Dissertation Lecture Altérité
Dissertation Lecture Altérité
Dissertation Lecture Altérité
En 1492, la découverte d'un nouveau monde suscitera l'émoi de l’Europe, aussi bien pour ses
terres et ses richesses, que pour ses habitants. Il s'agit certainement de la plus grande expérience
d'altérité qu'ait pu faire l'homme à ce jour, si bien que l'occident s'était résolu à débattre de
l'humanité de ceux de l'autre monde. Pourtant, ceux là avaient bien une culture et des arts, ce qui,
selon Platon dans sa République, était spécifique à l'humain. Parmi ces arts, le plus universel d'entre
eux est certainement la littérature, constituant ainsi une passerelle entre l'autre et soi-même. On
peut donc se demander en quoi la lecture, l'expérience de la littérature procure-t-elle une expérience
d'altérité, ce contact avec l'autre. Ainsi on peut rechercher les différentes formes d'altérité que l'on
retrouve dans cet art. Nous verrons donc dans un premier temps le rapport à l'auteur, dans un
second, l'autre que peut constituer les éléments intra-diégétiques, et enfin de quelle manière cela
peut nous changer et en un sens, nous rendre autre.
La première forme d'altérité qui paraît assez évidente lorsque l'on lit une œuvre se retrouve
en la personne de l'auteur. En effet, à travers les lignes, c'est lui qui s'exprime, peut nous donner un
enseignement, s'inspire de sa vie, tente des expériences littéraires, et parfois, réfléchit avec le
lecteur, à travers une réflexion progressive et construite.
En effet, un auteur peut avant tous simplement nous donner un enseignement. Il peut ainsi
nous donner une morale, une leçon, ce que l'on observe beaucoup dans les contes, les contes
philosophiques ou les fables. L'auteur tente par là même de nous inciter à adopter des principes qu'il
estime bénéfique pour la société ou pour nous. On peut par exemple citer les fables innombrables de
l'apologue Jean De La Fontaine tel que La Le lion et le rat, ou encore Le lièvre et la tortue, qui nous
enseignent respectivement que "patience et longueur de temps valent mieux que force ni que rage"
et que "rien ne sert de courir, il faut partir à point". On aurait également pu citer le conte
philosophique de Voltaire, Micromégas.
Un autre lien que peut créer un auteur avec son lecteur est un cheminement commun, une
réflexion que les deux individus entreprendront au même moment. Cela est très spécifique d’une
œuvre à une autre, mais l’on peut par exemple parler de l’auteur contemporain, Bernard Werber,
notamment connu pour Les fourmis, dont chacune des œuvres sont liées par L’encyclopédie du
savoir relatif et absolu, un ouvrage dans l’ouvrage où l’auteur peut traiter de choses très diverses
avec le lecteur, à propos de notions historiques, artistiques et biens d’autres dans lesquelles il donne
son propre avis tout en incitant le lecteur à se forger le sien.
Le deuxième élément majeur de l’altérité dans la lecture réside dans les éléments intra-
diégétiques de l’œuvre. Puisque ces personnages sont à la fois une extension de l’auteur qui donne
ces opinions et sont dans le même temps, d’une certaine façon, doués d’une volonté propre
reposant sur leurs valeurs. Cette prolongation de l’auteur peut également se retrouver dans les lieux
et les paysages. Enfin on peut considérer tout roman comme la découverte d’un univers autre.
On dit souvent que les personnages d’un écrit sont le reflet de la personnalité de leur
créateur. Ces individus, tous originaires du même esprit, ont légitimement hérité de ses caractères,
sans que l’on puisse affirmer que cela permette une psychanalyse fiable de l’artiste. On relève
cependant quelques cas où cette idée est poussée à l’extrême. Dans l’œuvre de la série Harry Potter,
certains ont tenté d’analyser les sept ouvrages comme les sept étapes du deuil, une théorie
psychologique. En effet, le début de la rédaction du tome un, correspond à la mort de la mère de J.K
Rowling. Celle-ci aurait donc pu, consciemment ou inconsciemment, matérialiser les sept étapes du
deuil (choc, déni, colère, tristesse, résignation, acceptation et reconstruction) dans chacun des sept
livres de sa saga.
Mais l’on peut également, se figurer ces personnages de manière indépendante de l’auteur.
En effet, si l’on parvient à discerner des affinités et des oppositions dans une fiction, cela signifie que
ses acteurs peuvent présenter des idées contraires et incompatibles. Ceux-ci, peuvent alors aussi
bien représenter une valeur dans notre réalité, mais aussi dans leur propre univers. C’est le cas de La
guérilla des animaux de Camille Brunel, où le personnage principal, qui inspirera un fort mouvement
animaliste et changera radicalement les mentalités, symbolise à lui seul l’antispécisme tant pour le
lecteur que pour la population de la Terre du roman.
On peut ainsi établir le même raisonnement pour les paysages et les lieux. Ceux-ci naissent
également de l’imaginaire de l’auteur et peuvent représenter ses émotions et sa pensée. C’est un
maître du symbolisme qui l’illustre le plus pertinemment : dans ses Fêtes galantes, Paul Verlaine
utilise à foison les « paysages état d’âme », ces représentations de lieux à l’image des émotions de
l’auteur, et notamment dans le dernier poème du recueil, Colloque sentimental, représentant ici la
mélancolie de l’auteur.
De même, si l’on se cantonne à réduire l’univers à ce que son créateur décrit, on peut
retrouver des univers extrêmes riches, avec leurs propres géographie, peuples, langues, races,
idéologies, systèmes politiques, religions… L’exemple le plus célèbre étant certainement la Terre du
Milieu que l’on retrouve dans les œuvres de J.R.R Tolkien. Mais l’on peut en citer également des plus
discrets, tels que celui de H.P Lovecraft et de sa mythologie horrifique ou encore, Connan le Barbare
de Robert E. Howard.
Enfin au-delà de ces deux formes d’altérités primaires, on peut en relever une troisième, en
inversant le regard et en se penchant sur nous puisque l’altérité ne prend toute son ampleur que
lorsqu’elle « altère » la personne qui y est confrontée. Il existe bien des altérations par la lecture,
parmi lesquelles, politiques, éthiques et philosophiques, culturelles ou encore spirituelles.
Une lecture peut aussi nous amener à changer notre manière éthique ou philosophique
d’aborder notre société. Nous pouvons par exemple parler du Capital, de Karl Marx, œuvre
fondatrice, avec son auteur, du communisme, ou, une autre, en opposition directe avec cette
pensée, La richesse des nations, d’Adam Smith, quant à elle fondatrice du libéralisme. Bien qu’elles
puissent toutes deux être considérés comme des écrits politiques, elles apportent chacune une vision
du monde et de l’utilisation des moyens pour y faire face d’une manière qui dépasse le simple champ
politique.
Une lecture peut également nous altérer culturellement en changeant notre vision de l’art et
des mœurs. Certains se sont même attelés à théoriser les façons de pratiquer un art. On peut ici
parler de la myriade de manifestes spécifiques aux différents mouvements artistiques qui ont
jalonnés l’histoire. On prendra ici l’exemple du Manifeste du surréalisme d’André Breton qui , comme
son nom l’indique, explicite clairement les notions abordées par le mouvement surréaliste.
Enfin, une œuvre littéraire peut avoir une influence spirituelle ou religieuse, changeant les
fondements même de notre conception de l’univers. Les textes religieux sont légions mais nous
pouvons citer deux œuvres de trois religions au nombre d’adeptes importants : la Bible, œuvre
fondatrice du christianisme mais aussi, par son premier testament, du judaïsme et également, le
Coran ou Alcoran pour les musulmans aussi bien sunnites que chiites.
Ainsi nous avons vu que la lecture présentait par bien des manières une expérience
d’altérité. En effet dans un premier temps nous avons observé que l’altérité prenait la forme de
l’auteur, puis dans un second celui des éléments internes à l’œuvre. Enfin, la lecture peut nous
altérer et ainsi et créer une part d’autre en nous. De nombreuses œuvres traitent de l’altérité. On
peut par exemple citer Des Cannibales, un texte humaniste de Montaigne s’inscrivant dans ses Essais
et traitant de la confrontation à la différence, notamment dans le cadre de la découverte du nouveau
monde et de ses indigènes.