertinente à partir des années 1570,
donc plus tardivement. Dans le domaine de la conception musicale, les chansons que l’on trouve
placées au ténor de telle ou telle messe constituent ce que l’on nomme un sujet musical (un « sujet »
de contrepoint, s’entend), un sujet comme un autre. Elles ne constituent pas, à cette époque,
d’intertextualité sémantique particulièrement significative, ou du moins, ce qui s’y passe en termes
d’intertextualité est moins important que les signes visibles d’expertise musicale laissés partout
ailleurs dans ces compositions, des signes bien plus forts. Dans le domaine de la composition, la
chanson, même au sein de la messe, n’est tout simplement pas pensée alors comme un matériau
profane, c’est d’abord une matière musicale comme une autre.
Le terme « sujet » désigne donc ici la matière première servant à construire l’édifice
polyphonique. En projetant plusieurs de des caractéristiques du sujet (ses hauteurs, ses durées, ses
répétitions) dans un corps polyphonique plus grand, les musiciens mettent en œuvre le principe même
de leur art, ce qui se manifeste par exemple par ces compétitions sur un même sujet (l’homme armé),
ou ces surenchères de réécriture, ou le choix de sujets de plus en plus abscons, énigmatiques et
virtuoses dans leur dissimulation même. La dimension abstraite, technique, de la réalisation musicale
demeure un plan incontournable de la réflexion, si l’on veut se prémunir contre des jugements hâtifs
génériques : leur inclusion dans des messes ne fait pas de ces mélodies en français des chansons
« populaires », ni ne rend les messes plus « profanes ». Populaires, elles le sont certainement, mais en
4
Une très belle reconstitution, accompagnée d’un site complet, ont été supervisés par la musicologue
Jennifer Bloxam : <www.obrechtmass.com>.
14 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
un sens qui est le principal que nous lui ferons porter dans le cours de ce travail, et ce sens est : favori,
répandu, apprécié, mémorisé. Le Conditor est populaire en temps d’Avent.
C’est encore le cas des messes dites à cantus firmus, lorsque le ténor est traité de façon
hiératique : Dans ce type de messes, un effet visuel va pouvoir être recherché grâce à cette voix
extrêmement condensée. Regroupé dans un espace spécifique de la page, ramassé, facile à embrasser
d’un seul regard, le ténor porte plus facilement un message supplémentaire extramusical, et peut être
utilisé à cette fin, notamment dans le cadre d’un manuscrit de présentation : le destinataire le moins
musicalement lettré peut nettement apercevoir son propre nom au ténor d’une composition qui lui
est dédiée. - Hercules Dux Ferrariae5, tes louanges ne cesseront jamais – et elles constituent la base de
la composition.
Pourtant cette popularité n’est pas simplement le fruit d’un partage collectif oral de ces airs, ou
pas seulement. Le son que produit l’ « air », sa mélodie, ne suffisent pas toujours à le reconnaître, ou
à expliciter le jeu de mots ou d’esprit, ce qui est pourtant crucial, et c’est alors que le nommer peut
permettre de mener à bien cet échange symbolique que l’on recherche, à travers tous ces dispositifs
sémantiques. Nommer les airs auxquels on se réfère, les évoquer par leur titre, leur donner un
sobriquet, accorder de l’importance à leur figuration ou même leur mise en scène dans la partition,
c’est encore témoigner de la nécessité qu’il y a parfois à le faire.
Parfois, comme dans la messe Hercules Dux Ferrariae, le texte normal de la section musicale est
remplacé, au moins une fois, par le texte de l’élément textuel incrusté : le sujet doit être perçu. La
place du texte dans ces dispositifs d’insertions mélodiques (que l’on qualifie dans la littérature
musicologique d’emprunt, de citation etc.) peut d’ailleurs devenir déstabilisante pour les interprètes,
et l’on sait par exemple que les messes sur cantus firmus nous semblent aujourd’hui difficiles à mettre
en valeur, au concert, sous l’angle de la « mélodie d’origine ». Les ensembles proposent par exemple
des doublures du ténor au trombone, ou des dispositifs scéniques pour faire bien entendre la
chanson « cachée »à l’intérieur de la polyphonie, parfois même en chantant les paroles de la chanson
5
Le ténor de la messe de Josquin chante exclusivement, du Kyrie à l’Agnus, les notes ré ut ré ut ré fa mi
ré, qui miment les voyelles du nom du duc : Hercules dux Ferrari e.
LES CHANTS NON NOTÉS, SOURCES ET USAGES 15
au ténor en même temps que les paroles de la messe au-dessus. On peut également prendre l’option
contraire : une fois incorporée, la mélodie exogène fait véritablement partie du corps de la messe, et
s’il est en effet spectaculaire, à nos yeux d’aujourd’hui, de trouver au ténor de tout un manuscrit de
Salve Regina des incipits séculiers, à l’endroit où se trouvent normalement les paroles, sous la musique,
au tout début de la portée de ténor –et seulement là- c’est une autre décision que de prendre ce sujet,
et son « signalement » par les paroles, pour un placement de paroles « ad libitum » laissé à
l’appréciation des chantres qui auraient la grande expertise de le faire : à tout le moins peut-on penser
que différents niveaux d’annotation existent sur le document, et que tous ne se chantent pas, par
exemple.
Si les airs sont bien populaires, et peut-être en effet, en mémoire dans de nombreuses têtes,
nous n’avons ainsi, pour nous en faire aujourd’hui une idée, que des traces écrites, d’une nature
extrêmement subtile et d’usages multiples.
Musiques modestes
Si l’on trouve pourtant à la fin du XVe siècle dans les mêmes sources des pièces d’ambition plus
modeste, ce n’est pas tant par la réalisation musicale, qui est potentiellement faite avec le même degré
d’expertise, que par la mise en œuvre de mélodies qui, elles, vont s’imposer dans leur intégrité et dans
leur intelligibilité : les musicologues parlent volontiers à leur sujet de chanson populaire, de chanson
rustique, de combinative song (combinative veut dire surtout composite, dans l’esprit de la
superposition de lignes mélodiques, un corpus qui demeure toujours étonnant et difficile à
appréhender sur le plan esthétique, -et à donner au concert). Si ces catégories, qui sont précisément
celles qui permettent d’éclairer puissamment cette période dite de transition avec l’époque moderne,
doivent être utilisées, que nous apportent-elles dans notre quête des airs quotidiens, de la musique
ambiante, de tous les jours, dans les trente années qui ont précédé l’implantation de l’imprimerie ?
Les compositeurs de ces nouvelles chansons sont-ils de nouveaux venus ? Nous n’avons pas de
preuve que d’autres musiciens soient les auteurs de ces chansons, ce sont, quasi nécessairement, les
mêmes que ceux qui écrivent du contrepoint savant : au demeurant ces chansons sont en partie
signées, elles sont issues de leur plume, Josquin, Févin, Ninot, Agricola, Compère, Bruhier…et à terme
Sermisy ou Janequin. Aussi, avant que d’évoquer leur caractère « rustique», ou supposé populaire au
16 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
sens contemporain du terme, « issu du peuple », soulignons que le caractère commun de ces mélodies
populaires du XVIe siècle est en réalité de ressembler, dans une large mesure, aux airs qui circulent au
XVe siècle, avec des tournures peut-être plus brèves, plus simples, mais pas d’une nature
fondamentalement différente. Ce qui diffère principalement, et à quoi l’on peut songer, c’est que ces
chansons entrent de moins en moins en composition dans d’autres grands projets, messes ou motets,
et qu’elles semblent mises en musique (polyphonique, s’entend) avec leur organicité propre : elles
arrivent désormais, et se maintiennent, avec des refrains, avec des sous-sections, avec des secondes
strophes, parfois baptisées réponses, autant de nouveautés qui mettent en valeur leur intérêt propre,
leur cohérence organique, texte et musique liés. Voilà peut-être comment l’intérêt pour la copie de
ces chansons en langue vulgaire les a progressivement constituées en corpus distinct au sein même
des derniers manuscrits musicaux en situation de monopole.
Explorer les chemins spécifiques de la poésie chantée à cette période, pour essayer de montrer
quel terrain commun le sonore et la poésie peuvent partager, et sous quelles formes particulières,
avec quel impact décisif sur les gestes musicaux et poétiques de toute une génération ensuite, c’est
l’objet de ce travail.
I - Air et chanson: des recueils aux contenus
Avant même de classer ces chansons dans une catégorie rustique ou populaire, l’important est
de comprendre de quelle manière le regard que nous avons porté, musicologues historiens comme
linguistes ou ethnologues, rend certaines réalités invisibles. Il est difficile d’imaginer ce que pouvait
être la musique quotidienne, à la cour ou même simplement à la ville, dans les premières années du
siècle, juste avant l’apparition d’un commerce musical. Pourtant, une observation attentive de la
production des imprimeurs parisiens montre qu’au moment où sont compilés les manuscrits de Bayeux
(BnF Fr. 9346) et le manuscrit BnF Fr. 12744, un ensemble de plaquettes gothiques de petit format
propose des chansons sans musique notée, des paroliers en somme, mais, par notable différence avec
le vaudeville ou le timbre qui nous sont plus connus, des paroliers pour une société qui ne connaît pas
la partition privée généralisée. Les premières plaquettes conservées, à partir de 1500, ne contiennent
qu’une poignée de chansons, mais les suivantes s’étoffent. Il n’existe pas réellement de collections
manuscrites remplissant cette fonction à l’identique, ne serait-ce qu’explicitement. La nature des
textes de ces plaquettes, en particulier, semble réellement nouvelle, si l’on les compare à certains
manuscrits poétiques du XVe siècle, qui comportent dans leurs sections finales précisément les
ballades, rondeaux et virelais dont nous possédons par ailleurs une version musicale, des sections
consacrées à la « chanson » en quelque sorte.
Paroliers
Ces plaquettes sont nées à l’état de parolier (et nous emploierons désormais ce terme, réservant
le terme « chansonnier » pour les versions musicales), et ne comportent pas de section interne
apparente. Elles sont apparues en même temps que les almanachs, les pronostications, les complaintes
des cités assiégées, les monologues, sermons et farces, et précèdent de trente ans au moins
l’imprimerie musicale en France. Sur le plan poétique, elles appartiennent à l’époque des grands
rhétoriqueurs, mais en sont presque un contre corpus : les formes fixes claires y sont rares, les formes
strophiques plutôt difficiles à appréhender, et leur état général – leur typographie, leur mise en page,
leur degré de correction – est souvent qualifié de négligé. Nous n’en connaissons désormais la plupart
du temps qu’un seul exemplaire de chacune, là où les libraires du début du XVIe siècle, au moment de
leur inventaire, font état de plusieurs centaines de plaquettes en stock. Seules quelques-unes sont
pourvues de la mention de l’air sur lequel il faut les chanter, en sorte qu’elles sont quasiment
inutilisables aujourd’hui.
En musicologie elles représentent donc plutôt une curiosité, peu ou pas citée dans les histoires
de la musique, qui se focalisent plutôt sur les chansonniers manuscrits du Val de Loire, pour ensuite
aborder la chanson parisienne des premières éditions Attaingnant. Pourtant, ce sont ces plaquettes
qui fournissent des strophes additionnelles pour les chansons dont nous connaissons les versions
musiquées, un peu comme l’on use aujourd’hui de carnets de chants (sans musique). À cette notable
différence : leur usage, que nous essaierons d’illustrer toujours plus avant, doit se comprendre au
regard d’une circulation musicale uniquement manuscrite, ou bien de nature résolument différente,
notamment orale. En cela, leur étude peut susciter l’intérêt, dans la mesure où la dimension orale de
la poésie se trouve de fait au centre du dispositif.
Leur charme ne s’arrête pas là : outre une disposition strophique complexe, voire
incompréhensible au premier abord, elles comportent des textes dont nous ne connaissons pas
toujours de version musiquée. Ensuite, lorsque nous en comparons les versions d’une plaquette à
20 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
l’autre, leurs textes varient, pour certains, du tout au tout. Il arrive que le mètre d’une même chanson
change. Leurs tables, souvent placées en tête, sont incomplètes, ou largement excédentaires, ou très
fautives. Leurs titres promettent généralement plus qu’ils ne tiennent, notamment dans le nombre
annoncé.
Brian Jeffery, dans l’édition de 1971, a collationné 20 recueils jusqu’au milieu des années 1540,
soit quinze ans après l’installation d’Attaingnant dans le quartier latin6. De son point de vue, ces
chansons offraient une vue extraordinairement vivante et peu connue de textes qui probablement
pouvaient se chanter, pour la plupart, et s’apparentaient à de la chanson populaire – « folk song » en
somme.
L’entrée de ces plaquettes dans les bibliothèques privées est une passionnante question en soi :
les plus belles collections sont actuellement au Musée Condé, à Chantilly ; à la Bibliothèque nationale
de France, d’une part à la Réserve des livres rares, d’autre part dans le fonds Rothschild ; à
Wolfenbüttel enfin, et dans une moindre mesure, à la British Library (1 recueil). Les conservateurs qui
ont eu en charge ces collections prestigieuses en ont laissé, pour certains, des descriptions et des
éditions anciennes des plus érudites, au XIXe siècle, et l’on pense à Anatole de Montaiglon7 et Émile
Picot pour le fonds Rothschild, ainsi qu’à Léopold Delisle pour les collections du duc d’Aumale. J.C.
Brunet recense plusieurs de ces plaquettes dans son Manuel du Libraire8. C’est heureux, car elles sont
loin d’être aisément repérables dans les catalogues informatisés ou les portails internationaux tel
l’Universal Short Title Catalogue, dont elles sont parfois tout simplement absentes. Mais ces plaquettes
n’ont pas fait l’objet d’une édition avant l’initiative de Brian Jeffery : la raison en est principalement
que ces textes à chanter, publiés sans leur musique, représentent un objet textuel difficile à mettre en
valeur, ne serait-ce que sous une forme versifiée plausible. L’entreprise de Jeffery est quasi exhaustive,
peu de plaquettes encore subsistantes ont échappé à son entreprise, qui couvre toute la première
moitié du siècle jusqu’en 1543. On note pourtant, parmi elles, une sélection opérée par Jeffery, tout à
fait significative : il n’a pas retenu les plaquettes dont le sujet était circonstanciel, les « chansons
historiques », celles célébrant les victoires royales, ou l’issue victorieuse de tel ou tel siège, etc. Elles
sont cependant du même format, de la même époque, des mêmes imprimeries… et se chantent
également sur des airs connus. La raison de l’exclusion par Jeffery (la volumétrie) est moins plausible
que celle de l’accessibilité peut-être encore plus difficile de ces chansons dites « historiques ». En
revanche, Émile Picot y a consacré, comme d’autres à la même époque, un travail spécifique, rendu
nécessaire par une mission française de recherche d’éléments historiques dans la chanson, qui a coloré
durablement le paysage de la chanson ancienne (et « populaire ») en France9.
Ces plaquettes ne sont généralement pas faciles à décrire sur le plan de la bibliographie
matérielle. Les travaux sur les libraires et imprimeurs parisiens peinent à les prendre en compte, parce
qu’elles sont imprimées avec des caractères gothiques relativement répandus, d’une grande longévité,
de ceux que les imprimeurs se transmettent ou se revendent pendant plusieurs décennies. Les bois
gravés dont elles sont pourvues, qui semblent au premier abord constituer un moyen efficace de les
6
Brian Jeffery, Chanson Verse of Early Renaissance, London, B. Jeffery, 1971.
7
Anatole de Montaiglon, Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, Paris, P. Jannet A. Franck
P. Daffis, 1855-1878.
8
Jacques-Charles Brunet, Manuel du libraire... par Jacques-Charles Brunet... Paris, F. Didot, 1860-65.
9
Le chapitre « Divertimento 3 : Myriades » y est plus particulièrement consacré.
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 21
classer, sont eux-mêmes revendus d’officine en officine, et copiés de façon étonnamment fidèle. Seule
une étude dimensionnelle extensive, portant sur des séries de caractères, et certaines initiales, offre
une clé permettant de mieux les dater, parfois, à quelques années près. Un tel travail a été entrepris
en son temps par Henry Harisse, pour les ouvrages entrés à la Colombina de Séville10, et l’ouvrage de
Stéphanie Rambaud, en préparation, devrait permettre de mieux connaître la dynastie des Trepperel,
une pièce maîtresse en ce qui concerne ce corpus. Il existe d’autres projets en cours, notamment sur
le livre de dévotion à grand tirage au début de l’imprimerie française.
Dans quel contexte cette littérature des noëls est-elle apparue ? Depuis la fin du XVe siècle, bien
en amont de la diffusion des idées de Luther en France, le clergé français est engagé dans des réformes
monastiques importantes, et en cela les prieurs et abbés sont soutenus par la force publique, dépêchée
par le Parlement de Paris notamment. Ces réformes, notamment sur la place de Paris, dénotent une
très importante mise en tension d’une partie de l’église, accompagnée d’efforts considérables de
reprise en main des communautés, notamment par l’adoption de nouvelles règles, réformées, et le
déplacement des religieux rétifs. Jean-Marie Le Gall a montré comment les différentes communautés
sont progressivement refondées, comment de nouvelles voient le jour, quel est le rôle des femmes de
la noblesse dans cette direction, un rôle qui contribue à une redéfinition de l’esprit du pouvoir royal
dans le domaine spirituel au tournant du XVIe siècle12. Les plus anciens textes de noëls qui nous sont
10
Henry Harisse, Bibliographie de quatre cents pièces gothiques françaises, italiennes et latines du
commencement du XVIe siècle, Paris, H. Welter, 1887
11
La rareté de ces rééditions du siècle dernier, liée à leur tirage confidentiel, les place elles-mêmes en
situation de « livre rare ».
12
Jean-Marie Le Gall, « Réformer l'Église catholique aux XVe-XVIIe siècles : Restaurer, rénover, innover ? »,
Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance, vol. 56, n°1, 2003, p. 61-75. Les
moines au temps des réformes, Seyssel, Champ Vallon, 2001.
22 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
parvenus sont attribués, pour partie, à Jean Tisserand, et l’œuvre des franciscains français se trouve
ainsi placée au cœur de cette nouvelle production imprimée13.
On trouve, juste avant ces recueils de noëls, quelques manuscrits composés exclusivement de
textes à chanter pour la Nativité, à la différence de ce que l’on constate pour les chansons –
régulièrement dispersées dans les manuscrits poétiques. Les manuscrits de noëls contiennent
plusieurs dizaines de textes, et présentent des lignes de force internes tout à fait intéressantes : les
airs ne sont pas indiqués au début du volume, mais progressivement, au cours du manuscrit, ils le
deviennent. Un recueil comme le ms. BnF Fr. 2368 présente d’abord ses unica (qui ne se trouvent dans
aucune autre source, sur une centaine de recueils dépouillés), et ceux-ci n’ont pas nécessairement de
timbre indiqué (les connaissait-on si bien ?) puis des noëls plus connus, groupés, dont l’air est précisé,
et se termine par des noëls extrêmement populaires, comme À la venue de noël. Des textes en latin
(Mittit ad virginem, Conditor) y sont adjoints, mais ils sont plutôt rares à cette époque.
Plusieurs tentatives assez récentes de recension des noëls ont été menées par des musicologues,
comme Jay Rahn14 ou Adrienne Fried Block15. Mais le plus récent catalogue a été publié par Pierre
Rézeau, qui a collationné les 100 recueils manuscrits et imprimés « des origines » (ca 1480) à la fin du
seizième siècle, sous un angle exhaustif. Sur quelque 800 textes de noëls relevés, il a pris soin
d’indiquer, chaque fois qu’il était possible, la rubrique qui accompagne leur incipit, et qui indique l’air
sur lequel chanter le texte. Pour autant, la plupart étaient hors de notre portée, comme on le verra.
Ces noëls sont conservés actuellement principalement dans les fonds de l’Arsenal, de la Réserve
des livres rares de la Bibliothèque Nationale de Paris, ainsi que dans le fonds Rothschild ; dans la
bibliothèque du duc d’Aumale à Chantilly ; à la bibliothèque municipale du Mans, à New York, Séville
et Wolfenbüttel, où ils sont reliés ensemble dans une reliure du début XVIIe siècle, ce qui témoigne au
moins d’un intérêt très précoce du bibliothécaire de la plus belle bibliothèque de Prusse pour ces
minces plaquettes gothiques. Le regard porté par les bibliographes sur la qualité d’impression de ces
plaquettes, leur correction, leur disposition des textes, est comparable à ce que l’on constate pour les
paroliers.
Les airs recensés sont environ 800 sur l’ensemble du XVIe siècle. Leur dénomination est très
variable. Il peut s’agir d’un sobriquet, d’un incipit, d’un début de strophe 1 ou d’une autre strophe,
d’un élément de refrain16. Avant 1530, et compte tenu des incertitudes très lourdes qui pèsent sur des
feuillets publiés sans maison d’édition, sans date ni lieu d’impression, environ deux cent incipits ou airs
sont cités.
Une convergence
Le principe des airs (« timbres ») placés en tête des poésies est ensuite très répandu dans la
chanson historique, satirique, militante. Les poésies de circonstance relevées par Émile Picot, par
exemple, se chantent toutes sur un air ou un autre. Ces chansons sont généralement publiées
isolément, ou prélevées dans des sources où elles sont présentes en petite quantité. Sans le travail des
érudits ici encore, il serait difficile d’apprécier ce phénomène dans son ensemble, mais on remarque
13
Pierre Rézeau, Les noëls en France aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, ELIPHI, 2013, p. 8.
14
Jay Rahn, Melodic and textual types in French monophonic song ca. 1500, [s. l.], 1978.
15
Adrienne Fried Block, The Early French parody Noël, Ann Arbor, Mich., Umi research press, 1983.
16
Chapitre VIII, « Textes seconds ».
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 23
que ces publications fondent leur principe et leur succès sur une séparation des tâches : il revient au
papier de diffuser les paroles, mais l’air est présumé su par le public. Ces publications jouent
pleinement sur l’air intériorisé par chacun, en sorte qu’elles « jouent » littéralement du son de leurs
lecteurs, comme on le ferait d’un orgue invisible. Cette dimension de la musique intériorisée n’est pas
une nouveauté qui apparaitrait à la Renaissance, mais l’imprimerie y ajoute la dimension systématique
d’un produit commercial. La chanson (le texte) manquerait son effet si l’air n’était pas connu, ou mal
identifié, et souvent l’air figure dès la page de titre, dans les chansons historiques notamment.
Or ces airs cités dans les autres chansons et dans les noëls se trouvent être, pour une large part,
disponibles dans les paroliers sans musique étudiés par Jeffery, sous la forme de leur texte d’origine,
celui qui accompagnait la version première, la version alors connue de ces chants. De fait, la
confrontation point par point avec les corpus de chansons historiques, de chansons spirituelles,
satiriques et de noëls met en relief avec une évidence criante la dimension chantée de ces paroliers
sans musique, une dimension dont on aurait pu douter, de prime abord, lorsque plus des deux tiers
des textes qu’ils contiennent demeuraient sans concordances musicales à l’heure actuelle.
L’hypothèse est donc la suivante : Il existe, plusieurs grands corpus textuels en font foi, une
circulation d’airs très importante de la fin du XVe siècle aux premiers recueils musicaux imprimés en
France. Croiser ces corpus (exclusivement textuels, donc) entre eux permet de mettre en évidence
quelques centaines d’airs entre 1490 et 1530. Cette circulation est définie au départ par la présence
de l’air dans deux corpus, sans se limiter à l’existence actuelle de versions musicales attestées, qu’elles
soient monodiques ou polyphoniques, c’est-à-dire en prenant en compte chaque indice d’existence
sans en négliger aucun.
Il devenait important d’organiser la matière musicale pour délimiter ce que cette nouvelle
tentative de concordance pouvait apporter de réellement nouveau, d’une part en termes d’émergence
de sources fantômes17, ou de sources existantes et rarement lues dans cette perspective, avec pour
objectif de parvenir à retrouver les airs ; l’organiser également pour évaluer ce qu’elle pouvait apporter
à l’histoire de la musique, puisqu’au premier abord, on pouvait s’apercevoir du surprenant état de nos
connaissances des airs en circulation, tels que nous les imaginons et les décrivons à partir des
17
C’est un terme, « shadow chansonniers », suggéré par la lecture de Kathleen F. Sewright, Poetic
anthologies of fifteenth-century France and their relationship to collections of the French secular polyphonic
chanson, United States, North Carolina, The University of North Carolina at Chapel Hill, 2008.
24 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
techniques de la musique savante (emprunt, citation, hommage etc…) : une bonne partie des airs nous
échappait.
On est amené à mieux connaître ces contenus de façon plutôt générique. Parmi les genres les
plus « nobles », le théâtre des XVe et XVIe siècles a bénéficié à plusieurs reprises d’éditions critiques
assez complètes, non seulement les farces et soties, mais encore les monologues si spécifiques que
sont les sermons joyeux. En musicologie, le catalogue dressé par Howard Mayer Brown pour la chanson
au théâtre (théâtre profane) a permis une recension extrêmement efficace et complète des textes de
chanson insérés dans le répertoire théâtral profane, et les éditeurs de sermons joyeux et de farces ne
se trompent pas en annotant également bien leurs éditons en ce sens, chaque fois qu’une chanson (ou
une forme poétique chantable, à la limite) est décelée18. Dans l’ouvrage de Brown, les danses et la
musique instrumentale qui accompagnent, tout au long du XVe et encore au début du XVIe siècle, les
farces et momeries sont également recensées. Il revient encore à Brown d’avoir édité musicalement
quelques-unes des partitions qui permettent de prendre connaissance de ces chansons théâtrales. On
constate ici encore qu’elles sont toutes issues de sources polyphoniques, essentiellement manuscrites
(à l’exception des manuscrits de Bayeux, BnF Fr. 9346 et BnF Fr. 12744). Pourtant si l’on chante au
théâtre, sur scène, la polyphonie savante ne semble pas plus indiquée, et plutôt moins, que le chant à
une voix, accompagnée sans doute, mais pas forcément par la musique de Ninot le Petit, polyphonique
et à trois voix. Brown se pose en effet la question, et y répond tacitement en soulignant, de loin en
loin, qu’une version monodique antérieure a dû exister pour ces partitions à plusieurs voix. Il n’est pas
le seul, naturellement à souligner ce point. Voici un exemple de ses notes :
18
Howard M. Brown, Music in the French secular theater, 1400-1550, Cambridge, Harvard University
Press, 1963. Jelle Koopmans, Le recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011 ; Jelle Koopmans, Recueil de
sermons joyeux, Genève, Droz [Paris] [diff. Champion-Slatkine], 1988.
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 25
Les concordances de ses entrées (environ 400 entrées, dont à peu près 1/6 de renvois internes)
sont très soigneusement établies, et elles sont systématiquement littéraires et musicales.
Le travail de concordance dans le domaine des airs et textes se révèle donc double, puisqu’un
air peut être utilisé dans plusieurs contextes. Il arrive aussi d’un même texte change d’air, en sorte que
l’un et l’autre peuvent, en théorie, évoluer séparément.
Se représenter l’objet
On pourrait représenter cette double lignée dans le temps, selon un axe chronologique (ici
Brown donne systématiquement la source théâtrale en premier, et le classement est fait de manière
générique). Voici un schéma de principe :
Ce que l’on cherche, l’air, est placé au centre. Il se manifeste à travers des textes qui sont connus
sous plusieurs formes, placés ici à droite de la page. Il constitue parfois une partie seulement du texte
26 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
de ces sources (une partie de la farce, du monologue), où il est cité. Dans Lotrian en revanche, le texte
constitue une chanson entière, au sein d’une immense anthologie. Tout le texte de la chanson est édité
par Lotrian : cette pièce commence et se termine par un refrain de deux vers, en rondeau. Lorsqu’on
doit nommer ou citer l’air ailleurs, cela devient une donnée importante : l’incipit de la pièce en
constitue donc également le refrain, et c’est ce refrain, partie éminemment mobile et détachable (dans
le domaine musical tout au moins) que l’on trouve cité en quelques nots au bassus de la partition de
Certon. C’est d’ailleurs par son vers-refrain que l’on nomme généralement cette pièce.
Dans la colonne de gauche sont regroupées les mentions musicales. Brown signale que Ramonez
est « mis en musique » par Hesdin (c’est l’anglais de sa langue qui le dit : setting), sans que l’on sache
s’il parle réellement du texte ou d’une mélodie qui aurait été connue, une « chanson populaire », ou
de transmission orale, alors « mise en musique polyphonique », ce que nous appelons harmonisation.
En revanche, lorsqu’il évoque Certon, il dit que le texte est mis en musique par Certon, et que par
ailleurs le matériau musical de Certon (la mélodie) est commun avec Hesdin. Tout se passe comme si
Brown avait ici la certitude qu’existe un archétype textuel ; mais il ne semble certain d’un modèle
musical qu’à partir de la version de Hesdin, vers Certon, non pas en amont de Hesdin. En philologie
classique, s’il n’y a pas de trace, il n’y a pas d’air plus ancien autre qu’hypothétique
Il existe pourtant un archétype musical de la chanson de ramoneur : elle est encore entendue
en Savoie à la fin du siècle dernier et les compilateurs de chants populaires l’ont éditée19. Cette version
savoyarde de l’air, qui était encore vivant il y a peu dans les mémoires, est matérialisée par un
astérisque au centre. L’un des plus intéressants aspects de ce corpus tient à ceci : la persistance des
airs qui ne sont pas observables en notation musicale au moment où paraît le corpus, mais sont encore
présents dans la mémoire collective quatre cent ans après. De point de vue du philologue comme du
musicologue, une concordance « postérieure », placée après les événements que l’on observe, et non
écrite bouscule le processus habituel d’établissement du texte, à tel point que l’on ne considère
habituellement jamais ces corpus traditionnels. Pourtant le cas n’est pas rare.
19
Joseph Canteloube, Anthologie des chants populaires français, Paris, Durand, 1951, 4 tomes, t. II p. 22
« En passant pas la Bourgogne, R/ Hé ! Hé ! Ramonez la cheminée du haut en bas ».
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 27
Le travail de Brown met ainsi en évidence la présence de chansons qui se chantaient très
certainement, même si, pour plus de la moitié d’entre elles, les musiques semblent avoir disparu. Il les
inventorie selon la façon dont elles nous parviennent : deux ou trois mots, un sobriquet, et ne peut, le
plus souvent, aller plus loin.
Lorsqu’elles présentent des paroles ou un titre, les musiques anonymes font l’objet de
recherches, en musicologie, mais dans des catégories qu’il faut bien remettre en perspective : elles
sont répertoriées lorsqu’elles apparaissent dans des œuvres musicales écrites de plus grande taille.
C’est ainsi que tout récemment, une base électronique de « chansons populaires vers 1500 » est
apparue, la base Chansonmelodies d’Andrea Lindmayr et Carlo Bosi, soutenue par un projet de
recherche financé. Cette base se fonde sur les chansons populaires citées musicalement dans une
partie de la polyphonie, ou harmonisées :
28 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
This database presents a repertoire of monophonic chanson melodies and (where extant) their
texts, linked to polyphonic settings based upon them, dating from the early 1460s to 1528. The period
covered opens with the second Escorial chansonnier (E ‑E, MS IV.a.24) and the Dijon chansonnier
(F‑Dm, MS 517), the first sources containing a sizeable number of ‘combinative’ songs and quodlibets
based upon ostensibly pre-existent material. At the other end, 1528 saw the publication of
Attaingnant’s Chansons nouvelles, which contained songs displaying a maturation and
systematization of stylistic and formal traits evident earlier, such as clear caesuras at the end of verses,
an alternation between homorhythm and free counterpoint and largely syllabic declamation. Above
all, the chansons in the 1528 collection show the rise of new compositional approaches in which the
systematic borrowing of pre-existing monophonic material is on the wane. Earlier research
characterized these features as typical of the so-called ‘Parisian chanson’, though this geographical
and stylistic designation is not entirely accurate and is thus avoided here.
The presence of borrowed, ‘foreign’ melodic material can only be identified with certainty
when the melody is quoted in two or more independent polyphonic compositions or when it is
transmitted in the two extant monophonic anthologies (F‑Pn, f. Fr. 9346 [Bayeux] and f. Fr. 12744).
However, our survey also includes melodies that display stylistic and formal features similar to those
in the independently attested melodies, even if they appear in only a single extant polyphonic
composition, when such features suggest a re-working of pre-existent material. Such features
distinguish this repertory sharply from the formes fixes of the ‘French’ or ‘Franco-Burgundian’
tradition, justifying the adjective rustique favored by contemporary theorists of poetics like Jean
Molinet, and later employed in musical publications. However, the term rustique should not be
interpreted as a real indication of the origin of these songs. The two extant monophonic chansonniers
mentioned above hailed from the world of French royal patrons, and thus rustique monophony should
not be assumed to have a popular origin.
Les concordances de ce catalogue électronique avec le répertoire des airs (vol. II) a été effectué :
beaucoup plus de la moitié des airs du répertoire en étaient absents. Quelles pouvaient en être les
raisons ? Peut-être les sources manuscrites utilisées étaient-elles trop anciennes, ou plus anciennes
que nos plaquettes gothiques ? – ce n’est pas tout à fait le cas pourtant. Les airs portaient-ils le même
nom ? Pour la plupart d’entre eux, oui, mais une part non négligeable des chansons « populaires » de
la base Chansonmelodies n’a pas d’usage en tant qu’air dans les paroliers… de la même période (ni les
corpus reliés : noëls, psaumes sur timbres, chansons spirituelles, chansons politiques…). Les méthodes
d’identification de cette base Chansonmelodies sont-elles comparables avec le projet des airs du XVIe
siècle ? Non, et c’est précisément ce qui a guidé la présente recherche : les concordances des airs ne
se trouvent pas d’abord dans les partitions musicales, ni à l’intersection de répertoires musicaux écrits,
même monodiques vs polyphoniques. Car l’ « air » est plus qu’une intersection, c’est une intention, et
une indication d’intention, une consigne. Il ne vient pas d’un corpus écrit particulier, mais de la façon
dont les individus, les groupes ressentent la musique des paroles et se la chantent. L’air ne vient pas
d’un « corpus étranger » pour se greffer ou être cité et collé sur un nouveau support, mais il porte avec
lui le potentiel de la parole, et c’est ce qui le rend si intéressant aussi dans le contexte des chansons
pieuses et des liturgies modernes naissantes, en langue vernaculaire.
Il fallait donc ici plutôt faire l’inverse : partir des chansons dont on nous dit quelles ont été
chantées, quelle que soit la forme de cette mention, et les lister, attendant qu’un jour une rencontre
se fasse. En somme, et par antiphrase, « ce travail présente un répertoire de chansons monodiques et
(si elles existent) leurs mélodies, reliées aux textes qui les ont gardées en mémoire ».
plusieurs textes différents … mais l’on peut également être assuré d’identifier l’air sur lequel l’on
chante un texte même s’il n’est cité que dans une seule source ». Mieux : même quand il n’est pas cité
du tout. En outre, la présence de certains de ces airs dans les deux anthologies monodiques profanes
(BnF Fr. 9346 et BnF Fr. 12744) ne garantit pas que la version que l’on y trouve soit « l’air ». Il y est, au
moins dans Bayeux, aussi réélaboré musicalement qu’une mélodie dite savante. Plus que
réélaboration, nous parlerons d’ailleurs de version différente : il y a plutôt une incarnation de musique
ambiante, orale, qui souvent n’avait pas été précédemment notée, dans différentes formes musicales.
Sur cette base, l’idée, manifestement féconde, d’airs « en circulation non notée », c’est-à-dire
orale, des airs non notés en musique (mais tout de même consignés en texte), impose que l’on sache
reconnaître et préciser leur apparition notée musicale, éventuellement, même, après publication dans
un parolier : des concordances a posteriori, voilà ce qui nous attendait, voilà qui bouscule
sérieusement les méthodes de travail habituelles, et nécessite en effet de bien maîtriser les
circulations glissantes et séparées du texte et de la musique.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : moins de 10% des airs nommés par les recueils de noëls,
de chanson, signalés comme danses, ou comme titre de pièces pour luth, sont repérés dans la base
d’Andrea Lindmayr et Carlo Bosi. Et en revanche, nos airs rencontraient des « concordances », ou
mieux des échos, plus tard… Quelle pouvait en être la raison ?
Précisément, le point de départ des initiatives de catalogage est très important. Dans la base
Lindmayr/Bosi, les airs monodiques sont relevés parce qu’ils font partie de compositions
polyphoniques. La façon dont ils le font intéresse l’histoire de la musique, dans le domaine des formes
musicales, de l’histoire de la chanson comme phénomène écrit ou encore dans le domaine esthétique
ou l’analyse, à propos de la pensée de l’œuvre unifiée. La dramaturgie propre à ce catalogue suppose
qu’il existe un air, antérieur à la mise en polyphonie, et que la technique musicale et l’art s’en emparent
pour l’habiller, l’arranger, le mettre en polyphonie, « setting » en anglais, et « artistisation » d’un
élément… à l’origine forcément moins artistique, de ce simple fait.
Il existe un risque réel que cette position de départ nous pousse également à transposer, et
sur-interpréter, en la plaçant dans le plan social, une distinction musicale posée simplement au départ
sur le plan musical : le geste technique, décrit plus haut, qui produit le lien entre « matériau de base »
et produit élaboré. L’archéologie musicale prise dans ce piège se fixe alors pour but de retrouver, sous
la gangue des effets de l’art, comme une source première, un « matériau ». Avec deux effets possibles :
le premier réside dans le risque de considérer que ce matériau est d’une origine sociale différente, ce
qu’un faisceau de présomptions (et d’observations) stylistiques traduit par « rustique » ou folklorique.
La récupération de termes aujourd’hui polysémiques, même en les fondant sur des sources de
l’époque (Molinet dans le cas de « rustique »), et en les appliquant à la musique, est à mon avis
toujours complexe à justifier20. Si le milieu de cour s’empare de thèmes et d’airs « rustiques »,
comment en jugera-t-on alors ?
Le deuxième effet est celui de considérer les mises en musique de fragments vernaculaires,
profanes, « populaires » dans la chanson ou la messe des années 1480-1530 comme un phénomène
spécifique, qui serait posé comme distinct en nature du travail musical de fond général. Ce travail est
20
Chapitre IV, 1, Historiographie.
30 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
pourtant celui décrit plus haut, le jeu de la plume du musicien avec l’idée musicale de départ, toujours
le même travail depuis des siècles.
Là en effet, on peut isoler et remarquer l’une des voix par rapport aux deux autres. Or la
génération montante, à cette période, va amplifier dans la chanson vernaculaire les techniques
d’écriture complexes jusqu’alors plutôt employées dans les motets et messes, et notamment
l’imitation, et l’imitation à toutes les voix. Dans ce cas, l’écriture de toutes les voix est comparable, et
généralement assez mélismatique, ornée. La présence d’un matériau étranger (une citation, un air
extérieur arrangé) ne pourra plus s’y observer si facilement, voire plus du tout. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle on cherche plutôt les airs empruntés dans la messe et le motet, parce que là ils servent
de principe structurel. On peut le faire également, comme l’ont fait Lindmayr et Bosi, en inventoriant
les chansons placées précisément au ténor des mêmes messes, autour de 1500. On peut enfin
travailler sur la chanson elle-même à cette même époque, dans la mesure où l’on peut nettement voir
si une voix se détache des autres, donc dans certains types de chansons. Mais il semble qu’une limite
soit atteinte ensuite, c’est-à-dire que l’on ne puisse plus travailler sur la circulation d’airs monodiques
à partir de l’imprimerie parisienne (1528), parce que le renouvellement esthétique serait total. Les
chansons « parisiennes » apparaissent donc comme de ravissantes miniatures artistiques, dont la
forme versifiée est généralement impossible à lire – mais là n’est pas leur charme premier, puisqu’elles
ne présentent pas de strophes. Elles surgissent quasiment de nulle part, leur musique et leur texte
semblent neufs.
21
Ibidem.
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 31
Or si nous disposons de vastes listes d’airs deux générations avant que ne soit imprimée la
première chanson parisienne, c’est que l’on pouvait chanter ces chansons (au moins seul). Des airs
étaient donc en circulation, on en achetait les paroles, on en achetait des arrangements pour noël, on
utilisait leur trame pour versifier, pour évangéliser ou pour distraire.
Nous touchons là à la dernière difficulté, révélée par la base Chansonmelodies, mais non des
moindres : ces chants cités dans les noëls, publiés dans les paroliers, chantés sur les tréteaux de la
farce ou des mystères n’étaient pas non plus mis en musique avant que les plaquettes de paroles ne
les révèlent, du moins assez peu. De la même manière d’ailleurs, les mélodies des deux grands
chansonniers monodiques profanes, le ms Paris, BnF Fr. 9349 (manuscrit de Bayeux) et le ms. BnF Fr.
12744, ont parfois plus de postérité qu’elles n’ont d’ascendance. Les airs avaient donc certainement
connu une transmission orale soutenue, que la publication des textes ne fait d’ailleurs pas cesser.
D’une part parce que les textes sont réécrits et amplifiés de plaquette en plaquette, d’autre part parce
que n’y figurent toujours pas les notes de musique, ce qui génèrera, comme l’étude le montre,
d’importantes mutations dans les constructions strophiques.
Il est certain que le point de départ des musiciens, pour évident et louable qu’il soit (où chercher
la musique ailleurs que dans la musique ?), ne permet pas de rendre compte dans le détail de ce qu’il
est nécessaire de faire pour y parvenir. Il fallait notamment tenir compte de limites dont on ignore
même qu’elles existent : celles qui sont imposées à un chant préexistant transmis probablement
oralement, lorsqu’on le fixe dans une chanson à plusieurs voix, une « chanson musicale », comme elles
sont qualifiées pendant ces décennies.
Les textes issus des chansonniers musicaux polyphoniques sont, en tant que miniatures
considérées de manière autonome, à la fois séduisants et ramassés. Mais la détention de versions
complètes, publiées antérieurement, des textes de ces mêmes airs, et d’autres, et aussi de substituts
de ces textes – les noëls – montre clairement que les paroles issues de la musique polyphonique ne
sont que le pâle reflet de la musique que l’on pouvait entendre à l’époque : et pour ceux qui existaient
en effet bien avant leur entrée au catalogue d’Attaingnant, tronqués, laminés, ayant perdu tout de
leur vigueur strophique et surtout, sans plus de structures de refrains complexes. La comparaison des
versions dans les paroliers et des versions issues des sources polyphoniques est sans appel,
notamment sur le plan de la forme. Ce travail tentera d’en indiquer la portée.
Le son et sa trace
Enfin la forme textuelle de ces airs, propagée par les plaquettes imprimées, pour riche qu’elle
soit, ne constitue elle-même qu’une trace de ce qu’ils étaient dans les mémoires et les voix. Cette
forme versifiée imprimée est déjà infiniment plus riche que ce que l’on trouve mis en musique, et plus
complexe à étudier. Elle permet de rendre compte d’un état de la réception de ces chansonnettes à
un moment où, pour une bonne part d’entre elles, nulle copie musicale, ni autre d’ailleurs, ne les a
encore saisies. On y trouve, comme on le verra, une lyrique propre, qui appelle des outils de lecture
distincts des outils conventionnels de la musicologie « de papier ». On y trouve aussi des formes
lyriques extrêmement structurées, qui gouvernent le schéma de la strophe, imposent, par mille
détours, des cadres de versification parfois détonants, entre hétérométrie de principe et régularité de
surface (régularité sonore surtout). C’est un alliage surprenant, en même temps qu’un matériau
abondant pour témoigner du creuset de la poésie à un moment où la rencontre entre l’oral et l’écrit
est encore possible.
32 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
On remarquera évidemment que le rôle de ces plaquettes de paroles change dès lors qu’existent
des éditions musicales. Mais peut-être pas tant que ça pour l’essentiel : on chante tout au long du XVIe
siècle de la musique sans partition, avec les seules paroles (et à une seule voix). Les paroliers sont un
des supports de la musique, que l’on devra encore articuler avec les autres formes de musique notée
existantes. Il faut les imaginer aussi, pourquoi pas, utilisés en même temps que les musiciens qui savent
jouer disposent d’autres supports. Par exemple celles où il n’y a pas de paroles notées (Odhecaton ?),
celles où il n’y a jamais de paroles (versions pour luth), et même celles où il y a des paroles, mais pas
toutes (polyphonies dites vocales). Enfin, et c’est bien évident, celles où de nouvelles paroles pour de
nouveaux airs à une voix ont été écrites : les psautiers, les livres de chansons spirituelles, de cantiques…
les chansonniers monodiques de la seconde moitié du siècle (Chardavoine par ex.), les éditions
musicales avec textes surabondants (les Amours de Ronsard, de 1552), et enfin les ouvrages luth et
voix où la partie voix possède une toute petite trace de notation, et toutes les strophes, en page paire,
alors que le luth a la tablature correspondante, en page impaire : disparition de la nécessité du parolier,
ouvrages doubles en somme, parolier à gauche, musique à droite (on songe par exemple au Second
Livre de guiterre, d’Adrian Le Roy, Brown 1556/8).
Les limites d’une démarche partant de la musique, concernant ce corpus, sont donc celles-ci.
Quelles sont les moyens de savoir concernant les autres sources ?
Répertoires et catalogues
Le schéma ci-dessous rappelle synthétiquement quelles sont les différentes sources qui
permettent de rendre compte de chacun de ces airs mentionnés, leur détail est exposé en tête de la
bibliographie :
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 33
Pour les sources musicales polyphoniques, la base de données de référence est celle d’Annie
Cœurdevey, Catalogue de la chanson française de la Renaissance, en ligne sur le site Ricercar du CESR
de Tours, dont elle constitue le fleuron. Les limites chronologiques de la base sont très claires, elle
concerne la musique imprimée, en tant que point d’entrée. Elle introduit progressivement les psaumes
polyphoniques (de toute façon tardifs pour notre propos). On y trouve les concordances avec les
manuscrits, et, de plus en plus, une visualisation des incipits musicaux. Les sources exclusivement
manuscrites ne sont pas dépouillées, même si les concordances sont très bonnes. Ce qui veut dire que
pour la chanson du XVe siècle finissant, et plus particulièrement du début du XVIe siècle, la couverture
est légèrement moins bonne, voire pour certaines sources, absente car en dehors du champ de la base.
Les détails sur la forme littéraire, sur la source, font l’objet d’annotations succinctes. On ne trouve pas
le texte intégral des chansons (un travail colossal par ailleurs).
Sur le plan des limites chronologiques, l’ouvrage de David Fallows ne se raccorde pas
parfaitement avec la base d’Annie Cœurdevey, mais les détails sur les structures musicales et
poétiques sont plus importants et les concordances, multilingues car Fallows a choisi d’inventorier
toute la production profane du XVe siècle. Si le travail sur les formes poétiques est très inspirant, avec
une notation assez précise des mètres et des rimes, il est également fondé, comme tous les autres, et
avec beaucoup de sérieux, sur les meilleurs ouvrages littéraires : c’est-à-dire qu’une forme à refrain
inexpliquée se voit proposer un classement en virelai, en rondeau irrégulier à l’occasion, ce qui par
moments s’avère frustrant – mais de cette saine frustration qui naît lorsqu’on a parcouru un territoire
avec une excellente carte, et que quelques bosquets demeurent inexplorés. Il est vrai que les textes
des paroliers tiennent le lecteur en respect, comme on le verra. Les grands chansonniers
34 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
polyphoniques et monodiques y figurent, avec un luxe de détail qui permet de bien faire le lien avec la
période de Guillaume Dufay et Gilles Binchois, voire de Machaut.
Dans le même domaine, et couvrant toute la période XIIIe-XVIe siècles, l’entreprise anglaise
DIAMM a permis, à partir des plus importants travaux antérieurs de catalogage des fonds manuscrits
(RISM et Census catalogue), de reprendre en ligne les notices de ces ouvrages, et de les augmenter au
moins de la bibliographie afférente à chaque manuscrit, ainsi que du sommaire. On sait que le RISM,
sur ces périodes, n’est complet ni chronologiquement ni géographiquement, mais c’était en son temps
et sous la forme primitive une très belle entreprise, avec, pour certains volumes, les incipits musicaux.
Le Census catalogue donne la bibliographie et la description matérielle, hors sommaires : impossible
de localiser une pièce. DIAMM renverse donc la proposition, en indexant toutes les pièces, et en listant
tous les manuscrits : les grands bibliothèques, notamment est- européennes, se sont trouvées très
bien décrites, et DIAMM est aujourd’hui un outil de concordance manuscrite important. Cependant il
est très parcimonieux dans les métadonnées, et le texte est rarement présent, voire pas du tout.
L’interrogation se fait sans accents.
Pour la musique instrumentale, les inventaires sont, depuis toujours, des entreprises bien
distinctes. La musique instrumentale imprimée est bien cataloguée par Howard M. Brown (on trouve
aujourd’hui des manuscrits de musique instrumentale dans DIAMM, mais sans note de contenu). Son
ouvrage comprend ce qui a été laissé de côté par le Census catalogue et le RISM, pour lesquels il existe
des catégories distinctes. Dans le RISM, les sources de la musique pour luth sont décrites, mais
l’entreprise est là aussi inachevée, probablement en lien avec les ruptures technologiques de la fin du
siècle dernier. L’ouvrage de Brown comprend la musique de danse, et de nombreux index. Il exclut la
musique manuscrite.
Pour la musique instrumentale manuscrite, il faut se tourner vers Christian Meyer, qui a
entrepris avec François-Pierre Goy et d’autres un travail colossal de catalogage, complémentaire à la
base RISM désormais en ligne. Les concordances apportées par lui sont évidemment très précieuses,
notamment pour ce qui est des supports non catalogués au RISM. L’entreprise là aussi est européenne,
et dépend de ce qui a pu être envoyé par les différents correspondants. Certains pays ne sont pas
couverts pour les sources manuscrites de la musique de luth.
Pour la musique de danse à proprement parler, la musique instrumentale à danser, les sources
sont dépouillées par Brown avec la musique instrumentale. Mais il existe des recueils, avec et sans
notation musicale, avec indication des titres acompagnés des pas de danse, titre par titre. Comme pour
les paroliers sans musique, ce sont des guides qui reflètent une pratique sociale, au moins autant que
des livres à lire. Il n’existe pour les sources françaises que trois ou quatre sources seulement avant
1550, dont la plupart posent plus de questions aux chercheurs que n’importe quel autre répertoire.
Comme pour la chanson sans musique, les pièces se désignent de mémoire par un titre ou un élément
sémantique, refrain, incipit, strophe, ou un élément saillant, un surnom etc. Lorsqu’elles sont précisées
et notées, sans texte, les danses sont notées en notation alphanumérique, et l’on ne conserve que la
suite des pas. Sur ces suites de pas, les danseurs aujourd’hui font des hypothèses très sérieuses, mais
l’on ne peut toujours dire avec certitude si la longueur de phrase correspond au nombre de pas, ou le
nombre d’itérations pour danser la série entière, etc. Ce qui domine, autant chez Arena que chez
Moderne, c’est le cadre de classement. Moderne cite tout de même 150 danses, et nombreuses sont
celles qui constituent précisément l’air de nos chansons sans musique. Pour autant, le travail de
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 35
concordance, qui peut paraître d’une aridité alarmante, se révèle fructueux, en raison même de la
diversité des sobriquets et de la connaissance de la date de publication de l’ouvrage de Moderne à
Lyon. Les deux ouvrages antérieurs, qui possèdent en outre une notation musicale abrégée, réduite à
ses principes, les basses danses du manuscrit de Bruxelles, du XVe siècle ainsi que l’ouvrage de Michel
de Thoulouze, sont hors du champ des airs à chanter relevés, sans concordance. Le propre des listes
de danses (et de leur édition) réside dans l’énumération et le classement par longueur de phrases (qui
détermine une typologie). Il faudrait regarder de manière plus technique encore la liste de danses de
Rabelais au livre V, chapitre XXXIII bis. Daniel Heartz, dans son édition des pièces d’Attaingnant, posait
très bien en introduction la question de la relation des pièces de danse avec le modèle vocal (et il
évoque aussi la question de l’adéquation des pièces qu’il édite avec les notations de danse conservées
par ailleurs : taille des phrases, nombre de sections…). Pour notre propos toutefois, la mention d’un
air dans les listes de danses, donc dans la liste de la musique mémorisée sans notation, dont l’exécution
se fait par des non-lecteurs de musique – pourvu que l’on danse-, est aussi précieuse que toute autre
source. Elle a des incidences sur la régularité de la carrure des phrases, semble-t-il, lorsque l’on réussit
à établir une correspondance.
Les deux chansonniers monodiques font l’objet d’une bibliographie spécifique, et d’éditions,
parfois anciennes (Gastoué, Gérold), parfois plus récentes (Kraft). Leur musique est introduite dans la
base Chansonmelodies, mais la consultation des manuscrits eux-mêmes est aujourd’hui nettement
facilitée par la numérisation (BnF). La présentation matérielle des deux manuscrits est très différente :
l’un (BnF Fr. 12744) met en évidence le texte, et en bas de page la musique, sous une forme
apparemment plus quotidienne et « négligée », sur le plan de la copie, que Bayeux (BnF Fr. 9346). C’est
évidemment le premier qui sera le plus convaincant en termes de traces d’exécution au travers de
l’observation de la méthode de copie, alors que le second, véritable manuscrit de présentation,
constitue sur le plan littéraire et musical un objet d’art. La musique y est présentée en pleine page, en
couleurs, les strophes additionnelles sont copiées en page impaire. Plusieurs chansons leurs sont
communes, et leur émergence (tout comme leur singularité) à quelques années d’écart souligne
l’importance de la circulation de chansons à voix seule, car toutes n’ont pas été mises en polyphonie,
tant s’en faut. On note d’ailleurs une lyrique très particulière, une ornementation vocale expressive
dans Bayeux, qui est souvent moins visible dans le 12744, plus direct en somme. L’ornementation de
Bayeux lisse énormément les courbes mélodiques sous-jacentes, notamment à l’approche des
cadences, et rend parfois les pièces très semblables l’une à l’autre – à nos oreilles du moins. Il existe,
en pratique, une « signature sonore » Bayeux. Nul doute que le caractère exceptionnel de la
présentation des versions à une voix obéisse ici et là à des principes d’ordre différent, mais leur
présence commune, à cette période, avant l’imprimerie musicale, appuie fortement le propos : il y
avait bien une circulation de chansons, distinctes des polyphonies, conservées ailleurs et autrement.
Les concordances de ces manuscrits, entre eux, et en polyphonie, ont été bien étudiées. Et la question
aurait été close si d’une part les plaquettes de paroles avaient reflété le contenu de ces manuscrits,
tout ou partie, et si d’autre part les chansons de ces deux manuscrits n’avaient pas troublé, sur le plan
des formes musicales et poétiques, plus d’un commentateur. Il semblait à première vue que ce
problème fût commun avec celui des formes strophiques dans les paroliers, en général. D’autre part
les textes conservés différaient sensiblement, et de façon inquiétante. Ceci n’apparaît pas lorsque l’on
se contente de la concordance avec une polyphonie : on ne voit guère les structures de répétition, pas
toujours apparentes dans les sources polyphoniques, et l’on suppose que cela revient à pouvoir
chanter l’ensemble des paroles présentes dans le manuscrit monodique. C’est souvent dans
36 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
l’arrangement des strophes suivantes que se produisent les interrogations. Lorsqu’elles divergent dans
un parolier imprimé, la question devient intéressante.
Du côté des ressources pour l’étude des paroliers, on aurait pu penser qu’existent, comme celle
d’Annie Cœurdevey, de grandes entreprises d’inventaire pour la poésie quotidienne du XVIe siècle (ou
d’anthologie). Il n’en est rien, et le catalogue de Lachèvre, si central et si précieux pour le XVIIe siècle
notamment, écarte ces simples plaquettes, qui ne sont pas à proprement parler, à ses yeux, des
anthologies poétiques. Et pourtant, quand s’y glissent des poésies de Jean Marot ou de Charles
d’Orléans, on est tenté de travailler à préciser le statut de ces recueils. Faute de Lachèvre donc, il faut
recourir aux travaux spécialisés sur un genre ou un recueil, d’abord aux travaux de Droz et Chambure,
puis Droz et Piaget pour le Jardin de Plaisance, de même pour d’autres grands recueils importants
(Rohan, La chasse etc.). Outre Brown, Jeffery et Koopmans, on bénéficie enfin des ouvrages de Rézeau
et Block sur les noëls, déjà mentionnés. Block édite, en réalité, une immense anthologie de 1537, les
Grands Noëls de Pierre Sergent, conservée à Wolfenbüttel, et à cette occasion, de nombreux noëls
antérieurs se voient pourvus d’une notice consistante, et de l’édition d’une des musiques possibles. Le
travail de Block est calqué sur celui de Brown dans Theatrical song. Elle est très musicienne, et la
moindre allusion ou miette de citation lui semble importante, et moins les formes poétiques ou le
texte. C’est à peu près l’inverse qui se passe dans l’ouvrage de Rézeau, littéraire, attentif à la langue,
aux régionalismes, à l’histoire du livre, à la bibliographie, à la production matérielle des plaquettes, à
la forme des poèmes.
Cependant l’un et l’autre ne peuvent décrire très précisément les formes poétiques chantées,
parce que les airs ont disparu ou qu’ils sont face à un texte second par rapport à une chanson existante
(notée ou non). Et cette perte, immense, rend l’analyse métrique sinon impossible, du moins très
spécifique. Block s’y soustrait, toute à ses partitions. Rézeau ne s’en empare pas, mais donne
l’indication d’une concordance possible avec Ricercar (« Ricercar »), sans plus. À partir des versions
mises en musique cependant, il est encore possible d’observer précisément la forme lyrique de cette
poésie chantée saisie entre une certaine oralité et l’écrit, entre réécritures et fixation auctoriale, avant
qu’elles ne constituent un simple vivier de « timbres » dont le grand développement accompagne si
bien la chanson de propagande et de protestation.
Décrire ces airs dans un catalogue qui donne à la fois leurs sources textuelles et musicales, tente
de mettre en valeur leur forme poétique, indique des éléments de leur rayonnement dans le domaine
du théâtre profane, de la danse, de la musique instrumentale, explore leurs réécritures dans les noëls
et chansons spirituelles, tel est le but poursuivi.
Dans cette optique, la « chanson que l’on chantait » est centrale, et ses différents visages, airs
ou paroles, ne sont pas encore des pastiches, des réélaborations, des contrefaçons – parce qu’il n’y a
pas d’œuvre originale, mais un faisceau de témoins de pratiques ubiquitaires : partout, dans l’espace
public et privé, des chansons partagées ici où là étaient fredonnées. Le terme « fredon » serait sans
doute le meilleur pour les qualifier, s’il n’avait en français une connotation d’imprécision qu’on ne
trouvera pas ici. L’hypothèse que c’est d’abord l’air musical qui inspire la versification, qui la soutient,
même d’assez loin, est plus importante que l’idée que les textes fonctionneraient par oppositions :
l’ancien texte, contrefait, serait pastiché par le nouveau, balayé parfois, ridiculisé ou combattu. On
peut observer que ce n’est pas ainsi que se passent les choses lorsque l’on connaît les airs sur lesquels
les uns et les autres travaillent : quelques mots pour démarrer, parfois les mêmes que ceux du début
I – AIR ET CHANSON : DES RECUEILS AUX CONTENUS 37
de la chanson, et le métier poétique prend son envol. S’il y a bien des enjeux esthétiques,
confessionnels, politiques, il y a aussi des façons de procéder, et l’on peut montrer, au terme d’une
première étude, que les préoccupations lyriques, en présence constante dans la mémoire des poètes,
des airs sur lesquels les uns et les autres écrivaient, apparaissent très importantes. On ne trouvera
donc pas d’idée de parodie, de contrafacture, de pastiche ici, dans la mesure où le terrain est situé très
en amont avant l’imprimerie musicale, et fonctionne sur un réseau d’airs intériorisés, pas toujours
disponibles en notation musicale au moment où les poèmes sont écrits – mais pour notre plus grand
intérêt, pour partie possibles à retrouver.
Une partie de la réflexion se nourrit donc des acquis des ethnomusicologues, notamment du
domaine français, et principalement Patrice Coirault et Conrad Laforte, tous deux bons lecteurs de
sources poétiques anciennes, et qui ont su inventorier et signaler celles qu’ils avaient encore pu
entendre lors de leurs collectages sonores. Si certains airs du début du XVIe siècle n’avaient jamais été
notés musicalement, et ne l’ont d’ailleurs pas été ensuite, c’est qu’ils sont demeurés dans le répertoire
oral, et les collectages nous réservent aujourd’hui encore probablement des surprises. À leur écoute,
on peut comprendre comment s’articulent en réalité les formes poétiques chantées dont nous ne
savons rien tant qu’elles demeurent séparées de leur système de réalisation, entre couplet et refrain,
des systèmes qui, dès lors qu’on parle de chants non notés, se révèlent particulièrement bien
structurés au contraire. Une bonne partie du travail consistait donc à considérer une part des paroles
transmises comme relevant de la brusque fixation par l’écrit de chansons orales, d’en établir les
principes, pour en retrouver lorsque c’était judicieux leur trace dans les chansons auxquelles elles ont
donné naissance : chansons spirituelles, noëls, strophes additionnelles, réécritures… C’est aussi la
raison pour laquelle, sur cette période précise, entre premiers imprimés et répertoire oral, plusieurs
méthodes sont en concurrence, sur un objet dont ni le texte ni la musique ne sont fixes. C’est pourquoi,
le terme de timbre, qui est celui que nous comprenons mieux aujourd’hui, ne sera pas volontiers utilisé
non plus – il ne l’était pas au XVIe siècle. Telle « chanson nouvelle » (et comment n’aurait-t-elle pas été
nouvelle, avec ses deux nouvelles strophes sur cinq ?) se chante « sur l’air de », « sur le chant de »,
simplement « sur » Hélas madame, « sur le mètre de » En l’ombre d’un buyssonnet… jamais « sur le
timbre de ». Nous considérerons que les « chansons » sont, au moins pour l’imprimeur, pour
Trepperel, Nyverd, le texte des chansons qu’il imprime, et pour un chacun, la chanson qu’on chante
plutôt que celle qu’on exécute, plutôt que celle qu’on déchiffre et même plutôt que celle qu’on lit. Les
« chansons musicales » sont des chansons polyphoniques : le terme « musicales » veut dire dans ce
contexte et à cette époque qu’elles sont composées, élaborées. Et l’on verra comment chaque chanson
ou presque peut être dite « nouvelle » sans que l’on puisse blâmer nécessairement l’argument
commercial trompeur.
L’inventaire qui a été mené est celui des plaquettes gothiques de chansons imprimées jusqu’en
1543. Les plaquettes circonstancielles non éditées par Jeffery, « chants historiques » ou simples
feuillets y ont été adjoints, notamment à partir des travaux de Montaiglon et Rothschild, et des
plaquettes cataloguées à la Réserve de la BNF, de Chantilly et de Wolfenbüttel, mais ces ajouts ne
définissent pas une exhaustivité en soi. L’ajout le plus significatif a été celui du recueil Viviant (1520)
et celui de 1542, volumineux, que Jeffery n’avait pas inclus dans son édition (le recueil S’ensuivent…
chansons de 1542). Dans sa forme définitive, l’inventaire comporte plus de 800 entrées. Pour les
besoins du travail actuel, le catalogue annexé est limité aux résultats montrant une mise en œuvre
dans les paroliers avant 1535, soit avant la première grande anthologie rétrospective conservée à
Wolfenbüttel, soit 177 airs jusqu’en 1534.
II - Les recueils
Paroliers
Les 20 plaquettes analysées par Jeffery22 couvrent toute la période jusqu’à 1543, à quelques
recueils près. Chacune d’entre elles existe en un seul exemplaire. On sait par les inventaires des
libraires que de telles plaquettes pouvaient atteindre dans leurs stocks le nombre de mille23.
Aucune de ces plaquettes n’est datée. Pour ces raisons, les études de bibliographie matérielle
sont tout à fait cruciales : pour les imprimeurs parisiens du tout début de l’histoire du livre cependant,
la situation est particulièrement complexe, et tous les éléments ne sont pas connus, notamment pour
l’imprimerie de Trepperel et surtout pour les plaquettes gothiques.
Dans son édition récente de théâtre profane24, Jelle Koopmans a choisi de consacrer sa longue
introduction aux détails typographiques traités par Harisse25. Dans son ouvrage, Harisse signale que
contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’examen des bois gravés ne permet pas toujours de
distinguer une édition d’une autre26. On y parvient plutôt par l’examen des types de caractères utilisés,
et, au sein de ces familles de caractères, plus particulièrement certaines majuscules. Harisse a montré
qu’il pouvait mettre en évidence l’utilisation de certaines lettres majuscules, notamment le T, qui sous
certaines conditions de taille de page et de corps semble différer d’un imprimeur à l’autre. Le travail
d’Harisse se révèle encore utile de nos jours, et l’on a pu avec succès l’appliquer à certaines plaquettes
gothiques conservées au musée de Chantilly.
Cependant, il est notoire que les caractères gothiques s’usent moins que les autres, que le
matériel typographique passait facilement d’un imprimeur à l’autre, et pouvait être utilisé pendant
des décennies. Cela ne fait que rehausser la valeur des observations de Harisse, qui peuvent encore
être utiles. Il reste encore sur le plan de la bibliographie matérielle une part importante de travail à
réaliser, qui pourrait certainement être affinée.
Ces plaquettes gothiques de « chansons » ressemblent tout à fait à celles qui conservent des
pièces de dévotion, des almanachs, des pronostications, des pièces de théâtre et notamment de
théâtre comique, des dialogues, des joyeux devis, et toutes pièces versifiées destinées à l’édification
et au loisir au début du siècle. Les formats sont réduits, souvent une douzaine de centimètres de haut
pour neuf de hauteur, en une à deux colonnes, avec une présentation typographique très compacte.
Un certain nombre de signes typographiques viennent aérer la présentation, et notamment les pieds
de mouche, qui indiquent de manière assez régulière l’articulation que l’imprimeur, le correcteur ou
les typographes ont souhaité introduire dans le texte. Ces détails sont importants dans la mesure où
pour certaines de nos chansons, de transmission orale jusqu’alors, le sentiment des différents acteurs
22
Brian Jeffery, Chanson Verse of Early Renaissance, London, B. Jeffery, 1971.
23
Inventaire des livres de Jean Janot, époux de Macée Trepperel [« L’Écu de France »], Paris, 17-28 février
1522, dans Roger Doucet, Les bibliothèques parisiennes, Paris, Picard, 1956.
24
Jelle Koopmans, Le recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011.
25
Henry Harisse, Bibliographie de quatre cents pièces gothiques françaises, italiennes et latines du
commencement du XVIe siècle, Paris, H. Welter, 1887.
26
Les plaquettes de paroles à chanter sont souvent pourvues d’au moins un bois liminaire. Certaines sont
plus abondamment illustrées (Chantilly). Harisse fait l’hypothèse que des copies à l’identique de gravures sur
bois circulaient.
40 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
contemporains peut nous donner de précieuses indications sur la façon de percevoir les strophes, les
couplets, les refrains.
On trouve encore des signes typographiques en fin de ligne, certains vers étant particulièrement
courts. C’est ainsi que dans l’édition Nourry de 153427, on trouve régulièrement, en plus des indications
« bis », des groupes de trois points typographiques qui constituent un caractère à part entière. Il est
placé à droite de la page imprimée, et ne semble pas là pour signaler des répétitions, ou des didascalies
chorégraphiques par exemple. Il sert peut-être simplement à maintenir le papier de la page à l’endroit
des lignes les plus brèves, en fond de galée, pour une raison inconnue mais sans doute technique (le
papier réagit-il mal aux lignes très brèves ? Gondole-t-il ?).
27
S'ensuyvent plusieurs belles chansons nouvelles : nouvellement imprimées, lesquelles sont fort plaisantes
Et les noms d'icelles trouverez en la table qui est à la fin du present livre. Avec aulcunes de Clement Marot, de
nouveau adjoustées. On les vend à Lyon, en la maison de feu Claude Nourry, dit le Prince, Pres nostre Dame de
Confort, Lyon, Claude Nourry, [1533 ou 1534].
II – LES RECUEILS 41
On suivra aisément dans l’introduction de Brian Jeffery28 la façon dont il argumente la séparation
de son corpus en trois parties distinctes. Notamment, contrairement à l’avis de Brunet, Jeffery décide
à mon avis à juste titre que le recueil J.90(a) est l’un des plus anciens : à peu près 1512. Rappelons qu’à
cette même date, de grands manuscrits de Noël et plusieurs imprimés ont déjà vu le jour. À travers
une succession de concordances, Jeffery montre que chaque recueil emprunte un peu au précédent,
tout en présentant des ajouts incessants.
Recueils Pièces
J.90(a) 39
J.90(b) 43
Fragment A 7
Fragment B 7
J.53 36
J.11 10
J.12 12
J.8a 8
J.8b 8
J.8c 8
J.14 14
J.16 15
J.17 17
NJ.Viviant [1520] 42 + 4 (rondeaux, quolibet)
J.Fleur 110 48
J.1534 37 (dont 8 Marot)
J.1535 213 (dont 15 Marot, avec réécriture dans le cas de 26, 27, 53, 54, 82)
J.1537 226 dont 32 Marot dans l’ordre de l’Adolescence Clémentine
J.1538 267 dont 32 Marot dans l’ordre de l’Adolescence Clémentine
NJ.1542 46
J.1543 225, réédition de 1538.
Par rapport aux plaquettes de la même période, la toute première collection J.90(a) est assez
étoffée, elle comprend 39 chansons et se termine par une déclaration de l’acteur ainsi rédigée :
28
Brian Jeffery, Chanson Verse of Early Renaissance, London, B. Jeffery, 1971, 2 vol., vol. I p. 14 sq.
29
Les recueils sont ici abrégés, on en trouvera le détail p. 54 sq.
42 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
L’acteur
La veille Monsieur Saint Lambert
Fut fait ce livre de chansons
Pour mon maistre Jehan Boutart
[F4r°] À resjouyr les compaignons
Pour luy prie dieu en toutes saisons
Que bien luy soit en faitz et ditz
Par priere et oraisons
Que en la fin ait paradis
Amen
Richard m’a escript sans umbrage
Au bout du pont pres de Terouenne
Qui jamais ne fut mis en cage
Si non que pour l’enfant de Ravane
Il ne mangea ne lart ne couane
Ne pain ne paste aussi ne beut
Je prie à dieu non pas jouvenne
Qu’il face pardon à qui ce fut
Amen
C’est à partir de ce texte que Jeffery souligne que saint Lambert a été martyrisé pour avoir
dénoncé une relation adultère. Il en fait donc une lecture plutôt facétieuse ici30. Jeffery commente
ensuite les lieux et noms, en rapprochant Thérouanne de la région (Hesdin, Tournai) qui a donné lieu
à tant de chansons historiques (militaires). L’enfant de Ravenne serait Gaston de Foix. Probablement
d’autres éléments viendront éclairer un jour ces vers finaux. Ces vers sont suivis de la « Recepte pour
guarir du mal des dens », une recette tout à fait digne du théâtre de la farce. On trouve également
cette recette pour faire revenir les dents la fin de notre recueil J.11.
Jeffery a édité presque tous les recueils de sa connaissance, connus dans les années 1950, mais
il écarte - tout en les citant - deux recueils, l’un de 1520, l’autre de 154231. Une mention doit être faite
ici du recueil Viviant32, écarté par Jeffery, paru à Genève en 1520 (date supposée), dont l’univers
semble à la fois plus littéraire, et nettement plus ancien. On y trouve notamment pour Nymphes des
bois un texte second peu connu que voici :
30
Brian Jeffery, Chanson verse, op. cit., vol. I, p. 96.
31
Ces deux recueils font partie de notre répertoire : Sensuyvent plusieurs belles chansons composées
nouvellement lesquelles ne furent jamais imprimées et se chantent sur divers chans nouveaux pour ce qu'elles
sont nouvelles et le nombre dicelles se treuve en la table qui est a la fin du present. Imprimées en la noble cité de
Genefve en la rue de la juifrie : et se vendent auprès de sainct Pierre en la boutique de maistre Jaques Viviant, [ca
1520], Genève, Jacques Viviant, [1520], qui sera abrégé en NJ Viviant; Sensuyt plusieurs belles chansons nouvelles
imprimees nouvellement dont les noms s'ensuyvent cy apres en la table. Mil cinq cens. XLII. - On les vend a Paris
en la rue neufve nostre Dame a l'enseigne de l'escu de France., [Paris], [Alain Lotrian], 1542, [NJ 1542]. Ce dernier
recueil représente une pierre de touche dans l’histoire de la chanson historique imprimée au XVIe siècle.
32
Op. cit. NJ Viviant.
II – LES RECUEILS 43
La tonalité, on le voit, est nettement humoristique, à partir d’un texte d’origine extrêmement
recueilli. Parmi les autres merveilles du recueil Viviant, une version très ancienne de Au bois de dueil
(naturellement avec des strophes additionnelles et neuves) :
Chanson. xxxiii.
Puisque cette pièce, ici à 5 strophes (voir catalogue n° 78) figure dans ce recueil, c’est l’occasion
d’interroger la date supposée de sa parution : cela ferait de ce texte la première apparition connue de
Au bois de dueil. Le recueil J.Fleur 110 est réputé publié en 1527, et J.8(a), entre 1525 et 1530 selon
Jeffery, mais nous savons que le travail sur la bibliographie matérielle de ces plaquettes pourrait être
intensifié, en dépit de la difficulté objective que cela représente, notamment par l’usage de Harisse. Si
la datation de Viviant par la bibliothèque de Genève (+/- 1520) se confirme, cela peut jeter un jour
intéressant sur cette chanson particulière dans l’univers protestant (pas uniquement en raison de sa
44 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
forme si spécifique, avec des vers raccourcis en fin de strophe, si proche de la forme de Tant que vivray
de Marot). Les usages ultérieurs de ce chant ont été bien exposés par Packer33.
Si aucun de ces recueils ne semble constituer un projet éditorial pensé comme un tout, on peut
cependant noter dans certains recueils une intention d’organisation, reléguant certains types de
formes poétiques par exemple au début ou à la fin. C’est tout à fait sensible notamment entre les
recueils J.1534 et J.1535, où réapparaissent en fin de recueil des chansons que l’on n’avait jamais lues
autrement que dans les deux grands chansonniers monodiques BnF Fr. 12744 et le manuscrit dit de
Bayeux, BnF Fr. 9346, inaugurant une période de nostalgie et probablement le début d’une mise en
patrimoine :
Chansons de J.1535 tirées de Paris, BnF, ms. Fr. Chansons de J.1535 tirées de Paris,
12744 BnF, ms. Fr. 9346 :
À Paris à La Rochelle
Maulditz soient ces envieulx (R) Au bois de deuil à l'ombre d'un soulci
Nous estions trois filles Au bois de deuil à l'ombre de soulci (2e version)
Ce mois de mai par un doulx assoirant Ce mois de mai par un doulx assoirant
C'est simplement donné congé Helas j'ai esté destroussé
En plains et pleurs je prens congé Il est venu un petit oisillon
Puisque de vous me fault partir J'aime bien mon ami
Helas Olivier Basselin L'amour de moi si est enclose
Il est venu un petit oisillon Le perier qui charge souvent
Je ne me puis tenir Mon coeur vit en esmoi
L'amour de moi si est enclose Plaisante fleur gente et jolie
L'autre jour jouer me alloie: Sous une [aub]espine fleurie
Le perier qui charge souvent Souvent m'esbas et mon coeur est marri
33
Dorothy S. Packer, « Au Boys de dueil and the Grief-Decalogue Relationship in Sixteenth-Century
Chansons », The Journal of Musicology, vol. 3, n°1, Winter, 1984, p. 19-54.
II – LES RECUEILS 45
À partir de J.1534, les recueils sont orientés vers la production de Clément Marot, et la placent
de façon groupée. J. 1535 rassemble 32 chansons dans l’ordre de l’Adolescence Clémentine en tête du
parolier. C’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du seul poète largement identifié dans ces
recueils34.
Pour chacune de ces chansons, Jeffery a placé lorsqu’il le pouvait les concordances musicales.
Aujourd’hui, depuis une dizaine d’années, non seulement la base Chansons de la Renaissance d’Annie
Cœurdevey (Tours, C.E.S.R.) est disponible, mais encore nous bénéficions de numérisation massive de
manuscrits et de premiers imprimés musicaux. C’est ainsi que chacune des concordances de Jeffery
peut être de nouveau confrontée aux sources, désormais mieux signalées. Mais les progrès sont
quotidiens, ce qu’un travail tel que celui-ci rend très sensible.
Enfin, dans certains recueils, on note une prédilection pour la chanson dite historique,
essentiellement tournée vers la geste militaire. Le support le plus fréquent de ces chansons est la
publication de petites plaquettes de quelques folios, contenant une ou deux chansons de même type,
pour des circonstances voisines. Elles font plus rarement partie de recueils « généralistes », comme le
sont les trois recueils J.8. Ces chansons historiques, souvent strophiques, remémorent l’éclat d’une
action militaire passée, chantent bien souvent les victoires de tel ou tel grand chef de guerre. C’est
particulièrement le cas du recueil J.8(b), avec une rare chanson « de galériens ». Ces recueils sont
essentiellement contemporains de la première vague d’impression musicale inaugurée à Venise en
1501, deux manuscrits soigneusement copiés pour des patrons princiers, le manuscrit de Bayeux BnF
Fr. 9346 et le ms. BnF Fr. 12744. En fin de période, les recueils paroliers rencontrent les débuts de
l’imprimerie musicale parisienne, avec les premiers recueils de chansons de Pierre Attaingnant. On
sera particulièrement attentif aux très rares recueils imprimés de musique polyphonique qui
s’inscrivent entre 1501-1528, et qui permettent de constater l’existence de quelques versions
imprimées très précoces.
34
On relève les noms de Jean Marot, Claude Chappuys et Mellin de Saint-Gelais, très fugitivement (une
chanson).
46 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Paris, BnF, Réserve des livres rares, Rés. Ye. 137435, page de titre.
Noëls
Les recueils de noëls sont exactement du même format que les plaquettes gothiques qui
contiennent des chansons. Les noëls ont bénéficié d’études plus poussées, et comme elles, ils ont
suscité l’intérêt des bibliographes et des bibliophiles de la fin du XIXe siècle. La littérature des Noëls est
particulièrement liée aux dix-neuvièmes et vingtièmes siècles, au travers des exemplaires souvent
uniques que conservent les grandes bibliothèques de Paris, de Chantilly et de Wolfenbüttel, auxquels
il faut ajouter Séville. Leurs caractéristiques typographiques sont exactement les mêmes que celle des
recueils de chansons, puisqu’ils proviennent des mêmes officines, et pour un même public. Les recueils
manuscrits les plus anciens ne portent pas d’indication de timbres.
On a pour les noëls un certain nombre de caractéristiques divergentes cependant : ils sont plus
abondamment pourvus de bois gravés liminaires. On note également dans la mise en table que les
Noëls sont ordonnés non pas par titre, mais précisément par air sur lesquels on les chante. Ainsi, la
table d’un recueil de noëls est en réalité constituée de la table des airs sur laquelle on peut les chanter.
C’est-à-dire que le lecteur, en ouvrant son recueil, ne cherche pas un texte, mais plutôt cherche à
chanter une chanson qu’il connaît avec de nouvelles paroles dont il attend certainement surprise et
humour. Cela montre bien la hiérarchie qui s’installe entre la musique et le texte, le texte venant en
second, sur un canevas lyrique posé par la musique. On verra par la suite que ce canevas conserve
35
Sensuyt la rencontre et desconfiture des hennoyers faicte entre sainct pol et betune et a la journee de
fin faicte des Hennoyers par nos gens mis a fin et moult fort anoyez Avec la summation darras et se chante sur le
chant Helas je lay perdue celle que jaymois tant. On les vend a paris en la rue neufve nostre Dame a lenseigne de
lescu de France. Paris, J. Trepperel, 1522. Une communication écrite avec la Réserve, que je remercie en la
personne de Fabienne Le Bars, laisse apparaître une impression aujourd’hui attribuée plus précisément à la
Veuve Trepperel.
II – LES RECUEILS 47
beaucoup mieux les rimes féminines et masculines et les mesures irrégulières que l’on pourrait s’y
attendre, précisément grâce au « substrat sonore » sous-jacent.
Les airs des deux grands chansonniers monodiques sont très bien représentés dans les recueils
de noëls, parce que ce genre a débuté plus tôt, avant même la parution de plaquettes de chansons. À
l’autre extrémité de la période d’étude, en 1537 l’édition des Grands noëls de Pierre Sergent36 compte
encore 27 chants issus du ms. BnF Fr. 12744, auxquelles il faut ajouter 6 pièces du ms. BnF Fr.9346 qui
ne se trouvent pas dans 12744.
Les recueils de noëls ont été dépouillés en suivant l’inventaire dressé par Pierre Rézeau37. Son
travail met en lumière 77 recueils, qui vont du simple folio unique manuscrit à la collection de 150
noëls de Pierre Sergent, de 153738. Adrienne Fried Block, qui y a consacré sa thèse39, et a publié cette
anthologie de 153740, a particulièrement poussé la recherche des sources musicales, mais n’a pas
indexé les chants sur lesquels se chantaient les autres noëls qui pour elles constituaient des sources
secondaires. Comme le présent travail a été commencé en 2012, l’ouvrage de Rézeau n’était pas
encore paru, et l’on était tributaire à l’époque essentiellement de Block et, avant elle de la thèse de
Jay Rahn41. L’inventaire de Rézeau a apporté une très grande précision dans la datation des timbres,
ce qui permet de constater que certaines chansons sont en usage bien avant même leur publication
dans les paroliers (sans parler de leur notation musicale).
Le répertoire des noëls est extraordinairement porteur, car très précoce. C’est lui qui, par ses
particularités de copie des textes « seconds » qu’il laisse apparaître, révèle le potentiel musical que les
autres supports ne peuvent mettre au jour : un texte de noël, parce que leurs auteurs sans doute
ressentaient des préventions envers le texte premier (et il y avait souvent des raisons), va aplanir la
structure strophique (mieux restituée, cette fois, par les chansonniers polyphoniques et les paroliers),
mais en souligner les répétitions, les refrains internes, toutes sortes de détails qui s’avèrent précieux
pour notre compréhension des formes lyriques.
Le répertoire de noëls était pour cette étude un « contre-corpus », en ce qu’il a servi en quelque
sorte de révélateur. Le classement des recueils, qui était déjà celui de Block, a été repris par Rézeau
(et augmenté fortement). Pour plus de facilité, nous donnons ici directement la table de
correspondance entre les n° de recueils « Block », qui seront utiles dans le catalogue, et les cotes des
exemplaires dans les bibliothèques (ce sont principalement des unica là aussi). La description des
recueils occupe les pages 45 à 54 de l’ouvrage de Pierre Rézeau auquel on pourra se référer. La
numérotation des recueils de noëls diffère selon qu’on se réfère à sa thèse ou à son ouvrage, et ci-
dessous sont reproduits les numéros de l’ouvrage :
36
Les grans Noëlz nouveaulx composez nouvellement en plusieurs langaiges sur le chant de plusieurs belles
chansons nouvelles dont les noms ensuyuent ; Et premièrement, Paris, Sergent, Pierre, ca1530 (HAB).
37
Pierre Rézeau, Les noëls en France aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, ELIPHI, 2013.
38
Les grans Noëlz nouveaulx composez nouvellement en plusieurs langaiges sur le chant de plusieurs belles
chansons nouvelles dont les noms ensuyuent ; Paris, Sergent, Pierre, ca1530 (HAB).
39
Adrienne F. Block, Pierre Sergent's "Les grans Noelz" ca. 1537 and the Early French Parody Noël, PhD,
City University of New York, 1979.
40
Adrienne F. Block, The Early French parody Noël, Ann Arbor, Mich., Umi research press, 1983.
41
Jay P. Rahn, Melodic and textual types in French monophonic song ca. 1500, PhD, Columbia, 1978, Ann
Arbor 1980, 3 vol.
48 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Sources imprimées
Chansons spirituelles
Les recueils de chansons spirituelles sont en revanche ordonnés par titre. Cela suppose de la
part de l’acquéreur une tout autre attitude, une tout autre relation au livre. Ce trait distinctif est peut-
être lié au corpus des chansons spirituelles (sous ce terme générique on comprend actuellement les
chansons pour le public réformé42). La Chrestienne Resjouyssance43 d’Eustorg de Beaulieu est un recueil
particulièrement soigné sur le plan de la relation entre les lecteurs et l’ouvrage. Il est pourvu de
paratextes abondants qui précisent le statut des musiques sur lesquelles Beaulieu composait ses
textes, ses espoirs relativement à ces musiques, et la logique interne du recueil. Les chansons y sont
classées, en fonction de leur origine, et même de la qualité de la versification originelle. Ainsi, Beaulieu
place dans une troisième et dernière section un groupe de chansons dont, selon lui, la métrique n’est
pas parfaite, mais qui lui semblent très fonctionnelles. La présentation de Beaulieu a pour objet
d’éviter qu’on ne confonde l’irrégularité métrique qui était celle de l’air d’origine avec la nature de son
travail. La seconde section en revanche est constituée de chansons qu’il déclare avoir composées lui-
même, mais pas encore soumis à l’impression. En dépit de ses espoirs de les soumettre bientôt « à
l’église » afin de pouvoir obtenir l’accord de la communauté, on n’a pas retrouvé les traces de ses
motets ni de ses chansons. Cette deuxième section, fraîchement composée, est celle qui présente le
moins de concordances avec tous les autres répertoires. Beaulieu semble penser que sa propre
musique, probablement polyphonique et très récente, pas encore dans les mémoires peut tout de
même servir de timbre. Mais il s’agit d’une date tardive relativement à notre propos.
42
Au tout début du XVIe siècle, aucun terme ne vient de manière satisfaisante ou historiquement fondée
définir ce lectorat : évangéliques ? protestants ? réformés ? Le milieu évangélique français est bien cerné sous
cet aspect générique dans la thèse d’Isabelle Garnier, L’épithète et la connivence : écriture concertée dans un
corpus de textes évangéliques français (1523-1534), Paris Sorbonne (Paris IV) 2003, Genève, Droz, 2005, Travaux
d’Humanisme et de Renaissance 404. Les recueils portent le plus souvent au titre le terme de chanson spirituelle
– mais pas toujours. Ces chansons ont pour propriété commune de se détourner par leur existence même des
pratiques pieuses romaines, mais on perçoit bien que cette propriété est partagée par d’autres corpus, au moins
partiellement, et notamment précisément celui des noëls. Les nouvelles tendances au chant pieux en langue
vernaculaire sont démultipliées par l’imprimerie : en Italie, l’exemple de Savonarole et des cantiques qui sont
attachés à sa mémoire sont exactement contemporains de notre corpus. Le point commun entre les
versificateurs franciscains de noëls en français, Savonarole, Luther et bien d’autres, du point de vue de la
musicologie, est ou devrait évidemment être le statut monastique et ses milieux, véritables ferments de
modernité au début du siècle (à la mesure des corpus à chanter également). Ce serait l’objet d’un ouvrage en soi
(pour la France).
43
Eustorg de Beaulieu, Chrestienne Resjouyssance, 2 exemplaires, Musée Condé, Chantilly et Vienne,
Österreichische Nationalbibliiothek (num.), 1546.
II – LES RECUEILS 51
Eustorg de Beaulieu était très musicien, chaque étape de son travail le montre : on voit dans le
détail comment, sur chaque note problématique des airs d’origine, une solution exceptionnelle est
trouvée grâce en particulier à l’agencement poétique des mots.
10 sources ont été retenues pour établir les concordances des airs avec les premières chansons
spirituelles, elles correspondent aux recueils présentés par Anne Ullberg44, n° 1 à 11 (sauf n° 7, une
chanson isolée).
Plaquettes isolées
Les plaquettes contenant une ou deux chansons historiques ne sont pas fréquentes mais c’est
le format habituel de ces chansons plus éphémères. C’est aussi dans ce domaine qu’on a le plus de mal
à trouver les chants préexistants, et la première hypothèse est qu’il s’agit d’airs très répandus,
nettement plus « populaires » que d’autres. L’intérêt pour ces chants historiques anciens, au XIXe siècle,
était particulièrement accentué par les campagnes napoléoniennes visant à restaurer à la mémoire
militaire victorieuse de la France au travers de ses chansons, et cette mission était naturellement celle
des conservateurs de l’État. Les chants historiques ont ainsi été étudiés par Émile Picot45(Picot, 1913)
à la suite des travaux de Leroux de Lincy46, et ont fait l’objet d’une publication suivie de la Revue
d’Histoire Littéraire de la France. Chaque chant historique y est pourvu d’une notice abondante
précisant le contexte dans lequel les événements décrits par la chanson ont eu lieu. Ces chansons
éphémères, dont certaines ont perduré, étaient chantées sur des airs que tout le monde connaissait,
plus encore même que les chansons que l’on peut trouver dans les grands chansonniers monodiques
de Bayeux (BnF Fr. 9346) et BnF Fr. 1274. Ces airs, probablement de véritables scies musicales, comme
en témoignent les quelques exemples que l’on a pu recenser, étaient si simples et si efficaces
qu’aucune notation musicale ne semblait nécessaire. De plus, aucune mise en polyphonie n’était ni
souhaitable ni effectuée. Il s’agit donc à chaque fois de quelques folios, voire, comme les placards de
Dijon, de simples bandelettes de papier imprimé.
Corrections, typographie
La typographie et le degré de correction de ces plaquettes de chansons et noëls sont moins
connues encores que les plaquettes elles-mêmes. Elles partagent la réputation médiocre des imprimés
populaires du même type et du même format. Le point de vue du musicien n’est pas si sombre : sur
le plan matériel, en attendant des études plus approfondies, on ne peut que constater les efforts des
imprimeurs pour restituer de manière intelligente des structures strophiques très liées à la dimension
sonore, et ces structures s’avèrent finalement beaucoup plus répétitives que la moyenne des éditions
poétiques. En effet, un examen plus précis révèle que les formes musicales de ces chansons qui
circulent dans les paroliers avant l’imprimerie musicale sont à la fois très complexes, pourvues de
refrains subtils, et de strophes à la conception raffinée. Les ouvriers typographes semblent avoir fait
de leur mieux pour indiquer des césures, les ruptures dans la construction, telles qu’ils les imaginaient.
Dès lors qu’il s’agit de publier une chanson à refrains du type À la claire fontaine, la question
d’imprimer ou non les refrains, et de les abréger, peut se poser. S’il s’agit d’une chanson un peu plus
44
Anne Ullberg, Au chemin de salvation. La chanson spirituelle réformée, 1533-1678, Uppsala, Uppsala
Universitet, 2005, p. 90-96.
45
Émile Picot, Chants historiques français du seizième siècle, Paris, A. Colin, 1903.
46
Antoine Le Roux de Lincy, Recueil de chants historiques français depuis le XIIe siècle jusqu'au XVIIIe siècle,
Paris, libr. Ch. Gosselin, 1872-1873.
52 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
compliquée, comme Malbrough s’en va-t-en guerre, ou bien Il était un petit navire, alors les refrains
insérés rendent l’opération encore plus complexe. Si des abréviations sont utilisées, notamment à
partir du deuxième ou troisième refrain, on constate aussi, jusqu’au milieu du siècle, que
contrairement à une idée répandue, les imprimeurs ne cherchent nullement à gagner de la place avec
des refrains abrégés, mais au contraire les impriment tous.
J.1534 (Nourry), chansons Quand j’estoys petite garse (cat. 90), fin et Nostre chamberiere se lieve de matin (cat.
472), impression des refrains.
La pièce « Puisque de vous me fault partir », recueil J.90(a) n°12 (cat. 346 pour le commentaire
détaillé et les textes), présente à partir du vers 17 une interpolation de 10 vers (et non 11 comme
l’édite Jeffery, car les vers 20 et 21 sont réunis dans la source). Ensuite la forme strophique initiale
reprend son cours. Cette interpolation est reproduite dans les chansonniers ultérieurs, et l’on peut
penser qu’il s’agit d’une méprise dans l’atelier du premier imprimeur, reproduite ensuite. Ceci serait
tout à fait intéressant et plausible, si l’on n’avait retrouvé une version chantée de cet assemblage
47
Voir chapitre V, 4.
II – LES RECUEILS 53
curieux de chanson strophique et d’interpolation, et cette très ancienne mise en musique semble de
plus antérieure à l’impression du texte. On peut donc imaginer qu’étrangement, si la chanson était
réellement une chanson populaire (au sens de connue de mémoire), alors peut-être l’imprimeur
disposait-il non pas de cette chanson (qui serait alors en oubli), mais d’une copie de la chanson
musicale, prélevée sur… l’unique source manuscrite polyphonique, qui transmet l’erreur, ou une
source comparable (avec erreur). C’est à peu près la seule explication plausible. Deux noëls différents
sont disponibles, l’un épouse de manière étonnante l’interpolation, l’autre non. Les textes de la
chanson et de l’interpolation connaissent tous deux une filiation intéressante, que l’existence des
chansons de noël nous encourage à explorer.
Enfin, loin de simplement copier les plaquettes éditées par d’autres, les ateliers d’imprimeurs
semblent trouver de la ressource à l’intérieur de l’atelier (milieu des typographes ?) voire à l’extérieur,
pour produire des éléments poétiques additionnels, changer certaines strophes, pour en ajouter, et
pour amender les textes d’une manière générale. C’est dire si l’hypothèse de la copie servile est ici
questionnée.
Compte tenu de cette liberté d’action des imprimeurs sur les contenus, dont on n’esquisse que
l’hypothèse, on peut se demander de quelle manière il faut interpréter le fait que les strophes
terminales des chansons soient toujours mieux conformées sur le plan de la mesure poétique que les
strophes initiales. On note en tout cas très régulièrement que là où les premières strophes sont
présentées de manière déficitaire, avec des vers parfois hypométriques, les dernières sont souvent
versifiées de manière à la fois plus pauvre mais aussi plus normalisée. Ceci peut même introduire un
biais méthodologique : si l’on n’arrive pas à découvrir la forme poétique au début de la chanson, il faut
généralement insister, et les choses deviennent claires : en sorte que l’on a tendance à se fonder sur
la dernière strophe pour analyser les premières, ce qui peut introduire une appréciation biaisée de
l’état de la chanson. Il se pourrait en effet qu’en procédant de la sorte, on efface la dimension
archaïque du plus ancien des textes, au profit de la dimension plus récente de la dernière strophe.
C’est pourquoi, les entreprises de normalisation de la présentation de ses chansons sont, ici plus
qu’ailleurs, plutôt défavorables à une bonne compréhension de leur transmission, et nous en
donnerons quelques exemples dans les chapitres consacrés aux formes poétiques.
54 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Recueils Jeffery :
Les recueils ont été traités la plupart du temps directement sur les sources, ou leur numérisation
lorsqu’elle était disponible. Seuls les recueils marqués d’un astérisque ont été traités à partir des
catalogues établis par Brown, Rézeau, Block et Ullberg.
Première période
S'ensuyvent plusieurs Belles chansons nouvelles. Et sont en nombre iiii.xx. et dix., s. d., Paris, BnF,
Département de la Musique, Fonds Coirault, Rés. Um 112, [J.90(a)].
Les chansons nouvelles que l'on chante de present Et sont en nombre quatre vingt et dix. Et
premierement [...], Paris, Bibliothèque Nationale, Rés. P Ye 463, [J.90(b)].
S'ensuyvent plusieurs belles chansons nouvelles Et premierement la chanson [Table] Et plusieurs autres
qui sont en nombre cinquante et troys, [Paris], [Trepperel?], Paris, Bibliothèque Nationale, Fonds
Rothschild IV.9.69., [J.53].
S'ensuyvent unze Belles chansons nouvelles dont les noms s'ensuyvent. Et premierement [Table] Item
apres s'ensuyt une belle recepte pour faire revenir les dents à eux qui les ont perdues, Paris,
Bibliothèque Nationale, Fonds Rothschild, IV.9.69, [J.11].
S'ensuyvent xii chansons nouvelles. C'est assavoir [Table], Paris, Bibliothèque nationale, Rés. P. Ye.
2092, [J.12].
Deuxième période :
S'ensuyvent viii belles chansons nouvelles dont les noms s'ensuivent. Et premierement [Table], Paris,
Bibliothèque Nationale, Rés. Ye 1378, [J.8(a)].
S'Ensuyvent viii belles Chansons nouvelles dont Les Noms s'ensuyvent. Et premierement [Table],
Chantilly, Musée Condé, IV.D.113, [J.8(b)].
S'Ensuyvent huict belles Chansons nouvelles dont Les Noms s'ensuyvent. Et premierement [Table],
London, British Museum, C.22.a.23, [J.8(c)] (*).
S'ensuyvent quatorze belles Chansons nouvelles Dont les noms s'ensuyvent. Et premierement. [Table],
[Paris], Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, 8° B. 11441 Rés. (anc. B.L. 8801), [J.14].
S'ensuivent seize belles chansons nouvelles dont les noms s'ensuyvent Et premierement [Table],
[Paris], Paris, Bibliothèque Nationale, Rés. Ye 1379, [J.16].
Sensuyvent dixsept belles chansons nouvelles, [Paris], Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, Rés. 8- BL-
11441, [J.17] relié avec J.14.
Troisième période
La fleur des chansons. Les grans chansons nouvelles qui sont en nombre Cent et dix, où est comprinse
la chanson du roy, la chanson de Pavie, la chanson que le roy fist en Espaigne, la chanson de
Romme, la chanson des Brunettes et Te remutu, et plusieurs aultres nouvelles chansons,
lesquelles trouverés par la table ensuyvant, Chantilly, Musée Condé, IV.D. 50, [J.Fleur 110].
S'ensuyvent plusieurs belles chansons nouvelles: nouvellement imprimées, lesquelles sont fort
plaisantes Et les noms d'icelles trouverez en la table qui est à la fin du present livre. Avec aulcunes
de Clement Marot, de nouveau adjoustées. On les vend à Lyon, en la maison de feu Claude
Nourry, dit le Prince, pres nostre Dame de Confort., Lyon, Claude Nourry, [1533 ou 1534],
Wolfenbüttel, Herzog-August-Bibliothek, A: 562 Quod. (5), [J.Nourry].
S'ensuyvent plusieurs belles chansons nouvelles Avec plusieurs aultres retirés des anciennes
impressions, comme pourrez veoir à la table en lequel sont les premieres lignes des chansons et
II – LES RECUEILS 55
le fueillet là où se commencent lesdictes chansons. Mil cinq cens. xxxv., 1535, Wolfenbüttel,
Herzog-August-Bibliothek, Lm 3971a, [J.1535].
Les chansons nouvellement assemblées oultre les anciennes impressions. M.D.XXXVIII, 1538, Stuttgart,
Württembergische Landesbibliothek, R 16 Mar. 1, [J.1538] (*).
Sensuyt plusieurs belles chansons nouvelles imprimees nouvellement dont les noms s'ensuyvent cy
apres en la table. Mil cinq cens. XLII. - On les vend a Paris en la rue neufve nostre Dame a
l'enseigne de l'escu de France., [Paris], [Alain Lotrian], 1542, Bibliothèque Nationale, Rés. Ye.
2719, [NJ 1542].
Sensuyt plusieurs belles chansons nouvelles et fort joyeuses : avecques plusieurs aultres retirées des
anciennes impressions comme pourrez veoir en la table en laquelle sont comprinses les premieres
lignes des chansons. 1543. - On les vend a Paris en la rue neufve nostre Dame a l'enseigne de
l'escu de France. Par Alain Lotrian., 1543, Paris, Bibliothèque Nationale, Rés. Ye 2720, [J.1543].
Noëls :
Les airs de noëls ont été recueillis à partir de l’ouvrage de Rézeau, mais les principales sources à
Paris, Chantilly et Wolfenbüttel ont été consultées sur l’exemplaire, ainsi que le recueil de noëls notés
conservé à Séville49. Le meilleur classement est celui par lieux de conservation, adopté par Pierre
Rézeau y compris pour les imprimés. Pour faciliter le renvoi au catalogue, ils sont ci-dessous classés
par numéro de recueil signalé dans l’ouvrage d’Adrienne Field Block. Certains recueils lui étaient
inconnus, notamment les noëls manuscrits : ils figurent dans le catalogue Rézeau seulement et sont
placés en début de liste, avec les imprimés qui ne figuraient pas dans son catalogue.
48
Plaquette signalée à mon attention et éditée par J.-E. Girot, que je remercie.
49
Je remercie Paloma Otaola, Professeur à Lyon II, et la Biblioteca Capitolar y Colombina de Séville d’avoir
répondu favorablement à mes demandes, ainsi que Christophe Guillotel-Nothmann pour sa présence à
Wolfenbüttel, auprès de la Herzog August Bibliothek dont les services ont été inestimables. L’accueil très
chaleureux et l’aide de Léa Ferrez-Lenhard et son dévouement pour faciliter l’accès aux collections du Musée
Condé à Chantilly sont également d’une grande aide pour les chercheurs.
56 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
chant de maistre Thomas tout doulx tout doulx, [Lyon, Jacques Moderne, ca 1535], Séville
Biblioteca capitolar y Colombina 15.2.1 (1), [Bl 23].
La fleur des Noelz : nouvellement imprimez, faictz [et] composez a lhonneur de la natiuite de Iesuchrist
[et] de la vierge Marie sa benoiste mere lesquelz sont moult beaulx [et] de nouueau co[m]posez,
Lyon, Jacques Moderne, 1535, Séville Biblioteca capitolar y Colombina 15.2.16 (7), [Bl 24].
Noelz nouueaulx : faictz [et] co[m]pose a lhonneur de la Natiuite de nostre seigneur Iesuchrist [et] de
sa tresdigne mere Marie, Lyon, Moderne, Jacques, ca 1535, Séville Biblioteca capitolar y
Colombina 15.2.1 (6), [Bl 25].
ANEAU, Barthelemy, Chant natal, Lon, Gryphe, 1539, Paris BnF Rés. Ye 782, [Bl 26].
NOELZ vieux & nouueaux en l'honneur de la natiuité Ie sus Christ, & de sa tresdigne mere. A Lion Par
Ian de Tournes M.D.LVII, Lyon, De Tournes, Jean, 1557, Paris BnF Rothschild 2988 IV.3.21, [Bl 27].
La grand Bible des Noelz tant vieux que nouveaux, Lyon, Rigaud, 1555-1597, Lyon BMRés. 805238,
[Bl 28].
S'ensuivent les noelz tresxcelens et contemplatifz les quelz chantent les filles rendues par devotion,
nouvellement imprimes par Maitre Guillaume Gerson de Villelongue demourant devant le college
de reins pres saincte Geneviefve, Paris, s. n., ca 1520, BnF Paris, BnF Fonds Rothschild 1016.
Autre ex. BnF, Rés. P Ye236, [Bl 29].
Noelz nouveaulx, Paris, s. n. [La Caronne], avant 1507, [Bl 30].
Noelz Nouveaulx, Paris, Trepperel, 1511-1525, New York Pierpont Morgan Library 75870, [Bl 31].
Les grans noelz nouveaux, Paris, Trepperel, 1525, 1515-1525, New York Pierpont Morgan Library
75869, [Bl 32].
Les grands noels nouveaux composéz sur plusieurs chansons tant veilles que nouvelles, Paris, Nyverd,
1514-1548, Paris Arsenal 8° b.L.10650 Rés. (1) = Condé IV D 120 et Rothschild 2981, [Bl 33].
Les grands noelz nouveaulx, composez sur plusieurs chansons tant vieilles que nouveles en françoys, en
poitevin et en escossois., [Nyverd?], ca 1530-1548, Chantilly Musée Condé IV.D.120 = Rothschild
V. 4. 110 et Arsenal 10650, [Bl 34 et 35].
S'ensuivent plusieurs chansons de nouelz [Le Moigne], Paris, s. n., 1520, Chantilly Musée Condé VI.C.40
Le Moigne = Paris BnF Rés Ye 4315, [Bl 36].
Noelz nouveaulx faits par les prisonniers de la conciergerie, Paris, s. n., ca 1524, Paris Bibliothèque
Historique de la Ville de Paris, Rés. 550, 580,581, [Bl 37].
DANIEL, Jean, Noelz nouveaux (Mithou - Jean Daniel - Recueil composite b), Paris, Bossozel, ca 1540, Le
Mans BM8° BL 1974 (2), [Bl 38].
Noëlz nouveaulx en poeteuin, Paris, s. n., ca (Sergent 1526-1531), Wolfenbüttel Herzog August
Bibliothek Lm Sammelbd. 54 (2), [Bl 39].
NOELZ nouueaulx Imprimez nouuellement. Les noms des chansons. ... On les vend a Paris a la rue sainct
Iaques a lenseigne de sainct Martin en la maison de Iehan Oliuier, Paris, Olivier, Jehan, ca 1530
(BnF), Rothschild 2987 (1016 g) V.4.112, [Bl 40].
Noelz nouveaulx, Paris, Olivier, ca 1530, BnF Paris Lavallière 3081, [Bl 41].
Les grands nouels nouveaux, Paris, Lotrian, ca 1530, Paris BnF Rés. Ye 2684 (1), [Bl 42].
Noëlz nouveaulx composez sur le chant de plusieurs chansons nouvelles, dont les noms sensuyuent ; Et
premièrement, Paris, s. n., ca 1530, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek M: Lm Sammelbd.
54 (3), [Bl 43].
Les Noëlz nouveaulx reduys sur le chant de plusieurs chansons nouvellement composées ; Et
premierement, Paris, s. n., ca 1530 (Sergent 1526-1531), Wolfenbüttel, Herzog August
Bibliothek, M: Lm Sammelbd. 54 (4), [Bl 44].
II – LES RECUEILS 59
Noels Nouveaux, Paris, Lotrian, ca 1530, Paris BnF Rés. Ye 2684 (2), [Bl 45].
Les grans Noëlz nouveaulx composez nouvellement en plusieurs langaiges sur le chant de plusieurs
belles chansons nouvelles dont les noms ensuyuent ; Et premièrement, Paris, Sergent, Pierre,
ca1530 (HAB), Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, M: Lm Sammelbd. 54 (1), [Bl 46].
CHAPERON, Jean, Sensuyt plusieurs Noelz nouveaulx de ceste presente annee mil cinq cens XXXVIII. /
Compozes par le Lasse de repos, Paris, s. n., 1538, Wolfenbüttel Herzog August Bibliothek Lm
Sammelbd. 54 (5), [Bl 47].
Autre recueil avec table des timbres, Paris, Lotrian, 1536, Paris Arsenal 8° b.L.10649 Rés. (2), [Bl 48].
[Denisot], Noelz alsinois Recueil composite, Paris?, 1545, Le Mans BM 8° BL 1974 (1); réimpression
Clinchamp, chez Lanier 1847 et Lanier : rés Ye 3812, [Bl 49].
[Denisot], Cantique du premier advenement de Jesu Christ, Paris, Vve de La Porte, 1553, Paris Arsenal
8° B.L. 10495 Rés.= Rothschild II.3.59., [Bl 50].
Nouels gothiques, Paris, Bonfons, 1543-66, Paris BnF Rés. Ye 2684 (3) = Wolfenbüttel 54/3 avec
variantes, [Bl 51].
Noelz nouveaux, Paris, Chrestien, 1556, Paris Musique Rés. Vmf 18, [Bl 52].
Noelz nouveaux et dévots cantiques Recueil composite c), Paris, Bonfons, Paris Arsenal 8° B.L. 10620
Rés. (3) = Rothschild 2989, [Bl 53].
La grand bible des Noels Recueil composite a), Paris, Bonfons, 1573-95, Paris Arsenal 8° B.L. 10620 Rés.
(1), [Bl 54].
TRIGUEL, cordelier, Recueil des vieil et nouveaux cantiques, Paris/Laval, Bonfons, ca 1573-95, Paris
Arsenal 8° B.L. 10620 Rés. (4), [Bl 55].
Noelz et cantiques nouveaux sur la Nativité de JC Recueil composite b), Paris/Orléans, Bonfons, 1578,
Paris Arsenal 8° B.L. 10620 Rés. (2) Tremblay = Rothschild IV.3.217, [Bl 56].
BORDEAUX, Christophe de, NOELZ NOVVEAVX, et deuots Cantiques à l'honneur de la na- tiuité de
nostre Seigneur Iesus Christ, faicts & composez par Christophle de Bordeaux Parisien, pour
l'annee mil cinq cens quatre vingts & vn. A Paris, Par Nicolas Bonfons, ruë neuue nostre Dame, a
l'enseigne S. Nicolas. — Fin. Christophle de Bordeaux. S. d. [1580], Paris BnF Rothschild 2989
IV.3.217 Tremblay = Arsenal 8° B.L.106202 Rés., [Bl 57].
Noelz notez, Paris, Trepperel, XVIe s. , New York Pierpont Morgan Library 75871, [Bl 58].
Noel fait en manière de dialogue, s. l., s. n., ca 1515, Paris BnF Rothschild 2980 IV.9.69, [Bl 59].
Les Noelz nouvellement faictz et composez en l'honneur de la nativité de Jesuscrist et de sa tresdigne
mere, [Lyon, Nourry, ca 1525] « 1515 », (Gallica : 1510), Paris BnF Rés. Ye 1210, [Bl 60].
Les ditez des noelz nouveaux, s. l., s. n., après 1500?, Paris Arsenal 8° b.L.10650 Rés. (2), [Bl 61].
DANIEL, Jean, SENSVYVENT Plusieurs Noelz Nouueaulx. Titulus. Chansons nouuelles de Nouel
Composees tout de nouuel Esquelles verrez les praticques De confondre les hereticques Io.
Daniellus Organista....., s. l., s. n., s. d.a, [vers 1525], Rothschild 2985 (1016 e), V.4.111, [Bl 62].
DANIEL, Jean, CHANTZONS sainctes pour vous esbatre Elegantement exposees Par vng prisonnier
composees Cest an mil cinq cens vingt & quatre. Grace & amour. I. D. Org. Sur puis quen amours
a si beau passetemps. Sur trop enquerre nest pas bon. he mon mignon. Sur ma bien acquise ie
suis venu icy. Sur vne bergerotte prinze en vng buisson. Sur las baisez moy au departir nicholas
mon beau frere. Sur est il conclud par vng arrest damours. Sur lariran lariran houiste sil est a ma
poste. Sur ie demeure seulle esgaree— [À la fin :] Grace & amour. Io. Danielis Org. S. l. n. d.
[1524], [Paris], s. n., 1524, Paris BnF Rothschild 2983 (1016 c), V.4.113, [Bl 63].
60 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
DANIEL, Jean, CHANCONS Ioyeuses de noel Tres doulces & recreatiues Singulieres supellatiues Et son
faictes dassez nouuel. Grace & amour...., s. l., s. n., ca 1525 (BnF), Paris, BnF, Rothschild 2986
(1016 f) V.4.115, [Bl 64].
DANIEL, Jean, NOELS io yeulx Plain [sic] de plaisir A chanter sans nul desplaisir. Grace & amour. Sur
Allez luy dire allez luy demander Sur mon mary na plus que faire Sur dieu te gard bergere Sur
hurelugogu quel doulce dance Sur qui en amours veult estre heureux Sur ce mignon qui va denuyt
qui a fait brã- ler le. &c. Aultre chanson poiteuine a plaisir Sur en contemplant la beaulte de
mamye. Sur iamais ne mauiendra. Sur & don venez vous ma dame lucette Sur la chanson de
loublieur. Iohannes Danielis Org., s. l., s. n., [vers 1525], Rothschild 2984 (1016 d), V.4.114, [Bl
65].
Sensuyvent plusieurs Beaulx noelz Nouveaulx. Omposez sur le chant de plusieurs chansons nouvelles, s.
l., s. d., [Bl 66]
Noelz nouveaux, Paris, Lotrian, 1536 d'après les lettrines, Paris Arsenal 8° b.L.10649 Rés., [Bl 67].
[DANIEL, Jean], Cahier contenant huit noelz, Paris Arsenal 8° b.L.10631 Rés. (3), [Bl 68].
Chansons spirituelles :
[MALINGRE, Mathieu], Sensuyvent plusieurs belles et bonnes chanson, que les chrestiens peuvent
chanter en grande affection de coeur : pour et affin de soulage leurs esperitz et de leur donner
repos en Dieu. [Neuchâtel], [Pierre de Vingle], 1533, Genève, BPU Res. Bd 1475 et Zurich, ZB Res.
1329, [S’ensuivent Malingre 1533].
[MALINGRE, Mathieu], Noelz nouveaulx, [Neuchâtel], [Pierre de Vingle], [1533], Genève, BPU Res.
1476 partie A, et Zurich, ZB Res 1332, [Noelz nouveaulx [Malingre] 1533].
[MALINGRE, Mathieu], Chansons nouvelles demonstrantz plusieurs erreurs et faulsetez, desquelles le
paovre monde est remply par les ministres de Satan, [Neuchâtel], [Pierre de Vingle], [1534],
Zurich, ZB Res. 1327, [M.1534 Ch Nouv].
MALINGRE, Mathieu], Chansons Nouvelles demonstrantz plusieurs erreurs et faulsetez, desquelles le
paovre monde est remply par les ministres de Satan, [Genève], [Wigand Koeln], [1535], Zurich,
ZB 1328.
[SAULNIER, Antoine], Chanson nouvelle. Composée sur les dix Commandements de Dieu extraicte de la
saincte escripture, [Lyon], [Jacques Moderne], [1540], Paris, BnF, Fonds Rothschild, IV.6.64.
[NICOLAS DU VAL, éd.], Chansons demonstrant les erreurs et abuz du temps present, lesquelles le fidele
pourra chanetr en lieu des chansons vaines et pleines de mensonges, [Genève], [Jean Girard],
1542, A-Wn, Vienne, ÖnB 80.X.38, [Chansons spirituelles 1542].
[MALINGRE, Mathieu], Chansons spirituelles, pleines de louenges à Dieu : de saincte doctrine et
exhortations, pour edifier le prochain, tant vieilles que nouvelles, [Genève], [Jean Girard], 1545,
A-Wn, Vienne, ÖnB, 80.X.39, [Chansons spirituelles 1545].
Recueil de plusieurs chansons spirituelles tant vieilles que nouvelles, avec le chant sur chascune : afin
que le Chrestien se puisse esjouir en son Dieu et l'honore : au lieu que les infidelles le deshonorent
par leurs chansons mondaines et impudicques, [Genève], s. n., 1555, Paris, Bibliothèque
d'Histoire du Protestantisme, R 15 853, [Chansons spirituelles 1555].
Recueil de plusieurs chansons spirituelles, tant vieilles que nouvelles, avec certains beaux cantiques, et
plusieurs disains fort consolatifs, contre toutes mondaines et autres impudicques chansons.
Genève, Antoine Cercia, 1558, Genève, BPU 2098 Rés., [Chansons spirituelles 1558].
Chansons spirituelles a l'honneur et louange de Dieu, et à l'édification du prochain. Reveues et corrigées
de nouveau avec une Table mise à la fin. 2da : Chansons spirituelles composees à l'utilite de tous
II – LES RECUEILS 61
Ils ont été acquis à la faveur de passages de Fernand Colomb dans le sud de la France, à partir
de 1531, et notamment à Montpellier, en 1535, mais aussi à Turin et Lyon.
Noelz nouueaulx : sur tous les aultres composez allegoriquement selon le te[m]ps qui court Sur
aucunes gayes cha[n]sons : Auec le noel des eglises [et] villaiges du Lyo[n]nois non iamais que
a present imprimez, On les vend a Lyon : en la maison de Claude Nourry dict le Prince, Lyon,
Nourry, 1531, Séville Biblioteca capitolar y Colombina 15.2.16 (8), [Bl 20].
Noelz nouueaulx : Nouuellement faitz [et] co[m]pesez a lhouneur de la natiuite de Iesucrist [et]
de sa tresdigne mere Marie, Lyon, Arnoullet, Août 1535, Séville Biblioteca capitolar y
Colombina 15.2.1 (5), [Bl 21].
La fleur des Noelz : nouuelleme[n]t notes en choses faictes imprimez en lhoneur de la natiuite
de n[ot]re seigneur Iesuchrist [et] de sa tressacree mere, [Lyon : Jacques Moderne, a. agosto
1535], Lyon, Moderne, 1535, Août 1535, Séville Biblioteca capitolar y Colombina 15.2.16 (9),
[Bl 22].
La fleur des Noelz : nouvellement imprimez, faictz [et] composez a lhonneur de la natiuite de
Iesuchrist [et] de la vierge Marie sa benoiste mere lesquelz sont moult beaulx [et] de nouueau
co[m]posez, Lyon, Moderne, 1535, 10 décembre 1535, Séville Biblioteca capitolar y Colombina
15.2.16 (7), [Bl 24].
Noelz nouueaulx : faictz [et] co[m]pose a lhonneur de la Natiuite de nostre seigneur Iesuchrist
[et] de sa tresdigne mere Marie. Lyon, Moderne, Jacques, ca 1535, Séville Biblioteca capitolar
y Colombina 15.2.1 (6), [Bl 25].
50
Il s’y ajoute un noël isolé dont nous ne parlerons pas ici : Noel nouueau / co[m]posez par Sire Thomas le
Vaillent a lho[n]neur de la[n]nu[n]ciatio[n] de la vierge Marie natiuite [et] passion resurrectio[n] [et] assention de
son benoist filz Ihesu Crist ; Fait sur le chant de maistre Thomas tout doulx tout doulx-- [Lyon : Jacques Moderne,
ca. 1535], Lyon, Moderne, Jacques, s.d., ca 1535, Séville Biblioteca capitolar y Colombina 15.2.1 (1) [Bl 23].
64 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
privilèges (et même avant…), pillée et republiée par Jacques Moderne à Lyon, dans une dynamique
parfaitement décrite par Audrey Boucaut-Graille51.
Il est là encore mille façons d’observer ces recueils. Leur poétique propre, leur univers
mériteraient d’être décrits isolément et avec soin. Pour l’heure nous observerons, par le jeu des
concordances musicales, des phénomènes étonnants qui permettent de les apprécier comme porteurs
des formes poético-musicales les plus en vogue de leur temps.
Observons d’abord la singularité des textes de noëls transmis par ces ouvrages : la plupart ne se
trouvent qu’à Séville ou dans les rares autres sources d’origine lyonnaise :
ce qui signifie qu’ils constituent un groupe de textes distinct au sein du vaste ensemble des noëls
conservés ; de façon extrêmement claire, l’ancrage local des textes de noëls, maintes fois relevé et au
premier chef par Pierre Rézeau52 se trouve pleinement confirmé. Au demeurant, un des recueils (8)
porte en son titre même le contexte lyonnais : Noelz nouveauls sur tous les aultres composez
allegoriquement selon le temps qui court sur aucunes graves chansons. Avec le noel des eglises et
villaiges du Lyonois non jamais que a present imprimez. /On les vend a Lyon en la maison de Claude
Nourry dict le Prince. Pres nostres dame de Confort.
Le prisme d’observation pourrait être par exemple le suivant : les textes de noëls sont-ils propres
à un recueil unique ? à un groupe de recueils ? et si oui, uniquement lyonnais (d’édition) ou pas ?
Même question pour les airs. Avec ici encore des conséquences différentes selon qu’on observe le
texte, dont une partie substantielle de la lettre nous parvient, et l’air, qui peut être par exemple connu
sous un autre nom ailleurs. Enfin, comme les formes des uns et des autres nous sont assez bien connus
tout de même, y-a-t-il un angle générique (musique de danse, formes à refrain ou pas, musique de
scène…) intéressant ?
Une partie de cette réflexion est bien entendu abordée par tous les spécialistes de noëls, qui
sont particulièrement sensibles aux aspects locaux, et identifient nettement, surtout pour la première
moitié du siècle, des zones d’influence précises, nommément Angers/Le Mans, et plus généralement
le Poitou ; le Lyonnais ; enfin Paris. Les recueils eux-mêmes clament en leurs titres une revendication
« patoisante », en « poetevin », en « escossois », en « breton qui apprend à parler français » etc. La
visibilité cependant est moins bonne pour les mélodies.
Chaque recueil possède en quelque sorte sa logique propre. Dans les premiers ou les plus
anciens, comme le recueil Mareschal [Bl 17], les textes sont parfois communs avec des sources
parisiennes, et les timbres non pas uniques mais également présents dans la capitale. C’est ainsi que
chez Mareschal, en 1506, on trouve, sur un total de 29, 7 noëls sans air cité, auxquels il faut ajouter À
51
Audrey Boucaut-Graille, Les éditeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528 - 1598, thèse de
doctorat sous la direction du professeur Jacques Barbier (CESR, Tours, décembre 2007).
52
Pierre Rézeau, Les noëls en France aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, ELIPHI, 2013, p. 27 : Enracinement
géographique des noëls.
III - DIVERTIMENTO I : LES NOËLS LYONNAIS CONSERVÉS A SÉVILLE 65
la venue de noel (n°24) et Noel iterando noel (12*). Il reste donc, outre ces airs/titres connus, 20 airs
qui nécessitaient une rubrique, pour pouvoir être chantés plus facilement probablement. La
descendance de ces textes montre que 8 d’entre eux sont propres à ce recueil, et parmi ceux-ci, 6 ont
des timbres qui ne se trouvent nulle part ailleurs. C’est donc la marque d’un répertoire partiellement
ancré à Lyon et n’ayant finalement pas voyagé. Ce recueil est cependant l’un des moins strictement
« endémiques » parmi ceux qui sont imprimés à Lyon.
Les textes d’origine de ces timbres, les « chansons », même lorsque leurs airs sont aussi chantés
à Paris, ne figurent pratiquement pas dans les anthologies imprimées de chansons : à cette date, ces
airs ne forment pas chansons indépendantes per se, et ne servent en somme… qu’à la versification
pour noël. Ainsi un incipit aussi évocateur que L’autrier me cheminoie peut éventuellement
correspondre à la chanson transmise dans le ms. Paris BnF Fr.12744, mais il se trouve que les deux
autres textes commençant de la sorte et attestés dans les anthologies imprimées (L’autre jour je
chevauchoie/À Hedin la bonne ville, J.8(a) n° 8 et J.8(b) n°6, J.16 n° 15 et L’autre jour m’en
chevauchay/mon chemin droit à Salette, refrain « Hé dieu la pauvre garse, Hélas qu’elle est malade »
(J.1534 n° 37) ou sa variante (J.1535 n° 86), de même structure de laisse à refrains) sont résolument
distincts de la chanson manuscrite. Si le noël était lisible dans son entier, on pourrait sans doute mieux
apprécier sa forme relativement à l’une ou l’autre des mélodies portant le même incipit.
Le recueil Ville-sous-Anjou Bl 17 présente donc déjà une part significative d’airs et de textes
d’usage lyonnais. Mais dès 1525 chez Nourry [Bl 60)], les noëls présentés (et leurs airs) sont très
largement uniques, entièrement endogènes, à la notable exception du noël Rézeau 536, Noel auquel
avons attente, déjà présent dans la collection de 1506 [Bl 17], et qui se chante sur « Princesse d’amours
excellente », un air associé ailleurs à ladite poésie de Charles d’Orléans (cat. 188). Voilà donc un recueil
qui possède une signature lyonnaise très affirmée. On y trouve les « Puer nobis », « Conditor »
66 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
entièrement en latin, suivis de « À la venue de Noël », un noël omniprésent dans ce groupe lyonnais,
et l’un des plus populaires. C’est également là que l’on trouve le noël (unique) « Des mains d’enfer »,
bâti d’après un air qui circulait dès 1512 dans la capitale, Maugré dangier (cat. 606). Maugré dangier
est désormais connu par une seule source manuscrite sans paroles, une pièce à 3 voix du livre de
Johannes Heer, le manuscrit de Saint Gall 462 (CH-SGS ms. 462). Copiée dans le chansonnier après le
retour de Heer en Suisse, cette chanson se danse également puisqu’elle figure dans la liste des danses
de Moderne, encore à Lyon donc. Mais que dire de cet air ? Est-il rapporté de Paris par Johannes Heer ?
Son recueil de chansons matérialise-t-il une frontière entre Paris et Lyon, par exemple ? Ou bien peut-
on qualifier Maugré dangier de danse lyonnaise ? Au moins cinq sources textuelles de ce qui ressemble
par endroits à une chanson spirituelle sont disponibles, à partir de 1515.
Il subsiste à Chantilly une plaquette (IV D 137), [Bl 19], aux caractères de grande taille et bois
gravés particulièrement abondants. Ccette plaquette contient quatre noëls sur timbres, tous
spécifiquement lyonnais, 3 unica, deux timbres entièrement locaux.
Nourry publie ses noëls en 1531. Pour ce premier recueil à Séville [Bl 20], on note des textes
spécifiquement lyonnais, en majorité des unica, dont les airs sont cependant assez répandus. Si son
recueil précédent (1525) [Bl 60] n’était pas paru entre temps, on pourrait arguer d’une première
période de production de Noëls Lyonnais, du recueil de Ville-sous-Anjou à celui-ci (Nourry 1531,
[Bl 20]) où les textes sont indigènes, mais pas les airs. Les airs choisis par Arnoullet, [Bl 21], acquis avant
1535, sont également plutôt des airs partagés avec les airs parisiens, et les textes sont souvent
communs à d’autres sources lyonnaises, peu d’unica, en sorte que ce recueil semble plutôt une
anthologie de textes déjà parus ailleurs. De même, lorsque Moderne sort les recueils [Bl 24, 25] les
textes sont déjà connus ailleurs, dans ses autres publications ou celles d’Arnoullet, et toujours
exclusivement lyonnais, comme il en va en réalité pour tous les recueils de Séville, par contraste avec
les deux premières grandes sources Mareschal de 1506 [Bl 17] et Nourry 1525 [Bl 60]. Mais les « airs »
de ces deux premières sources imprimées par Moderne ca 1535 [Bl 24 et 25], à la réflexion, demeurent
tous introuvables ailleurs qu’à Lyon (ou alors ne sont pas mentionnés). De plus, les airs qui servent de
base aux noëls, où ils sont rubriqués, sont encore loin d’être disponibles avec leurs paroles dans les
recueils paroliers contemporains. On observe ainsi comme une invisible frontière qui maintient
quelques mélodies de chansons très connues – et elles le sont à l’évidence en dépit de notre incapacité
soit à les reconnaître par leur sobriquet, soit d’en trouver au moins une version – en dehors du circuit
des paroles de musique, un répertoire de transmission orale donc, qui perdure au-delà des avancées
de l’imprimerie musicale – et dont on cherche avec intérêt le point de contact un peu plus avant dans
le siècle.
Pour ces deux mêmes recueils [Bl 24, 25], on observe des textes pluriels – mais lyonnais - , et
des timbres singuliers donc, un dispositif inverse de ce que l’on observe dans le recueil [Bl 22], le recueil
de noëls avec notation musicale partielle, Moderne, 1535, où les textes sont en majorité des unica, et
où les timbres, pas tous mentionnés, sont plutôt des airs partagés – notamment dans des sources
parisiennes de noëls. Mais ce recueil [Bl 22], La fleur des Noelz : nouuelleme[n]t notes en choses faictes
imprimez en lhoneur de la natiuite de n[ot]re seigneur Iesuchrist [et] de sa tressacree mere, constitue
véritablement un événement dans l’histoire de l’impression des noëls. Ces derniers noëls sont
« nouvellement notés en choses faictes » (i.e. res facta, ou encore polyphonie d’art). Cela peut
III - DIVERTIMENTO I : LES NOËLS LYONNAIS CONSERVÉS A SÉVILLE 67
expliquer cette situation distincte des deux autres recueils53. Ici « noté en choses faites » semble se
rapporter au fait que 10 des noëls du recueil 9 sont sur partition (une portée de 5 lignes) tandis que le
demeurant est rapporté à des airs. Il se trouve que certains de ces noëls notés étaient connus dans
d’autres recueils lyonnais par leur texte seulement, et l’on peut alors « pour la première fois » en
prendre connaissance musicalement. Mais le plus intéressant réside dans la présence de noëls pourvus
d’un timbre jusqu’alors non identifié, et que l’on voit brusquement apparaître de façon notée (sans
mention du timbre, et parfois même avec). Cela ne signifie peut-être pas que le timbre correspond à
l’air que nous découvrons, mais, au même endroit et à quelques années près, il est bien possible que
cela corresponde.
On pourrait défendre l’idée que si Moderne décide d’imprimer ces airs, et il faut rappeler
l’absence de date d’impression connue, c’est que cela faisait alors sens. Soit qu’une différence
qualitative importante existe entre les airs à noter et les airs présumés connus, soit que le public visé
soit différent, un sorte de tentative purement commerciale en somme, soit qu’un effort éditorial
nouveau ait fait se superposer des noëls déjà disponibles et donc connus avec un arrivage « nouveau ».
On voit que c’est difficilement défendable, puisque les deux noëls les plus connus et les plus anciens
figurent au nombre des élus transcrits en musique, À la venue de Noël et Noel Iterando Noel. En réalité,
le mobile pour noter ces deux noëls connus peut simplement constituer une amorce pour présenter
les airs notés moins connus. Encore y découvre-t-on les deux hymnes latines, notées comme le reste
en notation mensurale (musicale, rythmée), qui se serait bien passée sans doute de cette publication.
On peut aussi penser que Moderne, qui par ailleurs imprime de la musique polyphonique, par exemple
pour des musiciens amateurs ou professionnels, « prospecte » en répondant à une nouvelle demande
d’impression de l’air facilitant des exécutions voix et luth ou guitare par exemple, comme on le verra
dans les impressions de chansons voix et luth très peu de temps après.
Pour trois de ces airs notés, qui n’étaient jusque-là que des timbres, ou même des timbres non
rubriqués, la découverte est d’importance.
Observons Vivray-je tousjours en soucy, cat. 876, tel que dans sa version à 3 voix, ici
accompagnée d’une transcription pour luth sur la page en regard, dans le manuscrit Upsala 76 c n° 81,
et dans la version imprimée par Moderne dans sa Fleur des noelz Notés, n° 5, associé au noël sans
indication de timbre Resveillez vous cœurs endormis (Rézeau n° 170, recueil BL 22, avant 1535). Ce
recueil conservé à Séville est l’un des deux sources de ce noël, l’autre est également conservé à Séville
(BL 21). Il s’agit évidemment du même air (superius) :
53
Margaret Bent et Bonnie Blackburn ont toutes deux contribué sur cette notion et ses implications en
musique.
68 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Voici l’impression de Moderne dans le recueil des noëls notés, Séville, f° Biii v° :
On le trouve également sous un incipit étrange dans le ms. CH-BU F.IX.59 f. 12 v°, qui nous
montre sa grande popularité. Les paroles n’étant pas notées, on imagine, peut-être, la possibilité de
faire usage des paroliers pour chanter :
III - DIVERTIMENTO I : LES NOËLS LYONNAIS CONSERVÉS A SÉVILLE 69
Ainsi donc Moderne transpose pour un nouveau public des airs, que dans un premier temps il
lui fournit en notation musicale. Nous sommes contraints de penser que ces airs sont moins connus du
public que ceux qu’il ne note pas, mais cite simplement, voire ne nomme pas du tout.
Le phénomène était déjà patent avec Fausse trahison, (Noel chantons pour l’amour de Marie)
que l’on aurait pas pu restaurer sans cette bonne fortune, de même que pour À la venue de Noel, pour
lequel aucun timbre n’a jamais été signalé, mais qui est un air (devenu un noël très connu, dit
« traditionnel » par Block, par exemple). Nous donnons ci-après le premier de ces noëls dans la version
de Henri Lemeignen54, et dans la transcription de Babelon, qui le premier l’a édité55 :
Noel pour l’amour de Marie [Faulse trahison] Version Lemeignen, vol 3 n°8 :
Nous sommes au cœur d’un phénomène d’hybridation entre air et notation musicale, qui se
joue particulièrement dans ce recueil de « noëls notés » [Bl 22]. Voici en effet comment cet air Faulse
trahison (cat. *301), aussi connu sous le titre Trahison Dieu te mauldie se présente dans le recueil de
Séville :
54
Vieux Noëls composés en l'honneur de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ. I. Noëls très-anciens.
Noëls des XVIIe et XVIIIe siècles ; II. Pastorales. Noëls des provinces de l'Ouest ; III. Musique des vieux noëls. 1re, 2e,
3e parties. Noëls divers, Libaros, Nantes, 1876. Émile Picot souligne dans son catalogue de chants historiques le
peu de crédit qu’il accorde aux versions de Lemeignen, dont « tout le monde sait » qu’elles sont issues de
collectages (autant dire des reliquats sonores). C’est pour cela qu’elles sont intéressantes, notamment ici.
55
Babelon, Jean, « La Fleur des Noëls [Lyon, 1535] » dans Revue des livres anciens n° 1, 1913-1914, p. 369-
404.
70 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
L’air y est donc à la fois noté et nommé, ce qui constitue une exception rare (pas d’autre
exemple ?). D’une certaine manière cette notation musicale vient au secours d’une mémoire
défaillante – ou alors, elle la supplante et installe un nouveau mode de transmission.
Cette réapparition de Faulse trahison, par contrecoup, devrait nous permettre de chanter par
exemple France aussi la Picardie dont le timbre est Faulse trahison (cat. *301). Ce chant historique
(Picot n° 137) a été écrit sur le Trépas de François Ier, ce qui ajoute à l’intérêt de cette redécouverte.
On gardera en mémoire que cet air est assez proche d’une sonnerie de chasse, en décalant la seule
première note d’une quarte inférieure, pour comparer cet air - et son contexte historique - avec celui
de « Marseille », qui sera exposé au chapitre Divertimento 3 (Myriades).
Si Laissez paistre vos bêtes (noté chez Moderne, recueil [Bl 22], et relevé par Lemeignen toujours
sans sources fiables) peut permettre de chanter les chants associés à « Ouvrez vos hautes portes », un
timbre qui lui est associé (cat. *694), alors beaucoup d’espoirs sont également permis. C’est la
première apparition du célèbre sujet musical emprunté par d’autres, comme l’abbé Pellegrin pour
Venez divin Messie, qui l’a définitivement popularisé.
Enfin, il est difficile de ne pas mettre en valeur le noël en patois lyonnais Meigna meigna, qui est
noté simplement (et ne porte ni timbre, ni ne devient timbre, au moins pendant la première moitié du
siècle56).
56
Cat. *610. Sa date (1535) est située malheureusement au-delà des limites du catalogue publié.
Transcription J. Babelon, « La Fleur des Noëls », art. cit., app n°6.
III - DIVERTIMENTO I : LES NOËLS LYONNAIS CONSERVÉS A SÉVILLE 71
On serait surpris néanmoins que l’histoire de l’air fût simple. Peter W. Christoffersen, en éditant
le motet n° 230 (Noe noe iterumque Noe, de Haquinet, à 4 voix), du manuscrit de Copenhague (DK-Kk
ms. Ny kongelige Samling 1848, 2°), fournit une précieuse piste. Ce « motet » de Haquinet est en réalité
un noël polyphonique, tout en latin pour plus d’agrément – une transposition de langue qui ne pose
aucun problème en milieu clérical. Et précisément, Christoffersen fait observer qu’il ne dispose pas de
tout le texte, mais que la seule autre source (une pièce à deux voix seulement) le possède. Il s’agit du
texte, légèrement modifié : Noel Noel iterando noël. Par le biais de cette concordance musicale,
Christoffersen vérifie que la mélodie sous-jacente, le sujet musical, est le même dans les deux pièces,
en d’autres termes il s’agit d’un air, du même air, transformé en musique polyphonique ensuite.
En tant que noël, cette pièce Noel Noel iterando noël est bien connue (Rézeau *12), puisque 8
exemplaires identiques sont conservés dans 8 sources distinctes, dont deux lyonnaises (notamment
Ville-sous-Anjou, daté de 1506, cité plus haut). Samuel Pogue, dans ses travaux sur l’imprimerie
lyonnaise57, signale que ce noël a un lien avec Meigna Meigna et d’autres noëls.
57
Samuel Pogue, Jacques Moderne, Lyons music printer of the sixteenth century, Genève, Droz, 1969 ;
Pour tout ce qui touche à l’édition musiale lyonnaise (hors ce petit receuil de noëls), voir Laurent Guillo, Les
72 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Or cet air est identifié dans Rézeau (*12) pour le texte « Noel noel iterando noel triplicando
Noel », comme celui de l’hymne latine « Nouel nouel iterando nouel ». Une brève recherche montre
qu’il existe à ce jour encore un air d’antienne conservé dans les anciens antiphonaires, l’air de
l’antienne Clama ne cesses, qui commence de façon très poche:
Antiphonaire de Lucques (Lucca, Biblioteca capitolare 601), Paléographie musicale, siseries I, IX Solesmes, p. 126,
antienne Clama ne cesses proche de l’incipit de l’air Meigna Meigna ainsi que Noel iterandoi.
éditions musicales de la Renaissance lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991. Laurent Guillo a bien voulu confirmer
que les caractères musicaux utilisés dans ce recueil, qu’il place tout au début de la production de Moderne, sont
ceux qu’il utilise au début de sa carrière. Qu’il trouve ici l’expression de ma gratitude.
III - DIVERTIMENTO I : LES NOËLS LYONNAIS CONSERVÉS A SÉVILLE 73
trouvera un camaldule lyonnais (ou à Lyon), poète, intéressé par la lyrique vernaculaire, dans les
premières décennies du siècle.
La profondeur avec laquelle il est possible de remonter dans les mélodies (en s’appuyant sur
plusieurs géants de la bibliographie) est impressionnante. C’est aussi une indication que l’on peut et
doit relier l’histoire des airs, de chaque air, aux fonctionnements les plus anciens du langage musical
(et ici, par bonne fortune, à un air précis, et d’usage monastique). Avons-nous pour autant réellement
trouvé les « racines » de Meigna meigna ?
L’air en question est un air typique du mode de ré plagal, qu’il exemplifie et parcourt à merveille.
Ainsi, lorsqu’on chante en « ré », même à Lyon en 1506, dans ce style simple, on peut se trouver sur
des degrés musicaux, des notes, qui vont rendre l’air que l’on chante proche de Clama ne cesses, c’est
un phénomène générique, qui dépasse la simple identification de l’air (mais n’ôte rien à sa qualité).
Cet air, celui de Meigna meigna, est à la fois précisément Clama ne cesses, et un représentant de toute
une famille à laquelle Clama ne cesses appartient : il ne faut pas nécessairement en faire un symbole
unique. Néanmoins cette identification est précieuse.
On remarque enfin avec intérêt que « Clama ne cesses » est un sujet musical d’autres
compositions de la même époque : voilà un cercle de familiarité auditive qui s’étend à la fois
localement et profondément en arrière dans le temps.
IV - Le chant des formes poétiques au début du XVIe siècle : enjeux
historiques
Ques sont les enjeux d’un travail sur les airs non notés dans le contexte des trois premières
décennies du siècle, pour la musique française ?
Je concentrerai mon propos sur les trente premières années du siècle. Il s’agit des années où
coexiste un certain nombre de grands chansonniers polyphoniques manuscrits, et où les premières
éditions parisiennes se préparent. Dans ces premières éditions parisiennes, datées de 1528, les œuvres
portées à la connaissance du public sont nécessairement rétrospectives. C’est pourquoi nous
focaliserons l’attention sur les premiers recueils imprimés par Pierre Attaingnant.
Imprimerie
L’invention d’Attaingnant est une invention qui aide à imprimer plus rapidement la musique,
comme on le sait, à l’aide de caractères mobiles. L’imprimeur est alors dans un marché relativement
neuf à Paris, et l’on sait que l’impression parisienne est à peu près contemporaine des débuts de
l’impression lyonnaise, sans qu’on puisse remonter tellement en amont de 1520. En 1529, Attaingnant
obtient le privilège royal d’imprimer, qui protège son commerce florissant. Les chansons imprimées
par Pierre Attaingnant sortent à environ 100 exemplaires de ses presses59. Il s’agit d’un format
extrêmement pratique, qui permet désormais d’emporter de la musique chez soi.
Il faut noter que comme dans le domaine de l’imprimerie générale, l’invention de l’imprimerie
musicale modifie les comportements et ouvre le marché à un plus grand nombre de lecteurs. Ce qu’on
ne sait pas précisément, c’est la nature de ce que les nouveaux lecteurs en musique faisaient avec ces
recueils. Il est possible de les utiliser en effet de différentes manières. Mais sans entrer déjà dans cette
58
Peter Woetmann Christoffersen, French music in the early sixteenth century: Studies in the music
collection of a copyist of Lyons, the manuscript Ny kgl. Samling 1848 2° in the Royal Library, Copenhagen,
København, Københavns Universitet (Museum Tusculanum), 1994.
59
L’ouvrage de Heartz complète l’information du RISM B. Daniel Heartz, Pierre Attaingnant Royal Printer
of Music, A Historical Study and Bibliographical Catalogue, Berkeley, Los Angeles, University of California press,
1969.
76 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
discussion, qui trouvera sa place un peu plus loin, rappelons qu’il n’y a aucune mesure entre les anciens
grands antiphonaires et les nouveaux petits recueils pratiques d’Attaingnant. Ils regroupent, entre
autres bonnes idées, les chansons par voix. En sorte que si l’on souhaite acquérir une trentaine de
chansons, on achètera séparément ou ensemble les trois volumes (ou quatre) qui composent la
publication, de manière à bénéficier des trois ou quatre voix. Chaque volume comporte toutes les
chansons, mais pour une seule voix. Ceci a pour conséquence qu’une fois arrivé à la maison, il est
possible de se séparer entre amis en emportant chacun chez soi la partie de la voix qui le concerne. Et
ainsi, de s’exercer, avant de revenir le lendemain jouer entre amis. La dimension qui s’ouvre ici est
celle de l’exercice individuel, de la familiarité avec une partition désormais personnelle. C’est une
possibilité merveilleuse qu’offre l’imprimé de petite taille par rapport, par exemple, à l’antiphonaire
collectif. Il était tout de même possible de travailler sa propre partie, même sur de grands manuscrits
appartenant à une institution, mais il fallait alors copier séparément sa propre partie pour la
transporter et l’étudier à part soi (les antiphonaires, par exemple, restent la plupart du temps dans
l’enceinte de l’institution, que ce soit à la sacristie ou sur le lutrin). C’est donc une véritable libération
que la nouvelle technique d’Attaingnant (mais plus simplement, l’imprimerie) installe dans le paysage.
Cela permet aussi d’envisager des partitions plus complexes, qui nécessitent réellement de
l’entraînement60.
60
Voir, sur le commerce de l’imprimerie musicale et Attaingnant, la thèse : Boucaut-Graille, Audrey, Les
éditeurs de musique parisiens et leurs publics : 1528 - 1598, Doctorat sous la direction du professeur Jacques
Barbier (CESR décembre 2007).
61
P. W. Christoffersen, French music, op.cit, p. 216.
62
Howard M. Brown, « The genesis of a Style : The Parisian Chanson, 1500-1530 », dans Haar, James (dir.),
Chanson and Madrigal 1480-1530. Studies in Comparaison and Contrast, Cambridge (Mass.), Harvard University
Press, 1963, p. 1-36.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : ENJEUX HISTORIQUES 77
parisiennes ». Elles sont fondées sur des formes strophiques, des quatrains de décasyllabes, avec une
césure après les quatre premières syllabes, et un schéma de rimes embrassées. Howard M. Brown
souligne encore que les phrases des cadences et les modèles de répétition suivent tout simplement la
structure très claire des poèmes, c’est-à-dire ABCA ou bien ABCAA.
Howard M. Brown décrit encore la nature variée de cette collection : il constate que son modèle
ABCA ou encore ABCAA peut être appliqué à d’autres formes versifiées, qui sont alors aménagées de
façon à entrer dans ce moule de manière circulaire. Brown remarque ensuite que deux types de
thèmes émergents particulièrement, la chanson lyrique d’amour avec pour chef de file Claudin de
Sermisy, et la chanson burlesque (ou anecdotique) dont Janequin, avec ses onomatopées si typiques,
est le principal contributeur. P.W. Christoffersen parle encore au sujet de ce dernier de « chansons de
tous les jours », musique de tous les jours, et l’on pense aux chansons plutôt descriptives, prenant
pour thème la guerre, la chasse, etc.
Laurence Bernstein a pris ses distances avec l’analyse par Brown des recueils de Pierre
Attaingnant63. Il a démontré que la situation est plus complexe, tout en approuvant le qualificatif de
genre appliqué à ces chansons. Les aspects formels, notamment, une forme qui musicalement serait
décrite comme ABCA, semblent s’adapter à la majorité des chansons des premiers recueils parisiens :
Bernstein se demande si cela suffit à caractériser la nouvelle école, avec un certain scepticisme.
Sur la même période, Christoffersen fait observer qu’à partir des deux catégories considérées,
chanson lyrique et chanson descriptive, un reliquat de 25 % de chansons demeure inclassable, elles ne
sont ni lyriques, ni « populaires » d’origine. Mais, ajoute-t-il, si nous comparons les chansons lyriques
typiquement parisiennes avec les chansons qui sont simplement inspirées musicalement par les
chansons populaires, les pourcentages tombent à 55 % pour la chanson lyrique et montent à 42 % pour
la chanson populaire respectivement, et ainsi, elles sont réparties beaucoup plus régulièrement que
ce qu’on aurait attendu à partir des descriptions du répertoire parisien.
En partant du répertoire livré par le ms. DK-Kk ms. Ny kongelige Samling 1848, 2°, Christoffersen
montre qu’en réalité le répertoire parisien s’explique au moins en partie de la façon suivante : il
constitue le versant à quatre voix d’un corpus qui a émergé beaucoup plus tôt, dans les sources
manuscrites, mais qui était à trois voix. Les aspects musicaux, dit-il en substance, les aspects
techniques (ABCA, quatre voix, musique verticale syllabique, homophonique et homorythmique) ne
sont qu’une des façons de distinguer la nouveauté de ce répertoire, dont il est en mesure de prouver
qu’il existe des antécédents.
Comme les particularités de la musique italienne à cette période (ca 1500) sont plutôt mieux
connues, notamment dans leurs manifestations populaires, chansons de carnaval, chansons de
dévotion, avec leurs mélodies simples, répétitives, une texture plus particulièrement rythmique et
verticale, et même la tonalité populaire de la plupart des chansons, l’ « explication italienne » est
devenue, au fil des explications et des ouvrages de vulgarisation la « bonne » explication pour la
naissance ex nihilo d’un répertoire parisien. Il y avait, certes, des échanges culturels vivants entre la
France et l'Italie. Dans le domaine musical en particulier, la francophilie qui était la règle dans la classe
63
Lawrence F. Bernstein « The "Parisian Chanson": Problems of Style and Terminology », Journal of the
American Musicological Society, vol. 31, n°2, Summer, 1978, p. 193-240.Lawrence F. Bernstein « Notes on the
Origin of the Parisian Chanson », The Journal of Musicology, vol. 1, n°3, Jul., 1982, p. 275-326.
78 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
dominante en Italie est bien connue ; et à l'inverse, la maison royale française pouvait utiliser beaucoup
d'aspects de l'expression artistique italienne pour démontrer sa force renouvelée après les guerres de
la fin du XVe siècle. Si l’opinion publique en a fait rapidement la meilleure explication, les musicologues
ont toujours été prudents : Howard M. Brown s'est dissocié lui-même assez tôt de l’explication
italienne, une explication qui est considérée à la fois par lui comme nécessaire et indésirable.
Bernstein, frappé par le caractère complexe et lacunaire des sources musicales pour la musique
française de cette période 1480-1528, a soulevé la question de l’apport spécifique des Français d’Italie,
une diaspora particulièrement dense au tournant du siècle : c’est en effet une question qui se pose
lorsqu’on constate que les arrangeurs de nos paroles à chanter font carrière notamment en Italie – et
au premier plan, Willaert.
Dans le manuscrit DK-Kk ms. Ny kongelige Samling 1848, 2°, la plupart des chansons parisiennes
à quatre parties apparaissent en fait comme des additions à un autre corpus très grand, répertoire qui
est à la fois mélangé et profane, ce qui selon P.W. Christoffersen est représentatif de la situation juste
avant l'arrivée en France de l’imprimerie musicale.
La difficulté pour l’ensemble des musicologues est donc de trouver une filiation dans les sources
précédant les premières impressions de Pierre Attaingnant. P.W. Christoffersen souligne que le DK-Kk
ms. Ny kongelige Samling 1848, 2° pourrait être précisément l’une de ces sources importantes,
notamment parce que les chansons parisiennes qui ont ensuite été imprimées à quatre voix y figurent
déjà, pour certaines, à trois voix. Ceci renforce donc plutôt l’hypothèse de Howard M. Brown. D’autre
part, il reconnaît à Laurence Bernstein le mérite d’avoir souligné que, faute de trouver des sources
réellement françaises, l’on devait réfléchir à la diaspora française en Italie à la fin du XVe siècle, laquelle
avait certainement dégagé des éléments de synthèse intéressant la chanson, dans le parcours obligé
qui était le sien.
64
Théodore Gérold, Le manuscrit de Bayeux texte et musique d'un recueil de chansons du XVe siècle,
Genève, Minkoff reprints, 1971 ; Frédéric Billiet, « Le cantus firmus profane issu du Manuscrit de Bayeux / The
secular cantus firmus derived from the Bayeux Manuscript », dans Itinéraires du cantus firmus. II: De l'Orient à
l'Occident, Paris, France, Université de Paris IV [Paris-Sorbonne], 1995 ; Isabel Kraft, Einstimmigkeit um 1500,
Stuttgart, Franz Steiner, 2009, pour l’étude, sans édition, du manuscrit BnF fr. 12744.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : ENJEUX HISTORIQUES 79
Ces chansons ont été soigneusement choisies et éditées, elles sont d’ailleurs dans une forme
lyrique généreusement ornée de formules décoratives, ce sont des chansons, pour certaines, de
tradition orale, où le retour de certaines images poétiques (ou de poncifs) apparaît comme une qualité
plus que comme un défaut : ce sont des musiques à succès, des musiques populaires, ici restituées
sous une forme soignée. Les commentateurs préfèrent généralement la copie musicale de Bayeux à
celle du 12744, qui paraît plus négligée : nous verrons que le copiste de Bayeux est probablement
soigneux parce que moins compétent dans ces formes poétiques particulières de la « variété » du XVIe
siècle : chansons strophiques à refrains et pour certaines fondées sur un système de laisses médiévales
archaïques. Les sujets évoluent également, à la faveur de l’entrée de ces nouvelles chansons
« populaires » et de leur caractère érotico-comique.
Le commentaire général sur le plan des versifications montre que les commentateurs, tout en
reconnaissant l’arrivée d’une « inspiration populaire », utilisent les formes fixes pour expliquer la
formation des chansons strophiques. Naturellement, on peut imaginer que ces formes fixes sont alors
« raccourcies », « simplifiées » et que leur versification est qualifiée de plus libre ou plus informelle. La
ballade surtout, vue sous l’angle du fonctionnement musical, une forme « strophique AAB » par
exemple, semble pouvoir s’adapter à toute strophe poétique chantée sans refrain, ou à refrain limité
au dernier vers de strophe. Le virelai apparaît comme l’ancien modèle d’une chanson à refrain, mais
« fortement dégradé ».
Plutôt que de lire les deux grands chansonniers monodiques comme témoins d’un nouveau goût
pour des thèmes et des esthétiques, je proposerai de les voir comme témoins de la fixation de
nouveaux répertoires à l’écrit, dans des formes complexes mais régulières de la poésie chantée et
transmise de façon orale (qu’elle soit populaire devient secondaire).
Au début du siècle, la rupture entre les répertoires portés à l’instrument et les autres repose sur
un facteur essentiel : les notations de luth, particulièrement italienne et française, mais aussi
65
Howard M. Brown, Instrumental music printed before 1600, Cambridge (Mass.), Harvard university
press, 1965.
66
Howard M. Brown, Music in the French secular theater, 1400-1550, Cambridge (Mass.), Harvard
University Press, 1963.
80 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
allemande, ont pour effet de créer un court-circuit dans les apprentissages musicaux. Le principe de
ces notations est encore aujourd’hui bien connu : ce ne sont plus les notes qui sont appelées, dans leur
système complexe qui est celui du solfège à six noms de notes, (pour sept degrés), un solfège dont la
réputation de complexité n’était plus à faire ; au contraire, c’est la position des doigts qui est indiquée,
aucun besoin de « lire la musique ». Ceci peut aider à comprendre que la transposition au luth de
pièces vocales constitue en soi une popularisation, une vulgarisation, et correspond à une preuve
d’intérêt, en même temps qu’un puissant moyen de faire connaître la pièce, de la diffuser plus
largement. C’est également la forme la plus naturelle sous laquelle publier de la musique de danse.
L’idée de Brown à laquelle la présente étude est très fortement redevable est de croiser les
sources littéraires et musicales, notamment populaires, où la musique a sa part, avec les répertoires
de sources musicales polyphoniques, dont la mise en œuvre constituait, dans les années 1960, un
enjeu international. C’est notamment au travers des notices de son catalogue que l’on prend
conscience de la vitalité des airs, notamment dans la farce. Toutefois, ce théâtre attend encore d’être
plus largement connu et joué, comme le souligne Jelle Koopmans dans son introduction au recueil de
Florence (anciennement recueil Cohen)67. Et particulièrement, le musicien lecteur de ces précieuses
sources se demande de quelle manière peut fonctionner l’ « insertion lyrique », disons simplement la
chanson, sur scène : les tirades sont extrêmement brèves, prises dans des moments qui paraissent
d’une grande vivacité. Il y a certainement là, puisque le catalogue permet de compléter le travail de
Brown sur les airs que l’on peut chanter sur scène, matière à expérimenter. Lorsqu’ils sont extraits de
pièces polyphoniques, ces airs sont parés d’une certaine « lenteur » musicale, une gravité, peut-être
simplement académique, que seule la pratique semble pourvoir dissiper.
Musique de danse
La musique de danse des XVe et XVIe siècles est conservée sous deux formes : l’une, notée
musicalement, reçoit l’attention de certains musicologues, l’autre, qui ne conserve que les pas (en
notation alphabétique), leur est beaucoup moins familière. Les Danseries de Claude Gervaise, parues
chez Adrian Le Roy et Robert Ballard, sont les plus connues des partitions. Mais le répertoire le plus
ancien est connu sous d’autres formes, avant l’imprimerie. Sur ce répertoire, il existe extrêmement
peu de travaux musicologiques.
Dans ces ouvrages, les formes des chansons seront assujetties à un certain nombre de pas, qu’il
importe de contrôler car ils conditionnent la réalisation de la chorégraphie. Les sources dansées dont
nous disposons sont au nombre de quatre, dans la première moitié du siècle :
Après le manuscrit des basses danses (B-Br ms. 9085)68, conservé à Bruxelles, qui propose un
cadre de classement par nombre de « notes » (i.e. de pas), la première moitié du XVIe siècle offre
principalement trois sources : l’Art et l’instruction de bien dancer, de Michel de Thoulouze, Ad suos
compagnones studiantes, d’Antonius de Arena, et enfin les Basses dances tant communes que
67
Jelle Koopmans, Le recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011. Restitutions récentes, « Voir
autrement le théâtre du Moyen Age, conférence BnF Olivier Halévy/ Darwin Smith, 14 nov. 2014.
68
Le manuscrit dit des Basses danses de la Bibliothèque de Bourgogne / introduction et transcription par
Ernest Closson, Bruxelles, s. n., 1912. Ce manuscrit est aussi connu sous le nom de « manuscrit des Basses danses
de Marguerite d’Autriche » ; « Manuscrit de Bruxelles » etc.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : ENJEUX HISTORIQUES 81
incommunes imprimées par Jacques Moderne69. Cette dernière source, imprimée dans un format
comparable aux éditions populaires, avec le même type de mise en page et de caractères, liste de
nombreuses danses, et se trouve reproduite au chapitre XXXV du Livre V de Rabelais (1564).
Les deux derniers listent, après des conseils de tous ordres et une description des pas, un certain
nombre de danses, particulièrement « incommunes », ou simplement moins communes, qui méritent,
de par leur mesure, d’être détaillées. La liste de Moderne est très longue, et nous n’avons que peu de
musique à proposer en regard : mais les paroles issues des paroliers viennent nous suggérer des
concordances nouvelles, et permettent quelques espoirs. On pourra notamment danser Maulgré
dangier, cat. n° 606, sur la musique copiée à l’attention de Johannes Heer, après son retour de Paris,
vers 1512, dans le manuscrit de Saint Gall CH-SGS ms. 462.
Les pas sont notés sous la dernière danse du même type, La Fleurie : R pour révérence (puis pour
reprise), s pour pas simple, b pour branle, d pour double.
Les musiques de basse danse possèdent ainsi des phrases de longueur impérative : on doit
pouvoir, à l’aide de la notation des pas et de la partition, constater une coïncidence précise. C’est le
cas pour Maulgré Danger, qu’il faudra jouer deux fois pour danser sur la totalité des pas notés. Les
phrases musicales ont tendance à être de taille équivalente, ou au moins régulière : cela n’influe pas
directement sur la versification, car la longueur de vers peut être compensée de multiples façons en
musique. On note en particulier, pour les chansons dansées de notre catalogue et présentes chez
Moderne, une tendance à des vers plus courts que le décasyllabe (1 ex. seulement) alors que chez
Arena, certainement plus ancien, sur les 9 danses, 4 reposent sur des décasyllabes. Comme les éditeurs
de notations dansées groupent les danses, il est également possible de se demander comment
concordent plusieurs chansons dont nous connaissons les partitions, mais que nous n’aurions jamais
songé à rapprocher : ainsi du célèbre En l’ombre d’un buyssonnet (cat. 171) de Josquin des Prés, qui se
danse comme Maugré danger (cat. 606), car il fait partie de la même rubrique. Il s’agit bien d’un type
d’isométrie qui repose certainement sur une évidence nette au moment où Arena et Moderne ont mis
sous presse : mais nous peinerions aujourd’hui à en établir l’équivalence. Il faudrait sans doute
disposer pour cela du modèle monodique de Josquin, par exemple BnF ms. Fr. 12744 n° 18, dont le
nombre de mesures, sans toutefois répéter la première phrase (ce qu’en « mesure poétique » on ne
peut se dispenser de faire), est le même (mais pas les pauses de phrases internes, découpées
69
Sensuit lart et instruction de bien dancer, Paris, Michel Tholoze, [1495], London, Royal College of
Physicians, cote SR1a 093 ; Antonius de Arena, Ad suos compagnones studiantes, Lyon, 1528 ; Sensuyvent
plusieurs Basses dances tant Communes que Incommunes, [Lyon, J. Moderne, vers 1540]. L’ouvrage d’Arena a
été récemment traduit : Antonius Arena, Ad suos companiones… 1531, édition bilingue Marie-Joëlle Louison-
Lassablière, Paris, Champion, 2012.
82 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
différemment). Dans ce domaine, il faudra travailler avec les versions monodiques retrouvées pour
tenter de distinguer ce qui relève de la superstructure dansée de ce qui ressort des nécessités de la
lyrique.
Théâtre
La musique est très souvent présente dans le théâtre comique (mais pas uniquement), et c’est
un moyen dramatique particulièrement sollicité dans les farces70. Les situations où les entrées se font
« en chantant » sont relativement nombreuses, et les chansons que les acteurs chantent, dans les
sources de la farce au tournant du siècle, sont les mêmes que celles que nous trouvons dans les
paroliers imprimés étudiés par Jeffery. Dans le feu de l’action, les ritournelles, les refrains connus
doivent absolument fonctionner sur le plan dramatique (la question de l’effet concret des formules
versifiées, comme les triolets, semble différente). Le théâtre dans toute sa diversité représentait un
temps significatif de la vie de la cité. C’était un divertissement bienvenu pour les citoyens, et pour les
visiteurs des pays environnants. C’était aussi une expression d’un bien-être des classes moyennes, de
leurs sentiments religieux qui n’étaient plus à ce moment-là sous le regard de l’église, et de leurs
propres réactions aux pressions exercées par les pouvoirs établis. Cet univers théâtral comique est le
lieu pour mettre en spectacle, voire tourner en dérision certaines figures de la cité, comme des officiels
incompétents et cupides, des avocats et des prêtres inqualifiables, ou pour mettre en scène les
catégories les plus nécessiteuses à leurs propres dépens.
Du théâtre le plus ambitieux, comme les cycles de mystères qui pouvaient durer plusieurs jours,
au théâtre le plus immédiat, de rue, on constate la présence, parfois discrète, parfois centrale de la
musique, ou plus particulièrement de la chanson de scène. Voilà encore quelques raisons de distinguer
ces chansons comme des chansons populaires, des succès. Disséminées dans des imprimés peu
coûteux, imprimés avec les mêmes caractères gothiques que nos plaquettes de paroles, les farces
contribuent à définir pour nous un ensemble de musiques connues de tous. Ce qui est particulièrement
important, c’est qu’il s’agit, comme pour la musique instrumentale, de répertoires capables d’être
reçus par des non-lecteurs (dans le théâtre) ; ou des non-musiciens – dans le cas des paroliers, et
même, ce dont on peine à se rendre compte, dans celui de la musique instrumentale. Naturellement,
l’exécution au luth de modèles complexes polyphoniques dépasse immédiatement en difficulté de
réalisation tout ce qu’on peut imaginer, et il n’est à peu près rien de plus difficile que de faire ressortir
ces pièces sur l’instrument. Mais le principe de notation alphanumérique (en tablatures diverses)
ouvre la porte à des usages très frustes de la partition, et en ce sens, contribue à une histoire des
pratiques populaires de la musique à cette période.
Populaire ?
Il y a donc essentiellement deux acceptions du terme populaire qui seront ici véritablement en
concurrence : la première qui désigne le succès et la diffusion dans plusieurs couches de la société,
avec des moyens de diffusion qui à un titre ou un autre introduisent une facilité pour prendre
connaissance des nouveautés à la mode, une facilité supplémentaire par rapport aux modes de l’écrit
érudit. Christoffersen choisit pour sa part le terme plus large de « everyday music », un terme qui ne
se limite ni à la chanson, ni à la musique profane par exemple : comme de récents projets de recherche
70
Jelle Koopmans, Le recueil de Florence, Orléans, Paradigme, 2011.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : ENJEUX HISTORIQUES 83
l’ont montré71, il existe en musique des pratiques variées, y compris polyphoniques improvisées, sur
des supports dont les usages ne sont pas uniquement ceux de l’érudition musicale ou de la littérature.
L’autre acception est celle qui désigne improprement la chanson orale, la poésie orale chantée,
lorsqu’elles ne sont usuellement pas notées, et dont le caractère principal est de servir tous les jours,
mais cette fois strictement en dehors des circuits de l’écrit. Il s’agit des berceuses, des comptines, des
chansons de tradition orale, de chansons assimilées au XXe siècle au terme « folklorique », et dont les
sujets, la langue et la forme sont généralement absents des supports manuscrits et imprimés. Ce sont
les quelques chansons de ce type, apparues dans nos deux chansonniers monodiques, qui sous
l’influence de musicologues anglophones entraînent impropement, parfois, l’usage du terme
« populaire », ou plutôt « popular ». Ces éléments de musique traditionnelle, issus de la musique
transmise de manière orale, apparaissent donc autour de 1500. Dans les manuscrits musicaux, on
rencontre alors cette musique « populaire » proposée dans des arrangements polyphoniques. Mais
ces arrangements sont eux-mêmes artistiques. Ils reflètent donc l’utilisation de la musique
« populaire » – de tradition orale – par l’élite, et la fascination des compositeurs qui s’absorbaient dans
l’étude et le potentiel que cette musique avait à leur offrir.
Pour éviter l’imprécision terminologique, lorsqu’il parle des compositions polyphoniques basées
sur des mélodies populaires, Howard M. Brown préfère utiliser l’expression « chanson rustique » pour
ce répertoire, par opposition avec les « chansons musicales » pour les œuvres plus artistiques72. Ce
sont des termes rencontrés à la mi- XVIe siècle, notamment dans les impressions de Jean73 puis Nicolas
Bonfons74 (Chansons nouvellement composées sur divers chants tant de musique que rustique, 1548).
Ces termes ne rendent pas la situation beaucoup plus claire. Malheureusement, le terme « rustique »
(surtout en opposition avec « musical ») sonne à nos oreilles de façon ambigüe, notamment s’il est
appliqué à la musique du XVe siècle par extension, à une période où la tradition courtoise était toujours
très forte, c’est-à-dire avant la prédominance de la chanson parisienne. Car, en français actuel, ses
connotations sont importantes. Il peut ainsi servir de voile pudique pour des chansons souvent
grivoises, et établir en retour un contraste étrange entre vie de cour ou cercles littéraires et évocations
sexuelles explicites, ce qui pourtant n’est pas induit directement par le témoignage des sources. Le
terme rustique évoque ensuite la vie campagnarde, et, de nouveau, on peut se demander comment
démêler l’implicite de ces termes du centre de nos propos. Certes, partout l’on peut observer le
creusement des écarts entre les différentes classes sociales en train de se redéfinir, au début du XVIe
siècle : et l’Art et science de rhétorique n’y fait pas exception, en exposant les formes poétiques issues
de « gens lays », qui font des « chansons ruralles ». Nous avons aujourd’hui bien du mal à employer de
la même manière ces termes, et sommes malheureusement habitués, pour ce répertoire de la poésie
orale chantée, à parler de chanson populaire, preque par anglicisme. Ce sera la seconde acception,
« chanson non courtoise », du terme « populaire », avec l’idée qu’une nouvelle vague de « chanson
71
Projet de recherche Fabrica, FAux-BouRdon, Improvisation et Contrepoint MentAl. Ressources pour
l'étude des polyphonies orales populaires et savantes (XVe - XXe siècles), Agence Nationale pour la Recherche, 2008.
72
Howard M. Brown, « The "Chanson rustique": Popular Elements in the 15th- and 16th-Century Chanson
», Journal of the American Musicological Society, vol. 12, n°1, Spring, 1959, p. 16-26.
73
Chansons nouvellement composées sur plusieurs chants, tant de musique que rustique, Jean Bonfons,
Paris, 1548.
74
Nicolas Bonfons, Sommaire de tous les recueils des chansons, tant amoureuses, rustiques, que
musicienes, comprinses en quatre livres. Adjousté plusieurs chansons nouvelles, non encores mis en lumiere. Livre
premier, A Paris, par Nicolas Bonfons. 1585.
84 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
non courtoise » est fortement encouragée en France au début du siècle, par le biais des deux grands
chansonniers monodiques et des paroliers imprimés. Pour certaines de ces chansons, on les chante
toujours aujourd’hui, et les folkloristes les connaissent bien, c’est ce que dévoile notre étude.
Au XVe siècle, déjà, les musiciens utilisaient certaines d’entre elles dans leurs compositions à trois
voix, de deux façons ; d’une part en composition avec d’autres chansons, une par voix, parfois des
combinaisons où une chanson littéraire était superposée à une chanson « populaire ». Ces chansons
combinées, assez proches du quolibet ou de la fricassée dans l’esprit, sont difficiles à écrire, elles
relèvent de l’élaboration artistique. D’autre part on trouve au XVe siècle des chansons de ce type tout
simplement en arrangement, c’est-à-dire en plaçant la mélodie préexistante à une des voix, et en
récrivant le reste de la partition. Pour l’histoire de la musique, il importe que la voix où l’on place le
modèle soit le ténor ou le superius, il importe aussi de savoir si les autres voix sont au nombre de deux
ou trois, et si des éléments du modèle se trouvent imités ou non par les autres voix. Mais ces questions
de genre musical provoquent comme une séparation de ce domaine en plusieurs sous-spécialités, en
sorte que ce que l’on pourrait établir en partant de la nature orale de certaines formes poétiques, de
certaines chansons populaires, finit par perdre de sa cohérence – notamment parce que les textes,
toujours strophiques, parfois longs, épiques, ne sont pas jamais livrés dans les sources manuscrites (au
contraire, d’ailleurs, de la poésie littéraire, notamment à formes fixes). En quelque sorte l’arrivée
simultanée des deux chansonniers monodiques manuscrits et des paroliers imprimés au début du XVIe
siècle, qui portent à notre connaissance de plus longs textes, et souvent de nouveaux textes, devrait
attirer l’attention sur leur poétique propre. Celle-ci ne s’incarne pas seulement, avec précision (et non
« imprécision »), dans les mises en musique, mais elle entre aussi en jeu dans toutes les réécritures
textuelles. Et tant que la musique n’est pas imprimée largement, la vitalité de ces formes musiquées,
telle qu’on l’expérimente dans les noëls, les premières chansons spirituelles, les chants « historiques »,
est centrale dans l’écriture poétique.
V - Le chant des formes poétiques au début du XVIe siècle :
Singularité poétique, musicale et moyens de description
Quels sont les principes du chant des formes poétiques, tel qu’on le perçoit à travers les paroliers
du XVIe siècle ?
L’état des lieux précédent s’avère nécessaire, parce qu’il est réellement difficile, en étudiant le
phénomène de la chanson à partir des paroliers imprimés, de retrouver les typologies qu’ont pu
dresser les musicologues en face de leurs chansonniers musicaux. Il y a, on le constate, une rupture
assez profonde entre les chansons que semblent véhiculer les paroliers de Jeffery et les différentes
musiques polyphoniques rencontrées soit dans le manuscrit de Copenhague (DK-Kk ms. Ny kongelige
Samling 1848, 2°), soit dans les manuscrits postérieurs, soit encore dans les premières impressions
d’Attaingnant. En réalité, sur le plan formel, telle qu’elle est décrite, la chanson polyphonique
parisienne des années 1530 semble se réduire à quatre phrases musicales, dont la dernière marque le
retour d’un élément connu, une façon comme une autre de clore le discours musical. Quelle que soit
la façon dont on lise les chansons les plus raffinées trouvées dans les paroliers étudiés par Jeffery, on
peine à concevoir comment il est possible de mettre en musique à l’aide de quatre phrases musicales
des formes strophiques aussi variées, complexes, et parfois subtiles.
Faut-il pour autant considérer les paroliers comme un phénomène poétique sans lien avec la
musique ? Le nombre important de concordances entre les sources musicales des décennies 1500 –
1530 et nos paroliers montrent qu’il y a une relation à élaborer entre deux répertoires, mais peut-être
pas dans les termes et les catégories exactes que nous lègue l’historiographie. Pour résumer, nos
paroliers se distinguent largement des pratiques polyphoniques quelles qu’elles soient. Sur le plan
poétique, il existe aussi un contraste notoire entre ce répertoire et la poésie amoureuse de cour, non
tant par les thématiques abordées, que par une certaine façon d’habiter les formes fixes. Celles-ci, en
musique, montrent encore en 1500 une vitalité qui n’est plus du tout d’actualité dans les traités et
anthologies poétiques du début du siècle, comme le Jardin de plaisance.
Distincts des chansonniers polyphoniques, distincts également des anthologies poétiques, nos
paroliers véhiculent des formes lyriques qui sont pourtant souvent décrites avec les moyens de la
poésie et de la musique savante. Par exemple, comme le souligne Christoffersen, « la plupart des
formes à refrains que l’on trouve dans nos paroliers ressemble peu ou prou à des formes fixes
dégradées ». La conclusion générale, sur ces principes, est très prévisible : rime négligée, structure
strophique aléatoire, simplification des codes courtois. Il semble que les moyens d’observation
interfèrent avec le matériau observé – ce n’est pas rare, c’est même la règle, mais ici elle se révèle
embarrassante. Or le point de vue musical peut permettre de réordonner la perspective, parce que ses
moyens, sur le plan du fonctionnement du langage musical, reposent à cette époque (et déjà depuis
plusieurs siècles) sur une tension interne du langage qui génère des valeurs binaires, simples dans le
principe en tous cas.
Il est au contraire nécessaire pour exposer les fondements des formes fixes chantées, d’un
matériel à la fois simple et robuste, qui permette de départager efficacement ce qui relève de
structures anciennes de refrains, de ce qui ressemble à un relâchement des codes littéraires courtois.
86 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
On cherchera aussi à caractériser ce qui a pu tomber dans l’oubli, de ce qui relève d’une démarche
objective de régularisation des strophes identiques. Ce n’est pas tant pour imaginer une persistance
des formes fixes au XVIe siècle, que pour mettre en valeur ce qui demeure de savoir commun aux
musiciens et aux versificateurs du début du siècle en matière de formes lyriques chantées.
Ces matériaux élémentaires sont ceux de l’atelier du musicien, qui va inscrire la performance de
la poésie chantée dans une superstructure musicale assez précise. Certains points des strophes telles
qu’on les trouve dans chaque forme fixe reçoivent un traitement uniformisé. Comme ces points sont
aussi le lieu des attentions poétiques, il y a des corrélations assez précises entre forme strophique et
forme musicale, notamment aux articulations essentielles. Il est crucial de bien se les remémorer pour
mieux comprendre la création de nouveaux textes sur une musique existante, non seulement pour
aujourd’hui rendre compte des formes chantées au début du XVIe siècle en dehors de la musique d’art,
mais aussi pour mettre en valeur le travail des poètes lorsqu’ils versifient sur une ligne mélodique déjà
existante.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 87
Dans le principe, la situation est extrêmement simple : que ce soit dans le rondeau, dans la
ballade, ou dans le virelai, dès lors qu’il s’agit de musique occidentale tardive (et de ce point de vue, le
XVIe siècle est vraiment tardif) nous avons affaire au cours d’une strophe à la gestion de plusieurs
éléments musicaux, qu’ils aient été légués par la tradition orale ou écrite par le compositeur n’y change
heureusement rien. Ils peuvent en réalité, pour les besoins de notre démonstration, être classés en
deux catégories seulement, en fonction de leur degré d’articulation, ouverte ou fermée, de la cadence.
Une des qualités essentielles de la phrase musicale, dans le contexte de l’étude des relations
entre le vers et son chant, est la qualité de la fin de phrase musicale. Elle présente deux possibilités, et
se trouve soit suspensive c’est-à-dire non conclusive, on peut encore dire ouverte, soit conclusive75.
La réalisation musicale d’un texte poétique se sert essentiellement de ces deux valeurs possibles
de la phrase musicale. Ce fonctionnement binaire n’est pas propre à un degré précis de qualité
artistique, mais est intrinsèque aux poèmes chantés, même lorsqu’ils semblent n’avoir jamais été
notés par qui que ce soit.
Rondeaux
D’une manière générale, aux XIVe et XVe siècles, la musique des formes fixes se conforme à des
principes simples. C’est ainsi que la fin du refrain d’un rondeau, qui réglera aussi la fin entière de la
pièce, doit impérativement être conclusive. Voici comment se traite un rondeau quatrain, du point de
vue du métier musical :
75
Dans ce mode de figuration, les valeurs sombres matérialisent les zones de stabilité de la phrase
musicale. Quelques segments internes n’ont pas d’orientation précise, mais les sections finales se posent
toujours de façon conclusive (sombre). La couleur sombre du début peut se discuter : le début d’une phrase
musicale est-il un état stable qui va vers une tension, ou constitue-t-il déjà une rupture avec la stabilité
antérieure, celle du silence ? Nous choisirons ici la première option dans le cadre des représentations des formes
musicales.
88 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Ici, à la fin des deux premiers vers, une cadence conclusive en fa, qui est aussi la finale générale
de la pièce (et constitue le marqueur principal). Mais à la fin du premier vers, une cadence sur do, et
non sur fa : ce qui suffit à faire de cette phrase musicale une phrase ouverte et non close. Comment
sait-on, à la fin du vers 2, que le refrain n’est pas achevé, puisqu’il se termine sur fa comme la finale
générale du vers 4 ? Quelques notes sans paroles suivent ce vers 2, une petite ritournelle qui crée
l’enchaînement, en tant que de besoin, avec la deuxième partie (vers 3 et 4). Pour un musicien donc,
il y a globalement un seul choix musical possible, selon que les vers du rondeau appartiennent au cadre
des deux premiers vers (couplet vers 5-6, et 9-12 : musique A, portées 1 et 2) ou des deux derniers
(musique B).
76
Ce rondeau est attribué à Anthoine de Guise, voir Gaston Raynaud, Rondeaux et autres poésies du XVe
siècle, Paris, Firmin Didot, 1889, p. 6 n° 7 (variantes).
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 89
À elle seule, la ritournelle 1 convertit la cadence close de fin de vers 2 (sombre) en fin de phrase
suspensive, ouverte, qui appelle un enchaînement – parce qu’elle termine sur la au lieu de fa. On voit
en fin de vers 4 une ritournelle 2 conçue bien autrement, qui ne crée pas de diversion : sa formule
permet de rester sur fa, la note qui signale la fin de la pièce musicale.
L’auditeur sait en tout point où il se situe : en fin de section, s’il est sur fa, et même en fin de
première section, s’il entend la ritournelle 1 qui l’incite littéralement à demeurer attentif parce que la
pièce n’est pas finie. Il entendra, lorsque le rondeau sera chanté en entier, les sections dans cet ordre :
(Musique) ABAAABAB. Il est difficilement question ici de rentrement, il faut chanter la section A en
entier (ici deux vers) si elle revient, car couper ne serait-ce que d’un vers le refrain central équivaudrait
à créer une section musicale amputée, finissant sur une cadence ouverte et tombant dans le vide.
Le musicien ne se pose donc pas tant la question de savoir de combien de phrases ou rimes est
constitué ce refrain (ce qui représente une importante source d’exégèse littéraire en revanche) que
de concentrer ses moyens sur la constitution musicale de la phrase, afin que les enchaînements de
sections poétiques produisent, grâce à la nature ouverte ou close de la phrase musicale, tel ou tel effet.
Les éléments sont bien connus, mais c’est le souvenir de ce fonctionnement qui peut aider à mieux lire
les formes lyriques des paroliers du début du XVIe siècle, qui n’ont parfois plus que le squelette
apparent.
Le fait de trouver des rondeaux chantés jusqu’au début du XVIe siècle indique que c’est
certainement par la performance musicale (et sa notation en polyphonie) que se conservent le mieux
les formes fixes. Le rondeau, rappelons-le, est fréquemment mentionné comme musical avant le XVe
siècle, et littéraire après.
La structuration du rondeau par les différentes fins de phrases musicales a pour effet d’orienter
clairement l’auditeur dans la forme poétique. On comprend donc que l’auditeur entendra à la fin du
refrain la première cadence conclusive du morceau, qu’il éprouvera comme une réelle pause. Il est
donc facile à un auditeur exercé de savoir s’il écoute un rondeau triolet, quatrain ou cinquain, par
exemple. Telle est du moins la situation dans le rondeau littéraire tel qu’il est chanté dans les œuvres
de Guillaume de Machaut et de Gilles Binchois.
À l’époque « classique » du rondeau chanté du début du XVe siècle, les musiciens disposent d’une
partition qui est en réalité constituée des deux moitiés du refrain initial, la partie ouverte en une ou
plusieurs phrases, la partie descendante conclusive en une ou plusieurs phrases. Ils jouent avec ses
deux parties pour accommoder l’une ou l’autre section suivante du rondeau, laquelle n’est pas notée
intégralement musicalement, car les répétitions sont évidemment inutiles. On note dans Dijon 517 le
placement du reliquat des vers du rondeau d’Anthoine de Guise. Le mécanisme du rondeau chanté
90 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
étant partagé par la communauté d’interprétation, tout se déroule à merveille. Cependant, si le demi
refrain central n’est pas développé entièrement, et si l’on est en face d’un rentrement, alors la
première musique, qui devait servir à chanter ce demi refrain, devient caduque. Pour un musicien
enfin, le rondeau est une forme close, aux antipodes de toutes les formes strophiques ou narratives.
Chanter le rentrement
La question du chant du rentrement semble avoir séparé de tous temps les rondeaux qui
pouvaient se chanter de ceux qui ne le pouvaient pas. Le refrain central dans le rondeau, et même le
refrain terminal, disparaissent des manuscrits de poésie tout au long du XVe siècle, et le soin variable
apporté à la copie de certains d’entre eux ne permet pas toujours de distinguer entre une marque
invitant à poursuivre (etc. ou encore / dans les manuscrits musicaux comme ci-dessus au texte et dans
la musique) et un point visant à l’abréviation pure et simple. Les musiciens disposent, on le sait, de la
totalité de la musique pour le rondeau.
Nous disposons d’ailleurs, avec À tout jamais d’un vouloir immuable (un des rares rondeaux des
collections de paroles à chanter, J.90 n°25, « Chanson nouvelle ») d’un autre exemple de cette
possibilité vraiment méconnue :
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 91
Les paroles « À tout jamais », début du rondeau, qui vont constituer le rentrement de ce
rondeau cinquain de Jean Marot, bénéficient d’une ligne musicale pour elles seules, avec une cadence
dûment constituée mesure 5 sur « jamais ». Le discours musical, ici encore, est curieusement coupé
juste après avoir commencé, par une cadence suffisamment conclusive pour être évidente. Si le refrain
interne, plus court, du rondeau se limite donc comme ici au premier groupe sémantique, les musiques
qui sont conçues comme celle-ci pourront même permettre de chanter un rentrement dûment abrégé.
C’est une hypothèse qu’il faut en tout cas tenter. Cependant peu de rondeaux subsistent dans les
formes chantées des paroliers du début du siècle, la question ne se posera donc pas souvent.
Ballades
Dans les paroliers, l’abondance de chansons strophiques à refrain terminal amène à rappeler
brièvement les principes de leur mise en musique au XIVe siècle : le modèle courtois qui s’en rapproche
le plus est celui de la ballade. Au XIVe siècle, dans les œuvres de Machaut, le premier quatrain de la
strophe mise en musique est la plupart du temps pourvu de rimes croisées (et non embrassées), ce qui
correspond de fait à une musique répétée, v. 1-2, chantés comme 3-4. Dans le cas d’une section
musicale répétée, il est important que le genre des rimes coïncide à chaque passage musical. C’est
pourquoi le maintien d’un air musical en mémoire, lorsqu’on écrit des paroles de substitution, aide
beaucoup, pour ne pas dire contraint à conserver au moins le genre des rimes d’origine, si ce ne sont
les rimes elles-mêmes. D’une certaine manière, à l’inverse, quand on n’a que les paroles de
substitution pour identifier un air, on peut soupçonner une reprise musicale lorsque se présentent des
rimes croisées, notamment en tête de strophe. Ceci vient tout naturellement de l’observation des
mises en musique, mais n’est pas propre à la musique écrite : on le rencontre aussi dans la chanson
traditionnelle.
Dans les ballades chantées la strophe est donc pensée musicalement en deux temps, une
première partie souvent répétée, puis une seconde (A, A, B). Sur une strophe de sept vers, on peut par
exemple imaginer que les deux premiers vers se chantent comme les vers trois et quatre. Les musiciens
donnent une tournure légèrement différente à la cadence en fin de vers 1-2, de manière à précipiter
92 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
l’envie de répéter la même musique pour les vers 3-4. La cadence en fin de vers 2 est suspendue, mais
cela ne joue pas sur la versification.
À la fin du vers 4, la cadence est généralement reformulée comme en (2) mais de façon un peu
plus conclusive. Le compositeur invente ensuite une musique légèrement ou très différente pour la
partie B, qui déploie le reste de la strophe. À la fin de cette grande partie B, qui peut comporter un
certain nombre de vers, la cadence sera impérativement conclusive. Le jeu particulier que l’on peut
faire avec une ballade musicale raffinée, c’est d’introduire un motif musical identique en fin de partie
A et en fin de partie B. De la sorte, alors que pour l’œil la strophe de la ballade semble d’un seul tenant
avec un vers refrain terminal, la sonorité musicale présente dans le vers terminal aura en réalité déjà
été entendue à la fin de la section A, par exemple au vers quatre. C’est cet effet mélodique qui
conditionne puissamment le ressenti de la ballade dans l’esprit des auditeurs, lorsque celle-ci est
chantée. Il existe donc pour la ballade deux choses à retenir : d’une part une inflexion chantée
équivalant à une pause cadentielle quelque part au milieu de la strophe, (fin de section A) d’autre part
un effet de refrain, seulement musical, qui relie le vers refrain final avec le même air que le musicien
a pris soin de placer à la fin de la première partie (ci-dessous au schéma : « ritournelle », qui est le
terme musical adapté). Dès la fin de la première strophe, l’auditeur exercé ressent donc un effet de «
déjà entendu ».
Ce modèle fort ancien ressemble, mais ne fait que ressembler aux formes strophiques variées à
refrain terminal que l’on rencontre dans les paroliers. Les recueils poétiques du XVe siècle montrent
d’ailleurs un abandon quasi-général de cette forme pour la poésie de Cour. Un des points importants
cependant réside dans le premier quatrain en rimes croisées, dont la réalisation entraîne un usage de
la reprise variée, une fois à conclusion ouverte, la fois suivante, à conclusion close précédée de la
ritournelle. Cette leçon de mise en musique des quatrains à rimes croisées demeure forte dans toutes
les réalisations musicales ensuite, et notamment au XVIe siècle. Lorsque la ballade est pourvue d’une
seconde partie de strophe à rimes embrassées d’ailleurs77, la mise en musique de la seconde partie
fonctionne aussi en deux fois deux phrases à reprises, la première fois avec une terminaison ouverte,
la seconde, avec ritournelle et clôture.
Le modèle de la ballade n’est sans doute pas le meilleur pour aborder la question des chansons
strophiques à refrain terminal. Il est pourtant une dimension dans laquelle la ballade excelle, sans
atteindre la perfection de l’ancien lai, c’est la dimension narrative. Pour toute une série de chansons
circonstancielles, liées aux événements militaires notamment (celles que Picot, après Leroux de Lincy,
77
Ou dont la croisure de la 2e partie de strophe est symétrique. Voir par ex. Machaut, Ballade 19, Amours
me fait désirer.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 93
classe dans la catégorie « Chants historiques »), qui relèvent d’une forme strophique simple (toutefois
le plus souvent sans refrain) extrêmement prolixe, le souvenir de la ballade est évocateur.
Trois caractéristiques de la ballade poétique font défaut dans notre répertoire : la structure en
trois stances, la notion de carrure (qu’on trouve cependant parfois), et surtout l’envoi. Les poèmes
pourvus d’éléments de carrure sont peu nombreux :
3 strophes de sept heptasyllabes : J14 n° 2, J’avais entreprins d’aymer, refrain v. 7 Las je m’en
vois rendre chartreux, sans concordance musicale.
3 strophes de huit octosyllabes : Adieu plaisir adieu soulas, Recueil J.90(a) n°1 ; Hélas que vous
a faict mon cueur, J.Nourry 1534 n° 2.
3 strophes de dix décasyllabes : Changeons propos c’est trop chanté d’amours, recueil J. Nourry
1534 n° 26. (Cl. Marot, Adolescence C.)
Sans surprise, la moisson n’est guère convaincante si l’on souhaite rester dans un cadre précis
de la ballade poétique telle qu’elle avait cours au XIVe siècle. Les formes strophiques chantées,
notamment en tradition populaire, sont plus vivaces dans nos paroliers, et cette forme savante de la
ballade ne remplit pas du tout le même office.
L’envoi
Il subsiste toutefois, dans nos paroliers, quelque chose de l’envoi de la ballade ancienne : le
couplet final adressé au rossignol, à l’oiseau messager, pour transmettre le souvenir, les regrets, le
serment. L’oiseau, locuteur et partenaire dans nombre de chansons d’amour, est une figure familière
de la poésie lettrée. Il est en réalité absent des chansons traditionnelles, comme le poète lui-même,
qu’il personnifie. Sa présence reflète donc un état plus littéraire que traditionnel de la chanson. Sa
place dans un couplet final est encore autre : il survient tout à la fin, à brûle-pourpoint, et met
brusquement tout le reste du poème en perspective, en dégageant une perspective moralisante, ou
de portée plus générale ou universelle. Si l’on chantait la très populaire chanson (lettrée) Faulte
d’argent (J.90(a) n° 11) avec tous ses couplets, on pourrait entendre le couplet final :
Ros[s]ignolet
Qui chante au vert boucage
Va t’en dire
À mon loyal amy
Que luy et moy
Ferons joye sans soucy
Se je ne l’ay
Las je mourray pour elle
Ce type d’envoi est un des poncifs de nos paroliers, sans que l’on puisse dire avec certitude
quand ils ont été composés (il est possible qu’ils aient été écrits plus récemment que la chanson
initiale, voire au moment même où ils ont été imprimés). Ainsi de la chanson Je vais, je viens, mon
cueur s’envolle (J.90(a) n° 24) :
Le poète fait son apparition à de multiples reprises dans nos chansons, pas uniquement sous la
forme ailée précédente, ainsi dans la complainte sur la mort d’un brigand, la Chanson de Verdellet
(J.90(a) n° 9 :
En 1535 (n° 173), un texte qui devait se trouver déjà dans J.90 (où il figurait à la page de titre
seulement) se conclut ainsi :
Ou encore (et l’on appréciera l’absence d’encre et de papier dans la pensée d’une rencontre
avec le répertoire de transmission orale) :
Les deux composants concurrents d’un envoi vernaculaire (poète et rossignol) coexistent
pourtant dans certains paroliers, mais dans un contexte d’accumulation de strophes ou de fragments
textuels déjà connus qui font soupçonner le pot-pourri. C’est le cas dans cette chanson à refrain issue
d’un recueil non recensé par Jeffery (NJ 1542, n°5, BnF Rés 2719), véritable collage de strophes qui
font penser à un catalogue rétrospectif de la chanson gaillarde, ou plus exactement de la thématique
de la nécessité physiologique (et sociale) de marier les filles 78:
78
Howard M. Brown, Music in the French secular theater, 1400-1550, Cambridge, Harvard University
Press, 1963, n° 320, pour des références variées.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 95
Si j'avoys un amoureux
Las qui fut bien à ma grace
Mamour je luy donneroys
Mais que de bon cueur il m'aymasse /
Mais que de bon cueur il m'aymasse
Et qui fust mignon et gay.
Enne/enne/enne/vray dieu/enne
Las que ferai je je ne scay
L’univers de la ballade ancienne transparaît parfois encore dans de faux envois burlesques au
prince, dans un contexte réellement très différent de l’ambiance poétique du XIVe siècle :
–J.53 n°10 :
Princes tout son entendement
Est d’aller deça et delà
Faire fourbir son instrument
Jamais elle ne l’espargnera
Maudit soit sui d’elle dira
Que mal et vitupere
Sa fin jamais rien ne vauldra
Et vive la bergere
Enfin çà et là, les allégories du roman courtois médiéval (le Roman de la Rose en particulier) sont
encore convoquées, peut-être aussi par proximité avec les romans de chevalerie dont on fait encore
grande publication et lecture au XVIe siècle : Fortune bien entendu, mais aussi Faulx rapport (J.1535
n° 33, Mon triste cueur si est hors du soulas, « Or Faulx Rapport tu as faict ton effort/ Fort je suis prinse
d’ennuy et douleur. »), Faulx Semblant et Beau Parler (et d’autres ) dans le très beau succès Amours
partez je vous donne la chasse mis en musique notamment par Sermisy (J. 1535 n° 25). Faulx Parler est
curieusement présent également dans un quintil non dissocié de Martin menoit son pourceau, de
Clément Marot, à la fin de la première chanson de J.1535 :
Virelais
La poésie du XVe siècle pratique la bergerette française, qui est, du point de vue du musicien, un
virelai à une seule strophe au lieu de trois. Et ce qui importe réellement aux musiciens, c’est la rupture
objective entre le refrain qui est placé en tête, et les vers faisant partie du couplet (plutôt que la
thématique par exemple). Cette rupture, pour ceux dont l’office est d’organiser les effets sensibles,
doit être d’autant plus creusée que dans ce type de poème on constate une rupture de mètre, un
changement de rimes au moment des vers-couplets. Les obligations subtiles d’enchaînements entre
partie A et B que l’on observe dans le rondeau et la ballade sont ici inutiles, et toute l’énergie du virelai
et de ses formes apparentées réside dans cet infime détail. Dans un rondeau triolet pourvu de ses
refrains complets, sans rentrement, il faudra faire entendre trois fois la section A aux vers 3, 4 et 5. La
fin de la section A tient généralement compte de cet état de fait musicalement contraignant. On a
également pu observer que la première partie d’une strophe de ballade (par exemple une ballade
3*7*7 : les quatre premiers vers), sur une musique A, étaient mis en musique par une répétition de A
(A ouvert, vers 1-2 ; A clos, vers 3-4), avant de prendre d’autres dispositions (B) pour le reliquat de la
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 97
strophe. On se souvient enfin de l’obligation de faire entendre quelque chose de la fin de A à la fin de
B, de manière à préparer et affermir l’effet du dernier vers-refrain.
Dans un virelai, dans une bergerette, la seconde section est tout à fait autre, à tous points de
vue. Et c’est cette deuxième section qui verra les deux vers ou les deux piedi, quelle que soit leur
composition, pourvus d’une musique contrastante, la même pour les deux piedi, répétée, une
première fois « ouverte » et une seconde fois conclusive. Le signal auditif envoyé est celui des piedi, il
est difficile de les confondre avec le refrain.
Depuis la fin du XIVe siècle, les musiciens disposent d’un corpus tout à fait conséquent de virelais
chantés. Dans ce domaine, les deux types de phrases musicales, ouvertes et fermées, suffisent à
structurer l’écoute. Pour un musicien, tout comme le rondeau, le virelai commence par son refrain. La
fin de chaque strophe se terminera également par son refrain, qui sert d’enchaînement entre deux
« strophes » - en réalité les piedi et la volta.
Si les piedi consistent en une phrase musicale répétée, la première fois est ouverte et la seconde
close. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit conclusive : si la phrase musicale est bien terminée, en
revanche, le plus souvent, la note sur laquelle elle se termine n’est pas la « bonne », la note de
référence. Un virelai bien écrit se comporte de cette façon.
Cette section contrastante des piedi est suivie de la reprise de la musique des premiers vers
refrain, mais les vers ne correspondent pas encore au refrain : il s’agit de la volta. Musicalement,
pendant la volta, l’auditeur éprouve une sorte de feinte, une ruse qui est le plaisir particulier du virelai
chanté : le refrain semble revenir mais en réalité le contenu textuel n’est pas encore là. Enfin, la
dramaturgie propre à ce microscopique genre chanté veut que l’on enchaîne avec le véritable refrain,
la ripresa. C’est lui qui inaugure la nouvelle chaîne strophique.
Le plan général du virelai Douce dame jolie de Guillaume de Machaut dressé ci-après n’a pas
pour but de retracer des éléments bien connus, mais de montrer l’extrême régularité du processus vu
du point de vue du musicien.
La musique B correspondant aux piedi est destinée à être répétée deux fois. Le genre des rimes
des deux paires de vers (ou plus) est contraint (ou l’inverse : c’est parce que la structure poétique des
piedi est à rimes croisées que la musique est écrite de manière répétée). Il y a en tous cas une
corrélation entre les deux phénomènes. On constate que la musique de B n’est pas même copiée deux
fois, au contraire de la volta, dans le manuscrit. La simple fin « close » se substitue à la fin « ouverte ».
98 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Refrain :
Douce dame jolie, Ripresa A
Pour dieu ne pensés mie
Que nulle ait signorie
Seur moy fors vous seulement.
Qu'elle le contralie
Et lie
En amour tellement
Refrain :
Douce dame jolie,
Pour dieu ne pensés mie Ripresa A
Que nulle ait signorie
Seur moy fors vous seulement.
Et quant ma maladie
Garie
Ne sera nullement
Piedi B
Sans vous, douce anemie,
Qui lie
Estes de mon tourment,
Refrain :
Douce dame jolie,
Pour dieu ne pensés mie
Que nulle ait signorie Ripresa A
Seur moy fors vous seulement.
L’effet de refrain initial et de couplets (piedi) de rimes différentes du refrain conduit à des formes
« strophiques » qui seront nécessairement très étonnantes si l’on a affaire, et ce sera le cas, aux
100 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
paroliers où la musique n’est pas notée et demeure une inconnue pour nous, ou plus généralement à
des textes seconds par rapport à une musique qui aurait eu en mémoire un virelai, et pour lesquelles
n’existent plus de concordances musicales.
Voici la mise en place d’un virelai tel que Douce dame jolie du point de vue musical :
On peut se tourner, si l’on cherche une définition poétique précise du genre au tournant du
siècle, vers Le grand et vray art de plaine rethoricque, de Pierre Fabri79:
« Bergerette est en tout semblable à l’espece de rondeau, excepté que le couplet du meilleu est
tout entier et d’aultre liziere ; et que le peult l’en faire d’aultre taille de plus ou moins de lignes que le
premier baston, ou semblable à luy. Et doibt estre close et ouverte, ou en tant de manieres comme de
rondeaux. ».
Outre l’usage du terme « baton » que ce passage nous suggère, et que nous emploierons quand
l’usage du terme vers semblera par trop usurpé, nous devons dire que les définitions sont plutôt
malcommodes sur le plan musical. Le musicien retient dans la bergerette la rupture du lien avec le
refrain interne du rondeau (et d’abord, le lien avec le rondeau, qui pour un musicien est une pièce très
différente).
79
Le grand et vrai art de pleine rhétorique de Pierre Fabri, éd. Alexandre Héron, Rouen, impr. E. Cagniard,
Coll. « Société des bibliophiles normands », 50-52, 1889-1890. 3 tomes, t. II, p. 71.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 101
D’autres définitions viennent à point compléter cette information : ainsi dans L’art et science de
rhétorique (attr. Jean Molinet) est fournie une autre définition de virelai80. Un rondeau sans refrain
interne s’appelle un virelai (simple virelai) « pour ce que gens lays les mettent en leurs chansons
ruralles comme Gente de corps ». Les notes de Langlois sur cette chanson (en forme de virelai) sont
tout à fait parfaites, il est difficile encore aujourd’hui de dire mieux, aucune chanson récemment
apparue ne vient nous aider à mieux comprendre ce passage (sauf s’il s’applique à un « Gente de
corps » existant)81.
Il est inutile de préciser à quel point cette indication est précieuse à tous égards : elle matérialise
la considération de ce que font « les gens lays » dans leurs chansons (i.e. pas en poésie). Chaque terme
isole une nouvelle catégorie : les « gens lays », laïcs, du commun, autres que l’auteur quoi qu’il en soit.
Sur le terme « ruralles », il faut évidemment saisir au vol l’occasion et bien souligner que le terme
apparaît, pour qualifier des chansons dont il est fort possible que nos paroliers soient les dépôts
principaux, dès 1520. Le recueil de Bonfons de 154882 de chansons « ruralles » souvent cité pour
justifier l’emploi de ces adjectifs est donc anticipé de trente-cinq ans au moins, c’est tout à fait
intéressant dans notre perspective.
La nouvelle séparation entre chansons et poésie éclaire bien le contexte de la création des
chansons de Marot, à un moment où l’on convoque d’anciennes formes poétiques lyriques pour
matérialiser… des chansons à refrain. Il est très important, pour notre propos, que le genre soit
clairement décrit dans un art de rhétorique, avec une indication de la façon dont étaient perçus les
mètres et rimes de la « chanson » (même celle des « gens lays ») : cela revient à la placer tout de même
aux côtés des genres poétiques identifiables83. Ces chansons-ci, « virelais simples », la définition en est
constante entre 1520 et 1536, présentent après le refrain placé en tête (un refrain de plusieurs vers)
un couplet différant singulièrement, en mètre et en rime, du refrain. La présence de la volta dans les
manuscrits poétiques montre la pertinence de penser à une interprétation chantée, du moins au
souvenir de la haute époque du virelai chanté, au XIVe siècle.
Manifestement, l’utilité d’inscrire le virelai dans un traité de poétique du début du XVIe siècle
repose sur un usage vernaculaire de cette forme, clairement justifiée par l’existence de la musique. La
forme virelai est décrite comme une évolution / dégradation du rondeau.
80
SENSVYT LART & || SCIENCE de re- || thoricque pour faire Rimes et Balades. —Nouuelle- || ment
Imprime, A Paris. s. d. [v. 1520], f° Aiv v° (Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits,
Rothschild 2795 (425 a) Cote topographique : V, 7, 64).
81
Ernest Langlois, Recueil d'arts de seconde rhétorique, Paris, Impr. nationale, 1902, p. 214-252. Le
rondeau Gente de corps et de maintien du Jardin de Plaisance (Vérard, 1502, f° biii) ne semble pas relever de
cette discussion.
82
Chansons nouvellement composées sur plusieurs chants, tant de musique que rustique, Paris, Nicolas
Bonfons, 1548.
83
On ne peut toutefois entièrement exclure un mot d’esprit « gens lays/virelai »…
102 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Il ressort de ce passage en trois moments, qui repose et argumente sur des références musicales,
la progression suivante :
Un rondeau double est un rondeau de plus de quatre vers, « avecques quelque une sangle qui
se consonne avec l’une des aultres », ici le 5e et dernier vers du refrain initial rime avec les deux
premiers. Le déroulement de ce rondeau double montre le rentrement d’un vers, et le refrain terminal
d’un vers.
Le rondeau double particulier nommé virelai simple (en raison des chansons « rurales » des
« gens laïcs ») est un également un rondeau cinquain. Il diffère du précédent en ce que deux vers
refrains (et non un) sont insérés (v. 6-7, avec v. 6=v.1). Il est curieux que le vers 7 ne soit pas le vers 2.
Enfin, en fin de strophe, deux vers de refrain sont donnés, au lieu d’un précédemment (et il s’agit bien
des vers 1 et 2). On peut comprendre la chose ainsi : « il y a des refrains internes constitués dans un
virelai simple ». Ou alors : « on continue, dans le rondeau chanté, à chanter plusieurs vers au lieu
même de ce que nous, poètes, avons décidé progressivement de rentrer, puis de supprimer, le refrain
médian du rondeau ». Je fais ici l’hypothèse que la matière de ce qu’on doit chanter au refrain médian
n’est pas très claire pour l’auteur (en musique en tous cas, on ne peut que chanter, si ce sont deux
84
Voir édition moderne : Langlois, op. cit., p. 230.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 103
vers, les deux premiers). Ou encore : « les gens lais persistent à chanter intégralement les refrains
internes du rondeau », avec une éventuelle connotation péjorative : les ruraux.
Enfin le virelai double présenté découle de l’exposé précédent : un quatrain, suivi d’un groupe
de quatre vers (ou plus) dont les rimes, et parfois le mètre également, ne sont pas celles du quatrain
initial, puis retour au schéma normal du rondeau quatrain. Les vers 1 à 4 présentés sont un quatrain à
rimes embrassées, et, fait crucial mais attendu pour un musicien, le quatrain suivant v. 5-8 (dont la
marque distinctive est la nature différente des rimes) constitue cette fois un quatrain à rimes croisées.
Ici, les musiciens sont en terre connue, et les musiques composées selon le modèle « Machaut »
fonctionnent parfaitement, dans la section piedi (=B ou bb) pour cette partie. Tout se passe comme si
aucune rupture réelle n’avait lieu dans ce domaine, si ce n’est que la nouvelle parution des textes de
chansons contraint, c’est mon hypothèse, les auteurs à y consacrer au moins un exemple. Plusieurs
exemples de cette forme poétique se trouvent en effet dans les nouveaux paroliers.
J.12 n° 885:
Voicy le may
Le jolis moys de may
Tant doulx frisque et joyeulx
Mignon et gay
Vert comme un papegay
Amoureux gracieux.
M’amye et moy
Nous fusmes sans esmoy
Maulgray les envieux
Cueilli le may
Ce joly moys de may
Au chant melodieux
Hélas pourquoy
Convient il ne à moy
Departir amoureux
Quant est à moy
Se ma mye ne voy
Tousjours suys langoureux.
85
Le poème est partiellement perdu en J.90(b) n° 4 également, voir cat. 879.
104 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Ce type d’alternance strophique évoque précisément ce que Molinet appelle un virelai double.
Les strophes 1, 3 et 5 constituent la ripresa, et deux volte. Les strophes paires riment différemment,
elles constitueraient en toute hypothèse deux piedi de trois vers chacune.
Ces quelques éléments doivent permettre de mieux appréhender des formes poétiques publiées
en grande quantité, dans des chansons parues parfois pour la première fois, avec de nombreuses
incertitudes de mise en page, dans les plaquettes gothiques de cette période. Les subtilités des
classements des formes poétiques, que l’on mesure bien à l’aune des arts de seconde rhétorique, est
telle que, devant l’irrégularité ou la différence dont certaines paroles de chanson faisaient preuve, le
contrôle des répétitions, des refrains, des strophes même a pu être laissé à l’appréciation commune.
Musicalement, la gestion des trois grandes formes fixes est réellement très différente.
L’articulation minimale du discours est la suivante, en deux temps : une section A constituée d’un ou
plusieurs vers, et une section B de même. Ces grandes sections musicales ont pour principal effet de
maîtriser le déclenchement du refrain poétique, par différentes stratégies musicales. La cadence
principale est celle de la fin du refrain : la connaissance de la nature des cadences finales des sections
A et B peut permettre d’identifier le genre poétique auquel appartient la chanson chantée. Ainsi, pour
une ballade, c’est la cadence de la fin de la section B qui est conclusive, elle correspond à la fin de
strophe. Pour un virelai, c’est exactement l’inverse. Enfin, pour un rondeau chanté, c’est l’irrégularité
centrale qui constitue le fondement même de la forme musicale : il n’y a pas de retour du refrain
complet, mais un effet de feinte, qui évoque un peu celle qu’on éprouve en écoutant un virelai : le
demi-refrain n’est qu’une fausse alerte musicale.
Les formes fixes marquent ainsi, en musique, la consécration d’un ensemble de pratiques
concernant le traitement du groupe refrain. En particulier, des habitus de mise en musique se créent
autour des quatrains, selon qu’ils sont à rimes embrassées ou croisées. Dans ce dernier cas, on observe
fréquemment un traitement en sections musicales répétées. Mais le rondeau cinquain, réellement
majoritaire au début du XVIe siècle (on pense aux Rondeaulx en nombre troys cent cinquante), présente
généralement une croisure de type aabba pour le refrain86. L’apparition de deux fois deux rimes plates
contraint les musiciens à penser les éventuelles mises en musique (plus rares) différemment, puisque
ce modèle est plus récent et moins habituel. Il pose musicalement un problème, puisqu’il faudrait créer
le contraste musical attendu d’une manière ou d’une autre, et que les sections internes d’un cinquain
promettent d’être au moins tripartites : quelque chose de bien différent de ce à quoi le travail sur les
formes fixes jusqu’au rondeau quatrain les ont habitués. On retrouve là une notion fondamentale, qu’il
faut rappeler : les formes fixes poétiques héritées du XIVe siècle sont le creuset des formes musicales
binaires (et notamment à reprise). Les constructions musicales qui émanent, non pas simplement des
formes fixes, mais des structures internes de leurs refrains (et couplets), portent en elles la trace de
ces structures. Si celle-ci viennent à disparaître ou changer de principe, l’écriture musicale doit suivre
et trouver des solutions.
86
Rondeaux en nombre trois cent cinquante, Paris, Simon du Bois et Galliot du Pré, 1527.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 105
Un exemple d’analyse
La connaissance de ces principes de structure devient utile pour évaluer certaines formes
strophiques très répandues, dans le domaine de la chanson. Dans le recueil J.90(a) se trouvent des
formes strophiques hétérométriques, avec des vers courts centraux dont la rime, et seulement elle,
sera reprise dans le vers final.
C’est le cas dès la première chanson du recueil, Adieu plaisir adieu soulas, en huitains, où le vers
6 est un hexasyllabe, alors que le reste du poème est en octosyllabes. La situation est relativement
simple, il s’agit d’une sonorité du vers 6 qui annonce tout simplement le vers 8. D’une strophe à l’autre,
la rime de ce vers 6 est invariable, c’est une rime qui appartient au vers refrain : 8MM²MM²M²6y 7X6y.
De ce point de vue, le sentiment dominant c’est le sentiment d’être en face de ritournelles musicales
que l’on trouvait à la fin de la partie A dans une strophe de ballade musicale.
Cette chanson est peut-être banale sous l’angle littéraire, mais en l’absence d’une version
musicale connue, le musicien se demande de quelle forme doit être la musique. La première mise en
musique de cette chanson est attestée en 1550, alors que le parolier date probablement des années
1515-1520.
La présence de trois rimes par strophe pose problème, naturellement. Il faut nécessairement
que la troisième fasse en réalité partie du refrain, ce qui est nécessairement le cas sur le plan musical.
En d’autres termes, il est clair que le vers 6 se chantait sur la musique même du vers huit, et ce, sans
avoir vu la partition. Si le vers 6 et le vers 8 sont chantés sur la même mélodie, elle est nécessairement
conclusive, car la mélodie du vers 8 est nécessairement conclusive. Par conséquent la mélodie du vers
5 et la mélodie du vers 7 sont bien des phrases suspensives, c’est-à-dire ouvertes. Car le refrain, «
Maudits soient ces envieux qui m’ont ôté ma mie » est un refrain en deux temps, certainement avec
un « ouvert » musical, suivi d’un « clos » musical. Il reste donc une section initiale de quatre vers, avec
plusieurs possibilités. Mais le schéma de rime ici constaté, des rimes alternées, fait que probablement
la musique des vers 1 et deux 2 comparable à la musique des vers 3 et 4.
Voici donc ce qu’un musicien de cette époque peut percevoir des articulations poétiques et de
la façon dont il va mettre en musique cette strophe. La forme ABCA pour le premier quatrain, par
exemple, ne serait pas très utile, elle convient beaucoup mieux en principe à un quatrain de rimes
embrassées, ce qui n’est pas ici le cas.
106 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
La version de 1550 n’est en réalité plus du tout fondée sur ce type de structurations musicales :
Dans la version de Nicolas, à la fin de chaque phrase, une cadence musicale est placée ; elle
définit des groupements soulignés par l’usage de la majuscule : les vers sont pensés comme des vers
longs. Reprenant la version ancienne, nous pourrions explorer une versification de type 16MM14x x,
en groupant les vers par deux, ce qui permettrait de comprendre pourquoi le vers 3 de cette version
J.90(a) rime si peu (à chaque strophe) : il est peut-être placé au centre du vers, dont il constituerait le
premier hémistiche d’origine.
alors entre un vers 16M et un vers 14x « Je vivroye joyeusement et sans melancolye » où la césure
« -ment » reprend la rime du vers précédent (-temps), un dispositif d’enchaînement batelé en somme.
Le musicien, en 1550, véhicule cette lecture de la forme poétique en vers longs : il n’a
résolument qu’un seul vers-refrain final, constitué des anciens vers 7 et 8. Dans la partition
polyphonique, ce qui subsiste de l’idée de refrain, un refrain qui n’était pas une fiction trente ans avant
(3 strophes) est la phrase finale, qui se répète (voir le signe de répétition). On remarque la nouvelle
structure de la strophe en 5 sections, et surtout, l’ancien vers 6, de rime x, placé sur le même segment
musical que 8, un segment conclusif87. Le manque d’un vers 2 se fait sentir partout, par exemple à
l’occasion de l’étirement du vers 4 sur 2 sections musicales, ou encore la place curieuse du vers 3, ce
qui le rend conclusif alors que sa place ne l’y prédisposait pas (voir illustration précédente).
Il n’est pas indifférent de savoir comment était publié ce texte dès 1520 : il s’agit d’un exemple
de forme strophique soignée, probablement décrite plus efficacement en vers longs, mais imprimée
en octosyllabes, le vers court usuel du début du siècle, dans la farce, le dialogue, la poésie de
circonstance… Nicolas, en 1550, a perdu le « soulas » : le « premier vers » est devenu
« hypométrique », bien que de 12 syllabes. Mais, quelque part entre 1515 et 1550, une version de
Adieu plaisir adieu soulas a pu rectifier les rimes des vers 3, puisque celui qui apparaît en lieu et place
du vers 3 de 1515, « puisque j’ay perdu mes esbatz », résout la rime pendante. Hélas, c’est son
antécédent « soulas » qui a ensuite disparu.
La vie de cette forme strophique devenue miniature musicale continue enfin de nous surprendre
par deux détails : la version de J.53 n’est pas la même (voir catalogue n°39), et les réécritures
87
Les sections colorées sont posées dans leur parties sombres ; celles qui sont suspendues, c’est-à-dire
ouvertes, ou encore non conclusives, sont claires. Pour conclure les formes musicales, et les sections
importantes, il faut arriver sur une partie sombre. On ne peut s’arrêter sur une partie claire en fin de section
adossée à la poésie (fin de strophe…).
108 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
strophiques se sont manifestement succédé sur cet air hélas perdu. La strophe correspondante de J.53
résout bien la question du vers 3 qui ne rimait « pas assez », dans une vision octosyllabe du poème.
Mon hypothèse est que la lecture octosyllabique, renforcée dans l’atelier d’imprimerie par la
composition en colonnes et l’habitude de répertoires populaires autres, constituait déjà une perte de
savoir poétique ou mieux, peut-être une perte liée à la concurrence d’une forme plus orale.
Cependant, pour orale qu’elle soit, la composition des strophes de cette chanson est littérairement
achevée, il ne s’agit certes pas de la plus vernaculaire des formes chantées que nous puissions
rencontrer dans les paroliers.
Enfin, musicalement, Nicolas connaît son affaire : il a prévu pour le refrain final une phrase close,
qui utilise les deux vers 7 et 8. Une légère inflexion au point le plus bas (sol) maintient un mouvement
semi-cadentiel et l’anime.
Or la musique est strictement la même dans la phrase précédente, une véritable invitation à y
placer en effet le vers 5 et 6, comme la lecture du poème nous y préparait. Il faudrait donc placer « Je
vivroye joyeusement » à l’endroit où il y a actuellement « Et sans melencolye », et placer ce dernier
vers dans l’intervalle actuellement dépeuplé de paroles qui le suit.
Mais dans ce cas (et Nicolas ou son éditeur ont tranché), que faire de la première partie de
strophe devenue trop courte de deux syllabes depuis la disparition de « soulas » ? L’étirer et la replacer
vaille que vaille en réécrivant le poème….
Cette forme strophique où le refrain final est annoncé par sa rime un peu plus haut est très
présente dans J.90(a) : Madame mon souverain desir (n° 15), Fille qui faict nouvel amy (n° 21), Adieu
soulas tout plaisir et liesse (n° 33) ; dans J.53 : En plains et pleurs je prends congé n° 17, Las Fortune
n° 28…
Dans le détail toutefois, ni les explications venues de l’univers de la ballade poétique ni l’idée
d’une « forme circulaire » musicale ne peuvent suffire à décrire la richesse des perceptions formelles
de part et d’autre : elle réside en ce qu’il subsiste de geste poétique dans une chanson strophique qui
possédait plusieurs strophes du même type ; dans la façon dont le musicien la relit avec des moyens
simples, mais qui redéfinissent l’économie de la strophe - ce qu’on peut déplorer, ou au contraire
comprendre comme une évolution vers un refus de la forme strophique au profit d’une musique plus
étroitement liée aux aspects sémantiques du texte, exactement ce qui constitue l’essence du madrigal
italien.
Les laisses
En réalité, les chansons transmises par nos paroliers possèdent encore d’autres structures de
répétition, qui ne sont pas issues de l’univers courtois.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 109
Dès le recueil J.90(a), apparaît une forme plus ancienne, que les folkloristes du domaine français
rattachent volontiers au rondeau du XIIIe siècle, ou plus simplement même à la laisse pourvue de
refrains (n°29) :
C’est à travers les travaux de Conrad Laforte que l’on peut prendre le plus efficacement
conscience de l’importance de cette structure profonde pour la constitution des formes strophiques
de la poésie orale. Le propos de Laforte, dans ses travaux, va plus loin, puisqu’il relate la formation des
rondeaux des XIIe et XIIIe siècles à l’aune de la relation vers de laisse-refrain telle qu’il l’a relevée au
cours de ses collectages de chants dits folkloriques.
Conrad Laforte pense les constructions strophiques à partir des éléments invariants et des
éléments variables – et place le refrain du côté des invariants, et tout ce qui est sémantique et/ou
narratif du côté du variable. Dans les formes chantées les plus complexes, sa démarche à l’école
d’auteurs plus anciens naturellement, fait merveille.
La première de ses mises en garde concerne la croyance, chez les éditeurs de poésie orale, au
vers rythmique. Nos paroliers, croyons-nous, ont édité de la poésie orale. Ils le savaient probablement,
et dans tous les milieux lettrés, on trouvait des mots pour qualifier la mesure poétique de ces musiques
sur lesquelles le poème second était composé. Ainsi Eustorg de Beaulieu et son imprimeur, qui dans
sa Chrestienne Resjouyssance (1546), ordonnent le recueil en plusieurs sections. La première ne lui
pose pas de difficulté particulière, elle répond à un projet général de chanson chrétienne de revanche
et de consolation, sur des airs existants. La seconde partie contient des chants qu’il a mis en
polyphonie, donc nouveaux : la plupart ne nous sont pas connus, sans doute sont-ce des compositions
entièrement nouvelles, car les incipits mentionnés comme titre des airs à entonner sont, pour la
plupart, entièrement inconnus (là où l’abondante première section ne pose pas de difficultés). Le plus
étonnant réside dans l’avertissement placé au début de la dernière section :
110 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
L’exemple sur lequel s’appuie Laforte pour explorer ce qu’il appelle la superstition du vers court,
du vers blanc et du vers rythmique est tout à fait éloquent. En s’appuyant sur les travaux des
symbolistes, et en particulier Gérard de Nerval, il montre comme celui-ci dispose sa version du
Merveilleux navire :
il aurait retrouvé facilement une chanson en vers de 14 syllabes, une laisse assonancée en -an, avec
césure épique, et chaque vers formerait une unité syntaxique. La notion de vers blanc que Nerval avait
développée pour éclairer précisément les vers impairs de sa mise en quatrains, et qui a eu le succès
que l’on connaît, ne serait peut-être pas apparue si la croyance dans le caractère primitif des chansons
folkloriques (ce sont les mots de Laforte) n’avait été si profondément répandue. Laforte s’appuie sur
la définition simple et claire donnée par Elwert dans son Traité de versification française :
Ce qui empêche de distinguer correctement la laisse dans les chansons populaires, ajoute
Laforte, c’est précisément l’articulation de la forme secondaire, la forme strophique, où la laisse entre
en composition avec le refrain pour constituer une strophe88.
Distinguer une laisse dans un cas comme celui-ci est relativement simple : il n’y a pas de refrain89.
La chanson en laisse possède une structure archaïque et souple : la laisse « constitue le noyau central
autour duquel gravitent de multiples formules strophiques », en composition notamment avec les
refrains. « La laisse se dégage de la forme secondaire en retranchant les refrains et les répétitions90».
J.12 n°8
88
Conrad Laforte, Survivances médiévales dans la chanson folklorique poétique de la chanson en laisse,
Québec, Presses de l'Université Laval, 1981, p. 11. Cite Theodor W. Elwert, Traité de versification française: des
origines à nos jours, Paris, Édition Klincksieck, 1965 p. 153.
89
Les lecteurs auront peut-être, sur cette même chanson, une version à refrain en tête : nous suivons
simplement l’argumentaire de Laforte sur une version canadienne à laquelle il fait référence.
90
Ibid.
112 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Il s’agit donc d’une laisse isométrique (7 syllabes) monoassonancée en –ai, dont deux vers sont
utilisés par chaque strophe. La strophe suivante reprend systématiquement le vers de laisse n° 2 de la
strophe précédente, et ajoute un vers de laisse nouveau, en enjambement en quelque sorte. Tout le
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 113
reste n’est que refrains, très hiérarchisés également, mais ils ne font pas partie de la structure
profonde de cette chanson91.
Laforte précise enfin, au début de son exposé, que les chansons en laisse sont des chansons à
refrain, que seules les chansons à refrain et en laisse sous-jacente sont réellement de tradition orale,
les autres (notamment rondeau, virelai etc.) ne peuvent être que littéraires – ce dont en effet, venant
plutôt de l’étude de sources écrites, nous sommes bien persuadés. Il souligne que les seules chansons
en laisse réellement dépourvues de refrain qu’il lui ait été donné d’observer sont des chansons épiques
– du type de la Danseuse noyée, que certains de ce côté-ci de l’Atlantique connaissent parfois sous le
nom de « Sur le pont de Nantes ».
Les chansons en laisse font donc leur apparition en tant que texte à chanter dans les paroliers
du début du XVIe siècle. Il peut y avoir de multiples raison à cela, mais compte tenu de leur absence de
transmission écrite auparavant, c’est un point tout à fait passionnant d’histoire culturelle, puisque
dans ces mêmes paroliers, elles côtoient à quelques années près les premières chansons de Clément
Marot92.
Peu de chansons entièrement conformes à l’archétype nous sont parvenues, mais elles sont
remarquables. « Navez point veu la Peronnelle » est de celles-ci, ainsi que la très connue et encore
attestée et chantée dans les provinces canadiennes aujourd’hui « Mon père a fait faire un chasteau » :
J.90(a) n° 30 :
A vous point veu la Peronnelle
Que les gens d’armes ont emmenée
Si en France je retournoie
On my montreroit ou le doy
91
On notera que les refrains ne sont pas aussi indépendants de leur laisse qu’on veut bien le dire : tous
les refrains semblent au contraire plutôt fermement attachés à leur « couplets », dans les paroliers à partir de
1500. Est-ce une vertu de l’imprimé ?
92
Fleur des chansons, 1527.
114 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Cette chanson est présentée dans le recueil Coirault Rés Um 112 (J.90(a)) en distiques dont le
premier vers semble moins bien rimer que le second. La strophe 3 semble hypermétrique. Les
compagnons typographes auraient-ils « mal lu l’original » ? Certainement pas. À l’aune de la chanson
en laisse, la présentation montre nettement des vers longs de 16 syllabes, présentés ici coupés à la
césure (une césure épique, contrastant avec la fin de vers), et un système d’enjambement d’un (long)
vers ancien et d’un (long) vers nouveau par strophe. Ainsi :
A vous point veu la Peronnelle que les gens d’armes ont emmenée93
Ilz ont abillée comme ung paige c’est pour passer le Dauphiné
Elle avoit trois gallans de freres qui nuit et jour la vont cercher
Tant l’ont cerchée qu’il ont trouvée en la fontaine du vert pré
[…]
La disposition de la strophe 3 dans le recueil constitue la trace d’une performance de la strophe
à partir des vers qui la composent : on peut voir que c’est ainsi qu’elle se chantait – cela peut varier
d’un parolier à l’autre, d’un moment à l’autre, mais c’est le principe de cette famille de chansons. Ici,
précisément, le caractère narratif de la chanson se marie à l’absence de refrains, et l’on a bien
l’impression en lisant Laforte de retrouver là des principes qui régissent des chansons que l’on n’avait
pas l’habitude de voir soumises à l’écrit au début du XVIe siècle. Le principe, une fois bien établi, aide
fortement à reconnaître dans nos chansons les plus familières la construction formelle structurelle.
Qui ne se souvient de la chanson « Il est bel et bon commère », passion des chorales françaises ?
93
Ici, que l’accord grammatical soit fait ou non (on trouve les deux leçons) ne change pas la nature
monoassonancée de la laisse.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 115
L’hypothèse d’un archétype monoassonancé entrecoupé de refrains est assez évocatrice, même
si le modèle est soit perdu, soit inexistant : c’est un type de fonctionnement qui se souvient des formes
de la chanson populaire. Sur le plan musical la pièce est très ouvragée, toutes les intentions de chaque
groupe sémantique sont dépeintes différemment, s’il y a un substrat monodique que nous aurions
perdu, il nous échappe certainement. Mais la force de ces vers monoassonancés (et leur variété) vient
de leur contraste avec le vers refrain, très strictement répété et énergique. C’est un mécanisme de
contraste fort que la composition strophique des chansons en laisse permet.
Le musicologue peut dès lors s’interroger sur ce qui apparaîtra finalement au premier plan :
l’arrivée de ces répertoires sur la place publique, dans l’imprimé populaire, quelques années avant
l’imprimerie musicale française et la « chanson parisienne », qui les mettra en polyphonie. Et la façon
dont elles seront saisies par l’imprimé musical, qui se trouve dans l’incapacité de rendre compte de
ces formes destinées avant tout à la geste narrative.
Un exemple
La chanson Mon père a fait faire un château, si connue des folkloristes et à laquelle Coirault94
consacre une étude approfondie pour les versions du XVIIe au XXe siècle, paraît sans doute pour la
première fois dès 1515 dans le recueil J. 90 (n° 29) :
94
Patrice Coirault, Formation de nos chansons folkloriques..., Paris, Éditions du Scarabée (Mesnil, impr. de
Firmin-Didot), 1953, et Patrice Coirault, Georges Delarue, Yvette Fédoroff et Simone Wallon, Répertoire des
chansons françaises de tradition orale, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-, n°103K.
116 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Ici encore une des strophes de J.90(a) est atypique et révèle un mode précis d’exécution
chantée, qu’on peut résumer ainsi :
Voici ce qu’en fait Willaert dans une des premières versions connues95– Willaert est un grand
promoteur de ces chansons, bien au-dessus et avant tous les autres :
Si nous matérialisons les grands refrains complets par un R, les autres par un r, et les vers de
laisse par un L suivi d’un indice chiffré, la chanson qui dans le parolier est présentée : R L1L2 R L2L3 R
L3L4 […] est ici réduite à R L1 (bis) L2 r L2 L3 L4 r L4 R. Willaert propose manifestement d’utiliser 3 vers de
laisse par strophe, mais l’air des deux premiers est virtuellement le même96. Il dispose donc d’un air
pour le vers 1, bissé, d’un deuxième air pour le vers 2, et d’un refrain distinct. Il choisit sur ce canevas
la première fois de bisser le vers 1, la seconde, d’installer trois vers de laisse, une stratégie différente.
Mais la seconde fois, il inaugure la série des vers de laisse par le deuxième, montrant par là qu’il connaît
le principe de l’enjambement des vers de laisse. Il est donc fort probable qu’il connaît une version
chantée à voix seule (pas nécessairement chantée toujours à voix seule, mais une version autonome
qui peut se passer d’accompagnement) de cette chanson, et qu’il en fait une version polyphonique. En
cela, son métier ne diffère pas de celui qu’il déploie pour ses hymnes polyphoniques alternées à Saint-
Marc de Venise, qui consiste à mettre en musique des hymnes existantes. Mais sa sensibilité formelle
l’amène à une musique joyeusement répétitive, dans un certain foisonnement qui dénote encore
précisément l’origine archaïque de la chanson sous-jacente. Dans les collectages de chansons de
transmission orale, les strophes constituées à partir de laisses ne comprennent jamais plus de deux
vers par strophe. Ici, c’est le « bis » du premier vers de laisse qui entretient une « ouverture » que
Willaert saisit pour la modifier irrémédiablement.
Il ne sera pas possible de chanter toutes les strophes de la chanson en chœur à plusieurs voix,
non parce que c’est impossible, mais parce que ce serait harassant : la durée de la chanson
95
RISM 1539/18.
96
Il faut prendre en considération les quatre voix naturellement, cela n’est pas nécessairement apparent
dans le seul superius.
118 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
polyphonique est bien supérieure à celle d’un couplet de la chanson d’origine, et d’ores et déjà le
déroulement de l’intrigue est perturbé par l’irrégularité de la seconde strophe de Willaert. Nous avons
observé que non seulement l’interprétation intégrale est fort peu probable, mais que les musiciens
construisent rapidement des « abrégés » de chanson traditionnelle qui montrent nettement que pour
eux l’enjeu esthétique n’est pas du tout celui de restituer cette chanson dans sa forme d’origine, mais
bien d’en faire une pièce de caractère, un instantané.
La chanson en laisse (cat. n° 55) connaît donc un sort relativement tragique au contact de
l’écriture polyphonique, et l’on constate que ce n’est pas à cette seule occasion que ces formes
archaïques seront relues avec la plus grande liberté.
Le noël qui a été composé sur cette chanson montre une certaine parenté avec la lecture de
Willaert :
(Suivi de distiques).
La présentation ci-dessus reflète la page imprimée. Il semblerait que les indications fournies par
la disposition divergente des deux premières strophes montrent que le fonctionnement est de quatre
vers de laisse par strophe, deux anciens et deux nouveaux (heptasyllabes !), et que subsiste un refrain
central dans la strophe, « Resjouissons nous », qu’il convient de placer au mieux. Les strophes
suivantes ne sont construites qu’avec deux vers nouveaux, il faut donc prévoir pour une reconstitution
un modèle à trois vers par strophe (un ancien, deux nouveaux, un de ces vers bissé) ou à quatre (deux
anciens, deux nouveaux). Nous avons affaire à un noël, c’est-à-dire un texte second par rapport à un
modèle qui se trouvait probablement alla mente, ou disposé de manière récente par le versificateur
de noël sur un brouillon. Il n’est pas impossible qu’il ait lui-même été dépositaire d’une version à deux
vers de laisse par strophe seulement, dont au moins l’un était bissé, et qu’il soit parti de ce modèle en
produisant deux vers distincts sur la musique bissée au lieu de laisser se répéter un syntagme. La
construction du sens, dans une laisse avec refrains, se fait progressivement, et l’on absorbe un élément
par strophe. Dans les noëls, la narration est généralement dense et variée. Le débit sémantique d’une
chanson en laisse est finalement trop lent pour le cadre du noël.
Les réécritures comme celle-ci respectueuses du principe ne donnent pas toujours la meilleure
image de la chanson d’origine. Il est fort possible que la forme exacte du « modèle » soit différente de
région en région. Dans d’autres réécritures, l’archétype est en revanche très clair, sa forme bien
reconnaissable, quoique entièrement naturalisée d’une autre façon. Pour conclure, à partir de la
version de Willaert, nous disposons d’un squelette mélodique et d’une suggestion de forme chantée
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 119
qui peuvent servir à de nouveaux essais pour chanter les textes seconds. On trouvera chez Coirault ou
Laforte d’autres versions de Mon père avait fait faire un château97.
Le cadre de classement des travaux des folkloristes présente d’épineux aspects thématiques. La
vision des uns et des autres diffère en quelques points, surtout lorsqu’il s’agit de clarifier des scénarios
dont les motifs (fleurs, bouquets, grossesse, fontaine, peigne etc.) s’enchaînent de façon variable.
Reconnaître une chanson qui n’a jamais eu de titre (le plus souvent) nécessite d’avoir une vision claire
et une théorie du récit ou du conte populaire. Dans les paroliers, les chansons transmises relèvent,
pour certaines, d’une analyse de ce type, qui seule peut leur restituer une famille et une raison d’être.
Ainsi des différentes versions de Mon père a fait faire un chasteau, toujours différentes, toujours la
même cependant.
Dès lors que la pénétration d’un corpus exogène, qui n’avait jamais été consigné par écrit, est
reconnue dans les paroliers du début du siècle, l’appui des méthodes des folkloristes pour l’étude des
textes et des musiques se révèle indispensable. C’est ce qui permet de comprendre mieux le type de
transmission qu’on peut attendre d’un texte entre poésie et mise en musique, entre deux versions
poétiques également, sans se focaliser exclusivement sur les variantes en tant qu’altération – mais
plutôt en tant qu’écart. La variante est dans ce corpus du début du siècle le témoignage de l’activité
du cœur musical de la poésie chantée, sur des objets alors familiers qui participaient de la mémoire
collective. Grâce à ces premiers paroliers, nous pouvons aujourd’hui comprendre que des façons de
versifier, des mètres et des fonctionnements strophiques « en langue vulgaire » étaient partagées par
le biais de versions fredonnées et intériorisées. La publication soudaine de ces chansons est un
événement insolite et fugitif. Elles disparaissent en effet, en tant que telles, sous l’effet rapide des
versions secondes textuelles ou musicales, noëls, réutilisation en « timbres », chansons spirituelles etc.
qui s’en emparent avec beaucoup d’énergie, comme la farce le fait depuis toujours des refrains les plus
partagés. Celles qui ont été mises en musique au tout début montrent encore leur matière mélodique
et formelle, les autres, moins.
Pour les césures féminines, Laforte rappelle qu’en poésie orale également il existe plusieurs
dispositions, en fonction du rôle de la syllabe féminine à la césure : non comptée mais non élidée (« À
la claire fontaine m’en allant promener »), la syllabe féminine constitue une césure épique. Enfin, la
laisse et ses formes strophiques secondaires se prêtent très bien à l’improvisation poétique. Le
mécanisme permet, dans certaines formes strophiques, d’organiser la répartition de la parole entre
97
Ibid., n°103K.
98
Conrad Laforte, Survivances médiévales dans la chanson folklorique poétique de la chanson en laisse,
Québec, Presses de l'Université Laval, 1981, chap. « Les formules strophiques », p. 50 sq.
120 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
plusieurs personnes, avec des appels, et des réponses. Autant de signaux qui servent aussi à orienter
les pas de danse, comme le montrent celles pour lesquelles on a pu collecter en même temps la danse
et sa chanson. À cet égard, on sera attentif en milieu de strophe à des vers courts à l’excès, qui peuvent,
surtout dans les textes réécrits, les noëls, les chansons historiques ou les chansons spirituelles, dénoter
un ancien vers – refrain particulier, le refrain-signal, qui fait basculer la strophe dans sa partie
descendante. C’est probablement la partie la plus passionnante de la démonstration de Conrad
Laforte : certaines parties centrales issues du refrain sont en réalité des marqueurs pour l’alternance
et la bonne marche collective de la forme poétique (dans un contexte de danse, d’improvisation etc.).
Laforte indique ainsi avoir constaté au fil des collectages, dans la forme poétique 101, des
phénomènes de répétitions qui touchent plus particulièrement le premier vers et le dernier refrain99.
Il s’agit d’un phénomène qu’il analyse comme la trace d’un échange entre le soliste et le chœur :
Le soliste chante le premier vers suivi du premier vers du refrain final, le chœur bisse le tout. Le
second vers de laisse est ensuite chanté par le soliste, avec un fragment de refrain ou un vers de refrain
isolé, qui indique le moment où le chœur chante, dans un troisième temps, le refrain final deux fois.
Le vers de refrain central, isolé, raccourci, est nommé par Laforte (et d’autres, après Verrier en 1931)
un « vers-signal ». Un exemple contemporain de vers signal se fait entendre dans la chanson « Il était
un petit navire », juste avant le grand refrain final : « ohé, ohé ! ».
Une attention portée aux traces polyphoniques (qui ont toutes les raisons, bien entendu, d’être
infidèles à un modèle qui n’est pas posé comme tel) peut mettre en évidence ce type de refrain précis.
Voici le texte de la partie supérieure de Willaert :
On observe bien un effet d’écho sur le premier vers, du type même de la formule strophique
101 de Laforte, ainsi qu’un fragment de vers-refrain. Ce refrain, ici souligné, n’est pas seulement inséré,
il est abrégé et suit immédiatement le second vers de la laisse : il fonctionnait peut-être, dans une
version à une voix alors connue, comme refrain-signal. L’hypothèse de Laforte, alors en collectage en
Vendée, et qui l’a vu danser et chanter en même temps, est que ce fragment de refrain, qui précède
le refrain final bissé par le chœur, a pour fonction d’appeler en quelque sorte le groupe à finir la
strophe. En même temps, le mouvement de danse change. Le vers-signal, enfin, n’est pas
99
Laforte, Survivances médiévales, op.cit. p. 61.
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 121
nécessairement constitué d’éléments de refrain, il peut être, comme dans certaines versions actuelles
de « Il était un petit navire », tout à fait indépendant.
Sans nécessairement poursuivre la discussion dans cette voie, il faut songer, lorsqu’on à affaire
à des récritures dont l’hétérométrie est rebelle, à la question du modèle strophique sous-jacent. Car
les poésies secondes se comportent à l’égard de la musique de manière étonnante, et nous avons pu
observer que le poète en arrive à versifier sur un élément de refrain sans même le traiter en refrain
textuel, ce qui rend les formes strophiques secondes incompréhensibles si l’on ne parvient à décrire le
fontionnement des formes strophiques premières.
On voit également que les compositions polyphoniques ne sont pas les mieux placées pour nous
renseigner directement sur ce fonctionnement strophique de textes qui sont devenus tronqués : il faut
maîtriser le fonctionnement strophique d’abord pour pouvoir apercevoir les nécessités éventuelles qui
en découlaient – et mesurer la plupart du temps la dissolution opérée par la composition musicale sur
les formes textuelles. Il devient alors un peu plus secondaire de savoir si un groupe de quatre vers sera
mis en musique ABCA, car le plus important est de connaître la situation de ce quatrain dans
l’économie du texte poétique (même s’il provient d’une poésie orale saisie par l’imprimé pour la
première fois), son degré de répétition, et la forme de la croisure de ses vers.
Rondeau
Le rondeau avec ou sans rentrement est tout à fait exceptionnel dans notre corpus, jusqu’en
1535 : on n’en compte réellement qu’un, celui de Jean Marot À tout jamais d’un vouloir immuable
(cat.19). Néanmoins la question du refrain central, et plus généralement du rentrement, a une grande
importance sur les mécanismes musicaux dont les compositeurs ont pris une grande habitude au XIVe
et plus encore au XVe siècle. En sorte que la situation de refrain et de « demi refrain » apprise dans ces
formes littéraires se transpose très simplement pour tout refrain ou simili refrain, et ils sont nombreux.
Ballade
La ballade, en tant que pièce à trois strophes et envoi, est plus que jamais ignorée, au profit de
formes à refrain de fin de strophe, qui ne remplissent que superficiellement son office : en réalité, la
forme à refrain placé en fin de strophe, très fréquente, nécessite un examen approfondi pour évaluer
les possibilités d’autres formes strophiques à refrain issues de chansons populaires.
122 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
On note toutefois quelques poèmes dont la facture ressemble à l’esprit de la ballade ancienne,
notamment avec un envoi bien particulier à l’oiseau-messager, comme dans Je recommance mes
douleurs (J.53 n°17) :
On ne sera pas surpris de constater qu’une autre pièce de forme régulère avec rime placée au
dernier vers est une chanson épique, (cat. 119), un chant dit historique intitulé « Le contreprestre de
Navarre » (sic pour le comte Pierre de Navarre), transformé en mordante chanson « Quand me
souvient de la poulaille » par Eustorg de Beaulieu. C’est encore le cas pour « Les Bourguignons ont mis
le camp » (cat. 562), mais les exemples de versification régulière, avec rimes identiques d’un strophe
à l’autre et même dernier vers sont finalement réduits (11 sur plus de 2400 entrées).
Virelai
Avec la référence au virelai ou à la bergerette, on entre dans une dimension où la dynamique
couplet-refrains est particulièrement creusée. Les témoignages contemporains montrent, précisément
à propos du « virelai », que les formes chantées en langue vulgaire lui sont rapportées, notamment en
référence au rondeau. Dans les paroliers, de véritables anciens virelais subsistent, avec une seconde
stance (= piedi) nettement contrastante. Mais l’effet produit, lorsqu’on publie un « virelai
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 123
vernaculaire », est essentiellement celui d’un balancement entre deux types de « strophes » (J.90(a)
n°30, cat. 367) :
Il s’appelle rossignollet
Qui met toute sa cure
À bien chanter son chant parfait
Aussi c’est sa nature
Une « strophe » sur deux rime de manière fixe AbAb, alors que les strophes paires sont rimées
MAMA (ou M M² M M²). En réalité, la strophe 1 constitue le refrain, les strophes 2, 4 et 6, deux sections
de deux piedi chacune, la strophe 3 (resp. 5 et 7) constitue la volta, et rime comme la première, ce qui
est naturel. Il manque entre le troisième et le quatrième quatrain, ainsi qu’après chaque volta, une
indication pour chanter à nouveau le quatrain-refrain 1. Ce virelai est constitué exactement comme un
virelai de Machaut, en trois strophes régulières dont la mise en musique et l’exécution ne posent pas
problème. Ils ne sont pas perdus, dans le haut répertoire à une voix, tout au moins, et demeurent bien
vivants dans leur fonctionnement lorsque qu’il s’agit, comme ici, exactement de la version monodique
trouvée dans les grands chansonniers monodiques manuscrits. Pour ceux, tel L’amour de moy y est
enclose, qui font partie de ces chansonniers monodiques, le fonctionnement est encore assez net, mais
pour ce type de formes, l’appel de la forme strophique à quatrains réguliers est finalement irrésistible
et provoque une mutation, nous le verrons notamment dans les noëls.
présentent déjà cette forme de strophe spécifique en « T » extrêmement dansante. Il est tout à fait
particulier, si l’on veut demeurer dans le domaine de la poésie à chanter, que la première partie de
strophe soit en vers longs, et la seconde en vers très brefs, sans qu’aucune notion de refrain
n’intervienne, c’est-à-dire en tant que forme strophique hétérométrique sans rapport officiel avec les
principaux pourvoyeurs d’hétérométrie strophique, les virelais et apparentés. C’est pourtant le cas, et
ces chansons ont régulièrement été dansées (nous disposons d’une notation chroégraphique), et
même publiées comme musique imprimée à danser. Voici la forme typique d’une strophe :
La première publication dans un parolier est actuellement celle trouvée chez Nourry, ci-dessus
(Lyon, 1534, n°33, 2 strophes). La seconde partie de strophe est constituée de vers considérablement
plus courts, ici des tétrasyllabes, qui sont rendus musicalement par un rythme effréné. Mais cette
section est également mise en musique exactement comme si les vers 7 à 10 (« son alliance…est
sien »), puis 11 à 13 constituaient deux piedi : c’est la même phrase musicale, présentée une fois de
façon non conclusive (v. 10), et une fois de façon conclusive (v. 13). À la fin de véritables piedi de virelai,
il existe bien une cadence conclusive, mais elle n’est pas finale. Un musicien talentueux le sait, et
distingue d’une manière ou d’une autre par un léger « défaut » volontaire cette cadence close de fin
de piedi de celle de fin de ripresa, la cadence principale, qui doit être close et conclusive (une cadence
majeure, en somme). Dans les versions polyphoniques de Tant que vivray, mais avant celle-ci, de Est-
il conclud et d’autres, qui en constituent de véritables modèles, la forme musicale est simplement
strophique sans refrain. C’est le contraste entre les deux moitiés de strophe, un contraste de mètres
et de rimes, qui rattache cette forme dansée si typique du XVIe siècle à l’esprit du virelai chanté (J.8(c)
n°5 strophe 1/3) :
C’est tristesse
Qui ne cesse
Me couvrir de noir ;
Qui sans cesse
Joye me laisse
Las on le peut voir
On ne peut guère ici parler de poésie recueillie d’après une tradition orale, « populaire », en
raison notamment de l’apparition de la plus cruelles des Parques, fréquente dans le registre de la
déploration poétique. La mise en musique a été publiée dès le début de son activité par Pierre
Attaingnant. Le recueil Viviant de 1520, très littéraire, abonde en poèmes de cette veine, sans que l’on
trouve toujours de mise en musique.
Un bonne part des chansons à refrain présente entre les strophes un refrain constitué le plus
souvent de plusieurs vers et pour celles-ci il n’est réellement pas justifié de parler de virelai ou de toute
autre forme fixe, qui sont encore présents dans une forme savante, et chantés, au début du XVIe siècle.
En outre, une part non négligeable des chansons transmises par les paroliers présente, avec des
thématiques et une expression caractéristiques de la chanson orale, des textes à chanter pourvus de
systèmes de refrains particulier : les chansons en laisse. Environ 38 airs de cette sorte, sur plus de 800,
font leur entrée à l’écrit dans les premières décennies du siècle, par les plaquettes imprimées à grand
tirage dédiées aux chansons.
Si le plus ancien recueil (J.90(a)) n’en contient guère, dans les plaquettes moins fournies, dès
J.53, on en trouve de bons exemples, ci-desous dans une strophe sans refrains :
N° 34 :
Sus les pons de lyesse
Je ouy l’autruy chanter
Une si belle fille
La fille d’ung bourgois
Cette chanson fort connue des folkloristes100 connaît plusieurs variantes (les ponts de Lyon…les
ponts d’Avignon…). Elle ne rime pas très bien aux vers impairs, et la recomposition en vers longs est
bien plus parlante :
Les distiques monoassonancés représentent les vers d’une laisse dont la forme strophique sera
sans refrain au travers de ses différentes mises en musique. Les mises en musique considèrent que les
vers sont des hexasyllabes (les fins de phrases, en 1504, articulent des hexasyllabes), mais le principe
sous-jacent fait assonancer des vers de 12 syllabes avec une césure épique. L’expérience des folkoristes
sur ce type de versification dans la poésie orale est confirmée par les textes poétiques du XVIe siècle :
100
(Cat. Coirault 311 Sur le pont d'avignon j'ai oui chanter la belle, F 12, 2e timbre. Il existe à la Mazarine
des feuillets manuscrits reliés à la suite du Tiers livre de Rabelais, RISM 1536/6. Etude coirault 410-414. Cat
Laforte « Les oreillers », I, D-02. Certon, Lucques 189, Bonfons 49, 1504/3, 35/14, 97/11. L’abondance des
versions, qui fait dire à Christoffersen que Sur le pont d’Avignon n’est « pas fini », est caractéristique de la
chanson transmise par voie orale au contraire : et Laforte montre bien (Survivances médiévales, op. cit. p. 143
sq.) que ses différents motifs forment autant de paradigmes, pas essentiels à la chanson elle-même, mais
modulaires. Ils sont recombinés dans les versions, dont on peut dire qu’aucune n’est la version de référence.
Chacune des versions existantes est à la fois lacunaire, et entière. Seule cette approche permet de ne pas
confondre, par exemple, différentes chansons ayant un « La Rochelle» en commun (voir la notice Coirault 1325
à ce sujet, où les délimitations des chansons ne recouvrent pas les différentes versions du XVIe siècle dans nos
paroliers, ce qui justifie une certaine attention).
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 127
des poètes, en composant leur texte, ont pu reconnaître dans cette chanson les distiques, comme le
montre leur poésie nouvelle sur cet air ancien :
Cette chanson de Marguerite de Navarre « sus Sur le pont d’avignon j’ouis chanter la belle »
conforte la recomposition en vers longs qui permet une meilleure lecture de la laisse (et résout la
question des vers impairs rimant mal)101. Les nouveaux distiques en rimes plates renvoient à une
poétique de la simplicité, cependant, leur (nécessaire) variation de rimes modifie considérablement la
nature de la chanson d’origine.
Extrêmement pratique sur le fond, l’utilisation d’une mélodie de référence commune crée une
connivence entre le poète et le lecteur, porte la poésie de l’un à l’autre avec un rythme (silencieux)
supplémentaire encore au rythme poétique, et suggère au lecteur une cantillation intérieure ou
effective de la poésie : rien du plus mais rien de moins qu’une liturgie individuelle. Le détour par une
mélodie tierce scande le déroulement de la poésie, et peut-être supplante-t-il la lecture à haute voix,
en tous cas il semble incantatoire, il enchante le verbe.
Rien ne prouve bien entendu qu’on ne chante pas différemment (par exemple avec des
répétitions) ces vers de laisse : la forme écrite et la mémoire de la forme orale ou chantée coexistent,
c’est la forme double des chansons en laisse dont parlait notamment Doncieux102. Elle s’imprime ou
s’écrit « à plat » mais de chante avec ses refrains (lorsqu’il y en a).
La présentation en distiques se rencontre dans les paroliers : ce n’est pas tant une question de
contrainte matérielle, ici que de préférence marquée pour les strophes composées de quatrains.
101
Marguerite de Navarre. Chansons spirituelles, éd. Georges Dottin, Genève, Librairie Droz, « Textes
littéraires français », 178, 1971, ch. 7 p. 121.
102
Georges Doncieux et Julien Tiersot, Le Romancéro populaire de la France. Choix de chansons populaires
françaises. Textes critiques par George Doncieux. Avec un avant-propos et un index musical par Julien Tiersot,
Paris, E. Bouillon, 1904.
103
Bonfons, Grands noëls, recueil Block 53 fol. 135v°.
128 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Comme la césure était féminine, le poète a simplement profité de l’hémistiche pour installer (la plupart
du temps) une « vraie » rime.
J.11 n° 9 :
Ici la présence de petites interjections entre deux... hémistiches des dodécasyllabes a encouragé
la présentation en colonnes, mais la recomposition en vers longs s’impose pour appréhender la forme
strophique. Le principe de la dissipation progressive des vers de deux en deux (ici la rime change à
LE CHANT DES FORMES POÉTIQUES AU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE : FORMES POÉTIQUES ET MUSICALES 129
Ainsi, préciser de quelle manière le ou les refrains entrent en relation avec le reste de la strophe
aide à percevoir, au-delà des apparences, des constantes plus importantes, y compris et surtout dans
la petite part du répertoire connue des folkloristes du domaine français. Leur fréquentation aide à
reconnaître l’équilibre des sections oxytoniques et paroxytoniques au-delà de la réalisation des rimes,
suggère la recomposition en vers longs en apportant parfois de fructeux éclairages, et rend réceptif à
la présentation matérielle de ces chansons particulières : ni entièrement déterminée par les
contingences matérielles, ni négligente, elle représente un état de la réception de ces formes parfois
anciennes au début de l’histoire de leur consignation dans les paroliers imprimés.
VI – Divertimento II : Inspirer: le métier poétique à partir des airs
Avant même qu’il soit question de timbre, on versifie sur des airs, des « chants », ou comme ici
des chansons. La chanson du cotillon est ainsi nommée d’après un élément de son refrain, son incipit
exact est Quand j’estoie petite garse. Le texte du noël ci-dessous (1534) ne montre pourtant pas de
structure de refrain :
Exemple W1 f. Xiii v°
Son modèle est une ancienne chanson en laisse mono-assonancée, telle que visible chez Nourry
(1534 n° 20) :
Chez Nourry, ci-dessus, la chanson est en laisse mono-assonancée pourvue de refrains. Elle est
d’ailleurs voisine immédiate d’une autre chanson en laisse, Nostre chamberiere se lieve de matin, ce
qui engagerait une réflexion sur la composition poétique de ces recueils, quoique les groupements par
catégories soient de toutes façons multifactoriels : il n’en demeure pas moins que les « fonds de
recueils », les « débuts de recueil » et le corps de l’ouvrage se comportent souvent différemment.
Cette laisse entre en composition avec ses refrains (Lacquededin et Au verd buisson…cotillonet,
l’un bref, l’autre long) pour former une strophe de 5 vers comme suit :
L1 /r1/L2/r2/R2 ou L1/r/L2/R. L’enchaînement d’une strophe sur l’autre est assuré par la
liquidation des vers 2 et 3 dans la strophe suivante, puis 3 & 4, puis 4 & 5 (etc.).
Chanson Noël
Quand j’estoye petite garse Quant le filz dieu print naissance
Lacquededin mon cotillon Les anges sans fiction
DIVERTIMENTO II : LE MÉTIER POÉTIQUE À PARTIR DES AIRS 133
On comprend sans peine que disparaît entièrement la structure à refrains, avec deux détails
importants toutefois : le traitement du refrain final et le traitement du refrain inséré diffèrent et nous
livrent d’importantes leçons.
Le refrain final long est littéralement intégré à la strophe de noël, qui, résumée, serait réduite
ainsi à ses rimes : aBaBCC, pour la plus grande perplexité des lecteurs d’aujourd’hui (et même de
l’époque), ou mieux fAfABB, et à dire vrai, il serait difficile de traiter de la poétique de cette strophe,
apparemment de simples heptasyllabes réguliers, en ignorant que si A et B restent fixes de strophe en
strophe dans le poème, c’est parce qu’elles viennent d’un ancien refrain (de la chanson) dont elles sont
l’unique trace sonore. On devrait donc dire : fXfXYY. On ne saurait donc trop se montrer circonspect
devant des strophes hétérométriques et des schémas de rime hors normes ; il faut au contraire
chercher plutôt des régularités là où il est impossible qu’il n’y en ait pas : la parole chantée.
L’alternance masculine/féminine était déjà présente dans la chanson d’origine, le refrain inséré,
avec sa rime en –on, produisant déjà le nécessaire contraste si régulièrement observé dans les
chansons de transmission orale. [Ronsard insiste bien sur ce caractère, qu’il a moins prescrit
qu’observé, au fond, de l’alternance des rimes dans la « chanson » : il fallait juste se demander ce qu’il
entendait par « chanson » en réalité].
Pour ce qui est des refrains insérés, vers 2 et 4, le premier fournit donc un heptasyllabe à
terminaison masculine, le second également, mais par un artifice répété de strophe en strophe dans
le noël, « Au verd buisson mon cotillon » issu de la chanson (v. 4) devient dans le noël « Vers Syon : au
verd buisson » (ou « En Syon : au verd buisson »). La première moitié du vers-refrain est déplacée aux
syllabes 4 à 7. Elle contribue au travail sur les rimes et constitue un nouveau refrain, visible désormais
seulement au v. 4 dans le noël. Le vers refrain 2 a intégré le corps de la nouvelle strophe, n’en subsiste
plus que la rime. Comme par ailleurs on n’observe plus aucun chevauchement d’une strophe sur l’autre
(au contraire de la chanson en laisse primitive), impossible, sauf à repérer et interroger l’homophonie
des vers d’une strophe à l’autre, de deviner l’origine très ancienne de la formule musicale strophique.
Dans la version du texte transmise par Nourry (j1534 n°20), la fille avoue à la mère avoir mis
son pucelage sur la table, où le chat l’a trouvé, puis il y a mis la patte, et a fini par manger tout le
134 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
fromage (dont on ignorait la présence jusqu’alors). Cette situation, quasiment énumérative, ne nous
est pas inconnue. Il existe de nos jours encore une ronde « Le fermier dans son pré », qui se danse et
se mime au centre, où les danseurs sont appelés un à un, au fur et à mesure de l’apparition des
personnages dans la narration. La ronde se rétrécit en même temps que les acteurs du centre
augmentent, le fermier, sa femme, l’enfant, la nourrice, le chat, le fromage. La dernière saynète
impose que le fromage soit battu. Dans l’autre version relevée par Jeffery (J1535 n° 11), la narration
change beaucoup, mais le chat apparaît également à la fin et « a mangé le pucellage », ce qui rend
transparent l’usage de l’allitération (ou même ici de la rime fromage/pucellage) pour construire la
métaphore.
Il existe une version musicale, (RISM 1534/13, Trente chansons musicales, f. X), et probablement
une version I-Fc ms. Basevi 2442 de Jean Mouton antérieure. La version anonyme mise en musique par
Attaingnant nous apporte quelques enseignements principaux, que l’on a ici trop évoqués pour y
revenir longuement : la chanson y perd toute ampleur narrative évidemment, les péripéties sont
l’apanage de ceux qui connaissent le texte ou en disposent sous forme de livre. Son texte ne présente
pas la même dramaturgie, et le voici accompagné de ses principales cadences (répétées en chaque fin
de refrain cotillon/cotillonnet):
En d’autres termes, nous avons trois fois la même musique en deux parties :
A fa B SOL
Quant j’estois petite garce M’en allay garder les vaches
Las que devint mon cotillonnet Au verd buisson mon cotillon
Et mon pere m’y menace Où as-tu mis ton pucelage
(resp : Viens çà, viens mauvaise garse) Au verd buisson mon cotillon
Las que devint mon cotillonnet
(T et B : Je lay layssé en ce bocaige) L’ay donné pour ung formage
À ung garson de village Au verd buisson mon cotillon
Las que devint mon cotillonnet
L’ay donné pour un formage
Au verd buisson mon cotillon.
Les deux phrases musicales sont aussi conclusives l’une que l’autre. Seul le degré « SOL »
manifeste la fin attendue, s’arrêter sur « fa » en musique, ici, correspond à s’arrêter sur une désinence
féminine du refrain, c’est-à-dire n’en avoir pas fini avec la chanson.
DIVERTIMENTO II : LE MÉTIER POÉTIQUE À PARTIR DES AIRS 135
Pierre Attaingnant, Trente chansons musicales, RISM 1534/13, n°10 « Quand j’estois petite garse », 4vv. Ex. D-Mbs
L’anonyme musicien a cependant écrit trois fois la musique – quasi identique- tout au long, là
où une fois aurait suffi (avec un système de barres de reprise pour manifester la répétition) : c’est qu’à
bien y regarder, l’argument traditionnel de la chanson, depuis la découverte de la faute jusqu’au
« fromage », est restitué au complet – de son point de vue et probablement par ses soins - mais qu’il
136 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
en a abrégé l’action et livré l’ensemble de l’argumentaire (jusqu’au fromage donc) en seulement trois
strophes. Or pour ce faire il a écrit une musique à « trous » pour la strophe 2 et la strophe 3, une
dentelle sonore faite autant de silences que de notes : et pendant les habiles silences ménagés à deux
des voix, les deux autres voix donnent un texte complémentaire (un vers supplémentaire de la laisse
en somme), en sorte que le tout apparaît comme un dialogue avec succession des répliques entre la
fille et le père.
Il apparaît donc que, parti d’un air et d’un argument de transmission orale, notre auteur a
recomposé l’argument en introduisant un instant de dialogue, profitant ainsi de la supériorité de la
notation musicale sur l’imprimé dans la dimension temporelle…, pour mettre en espace et projeter
dans le temps de l’énonciation cette brève saynète. La laisse initiale se trouve par lui transformée en
formule strophique à deux refrains d’égale longueur, l’un à désinence féminine (« cotillonnet »), traité
en cadence « ouverte », l’autre en désinence masculine, « cotillon », traité en cadence conclusive. Les
deux membres internes de chaque phrase sont par ailleurs d’égale longueur, on peut prédire sans
peine que cette pièce se danse aussi bien qu’elle se dansait dans d’autres contextes d’exécution libre.
Les refrains sont particulièrement révélateurs : le premier refrain Lacquededin mon cotillon a
trouvé chez Attaingnant une formulation grammaticale stable, Las que devint. Plusieurs hypothèses
sont envisageables, mais il semble assez constant, si l’on suit Laforte, que dans le domaine de la
chanson de tradition orale, les refrains soient plutôt les lieux de l’onomatopée, de l’allitération, du jeu
sonore. Il y aurait donc un refrain « Lacquededin » de tradition orale antérieur à sa modification en
« Las que devint » à l’imprimé. L’inverse serait argumentable : ayant mal compris le sens des mots d’un
refrain qui était peut-être très ancien, les typographes ou l’imprimeur des paroliers ont restitué une
graphie approximative qui leur semblait convenir à l’idée qu’ils se faisaient de leur informateur – peut-
être une chanson de leur famille, de leur enfance. Les graphies phonétiques sont assez fréquentes dans
les manuscrits musicaux d’usage courant, notamment lorsque le musicien – par exemple un luthiste -
se concentre sur la mise en tablature d’un répertoire varié (de différentes origines et langues), et que
les paroles passent à l’arrière-plan : on peut ainsi obtenir Yes you yen fes ou de l'a ba pour « je suis »
ou « je joue en face de l’abbaye ». Mais ce n’est pas ici le contexte, et l’on observe plutôt une constance
de la transmission Lacquededin dans les paroliers, et une divergence chez Attaingnant.
Il subsiste enfin dans la partition un reliquat du refrain long terminal de la chanson en laisse : on
observe l’écriture musicale particulière (et la reprise) du dernier vers. Ecrit en valeurs noircies, il va
sonner « dansant », en ternaire, et signe par une discrète altération rythmique iambique (« verd buis-
son, …co-til-lon », dernière ligne) quelque chose qui ressemble au triomphe de la jeune fille :
DIVERTIMENTO II : LE MÉTIER POÉTIQUE À PARTIR DES AIRS 137
Pierre Attaingnant, RISM 1534/13, exemplaire D-Mbs, Trente chansons musicales, f.10 v°, « Quand j’estois petite
garse », anonyme, partie de superius (extrait)
138 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Demeure la nécessaire interrogation : y avait-il un substrat monodique dont puisse s’être inspiré
l’anonyme musicien ? À l’évidence oui, dans la mesure où des versions monodiques sont imprimées –
sans leur musique. Il faut donc choisir dans la polyphonie la voix-témoin, si c’est possible, celle qui
semble porter l’air d’origine. Ici, le superius (ex. ci-avant) est plus constamment plausible, à cause de
sa ligne mélodique dominante. Mais une oreille attentive peut trouver que l’expression de la toute
première incise « Quand j’estoys petite garse » semble être prise une tierce trop haut (à cause de la
place du demi-ton dans l’échelle mélodique ici, et du -mauvais- repos de cette incise sur ce qui se
solfierait mi, degré inconfortable s’il en est pour une pause vocale). Les voix de contratenor (qui se
pose sur fa) et du bassus sont presque plus convaincantes. En revanche le reste de la ligne mélodique
du superius laisse apparaître une structure assez convenable, que l’on peut donc retenir faute de
mieux.
Le fait le plus remarquable sans doute réside en effet dans la simultanéité de ces publications :
1534 pour le noël, 1534 et 1535 pour les paroles (deux versions traditionnelles et différentes), 1534
pour la musique en partition. Ubiquité, mais versatilité, permanence des structures profondes mais
évolution des formes : l’air est partout, et partout différent. C’est bien lui le centre d’où rayonnent les
différentes productions chantées, avec une inévitable diversité d’incarnation. Il sera donc difficile de
prétendre qu’après 1528 et l’ « invention » de l’imprimerie musicale polyphonique en France, les
DIVERTIMENTO II : LE MÉTIER POÉTIQUE À PARTIR DES AIRS 139
textes qui circulent sans partition sont des textes recopiés d’après les éditions musicales : c’est tout
simplement impossible, au regard des quantités de texte additionnel apportées par les paroliers, d’une
part, mais bien plus au regard de la qualité des textes eux-mêmes. Nous assistons plutôt à la survie
d’un répertoire non écrit, dont quelques chants sont fixés par les paroliers, mais qui demeure en
dehors de l’écrit principalement. À la faveur, peut-être, de l’impression des paroles dans les années
1530, certains musiciens alimentent l’imprimerie polyphonique de partitions dont la forme, certes à
refrain, n’atteint pas, ne peut pas atteindre la complexité des formules strophiques orales, et
particulièrement ici celles constituées à partir d’une laisse de type médiéval. Pire, il est possible qu’au
même moment des pastiches de textes de tradition orale, mieux adaptés à une « raisonnable » mise
en musique, soient écrits, et l’on pense ici bien entendu à des textes de chansons amoureuses telles
qu’on les trouve chez Janequin : jamais issues d’une tradition orale, et ne servant d’ailleurs pas de
« timbre ».
Quelles hypothèses peut-on enfin faire sur le travail effectué par le versificateur du noël ? Serait-
il par exemple possible qu’il n’ait fonctionné que visuellement ? Avec une approche principalement
métrique ? Uniquement par rapport à une version imprimée des paroles, ce qui expliquerait le
laminage des refrains ? L’hypothèse, qui serait évidemment très décevante, doit être envisagée
pourtant. Le cas n’est pas rare. Cependant ici, il semble clair que cette chanson, dont la thématique et
la coupe ont par ailleurs traversé les siècles, a eu cette forme à deux refrains différents, sur une base
de laisse mono-assonancée, et qu’elle était bien connue sous cette forme, au moins dans le milieu des
presses populaires. La qualité d’impression des refrains est particulièrement frappante chez Nourry,
qui ne songe pas un seul instant à les abréger.
Nous avons évidemment aujourd’hui tendance à penser que seules des mélodies bien connues
alla mente pouvaient justifier la publication de noëls fort nombreux et prolixes, sans aucune partition.
Il y avait certainement une communauté de réception de cette musique volante. Mais dans le détail il
est possible que certains de ces airs soient passés par une étape écrite de leur texte, par exemple
manuscrite, prélude à la « mise en noël ». Dans ce contexte, un poète moins sensible au mètre musical
vieillissant – ici de la laisse - aura pu juger plus intéressant de tenter une forme strophique dont la
croisure se révèle beaucoup moins classique que ce que la seconde rhétorique même aurait pu
envisager.
VII – Les formes poétiques à l’épreuve de la musique
Les textes de chansons de la première moitié du siècle, publiés en dehors des partitions
musicales, reflètent une réalité distincte de la musique polyphonique : plus riches, plus variés, plus
complets et parfois plus mystérieux, ils offrent un autre angle d’approche pour évaluer les versions
musicales dont ils sont la plupart du temps à la source.
En revanche, les noëls, les chansons spirituelles, qui s’appuient sur des airs mémorisés par leur
public, ont tendance à nous livrer une vision assez nette de la façon dont on chantait certaines d’entre
elles, avec leurs répétitions cachées, leurs refrains nombreux, leur articulation entre couplets et
refrains… de même, les rares chansons d’art qui sont devenues des airs à une voix, des chansons de
ville, traitées ensuite en noëls et chansons spirituelles, nous donnent à voir au fond un répertoire
savant ayant « folklorisé ». Dans les textes « seconds », écrits sur des airs existants, les formes
poétiques sont souvent très prégnantes. Ce n’est pas le cas en polyphonie, où s’installent des règles
d’amenuisement.
Avant que d’examiner comment l’on écrit sur une musique existante (et donc sur un texte
existant), il est utile d’observer comme sont traitées les formes poétiques dans la réalisation
polyphonique, comment on compose en musique savante avec de l’ancien, en somme. Les formes fixes
de la poésie d’art, tout comme les formes strophiques à refrains et les formes de la poésie orale
subissent un assaut puissant de la part de l’imprimerie musicale polyphonique (pas seulement de
l’imprimerie), qui les transforme et les éloigne du monde musical.
Dans les paroliers, on trouve quatre à six strophes à rimes embrassées, sans aucune trace
repérable de refrain. Chaque version est différente, récrite, avec des strophes communes qui
permutent d’une version à l’autre. Au-delà de la première strophe, toutes les strophes développent
l’idée de la maîtresse cruelle, jusqu’à l’invective, mais sans user du matériau qui se trouvait dans les
couplets du rondeau d’origine. Des trois versions, la Fleur 110 est celle qui montre comment on chante
le quatrain : il y a un léger écho après le vers 2, une section musicale à n’en pas douter, qui reprend les
six dernières syllabes du vers. Au début du vers 4, un autre effet d’écho, cette fois des quatre premières
syllabes du vers. Howard Mayer Brown aurait à n’en pas douter classé cette forme musicale parmi les
formes « ABCA », ou du moins aurait-il fait remarquer que la fin du vers 1 et la fin du vers 4 sont
142 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
musicalement les mêmes, dans le chansonnier monodique BnF ms.Fr. 12744 par exemple. Il importe
beaucoup que le premier quatrain (devenu le modèle de la chanson strophique) soit à rimes
embrassées, et l’air transmis par le ms. BnF Fr. 12744 en coïncidence musicale avec cette forme
poétique. Il importe donc en réalité beaucoup que cette chanson strophique soit issue d’un rondeau,
car c’est ce qui a amené le modèle de rimes embrassées.
Dans J.16, cette toute nouvelle chanson est suivie d’une réponse (au féminin), ainsi que dans
J.17 (avec des strophes différentes bien évidemment) : autant d’exemples de « timbre par réponse »,
qui induisent pour la réponse l’air même de la chanson initiale. Le phénomène de réponse au travers
de formes fixes est tout à fait contemporain en poésie, dans les Cent cinq rondeaux104 notamment : le
seul apport de la musique est d’ouvrir la possibilité de pièces lyriques avec réponses de plus en plus
ambitieuses.
Les musiciens auraient pu caresser l’espoir que, parmi les chansons de transmission orale qui
conservent ce principe, une réalisation de même type soit possible, et qu’on puisse donc chanter les
couplets additionnels avec leurs refrains sur le modèle même de la première strophe. C’est d’ailleurs
ce qui permet que le noël précédent, construit sur un rondeau devenu simple forme strophique,
fonctionne parfaitement : on peut enchaîner les strophes, sur le modèle d’origine assez simple.
Les réalisations polyphoniques de chansons en laisse, strophiques entre toutes, sont pourtant
parfois surprenantes.
Ainsi la chanson (cat. 146) Nous estions trois compaignons/ R Sens devant derrière, sens dessus
dessous, une chanson en laisse monoassonancée avec un refrain en deux aspects, l’un à désinence
104
Françoise Fery-Hue, Cent cinq rondeaux d'amour. Un roman dialogué pour l'édification du futur
François Ier, Turnhout, Brepols, 2012 (Europa Humanistica, Du manuscrit à l'imprimé, 1), 415 p.
105
Les grans Noëlz nouveaulx composez nouvellement en plusieurs langaiges sur le chant de plusieurs
belles chansons nouvelles dont les noms ensuyuent ; Et premièrement, Paris, Sergent, Pierre, ca 1530
(Wolfenbüttel, HAB) n° 48, édition Block, p. 206, str. 1/6.
LES FORMES MUSICALES À L’ÉPREUVE DE LA MUSIQUE 143
féminine (« Sens devant derrière »), son homologue à désinence masculine (« Sens dessus dessous »)
devient, l’espace de l’arrangement polyphonique, une miniature fixée106.
106
Frédéric Billiet, « Le cantus firmus profane issu du Manuscrit de Bayeux / The secular cantus firmus
derived from the Bayeux Manuscript », dans Itinéraires du cantus firmus. II: De l'Orient à l'Occident, Paris,
Université de Paris IV [Paris-Sorbonne], 1995, p. 62 : Il a été noté à plusieurs reprises que Nous estions trois
compaignons pouvait avoir été influencé par la célèbre chanson Adieu mes amours, comme le rappelle l’auteur.
Voir Théodore Gérold, Chansons populaires des XVe et XVIe siècles avec leurs mélodies, Strasbourg, J. H. E. Heitz,
s.d.= 1913, p. 94-120.
144 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Les structures de répétition des deux premiers vers sont encore marquées dans la polyphonie.
Cependant le centre de la narration est la grivèlerie, d’autant plus drôle que les compagnons ont
beaucoup abusé de l’auberge : une trame très abrégée dans le texte de la partition, qui interdit de fait
d’utiliser cette partition pour chanter le reliquat des strophes, puisque les strophes ont été
recomposées jusqu’à la chute finale. Un dernier vers de laisse est même inséré étrangement au milieu
du refrain final, pour clore la narration. Il n’existe pas de reliquat de strophes une fois que l’on a chanté
la miniature polyphonique, et c’est ce qui autorise, en partie, à considérer qu’un air sous-jacent,
pourquoi pas celui qu’on peut deviner dans la partition, servait à chanter cette chanson en laisse avec
refrain, pourvue de nombreuses péripéties à l’origine. Cette proposition est évidemment compatible
avec l’utilisation en timbre qu’en fait Eustorg de Beaulieu (n° 158). On notera d’ailleurs, sur le côté
droit de la page de cette même chanson de la Chrestienne Resjouissance, la mention précise des
passages bissés (2.).
Dans ce cas précis, la mise en polyphonie retient le dispositif à refrain, qu’elle mime, mais le vide
de son potentiel formel de narration en musique.
C’est encore le cas avec la chanson (cat. 90) Quand j’estoys petite garce, dont l’argument est
développé au long dans le recueil Nourry J.1534 n°20. Là aussi, la pièce polyphonique passe
directement aux conclusions, en sorte qu’il n’est pas nécessaire ni même envisageable de chanter des
strophes supplémentaires avec la version polyphonique. Il est en revanche possible que l’une des voix
LES FORMES MUSICALES À L’ÉPREUVE DE LA MUSIQUE 145
de ténor ou comme ci-dessous de superius soit très proche d’une monodie dans l’air du temps, et
qu’on puisse en faire usage séparément.
La situation des anciennes formes strophiques composées sur des laisses semble donc délicate,
lorsqu’elles sont mises en musique polyphonique et imprimées. Mais ce serait ignorer que d’autres
polyphonies, fondées également sur des chansons en laisse, en respectent entièrement le
fonctionnement tel que nous le décrivent aujourd’hui les folkloristes du domaine francophone : et
notamment une version manuscrite de Da Hurehau (cat. 200), trouvée dans le manuscrit I-Fn ms. Magl.
XIX.117 (ca 1505-1515) n° 48 :
Il est encore possible d’apercevoir une laisse « non réduite à son scénario » dans la chanson
Entre Paris et la Rochelle (cat. 11), où les trois premières laisses sont encadrées de refrains complets
(et non plus de ses refrains insérés comme dans la version manifestement encore en mémoire
d’Eustorg de Beaulieu dans la Chrestienne Resjouissance). Il s’agit d’une mise en musique minimaliste,
le phénomène d’enjambement des vers de strophe en strophe, propre à cette chanson, et visible dans
J.Fleur 110 n°48 a disparu, de même qu’il a disparu de la chanson Dormoy tu dy grosse bête de
Beaulieu. Le refrain particulièrement haché et sautillant de la chanson initiale impose de savantes
répétitions que l’on peut observer dans la version Attaingnant, RISM 1530/5.
La chanson L‘autre jour my cheminoie À Hedin la bonne ville (cat. 481), encore sur un modèle
approchant de la laisse, est conservée dans plusieurs sources contemporaines et divergentes. Il s’agit
de la version « chant historique sur la prise de Hesdin » d’une chanson en laisse bien connue, dont le
marqueur est le refrain « Hélas qu’elle est malade », source d’une grande « diaspora », d’une famille
de chansons.
La version seconde sur la prise de Hesdin en 1521 offre une chance unique d’observer, en J.8(a),
une poésie chantante où beaucoup de répétitions textuelles de cette chanson assez compliquée sont
notées. La version J.8(a) n° 8 est la même, dans une version légèrement différente. Qu’il soit ici permis
de comparer le début des deux textes que l’on trouvera intégralement dans le catalogue :
L’artillerie du roy François Nuyt et jour nous font chminer et coucher sur la verdure.
À trois lieues fut assiegée
Du premier coup qu’il frappa
Mais par un jeudy au matin, que le soleil ne luysoit mie
L’artillerie du roi François devant Hedin fut assiégée vive le Roy
Fut aux portes de la ville
L’artillerie du Roy.
Et du second coup d’après
Le premier coup qu’elle frappa ce fut aux portes de la ville.
Fut en la tour de la ville
Vive le Roy Et le second coup d’apres tout a l’entour de la ville vive le Roy
Le second coup d’apres tout a l’entour de la ville.
Les adventuriers françoys Les françoys y sont entrez à l’enseigne desployée vi.
Sont entrez dedans la ville. Les françoys y sont entrez à l’enseigne desployée. […]
Ils monterent sur les murs
Leur enseigne desployée
En plantant la fleur de lis
En cryant Ville gaignée […]
La version J.8(a) est manifestement parvenue plutôt en vers longs, une leçon intéressante
lorsqu’on se met à l’école des folkloristes, qui recommandent comme on l’a vu de chercher de
meilleures régularités en repensant les vers plus longs. Ici, les vers impairs rimaient trop peu pour que
la leçon de J.8(a) fût satisfaisante : pourtant elle présente à première vue d’heureux et réguliers
heptasyllabes avec des rimes de genre alterné, et un refrain terminal.
Les premières strophes de J.8(a) sont alarmantes : on a réellement l’impression d’un immense
désordre. Pourtant c’est cette version qui donne de meilleurs détails d’une part sur la forme versifiée
d’origine (éventuelle) d’autre part sur la performance (grâce aux répétitions).
La seconde strophe est du même modèle, avec trois éléments, même si les répétitions sont
manquantes (d’où son apparence de quatrain). La troisième strophe pose question : il manque un des
trois éléments. C’est la seule des strophes à poser un réel problème.
On remarque que le texte de J.8(a) est caviardé à la strophe 2, que le rétablissement est
compliqué à la strophe 3. Le reste est beaucoup plus simple : les strophes ne sont pas tout à fait dans
le même ordre, et la version J.8(a) comporte une extension d’une strophe. Comme souvent, peut-être
même comme toujours, les strophes ajoutées sont excellentes en « mesure poétique », meilleures que
les strophes initiales. Comme les versions sont très souvent précisément complétées (ici, c’est
manifeste), on peut conclure de diverses manières : par exemple que les premières strophes sont plus
anciennes que les suivantes, mais qu’elles ont été conservées dans un état lacunaire qui est
soigneusement reproduit en dépit de ses aspects défectueux. Reproduit suppose : d’un autre écrit,
non d’une source orale. Par contraste, le reliquat des strophes, équilibré et clair, serait plus récent, il
constituerait en réalité une lecture, une correction, une suggestion par rapport au début du texte
(quand il ne le révèle pas tout simplement). On peut alors se demander si le rédacteur des strophes
suivantes ne nous fait pas parfois moderniser certaines formes archaïques qui sont moins goûtées…
c’est un risque que nous devons mesurer.
Reste la question de la laisse : nous avons insisté à plusieurs reprises sur son caractère
monoassonancé. Ici, seules les deux dernières strophes de la version J.8(a) sont réellement
monoassonancées en –ire/ie/illes, mais les premières offrent un net balancement sur deux rimes… qui
freine nécessairement l’invocation de la forme strophique issue de la laisse. Si réellement les dernières
148 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
strophes sont plus récentes, alors elles retournent à un modèle monoassonancé, dont il faut donc
penser qu’il est connu (ou au moins pratiqué) et qu’il est jugé, en l’espèce, meilleur, ou au moins, qu’il
représente l’état stable de cette chanson à refrains internes.
Enfin, il n’est pas d’exemple, dans les travaux de Laforte sur la poésie orale et la chanson
folklorique, de formule strophique liquidant trois vers de laisse. La version musicale de la chanson
L’autre jour me cheminoie par Josquin des Prés, donnée pour la chanson d’origine, présente à cet égard
une structure parfaitement compatible avec une certaine oralité, parce que la strophe n’utilise pas
plus de deux vers, mais la chanson seconde est plus éloignée des formes orales.
Alea du virelai
Les virelais chantés ont pour point commun avec les rondeaux de commencer par leur refrain.
Une fois ces virelais placés dans des collections de paroles à chanter, privés de leur musique, ils
dérivent vers des formes purement strophiques à refrain. Mais cette dérive est créée par un ensemble
de détails spécifiques, dont les conséquences sur la « strophe 2 » - le second quatrain ou le second
groupe de vers, sont finalement assez prévisibles, et ensuite reportées en polyphonie.
Tout d’abord, selon un mécanisme simple qui importe grandement aux musiciens, la « strophe
2 » sera certainement pourvue de vers à rimes croisées (ab ab), ou à croisure répétée (aab aab) dans
la mesure où elle provient à l’origine de deux piedi. Le même phénomène se produit dans le rondeau,
sa forme apparentée, où, notamment dans le rondeau quatrain, quoi qu’il puisse se produire au refrain
(abba ou abab), la séquence suivante sera nécessairement abab, sur une même musique répétée deux
fois (ab*2). Le point de partage musical entre un rondeau et un virelai est que cette section musicale
peut dans le virelai être différente de la première section, c’est même beaucoup plus intéressant, de
même que la rupture de mètre et de rimes qui y est attendue. Les musiques de virelai de Machaut, un
corpus classique s’il en est, clair dans ses principes poétiques et musicaux, fonctionnent pleinement
sur le contraste entre le refrain et les piedi. Ce contraste s’exprime par tous les moyens possibles en
musique : passages dans l’aigu, changement de mode, clameurs etc. Ce contraste est à bien des égards
la grande caractéristique des virelais complets (avec volta, avec refrains chantés etc. ).
Dans un rondeau, à cet endroit précis, la musique entendue est au contraire nécessairement la
même que celle des tout premiers vers. C’est dire qu’il est impossible de créer le même effet dans un
rondeau, dont l’énergie de la forme repose beaucoup sur les aspects sémantiques.
Lorsque la seconde partie du virelai est construite sur le même mètre que la première, alors ce
contraste s’exprime par le choix des rimes : différentes dans la section des piedi (par ex : abba cd cd…).
Ou encore, justement, par le changement de croisure entre le refrain initial et les piedi : rimes
embrassées pour le premier quatrain, laissant la place aux impératives rimes croisées ensuite.
Si le premier quatrain d’un virelai, par extraordinaire, est à rimes croisées et que les piedi sont
de même mètre que le refrain, alors la forme simplement strophique d’une chanson moderne n’est
pas très éloignée. Ne reste que la différence de rimes éventuelle.
Les enjeux de l’identification de virelais « réels » sont importants : ni simples formes à refrains,
ni simples formes strophiques, ils conservent une part de métier littéraire dans la conception de la
forme poétique. Ensuite, si l’on parvient à les mettre en évidence pour ce qu’ils sont, alors on peut
également distinguer quelque chose qui ne se voit plus directement dans les paroliers : le fait que le
LES FORMES MUSICALES À L’ÉPREUVE DE LA MUSIQUE 149
premier groupe de vers (souvent un quatrain) soit en réalité un refrain placé en tête. La possibilité de
le chanter, la preuve qu’on le chantait ne peut pas davantage être établie, mais à tout le moins on
pourra mieux apprécier son rôle dans l’économie de la poésie à chanter : et se satisfaire, peut-être,
d’une rupture sémantique entre ce groupe de vers et le reste du poème, par exemple.
Si les contemporains connaissaient ces airs, et l’utilisation des airs pour des versifications
« secondes » le montre, alors ils avaient une connaissance de sa structure chantée – pas forcément
invariable, pas forcément identique d’un poète à l’autre, mais ordonnée à une dimension musicale
simple, mais efficace : couplet, ou refrain ? Ouvert, ou clos ? répété, ou itératif ? Nous ne sommes plus
dans la situation de Sewright107, qui met en valeur des collections de chansons mises en musique
perdues au XVe siècle (« Chansonniers de l’ombre », en anglais shadow chansonniers, selon son
expression) : les noëls, les chansons spirituelles, le théâtre nous montrent que ces airs existaient. Mais
la forme dans laquelle, dans leur majorité, nous les trouvons copiés ou mis en musique doit être lue et
évaluée attentivement, dans l’intérêt même d’un travail sur la poétique des textes seconds – qui serait
un projet en soi.
Le cat. 259 (En ce joly temps gracieulx) nous montre un virelai devenu précisément une chanson
à refrain. Dans les paroliers, on observe deux versifications distinctes, selon que les strophes sont
paires ou impaires, 8MM4x 8M4x x; paires : 8MNM4N8N4N x :
J.90(a) n° 14 :
107
Kathleen Frances Sewright, Poetic anthologies of fifteenth-century France and their relationship to
collections of the French secular polyphonic chanson, The University of North Carolina at Chapel Hill, United States
-- North Carolina, 2008.
108
Ici, et aux * suivantes, il faudrait au moins un saut de ligne pour saisir les formes strophiques. Jeffery
(I, 61-62) l’introduit, nous avons privilégié la présentation de J.90(a) pour les besoins de la démonstration.
150 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Ne se tourmente
Mais se doit rire et jouer
Rire et chanter
À son entente*
Celluy si est bien à hayr
Qui les dames veult blasmer
Car on les doit bien soustenir
Sans diffamer
Et l’honneur d’icelles garder
Sans en parler
À l’avanture*
Dans ce manuscrit de la fin du XVIe siècle, les treizains que Pierre Rézeau a constatés ailleurs sont
régulièrement des onzains à dominante d’octosyllabes, dont les vers 4 et 9 sont des tétrasyllabes. Mais
en réalité, sont dissimulés, et encore bien compris par Vilgontier en 1596, d’autres tétrasyllabes,
matérialisés notamment par un point dans la copie (ci-dessus f. 4v°, ligne 2).
Dans le manuscrit de Bayeux, n°10, la chanson est réduite à une bergerette : le refrain et la
première « strophe » sont placés sur les portées, en deux sections nettement contrastantes qui
séduisent et rassurent le musicien. Le reliquat constitue de quoi chanter la « volte », qui est copiée sur
la page suivante, laissée vide par ailleurs :
152 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Il s’agit d’un sizain 8AA4b8A4A4b, soit 884844 pourvu des rimes AAbAAb, en bonne voie de se
transformer en quatrain 8 12 8 8 dans la présentation de Bayeux.
Il est d’ailleurs difficile de le chanter sur la mélodie initiale (du refrain), parce que le copiste de
Bayeux a oublié « En ce beau temps » (par exemple, comme dans J.90(a) strophe 3) avant « sur la
verdure » dans la copie même de ce refrain, où le manque de paroles se voit nettement à la fin:
En résumé, le manuscrit de Bayeux transmet une version de virelai à une strophe seulement,
avec juste ce qu’il faut de texte pour achever le cycle en reprenant le refrain de tête. La strophe
chantée par Bayeux correspond aux strophes 3 puis 2 de J.90(a). La version du noël (qui est attesté dès
1525) montre que la versification tient le plus grand compte de la forme virelai, intégralement
respectée. Cependant, le début de la volta est trop long de deux vers, ce qui fait penser à une reprise
musicale des vers correspondants du refrain (les premiers). Le refrain du manuscrit BnF Fr. 9346
correspond morphologiquement à celui noté en J.90(a) n°14.
Reste cependant à expliquer ce qui a pu arriver aux « strophes » suivantes dans ce même
parolier : une « strophe » sur deux, la strophe paire, plus longue, correspond aux anciens piedi, à rimes
croisées –on –et au début par exemple, sur quatre vers (« Margot Bietrix et Alison… »). Le seul véritable
problème est l’irrégularité intervenant en fin de strophe paire, où s’adjoignent aux piedi des éléments
de refrain terminal ajouté, issu de la fin de la strophe de tête, le refrain du virelai : « Et danser à qui
mieulx mieulx deux à deux sur la verdure ».
En d’autres termes, dès les trois premières strophes de J.90(a) n° 14, un élément de refrain
« parasite » vient s’ajouter étrangement aux piedi, pour mimer une seconde strophe presque
semblable à la première…cet élément reprend le dernier vers de ce qui était un grand refrain initial de
virelai. « Sur la verdure » revient une fois encore à la fin de la strophe 3, une strophe impaire de la
taille de la volta, i.e. 6 vers dans la présentation de J.90(a).
La strophe suivante fait encore la taille de deux piedi + vers refrain parasite, elle est en réalité
copiée sur la strophe 2 pour la métrique, l’auteur ayant pris acte de la forme virelai (une strophe sur
deux commence différemment et avec des rimes croisées de préférence, et sera plus longue), mais
perdu le fil d’un air qu’il ne connaissait peut-être plus lui-même. Les strophes suivantes alternent
simplement 7 et 6 vers, sans plus se préoccuper de rimer avec le refrain pour les strophes impaires, ni
de présenter même un vers refrain parasite « sur la verdure » terminal.
LES FORMES MUSICALES À L’ÉPREUVE DE LA MUSIQUE 153
Grâce à ces multiples dispositions, il est possible de constater comment un virelai peut à la fois
demeurer très visible, et être progressivement absorbé dans une forme strophique « régulière » : et
l’on constate que dans le cas présent, la définition de ce qu’est une forme strophique « banale » se
manifeste par simple adjonction artificielle d’un dernier vers refrain (de type fin de strophe de ballade).
À l’évidence, la forme poétique conservée dans le texte second est plus intéressante, plus régulière,
chantable, ancrée dans l’air sous-jacent et dans sa structure musicale profonde : née de formes orales,
mais sous une forme immédiatement écrite, elle s’écarte moins de l’original.
Le phénomène se reproduit, comme on pourra en juger par cet autre ancien virelai devenu
chanson à refrain (cat. 423) :
J.53 n° 19 :
Le refrain « Je meurs » greffé sur ce virelai, à la fin de la volta où il n’aurait pas dû se trouver, est
déjà connu dans la version monodique du manuscrit monodique Fr. 12744, où le copiste dégage
soigneusement, par un signe de congruence placé sur ces mots au-dessous de la portée n° 2, cette
particularité. Ce virelai arbore ses trois strophes dans 12744, et la place de ce refrain supplémentaire
est précisément indiquée dans la copie du reliquat du texte f. 76v° à l’aide du même signe de
congruence. Ce type de pièces constitue la jonction entre l’ancienne conception du refrain, un système
poétique très élaboré, et la nouvelle, qui fait intervenir le plus souvent possible le « refrain » vécu
comme une phrase courte et obsédante (sur le plan musical en tous cas).
La chanson J.90(a) n°5 (cat. 569), Les regrets que j’ai de ma mie, est une de ces chansons où la
versification invite à la suspicion :
Conservée également dans J.90(b) et en J.11, elle ne présente pas de refrains dans ce dernier
recueil :
On pourra suivre dans le catalogue les péripéties de la mise en musique, comparables à celles
exposées ci-dessous pour J’ai mis mon cueur en elle seullement, (cat. 395). Pour l’heure, la situation de
J.11 est celle de strophes composées de quatrains à rimes embrassées. Dans la première version de
J.90(a), on constate cependant l’apparition d’un refrain ainsi qu’une versification en rimes plates aux
quatrains 2 et 3, après un premier quatrain aux rimes embrassées.
Pour cette chanson, la situation est très intéressante : nous n’avons pas de version monodique
ou polyphonique. Mais il existe un noël (un seul), conservé dans une plaquette gothique aujourd’hui
soustraite aux yeux du public, mais publiée en son temps par Henri Chardon109. Cette plaquette est
l’une des très rares à conserver une notation musicale, pour laquelle une réflexion est certainement
nécessaire (seuls quelques noëls de la plaquette ont une version musiquée, comme dans un des
109
François Briand, Nouelz nouvaulx de ce présent an 1512, dont en y a plusieurs notez à deux parties,
dont l'une n'est que le plain chant, composez par maistre François Briand, maistre des escolles de Sainct-Benoist
en la cité du Mans... publiés par Henri Chardon,... Paris, H. Champion, 1904.
LES FORMES MUSICALES À L’ÉPREUVE DE LA MUSIQUE 155
recueils de Séville110). Ce noël est non seulement « noté » (au sens premier du terme donc, pourvu de
ses notes de musique), mais encore il est noté comme un chant à deux voix. Henri Chardon en donne
transcription, et, pour une raison ou pour une autre, la transcription est vraiment complexe à faire
coïncider à deux voix. Ces noëls sont datés de 1512 et attribués à François Briand. La notation
inespérée d’une version chantable montre clairement que la forme poétique était un virelai, dont les
piedi octosyllabes étaient constitués de trois vers rimant –ant –ant –eu. Cela éclaire, semble-t-il la
disposition particulière de J.90(a), qui reçoit encore les quatrains 2 et 3 à rimes plates comme des
reliques de l’ancienne forme chantée. L’inhabituelle présence des rimes plates dans cette section de
la « chanson nouvelle » est peut-être liée à l’ancienne disposition des piedi : trois vers aab dont les
deux premiers sont en effet en rimes plates. Il faudrait enfin considérer que la présence d’indications
de refrains aux seuls quatrains 2 et 3 indique en réalité le retour de la versification d’origine, que ce
soit pour la volta, qui a entièrement disparu, ou tout simplement pour le chant du refrain initial.
Dans le noël, la composition de trois strophes est très trompeuse sur le plan visuel (la musique
en revanche est claire) : principalement en raison du nombre de strophes disposées (les piedi et la
volta accolés, des dizains apparaissent), mais aussi parce que la dernière des trois strophes du noël
mime une ballade, en forme d’envoi au Prince (mais un envoi qui serait naturellement beaucoup trop
long, puisque de la taille d’une strophe). C’est exactement ce à quoi il faut échapper en termes de
lecture des formes poétiques chantées : analyser les strophes imprimées comme des unités poétiques,
en dehors du cadre lyrique complet. Ici encore, l’appui des textes seconds est extrêmement important
pour juger de toutes les autres productions musicales et poétiques.
Les virelais sont également malmenés dans la polyphonie, qui valorise essentiellement le
contraste entre deux sections musicales, sans distinction de l’origine poétique des sections. L’ort villain
jaloux (cat. 335) en est une vivante illustration.
110
Jean-Eudes Girot me signale que l’ex-libris reproduit par Harisse porte la date de 1525. Laurent Guillo
(Les éditions musicales de la Renaissance Lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991) m’indique que la date est bien de
1535, même si en effet la graphie est douteuse.
156 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Si la bat plus my accorde [piedi] S’il la bat plus je m’acorde / qu’il soit prins et lyé
Qu’il soit prins et lié Et attaché d’une corde / car il a bien gaigné (DE)
Et puis pendu d’une corde
Car il a bien gaigné Il resemble à l’ours
Il ressemble à l’ours [volta] Qui tousjours murmure
qui tousjours murmure La nuyt et le jour (ABC)
Quant il voit le jour He l'ort villain jaloux
[chanter la ripresa v. 1-3]
Tout changement de croisure des vers dans une section 2 doit donc attirer l’attention, dans le
domaine des paroles de chansons polyphoniques du début du siècle, sur les traces de formes fixes
encore présentes dans les esprits, et notamment le virelai, qui a déserté, en tant que poésie en trois
strophes, les anthologies poétiques du XVe siècle.
Dans les paroles livrées par le ms. de Bayeux, il n’y a aucune ambiguïté possible : les vers 5 et 6
sont bien des vers dont les rimes contrastent avec le refrain, et qui se chantent sur une section isolée
et répétée. Le manuscrit de Bayeux livre là, comme plus haut dans la chanson En ce joly temps gracieulx
(n° 10), une bergerette : le reliquat de texte est limité à la volta. Cette section isolée et répétée, vers 5
et 6, correspondant aux piedi aurait dû être vraiment distincte du refrain initial. Or elle en fait partie,
sa matière musicale est la même. Voici l’effet normalement attendu :
Au lieu de disposer de deux zones distinctes comme ci-dessus, le musicien ne dispose plus de la
musique B :
Les phrases 5 et 6 ont déjà été entendues en position 2 et 3. Dans le déroulement sonore qui en
découle, on entend alors deux sections alternant, et seulement deux :
En sorte que s’ouvre, pour cet ancien virelai dont le premier quatrain était en rimes embrassées,
une nouvelle période de mise en musique et/ou en poésie purement strophique (de même type,
quatrains à rimes embrassées toutes identiques : Viviant n° 36), avec parfois, comme nous l’avons déjà
observé à plusieurs reprises, création d’un refrain de « fin de volta », notamment dans J.12. La forme
de cette dernière leçon (J.12 n° 4) est réellement difficile à évaluer, et il n’est pas certain qu’il ne faille
pas encore affiner l’évolution de cet ancien virelai. Mais sa structure mélodique ancienne posait déjà
question, et portait en elle le germe d’autres formes strophiques. On observera une situation
comparable dans l’ancien virelai Mon cueur vit en esmoi, cat. 629, où une mauvaise conservation d’un
158 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
vers de la volta entraîne la génération d’une section musicale supplémentaire dans Bayeux –ce n’est
pas le seul cas où le copiste de Bayeux est gêné par une forme virelai, comme les exemples l’ont
montré.
De ce point de vue d’ailleurs, s’il faut distinguer dans l’étude les chansons dont la forme est
réellement profondément archaïque, comme Mon père a fait faire un chasteau, de celles qui sont
passées dans la mémoire collective après avoir été composées (ce que l’on peut supposer pour Faute
d’argent par exemple), en revanche, toutes ces chansons utilisées pour servir de toile de fond à un
nouveau texte partagent les caractéristiques de la transmission orale. Ces caractéristiques sont celles
d’une mémoire des formes strophiques excellente et précise, de rimes dont la stratégie, y compris
dans les refrains, y compris dans les assonances, est compréhensible. Ce n’est donc pas tant parce que
la poésie orale serait « défectueuse en vraie mesure poétique », selon la belle expression de Beaulieu,
que les textes seconds peuvent être défaillants, c’est plutôt parce que les pratiques de l’écrit sont
distinctes de la transmission orale. On a ainsi pu constater, dans les paroliers, les dérives progressives
de compréhension de certaines formes strophiques, ou de leurs aspects « performés »111 (où étaient
les refrains, de quoi étaient-ils constitués, etc.). Le début d’une chanson peut être correctement copié
d’après un modèle écrit inexistant, et modifié dans les dernières strophes du même imprimé. On peut
le soupçonner pour au moins 30 % des chansons dans les paroliers jusqu’en 1535. Ces receuils
présentent donc en leur sein même différentes strates temporelles, sur des modèles oraux (en
musique et en poésie) en voie de disparition.
Mais, à cette même période où l’imprimerie musicale en France n’a pas encore développé
l’accès à la musique polyphonique, avant 1528, les versificateurs qui s’emparent de cette possibilité
musicale, principalement les auteurs de noëls, montrent au contraire un soin constant des formes
chantées sous-jacentes, et, dans la mesure où leur pièce poétique n’est pas sujette à des retouches
constantes (au contraire de la « Chanson nouvelle », toujours nouvelle, toujours collective), elle
montre tout au long des strophes une grande constance et une clarté formelle exemplaire. [C’est à
quoi le chapitre suivant sera consacré : poétique ou plutôt lyrique des textes seconds].
111
Cet anglicisme recouvre les aspects qui ressortent du domaine de l’elocutio en rhétorique, et l’on hésite
ici entre deux transpositions linguistiques…Il s’agit bien de tout ce qui concerne la chanson lorsqu’elle est chantée
réellement, avec ses reprises et refrains qui souvent ne peuvent pas être consignés par écrit.
VIII – Textes seconds : la précision lyrique
La cadre général de la réflexion sur les « textes seconds » comprend des aspects purement
historiques, d’autres plus pragmatiques. C’est par ces derniers éléments que nous allons poursuivre.
Nommer l’air :
En travaillant aux textes seconds et aux airs qui les accompagnent, avant la naissance de
l’imprimerie musicale, il n’est pas utile d’employer immédiatement le terme de timbre. La musicologue
Dorothy Packer indique très simplement les raisons qui la poussent à ne pas utiliser le terme timbre,
qui n’était tout simplement pas en usage au XVIe siècle. Cependant, il y a deux raisons à ne pas employer
non plus la locution « sur l’air de » pour qualifier ce répertoire de la première moitié du siècle, mais
bien d’utiliser le terme moderne d’air lorsqu’on veut parler de la mélodie sur laquelle on chantait112.
La première est que l’usage même de la locution « sur l’air de » est tardif, moderne. On disait le
« chant », à la façon du XVIe siècle français, « sur le chant de », rencontré le plus souvent, au contraire
de « sur l’air de ». Le « chant » n’est pas la « chanson » non plus, cette dernière est constituée d’abord
de la part textuelle qui se chante. Les termes ambigus ne manquent pas dans le domaine. Au terme
d’une étude aussi foisonnante et complexe, il semble même tout à fait légitime d’user de la locution
« chanson nouvelle » au premier degré : une chanson nouvelle est bien une nouvelle chanson, avec de
menues variantes textuelles, ou de plus importantes. L’expression, si mésestimée aujourd’hui, car peu
compréhensible, figure presque toujours à la page de titre de nos recueils populaires. Elle constitue
certes un argument de vente, mais il ne repose peut-être pas sur la duplicité ou une totale incohérence
des éditeurs du XVIe siècle, comme trop souvent on peut le lire. Dans le cadre précis des chansons qui
circulent sans partition, elle prend me semble-t-il tout son sens.
Le nom de l’air
Toutes les chansons qui circulent sans partition n’utilisent pas nécessairement une rubrique : les
airs ne sont pas toujours spécifiés. Non seulement cette remarque couvre la période où les musiques
ne sont pas disponibles dans le public (n’utilisons pas immédiatement le terme grand public), mais elle
pourrait bien s’étendre au-delà de la première moitié du siècle. Le domaine des textes à chanter
suppose une connivence étroite entre les protagonistes, qui font partie d’un cercle de sociabilité
différent de celui qui se crée par la diffusion écrite : autant l’écrit se joue du temps, comme l’ont
tellement chanté les poètes aux oreilles des princes, autant les airs retenus par cœur supposent une
proximité qui se mesure à la durée de vie d’une génération, peu ou prou dans un même lieu, une même
région. La diffusion des textes d’un recueil à l’autre est distincte de la connaissance et du partage des
airs sur lesquels on les chantait : deux temporalités entièrement distinctes, mais qui interagissent.
La transmission de ces mélodies lorsqu’elles ne sont pas consignées par écrit est un domaine
d’étude fascinant, dont nous avons retenu ici principalement les aspects formels. Il y a une raison à
cela : au début du XVIe siècle, les textes à chanter imprimés (et manuscrits) montrent un souvenir vivace
112
La précision en l’espèce est importante : dans le ms. Fr. 2200 de la BnF, f° 44, se trouve un texte (une
chanson) intitulée La complainte du roy Françoys qui se chante sur le chant de la chanson faicte de ma dame
Marguerite de Flandres quant elle fust delaissée pour prendre Bretaigne assavoir / A Dieu de France la fontaine.
Cette complainte se chante, très précisément, non pas sur A Dieu de France la fontaine (la chanson), mais sur
l’air (le chant) sur lequel on chantait ce texte (cette chanson), c’est-à-dire « comme » Adieu de France la fontaine,
sur un air probablement tiers. Le manuscrit BnF Fr. 2200 rassemble des pièces liées à la cour de Bourgogne.
160 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
de l’expérience formelle (notamment refrains et articulations musicales principales comme on l’a vu).
D’un bout à l’autre de la « chaîne de production » de nos recueils, dans les premières décennies, tout
est mis en œuvre pour assurer la réussite de ces nouveaux cahiers de chant, notamment pour indiquer
comment se placent les éventuelles répétitions pour les formes à refrains les plus complexes (et les
plus orales en même temps). Et pour en juger, tout un chacun pouvait se sentir compétent, puisque
les airs devaient être connus de beaucoup, y compris dans l’atelier d’imprimerie.
C’est après cet instant, en toute hypothèse, que la nécessité d’indiquer les airs pour chanter se
fait plus pressante. Mais il faut noter que cette nécessité est d’autant plus grande que la communauté
de ceux qui « savent l’air » est plus large et moins homogène (notamment à cause de l’imprimerie,
justement) : en d’autres termes on ne nomme l’air que lorsqu’on sait que certains vont avoir des
difficultés à l’identifier. Il s’agit de l’usage du langage pour rappeler à soi ce qui est en train de
disparaître, et même pour nommer ce qui n’est déjà plus. Ainsi, on peut considérer les indications
d’airs autant comme un témoignage de vitalité de ces airs dans la mémoire collective, que comme une
preuve de fragilité de la transmission. Cela rend subtile l’appréciation du « succès » de certains airs,
qui sont finalement pris dans un réseau de contraintes, entre écrit et oral, très particulier.
Et au derniers vers de la quatrième et dernière strophe : « Tout vient à point qui peut attendre ».
On songe évidemment immédiatement à la chanson de Marot « Jouissance vous donneray » dont ce
vers termine également la dernière strophe. Dans la version de 1555114, p. 61, la versification a
considérablement évolué, et cette fois la chanson est pourvue d’une rubrique, et d’une indication « Sur
le chant, Jouissance vous donneray » :
113
« filz » ou « fi » ?
114
Recueil de plusieurs chansons spirituelles tant vieilles que nouvelles avec le chant sur chascune. s. l.,
1555, p. 61. Exemplaire A-Wn.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 161
Que fait le lecteur en 1535 (ou peu après : le manuscrit est composite)115 ? Il lit le texte de la
chanson en entier et découvre tout simplement à la fin, s’il ne l’a déjà pratiquée, la mélodie qui
convient pour entonner. Il est particulièrement heureux que nous possédions cette version manuscrite
de la chanson, car nous pouvons avec quelque certitude la dater d’avant 1555, date de l’imprimé. Si
cette hypothèse est exacte, et rien ne vient l’infirmer, alors précisément on peut observer dans le
manuscrit BnF Fr. 2337 un air que tout le monde connaissait, vingt ans auparavant, et qu’il n’était pas
besoin de nommer alors. Dans l’édition imprimée de chansons spirituelles de 1555, les airs sont
indiqués (pas toujours cependant, de nouveau). En sorte que ce n’est pas parce qu’un air est bien
connu et sert pour une parodie (au sens le plus littéral, de « contre-chant », de texte nouveau appuyé
sur ou bâti contre un chant ancien) qu’il est nommé : on le nomme plutôt parce qu’il est en voie de
disparition. C’est en tous cas une hypothèse qu’il faut creuser pour évaluer avec justesse la popularité
des airs, par exemple, et leur longévité. Elle entraîne des conséquences qui peuvent se révéler
importantes : si certaines poésies contiennent des vers qui renvoient à une chanson ou un refrain
connus, et même, comme ici, si le phénomène se produit à la fin du texte, comment ne pas penser
qu’elles ont été chantées ?
Les airs ne sont donc pas toujours nommés, et, en particulier, ils ne sont pas nommés au début
de la période. Ainsi du manuscrit BnF Fr. 2368, un manuscrit de noëls datés de 1483/1498. Aucun
d’entre eux ne porte d’indication d’airs, alors même qu’on les retrouve ensuite pourvus d’indications
dans les imprimés. Ainsi le noël Block n°115 (Rézeau n° 23) À la venue de Nau nau nau, Faisons trestous
bonne chere acquiert dans les imprimés l’air Combien en vault le boisseau d’amour, dont nous ne
savons hélas pas beaucoup encore. Sur les 52 noëls de ce manuscrit, une dizaine présente des
« timbres ». Jay Rahn en a édité les textes (latin, français, latin macaronique, poitevin)116.
Lorsque la chanson se fait polémique, politique, circonstancielle (et militaire), les airs sont alors
indiqués avec le plus grand soin. Ces airs-là, notamment dans le cas de la chanson circonstancielle et
politique, sont des plus communs, ils servent à de multiples reprises pour des chansons de même
catégorie : mais ce sont aussi ceux que personne n’a jamais notés (ni mis en polyphonie). Leurs noms
changent d’une plaquette à l’autre, pour un même texte, et l’on pense à la volatilité des livrets de
colportage et des occasionnels, ou encore des placards. Pour certains, un véritable réseau de
références est nécessaire pour établir au moins une mélodie clairement attestée (Maulgré dangier,
cat. 606, en est une belle illustration, perdu depuis 1512, mais retrouvé ici grâce à une orthographe
fantaisiste de l’incipit dans un carnet de notes musicales du Suisse Johannes Heer, de retour d’un
voyage à Paris vers 1512)117. Un étranger, à la rigueur, peut songer à en prendre copie, un familier n’en
éprouve pas le besoin. C’est encore le règne du sobriquet, du surnom (la chanson de la Grue, encore à
trouver). Ici, une notation relativement précise de la forme strophique est d’un précieux secours, car
c’est une des seules portes d’entrée pour établir des concordances.
Mais dans la plupart des cas, la chanson de référence est appelée par un de ses vers
emblématiques, notamment le premier, mais encore et surtout le refrain. L’absence d’identification
115
Les deux sections de chansons spirituelles sont « identiques », abondamment amendées pour la
seconde, qui revient le plus souvent, par le biais des corrections portées en marge, à la leçon de la première.
116
Jay P. Rahn, Melodic and textual types in French monophonic song ca. 1500, PhD, Columbia, 1978, Ann
Arbor 1980, 3vol. Vol. III, p. 762 sq.
117
CH-SGS ms. 462, source unique. Maulgre dangier se danse – nous en avons conservé la notation des
pas –, a été transformé en noël, et se trouve cité par Rabelais.
162 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
des refrains dans la base Ricercar (et comment serait-elle possible puisque les chansons polyphoniques
peuvent se trouver réduites à « un quatrain ») montre que la tâche est loin d’être simple. Une
concordance fiable serait pourtant possible en partant d’une édition des textes de chansons. C’est ce
que l’on peut souhaiter dans un avenir plus ou moins proche. Plusieurs projets sont en cours
(notamment la base des chansons de Nicolas Du Chemin entreprise par Richard Freedman et signalée
par le CESR de Tours, en début d’exploitation). Dans l’immédiat, et comme il n’existait rien de tel, j’ai
pu utiliser les textes des chansons d’Attaingnant (du début de son activité jusqu’à 1534 (recueil Heartz
55118) aimablement communiqués par Jean-Eudes Girot qui en a établi un relevé.
Certaines chansons, enfin, reçoivent un titre distinct, que ce soit à la table ou en tête de la
chanson. Les tables ne sont pas toujours conformes au contenu, elles promettent plus qu’elles ne
tiennent leurs promesses. Cependant cette indication de titre, très fréquente notamment pour les
chansons politiques, celles qu’Émile Picot qualifie d’ « historiques », demeure précieuse pour identifier
certaines mélodies.
De la même façon que les folkloristes constatent des porosités entre musique populaire et
musique savante, avec des passages d’un monde à l’autre sous des formes variables, toutes liées à
l’existence, à un moment où l’autre, d’une démarche de consignation par l’écrit de la musique, nous
pouvons constater que certains airs qui semblent nés avec leur texte dans les recueils de noëls sont
devenus ensuite des timbres pour d’autres chansons, spirituelles ou non. Il existe ainsi plusieurs
recueils de noëls partiellement pourvus de mélodies notées, sans que l’on sache toujours avec
précision pourquoi telle mélodie apparaît notée, et pas une autre. Certains de ces noëls ont connu,
jusqu’à une date récente, une remarquable fortune en termes de réutilisation. Ainsi d’un des noëls les
plus fréquemment placés en tête de recueil, Laissez paistre voz bestes (Rézeau 467, et cat. *694) est
le plus souvent indiqué dans les sources tardives du XVIe siècle comme chanté sur l’air « Ouvrez vos
haultes portes » (Paris, BnF 14983, f. 14, fin XVIe siècle). Mais ce texte de noël est consigné dès 1520
sans indication d’air (ms. Philadelphie, Free Library, Lewis E 211 f. 6) ; On le trouve enfin avec une
mélodie notée dans le précieux imprimé de Moderne conservé à la Biblioteca capitular y Colombina
de Séville (cote 15.2.16 (9) f. B4v – C3) acquis vers 1535 par Ferdinand Colomb. Il a été remarqué à
d’innombrables reprises et peut-être certains d’entre nous en connaissent encore la version de l’abbé
Pellegrin (1663-1745), sous les traits de Venez divin Messie, qui fait encore sonner l’air noté à Lyon
vers 1535 (et conservé à Séville). La question qui se pose est : que savons-nous du « timbre » Ouvrez
vos haultes portes par ailleurs inconnu et comment devons-nous considérer la rubrique du ms. de
l’Arsenal, 8° B.L. 10631 Rés. (1) f.15 : « Noel sur Laissez paistres vos bestes » qui s’applique au même
noël (éponyme)?
Ici encore, la notation musicale de 1535 succède à une période sans aucune notation musicale,
et le nom de l’air semble avoir fluctué vers la fin du XVIe siècle, sans que, c’est une quasi-certitude, la
mélodie en ait jamais changé en réalité. Tout semble s’ordonner de la façon suivante : une première
période où l’air est connu de tous (qu’il soit original ou de tradition orale), une seconde période où il
est opportun (à Lyon) de publier également la mélodie, enfin une troisième où il se voit pourvu d’un
timbre qui pourrait n’avoir aucune consistance réelle, pour une raison difficile à évaluer.
L’identification d’un timbre « éponyme » au texte même du noël en 1582 dénote une relative
118
Daniel Heartz, Pierre Attaingnant Royal Printer of Music, A Historical Study and Bibliographical
Catalogue, Berkeley, Los Angeles, University of California press, 1969.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 163
incertitude sur cette mélodie, entièrement passée (ou retournée) dans la mémoire collective à cette
époque : mentionner que Au clair de la lune se chante sur l’air de Au clair de la lune semble indiquer
soit une étourderie, soit l’idée que tout se chante sur un air préexistant, et qu’en l’espèce l’air prime
le texte.
D’une manière générale, il est utile de penser les airs et leurs identifications en réseau, pour
évaluer de quelle manière, lorsque la musique existe encore, nous pouvons la réinvestir. Les textes et
les airs circulent, on le voit bien, de manière à la fois fermement associée, mais souple. La pierre de
touche, sur le plan de l’adaptation lyrique, est celle de la forme musicale lorsqu’elle comporte des
refrains : ces aspects formels sont tout à fait prioritaires dans la réflexion sur les textes seconds. Mais
il arrive que l’on parvienne aussi à de bons résultats en jouant sur les textes de noëls. Ces textes de
noël sont régulièrement associés à des airs, qui constituent le terreau même de leur inspiration
métrique. Lorsque ces « timbres » se multiplient pour un même noël, une équivalence se forme entre
les airs qui servaient à chanter ces textes. C’est très utile lorsqu’on ne les connaît plus.
En 1538, le noël de Clément Marot Or est venu noël son petit trac est mentionné « sur le chant
J’ay veu le temps que j’estoie à Bazac »119. Pierre Rézeau signale ce noël en tant que tel dans deux
sources : Paris, BnF, Français 14983 (fin XVIe siècle), et Séville, Biblioteca Capitular y Colombina, 15.2.16
(8), mais l’air en est alors nommé « Sus La fiebvre quarte a saisi loyal ». Cette pièce subsiste également
en musique, tout comme la première, mais elles diffèrent. Voici le schéma de principe autour du
parolier J.1538 :
Pour cette pièce le réseau est assez simple : la ballade (ou noël) de Marot a reçu deux airs, qui
s’avèrent très différents. Le premier, La fiebvre quarte… cité à l’occasion de la publication du noël en
119
Recueil J.1538 n° 239. Voir aussi Monbello, Gianni, « À propos d’une édition pré-originale de la ballade
XI de Clément Marot. Deux noëls du début du XVIe siècle », dans Miscellanea medievalia. Mélanges offerts au
professeur Philippe Ménard. Paris, Champion, 1998, p. 993 – 1006.
164 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
1531 nous est connu dans une version unique musicale quasi contemporaine en canon (1528). Cet air
est simple mais de facture savante. Le second air, issu du manuscrit de Bayeux, est sans doute plus
ancien, il est cité comme air de la ballade de Marot dans le parolier de 1538. Le dernier manuscrit de
noëls n’indique plus d’air, alors qu’une version polyphonique savante de la fin du siècle a paru :
indépendante, elle ne possède pas de similarités avec les deux autres mélodies qui ont servi à
entonner.
Il est possible que les deux sources monodiques entretiennent des relations, l’une semble la
citation de l’autre par endroits (le canon serait dérivé du souvenir de la monodie) :
Attaingnant [1528], Heartz 3, n°26 (exemplaire HAB Wolfenbüttel), transcription Dobbins / Colin ; Ms de Bayeux,
n°18 (BnF, ms. Fr. 9346)
Bayeux n° XVIII :
Hé j’ai veu le temps que j’estoye à Bazac
Et qu’avec moy chevauchoit le Soudenc
Hé mis le siege tout droict devant Uzac
Où il y a trois milliers de hazenc
En garnison et autant d’espelenc,
Ung chascun d’eulx bon arbalestre au poing
De tirer fort ils prenoient moult grant soing
Quant est à moy j’en eu mainct horion
Dont jamais jour je ne serai vengé
Regardez donc se l’on doibt dire ou non:
Le pain au fol est le premier mengé.
Marot, Clément, Les œuvres de Clément Marot, de Cahors ... plus amples et en meilleur ordre que paravant, (chez
Constantin), à l'enseigne du Rocher (Lyon), 1544. Bibliothèque nationale de France, RES-YE-1484
Les interrogations sont nombreuses : pas d’envoi dans la version de Bayeux, ni bien entendu
dans celle d’Attaingnant, au contraire du texte de Marot. La structure strophique du canon le plus
ancien (1528) ne convient pas à la poésie de Marot, sur le plan notamment de la croisure des rimes.
La strophe mise en musique chez Attaingnant n’use que de deux rimes, là où Marot produit une
alternance riche qui se reproduit naturellement de strophe en strophe. Les deux musiques sont très
différentes, la seconde (1528) présente une allure simple mais se réalise à plusieurs voix en canon (ce
qui n’arrive pas dans la chanson traditionnelle). Il semble donc préférable d’adapter la chanson du
manuscrit de Bayeux à la poésie de Marot. De temps à autre, certains substantifs sont d’ailleurs placés
de la même manière dans la chanson monodique et dans la ballade : un opportun mimétisme qui fait
oublier que le copiste de Bayeux a omis un vers à la dernière strophe.
Ces exemples montrent à quel point ce type de philologie peut être complexe. Le cas de la
ballade de Marot est relativement simple, en ce sens qu’elle jouit d’un statut éditorial, qu’elle a été
éditée de manière formelle. Mais que peut-il en être lorsque les airs qui les soutiennent (et les formes
strophiques contraintes qui s’y rattachent) sont proches de chansons traditionnelles dans leur
thématique et dans leur expression ? Dans ce cas, qui est fréquent dans nos paroliers, la filiation par
l’écrit (ici, à la fois en musique et en poésie) se double d’une filiation dans le domaine de la transmission
orale, qui obéit, comme on l’a vu, à d’autres principes. Là, les emboîtements de thèmes, l’usage de
poncifs, la nature mythique de ce qui est narré permettent de mieux s’orienter, et de comprendre la
parenté profonde de chansons dont, superficiellement, textes et musiques sont « différents » si l’on
s’en tient à la trace écrite.
Cette situation, où une première époque chansonnière se voit rattrapée par une période
d’artistisation de la production poétique chantée, est en rélité semblable à celle qui prévaut pour
l’hymnologie réformée d’expression française : la pratique de l’ubiquité du chant (en dehors de la
notation musicale) est commune à toutes les productions poétiques qui se destinaient, au moins
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 167
partiellement, à une expression chantée120. Si l’on s’intéresse aux raisons de l’esthétique réformée en
ce domaine, cette toile de fond est indispensable. C’est à partir de ce point seulement que l’on peut
évaluer, peut-être, pourquoi (et surtout comment), pour les psaumes en particulier, la multiplicité des
essais de traduction, de versification et de paraphrase en français ainsi que des airs a laissé la place au
choix d’une seule traduction, avec un air le plus souvent sans attaches antérieures, neuf. Le contraste
est évidemment très vif, et ces choix tournent le dos aux pratiques musiciennes – et poétiques de
l’époque. Les publics visés sont très différents, les usages, radicalement opposés.
Mais le mouvement n’est pas tant de savoir si de la sorte l’on a rendu « moins profane » le chant
de la parole divine, que d’observer comment précisément la vision de ce que devait être la nouvelle
matière sonore du chant d’assemblée s’est orientée vers une abstraction musicale si radicale. Le
terrain était pourtant favorable : la poésie, de quelque type qu’elle soit, était pour partie chantable sur
des airs familiers. Le mouvement d’artistisation des formes poétiques chantées, et de créations
polyphoniques, devenait progressivement de plus en plus central au XVIe siècle : ce sont les nouvelles
productions, par exemple, de Sermisy, de Certon, de Janequin, des musiciens de Ronsard… D’une
certaine manière, avec cet abandon progressif du chant de la poésie de qualité sur des airs simples
non notés (un abandon qui n’est pas total et ressurgit sous la forme du vaudeville), s’ouvre une
nouvelle époque où les poésies raffinées deviennent… moins chantables par tout un chacun. Par
chance, comme on le sait, il existe précisément en France au milieu du siècle de nombreuses formules
musicales intermédiaires, où la poésie de Marot pour les psaumes est à la fois pourvue d’un « air
connu », le chant commun chanté par l’une des voix, alors que tout autour gravitent les plus exquises
lignes mélodiques entrecroisées de la polyphonie121. Ce sont là des pièces hybrides en réalité, dont on
ne dit pas assez la principale particularité : pièces d’art, difficiles à exécuter, elles hébergent pourtant
en leur sein une voix, une seule, que ceux qui l’ont mémorisée peuvent entonner en même temps que
se déroule la performance artistique. Il s’agit d’une musique savante où est ménagé un point d’entrée
pour ceux qui ne lisent pas la musique, mais qui cependant savent les mélodies par cœur. De la même
manière que les placards illustrés peuvent profiter à différents types de lecteurs, de l’image au texte
et à sa glose éventuelle, de la même manière ces musiques particulières peuvent être simultanément
agies par des auditeurs de différent statut. Mais ce qui a disparu dans cette artistisation de la poésie
chantée, c’est la vitalité formelle des formes strophiques qui nous semblent traditionnelles, et dont
nous pensons avoir avec les premiers paroliers la preuve de l’existence souterraine.
C’est ainsi que, dans la première partie du siècle au moins, le chant de nouveaux textes sur
d’anciennes mélodies est fortement lié à la structure de ces airs, tant qu’elle peut se maintenir – la
120
Le musicien lit ainsi la table des Rondeaulx en nombre troys cent cinquante (par exemple, exemplaire
BnF 1529) en passant en esprit par de bien célèbres chansons : « Cent mille foys » [et en cent mille
sortes ? ]… « Contre raison » [vous m’estes fort estrange ?]… « Cueur endurcy » [plus dur que pierre dure ?] etc.
Ce phénomène d’amorce est sans doute lié au caractère familier de ces tournures lexicales, mais il est très
présent. L’air qui vient alors à l’esprit n’est pas seulement porteur d’une possibilité de chanter effectivement : il
maintient chez le lecteur un vécu métrique et lyrique qui, même s’il n’est pas réellement mis en oeuvre, participe
d’une forte connivence avec la poésie. Le lecteur met alors en œuvre une compétence sensible, liée à son
expérience analogue dans le cas des paroliers sans musique, où l’on entonne souvent à partir d’un simple mot-
signal. Même s’il ne chante pas effectivement, le lecteur reconnaît par avance quelque chose de la poésie qu’il
va lire : une dynamique de la connaissance et de la reconnaissance dont les potentialités ne peuvent échapper à
personne.
121
On pense bien entendu aux psaumes polyphoniques de Certon, Goudimel, L’Estocart etc.
168 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
plupart du temps, l’imprimerie musicale ne peut pas même conserver la dynamique des refrains, donc
modifie profondément, comme on l’a vu, la réception même des formes à refrain anciennes.
La poétique du texte second est donc liée, non pas simplement à des lieux ou des topoi
métriques, mais encore au contrechamp formel et symbolique offert par les structures musicales
conservées dans les mémoires. L’ajustement peut se faire de diverses façons, avec plus ou moins de
relation à l’oralité, avec parfois une simple démarcation d’après un texte écrit, ou au contraire avec la
plus vive sensibilité musicale. Aujourd’hui, la mise en valeur du référent musical, lorsqu’il existe et que
l’on peut encore le découvrir, peut dans certains cas éclairer mieux le travail du poète. Les exemples
suivants visent à illustrer la façon dont certains genres poétiques « seconds », les chansons sur
« timbre », les chansons historiques, les chansons de noël ou spirituelles, ou satiriques s’appuient sur
les textes et musique antérieurs.
Pour le musicien, la réponse se chante sur l’air du premier poème. Dans les paroliers, publiées à
la suite l’une de l’autre, ou à peu de distance, les chansons s’entonnent de même. Dans le recueil J.8(a)
par exemple, la pièce n° 4 (cat. 768) Qui la dira est immédiatement suivie de « La réponse sur Qui la
dira », Vivre ne puis. La fortune de cette poésie mise en musique est immense, et l’on ne trouve aucune
version musicale de Vivre ne puis, ce qui est naturel. Dès le recueil J.8(a), si comme on peut le croire il
succède au précédent, pour cette même paire de chansons, il n’y a plus aucune mention de
« réponse » : le fait est suffisamment connu.
122
Les jeux de Noël et de Pâques, avec d’un côté l’Annonciation et de l’autre les femmes au tombeau,
Ecce ancilla et Quem vidistis pastores ?, en sont les exemples bien connus des amateurs de théâtre médiéval.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 169
En sorte qu’il convient de considérer attentivement la façon dont sont constitués les recueils, ici
comme ailleurs : les éléments de bibliographie nous convient tout naturellement à observer de quelle
manière tel recueil copie tout ou partie des petites plaquettes antérieures, et le caractère anthologique
des paroliers à partir de 1525 rend l’exercice d’autant plus intéressant. Mais il existe aussi des logiques
internes aux recueils, qui dictent la proximité de telle poésie avec telle autre. Le motif peut en être
métrique par exemple – c’est notamment le cas semble-t-il dans certains manuscrits de la première
moitié du siècle conservant des versifications françaises de psaumes, où il ne faut pas s’étonner que
l’ordre ne soit pas biblique, pas plus qu’on ne s’étonnera de l’ordre des premiers psaumes mis en
polyphonie, qui obéissent bien mieux à des contraintes et attentes issues du métier poétique que
d’une observance scripturaire. La vitalité de l’exercice poétique, tel qu’on l’entrevoit par exemple dans
le manuscrit BnF Fr. 2339, mais qui se poursuit avec une belle intensité tout au long du siècle (on songe
aux travaux répétés de Baïf sur le psautier par exemple), suppose semble-t-il de nombreux essais dans
des mètres variés, et c’est ce qui transparaît aussi, quoique à faible échelle, dans les paroliers.
Ainsi, c’est par rapprochement métrique et observation du si particulier refrain que Jeffery
propose de chanter de manière identique les n° 15 et 23 du recueil J.90(a) (cat. 109) : Madame mon
souverain desir, le premier, ressemble fortement à Belle puisque ne voulez plus. Voici les textes de
cette chanson :
Se j’eusse esté par fiction Or puis qu’il vous plaist qu’ainsi soit
Vous priez my faire plaisir C’est du tout bien ma voulenté
Vous eussiez eu occasion Mais je vous jure sur ma foy
De moy pourchasser desplaisir Que autre que vous ne n’ay aymé
[Mais vous mesmes d’ardant desir] Je vouldroye qu’il m’eust cousté
M’en fistes la priere Ma robe toute entiere
Pour l’heure pas n’avoys loysir À vous jamais n’eusse parlé
[B2r°] Et vive la bergere Car vous este trop fiere
Qui de vous n’ayt ses voulentés [D3r°] Puis que de vous suis amoureux
Au moins la renommée en court Qu’il vous plaise tant seullement
Et dit on que vous la tenez Que soye en vostre cueur escript
De mains rusez souvent tastez Belle quand vous aurez ung amy
La chose est toute clere Soyez luy gracieuse
Si autrement dictes vous mentez De messagier autre que luy
Et vive la bergere La chose est dangereuse
J.90(a) n°15
15 — [Autre chanson]
Plusieurs détails forcent l’attention : cette chanson est manifestement pensée avec une sorte
d’envoi au Prince dans sa version « Ma dame mon souverain desir ». En 1535, on note qu’alternent les
refrains « Et vive la bergiere »/ « Et vive l’espiciere », comme Jeffery le fait très justement remarquer :
de là, on peut penser qu’en considération de la proximité des deux chansons dans les recueils depuis
la décennie 1510-1520, le chant en est partagé.
Le texte second, Belle puis que ne voulez plus, offre les mêmes étonnantes caractéristiques de
versification déjà observées dans un chapitre antérieur : le vers - refrain est absorbé par le nouveau
texte. Sans connaître la rubrique « sur vive lespiciere » qui survit dans J.90(a), on peut ignorer qu’il y
avait là un modèle lyrique sous-jacent, dont la strophe se lisait :
8MNMNN6x8N 6x et non :
8MNMNN 6o 8N 6o
En d’autres termes, l’hétérométrie finale provient d’un ancien refrain, et ne se traduit pas
simplement en une strophe de type ababbcbc à rimes toujours changeantes. On comprend également,
en considération de la croisure des vers, que la musique adaptée doit être de forme A (vers 1 et 2, à
rechanter pour les vers 3 et 4) suivie de B (vers 5+6, rechantés 7+8), une forme où en effet la possibilité
de refrain peut s’estomper (et par ailleurs, très proche de la forme de base d’une ballade double, du
point de vue du musicien).
172 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Enfin, on note que la versification du texte second Belle puis que ne voulez plus est plus régulière
(en dépit de la chute d’un vers à la strophe 2) que celle des textes premiers, plus erratiques123. C’est
un phénomène constant dans les textes seconds, les noëls le montrent amplement. Ainsi, même si le
refrain est le premier élément à disparaître sous la plume des versificateurs, le texte second exprime
une régularité dans sa vision de la forme strophique à chanter, une régularité qui fait défaut, de
manière très intéressante, dans les textes collectés pour les tout premiers paroliers imprimés.
D’autres « timbres par réponse » se trouvent épars dans les paroliers (cat. 419), un geste somme
toute plutôt littéraire donc, qui peut cependant reposer sur des airs préexistants. La chanson Fille qui
faict nouvel amy (cat. 83), constituée de nouveau de huitains du même type, à peu de distance de la
chanson précédente, connaît un sort bien différent : le texte transmis par les paroliers (au-delà de 1537
même) ne conserve que la partie masculine du dialogue, alors que la version chantée à voix seule, que
l’on trouve dans le ms . Fr. 12744, comportait la totalité des répliques. On trouvera au catalogue les
deux textes comparés. En outre, l’instabilité de l’un des deux vers de refrain, facile à observer dans les
strophes, repose sur une morphologie particulière de la phrase musicale correspondante.
La compilation que fait Le Roux de Lincy de ce qu’il nommait les chants historiques (dans ce
contexte) commence au XIIe siècle. Le Roux de Lincy souligne en son introduction les liens immédiats
qui lui apparaissent entre la chanson relatant un fait historique précis et la « chanson de geste ». Sur
123
Voir notamment la place incorrecte du vers 5 (placé en position 7) dans le texte de J.53.
124
La collecte n’est pas que française naturellement. Il existe notamment un travail sur les sources
françaises de l’Histoire des Pays Bas.
125
Instructions relatives aux poésies populaires de la France : décret du 13 septembre 1852. Ministère de
l'instruction publique et des cultes, Impr. impériale (Paris), 1853, dir. Jean-Jacques Ampère.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 173
le plan des formes, il souligne que pour les « chants historiques » la ballade lui semble le genre le plus
représenté, notamment au XVe siècle126. On peut remarquer en effet que les chansons historiques
représentées dans nos paroliers sont plutôt constituées de strophes isométriques, dont les vers
atteignent rarement les 10 syllabes, s’il faut assimiler ce type de forme chantée à une ballade. Dans
notre catalogue, les références au relevé d’Emile Picot correspondent à la publication qu’il fit paraître
par épisodes successifs dans la revue d’Histoire littéraire de la France à partir de 1894, ensuite parue
en recueil127. L’intérêt de s’y référer réside dans la parfaite qualité bibliographique qui accompagne la
description de chaque texte de chanson. Ses sources cependant sont en grande partie les mêmes que
les paroliers de Jeffery, dans la section « tardive », à partir de 1540 plutôt (et c’est aussi à cette période
que l’on constate une recrudescence de la publication anthologique de ces chansons128, qui étaient
auparavant plutôt diffusées comme de petits feuillets pliés in quarto, voire de simples placards). La
collection d’Aumale à Chantilly contient plusieurs plaquettes de ce type, et le signalement qu’en a fait
Léopold Delisle en est des plus précieux.
La période couverte par cette étude est donc plutôt précoce pour ce type de chansons, à
l’imprimé en particulier. Il s’agit pour ce type de textes d’une situation étrange : les événements dont
ils font mémoire sont certes circonstanciés, et peuvent paraître d’une portée limitée dans le temps.
Mais leur valeur affective (la lutte contre l’ « Anglois » par exemple) est telle qu’ils semblent regagner
de la vigueur par moments. Dans cette première période du parolier populaire, on en dénombre une
quinzaine, qui serviront de timbre généralement à partir de 1540, parfois un peu avant :
126
Antoine Le Roux de Lincy, Recueil de chants historiques français depuis le XIIe siècle jusqu'au XVIIIe siècle,
Paris, libr. Ch. Gosselin, 1872-1873. Vol. 1, Intr. p. XXXIV.
127
Émile Picot, Recueil de pièces historiques imprimées dans les provinces françaises au XVIe siècle, Paris,
Pour la Société des bibliophiles françois, 1913.
128
NJ.1542
174 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Certaines d’entre elles, comme la « chanson de Verdelet », sont simplement des complaintes
mises dans la bouche des larrons (un des formes actuelles en est la « complainte de Mandrin ») : cette
chanson narrative sert plutôt à son tour de timbre à d’assez nombreux noëls. C’est encore le cas de
certaines chansons « historiques » dont la postérité en tant qu’air n’est pas très grande, mais qui se
référaient, en leur temps, à des événements et des protagonistes précis.
Ce sont pourtant ces textes qui usent le plus abondamment des airs empruntés, et sous la forme
la plus moderne, celle qui utilise notamment l’intertextualité entre ancien texte et texte second. On
en connaît de fameux exemples quotidiens, mais c’est également une source inépuisable de ressort
dramatique, aujourd’hui comme hier (on pense au cantique de l’Opéra de Quat’sous de Brecht par
exemple). Pourtant il faut le réaffirmer, en musique, pour le compositeur, pour le musicien, l’action
d’un texte sur l’autre n’est pas au début du XVIe siècle une question centrale : les techniques d’écriture
musicale les plus raffinées trouvent précisément leur achèvement dans l’utilisation de mélodies
anciennes dans le nouveau contrepoint savant, c’est même la source principale de création. Or ces
mélodies anciennes ou simplement antérieures, préexistantes, sont souvent porteuses d’un texte.
L’utilisation du substrat mélodique d’une chanson pour construire une messe, qui devient une façon
courante de procéder aux XVe et XVIe siècles, n’est pas synonyme de profanation de la messe : tout au
plus peut-on se demander, parfois, si les musiciens y pensaient le moins du monde.
Ainsi dans la messe De tous bien plaine de Févin, le compositeur utilise-t-il le ténor (c’est-à-dire
l’air) de la chanson de Hayne Van Ghizeghem. D’une façon bien particulière : en prélevant d’abord les
rondes, et seulement elles, dans toute la chanson. Puis les blanches, les noires, etc… jusqu’aux plus
petites valeurs rythmiques. Il écrit chaque note du référent, la chanson de son condisciple, dans ce
nouvel ordre, sur une portée qui deviendra le ténor (au milieu). Imaginons donc un poète prélevant
des lettres (toutes les voyelles par exemple) dans un mot, pour régénérer son inspiration poétique. Sur
cette voix ainsi déconstruite et totalement méconnaissable, Févin reconstruit une polyphonie (et cette
fois invente trois autres voix) pour le Credo. Si l’on procède ainsi, on se trouve quasiment dans le
contexte de La Disparition de Perec, où la règle du jeu extrêmement contraignante produit du sens –
et du non-sens. Il s’agit en musique, au tournant du XVIe siècle, d’un univers mental où l’énigme, le
canon et le rébus dominent, avec des pratiques d’écriture musicale d’une grande intellectualité, d’une
grande abstraction. On ferait volontiers sien, à ce propos, le point de vue de Nietzsche (dans le Gai
savoir notamment) en ce qu’il oppose Réforme et Renaissance : ce sont plutôt les événements
extérieurs qui ont focalisé l’attention sur ces malheureuses chansons vues désormais comme
« profanes », alors qu’elles servaient aux musiciens de matière première pour leur contrepoint savant,
comme les pigments aux peintres.
Ce petit excursus tente de rendre sensible la nature de l’usage de l’ « air » à chanter dans les
premières décennies du siècle, et à mettre en garde contre toute assimilation hâtive : le nouveau texte,
le texte second ne joue pas réellement avec le texte premier, dans la plupart des usages que l’on en
fait dans nos paroliers. En ce sens, il n’y a pas ici, pas encore, pas partout d’intertextualité parodique
(au sens moderne du terme, avec une dimension de détournement). C’est tout l’intérêt de cette
période pour une étude telle que celle-ci : mettre au jour un mécanisme de diffusion poétique et
lyrique qui n’est pas encore très spécialisé (on y trouve du Marot), et au travers duquel apparaissent
en musique des mélodies qui n’avaient pas reçu de forme notée, et qui pour certaines n’en ont pas
plus reçu à cette occasion, puisqu’elles sont restées dans les mémoires – et pour une part sont perdues.
Aujourd'hui, dans certains pays130, c'est une coutume de publier tous les ans des
chansons nouvelles 131, que les jeunes filles apprennent par cœur. Le sujet de ces
chansons est à peu près de la sorte: un mari trompé par sa femme, ou une jeune fille
préservée en pure perte par ses parents, ou encore une coucherie clandestine avec un
amant132, et ces actions sont rapportées d'une façon telle qu'elles paraissent avoir été
accomplies honnêtement, et l'on applaudit à l'heureuse scélératesse. À des sujets
empoisonnés viennent s'ajouter des paroles d'une telle obscénité par le moyen de
métaphores et d'allégories133 que la honte en personne ne pourrait s'exprimer plus
honteusement. Et ce commerce nourrit un grand nombre de gens, surtout dans les
Flandres134. Si les lois étaient vigilantes, les auteurs de telles pitreries devraient être
frappés à coups de fouet et soumis au bourreau, et, au lieu de chansons lascives,
contraints à chanter des refrains lugubres. Mais ces gens qui corrompent publiquement
la jeunesse, vivent de leur crime. On trouve même des parents pour croire que la civilité
consiste, pour une part, en ce que leur fille n'ignore pas de tels chants. Les Anciens ont
estimé que la musique convenait aux disciplines libérales135, mais comme ces nombreux
sons ont un grand pouvoir pour mettre l'esprit humain dans telle ou telle disposition136,-
au point que certains en ont conclu que l'âme était elle-même une harmonie137, ou
qu'elle possédait du moins de l'harmonie (car le semblable se plait avec le semblable) -,
les Anciens ont distingué soigneusement les genres de musique, préférant le dorien à
tous les autres138. La chose revêt à leurs yeux une telle importance qu'ils jugent
nécessaire de faire des lois pour veiller à ce que ne soit pas accueillie dans une cité une
musique qui corrompe les sentiments des citoyens 139. Or, dans la musique qui se
pratique chez nous, en admettant que nous négligions l'obscénité des paroles et des
thèmes, que de légèreté, et même que d'insanité! Il existait jadis un genre d'action
129
LB, v, 717f-718c. La présente traduction et les notes afférentes sont de J.-C. Margolin, jusqu’à la note
147 incluse. Pour cette raison, elles sont placées entre guillemets.
130
« Érasme pense aux Pays-Bas (et spécialement à la Flandre), mais peut-être aussi à la France, voire à
l'Italie. II vise surtout les chansons franco-flamandes ».
131
« Le texte est de 1525. Beaucoup d'éditeurs-imprimeurs de musique des années 1525 sont restés
anonymes, et beaucoup de recueils ont été édités sans lieu ni date. Mais la remarque d'Érasme vaut surtout pour
les années suivantes : voir notamment l'imprimeur parisien Pierre Attaingnant (à partir de 1528) et l'imprimeur
lyonnais Jacques Moderne. Plusieurs autres suivront ».
132
« On en trouve de cette sorte (et d'autres) dans le recueil d'Alain Lotrian, La Fleur de la poésie française,
Paris, 1541; S'ensuyvent plusieurs belles chansons nouvelles et fort joyeuses, 1542; S'ensuyvent plusieurs belles
chansons nouvelles, 1543. Clément Janequin est «responsable» lui-même de nombreuses chansons «obscènes»
- disons libres ou gaillardes, comme Au joly jeu du pousse-avant (Attaingnant, 1530) ou Il estait une fillette
(Recueil Bonfons, 1548) ».
133
« Les sous-entendus ou jeux de mots parfaitement transparents (comme la chanson Ramonez-moi ma
cheminée du maître de chapelle Hesdin) sont constants, comme les figures de rhétorique en usage chez les
poètes (souvent auteurs de chansons) ».
134
« Les conditions sociales et politiques favorisaient en France et dans les Provinces du Nord, en pays
flamand, la renaissance de la chanson ».
135
« La musique faisait partie du «Quadrivium» dans le curriculum de l'écolier, avec l'arithmétique, la
géométrie et l'astronomie. Elle représentait l'un des sept arts libéraux ».
136
« Sur le pouvoir de la musique, et notamment des modes musicaux, voir ici-même p. 404 et n. 5 et 9,
p. 40S et n. 1 et 7 ».
137
« Allusion à Pythagore et à Platon (et surtout au Phédon) ».
138
« Fondés sur les modes musicaux (dorien, éolien, ionien). Le dorien était considéré comme le mode
grave par excellence, entraînant à la vertu, dissipant la mollesse ».
139
« C'est la théorie de Platon dans les Lois (dont s'inspire Erasme, comme il s'inspire aussi des Pères de
l'Eglise). Voir P.-M. Schuhl, «Platon et la musique de son temps», Revue internationale de philosophie 9 (1955),
p. 267-287. Voir Leg., VII, sur la musique illibérale et la musique libérale ».
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 177
dramatique qui, sans aucune parole et par la seule gesticulation du corps, permettait
aux acteurs de représenter tout ce qu'ils voulaient 140, De même, dans nos chansons
modernes, même si les paroles se taisaient, on découvrirait pourtant, par la seule
considération de la musique, le caractère ordurier du thème141. Ajoutez-y encore les
flûtes des corybantes142 et le vacarme des tambourins, qui déchaînent la rage. C'est au
son de cette musique que dansent des vierges, elles s'y accoutument, et nous n'estimons
pas qu'il y ait là le moindre danger pour les mœurs. Pis encore: n'avons-nous pas
introduit dans nos églises 143 ce genre de musique à partir des chœurs de danseurs et
des fêtes orgiaques? Et, chose encore plus absurde, c'est à grands frais 144 que l'on
engage des gens pour souiller par leur inepte caquetage la majesté des cérémonies du
culte. Je ne rejette pas la musique des offices religieux, mais je réclame des accords qui
soient dignes d'eux. Or de nos jours des paroles sacrées sont adaptées aux musiques les
plus infâmes145, et l'effet n'en est pas plus beau que si l'on ajoutait à Caton les atours de
Thais146. Cependant la liberté qui est laissée aux chanteurs ne fait pas taire les paroles
impudiques. Il faudrait pourtant, devant la carence des lois, que les prêtres et les
évêques147 montent la garde... »
En réalité, le propos d’Erasme est très ancré dans la décennie 1515-1525, en sorte que les
chansons auxquelles il fait référence sont celles de nos paroliers, beaucoup plus que celles des
générations suivantes ou des compositions polyphoniques (voir note 27). On note d’ailleurs avec
intérêt qu’Erasme souligne l’ampleur de ce mouvement en Flandre « où ce commerce nourrit un grand
nombre de gens », et l’argument de la contagion auprès du public féminin – et notamment des jeunes
filles, un argument qui n’est pas si attendu et permanent dans les textes polémiques de l’époque.
Il s’agit donc de chansons sans musique notée essentiellement. Et l’on peut voir, dans le passage
référencé « De même, dans nos chansons modernes, même si les paroles se taisaient, on découvrirait
pourtant, par la seule considération de la musique, le caractère ordurier du thème » (je souligne),
qu’Erasme pourfend nettement le signe produit par le mouvement donné à la musique, qu’il interprète
comme une donnée sémantique : on entre alors de plain pied dans la dimension intertextuelle et
parodique moderne, celle qui fait cause commune avec les chansons polémiques et de combat, où les
140
« Il s'agit des mimes. Platon conteste lui aussi le goût malsain du théâtre et des spectacles de mimes ».
141
« Abordant en moraliste le problème de l'expression musicale (et de son expressivité), il touche au
problème des figures rythmiques du contrepoint de l'école flamande, et des symboles expressifs des
polyphonistes franco-flamands. Voir les chansons de Janequin, entre autres, pour l'utilisation à des fins diverses
(voir n. S, p. 102) des modulations, du rythme, du timbre ou du registre des voix. Voir F. Lesure, «Eléments
populaires dans la chanson française au début du XVIe siècle», in Musique et Poésie au XVIe siècle, éd. du CNRS,
Paris, 1954 ».
142
« Voir p. 401, n. 1 ».
143
« Scandale de la confusion du profane et du sacré. Allusion aux «messes parodiées». Il y eut des
quantités de messes inspirées de chansons profanes (voir notamment celles de Josquin des Prés, comme la messe
Hercules. dux Ferrariae, ou celle composée sur la chanson française L'Amy Baudichon) ».
144
« Cet argument «économique» intervient sans cesse dans sa critique: voir notamment p. 407 et n. 4 ».
145
« Voir p.403, n. 9. Musiques infâmes soit par les thèmes explicites soit par les agencements rythmiques
et autres de l'expression musicale (voir p. 403, n. 7) ».
146
« La célèbre courtisane, héroïsée par Massenet. On peut songer au fameux intermezzo symphonique -
violon soutenu par la harpe - connu sous le nom de Méditation de Thaïs, qui se fit souvent entendre au cours de
l'Elévation dans les années 1900 (il est vrai que Thaïs se convertit au christianisme!) ».
147
« Recommandation habituelle : que les évêques s'occupent des affaires de leur diocèse (et non de la
politique de l'État), surtout si les autorités civiles manquent à leur devoir ».
178 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
significations dominent et s’affrontent : une dimension à laquelle pourtant on peut échapper encore
jusqu’à un certain point, dans notre corpus. Il serait sans doute intéressant de reprendre la traduction
de ce passage en le reliant aux publications comparables en Flandre – nos éditions sont parisiennes ou
lyonnaises, angevine ou mancelles pour les noëls.
Les chansons « historiques », plus que d’autres, approchent de ces rivages polémiques. La
détermination de l’air exact sur lequel on les chantait se révèle des plus ardues.
Voici par exemple les éléments qui constituent l’air « Tous compaignons aventuriers » (cat.
119) :
Cité également par Rabelais, cet air est présent sous différents titres et différents textes au
même moment. Il appartient en propre à la chanson Tous compaignons aventuriers, qui présente deux
strophes servant de nom à l’air dans des circonstances différentes : d’une part pour un noël qui portait
un autre air en 1525, et qui, avec le même texte, adopte l’air de Tous compaignons vers 1530, en le
nommant par la strophe 2 de manière fantaisiste « Le contreprestre de Navarre »148. D’autre part pour
toute la série de chansons spirituelles signalée par Anne Ullberg, en commençant par la chanson de
1533 Quand me souviens de l’évangile, démarcation de la strophe 4 de la chanson cette fois.
La version de Nourry en 1534 (n° 15) permet d’apprécier cette odyssée de l’air,
malheureusement trop familier pour être parvenu jusqu’à nous pour l’instant.
148
Voir Picot n° 65.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 179
Les paroles de 1542 sont tout à fait catholiques, bien que l’air porte le titre qu’il avait dans les
recueils de chansons spirituelles genevoises : on ne saurait, ici encore, aller aux conclusions et
suggérer, sans examen supplémentaire, que c’est précisément parce que et air était reconnu comme
hérétique qu’il a été employé en 1542. Le texte de 1542 est très vivant sur le plan social : les
marchands, public naturel probable des plaquettes de paroles, y figurent en bonne place, et toujours
par opposition aux autres membres du corps social. Ils incarnent la prospérité des temps de paix. La
versification en huitains d’octosyllabes à trois rimes de type ababbcbc est particulièrement stable et
régulière. C’est le format régulier qui prévaut dans les chansons dites « historiques ».
Faicte sur les accordz entre le Roy et l'Empereur et se chante sur le chant Quand me souviens de
la poulaille.
Picot n° 96 p. 101 : « Une trêve de dix ans fut conclue entre le François Ier et Charles Quint le 18
juin 1538. L’empereur la ratifia le lendemain, et le roi le 21 juin. ».
Pour alléger le triste bilan des chansons historiques et de leurs mélodies perdues, signalons tout
de même deux succès qui sont fondés sur nos recherches dans les recueils d’airs du XVIIe siècle : La
Tourloura et Les Bourguignons ont mis le camp. La première est une de ces chansons circonstancielles
qui accompagnent des condamnations frappantes, ici celle de 44 brodeurs arrêtés en juin 1530 peu
avant le passage d’Eléonore d’Autriche à Paris. Montaiglon et Rothschild supposent qu’ils furent
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 181
incarcérés pour avoir fraudé sur le titre des fils d’or ou d’argent. Pour éviter des désordres publics lors
du passage de l’impératrice, ils furent momentanément envoyés au château de Sèvres149.
La Tourloura (cat. 97) apparaîtra familière à ceux qui pratiquent la « musique populaire
ancienne » : elle a été souvent réutilisée, comme il est de raison, sans aucun souci de filiation, et
chacun pourra se dire qu’il la connaît... sous une autre forme. Elle est introuvable en musique notée
au moment où elle est citée comme air dans nos paroliers, ce qui fait d’elle une prétendante au titre
de chanson de tradition orale. Cependant ses textes associés sont tous très écrits. Mais dès le début
du siècle suivant, au fil de noëls et de parodies diverses, elle finit par entrer dans les compilations d’airs
à chanter. Ses différentes strophes (Nous mismes à jouer...Il y avait un peintre…) servent au XVIe siècle
à nommer cet air, qui autrement est nommé par le sobriquet qui rappelle un élément de son refrain.
Lorsque le noël qui l’utilise, Mes bourgeoises de Chastres, se développe, au XVIIe siècle, c’est alors par
ce dernier nom que l’air continue d’être nommé. Peut-on raisonnablement utiliser les airs disponibles
de façon postérieure pour éclairer les textes à chanter du début du XVIe siècle ? Certainement, lorsque
sont établies au mieux les étapes de la mutation des chansons. C’est ici le cas, le simple refrain de Nous
mismes à jouer a suffi à retrouver l’ensemble des correspondances.
La seconde chanson est bien connue des musiciens et savants picards, puisqu’elle a trait au siège
de Péronne : Les Bourguignons ont mis le camp (cat *562). Émile Picot se désolait de n’en avoir pas
trouvé le texte, dont une version se trouve dans un imprimé musical150 :
149
Montaiglon et Rothschild, vol. XI p. 231.
150
Layolle à 2, canon, Moderne 1538/18. La mélodie est certainement préexistante, mais compte tenu de
la virtuosité de la voix restante, il appartient aux musiciens de tenter de la retrouver.
182 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 183
On en trouve une utilisation suivie au XVIIe siècle, puisqu’il est aisé de trouver d’autres textes
seconds, d’inspiration militaire toujours, qui se fondent (ou prétendent se fonder sur) cet air :
Le chansonnier Maurepas151 est une compilation manuscrite de textes et d’airs notés, pourvu
d’une table, en plusieurs volumes, datant du XVIIIe siècle. Ici, l’air des Bourguignons ont mis le camp
(qui malheureusement n’est pas noté dans Maurepas) est indiqué avec un air alternatif, bien mieux
connu de nos paroliers du début du XVIe siècle, puisqu’on le trouve dès le tout premier recueil J.90(a)
au n° 5 : Les regretz que j’ay de m’amye. (cat. 569). Ici aussi, c’est le travail avec l’ensemble des
concordances qui a fourni une solution que l’on peut qualifier de satisfaisante : un recueil de noëls de
1512 a été porté à la connaissance du public par Henri Chardon en 1904. Malheureusement
l’exemplaire unique, qui faisait partie d’un recueil factice conservé à la bibliothèque de Bourg-en-
Bresse, est désormais hors d’atteinte du public. Chardon s’est astreint à noter la musique des quelques
noëls qui, chose exceptionnelle, en portent une en notation musicale dans l’original même. Et Les
regretz que j’ay de m’amye fait partie de cette poignée de noëls notés. La notation, dont nous ne
pouvons dire aujourd’hui si la copie par Chardon est parfaite, présente de terribles difficultés, toutefois
on pourra en apprécier le résultat dans le catalogue. Cette pièce, il faut le remarquer, est attribuée à
François Briand pour le texte, et sa musique, tout comme dans le canon de Layolle pour « Les
Bourguignons », est également un canon presque strict, ce dont Chardon ne s’était pas avisé. C’est une
curieuse coïncidence, mais aucune parenté mélodique ne semble se dégager de la comparaison des
deux mélodies. Pour Les regretz que j’ay de m’amye toutefois, il s’agit d’une très bonne nouvelle
151
I, 73.
184 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
également, car les concordances de cette chanson notamment dans la direction du théâtre sont
intéressantes. Non seulement cela fait de cette chanson une chanson sans doute fort ancienne (le
répertoire de la farce tel que décrit par Brown est plutôt légèrement antérieur à cette publication),
mais encore cela éclaire en partie la façon dont cet ancien virelai a pu se trouver progressivement
déformé par les différents états textuels conservés dans les paroliers (et également dans le noël lui-
même).
Le texte de J.11 n° 4 laisse apparaître quatre strophes à rimes embrassées, qui correspondent à
l’ancienne structure de la ripresa de la chanson n° dans J.90(a). Dès J.90(a), il ne subsiste de trace de
virelai que la structure en rimes plates de la « 2e strophe ». Jeffery (suivant en cela la leçon du recueil
conservé dans le fonds Coirault au département de la Musique, BnF) a mentionné comme un retour
de refrain entre chaque « strophe », mais il saute aux yeux que la seconde est distincte (rimes plates,
pour ce qui constituait les piedi). Hélas un refrain la sépare de la troisième, qui était peut-être en réalité
la volta (mêmes rimes, même structure que la ripresa initiale). On peut ainsi supposer déjà un
phénomène d’évolution au cours même de la transmission du texte tel qu’il nous est livré par J.90(a).
La normalisation opérée dans J.11 n’est pas une surprise.
Cette même pièce se prête merveilleusement à une réflexion sur la poétique des noëls.
Les noëls
Le noël Grant regret avoit en Marie/Joseph quant il la voulut lesser (Rézeau 382, et cat. 569) qui
prend pour timbre l’ancienne chanson Les regrets que j’ay de m’amye, se présente nettement comme
un virelai, si l’on veut bien ne pas considérer, alors que la disposition nous y incite, qu’il s’agit de
dizains. Dans le texte du noël (voir cat. 569), les piedi, qui constituent les 6 premiers vers de la strophe,
sont constitués chacun de trois vers. C’est ici la dimension musicale (la façon d’écrire les phrases abca
de la ripresa initiale mais de les répéter, ce qui n’aurait pas dû être, pour les piedi) qui a perturbé la
transmission textuelle. Les quatre derniers vers de la strophe présentent la même structure de rimes
que le « refrain initial » (= ripresa), ils constituent l’ancienne volta. En d’autres termes, sans le texte du
noël, nous n’aurions pu imaginer, à la seule lecture du texte transmis par le parolier J.90(a), qu’il
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 185
s’agissait d’un ancien virelai. La poésie du noël exprime en tous cas dans son écriture, et en relation
avec l’air qui y est rattaché, la conscience nette du fonctionnement du virelai chanté tel qu’on le trouve
exactement au temps de Machaut, depuis plus d’un siècle, c’est-à-dire sans faire aucunement
l’économie du retour de la musique initiale de la ripresa chantée sur des paroles différentes, ce qui
constitue donc la volta, qui doit précéder le retour du refrain. Il est heureux que nous puissions, grâce
à l’édition de Chardon, prendre connaissance de la musique (ou d’une musique) possible pour chanter
ce noël. Sans négliger le fait qu’il s’agit d’une musique en apparence modeste mais techniquement
abstraite (l’écriture d’un canon est ce qu’il y a de plus difficile en termes de calcul musical), on peut
remarquer que l’économie des quatre premières phrases musicales, celles de la ripresa, répond à ce
que nous avons pu identifier comme une sorte de standard pour les quatrains à rimes embrassées :
quatre phrases abca. De la sorte les deux phrases musicales « a » expriment et soulignent l’identité de
rimes entre le vers 1 et le vers 4 (il est moins intéressant pour un musicien de faire de même pour les
vers 2 et 3, pour un ensemble de raisons qui nous entraîneraient plus près des rivages de l’analyse
musicale et que nous pouvons épargner ici).
Tout se joue donc dans la musique choisie pour les piedi. Est-ce parce qu’ils sont constitués de
trois vers ? Toujours est-il que la musique du noël de Briand reprend purement et simplement les
phrases b, c, et a, pour ces piedi, ce qu’un bon copiste manuscrit n’aurait pas ignoré, et sans doute
aurait-il abrégé : et l’imprimeur de 1512 aurait pu se passer entièrement des lignes 4 et 5 de chaque
partie – du reste, tout le noël tient dans les trois premières lignes, puisqu’il s’agit peu ou prou d’un
canon, et non dans les douze lignes déployées, telles que Chardon les a copiées. Enfin, et c’est étrange,
le poète du noël teinte ses dernières strophes d’une sorte d’envoi au Prince qui évoque (mais ne fait
qu’évoquer) la ballade poétique, et contribue, lorsqu’on ne fait que lire le texte, à confondre cette
pièce avec des dizains de ballade. Il est possible que plusieurs étapes de rédaction soient superposées,
bien que le noël ne compte que trois strophes, ou encore que le poète soit facétieux, car il est certain
qu’il maîtrisait la nature lyrique de l’air sur lequel il composait.
Nous sommes donc ici face à la quasi-totalité des enjeux de la mise en musique des noëls à cette
période précise : le recueil de noëls donne toujours des formes plus régulières que le parolier. Il ne
peut y avoir qu’une raison à cela, et elle tient dans l’aspect synchronique du noël probablement : écrit
d’un seul mouvement, en tous cas au début du XVIe siècle et avant sa transmission (laquelle se révèle
d’ailleurs très scrupuleuse si l’on en juge par ceux que l’on a pu suivre tout au long du siècle), il n’a pas
encore subi les assauts du temps. Le texte d’un noël est donc neuf, et exprime avec constance et
régularité une forme lyrique sous-jacente, transmise, elle, de façon orale sans doute, en tous cas
pourvue, dans l’esprit du poète, de toutes ses répétitions et articulations formelles. C’est ce qui
maintient un conservatisme spectaculaire dans des formes que l’on pense, autrement, disparues, telle
celle du virelai du XIVe siècle. Ce type de virelai était un virelai entièrement littéraire, c’est ici sa forme
de reprise particulière qui persiste, sous des dehors textuels vernaculaires.
Voilà pourquoi ces textes de noëls sont d’une très astucieuse et fine composition, et ne peuvent
pas être confondus avec de la « littérature populaire » : ces poètes partagent, avec les premiers
versificateurs de psaumes à chanter en français, le même esprit – sans doute prosélyte mais pas
uniquement polémique. Il s’agit de produire la meilleure future liturgie vernaculaire pour autrui – pas
pour eux-mêmes, ou pas seulement. Ce qui doit marquer notre réflexion, semble-t-il, c’est la finesse
des adaptations en français sur un invisible cadre musical, une précision qui laisse apparaître toutes
les difficultés que la moindre note peut poser (on voit comment ici une particularité de la musique des
186 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
piedi se reflète dans la conception strophique telle qu’elle paraît dans la mise en page, par exemple).
Ce n’est pas tant dans les recueils de noëls que les strophes poétiques dérivent : c’est plutôt dans les
versions chantées telles qu’elles se succèdent dans les paroliers. On peut remarquer que pour cet air,
du côté de la chanson, aucune version polyphonique manuscrite ou imprimée, aucune version dansée
ou pour luth n’est venue éclairer ou consolider la mémoire collective. À quelques années près, dans le
recueil J.11, l’ancien virelai a évolué vers une chanson pourvue de quatrains à rimes embrassées,
toutes identiques : une autre forme de régularité, mais qui montre que le lien sonore intérieur est
brisé. Sauf à avoir chanté d’abondance le noël (et il s’agit d’un exemplaire unique), l’air de cette
chanson n’a pas survécu (ou alors il porte un autre nom). La régularité qui s’observe en J.11 semble
d’une autre nature, de celle qui s’observe lorsqu’on travaille à partir de versions écrites : et là, en effet,
seule la strophe 2 du modèle de J.90(a) pose problème : c’est elle qui se trouve ramenée au moule des
rimes embrassées.
L’examen attentif des textes et musiques comparées dans les sources nous convie donc à une
sorte de travail d’orpailleur : à travers les « jours » de l’écriture textuelle et musicale dans les noëls,
nous pouvons travailler à apercevoir les structures profondes des chansons de nos paroliers, et au-
delà, pour celles qui ont été mises en musique, comprendre les formes musicales sous-jacentes de ces
« quatrains » qui seuls nous restent dans les partitions.
Réciproquement, c’est grâce aux paroliers que l’on peut identifier les mélodies des noëls, qui
n’en nomment parfois que la seconde ou la dernière strophe. On prend en outre pleinement la mesure
de cette cohabitation passionnante, liée intimement aux débuts de l’histoire du livre en France, entre
écrit et oral, à l’occasion de ce chantier poétique aux multiples visages, porté par des protagonistes
qui ne pensaient sans doute déjà plus qu’ils avaient tant en commun.
Le noël participe parfois, cependant, à l’amenuisement des formes musicales. Le cas du virelai
L’amour de moy (cat. 511) en est un précieux contre-exemple : dans le noël, entièrement en quatrains
à rimes embrassées aBBa invariantes (et de la même manière que dans le recueil de chansons J.11 ci-
dessus), il est prévu de chanter entre chaque strophe le refrain initial de quatre vers. La section B de
la chanson (consignée dans les mss. 12744 et de Bayeux, notamment) disparaît de la versification, il
n’est plus possible d’envisage de chanter des piedi tels que les vers 5 à 8 de la chanson. Une
observation approfondie montre qu’ici encore, la musique des piedi n’est pas originale : elle reprend
la musique de la ripresa, et même très précisément les phrases b puis a final (clos), une situation très
proche de celle de Les Regrets que j’ay de m’amye. Le versificateur a donc adopté la tendance observée
dans J.11 pour cette chanson, et a unifié l’ensemble en quatrains à rimes embrassées. La musique de
la ripresa de l’Amour de moy se prête parfaitement à ce dispositif, puisqu’elle est conçue en arche dès
l’origine, de type a b c a.
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 187
De temps à autre, la forme de l’air sous-jacent demeure hermétique. Ainsi de la chanson J.16
n° 10, Nous irons jouer sur la verdure, dont plusieurs strophes (n° 2 : Mon amy n’a plus que faire ; n° 4
C’est à Paris la bonne ville) fournissent les clés de certains airs tant recherchés. Le refrain « Et mon amy
le souvenir de vous my tue » est si familier que l’on trouvera au catalogue (n°144) les différentes mises
en musique du rondeau du XVe siècle… avec lequel ne pas confondre la chanson du début du XVIe siècle.
Dans le noël, un redoublement du vers 4 vient équilibrer la formule strophique en sorte que,
bien qu’hétérométrique, la rassurante alternance de type ababbcbc puisse s’installer. Cependant, ce
redoublement du vers 4 ne semble pas bien correspondre avec les leçons transmises par les paroliers
De son côté, la mise en polyphonie de 1528 (voir cat. 144) laisse peu d’espoir :
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 189
Il est possible de tenter une comparaison cependant, au moins synoptique. Elle laisse apparaître
qu’il existe une zone hétérométrique 8/4/8/4 dans laquelle le cas échéant se produisent des
répétitions pour arriver au compte de 8 (chanson). On peut considérer ceci comme un segment de
type refrain, en raison des vers courts, et en raison des formes strophiques du noël et de la musique
polyphonique. Dans le parolier on aurait donc, placé en tête, un refrain. La mise en musique considère
que les quatre premiers vers se chantent sur la même musique répétée deux fois (ceci coïncide
d’ailleurs avec des rimes croisées). Le noël semble en phase avec cette lecture pour les quatre premiers
vers, mais il utilise le quatrième pour produire le 5e vers (octosyllabe) qui inaugure la section 8/4/8/4.
Le début de la section 8/4/8/4 pose donc dans les trois cas des difficultés : on note qu’à cette place se
produisent des redoublements de vers tétrasyllabes pour arriver à un compte de 8 :
En ce saint temps salutaire Povre cœur tant il m’enuye Nous yrons jouer Nous yrons jouer
Chantons car il est saison Je ne scay que devenir Sur la verdure
Dieu descend pour nous Pour la belle que tant Où le mien amy m’atant
retraire j’aymoye C’est chose sure.
De l’infernalle maison Qui m’a planté pour Et mon amy, et mon amy,
De l’infernalle maison reverdir152 Le souvenir de vous my tue.
La chose est seure À l’aventure À l’aventure
Chanter debvons c’est bien Hé mon amy Hé mon amy Mon amy n’a plus que faire
raison le souvenir de vous my tue De venir en noz maisons ;
De vois trespure Noel […] […] Il y en vient bien ung aultre
Plus gorrier et plus mignon
Et mon amy, et mon amy,
Le souvenir de vous my tue […]
Il est donc tentant d’examiner si les versificateurs de noël ne travaillent pas, parfois, à la table,
perdant de vue les modèles sonores. Sur un important nombre de chansons de noël, dans une
152
Le galant planté tête en bas tel un poireau (dont la queue reverdira) est un élément connu de la farce,
voir Jelle Koopmans, Le Recueil de Florence, op. cit. farce XVI « des femmes qui se font passer maîstresses »,
p. 233 sq.
190 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
anthologie, il peut arriver que certains textes soient complétés plus rapidement que d’autres.
Cependant, à part quelques cas isolés comme ci-dessus, dans l’ensemble, lorsque nous retrouvons une
version musicale, elle vient compléter naturellement un ensemble d’informations et l’on sent que les
éléments sont bien en place de part et d’autre : la culture de l’imprimé de qualité peine à se confronter
à ces textes simples mais pourvus de répétitions complexes, du côté des paroliers, mais l’édition de
noëls, même dans le cadre de ces supports modestes, de petite taille, peu coûteux et destinés à un
public large, se révèle très régulière. Tout au plus le versificateur trouve-t-il, en cas de difficulté, des
solutions proches, pas toujours très plausibles sur le plan musical, mais qu’il répètera avec constance
jusqu’au bout de son texte. Ainsi par exemple du versificateur de Séville (cat. 78) sur la chanson Au
bois de dueil, à laquelle il confère la forme spécifique avec des vers raccourcis en fin de strophe qui,
musicalement, est la marque de la chanson Tant que vivray, et bien entendu de Au joly bois, qui en est
très proche. On pourra observer au catalogue que la perception de l’air sur lequel il compose son texte
s’impose au versificateur, qui rencontre pourtant quelques difficultés, et que la disposition de la page
dans le recueil de noëls en témoigne encore.
Même dans le cas de formes que l’on pourrait juger moins savantes, et notamment les formes
strophiques issues de laisse combinées avec des refrains, les poètes semblent particulièrement au fait
des modes de performance, au sens où très probablement eux-mêmes savent chanter ces chansons.
Pierre Rézeau a édité un noël de 1520 sur une chanson dont nous savons qu’elle est en laisse avec
refrain inséré, refrain terminal plus long, et une liquidation de deux vers (longs, -14 syllabes) de la laisse
par strophe :
Il a été possible de retrouver la chanson manuscrite dont le refrain coïncidait avec toutes les
versions de cette chanson, que l’on pourra lire au catalogue (n° 200). Le fonctionnement en est le
suivant : deux lignes de refrain, v.1, v.2, v.3 + refrain inséré bref, v.4 (sur la base d’heptasyllabes),
refrain long (2 vers), puis v.3, v.4, v.5+ refrain inséré bref, v.6, refrain long etc. Deux vers sont communs
à une strophe et à la suivante, c’est le principe de l’enjambement déjà souligné. Théodore Gérold se
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 191
plaignait d’ailleurs que ce principe fût ignoré de Gaston Paris et Georges Doncieux153. La seule
différence de versification entre le noël et les paroliers réside dans l’appréciation des rimes impaires,
qui dans les paroliers sont moins bien réalisées que les rimes paires, alors que le texte du noël fait
alterner toujours les mêmes rimes invariables ABAB, qui proviennent au demeurant du refrain (-hau, -
ion) qui est demeuré celui de la chanson populaire. Il est judicieux pour la chanson de reconstruire le
principe strophique sur la base de vers longs de 14 syllabes, comme on l’a vu, disposés ainsi :
De la sorte on voit apparaître une assonance constante en –u, un refrain inséré entre les deux
hémistiches du vers nouveau, même si la césure à l’hémistiche n’est pas toujours féminine, ce que
préfèreraient sans doute les folkloristes. Elle l’est pourtant assez souvent, alors que toutes les coupes
à l’hémistiche sont masculines dans le noël, appuyant nettement la délimitation des heptasyllabes. La
transmission réellement précoce de ces paroles antidate la publication de la musique polyphonique
bien entendu, mais le premier noël connu date de 1520 (Chantilly, Musée Condé, VI.C.40, f. g2-g3v°).
Par de telles considérations on en arrive à identifier clairement cette chanson, dans sa forme, son
fonctionnement, ses thématiques et ses lieux communs, comme issue d’une tradition orale et
fraîchement fixée, pour cette version du moins, par les paroliers, l’air par ailleurs déjà sollicité pour
versifier et chanter des noëls.
Le noël tient compte de la structure à refrains (et préserve même le refrain onomatopéique),
mais régularise la strophe comme un ensemble d’heptasyllabes, des vers plus courts. Le principe
d’enjambement des laisses d’une strophe sur l’autre est très clair dans le noël, plus encore, à vrai dire,
que dans les paroliers (J.12 donne simplement comme seconde strophe : « Il ne me l’a point donnée
/Or allez/Il me l’a bien cher vendue/ Da hureho etc. »). Par conséquent, pour ce noël, on peut penser
que le versificateur de noëls a travaillé avec une idée sonore précise en tête, et non d’après un texte
écrit, par exemple. En revanche, le souci constant de régulariser un modèle de versification est évident,
ainsi qu’une probable méfiance pour les vers longs, qui n’ont pas de place dans les arts poétiques
écrits.
Dans les paroliers, cette chanson compte un nombre variable de strophes, jusqu’à 20, fort
décousues, dans J.12 : il semble que de ce côté, l’accumulation de strophes ou de « bâtons » rimés soit
la règle, en sorte que les dernières strophes de la chanson, qui semblent ajoutées à la hâte et de
mémoire, constituent en elles-mêmes des parodies des quelques strophes initiales qui font encore
153
Georges Doncieux, Le Romancéro populaire, op. cit. , note p. 93 à propos de sa chanson XX : la
Peronnelle (notre cat. 21).
192 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
sens. C’est l’esprit même de ces formes strophiques construites sur des laisses : la laisse peut
comporter un nombre de vers tout à fait appréciable, ouvert à la création.
Dans le domaine des airs du début du siècle et de leur circulation, nous n’avons pas encore
évoqué la possibilité que les textes des chansons issues des partitions soient eux-mêmes des textes ad
hoc, par exemple. C’est une limite qu’il est difficile de tracer lorsqu’on ne connaît pas tous les modèles
susceptibles d’avoir contribué aux textes. Mais il arrive que certains textes de musiques polyphoniques
constituent déjà de discrètes adaptations objectives, des « textes seconds ». La chanson Tous les
regrets (cat. 620) repose sur une poésie de grande qualité, et des mises en musique savantes. Il semble
qu’aucune source monodique antérieure n’ait été utilisée, et que, si une tradition de la chanter à voix
seule s’est bien installée, elle soit plutôt née après les premières compositions. Toutefois pour cette
chanson, qui sert de timbre à des chansons spirituelles à l’exclusion de toute autre utilisation, il existe
une deuxième « version », libérée de la mélodie de la première époque. Cette deuxième version,
notamment initiée par Gombert, se distingue de la première à plusieurs points de vue, notamment par
sa ligne initiale ascendante. Dans les pièces de cette seconde famille, plus tardive, le texte a évolué :
toutes les strophes autres que la première ont disparu, et un infime changement du dernier vers efface
toute notion d’amour terrestre, en propulsant l’expression de cette pièce désormais extrêmement
brève – un quatrain naturellement - dans une abstraction hermétique étonnante.
L’ouvrage d’Anne Ullberg permet de faire le point sur la circulation des airs dans les chansons
spirituelles jusqu’en 1560. Les premiers recueils datent de 1533, à Genève, et dès le début, l’usage de
« timbres » issus de chansons polyphoniques est général. Il est difficile de dire si l’originalité réside, en
ces années de découverte et de popularisation de la partition imprimée auprès du public français, dans
le fait d’avoir puisé à ces sources écrites ou plutôt dans le goût, encore significatif, pour les chansons
à fredonner in petto. C’est pourtant à la faveur de ces nouvelles chansons pieuses que des pièces d’une
belle gravité, mais d’origine savante, vont se transformer en « airs » : J’attends secours de ma seule
pensée (cat. 410), Au boys de dueil, (cat. 78), Je ne scais pas comment en mon entendement (cat. 431),
A qui dit elle sa pensée (cat. 15)… et parfois aussi Martin menoit son pourceau (cat. 600) ou Ribon
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 193
ribaine (cat. 638). Les mécanismes par lesquels on chantait ces pièces à une voix (alors qu’elles sont
nées polyphoniques) reposent sur des principes pratiques différents, et témoignent d’une autre
époque, en d’autres lieux, avec d’autres cercles de sociabilité. En effet cette nouvelle pratique ne
repose plus seulement sur la mémoire individuelle de chants partagés, mais sur l’assimilation – certes
encore « collective » - des nouveautés diffusées par l’imprimerie. Mais le livre permet dans une large
mesure de s’affranchir des savoirs traditionnels et recrée des communautés de partage autrement plus
vastes, plus internationales, et le fonctionnement de la circulation des airs dans cette deuxième étape
ne saurait être comparé à ce qu’il était dans les trois premières décennies du siècle.
En revanche, lorsque les poètes se contraignent à versifier les chansons spirituelles sur les
formes chantées qui leur paraissent les plus populaires, ils le font dans un esprit d’accommodation aux
particularités du « peuple » tout à fait étonnant et moderne. La situation et l’enthousiasme devaient
probablement être les mêmes une ou deux générations auparavant, dans les milieux franciscains où
l’on versifiait des textes de noël d’une réjouissante ruralité de façade. Il revient ainsi particulièrement
à Eustorg de Beaulieu d’avoir choisi nombre de ces chansons anciennes, ou demeurées des fredons,
pour composer sa Chestienne Resjouyssance parue en 1546.
L’ouvrage est scindé, comme on l’a évoqué, en trois parties séparées par des paratextes
exprimant la nature de chaque section. La première est constituée de chansons existantes, et dont
nous savons aujourd’hui qu’elles sont aussi bien imprimées que « orales », qui ne lui posent aucune
difficulté métrique : mais ce dernier point n’apparaît qu’à la fin de l’ouvrage, dans la troisième et
dernière partie, où il a précisément regroupé, tout en s’en excusant à grands frais, des chansons
« déficientes en vraie mesure poétique », dans lesquelles il espère toutefois que ses lecteurs
trouveront matière à s’amuser. Ce sont nos airs les plus anciens, nos chansons à refrains complexes,
nos laisses monoassonancées traitées en chansons à danser.
Exemplaire A-Wn, p. 33
Cette chanson fait partie de la première section. Toutes ces chansons ou presque nous sont
connues par une version polyphonique savante, pas toujours fondée sur un air connu. Pour exécuter
correctement les répétitions suggérées par la partition imprimée, que Beaulieu connaît donc bien, il
faut doubler l’un des vers du nouveau texte, et c’est ce qu’indique le chiffre « 2. » placé à droite du
vers concerné. On se souvient de quelle manière Pierre Davantès, éditant un rare psautier avec
solmisation intercalaire, mobilise de façon entièrement expérimentale toutes les ressources de
l’imprimerie en faveur de son projet visionnaire, qui consiste à se passer de la notation musicale tout
en chiffrant chaque note (il illustre l’article 13, p. 287 du volume de publications).
Mais lorsque la chanson présente d’autres difficultés, et que son modèle polyphonique n’existe
pas ou n’est pas très connu, ou plus difficile, il utilise également le signe « 1. » destiné à rétablir, sans
doute, l’énoncé de vers qui cette fois ne doivent pas être répétés (probablement : alors que la musique
est répétée). Ainsi de la chanson qui semblait si difficile à éditer ci-avant : Mon amy n’a plus que faire :
VIII – TEXTES SECONDS : LA PRÉCISION LYRIQUE 195
Beaulieu délimite ici, à grand peine semble-t-il, un premier quatrain à rimes croisées suivi d’un
second, à vers coupés et rimes embrassées. Manifestement, la transmission de la forme de cette
chanson à l’écrit s’avère très délicate. Il est possible que le découpage de ce second quatrain soit déjà
présent dans les versions examinées, mais nulle part il n’apparaît avec autant de clarté qu’ici : Beaulieu
redouble d’efforts et de sollicitude pour obtenir la meilleure aisance dans l’entonnement de ses
chansons.
Dans la troisième section, Beaulieu accentue encore ses efforts d’accompagnement au lecteur :
Les vers qu’il va imprimer, dit-il, sont objectivement déficients en vraie mesure poétique. Mais
on n’aurait pas su les chanter s’il ne les avait fait imprimer tels quels afin que soit rendue visible la
quantité de chaque « vers » et pour faciliter le chant. Pour ce faire, on observe qu’il précise les
196 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
répétitions ad libitum chaque fois qu’il juge nécessaire. Ceci se fait par une nouvelle mention marginale
« Chante ceste par deux aussi si tu veux » :
Pourquoi cette annotation ? Il est probable qu’elle a un lien avec les différentes sections de
l’ouvrage, et plus particulièrement avec la troisième, où elle est très utilisée. Je fais l’hypothèse que
dans cette section, les chansons sont de nature plus orale que dans la première, et naturellement la
seconde section. Il existerait ainsi, et Beaulieu le sait, plusieurs façons concurrentes de chanter ces
chansons, en mode vernaculaire, en sorte qu’un dispositif supplémentaire lui semble nécessaire pour
mener à bien la tâche qu’il s’est fixée. On trouvera dans son épître liminaire les motivations de son
projet général, mais dans le détail de la réalisation, Beaulieu fait preuve à la fois d’une grande
musicalité et d’une attention soutenue aux dispositifs de transmission qu’il met à la disposition de
tous. Cet état d’esprit, où ce soin de l’autre est exprimé de multiples manières, modifie le pacte qui
s’établit entre auteur et lecteur, donnant ici à voir non seulement la matière de ce qui est proposé,
mais aussi la manière.
IX – Divertimento III : Myriade et diasporas
La nature des mélodies et des textes transmis ensemble ou séparément, dans des milieux de
cultures différentes, touchés au près par le son et au loin par l’écrit, nous a déjà incités à proposer une
cartographie individuelle des chansons, afin d’observer leur rayonnement. Pour certaines d’entre elles
toutefois, l’investigation a montré tout l’intérêt que ce type de visualisation peut revêtir en termes
herméneutiques.
Ce fut en Picardie
Où fut le noble adieu
Du noble Roy de France
Aussi de l'Empereur.
À Saint-Quentin jolye
Ville de grand honneur
Ce fut la départie
Du Roy et l'Empereur. […]
198 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
J.Nourry n° 5
Voici encore sur la même coupe apparente la chanson Dont vint la connaissance / Qui me fist
alliance :
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 199
J.1535 n° 17
Toutes ces poésies ont pour point commun de présenter des huitains d’hexasyllabes à rimes
croisées, la première féminine. Les musiciens sensibles aux travaux de Conrad Laforte remarquent que
la rime impaire assone plus qu’elle rime, et que la rime paire est plus exacte : la recomposition en vers
longs monoassonancés (quatrains d’alexandrins à césure oxytonique) est une autre façon de classer
ces chansons circonstancielles qui semblent partager le même air aujourd’hui hors d’atteinte.
Émile Picot a relevé la pièce poétique de circonstance « Que dictes vous en France »,
probablement la plus ancienne, qui se chante « sur la chanson qu’on dict Dictes moy qu’il vous semble
de l’empereur et du Roy », une pièce écrite à la gloire de la maison de Bourgogne et conservée dans le
manuscrit BnF Fr. 2200, f° 45 :
200 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
À propos de cette pièce (qui comporte de nombreuses autres strophes), Émile Picot signale en
son catalogue (n°36) 154:
« Nous donnons cette pièce telle qu’elle se trouve au manuscrit ; mais plusieurs des couplets
pourraient se décomposer en vers de six syllabes, en raison de la rime placée à la césure. Nous
pourrions citer plusieurs pièces de cette forme, que paraissent avoir affectionnée les auteurs flamands.
Nous rappellerons seulement les Cronicques de Nicaise Ladam qui, dans les manuscrits, sont en vers
de douze syllabes (voy. Catal. Rothschild, I, n° 490), tandis que dans le fragment imprimé sous les yeux
même de l’auteur, les vers sont régulièrement coupés en deux. ». Il est évidemment très satisfaisant
de constater cette convergence naturelle des observations sur ces chansons, venant d’observateurs
très différents.
On voit que l’air mentionné dans les paroliers de 1534 et 1535 était l’incipit de la poésie dans le
BnF Fr. 2200, et non l’air sur lequel elle devait se chanter. Nous sommes dans une situation où les
références rebondissent à vive allure, l’une étant mentionnée comme le timbre de l’autre, avec toute
une série d’enchaînements. Voici un aperçu des relations des sources :
154
Émile Picot, Recueil de pièces historiques imprimées dans les provinces françaises au XVIe siècle, Paris,
Pour la Société des bibliophiles françois, 1913.
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 201
Cela vaut uniquement pour une partie seulement des 19 concordances (postérieures) citées par
Picot. Le manuscrit BnF Fr. 2200 comprend toute une section consacrée à la poésie de Jean Molinet et
des pièces de circonstance variées, qui font plutôt référence au premier quart du XVIe siècle. Aucun des
incipits relevés ne semble rencontrer d’écho dans les sources musicales, pour l’instant.
En 1537, dans le parolier, la chanson fait partie d’un groupe consécutif de huitains du même
type, qui tous sont utilisés pour des chants « historiques », et qui tous nous semblent aujourd’hui
perdus :
« Par devant Saint Riquier/Sont venus Bourguignons » se chante sur Madame la Regente,
« Hedin fut assaillie/Par le roy des Françoys », sur Marseille la jolie, et « Peuple de Picardie » ne porte
pas d’indication précise (on voit chez Picot n°36 qu’une des sources du texte mentionne un timbre).
202 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Cette carte montre l’état des sources textuelles (il n’existe pas de source musicale précise)
autour d’un des airs les plus rétifs que nous nommerons ci-après Marseille la jolie. Au centre, en gris,
les différents noms de l’air. Par le jeu des attributions d’un recueil à l’autre (et des changements de
noms sur un même texte), on parvient à la conclusion que toutes ces rubriques renvoient à un air
probablement identique. Les seules trois liaisons renforcées en gras sont déduites, elles découlent des
relations observées (toutes les autres flèches). La flèche pointillée indique un texte qui n’a pas reçu en
1537 d’air précis, mais seulement en 1542.
155
Sur les aspects historiques de ces chansons, voir l’introduction d’Antoine Le Roux de Lincy, Recueil de
chants historiques français depuis le XIIe siècle jusqu'au XVIIIe siècle, Paris, libr. Ch. Gosselin, 1872-1873, II. À propos
des Mariniers de Dieppe : « ce qu’il y a de remarquable c’est qu’on y trouve les mêmes formes et presque les
mêmes vers que dans la chanson sur le siège de Marseille dont j’ai parlé précédemment » (p. 25). Il est probable
par conséquent que Leroux de Lincy n’avait pas pour source le recueil NJ.1542 (au contraire d’Emile Picot, cf.
n°66).
156
Lefebvre, Jacques, Meslanges de musique, Paris, Ballard, 1613. BnF Rés.Um7 255.
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 203
Le texte de cet air « Quand Bourbon vit Marseille » est également conservé au début du XVIIIe
siècle dans le Chansonnier Maurepas, qui en prend copie comme d’un mémoire historique du règne
de François Ier :
Mais le chant « Que dites-vous en France » a aussi attiré l’attention des érudits flamands du XIXe
siècle : deux spécialistes des chants de cette époque dialoguent autour des chants nationaux anciens,
comme partout en Europe à la même période. Van Duyse157 et Entschedé158 rivalisent d’énergie à
retracer les concordances écrites de ces chants jusqu’à leur époque, au travers de tous les supports
possibles (sauf la collecte directe toutefois). Une des raisons profondes en est que l’usage des airs en
tête des publications en Pays Bas (bourguignons) est une pratique massive, qui accompagne d’abord
les chants des psaumes traduits ou adaptés en flamand (depuis au moins les Souterliedekens de Simon
Cock en 1540). Mais la poésie engagée connaît sur ces territoires un important regain de vigueur à la
faveur de la Guerre de Quatre-Vingt Ans (1568-1648) qui mène à la séparation des territoires du nord
d’avec la Belgica Regia au sud. L’indépendance des Pays Bas connaît une étape décisive en 1581, où
elle devient effective. À cette date, le soulèvement contre les Espagnols a finalement abouti à créer
157
Florimond Van Duyse, Het oude Nederlandsche lied, 'S-Gravenhage, M. Nijhoff, 1903-08. 2 vol., vol. II,
p. 1620 sq.
158
J[ohannes ?] W. Entschedé, « De Melodie van het Wilhelmus », Oud-Holland, 1894, n° 12, p. 175 sq.
204 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
deux pays aux confessions distinctes : et la pratique des chansons de combat avec indications d’airs ou
à chanter selon les indications du premier vers (« op de wyse als ‘t begint ») ne cesse de croître.
Les ouvrages du XVIe siècle à partir desquels argumentent Van Duyse et Entschedé (avec de
nombreux autres) remontent rarement en amont de 1569. Un ouvrage, particulièrement, s’avère
décisif, le Geusen Lieden Boecxken 159. Dans ce recueil, on trouve quelques rares airs en « français »
(notamment Adieu Pierronne ende Terouanne, n° V, qui rappellera maintes chansons), mais surtout
« Chartres », un air à propos duquel Van Duyse et Entschedé déploient une grande énergie, car il sert
de fondement à une chanson glorifiant Guillaume Ier d’Orange Nassau.
Comme souvent dans ce domaine, les auteurs cherchent à établir au travers des sources une
antériorité, une origine. Principalement celle de l’auteur du texte, ensuite celle des mélodies les plus
anciennes. Dans le débat, Van Duyse a lu Le Roux de Lincy et a pu échanger avec Émile Picot sur la
partie française qu’il rattache aux origines de cet air : la source de « Chartres » est, comme il l’affirme,
le recueil de chansons spirituelles de Christophe de Bordeaux (1570 ?)160. Dans ce dernier recueil, la
chanson qui mentionne cet air est « O la folle entreprise/ Du prince de Condé », un texte de
circonstance qui suit le siège de Chartres par Condé, et son renoncement (1568)161. La forme poétique,
faut-il le préciser, est parfaite dans les deux langues. Mais Florimond Van Duyse trouve beaucoup
d’autres références faisant usage non seulement de « Chartres », mais des autres timbres précis placés
sur les chants historiques seconds, comme ici « O la folle entreprise », un incipit propice à de
nombreuses chansons historiques en effet. Il en a des raisons : la branche allemande des savants
spécialistes d’anciens chants populaires162 plaide de son côté non pour « Chartres » mais pour le
surnom de « Charles », que l’on voit « malheureusement » dans certaines éditions flamandes pour la
chanson sur Guillaume 1er d’Orange, en soulignant que l’air devait être connu dès les années 1530 et
se rapporter à Charles-Quint.
Il revient à Van Duyse d’avoir pu faire coïncider, précisément par un détour vers les chansons
pieuses secondes, l’indication d’un air « O la folle entreprise » avec une mélodie notée. Cette mélodie
est issue de la Pieuse Alouette de 1619, pour une chanson commençant par « Toujours toute ma vie ».
C’est progressivement, avec de nombreuses références (notamment La clé des chansonniers de
Ballard, où l’air est noté comme « Mon dieu la belle entrée ») que Van Duyse en arrive aux autres
chansons qui, dans le recueil de Christophe de Bordeaux, lui semblent chantées sur un air très proche,
voire le même. Après avoir comparé les sources notées des XVIIe et XVIIIe siècles, il en arrive à la
suggestion suivante pour « Chartres », un air attribué ici et ailleurs aux trompettes françaises qui
sonnèrent la mort de Condé, et qui coïncide avec « O la folle entreprise »163 :
159
Een nieu Geusen Lieden Boecxken : Waerinnen begrepen is, den gantschen Handel der Nederlantscher
gheschiedenissen, dees voorleden Jaeren tot noch toe ghedragen, eensdeels onderwylen in Druck uutghegaen,
eensdeels nu nieu by-ghevoecht. Nu nieulick vermeerdert ende verbetert, s. l., s.n., 1581. Den Haag, Koninklijke
Bibliotheek.
160
Beau Recueil de plusieurs belles chansons spirituelles, avec ceux des huguenots hérétiques et ennemis
de Dieu, et de nostre mère saincte Église, faictes et composées par maistre Christofle de Bourdeaux, Paris, pour
Magdeleine Berthelin, (s. d.) [c. 1570].
161
Antoine Le Roux de Lincy, Recueil de chants historiques français, op.cit., vol. II, p. 603.
162
Rochus Freiherr von Liliencron, Die historische Volklieder des Deustchen vom 13. bis 16. Jahrhundert,
Leipzig, 1865-1869, 5 vol. Vol. IV, p. 421.
163
Van Duyse, op.cit, p. 1650.
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 205
Le lecteur averti aura reconnu l’actuel hymne national des Pays-Bas, le « Wilhelmus ».
Van Duyse s’intéresse ensuite, après son étude sur le texte et la mélodie, à la transmission du
timbre. Entre mille autres références, il observe que « O la folle entreprise », chantée sur « Chartres »,
a aussi été chantée sur « Que dictes vous en France de Monsieur de Bourbon » (1525), selon Leroux
de Lincy et Picot, qui s’appuient sur l’ouvrage de Bordeaux165. Enfin, il trouve dans un recueil publié en
1741 un noël « Chantons je vous en prie/ Noel joyeusement » qui se chantait (en 1621) sur « O la folle
entreprise », nom probable au XVIIe siècle, côté francophone, du Wilhelmus, ainsi qu’on en est
désormais convaincu.
Qu’il soit alors permis d’indiquer, pour poursuivre la discussion, que ce noël n’est pas inconnu
e
au XVI siècle. Il s’agit du noël Rézeau n° 119, « Noël nouveau sur la chanson Il y avait trois dame[s] /
trois dames de Paris », unique, dans un manuscrit de l’Arsenal. La chanson n’est pas inconnue non plus
(cat. *371), mais elle se trouve dans des sources polyphoniques et non dans des paroliers, en dépit de
ses atours vernaculaires166. En revanche, les quelque noëls (Rézeau 117 à 121) qui l’entourent
présentent une morphologie poétique similaire, qui conduit à s’interroger sur leurs airs :
Air « Marseille la jolie », ca 1536 : Rézeau n° 117, inc. « Chantons je vous en prie/Chantons
joyeusement », unicum) ;
Air « Dans Chartres la jolie/ y ont voulu entrer », 1581 : Rézeau n° 118, inc. « Chantons je
vous en prie / Noëls grans et petits », unicum ;
Air « Si de bon cueur vous aime », noël de Malingre, 1533 : Rézeau n°120, inc. « Chantons je
vous en prie/ Noël joyeusement/De Christ filz de Marie… », unicum ;
164
Ibid., p. 1652.
165
Antoine Leroux de Lincy II, 96 ; Picot 36 c.
166
Les trois filles de Paris, M. de Orto, Petrucci 1504/3, dans I-Fc ms. Basevi 2442 "Et il y a trois dames à
Paris". 2da : À Paris sus le petit pont.
206 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Le noël Rézeau n° 121 inc. « Chantons je vous en prie /par exultation / en l’honneur de Marie »
a connu deux airs : « Faulse trahison », dans un manuscrit de la toute fin du XVIe siècle, unique, ou
« Hélas je l’ay perdue » ; et cette dernière chanson, issue du ms. Fr 12744 (n° 108) est d’une grande
beauté – elle se trouve à l’origine de nombreux exemplaires du noël.
n°122 : inc. « Chantons je vous en prie /par grand dévotion » sur l’air de « Ayguemorte
en Provence », également introuvable en tant qu’air;
n°124 : /grands et petits noël sur l’air de « Mon père mi marie », une chanson identifiée;
n° 125 : inc. « Chantons je vous en prie/Tous ensemble noël sur l’air de « Les dames ont
le bruict », non identifié;
Enfin, un très populaire et très intéressant noël sur l’air d’une séquence latine (aujourd’hui
sortie de la liturgie catholique, depuis la correction des livres liturgiques consécutive au Concile de
Trente), le noël inc. « Chantons je vous en prie /et nous resjouissons » (Rézeau n°126) sur l’air de
« Mittit ad virginem ».
On ne peut qu’être évidemment réceptif à l’air « Marseille la jolie » (Réseau n° 117), qui sert
fugitivement en 1536 pour un noël dont les structures de versification et l’incipit sont infiniment
proches du noël relevé par Van Duyse. La famille de noëls comportant le même premier vers, des échos
textuels précis dans la première strophe (c’est le cas de tous ces noëls), et une structure de versification
rigoureusement semblable nous apporte des éclairages peut-être prometteurs sur la ou les mélodies
sous-jacentes, outre de permettre d’entonner aujourd’hui sur l’hymne hollandais toutes les chansons
construites sur « Las que dit on en France » ainsi que sur « Marseille la jolie », au moins pour
l’expérience, mais aussi avec une certaine pertinence historique. L’assimilation des deux airs est
étonnante, mais pas injustifiée. On note par exemple que « Ayguemorte en Provence » (cat *48), de
même coupe, sur l’air de l’introuvable « Quand je partismes de Guise » (NJ 1542 n°42, air du noël
Rézeau n° 122) est également une chanson militaire, qui a de bonnes chances de se chanter sur l’ « air
des chants historiques » alors en vogue.
La source de cette réflexion purement musicale tient à l’air de « Hélas je l’ay perdue » (BnF
Fr. 12744 n°108) :
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 207
Transcription P. Nicolas
Si l’on extrait le cursus mélodique de fond de cette mélodie, et qu’on y adjoint un saut de quarte
initial qui fonctionne si bien dans le cas du Wilhelmus, on se trouve avec une version de ce même
chant, en « mineur ». Le passage au registre supérieur, qui est très frappant dans l’hymne néerlandais,
est très bien rendu ici aussi (mes. 13). Ce n’est pas la mélodie du Wilhelmus, mais c’est une mélodie
de sa famille qui, en quelque sorte, parle en sa langue. Il est juste de souligner que la forme du poème
sous-jacent influe sur la forme musicale également, en l’occurrence ici la deuxième partie (à partir de
13) contraste très bien avec la première, ce que les musiciens réalisaient encore parfaitement au XVe
siècle dans le cas de formes fixes, comme on a pu le souligner à plusieurs reprises. En somme, c’est
aussi la part naturelle (ou idiomatique) du cours de cette mélodie en deux parties que nous soulignons,
une part commune également au Wilhelmus.
Enfin, un esprit curieux pourrait se demander de quelle façon Mittit ad Virginem a pu s’adapter
à un chant de noël (Rézeau 126, si proche de notre noël). On remarque ici d’emblée que la séquence
latine et les poèmes de noël sont hexasyllabes, et l’on sait que la musique des séquences, mais aussi
des hymnes est entièrement syllabique, pour la meilleure partie d’entre elles. Voilà qui résout la
principale question d’adaptation. En revanche, l’utilisation de Mittit ad Virginem comme support de
textes seconds a une certaine actualité dans les années trente, et sur les terres d’empire qui ici nous
importent : notamment la publication à Strasbourg en 1531, aux bons soins de l’épouse du Pasteur
Mathias Zell, Catherine Zell, de l’ouvrage de Michael Weisse Von christo Jesu unserem seligmacher[…]
Gesangbuch, 1534. Voici une rare illustration de ce précieux ouvrage :
208 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
IX – DIVERTIMENTO III : MYRIADE ET DIASPORAS 209
« Als der gültige Gott vollenden wollt » (M. Weisse, op. cit. f° A vi-A vii, 1531)
La particularité de cette série d’ouvrages167 est d’accueillir, dans les années 1530, le répertoire
chanté des Frères Moraves (de Bohême) du XVe siècle, dont Weisse est l’héritier naturel. Ces opuscules
tiennent une place très importante dans l’hymnologie réformée, parce qu’ils montrent comment à
Strasbourg ont été reçus des mélodies du siècle précédent, émanant d’une branche pieuse proche,
dont les intentions d’édification en langue vernaculaire étaient déjà nettes. La notation noire ici utilisée
sert lorsque Weisse se fonde sur les mélodies liturgiques : il s’agit d’une notation en Hufnagelshrift
répondant à la notation carrée alors en usage partout pour le chant dit grégorien, et notamment en
Bohême. Mais Weisse, lorsqu’il transmet dans les mêmes ouvrages les chansons pieuses qui se
chantent sur d’autres airs, utilise une notation blanche qui est celle de la musique, non plus celle qui
est associée à la liturgie. Dans les livres liturgiques des Frères Moraves, cette distinction, dont les lignes
bougent en 1536, était déjà patente. L’expression par eux utilisée pour qualifier l’air sur lequel on
chante est « Leihton », chant d’emprunt, chant prêté.
167
La bibliographie concernant Michael Weisse (1488-1534) est plus importante en langue tchèque et
allemande qu’elle n’est accessible en français. Il s’agit d’un auteur majeur et d’un fondateur de l’hymnologie
réformée lutherienne. Une bonne introduction à la question de la postérité musicale : Reinhart Strohm,
« Michael Weisse transmitting Medieval Songs to Bach », Understanding Bach n°6, p. 56-60. L’article le plus
important est le récent : Ute Evers, « Deutsch-techschicher Melodienaustauch in Deutschen Gesangbüchers des
16. Jahrhunderts, Lied und populäre Kultur n° 55, 2010, p. 169-182. Il est consécutif à la mise à disposition d’une
version électronique de l’entreprise Das Deutsche Kirchenlied (portée par Wackernagel au XIXe siècle). On
consultera enfin la thèse d’Annekatrin Möseritz, Die Weise des Böhmischen Brüder von 1531. Eine stil- und
Kritische Untersuchung des nichtliturgischen Melodien des Gesangbuches von Michael Weisse, Bonn, 1990, PhD
1989.
210 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Que Mittit ad Virginem soit une mélodie dont le cursus est très proche du Wilhelmus, c’est un
intéressant détail, qui reste à apprécier par ceux qui pourraient y trouver intérêt168 : moins intéressant
toutefois que la transmission précise de cette version (on sait que les versions des hymnes surtout
varient beaucoup, probablement plus que celles du corpus plus ancien, dans les livres liturgiques, y
compris en fonction de l’aire géographique) dans le nord de la France dans les années 1530, et son
actualisation par la publication de textes seconds. On pourrait enfin objecter qu’au jeu des
ressemblances, l’imprécision est un coupable défaut : mais pas dans le domaine des notes de musique
qui ne sont pas écrites. Ainsi que penser du noël « Mes bourgeoises de Chastres » (et non « Charles »
ou « Chartres »), qui circule, avant d’usurper lui-même la fonction d’air cité, avec l’indication « sur la
Tourloura », et dont on pourra apprécier les tournures mélodiques au catalogue (cat. 97)… ?
Chaque chanson, ou presque, aurait pu donner lieu à une telle poursuite dans le temps. Au
regard du nombre de chansons historiques qu’elle permet de régénérer en partie, cette quête était,
pour « Marseille », des plus instructives. On se souvient que dans la source de 1537, Peuple de Picardie
ne portait pas de mention d’air (cat . 239). Son air : « Que dictes vous en France », n’est connu que par
le biais d’éditions ultérieures. Se chantait-il, dans sa version de 1537, comme la pièce précédente, de
même coupe ? C’est possible : dans ce cas elle se chantait sur « Marseille la jolie », une équivalence
possible, supplémentaire, dans le concert des airs.
168
Quarte initiale ascendante, contour de la première incise, passage à l’aigu dans la seconde phrase… les
musiciens pourront juger.
X – Les airs, entre mémoire et transmission imprimée : une étape
Le répertoire des airs qui circulaient sous le règne de François Ier laisse apparaître de
remarquables constantes. Sur quelque 881 chansons relevées, le catalogue en comporte actuellement
177. La date choisie de 1534 permet en effet de s'arrêter peu après les débuts de l’imprimerie musicale
parisienne et correspond en réalité aux dernières anthologies singulières, avant les immenses
anthologies rétrospectives des années 1535 (J.1535) et suivantes, qui contiennent désormais une
proportion significative de paroles issues de polyphonies imprimées peu avant. On voit maintenant
que ces polyphonies n’étaient pas toutes d’art à l’origine, et c’est ce qui fait qu’on ne peut séparer, y
compris dans les paroliers des années 1535 à 1550 et au-delà, aussi simplement les catégories entre
« paroles copiées dans des partitions imprimées » et « paroles sui generis ». Les paroles copiées
d’après les imprimés musicaux en vogue ne sont qu’une partie des chansons que l’on se chante encore.
Certes le rôle des paroliers de la première époque est de transmettre, pour les structures strophiques,
« toutes » les strophes. C’est là une des véritables mutations qui se produisent : si dans les paroliers
plus tardifs on ne copie plus que la « strophe » mise en musique d’une chanson qui en possédait
beaucoup, c’est que la « capacité strophique collective » s’est déplacée, car il n’y a aucun signe que
disparaissent les musiques répétitives populaires de l’époque, notamment les danses, dont
précisément on imprime des versions instrumentales nouvelles au même moment, par exemple les
Danseries de Gervaise. Voilà qui peut permettre de réfléchir à la conservation des musiques
répétitives, mais pour leur texte, il faut formuler comme on le verra d’autres hypothèses.
En d’autres termes il faut considérer que le fredon, que le timbre, que le chant à une voix
persistent, plutôt qu’ils n’apparaissent ou disparaissent, et chercher de quelle manière cette capacité
à la fois individuelle et collective s’incarne dans les nouveaux répertoires – de tous ordres. Le privilège
de ce tout premier répertoire des airs sous François Ier est de travailler très précisément à la limite de
l’oral et de l’écrit, à un moment où les incertitudes, les essais, les hésitations montrent au chercheur
de féconds indices de la réception des formes lyriques dans les esprits et, pour la danse, dans les corps.
Un répertoire anonyme
Dans les mises en musique retrouvées, l'absence de signature domine. C'est un fait à la fois banal
et remarquable, mais tout à fait en phase avec l'ensemble du corpus. L’anonymat de certaines de ces
chansons les plus orales se transmet aux compositions polyphoniques, dont les noms ne nous sont
connus parfois que par recoupement et attributions actuelles. La notoriété de ces chansons est en
réalité celle de leurs airs, les arrangements ont la fragilité du papier, dont la notation musicale, une
notation symbolique si raffinée, sépare ceux qui la « savent » de ceux qui chantent. Il s’agit donc d’un
anonymat peut-être un peu particulier, loin des clichés. C’est aux chansons et aux airs que l’on donne
des noms, dans cet univers particulier.
Nous disposons actuellement des noms de compositeurs pour environ un tiers des musiques
polyphoniques retrouvées, ce qui ramène à une soixantaine le nombre de chansons du corpus plus ou
moins attribuées – on voit que certaines sont attribuées concurremment à trois ou quatre musiciens
différents.
212 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Mais encore faut-il nuancer : parmi les chansons dont le compositeur est connu, on distingue
deux époques, l’une antérieure et à peu près contemporaine à la parution dans les paroliers, et un net
« revival » dans les années 1560 et surtout 1570, qui ne sont pas sans intérêt pour l’histoire de la
musique169. Si l’on excepte donc ces mises en musiques tardives, on ne dépasse pas la cinquantaine de
chansons nettement signées.
Pièces attribuées
Un nom pourtant retient l'attention, entre tous, celui de Claudin de Sermisy (ca 1490, 1562).
Claudin de Sermisy est à lui seul l'auteur de 18 de nos chansons attribuées. Sur l’ensemble (177), cela
représente peu, mais en proportion des chansons attribuées, c’est très important. Par comparaison,
Clément Janequin (ca 1485-1558) n’en a composé que quatre. Encore sont-elles communes avec celle
de Sermisy, et parmi ces quatre chansons mises en musique par Janequin, faut remarquer deux
chansons de Clément Marot. Ces deux compositeurs sont contemporains, à quelques années près. L’un
comme l’autre ont composé plus de deux cent chansons musicales, 250 pour Janequin. Certes Janequin
est arrivé plus tardivement à la capitale, alors que Sermisy y est institutionnel depuis 1508. Janequin
est notamment passé par Tours mais aussi Angers, où l’activité poétique autour des noëls est très
intense, ce dont il faut garder souvenir. Mais la différence est frappante.
C'est précisément dans ce contexte qu'on comprend parfaitement la distinction entre la chanson
et la chanson musicale. Clément Marot écrit des chansons, des textes à chanter, ou des textes qui
disent qu'ils sont à chanter. Clément Janequin écrit les chansons musicales. Pour des chansons
musicales, on se sert d'airs qui existent déjà, lorsqu’on en dispose. Mais ces airs n'existent pas dans le
cas de Clément Janequin. La plupart de ses chansons sont absentes de notre corpus, les airs en sont
inventés. Ils le sont nécessairement, parce qu'au fond, c’est l'immense production de Janequin qui
échappe entièrement à notre répertoire de chansons populaires.
Janequin est l'auteur de plus de 250 chansons. Parmi elles, la chanson érotique, la chanson
amoureuse, la thématique rurale, les évocations « rustiques », et l’onomatopée sont monnaies
courantes. Les chansons satiriques, l'anticléricalisme sont la règle. Toutes ces caractéristiques sont
devenues au XXe siècle et depuis, des marqueurs de la « Chanson parisienne ». Or ce n’est pas tout à
fait le tableau qui s’offre ici à nos yeux, on observe plutôt un Janequin refusant certaines chansons
d’inspiration apparemment proche. Comment expliquer ce paradoxe ?
Les carrières de Claudin de Sermisy et de Clément Janequin sont vraiment très différentes : le
premier a passé plus de quarante ans au service des rois de France, dont il était le maître de chapelle.
Le second, musicien venu de province, a bénéficié du soutien de l'Église la plupart du temps, au fil de
charges relativement peu engagées au service du public, mais certainement rémunératrices. On lira
avec profit sur ce point le travail de Christelle Cazaux et son dernier article sur la question170.
169
Il s’agit principalement des pièces de Pierre Certon (1515-1572).
170
Christelle Cazaux, La Musique à la cour de François Ier, Paris, École nationale des chartes [Tours] Centre
d'études supérieures de la Renaissance, 2002 ; eadem, « Que sait-on de Clément Janequin ? », dans Olivier
Halévy, Isabelle His et Jean Vignes, Clément Janequin, Paris, Société française de musicologie, 2013, p. 23-34.
LES AIRS ENTRE MÉMOIRE ET IMPRIMERIE, UN PREMIER BILAN 213
son aîné. Manifestement, lorsque Janequin s'astreint à ce type de chansons contenues dans les
paroliers, il passe dans une catégorie générique qui lui est étrangère, et dans laquelle il ne souhaite
pas s'attarder. De manière emblématique, dans les paroliers, Clément Marot est plus populaire que
Clément Janequin. Dans les paroliers, en effet, près d'une trentaine de chansons de Marot sont
publiées avec cette poésie anonyme quotidienne.
Comme l'a montré un colloque récent, Clément Janequin était effectivement au contact des
poètes, jusque très tard dans sa carrière : on se souvient du vieux Janequin composant pour l’édition
avec supplément musical des Amours de Ronsard. Que les grands noms des poètes soient associés à la
musique de Janequin, voilà qui préfigure une nouvelle époque, beaucoup plus raffinée certainement,
mais peut-être aussi moins féconde.
Cette différence radicale entre Clément Janequin et Claudin de Sermisy nous conduit à deux
remarques :
Qui a écrit les textes des chansons d’inspiration rurale, rustique, et grivoise de Janequin dont
« le peuple » n'est pas l'auteur ? La question vaut d’être posée de façon provocante en utilisant ce
terme, car les textes mis en musique par Janequin ne sont pas des textes « populaires », ne sont pas
issus d’un corpus traditionnel ou oral. Pour autant, ils en ont presque toutes les caractéristiques, et
c'est en ce sens que l'on peut dire que Janequin mime la muse populaire.
Deuxième question : quel est le nouveau public qui apprécie plutôt les chansons de Janequin
que les airs, fredons et chants de mémoire, et à quelles conditions ce public fait-il le sacrifice de cette
intimité musicale que permettent les chants « que l’on sait déjà » ? Il n’y a pas de réponse simple à
cette question, en dehors de certitudes importantes : le goût de la cour française lui-même se porte
sur la poésie « amoureuse », reflète une ironie et un scepticisme profonds à l’égard du clergé, et se
projette volontiers, tant matériellement que dans les productions artistiques, vers des espaces
naturels idéalisés propices à la chasse, au loisir, à la « vie naturelle ».
Que les productions de Janequin se définissent comme « non populaires », en tous cas hors de
nos supports à grande diffusion, cela doit nous conduire à tenter de rétablir une perspective sur ces
questions.
Il faut se garder de penser, par contrecoup, que Claudin de Sermisy est un compositeur léger :
c'est en réalité un compositeur institutionnel, de statut ecclésiastique, formé au contrepoint dans la
veine des musiciens du nord, et qui compose dans tous les styles, comme ses prédécesseurs Dufay,
214 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Ockeghem, Obrecht, Josquin…. Par prudence, par goût, ou encore par nécessité, il ne composera
jamais ou presque sur des textes qui servent ensuite à des détournements évangéliques ou protestants
mais en revanche, rien dans la définition de son métier ne s'oppose à ce qu'il mette en musique ce qui
s’offre à lui. Et en ce domaine, on peut noter une nette affection de sa musique pour ces chansons
issues de la tradition orale. C'est de loin le plus gros contributeur aux mises en musique. Ceci s'explique
notamment parce que son métier précisément consiste à mettre en musique des airs déjà existants,
dans de nouvelles polyphonies savantes – un arrangeur de haute volée, en somme. Cette dichotomie
nécessaire entre un matériau musical préexistant et une œuvre polyphonique est évidente dans le
cadre du contrepoint franco-flamand, comme nous l'avons déjà souligné, et c’est la lignée intellectuelle
de Sermisy.
Ainsi lorsque Claudin de Sermisy met en musique une mélodie dans l'air du temps, il ne fait rien
d'autre que d'inscrire en polyphonie un chant, avec le charme immense que parfois, ce chant n’était
pas noté avant que Sermisy s’en empare, en sorte que c’est lui qui nous le révèle.
Même en polyphonie, qui est le seul art qu'on lui connaisse, Sermisy se révèle un excellent
auteur d'airs de chansons monodiques de type traditionnel. Mais n’en a-t-il pas composé l’air, tout
simplement ? On sait, par le suivi des textes, par leur nature, par la pérennité au fil des siècles, qu’il
n'en est pas l'auteur. C'est pourquoi, au vu de sa façon d'écrire, on peut penser qu'au contraire il s'est
positionné comme collecteur de la mémoire orale.
Janequin est l’auteur de psaumes en musique, et de chansons spirituelles, c’est de cette façon
qu’il répond le mieux à cette autre facette du goût de la cour française pour la poésie chantée, la poésie
spirituelle, soutenue par les œuvres de Marot et le climat littéraire dans l’entourage de la sœur du roi.
Peut-être a-t-il pu croiser, notamment dans le Val de Loire, des imprimés gothiques populaires de
poésie pieuse en langue vernaculaire, des vies de saints, des noëls, puisque ces territoires en sont un
des foyers. Peut-être a-t-il choisi, en suivant plutôt un homme de plume, Marot, de prendre une
direction à la fois comparable : chanter la foi en français, et différente : ne le faire que sur des textes
remarquables. Une fois ce positionnement du psaume polyphonique et de la chanson spirituelle rendu
sensible et séduisant par la musique dans la société française, s’ouvre cette parenthèse qui, avec
Goudimel, L’Estocart, Jean Servin, Claude Le Jeune, illustre de manière spécifique l’art musical français
du XVIe siècle. L’impulsion de ce mouvement repose tout entière sur l’inspiration poétique de Marot
pour ses traductions de psaumes, qui lance un canon esthétique dont il devient difficile de se
détourner : une excellente poésie avant tout.
De là, on imagine la pâle figure de certains textes à chanter des paroliers, et la contrainte
musicale forte qui pèse sur ceux qui doivent inventer, du côté protestant, les chants d’assemblée à
une voix. Généralement très compétents dans le domaine du verbe et du son, y compris dans ce cadre
d’une austérité frappante, ils finissent par adopter une ligne commune, qui consiste à rechercher
finalement des mélodies plutôt peu marquées par le passé, voire totalement neuves. Ils quittent en
cela les modèles de chanson pieuse en français qui sont fournis par centaines dans les recueils de noëls.
Il y a tout de même plusieurs stratégies à l’œuvre : Malingre, en 1533, écrit un recueil de noëls
protestants. Mais le noël est le lieu privilégié de la contemplation de la Vierge et de l’enfant, et
l’évocation du Christ adulte n’est pas si simple, dans ce cadre. C’est ainsi que les recueils de chansons
spirituelles, ensuite, se donnent plutôt d’autres missions que le format en quelque sorte imposé par la
LES AIRS ENTRE MÉMOIRE ET IMPRIMERIE, UN PREMIER BILAN 215
déjà longue tradition du noël. Voilà, de multiples façons, comment les esthétiques ont pu se cristalliser
autour de l’utilisation –ou non- d’un air familier.
Compositeur Nombre de
chansons
Sermisy 18
Certon 17
Willaert 11
Sandrin 11
Gero 9
Josquin des Prés 9
Ninot le Petit 6
Févin (Antoine) 5
Mouton 5
Richafort 4
Descaudin 3
On reconnaît, autour de Josquin des Prés, toute une jeune génération de musiciens de la cour
de Louis XII puis de François Ier : Ninot le Petit, Févin, Mouton, Richafort, Descaudin… et au travers de
ces noms, si liés aux Pays-Bas, se dessine une sorte d’identité plutôt « bourguignonne » de la pratique
des chants alla mente (et des textes seconds). Le psautier en flamand imprimé par Simon Cock, les
Souterliedekens, contient plusieurs de nos airs171.
Adrian Willaert fait partie de ce groupe de musiciens actif en Flandre, il bénéficie très tôt de
l'imprimerie polyphonique italienne, même avant les impressions de Pierre Attaingnant. En effet, on
trouve ses productions dans les années 1520, dans les rares exemplaires qui nous sont parvenus, aux
côtés des musiciens ci-dessus et de Compère, Maistre Jan, Lupus, Brumel etc. C’est encore en Italie
qu’est imprimé un volume intitulé La Courone et Fleur des chansons à troys172 nettement orienté dans
la veine « populaire », érotique et comique que Willaert semble affectionner. Dans ce recueil,
précisément, on retrouve la quasi-totalité des auteurs qui ont visé la muse populaire. Willaert est un
musicien flamand qui fait carrière en Italie, comme de nombreux autres : l’Italie importait du Nord en
quelque sorte ses maîtres de chapelle et ses musiciens compositeurs, une situation que Willaert lui-
171
Souterliedekens. Symon Cock, Antwerpen 1540 : Sur le pont d’Avignon, Psaume 121 ; Madame la
régente, Ps. 81 ; L’amour de moy, Ps. 31 ; Le bergier et la bergière, Ps. 135 ; Languir my fault, Ps. 103 ; J’ai mis
mon cœur, Ps. 128 ; Il me suffit, Ps. 138 ; De mon triste et déplaisir, Ps 112 ; Dont vient cela, Ps. 72, Que mauldict
soit ce faulx vieillard, Ps. 95 en se limitant aux incipits français, et sans tenir compte des airs eux-mêmes.
172
[RISM 1536/1].
216 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
même a contribué à réduire par son rayonnement d’enseignant, dont atteste un de ses plus brillants
élèves, le théoricien Zarlino.
Il faut ici se souvenir des travaux de L. Bernstein173, selon qui la chanson parisienne était le fruit
d'une petite diaspora française en Italie, qui probablement popularisait également cette poésie sur
place, tout en se confrontant aux styles italiens, notamment la poésie chantée de la frottola, et les
cantasi come des laudes italiennes, le pendant des noëls français. C’est en cela qu’il retrace la double
filiation franco-italienne de la chanson parisienne. Là où cet argument est parfaitement convaincant,
c'est que ce sont précisément les sources manuscrites qui semblent plus parlantes.
Sur le plan du développement des imprimés, son intuition est très séduisante174. Sur le plan des
manuscrits, et comme l'a brillamment montré Peter W. Christoffersen, c'est vraiment le manuscrit de
Copenhague (DK-Kk ms. Ny kongelige Samling 1848, 2°) qui s’impose (20 chansons). Mais il est suivi de
près par le manuscrit 1516 de Munich D-Mbs Mus. ms. 1516 (17 chansons), celui de Florence, I-Fn ms.
Magl. XIX.117 (15 chansons), par le manuscrit GB-Cmc ms. 1760 (Pepys, 11 chansons), et bien d'autres.
Le chansonnier dit de Françoise de Foix, GB-Lbl Harley 5242, en contient 7, ce qui constitue une
proportion importante car il n’atteint pas les dimensions anthologiques de certains autres
chansonniers, tel que le manuscrit 76 a d’Uppsala (11 chansons, S-U Vokalmusik i Handskrift 76a).
L'intersection entre les noëls et les chansons spirituelles est de 41 chansons, qui représentent
deux tiers des chansons spirituelles, la moitié des noëls. Il faut ici également ne pas prendre cela pour
une rivalité, sur chaque air, entre noël et chanson spirituelle. Il s'agit de deux générations successives
d'exploration de ces possibilités. Les noëls n'ont pas disparu dans le second quart du XVIe siècle, au
moment où le domaine de la chanson spirituelle se développe. Dans nos paroliers figurent aussi
quelques chansons pieuses, qui ne semblent d’aucune sensibilité précise autre que « évangélique »,
173
Lawrence F. Bernstein, « Notes on the Origin of the Parisian Chanson », The Journal of Musicology, vol.
1, n° 3, Jul., 1982, p. 275-326.
174
La Courone est imprimée par Antico.
LES AIRS ENTRE MÉMOIRE ET IMPRIMERIE, UN PREMIER BILAN 217
au sens de l’atmosphère des entreprises du cercle de Meaux. La relation de ces airs favoris avec les
deux grands chansonniers monodiques est tout aussi intéressante.
Sur les 80 noëls, 16 sont issus des chansonniers monodiques. Les deux chansonniers mélodiques,
ne s’imposent pas de la même manière cependant : le chansonnier de Bayeux BnF Fr.9246 récolte
toutes les faveurs, plus que le chansonnier BnF Fr.12 744, qui en compte 4 à 5 de moins. Peu ou prou,
ces mélodies sont en réalité également des musiques de danse, attestées dans d'autres sources
textuelles, y compris avec des notations chorégraphiques. Les pièces des chansonniers monodiques
utilisées par les noëls sont aussi utilisées par les chansons spirituelles. Sur les 61 chansons spirituelles,
on compte 13 airs empruntés aux grands chansonniers monodiques. Là aussi, les 13 airs font partie du
manuscrit de Bayeux, mais quatre de moins dans le manuscrit BnF Fr. 12 744. Il serait sans doute
possible de faire une étude chronologique beaucoup plus fine, en observant mélodie par mélodie de
quelle manière sa faveur augmente ou diminue au fil des décennies. Pour certaines, la qualité
chorégraphique prime. On note 23 monodies du manuscrit BnF Fr.12744 reprises à un titre ou un autre
dans les paroliers, dont seulement une douzaine dans un contexte spirituel, et 13 du manuscrit BnF Fr.
9346, entièrement en contexte spirituel cette fois.
En effet l’histoire de ce répertoire et de son reflet dans les imprimés polyphoniques n'est pas
linéaire. Certains imprimés sont réellement plus investis que d'autres dans ce type de répertoire,
comme le montre la lecture du catalogue. Mais c’est aussi le cas dans d’autres domaines musicaux.
Dès les années 1530, Attaingnant imprime ainsi des partitions pour luth. Immédiatement, il les double
de versions à une voix plus luth, qui permettent à un chanteur, ou luthiste, de chanter à une voix tout
en éprenant quelques notes sur le manche. C’est ce qui se pratiquait déjà en Italie, où l’on trouve dès
le début du siècle des recueils pour voix et luth (chacun dans sa notation privilégiée). Plus tard,
progressivement, apparaissent des recueils de mélodies de chansons notées seulement à une voix,
dans la seconde moitié du XVIe siècle, et notamment le célèbre recueil Chardavoine, 1576, qui semble
ouvrir le feu176. Il manque au moins une génération de chanson (notée) à une voix entre ces deux
dates : elle est notamment comblée, c’est l’hypothèse, par les publications à une voix et instrument,
qui ordonnent la partition à plusieurs interprètes dont un chanteur. Le chanteur dispose alors des
précieuses strophes supplémentaires qu’il aurait en vain cherché dans les publications de musique de
danse instrumentale par exemple (où l’on joue à quatre parties ou seul des versions a priori sans texte),
des paroles dont la place naturelle est dans les paroliers. Ce nouveau support pour voix et instrument,
spectaculaire, remplit très bien une des fonctions essentielles du parolier, qui est la transmission du
texte strophique, donc la possibilité d’une narration – que l’on songe seulement aux chansons
militaires de nos paroliers. Une des questions intéressantes est de savoir comment les paroliers ont
accusé cette concurrence, jusqu’à quel point elle leur nuit ou les inspire.
175
Chansons a troys, Venetijs : impressum opera & arte Andree antiqui : impensis vero. D. Luce Antonij
de gjunta, 1520. (Marque de Antico), recueil RISM 1520/6, est un de ces importants recueils.
176
Il existe, depuis les débuts de l’imprimerie, des insertions lyriques en notation mesurée dans des
ouvrages divers. Il n’est ici question que de recueils de chants, hors liturgie. On n’aurait aucune peine à montrer
les liens entre la versification en latin et le chant, notamment en milieu clérical et ecclésiastique...
218 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
Cependant la nouvelle tendance est à l’écriture de même qualité à toutes les voix, en sorte
qu’aucune voix, dans le répertoire d’art, ne porte réellement l’air prédominant, ou du moins que tous
partagent l’effet. C’est ainsi qu’un nouveau format musical court sans air préexistant est devenu la
norme pour la chanson. Ce format est adapté également à des textes poétiques ramassés dans leur
expression, concis, comme peuvent l’être des aphorismes ou des épigrammes, sous forme de distiques
ou de quatrains isolés. Dans ce modèle, ce sont les formes strophiques et à refrains qui souffrent le
plus de cette évolution, en tant que forme d’une part, et sur le plan du potentiel narratif de la chanson
– ce que nous avons pu illustrer de plusieurs manières.
Il semblerait alors que les paroliers sans musique ne soient pas étrangers à la préservation de
ces sources poétiques particulières entre les années 1535 où la polyphonie savante de Janequin et
Sermisy envahit les imprimés, et les années 1575, où réapparaît un nouveau territoire musical qui en
réalité n'a jamais disparu, le chant à une voix avec des paroles premières – et secondes-, aussi nommé
vaudeville.
Mais à partir du n° 118 et jusqu’à 154, le recueil J.1535 se tourne non seulement vers les
paroliers les plus anciens, mais aussi, de manière spectaculaire, vers les deux grands chansonniers
monodiques. Jeffery souligne avec raison que les textes de ces chansons ne sont pas exactement ceux
des manuscrits BnF Fr. 12744, et BnF Fr. 9346, mais des versions légèrement divergentes, rien qui
puisse nous étonner cependant dans le domaine de la transmission de mémoire, si ce n’est qu’ici, il
s’agit probablement de transmission imprimée « fantôme », selon l’hypothèse de Jeffery : des
imprimés gothiques nous auraient échappé, entre le recueil J .90 et le recueil J.1535, et 17 nouvelles
chansons lui apparaissent. Jeffery pense que ces chansons figuraient dans des imprimés anciens
perdus. On pourrait arguer aussi, avec l’aide de spécialistes de musique traditionnelle, sur les usures
éventuellement liées à la pratique, qui auraient pu donner à ces chansons une physionomie
légèrement différente de ce qu’elle était dans les sources manuscrites.
LES AIRS ENTRE MÉMOIRE ET IMPRIMERIE, UN PREMIER BILAN 219
Enfin, cette même section (118-154) du recueil J.1535 présente des paroles issues d’un autre
manuscrit, le manuscrit dit de Vire (BnF Naf. 1274), celui-là même qui fonde toute la geste ancienne
sur Olivier Basselin (et ses Vaux-de-Vire). Sur le plan technique il s’agit d’un parolier manuscrit daté de
1581, ayant appartenu à Jean Porée, et qui contient noëls et chansons177. C’est ici que les choses
deviennent intéressantes, car il est difficile de matérialiser la persistance de ce répertoire depuis le XVe
siècle (où aurait vécu Basselin), et plus difficile encore, en musique, d’avoir une trace fiable sur la
transmission du nom de « vau de vire ». Voici une des chansons du manuscrit de Vire, Plaisante fleur
allegez le martyre, telle que transmise par le recueil J.1535 n° 120 :
Elle est précédée d’une chanson de regrets sur le Val de Vire, Quand je la voy renouveller, qui
est également commune aux trois manuscrits. À quelque distance de là, la chanson n°135, Helas Olivier
Basselin, complète le tableau virois. L’histoire d’Olivier Basselin est rétrospective à partir du manuscrit
de Jean Porée de 1581, et nous en avons ici un témoignage antérieur, intéressant. C’est d’ailleurs dans
la dernière partie de ce recueil J.1535 que l’on trouve les chansons historiques. On voit au moins que
le contexte d’une ambiance « normande » était connu des imprimeurs et de ceux qui chantaient sur
177
Armand Gasté, Noëls et vaudevires du manuscrit de Jean Porée, étude critique et historique, par
Armand Gasté, Caen, impr. de F. Le Blanc-Hardel, 1883.
220 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
les paroliers, par les paroles même des chansons, qui forment un heureux contrepoint à la En la Duché
de Normandie du manuscrit dit de Bayeux (BnF Fr. 9246). Ainsi on peut penser qu’après les noëls du
Mans et d’Angers, l’évocation du Val de Vire est devenue l’une des façons d’évoquer le chant à une
voix, le chant dans les paroliers mais aussi dans les nouveaux recueils des années 1570, peut-être par
opposition aux autres répertoires musicaux… Ce n’est qu’une hypothèse, mais les documents sont là.
Gasté ne remontait, une fois de plus, qu’en 1543 (la plaquette de Lotrian était alors largement connue,
mais moins l’ensemble édité par Jeffery). En 1535, Lotrian intègre dans son imposante anthologie une
section centrale, que rien ne vient particulièrement signaler, fondée sur une relecture de chansons
issues des deux chansonniers monodiques. Cette section n’est pas visible facilement, car la fin du
recueil est par aileurs composée de brefs quatrains. En remettant ces chansons à la disposition du
public, et en les étoffant, J.1535 a peut-être contribué à alimenter l’inspiration des musiciens et des
imprimeurs pour concevoir et développer le répertoire à une voix et instruments :
RISM 1554/4, Cinquiesme livre de guiterre, contenans plusieurs chansons à trois et quatre parties… Paris, Adrian
Le Roy, 1554. British Library.
Restituer cette capacité à chanter les strophes constituait un enjeu important, qui était en train
de redevenir central pour toutes les versifications strophiques d’une certaine ambition (dans cette
série d’ouvrages, le Cinquiesme livre est le seul à proposer cette disposition). C’est pourquoi le lien
entre le « Val de Vire » et la chanson « à texte », narrative, tel qu’on l’entrevoit au travers de
l’agencement du recueil J.1535, semble essentiel178.
Il est donc possible que les paroliers, au travers d’une pratique continue depuis la fin du XVe
siècle, aient contribué à plusieurs titres à la formation de l’idéal (polymorphe) du sujet chantant en
France au XVIe siècle. Ils témoignent d’une circulation orale ou mentale des mélodies qui constitue
l’arrière-plan de pratiques créatrices, que ce soit dans le domaine de la poésie ou de la musique. Cette
technique simple, qui dispose des mélodies que le sujet a déjà en mémoire, recèle des trésors de
possibilités au temps des mutations confessionnelles. Comme dans d’autres pays, mais en ses termes
propres, le répertoire français à une voix, que cette voix soit accompagnée d’instrument, d’autres voix,
178
Même si des vaux de vire sont publiés à quatre parties, quatre voix, on se souviendra que la partition
n’est pas prescriptive, et que différents usages en sont possibles.
LES AIRS ENTRE MÉMOIRE ET IMPRIMERIE, UN PREMIER BILAN 221
ou en assemblée, est nettement marqué par cette haute époque du début du siècle où dans les
mémoires l’air le disputait à la chanson.
Bibliographie
Répertoires et catalogues :
Christian Meyer, Sources manuscrites en tablature : Luth et théorbe, c.1500 - c.1800 : catalogue descriptif par François-
Pierre Goy, Christian Meyer, Monique Rollin, Baden-Baden, Editions Valentin Koerner , 1991- 1999, 4 vol.
BLOCK, Adrienne F., The Early French parody Noël, Ann Arbor, Mich., Umi Research Press, 1983.
BORDIER, Henri-Léonard, Le Chansonnier Huguenot du XVIe siècle, Paris, Librairie Tross, 1870, [Bordier].
BROWN, Howard M., Theatrical Chansons of the Fifteenth and Early Sixteenth Centuries, Cambridge (Mass.), Harvard Univ.
Press, 1963, [Brown ThM].
BROWN, Howard M., Instrumental Music printed before 1600, A Bibliography, Cambridge (Mass.,), Harvard University press,
1965, [Brown IM].
BROWN, Howard M., Music in the French secular theater, 1400-1550, Cambridge, Harvard University Press, 1963, [Brown Th].
BRUNET, Jacques-Charles, Le Manuel du libraire et de l'amateur de livres Ressource électronique, Saint-Cloud, LACF éditions,
2005.
CHAMPAGNE, Edith et LAFORTE, Conrad, Le Catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l'Université
Laval, 1982.
FALLOWS, David, An Catalogue of the polyphonic song, 1415-1480, Oxforf, OUP, 1999. Mises à jour en ligne
<http://personalpages.manchester.ac.uk/staff/david.fallows/appendix.pdf>
Le manuscrit dit des Basses danses de la Bibliothèque de Bourgogne / introduction et transcription par Ernest Closson,
Bruxelles, s. n., 1912.
COIRAULT, Patrice, DELARUE, Georges, FÉDOROFF,Yvette et WALLON,Simone, Répertoire des chansons françaises de tradition
orale, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996- .
FERY-HUE, Françoise, Cent cinq rondeaux d'amour. Un roman dialogué pour l'édification du futur François I er, Turnhout,
Brepols, 2012 (Europa Humanistica, Du manuscrit à l'imprimé, 1), 415 p.
MEYER, Christian, Sources manuscrites en tablature : Luth et théorbe, c.1500 - c.1800 : catalogue descriptif par François-Pierre
Goy, Christian Meyer, Monique Rollin, Baden-Baden, Editions Valentin Koerner, 1991- 1999, 4 vol.
LE ROUX DE LINCY, Antoine, Recueil de chants historiques français depuis le XIIe siècle jusqu'au XVIIIe siècle, Paris, libr. Ch.
Gosselin, 1872-1873.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE 223
PICOT, Émile, Recueil de pièces historiques imprimées dans les provinces françaises au XVIe siècle, Paris, Pour la Société des
bibliophiles françois, 1913.
RÉZEAU, Pierre, Les Noëls en France aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, ELIPHI, 2013.
ULLBERG, Anne, Au chemin de salvation. La chanson spirituelle réformée, 1533-1678, Uppsala, Uppsala Universitet, 2005.
Études
BERNSTEIN, Lawrence F., « Notes on the Origin of the Parisian Chanson », The Journal of Musicology, vol.1, n°3, 1982, p. 275-
326.
BERNSTEIN, Lawrence F., « The "Parisian Chanson": Problems of Style and Terminology », Journal of the American
Musicological Society, vol.31, n°2, 1978, p. 193-240.
BETTENS, Olivier, « Le grand mariage des rimes, sous le regard de Poësie et Musique », Poésie et Musique à la Renaissance,
dir. O. Millet et A. Tacaille, Paris, Centre V.-L. Saulnier, PUPS, 2015, p. 105-124.
BILLIET, Frederic, « Le cantus firmus énigmatique dans le répertoire polyphonique dit franco-flamand The enigmatic cantus
firmus in the so-called Franco-Flemish repertoire », dans Itinéraires du cantus firmus. III: De la théorie à la pratique, Paris,
Presses de 'lUniversité de Paris-Sorbonne, 1999, p. 71-85.
BILLIET, Frédéric, « Le cantus firmus profane issu du Manuscrit de Bayeux / The secular cantus firmus derived from the Bayeux
Manuscript », dans Itinéraires du cantus firmus. II: De l'Orient à l'Occident, Paris, France, Université de Paris IV [Paris-
Sorbonne], 1995.
BLOCK, Adrienne F., Pierre Sergent's "Les grans Noelz" ca. 1537 and the Early French Parody Noël, PhD, City University of New
York, 1979.
BONFONS, Nicolas, Sommaire de tous les recueils des chansons, tant amoureuses, rustiques, que musicienes, comprinses en
quatre livres. Adjousté plusieurs chansons nouvelles, non encores mis en lumiere. Livre premier, À Paris, par Nicolas Bonfons,
1585.
BONFONS, Nicolas, Le Recueil des plus excelentes chansons, composees par divers poëtes francois. Livre second, À Paris, par
Nicolas Bonfons. 1585.
BORDIER, Henri-Léonard, Le chansonnier huguenot du XVIe siècle, Genève, Slatkine reprints, 1969, [Bordier/R].
BROTHERS,Thomas D., « Two "Chansons Rustiques à 4" by Claudin de Sermisy and Clément Janequin », Journal of the
American Musicological Society, vol.34, n° 2, 1981, p. 305-324.
BROWN, Howard M., « Chansons for the Pleasure of a Florentine Patrician. Florence, Biblioteca del Conservatorio di Musica,
Ms. Basevi 2442 », dans LaRue, Jan (dir.), Aspects of Medieval and Renaissance Music. A birthday offering to Gustave Reese
Edited by Jan Larue, Cape Town, Oxford University Press, 1967, p. 56-66.
BROWN, Howard, « The "Chanson rustique": Popular Elements in the 15th- and 16th-Century Chanson », Journal of the
American Musicological Society, vol.12, n°1, 1959, p. 16-26.
BROWN, Howard M., « A "New" Chansonnier of the Early Sixteenth Century in the University Library of Uppsala: A Preliminary
Report », Musica Disciplina, vol.37, 1983, p. 171-233.
BROWN, Howard M., « The Music of the Strozzi Chansonnier. (Florence, Biblioteca del Conservatorio di Musica, MS Basevi
2442) », Acta Musicologica, vol.40, n°2/3, 1968, p. 115-129.
224 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
BROWN, Howard M., « Music and ritual at Charles the Bold's court: The function of liturgical music by Busnoys and his
contemporaries », dans Antoine Busnoys: Method, meaning, and context in late medieval music., United States, 0, p.53-57.
CAZAUX, Christelle, La Musique à la cour de François Ier, Paris, École nationale des Chartes, [Tours], Centre d'études
supérieures de la Renaissance, 2002.
CAZAUX, Christelle, La Musique à la Cour de François Ier, un art au service de la politique, [S.l.], Ecole Nationale des Chartes,
thèse, 1997.
CHRISMAN, Miriam U., Strasbourg and the Reform: A Study in the Process of Change, Ann Arbor (Mich.), UMI books on
demand, 1998.
CHRISMAN, Miriam U., L'Imprimerie et l'évolution de la culture laique à Strasbourg, 1480-1599, S.l., s.n., 1985.
CHRISMAN, Miriam U., Lay Culture Learned Culture : Books and Social Change in Strasbourg, 1480-1599, New Haven London,
Yale university press, 1982.
CHRISMAN, Miriam U., Bibliography of Strasbourg Imprints, 1480-1599, New Haven ; London, Yale university press, 1982.
CHRISTOFFERSEN, Peter W., French Music in the Early Sixteenth Century. Studies in the Music Collection of a Copyist of Lyons :
The Manuscript Ny KGL. Samling 1848 2° in the Royal Library Copenhagen, Copenhagen, Museum Tusculanum Press, 1994.
CŒURDEVEY, Annie, « Josquin des Prés, Nymphes des bois, déploration sur la mort de Johannes Ockeghem : de l'étude des
sources à l'analyse », Musurgia, vol.7, n°3/4, 2000, p. 49-81.
CŒURDEVEY, Annie, « La celebration du vin dans la chanson polyphonique a la Renaissance The celebration of wine in
Renaissance polyphonic song », dans "La musique, de tous les passetemps le plus beau..." : Hommage a Jean-Michel Vaccaro,
Paris, Klincksieck, 1998, p. 67-88.
COIRAULT, Patrice, Formation de nos chansons folkloriques..., Paris, Éditions du Scarabée (Mesnil, impr. de Firmin-Didot),
1953.
COIRAULT, Patrice, Recherches sur notre ancienne chanson populaire traditionnelle, Vannes, impr. Lafolye frères et Cie, 1928
(exposés I-IV). Genève, Droz, 1933 (exposé V).
COIRAULT, Patrice, Recherches sur l'ancienneté et l'évolution d'anciennes chansons populaires françaises de tradition orale,
par M. Patrice Coirault, Paris, 1928.
CRANE, Frederick, « The Derivation of Some Fifteenth-Century Basse-Danse Tunes », Acta Musicologica, vol.37, n° 3/4, 1965,
p. 179-188.
DOBBINS, Frank, « Recueils collectifs de musique et de poésie, dans Le Poète et son œuvre : De la composition à la publication.
Actes du colloque de Valenciennes (20-21 mai 1999), éd. Jean-Eudes Girot, Genève, Droz, 2004, p. 147-172.
DOBBINS, Frank , « Poetry born for Music, Recent Recordings of French Chansons », Early music, 23(3), 1995, p. 517-518.
DONCIEUX, Georges et TIERSOT, Julien, Le romancéro populaire de la France, Paris, E. Bouillon, 1904.
DOUCET, Roger, Les bibliothèques parisiennes au XVIe siècle, Paris, A. et J. Picard, 1956.
DOUEN, Emmanuel-Orentin, Clément Marot et le Psautier huguenot, Paris, Impr. Nationale, 1878-1879.
DROZ, Eugénie, Poètes et musiciens du XVe siècle, Genève, Slatkine Reprints, 1976, [Droz Poètes].
DUYSE, Florimond V., Het oude Nederlandsche lied, 's-Gravenhage, M. Nijhoff, 1903-08.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE 225
FALCK, Robert, « Parody and Contrafactum: A Terminological Clarification », The Musical Quarterly, vol.65, n°1, 1979, p. 1-
21.
GASTÉ, Armand, Noëls et vaudevires du manuscrit de Jean Porée, étude critique et historique, par Armand Gasté, Caen, impr.
de F. Le Blanc-Hardel, 1883.
GASTOUÉ, Amédée, Le Cantique populaire en France. Ses sources, son histoire augmentés d'une bibliographie générale des
anciens cantiques et noëls, Lyon, Janin, 1924.
GEROLD, Théodore, Le manuscrit de Bayeux, texte et musique d'un recueil de chansons du XVe siècle, Genève, Minkoff reprints,
1971.
GÉROLD, Théodore, Chansons populaires des XVe et XVIe siècles avec leurs mélodies, Strasbourg, J. H. E. Heitz, 1913.
HALÉVY, Olivier, HIS, Isabelle et VIGNES, Jean, Clément Janequin, Paris, Société française de musicologie, 2013.
HALÉVY, Olivier, « Mirelaridon don don : La poétique des tralalas dans la chanson française entre 1520 et 1550 », Poésie et
Musique à la Renaissance, dir. O. Millet et A. Tacaille, Paris, Centre V.-L. Saulnier, PUPS, 2015, p. 91-104.
GIROT, Jean-Eudes, « La poésie française et les premiers recueils de chansons publiés par Pierre Attaingnant (1528-1534) »,
dans Poésie et Musique à la Renaissance, dir. O. Millet et A. Tacaille, Paris, Centre V.-L. Saulnier, PUPS, 2015, p. 27-46.
HARISSE, Henry, Bibliographie de quatre cents pièces gothiques françaises, italiennes et latines du commencement du XVI e
siècle, Paris, H. Welter, coll. « Excerpta Colombina », 1887.
HEARTZ, Daniel, Pierre Attaingnant Royal Printer of Music, A Historical Study and Bibliographical Catalogue, Berkeley, Los
Angeles, University of California press, 1969.
Harmonice Musices Odhecaton A, éd. Helen Hewitt, Studies and Documents vol. 5 , Cambridge, Mass., Mediaeval Academy
of America, 1942.
HONEGGER, Marc, « La place de Strasbourg dans la musique au XVIe siècle », International Review of the Aesthetics and
Sociology of Music, vol.13, n° 1, 1982, p. 5-19.
KOOPMANS, Jelle, Recueil de sermons joyeux, Genève, Droz [Paris] [diff. Champion-Slatkine], 1988.
LAFORTE, Conrad, Survivances médiévales dans la chanson folklorique poétique de la chanson en laisse, Québec, Presses de
l'Université Laval, 1981.
LAFORTE, Conrad, Poétiques de la chanson traditionnelle française. Classification de la chanson folklorique française, Sainte-
Foy, Presses de l'Université Laval, 1993.
LAFORTE, Conrad et KELHER, Robert, Chansons de facture médiévale retrouvées dans la tradition orale répertoire recueilli de
1852 à nos jours Conrad Laforte précédé d'une Analyse des mélodies canadiennes des chansons en laisse, [Québec], Nuit
blanche éd, 1997.
LANGLOIS, Ernest, Recueil d'arts de seconde rhétorique, [1902], Genève, Slatkine, 1974.
LE GALL, Jean-Marie, Les moines au temps des Réformes, Paris, Champ Vallon, coll. «Époques», 2001.
226 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER
LESURE, François et THIBAULT, Geneviève, Bibliographie des éditions d'Adrian Le Roy et Robert Ballard... par F. Lesure et G.
Thibault, Paris, Heugel, 1955.
LIPPHARDT, Walther, « Adam Reissners handschriftliches Gesangbuch von 1554 als Quelle deutscher Volksliedweisen des 16.
Jahrhunderts », Jahrbuch fur Volksliedforschung, vol.12, 1967, p. 42-79.
LÖPELMANN, Martin, Die Liederhandschrift des Cardinals de Rohan (XV. Jahrh.), Göttingen, Gesellschaft für romanische
Literatur Halle a.S M. Niemeyer, 1923.
MANIATES, Maria R., « Combinative Chansons in the Dijon Chansonnier », Journal of the American Musicological Society,
vol.23, n°2, 1970, p. 228-281.
MANIATES, Maria R., « Mannerist Composition in Franco-Flemish Polyphony », The Musical Quarterly, vol.52, n°1, 1966, p. 17-
36.
Marguerite de Navarre, Chansons spirituelles. Édition critique par Georges Dottin. Genève, Droz, et Paris, Minard, 1971,
(Textes littéraires français, 178).
MEYER-BAER,Kathi, « Some Remarks on the Problems of the Basse-Dance », Tijdschrift der Vereeniging voor Noord-
Nederlands Muziekgeschiedenis, vol.17, n°4, 1955, p. 251-277.
MILLET, Olivier, Calvin et la dynamique de la parole. Essai de rhétorique réformée, Paris, [s.n.], 1990.
MONTAIGLON, Anatole de, Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, Paris, P. Jannet A. Franck P. Daffis, 1855-1878.
MÖZERITZ, Annekatrin, Die Weise des Böhmischen Brüder von 1531. Eine stil- und Kritische Untersuchung des nichtliturgischen
Melodien des Gesangbuches von Michael Weisse, Bonn, 1990, PhD 1989.
OUVRARD, Jean P., « Les jeux du mètre et du sens dans la chanson polyphonique francaise du XVIe siecle (1528-1550), Revue
de musicologie, vol.LXVII, n°1 5-34, 1981.
Poétiques de la Renaissance : le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au XVIe siècle, éd.
Perrine GALAND-HALLYN, Fernand HALLYN, Genève, Droz, Coll. Travaux d'Humanisme et Renaissance, 348.
PACKER, Dorothy S., « Au Boys de dueil and the Grief-Decalogue Relationship in Sixteenth-Century Chansons », The Journal
of Musicology, vol.3, n°1, 1984, p. 19-54.
PINON, Roger, « Philologie et Folklore Musical. Les Chants de Pâtres avant leur Émergence Folklorique », Jahrbuch für
Volksliedforschung, vol.12, 1967, p. 141-172.
RAHN DOUGLAS, Jay P., Melodic and textual types in French monophonic song ca. 1500, PhD, [S.l.], 1978.
RAYNAUD, Gaston, Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, Paris, Firmin Didot, 1889.
SEWRIGHT, Kathleen F., Poetic anthologies of fifteenth-century France and their relationship to collections of the French
secular polyphonic chanson, United States, North Carolina, The University of North Carolina at Chapel Hill, 2008.
SMITS VAN WAESBERGHE, Joseph, A Textbook of Melody. A Course in Functional Melodic Analysis, [S.l.], American Institute
of Musicology.
TIERSOT, Julien, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises, Marseille, Laffitte, 1979.
TIERSOT, Julien, Histoire de la chanson populaire en France [1899], Genève, Minkoff, 1978.
WECKERLIN, Jean-Baptiste, L'ancienne chanson populaire en France (16e et 17e siècle), Paris, Garnier, 1887.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE 227
WOETMANN CHRISTOFFERSEN, Peter, French music in the early sixteenth century: Studies in the music collection of a copyist
of Lyons, the manuscript Ny kgl. Samling 1848 20 in the Royal Library, Copenhagen, København, Germany, Københavns
Universitet (Museum Tusculanum), coll. « (No. of volumes: 3) », 1994.
Index
Agricola Vol. 2 p. 13
Alexander Vol. 2 p. 13
Arnoullet
Beaulieu Vol. 2 p.
Bedingham 87
Briçonnet 175
Caignet Vol. 2 p. 7
Carlay Vol. 2 p. 57
Carpentras Vol. 2 p. 79
Certon Vol. 2 p. 18, 21, 32, 35, 36, 62, 145, 174, 193, 196, 203, 250, 255
Courtois Vol. 2 p. 96
Du Fail Vol. 2 p. 7
Dufay Vol. 2 p. 87
Dulot Vol. 2 p. 54
Févin 15, 176, 217 Vol. 2 p. 18, 113, 126, 147, 215, 225
Fontaine Vol. 2 p. 95
Gardane Vol. 2 p.
Gherarde Vol. 2 p. 31
Ghiselin Vol. 2 p. 26
Giliardi Vol. 2 p. 62
Gombert, Nicolas Vol. 2 p. 31, 72, 113, 181, 215, 216, 243
Hollander Vol. 2 p. 58
Honegger 23
Josquin Vol. 2 p. 78, 79, 85, 87, 126, 137, 139, 143, 184, 185, 209, 215
L’héritier Vol. 2 p. 79
Lasson Vol. 2 p. 79
Le Jeune Vol. 2 p. 27
Lemeignen 69, 70
Marot, Clément 8, 11, 12, 41, 44,45, 54, 91, 93, 96, 101, 113, 124, 160, 163 ; 164-168, 176, 214-
216, 220, 226, 228 ; Vol. 2 p. 41, 58, 72, 103, 105, 107, 133, 164, 181, 207, 243, 255, 270
Nyverd 11, 37
Nourry 11, 40-41, 44, 63-66, 93, 110, 124, 131-134, 139, 180, 200
Parducci Vol. 2 p. 85
Pogue 72
Rézeau, Pierre 8, 22, 36, 47, 65, 72, 150, 163, 175, 191, 207
Sermisy Vol. 2 p. 36, 37, 58, 72, 73, 94, 103, 105, 107, 113, 121, 135, 145, 153, 173, 181, 239,
243, 247, 250, 255, 262
Verbonnet Vol. 2 p. 26
Vyzeto Vol. 2 p. 85
Willaert Vol. 2 p. 26, 27, 28, 68, 112, 126, 129, 181, 187, 200, 215, 230, 240, 241, 265
Table des matières
Les chants non notés, sources, usages, relations à l’imprimerie polyphonique......................... 11
Une musique savante dans tous les domaines ................................................................... 12
Un réservoir de mélodies distinctes des partitions polyphoniques, dans le registre savant de
la musique ?................................................................................................................................... 13
Modes d’insertion des mélodies populaires dans les compositions polyphoniques............ 14
Musiques modestes ............................................................................................................ 15
Populaire…et en dehors de l’écrit musical. ......................................................................... 15
De nouveaux supports les accompagnent .......................................................................... 16
Questions de forme poétique ............................................................................................. 16
I - Air et chanson: des recueils aux contenus .............................................................................. 19
Paroliers .............................................................................................................................. 19
Un corpus voisin : les noëls ................................................................................................. 21
Une convergence ................................................................................................................ 22
Etat de l’art, outils et méthodes ............................................................................................. 24
Se représenter l’objet ......................................................................................................... 25
Les risques inhérents à la reconstitution musicale ............................................................. 30
Le son et sa trace................................................................................................................. 31
Répertoires et catalogues ....................................................................................................... 32
II - Les recueils ............................................................................................................................. 39
Paroliers .................................................................................................................................. 39
Noëls ....................................................................................................................................... 46
Chansons spirituelles............................................................................................................... 50
Plaquettes isolées ................................................................................................................... 51
Corrections, typographie ........................................................................................................ 51
Recueils Jeffery :...................................................................................................................... 54
Première période ................................................................................................................ 54
Deuxième période : ............................................................................................................. 54
Troisième période ............................................................................................................... 54
Plaquettes isolées (autres paroliers) ................................................................................... 55
Noëls :...................................................................................................................................... 55
Manuscrits (cat. Rézeau). .................................................................................................... 56
Imprimés (cat. Rézeau et addenda) .................................................................................... 56
Mauscrits et recueils imprimés Rézeau-Block : .................................................................. 57
236 L’AIR ET LA CHANSON : LES PAROLIERS SANS MUSIQUE NOTÉE AU TEMPS DE FRANÇOIS IER