Résilience Et Schizophrénie
Résilience Et Schizophrénie
Résilience Et Schizophrénie
Résilience et Schizophrénie
Sarra Samra Benharrats (ép. Mebarki)1
Maître-assistante (psychiatrie), doctorante
Résumé :
La schizophrénie est la pathologie mentale la plus invalidante. C’est une psychose chronique fréquente
touchant par excellence la tranche jeune de la société et provoquant des situations de déséquilibre
socioprofessionnel qui peuvent entraver l’avenir de la personne atteinte de cette maladie. Peu sont ceux qui
sont touchés par ce trouble et qui peuvent arriver à avoir une stabilité dans leurs vies sociales. Cette stabilité
est la finalité recherchée dans tout processus de résilience entrepris par le sujet et ses thérapeutes.
La résilience est souvent corrélée au traumatisme. Il s’agit d’un concept peu traité dans les psychoses
notamment la schizophrénie, car cette dernière est souvent considérée comme une pathologie mentale
chronique non traumatique. Mais il semble que c’est la pathologie la plus traumatique pour la personne et
son entourage sur le plan mental, du fait de sa chronicité et la souffrance qu’elle provoque.
Dans ce travail nous exposons les facteurs personnels et environnementaux des cas de patients
schizophrènes que nous prenons en charge, qui ont réussi à intégrer ou à maintenir une vie
socioprofessionnelle stable. Et ce, au détriment de leurs maladies considérées comme la cause de
l’apparition de dysfonctionnement dans la vie de la personne. Ce travail s’inscrit dans un objectif d’exposer
certaines capacités de patients schizophrènes que nous considérons comme résilients, et que nous pouvons
prendre comme exemple dans notre prise en charge des patients atteints de troubles mentaux et pour dire
que la résilience ne s’oppose pas à la schizophrénie.
Mot clés : schizophrénie, résilience, vie socioprofessionnelle.
:ملخص
إنه ذهان مزمن متكرر يؤثر بامتياز على شريحة الشباب في المجتمع.الفصام هو أكثر األمراض العقلية تأثيرا على اإلنسان
وعدد قليل منهم يتأثر بهذا.ويسبب حاالت اختالل اجتماعي ومهني يمكن أن يعيق مستقبل الشخص المصاب بهذا المرض
هذا االستقرار هو النهاية المطلوبة في أي عملية من االسترجاع.االضطراب ويمكن أن يحقق االستقرار في حياته االجتماعية
.التي يضطلع بها هذا الشخص ومعالجيه
ألن، وهو مفهوم قليل التعاطي في الذهان بما في ذلك الفصام.وغالبا ما ترتبط القدرة على االسترجاع بالصدمات النفسية
ولكن يبدو أن هذا المرض هو أكثر األمراض الصادمة.هذا األخير يعتبر في كثير من األحيان مرض عقلي مزمن غير صادم
. بسبب طبيعته المزمنة والمعاناة التي يسببها،للشخص والمحيط المرافق له على المستوى العقلي
والذين تمكنوا من االندماج أو،نحاول في هذا العمل أن نكشف العوامل الشخصية والبيئية للمرضى بالفصام المتابعين لدينا
. على حساب أمراضهم التي تعتبر السبب في ظهور خلل في حياتهم الشخصية، وهذا.الحفاظ على حياة اجتماعية مهنية مستقرة
ويمكننا استخدامهم كمثال،ويهدف هذا العمل إلى الكشف عن بعض قدرات مرضى الفصام ممن نعتبرهم نتاجا جيدا لالسترجاع
. ونقول أخيرا أن االسترجاع ال يناقض الفصام،في تكفلنا بالمرضى الذين يعانون من اضطرابات نفسية
. الحياة االجتماعية المهنية، االسترجاع، الفصام:الكلمات المفتاحية
1
Faculté de médecine d’Oran, EHS de Sidi Chami d’Oran, benharrats.sarra@univ-oran1.dz
Université d’Oran 2 – Mohamed ben Ahmed, benharrats.sarra@univ-oran2.dz
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Introduction
La résilience est un terme français, issu du latin resilientia2, employé dans le contexte
de la métallurgie et qui signifie « la capacité à retrouver son état initial suite à un choc
ou une pression continue », ce qui explique la capacité à absorber l’énergie cinétique sans
se rompre (Lanteri, Mounier, & Terrade, 2002-2005; Anaut, 2005). Cette définition a été
translatée à celle de la résilience en psychologie et calquée aux mécanismes mentaux de
la personne en état de traumatisme et de souffrance psychologique. Ces mécanismes
reflètent un état de reconstruction positive suite à un événement dit négatif.
A travers cet article, nous exposons ces deux concepts importants : la schizophrénie
et la résilience qui sont rarement associés. Nous allons insister sur les facteurs et les
éléments en faveur d’une résilience chez les patients schizophrènes à travers des cas de
patients suivis à l’EHS3 de Sidi Chami d’Oran.
Le schizophrène résilient
La schizophrénie est une psychose chronique qui représente la maladie mentale la plus
fréquente et la plus invalidante en particulier chez le sujet jeune (APA, 2013; Mendez,
Gunten, & Antunes, 2015). Les études épidémiologiques estiment la prévalence de cette
2
Dans le dictionnaire historique français, résilier vient de l’ancien français : re (mouvement arrière ou
retrait) et salire (sauter ou bondir).
3
EHS : Etablissement Hospitalier Spécialisé.
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maladie à un taux de 1 à 1,7% de la population mondiale sans distinction entre les deux
sexes ou l’ethnie du sujet (J.D.Guelfi & F.Rouillon, 2007; Kacha, 2015).
Elle a été classée par l’OMS4 parmi les dix premières pathologies qui entrainent le
plus d’invalidité notamment par ses rechutes (Lopez, 1996; Benharrats, 2016). Elle est
considérée également comme un facteur majeur dans la survenue de précarité et de
désocialisation suite aux situations de déséquilibre et d’instabilité socioprofessionnelle
qui peuvent entraver l’avenir de la personne atteinte de cette maladie (Guelfi & Rouillon,
2007).
Le mot schizophrénie est tiré du mot grec « skhizein » qui signifie scission, et
« phren » qui signifie esprit. Une définition qui traduit en partie le rapport du sujet avec
son monde environnant. Elle est vue comme « la grande énigme de la psychiatrie »
comme le disait P. Pichot5, avec tout ce qu’elle suscite comme questionnements sur ses
causes et son devenir.
La schizophrénie est rarement liée au traumatisme, car il s’agit d’une maladie mentale
chronique non traumatique. Cette maladie n’est pas répertoriée parmi les troubles liés aux
traumatismes et au stress dans les classifications psychiatriques en vigueur comme les
troubles de stress post-traumatiques (PTSD6) et les troubles d’adaptation7 (APA, 2013).
Ce qui renforce encore cette orientation, est le fait que le schizophrène est dans le déni de
sa pathologie, et que cette même pathologie n’est pas la conséquence d’un processus
traumatique externe exclusif. De ce fait, la résilience est un concept exceptionnellement
traité dans la question de la psychose y compris la schizophrénie.
4
OMS : Organisation Mondiale de la Santé.
5
Pierre Pichot (1918) : Professeur honoraire de psychiatrie à l'Université Paris 5, neuropsychiatre,
auteur de textes médicaux. Ancien président de l'Association mondiale de psychiatrie.
6
PTSD : Post-Traumatic Syndrome Disorder.
7
Antérieurement appelé dépression réactionnelle.
8
Philippe Pinel (1745 -1826) médecin français renommé comme aliéniste précurseur de la psychiatrie
et accessoirement zoologiste. Il œuvre pour l'abolition de l'entrave des malades mentaux par des chaînes et
plus généralement pour l'humanisation de leur traitement. On lui doit la première classification des maladies
mentales.
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Néanmoins, chaque thérapeute doit avoir dans l’esprit que la résilience est un
processus qui peut passer par une phase de révolte faite de comportements antisociaux et
à risque, tel que la consommation de toxiques, souvent rencontrés dans notre pratique
notamment face aux patients schizophrènes (Anaut, 2009). Ces conduites doivent être
vues comme transitoires ou être façonnées comme telles par le thérapeute en vue de
dépasser la crise du sujet face à sa maladie ou à son traumatisme. Ceci se réalise par la
parole, car c’est la représentation du trauma et de la souffrance par le sujet qui permet son
dépassement (Cyrulnik B. , 2015; Aghababiana, et al., 2003). En outre, le thérapeute doit
permettre au sujet pour qu’il soit résilient, d’user de ses mécanismes de défense pour avoir
un comportement adapté et adéquat à son existence sociale et à sa reconstruction de soi
face à la souffrance (Psiuk, 2005; Anaut, 2004).
9
Etablissement psychiatrique à Oran, où l’auteure exerce depuis l’an 2013, en tant qu’assistante, ensuite
maitre-assistante hospitalo-universitaire spécialiste en psychiatrie.
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A la découverte de la résilience
Nous citons le cas de K. L. âgé de 27 ans, à qui on a diagnostiqué la maladie à l’âge
de 21 ans. L’apparition de la maladie a été le point de rupture d’une biographie qui
semblait être ordinaire aux yeux de K. L. et de sa famille. Elle a transformé et réorganisé
leur mode de vie imposant un suivi permanent avec des consultations régulières, une
observance thérapeutique continue et un regard incertain vers l’avenir.
Il lui a fallu trois années de suivi pour atteindre un état de stabilité mentale. Durant
cette période, K.L. posait des questions sur sa maladie, et sur les moyens de prise en
charge à l’opposé d’autres malades qui restent souvent dans le déni de leur pathologie.
Des questions qui semblaient ordinaires et de routine pour le thérapeute mais pas pour
K.L. qui a déclaré par la suite que « les réponses m’ont permis de voir et de tracer mon
avenir ».
Malgré trois épisodes de rechute accompagnés d’hospitalisations de durées variées, le
sujet s’est accroché à son cursus d’étude et n’a pas abandonné son statut
socioprofessionnel. En se soumettant à la réalité de sa maladie chronique, longtemps
déniée par la société et sa famille, il décide de continuer ses études universitaires, il a pu
décrocher son diplôme à l’âge de 25 ans et a pu travailler avec actuellement. Il dit que :
« la schizophrénie est une maladie handicapante si on veut qu’elle le soit… La société
pense que si on a cette maladie, on a plus notre cerveau et on ne sert à rien…, je pense
qu’on peut donner plus que quiconque, il faut juste trouver comment et quand ».
Effectivement, la résilience serait le résultat d’un équilibre, en constante évolution,
entre les facteurs de risque liés à la vulnérabilité du patient et les facteurs de protection
liés à son environnement social (Rutter, 2002). Ce qui renvoie au fait qu’il s’agit de «
processus sociaux et intrapsychiques, lesquels prennent place à travers le temps et en
fonction des combinaisons des différents attributs de l’enfant, de la famille et des
environnements sociaux et culturels» (Theis, 2006).
Le deuxième cas d’étude dans notre article concerne la patiente F.B. âgée de 31 ans,
célibataire, schizophrène depuis l’âge de 25 ans. Elle a toujours été soutenue par sa
famille, principalement ses parents qui ne comprenaient pas vraiment les causes de cette
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maladie et pourquoi elle a "touché" leur fille. Ils voyaient que cette maladie et
surmontable et que leur fille doit vivre comme les autres.
Cette situation n’a pas empêché la patiente de chercher la stabilité et le meilleur pour
sa vie, et sa famille était là pour l’aider. Elle a pu surmonter sa maladie et intégrer le
monde professionnel grâce au soutien familial. Ses parents lui ont permis de travailler et
de réaliser une partie de son rêve, celui d’avoir un atelier de couture et de produire ce
qu’elle appelle « ses merveilles ».
Ce cas reflète que la résilience est un processus individuel réalisable avec le soutien
de l’entourage qui peut être source d’énergie positive pour pouvoir continuer sa vie
malgré les difficultés de la maladie. En effet, la résilience résulte de « l’interaction entre
l’individu lui-même et son entourage, entre les empreintes de son vécu antérieur et le
contexte du moment en matière politique, économique, sociale, humaine » selon M.
Manciaux10 (Manciaux, 2001).
Ici, la famille assure le rôle du « tuteur de résilience » selon l’expression de Boris
Cyrulnik11, le rôle qui est souvent endossé par le thérapeute. Cette même famille contribue
au processus de résilience, se conférant le caractère de résiliente à la douleur psychique
d’un membre malade, élément fidèlement décrit et définit précédemment par M.
Manciaux.
La résilience est un processus qui prend appuie sur trois types de ressources : d’ordre
interne propre au sujet, d’ordre familial et d’ordre relevant du contexte socio-
environnemental.
Les deux patients suscités sont passés par plusieurs phases en rapport avec la
résilience pour atteindre la stabilité psychique et sociale au détriment de leurs maladies.
La première phase étant la confrontation au trauma ou au contexte aversif, par les
questions posées, dans le but de la compréhension de leurs maladies. Toujours dans cette
10
Michel Manciaux : est un professeur émérite de Pédiatrie sociale et de Santé publique. Membre du
Comité d’experts de l’OMS en santé de la famille.
11
Boris Cyrulnik (1937 à Bordeaux) : est un neuropsychiatre français. Il est connu pour avoir vulgarisé
le concept de « résilience » (renaître de sa souffrance) qu'il a tiré des écrits de John Bowlby.
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Conclusion :
La résilience en schizophrénie n’est pas une utopie. C’est un potentiel présent
chez tous les sujets atteints de cette maladie. Le pouvoir de la résilience qu’a toute
personne, doit être pris en compte dans la prise en charge de tout thérapeute face à la
maladie mentale, qui permettra au patient d’avoir une vie meilleure en cherchant et en
épuisant ses ressources internes et environnementales dites socio-familiales. Définissant
ainsi un processus dynamique qui donne au sujet le pouvoir de renaître de sa souffrance
et d’être un membre actif à part entière de la société.
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Référence :
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