Les-Mousquetaires-au-couvent-LIVRET
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Les-Mousquetaires-au-couvent-LIVRET
Opéra-Comique en 3 actes
Livret de Paul Ferrier et Jules Prével
Musique de Louis Varney
1
ACTE PREMIER
Une cour de l’hôtellerie de Pichard : Au Mousquetaire gris
SCENE PREMIERE
Au lever du rideau, RIGOBERT et SES MOUSQUETAIRES. FARIN, LANGLOIS et
DES BOURGEOIS. PICHARD et SES SERVANTES. MOUSQUETAIRES,
BOURGEOIS.
INTRODUCTION
CHŒUR GENERAL
CHŒURS HOMMES
Sans nous chercher querelle,
Officiers et bourgeois,
Buvons à pleine écuelle,
Chantons à pleine voix !
ENSEMBLE
LES MARCHANDES
Achetez, achetez !
Mes bons messieurs, bourgeois et mousquetaires,
Voyez nos éventaires…
Et nos jolis bouquets !...
Et nos petits pâtés !
Achetez ! achetez !
2
COUPLETS
TUTTI CHŒUR
Achetez, beau seigneur,
C’est pour porter bonheur
A la petite marchande !
II
3
Achetez, beau seigneur,
C’est pour porter bonheur
A la petite marchande !
TUTTI CHOEUR
Achetez, beau seigneur,
C’est pour porter bonheur
A la petite marchande !
RIGOBERT , se levant
Par la sambleu, ma reine,
Il faut que je t’étrenne ;
Comment refuser
Une tarte, une rose, et de plus un baiser ?
UNE MARCHANDE
Une tarte !
TOUTES
Achetez, beau seigneur,
C’est pour porter bonheur
A la petite marchande !
TUTTI CHOEUR
Achetez, beau seigneur,
C’est pour porter bonheur
A la petite marchande !
RIGOBERT
Ma foi ! tant pis, pas de courroux,
Buvez et chantez avec nous !
CHŒUR HOMMES
Buvez et chantez avec nous !
Buvons et chantons !
TUTTI CHOEUR
Sans nous/vous chercher querelle,
Officiers et bourgeois,
Buvez/Buvons à pleine écuelle,
Chantez/Chantons à pleine voix !
Buvons ! buvons !
Chantons ! chantons !
(fin du n°1)
4
Dialogue 1
LANGLOIS
Ah ! Que voilà bien la jeunesse !.. Toutes les agaceries pour l’armée !
FARIN
Le prestige de l’uniforme !
JACQUELINE
A qui la faute, si ces messieurs sont plus galants que vous ?
CLAUDINE
Bien répondu, Jacqueline !
LANGLOIS
Dites qu’ils sont plus entreprenants !
MARGOT
L’habitude de vaincre !
JEANNETON
Monsieur, faites-vous donc un peu soldat pour voir !
LANGLOIS
Merci, pour attraper des cochonneries à la guerre !
JACQUELINE
Que vous importe, si cela vous vaut des baisers en temps de paix… (L’amour c’est
l’amour…)
LANGLOIS
Oh ! Des baisers ? M’est avis qu’on en pourrait avoir de vous à meilleur compte !
(On m’a dit qu’ici c’était pas cher ! )
CLAUDINE
Qu’est-ce à dire ?
LANGLOIS
Ne faites pas vos mijaurées, donc ! On sait des cancans, Dieu merci !
MARGOT
Des médisances !
JEANNETON
Suffit qu’on soit un peu jolie pour mettre en train les mauvaises langues !
LANGLOIS
Vrai de vrai ?... Alors , c’est une médisance de mauvaise langue que l’histoire du
beau Valentin et de la jolie pâtissière ?
5
JACQUELINE
Monsieur Langlois !
LANGLOIS
Là ! voyez ! elle se trahit ! - Je ne la fais pas se trahir !
Tous
Racontez, monsieur Langlois !
JACQUELINE
Monsieur Langlois !... ne racontez pas !
TOUS
Si !... Si !...
JACQUELINE
Non !...
RIGOBERT, survenant
Tonnerre de la Rochelle ! En voilà assez !...
LANGLOIS
Qu’est-ce qu’il y a ?
RIGOBERT
Il y a que, médisance ou pas médisance, je vous défends de raconter cette
anecdote-là ; il y a que vous donnez envie de pleurer à cette jeunesse et que
jamais un mousquetaire du roi ne souffrira qu’un pataud de bourgeois fasse pleurer
une jolie fille !
LANGLOIS
Ah ça ! mais, de quoi vous mêlez-vous ?
LES BOURGEOIS
Oui !... de quoi !...
LES MOUSQUETAIRES
Il a raison !
LES BOURGEOIS
C’est de la tyrannie !...
LES MOUSQUETAIRES
Respect aux dames !
LES BOURGEOIS
Racontera !...
LES MOUSQUETAIRES
Racontera pas !
6
RIGOBERT
Tonnerre de la Rochelle !
Fin Dialogue 1
SOPRANES
Que ces mousquetaires
Sont audacieux !
TENORS
Nous les mousquetaires,
Gais et valeureux,
Chassons sur les terres
Des bourgeois peureux !
BASSES
Damnés mousquetaires,
Osez-vous messieurs,
Jusques sur nos terres,
Chasser sous nos yeux !
TUTTI
Terreur des familles,
On nous/leur cache en vain
Les plus belles filles
Et le meilleur vin !
RIGOBERT (provocant)
Que si, messieurs, notre allure vous choque…
RIGOBERT
Je ne crains pas qu’un de vous me provoque…
LES BOURGEOIS
Moi, jamais !... jamais, moi !...
RIGOBERT, dégainant
A deux pas de l’auberge
On peut mettre flamberge
Au vent !
7
REPRISE CHŒUR TUTTI
Que ces mousquetaires
Etc.
SCENE II
LES MEMES, SIMONE
SIMONE, entrant
Ah ! Quel tapage ! Est-ce permis ?...
Buvez, plutôt, en bons amis !
(A Rigobert)
Et vous, monsieur, quel caractère !
Apaisez à l’instant ces transports furieux !
Allons ! Allons !
Et je vais vous dire de mon mieux,
Votre chanson.
CHŒUR TUTTI
Votre/Notre chanson !
SIMONE
La ronde du beau mousquetaire !
REFRAIN
Rantanplan !
TUTTI CHŒUR
Rantanplan !
Pour batailler au mousquetaire rouge
8
Et pour aimer au mousquetaire gris !
II
SIMONE
S’il faut séduire un cotillon
Du mousquetair’ gris c’est la tâche ;
S’il faut forcer un bataillon,
Le mousquetair’ tout roug’ se fâche !
Auprès d’un cœur, sous un rempart !
Chacun partout se fait sa part,
Et, rouge ou gris, sait tour à tour
Faire la guerre et fair’ l’amour !
REFRAIN
Dialogue 2
FARIN
Encore des flatteries pour le militaire !
LANGLOIS
Et, avec cela, sauvage envers tout le monde !
SIMONE
Sauvage ?
FARIN
Hormis les mousquetaires !
SIMONE
Dites donc, maître Farin, si je ris quelquefois avec les mousquetaires, madame Farin
ne passe pas pour les égratigner non plus !
FARIN
Insolente !
SIMONE
Oh là !...ne vous fâchez pas !...Elle a raison, votre femme, de ne pas les égratigner,
c’est une mauvaise habitude !
LANGLOIS
N’empêche qu’on avait bien besoin de nous caserner toute cette soldatesque dans le
village !
9
FARIN
Rassurez-vous voisin ! Ça n’est pas pour notre agrément !
SIMONE
Non ! C’est pour l’agrément de votre femme !
FARIN
Pas du tout !... C’est à cause des bruits de conspiration dont on parlait dernièrement.
LANGLOIS
Contre notre bon roi Louis le Bien-Aimé ?
FARIN
Non ! contre le Cardinal !..Tous les jours, on surprend des complots… La noblesse
d’un côté, les huguenots de l’autre… On ne compte plus ceux qui ont juré haine
mortelle à l’homme rouge !
LANGLOIS
Malpeste !... Quelle timidité subite !
SIMONE
C’est que vous ignorez que le gouverneur de Touraine, le comte de Pontcourlay
revient aujourd’hui de la Rochelle où l’avait appelé l’ordre du cardinal.
FARIN
Aujourd’hui ?
PICHARD
Aujourd’hui même. Il m’a fait porter, par un courrier, l’ordre de tenir des relais tout
prêts pour aller, à deux lieues d’ici, voir mesdemoiselles ses nièces pensionnaires au
couvent des Ursulines !
SIMONE
Or, le gouverneur est l’âme damnée du cardinal, qui est son cousin, son protecteur et
l’auteur de sa fortune… De sorte que, s’il revenait au gouverneur qu’on tient chez
nous des propos… séditieux…
PICHARD
Ça reviendrait au cardinal…qui a des façons de justice…
SIMONE
Aussi redoutables qu’expéditives !...
PICHARD
C’est pourquoi je vous disais : parlez d’autre chose ! De la pluie et du beau temps !...
de la récolte ! …de la fête d’aujourd’hui !...
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SIMONE
Bal et réjouissances publiques !... Rendez-vous général ici !
SCENE III
Les MEMES, BRIDAINE
BRIDAINE, au dehors
Qu’on ait grand soin de ma mule, une litière fraîche et double picotin !
SIMONE
Je ne me trompe pas … c’est M. Bridaine !
FARIN
Le chanoine ?
SIMONE
Un si brave homme !
TOUS
C’est bien lui !...Vive M. Bridaine !
Fin Dialogue 2
BRIDAINE
Eh ! Oui c’est moi, l’abbé Bridaine,
N’ouvrez pas ces yeux ébahis
Mon apparition soudaine
Doit-elle alarmer le pays ?
Je ne suis pourtant pas sévère,
Et ce n’est pas me faire affront
Que les hommes choquent le verre
Que les filles dansent en rond !
CHŒUR TUTTI
En rond !
REFRAIN
Je suis l’abbé Bridaine,
Un si bon garçon
Qu’on peut sans façon
Me mettre en chanson !
Je suis l’abbé Bridaine,
11
La faridondaine,
La faridondon !
CHŒUR TUTTI
Oui, c’est l’abbé Bridaine,
La faridondaine,
La faridondon !
II
BRIDAINE
Aux pénitents que je racole
J’accorde toujours leur pardon,
Etant, avant tout, de l’école
Du joyeux curé de Meudon !
Me faire aimer, voilà ma gloire,
Et, quand j’aurai sauté le pas,
Ce sera bénir ma mémoire
Que fredonner encore tout bas,
Tout bas :
CHŒUR TUTTI
Tout bas, tout bas !
BRIDAINE
C’était l’abbé Bridaine.
Un si bon garçon
Qu’on peut sans façon
Le mettre en chanson !
C’était l’abbé Bridaine,
La faridondaine,
La faridondon !
CHŒUR
C’était l’abbé Bridaine,
La faridondaine,
La faridondon !
(fin du n°3)
Dialogue 3
TOUS
Vive M. Bridaine !
RIGOBERT
En ce cas, monsieur Bridaine, on peut vous demander sans offense, de vider un
gobelet avec nous ?
12
BRIDAINE
Sans offense, brigadier, et à votre santé ! Mais vous êtes mousquetaire…
RIGOBERT
Mousquetaire du roi, pour vous servir… après sa Majesté !
BRIDAINE
Pourriez-vous me renseigner sur un capitaine de votre régiment, M. Narcisse de
Brissac ?
SIMONE
M. de Brissac ?... En voilà un mauvais sujet !
BRIDAINE
Tu le connais ?
SIMONE
Pardine ! c’est ici qu’il loge, et, chaque fois qu’il me rencontre, il me prend la taille et
m’embrasse !...
BRIDAINE
Chut ! Je ne te demande pas des renseignements de ce genre-là. Va me le
chercher !...
SIMONE
J’y cours…
(Elle sort)
BRIDAINE, à Rigobert
J’ai à lui parler…
RIGOBERT
En secret, peut-être ?...(A ses soldats.) Alors. En route, mauvaise troupe !...
RIGOBERT
Vous pourrez causer sans qu’on vous dérange. Au revoir, monsieur Bridaine !...
Tous
Au revoir, M. Bridaine !
PICHARD
À tout à l’heure!
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N°3bis .CHOEUR DE SORTIE
TUTTI CHŒUR
C’était l’abbé Bridaine,
La faridondaine,
La faridondon !
(fin du n°3bis)
SCENE IV
BRIDAINE, SIMONE, BRISSAC
Dialogue 4
SIMONE, rentrant
Voici M. de Brissac !
BRISSAC
Merci, Simone ! (L’embrassant.) Tiens ! voilà pour toi !
SIMONE à Bridaine
La !... Qu’est- ce que je vous disais !
BRIDAINE, descendant
Veux-tu te taire ! Pourquoi me faire remarquer ces choses-là ?
BRIDAINE
Capitaine !
BRISSAC
Mais je ne me trompe pas…ces habits…ces traits… je vous connais sans vous
connaître …par le portrait que Gontran me faisait de vous ! …Monsieur Bridaine ?...
BRIDAINE, s’inclinant
Et vous, monsieur de Brissac dont Simonne aussi me faisait le portrait tout à
l’heure...
BRISSAC
Bavarde !...Sauvez-toi maintenant !... Nous avons à causer sérieusement ! …Sauve-
toi donc !... (Il l’embrasse)
SIMONE
Encore !
BRIDAINE
Mais laisse-toi donc embrasser et ne me le fais pas remarquer !...(Simone sort) Elle
me ferait dire des sottises à la fin !
14
SCENE V
BRIDAINE, BRISSAC, puis GONTRAN
BRISSAC
Et, vous êtes accouru !
BRIDAINE
Pensez donc ! (Il lit une lettre). Cette lettre quasi mystérieuse ! « Si le sort de votre
ancien élève , Gontran de Solanges, vous est cher, soyez demain à Vouvray,
hôtellerie du Mousquetaire Gris. Signé : Narcisse de Brissac. »
BRISSAC
Narcisse, c’est moi !
BRIDAINE
S’il m’est cher, Gontran de Solanges ! Un enfant que j’ai élevé, instruit, choyé…mon
élève favori, un élève qui fait honneur à mes leçons !... Mais voyons !... parlez vite !...
Quel danger le menace ? …Une infraction à la discipline…ou qui sait ? aux terribles
ordonnances du cardinal contre les duels ?
BRISSAC
Rassurez-vous, monsieur Bridaine, Gontran n’a pas eu de duel, Dieu merci ! et s’il
est blessé… c’est au cœur… d’une flèche que lui aura décoché le petit Dieu malin
BRIDAINE
Amoureux !... Je respire !
BRISSAC
Ah !... le cas ne vous semble pas grave ?
BRIDAINE
Dame ! Il n’y a pas d’ordonnances contre l’amour !
BRISSAC
Parce qu’il n’y a pas de remède à la maladie !... Aussi, voyez-vous monsieur
Bridaine, je suis inquiet des symptômes !... parce qu’un mousquetaire qui se
dérange…
BRIDAINE
Il se dérange donc ?
BRISSAC
C’est fait. Il est tout dérangé ! Lui, que j’ai connu le plus écervelé de tout le régiment !
Plus de plaisirs tapageurs ! Plus de soupers fins arrosés de champagne ! Plus de
folles maîtresses !...
15
Fin Dialogue 4
1.
2.
Triste, songeur et solitaire
Gontran tout à son noir souci
Garde avec des airs de mystère
Des façons d’amoureux transi,
Contre ce mal qui l’importune
Je lutte en vain et je le vois
Qui rêveur tandis que je bois
Rime des sonnets à la lune
Dialogue 5
BRIDAINE à lui-même
Et il appelle ça se déranger ! …
16
BRISSAC
Du reste, vous allez juger des ravages !... Et comme tous les efforts de mon amitié
se sont brisés contre son entêtement, j’ai compté sur vous pour le…
BRIDAINE
Pour le confesser ?
BRISSAC
Votre spécialité !... (Il appelle) Solanges !... holà ! Solanges !...
GONTRAN, paraissant
Qu’arrive-t-il donc ? (Apercevant Bridaine.) Ah! Bridaine ! mon cher Bridaine !
GONTRAN
Cette émotion ?... Ce trouble ? … et votre présence ici ?...
BRIDAINE
Ma présence… inattendue… car tu ne m’attendais pas !... Si bien que sans le
message de M. de Brissac…
GONTRAN
Un message ? Ah ! Brissac a parlé ?
BRISSAC, insistant
Tu te trompes ! J’ai écrit… d’abord !
GONTRAN
C’est une trahison !
BRISSAC
Non ! C’est de la reconnaissance ! Il y a trois mois, à la Rochelle, tu m’as sauvé la
vie, et comme je n’avais que celle-là, j’avais la faiblesse d’y tenir ! A ton tour, je te
vois en danger…
GONTRAN, vivement
Ne l’écoutez pas, mon ami !
BRISSAC insistant
En grand danger… Il a beau s’en défendre, monsieur Bridaine, il est malade !... très
malade !...et c’est pourquoi je vous ai appelé en consultation…parce que l’amour, la
passion, vous connaissez ça mieux que moi.
BRIDAINE
Par exemple !
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BRISSAC
J’entends comme médecin…médecin de l’âme !... Et puis nous serons deux ! Et à
nous deux, nous réussirons mieux à lui arracher son secret…
GONTRAN
Ah ! je vous en supplie !... N’insistez pas …je ne dirai rien. Je n’ai rien à dire !
BRISSAC
Du mystère …toujours !... Que vous disais-je ?...
Fin Dialogue 5
N°4 TRIO
BRISSAC
Parle, explique-toi !
Quel est ce mystère ?
Jamais mousquetaire
Ne fut tel que toi !
BRIDAINE
Parle ! Explique-toi !
Quel est ce mystère ?
De ta vie austère
Dis-nous le pourquoi.
GONTRAN
Non, non, laissez-moi,
Il est un mystère
Mais je dois le taire !
Tout m’en fait la loi !
Triste et solitaire,
Amis laissez-moi.
ENSEMBLE
BRIDAINE, BRISSAC
Parle, explique-toi,
Quel est ce mystère ?
GONTRAN
Non ! laissez-moi !
BRISSAC
De ta vie austère
Dis-nous le pourquoi.
Parle ! explique-toi !
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BRIDAINE
Jamais mousquetaire
Ne fut tel que toi !
Parle ! explique-toi !
GONTRAN
Non ! laissez-moi !
BRIDAINE,( à Brissac)
Eh bien ! ce secret de son âme,
C’est à nous de le découvrir !
BRISSAC
Je vous l’ai dit, c’est une femme
Dont la rigueur le fait mourir !
BRIDAINE
Une femme ?
BRISSAC
Une femme !
Eh !oui, c’est probable !
Son trouble même est un aveu !
BRISSAC
Dans une aventure semblable,
Toujours une femme est en jeu !
BRIDAINE
Eh bien ! eh bien !
Tu ne dis rien ?
GONTRAN
Eh bien ! j’en conviens…
C’est une femme !
BRIDAINE
C’est une femme !
BRISSAC
Une femme !
BRIDAINE
Une femme !
GONTRAN
Eh ! pardieu oui, c’est une femme !
BRIDAINE
Amoureux !
19
BRISSAC
Amoureux !
GONTRAN
Amoureux de toute mon âme !
BRIDAINE
C’est affreux !
BRISSAC
C’est affreux !
GONTRAN
Et si le ciel trahit ma flamme…
BRIDAINE
Ah ! grand dieu !
BRISSAC
Ah ! grand dieu !
GONTRAN
Puissé-je mourir sous ses yeux !
BRIDAINE et BRISSAC
Ah ! grand dieu ! Comme il est amoureux !
BRIDAINE et BRISSAC
Mais cette belle,
Une infidèle ,
Une cruelle,
Sans cœur ni foi ,
Elle te berne,
Elle te gouverne :
On te lanterne,
Explique-toi !
Une bourgeoise ...
Quelque sournoise,
Qui t’apprivoise
Farouche en toi ...
Oui, l’on te berne !
Explique-toi !
Une comtesse ?
Une duchesse ?
Une princesse ?
BRISSAC
Une drôlesse ?
20
BRIDAINE
Une drôlesse !
Eh là ! eh là !
Que me faites-vous dire là ?
BRISSAC
Que venez-vous de dire là ?
BRISSAC
Une femme !
BRIDAINE
Une femme !
GONTRAN
Eh ! pardieu oui, c’est une femme !
BRIDAINE
Amoureux !
BRISSAC
Amoureux !
GONTRAN
Amoureux de toute mon âme !
BRIDAINE
C’est affreux !
BRISSAC
C’est affreux !
GONTRAN
Et si le ciel trahit ma flamme…
BRIDAINE
Ah ! grand dieu !
BRISSAC
Ah ! grand dieu !
GONTRAN
Puissé-je mourir sous ses yeux !
BRIDAINE et BRISSAC
Ah ! grand dieu ! Comme il est amoureux !
BRIDAINE et BRISSAC
C’est bien une femme
Qui règne en son âme.
Il est trop amoureux !
21
GONTRAN
C’est bien une femme
Qui règne en mon âme.
Que ne puis-je expirer à ses yeux !
(fin du n°4)
Dialogue 6
BRIDAINE
Oui, mais cette femme, … qui est cette femme ?
GONTRAN
Un ange, mon ami !
BRIDAINE
J’entends bien ! C’est toujours d’un ange qu’on est amoureux !
GONTRAN
Vous ne devinez pas ? C’est pourtant vous qui êtes la première cause de cet amour !
Qui m’a, le premier, parlé d’elle, de sa beauté, de ses charmes, de sa vertu ? …
BRIDAINE
Marie de Pontcourlay ? c’est Marie ?
BRISSAC
Une nièce du gouverneur ?
GONTRAN
Vous la voyiez tous les jours, au couvent des Ursulines, où elle était pensionnaire
avec sa sœur Louise…
BRISSAC
Ah ! Il y a une sœur ?...
BRIDAINE
Tout aussi belle, tout aussi charmante, et tout aussi vertueuse !... (S’arrêtant) Non !
non ! vous n’auriez qu’à l’aimer aussi, et plus tard vous me le reprocheriez…
BRISSAC
Aimer moi ?... Oh…oh…vous ne connaissez pas Narcisse !...des amourettes,
Narcisse, pas d’amour !...des historiettes, pas de romans !
BRIDAINE
Et tu prétendrais que ce sont mes récits ?...
22
GONTRAN
Vos récits enthousiastes, oui, ce sont eux qui m’ont inspiré, d’abord, le désir de la
connaître !...
BRISSAC
Pardieu !... On vous confiera l’éducation des jeunes gens !
BRIDAINE
Masi depuis, tu l’as vue ?...
GONTRAN
Cet hiver…une fois... j’ai eu le bonheur de la rencontrer !... et cela m’a suffi pour me
convaincre que votre enthousiasme n’était pas exagéré ...
BRIDAINE
N’est-ce pas C’est un ange !
BRISSAC
Et bien ! Bridaine, que faites-vous ?
BRIDAINE
Moi ?
BRISSAC
Si c’est votre façon d’éteindre les incendies !...
BRIDAINE
C’est vrai…je m’oubliais…J’avais bien besoin de te monter la tête !
BRISSAC
A la bonne heure ! Voilà qui est sagement parler !
GONTRAN
Pourquoi cela ?
BRIDAINE
Parce que…parce que je vois toutes sortes d’obstacles…toutes sortes !
Mademoiselle de Pontcourlay… nièce du gouverneur de Touraine, parente du
cardinal... peut et doit aspirer aux plus hauts partis…
BRISSAC
Très bien !
BRIDAINE
Toi, tu n’es qu’un petit gentilhomme, sans grande naissance, sans grande
fortune…simple mousquetaire…
BRISSAC
Très bien !
23
GONTRAN
Mais si pourtant elle m’aimait ?
BRISSAC
Il ne manquerait plus que cela ! Deux malheurs au lieu d’un seul !... Car ne te fais
pas d’illusions, le comte de Pontcourlay n’est pas tendre de nature…
BRIDAINE
Très bien !
GONTRAN
Tant pis pour lui ! on se passerait de son consentement !... Et si vous vouliez m’aider,
mon bon Bridaine Pontcourlay c’est le cadet de mes soucis !... Aidez-moi, monsieur
Bridaine, et vous charger de remettre…
BRIDAINE
Quoi donc ?
GONTRAN
Une lettre à Marie…une toute petite lettre …
BRIDAINE
Une toute petite lettre… Joli message que tu me donnes là !...
BRISSAC
Message… galant !...
GONTRAN
Pour une fois, mon bon Bridaine, mon cher Bridaine, ne m’abandonnez pas !... Qui
sait ? Marie consentira peut-être à se laisser enlever…
BRISSAC
Une pensionnaire !...
BRIDAINE
Enlever ?... Une élève des Ursulines ?... Mais ignores-tu, malheureux, que les
consignes les plus sévères…
GONTRAN
C’est pour cela que je comptais sur vous.
BRIDAINE
Hein ? Sur moi ?
GONTRAN
Votre habit, votre caractère, votre sainte réputation vous ouvrent les portes du
couvent, et vous pourriez très bien …
24
BRIDAINE
Enlever Marie ?... Tu es fou !
BRISSAC, à part
Eh ! mais, pas si fou !...
GONTRAN
Eh bien ! puisque vous m’abandonnez tous les deux…
BRIDAINE
Que veux-tu faire
GONTRAN
Je parlerai moi-même au comte de Pontcourlay, et je lui demanderai la main de sa
nièce !
BRISSAC
Et s’il refuse ?
GONTRAN
Alors, n’écoutant que mon désespoir….
BRIDAINE
Son désespoir maintenant ? Il me fait mourir !... Eh bien, non !... pas d’imprudence,
va-t-en, c’est moi qui lui parlerai… Compte sur moi !
GONTRAN
A la bonne heure !... Dites-lui que je l’aime…que je l’adore…
BRISSAC, riant.
Le gouverneur ?
BRIDAINE
Sois tranquille, je serai éloquent !...
BRISSAC
C’est cela …parlez comme pour vous
BRIDAINE
Comme pour moi !... Allons, bon ! ils me font dire des sottises !...
SCENE VI
LES MÊMES, SIMONE
SIMONE, entrant
Encore ici ? … Mais c’est l’heure du rendez-vous… Nos danseurs vont venir !
25
BRISSAC
C’est juste ! Dites donc, monsieur Bridaine, voilà qu’on va danser !... Ça ne vous
offusque pas ?
BRIDAINE
Pas du tout ! Le roi David dansait bien devant l’arche ! Ah ! pas comme les
Tourangeaux, cependant !...
Fin Dialogue 6
SCENE VII
SIMONE, BRIDAINE, LES CHŒURS, puis PICHARD puis LE GOUVERNEUR et son
escorte
CHŒUR
C’est jour de fête,
Au rendez-vous,
Nous voici tous,
Musique en tête !
Filles, garçons,
Chantons, dansons,
Et que la danse
Gaîment commence,
A la cadence
De nos chansons !
C’est jour de fête, ,
Nous voici tous,
Musique en tête,
Au rendez-vous !
VILLANELLE
I
SIMONE
Quel plaisir ! c’est à la brune
Que se donne le signal !
Chacun avec sa chacune,
Les amoureux vont au bal !
Et plus d’un baiser s’y donne,
Plus d’un mot se dit tout bas,
Que d’autres n’entendent pas,
Grâce au crin-crin qui fredonne :
26
REFRAIN
Zon, zon, zon,
Prends garde
au bras qui t’enlace,
Zon, zon, zon,
Prends garde, Suzon !
au bras qui t’enlace,
Zon, zon, zon,
Prends garde
au bras qui t’enlace,
Mieux vaut glisser sur la glace
Que sur le gazon !
CHŒUR
Zon, zon, zon
Etc.
II
SIMONE
Les bons vieux, les bonnes vieilles,
Se retirent en leur coin,
Jasant de fêtes pareilles,
Lors d’un passé déjà loin !
Et telle, aujourd’hui pudique,
Qui se souvient d’autrefois,
A sa voisine, à mi-voix,
Dit, écoutant la musique :
REFRAIN
Zon, zon, zon.
Prends garde au bras qui t’enlace,
Zon, zon, zon.
Prends garde Suzon !
Zon, zon, zon.
Prends garde au bras qui t’enlace,
Mieux vaut glisser sur la glace
Que sur le gazon !
CHOEUR
Zon, zon, zon,
Etc…
SIMONE
Maudit soit le gouverneur
27
Qui vient troubler notre fête !
CHŒUR EN SOURDINE
LE GOUVERNEUR
Cet accueil chaleureux me flatte !
sur mon chemin, que l’allégresse éclate !
LE CHŒUR
Honneur à Monseigneur !
LE GOUVERNEUR
Maintenant, retirez-vous,
Seul, ici, je veux rester
LE CHŒUR, (sortant)
Eloignons-nous !
Quel ennui,
Etc…
(fin du n°5)
28
SCENE VIII
LE GOUVERNEUR, BRIDAINE
Dialogue 7
LE GOUVERNEUR
Monsieur Bridaine !... Un heureux hasard me fait vous rencontrer ici, monsieur
Bridaine, j’ai un service à vous demander.
BRIDAINE
J’en suis ravi, monseigneur, car j’ai, moi-même, une prière à vous adresser.
LE GOUVERNEUR
Parlez donc, Bridaine, je vous écoute !
BRIDAINE
Non, Monseigneur, parlez le premier, ne fût-ce que pour m’enhardir !... Que puis-je
faire pour Votre Excellence ?
LE GOUVERNEUR
Vous irez, dès demain, au couvent des Ursulines, où je me rends moi-même,
aujourd’hui. J’y annoncerai votre visite…
BRIDAINE
Ensuite, monseigneur ?
LE GOUVERNEUR
Vous demanderez mes nièces, Marie et Louise, vous causerez avec elles,
amicalement, paternellement…et vous les déciderez, l’une et l’autre, à prendre le
voile dans deux jours !
BRIDAINE, abasourdi
Le voile ?
LE GOUVERNEUR
Dans deux jours !... Et maintenant, que puis-je pour vous ?
BRIDAINE
Oh ! pour moi… Je vous avoue qu’à présent… (A part)
Le voile…dans deux jours ?... Ah ! mon pauvre Gontran !
LE GOUVERNEUR
Vous dites …
BRIDAINE
Je dis … (A part.) Je ne sais plus ce que je dis… (Haut.) Un si court délai !... tant de
précipitation !...
29
LE GOUVERNEUR
Il le faut !... Des raisons de famille !... mais ne parlons plus de cela… A votre tour à
présent ?
BRIDAINE
C’est que … Je n’ose plus…
LE GOUVERNEUR
C’est donc bien grave ?
BRIDAINE
D’autant plus grave, qu’il s’agit justement de mesdemoiselles de Pontcourlay et que
ce que j’avais à vous proposer n’a aucun rapport… oh ! mais, aucun avec …
LE GOUVERNEUR
Que voulez-vous dire ?
BRIDAINE
Et cependant, s’il se présentait pour elles… ou pour l’une d’elles… au moins… un
parti digne de votre choix… un homme jeune, noble, brave, amoureux…ça peut se
trouver… (A part.) Et sans aller loin…
LE GOUVERNEUR
Ne cherchez pas, Bridaine ! ce que j’ai résolu s’accomplira.
BRIDAINE
Mais…
LE GOUVERNEUR
Mais un mot vous convaincra, mon ami !... Tout cela c’est la politique du grand
cardinal !
BRIDAINE
Ah ! si c’est la politique !... (A lui-même.) Le diable l’emporte, le grand cardinal !...
Allons ! bon ! voilà que j’appelle le diable, maintenant !
SCENE IX
Les Mêmes, PICHARD, puis DEUX MOINES.
LE GOUVERNEUR
Qu’est-ce que c’est, maître Pichard ?
30
PICHARD
Des moines mendiants, monseigneur.
BRIDAINE
Et vous repoussez ces saints hommes ?
PICHARD
Des mendiants, je vous ai dit !... Ils assurent qu’ils arrivent de Palestine, en passant
par Rome.
LE GOUVERNEUR
Eh bien ! faites-leur accueil, à ces pèlerins !
PICHARD
Mais puisqu’ils n’ont pas d’argent !
BRIDAINE
Raison de plus pour leur donner l’hospitalité.
PICHARD
Ah ! donner… C’est le mot !... Enfin, puisque vous le voulez, monseigneur !... (Allant
au fond.) Entrez-donc mes révérends… je croyais n’avoir plus de chambre… et il se
trouve que j’en ai encore une ! Entrez !
DEUXIEME MOINE
Amen !
PICHARD, à part.
Voilà toute leur monnaie !
LE GOUVERNEUR
Vous devez être accablés de fatigue, mes révérends ?
PREMIER MOINE
Accablés.
BRIDAINE
Et mourants de faim, peut-être ?
DEUXIEME MOINE
Mourants !
LE GOUVERNEUR
Eh ! vite, maître Pichard, votre meilleure chambre… et un souper copieux pour les
bons pères !... Je paierai pour eux !
31
PREMIER MOINE
Merci, monseigneur !
PICHARD
Par ici, mes révérends !
Il leur indique la troisième porte à droite
LE GOUVERNEUR
Eh bien ! Trois prédicateurs valent mieux qu’un ! Si vous voulez reconnaitre
l’hospitalité que maître Pichard va vous donner en mon nom… vous vous rendrez,
dès demain, dans ce couvent.
PREMIER MOINE
Dès demain
LE GOUVERNEUR
Et vous y prêcherez, pour m’obliger… sur le renoncement aux biens de ce monde,
renoncement que vous pratiquez si bien.
PREMIER MOINE
« Mon royaume n’est pas de ce monde. »
LE GOUVERNEUR
Très bien !... Voilà le texte !... Si, après cela, mesdemoiselles mes nièces manquent
de vocation…
BRIDAINE
Ça ne sera toujours pas de votre faute, monseigneur !
LE GOUVERNEUR
Allez, mes révérends, je ne vous retiens plus !
Ils s’inclinent et sortent à droite.
BRIDAINE
Mon pauvre Gontran !... mon pauvre Gontran !
SCENE X
LE GOUVERNEUR, BRIDAINE, puis GONTRAN et BRISSAC
RIGOBERT
Monseigneur, votre carrosse est prêt
32
LE GOUVERNEUR
Monsieur Bridaine, je compte sur vous.
(Il salue et sort –Bridaine l’accompagne à la porte pendant que Brissac et Gontran
paraissent)
SCENE XI
BRIDAINE, BRISSAC, GONTRAN, puis SIMONE
BRIDAINE
Hélas ! comment apprendre à Gontran…
GONTRAN
Eh bien ?... Vous lui avez parlé ?
BRIDAINE, accablé
Oui !
GONTRAN
Qu’a-t-il répondu ?... (Silence) Il refuse ?
BRISSAC
Il fallait s’y attendre.
BRIDAINE
Ce n’est pas tout !
GONTRAN
Achevez !
BRIDAINE
Marie…
GONTRAN
Eh bien ?
BRIDAINE
Marie va prendre le voile !
GONTRAN
Le voile ?
BRIDAINE
Ordre du grand cardinal !
BRISSAC
Le diable l’emporte, le grand cardinal !
33
BRIDAINE
C’est ce que j’ai dit !... Le diable l’emporte !... Mais le diable n’en veut pas ! Et le
comte de Pontcourlay veut cloîtrer ses nièces !
BRISSAC
Toutes les deux ?
GONTRAN
Oh ! je saurai bien l’en empêcher !
BRIDAINE
Comment feras-tu, mon pauvre enfant ?
GONTRAN
Quand je devrais mettre le feu à ce couvent maudit !
BRISSAC
Tiens ! c’est une idée, le feu !
BRIDAINE
Dites donc, dites donc, vous !... C’est comme ça que vous le calmez ?
GONTRAN
Brissac me connaît, mon ami !
BRISSAC
Je te connais et je te reconnais enfin !... Triste et malheureux, Tu me faisais de la
peine… Tu n’étais plus le Gontran des beaux jours. Mais résolu et prêt à toutes les
extravagances, je te retrouve, je te rends mon estime, et je suis ton second !... Allons
mettre le feu au couvent !
BRIDAINE
Arrêtez ! arrêtez !... et cherchons plutôt des moyens moins incendiaires !
GONTRAN
Cherchez ! cherchez !... Pourvu que je revoie Marie !
BRISSAC
Qu’est-ce que c’est que ce festin de Balthazar?
SIMONE
C’est un petit en-cas pour les révérends !
BRISSAC
Petit !... petit !... En voilà des mortifications !
(Il l’embrasse)
34
SIMONE
Encore !...Vous abusez de ce que je suis embarrassée.
BRISSAC
J’abuse toujours !
BRIDAINE
Si tu crois que c’est facile ?
BRISSAC, revenant
La première chose à faire, ce serait de pénétrer dans le couvent !
BRIDAINE
Par exemple !... Des mousquetaires…dans un couvent de femmes
BRISSAC
Et bien ! c’est là justement ce qui serait piquant !
BRIDAINE
Et vous croyez que la sœur tourière vous recevrait mauvais sujets !
SIMONE, pendant ce temps, a traversé le théâtre et poussé la porte des moines. Elle
recule vivement en détournant la tête
Ah !
BRISSAC
Quoi donc ?... Tu n’entres pas ?
SIMONE
Grand merci… Je vais envoyer maître Pichard.
BRISSAC
Pourquoi ?
SIMONE
Parce que les révérends étaient sans doute plus pressés de dormir que de
manger….
BRISSAC
Ils dorment ?
SIMONE
A poing fermés !... Avec ça qu’il fait chaud… et que j’ai vu …sans le vouloir…qu’ils
ont quitté leurs robes ! Ils sont nus comme des vers !
BRISSAC
Ah ! ah ! Ils ont quitté ?...
35
GONTRAN, à Bridaine
Vous ne trouvez pas ?
BRIDAINE
Attendez donc !... je cherche…
GONTRAN
Ah !
BRISSAC
Chut !... Viens avec moi… Prends cette bouteille, moi ce plateau… et toi,
chaste …Simone ! n’entre pas !
SIMONE
Est-il gentil, M. de Brissac de faire mon service comme ça ! Est-il gentil !
(Ils entrent dans la chambre- Simone redescend en scène - Bridaine ne s’est aperçu
de rien.)
SIMONE
Je ne sais pas !
Fin Dialogue 7
SCENE XII
BRIDAINE, allant et venant, SIMONE, PICHARD, RIGOBERT, MOUSQUETAIRES,
HOMMES et FEMMES DU PEUPLE, puis BRISSAC et GONTRAN
CHŒUR
Le gouverneur nous fit largesse !
Pour mériter tant de bonté,
Buvons gaîment, buvons sans cesse,
Buvons, amis, à sa santé !
36
BRIDAINE, revenant.
Je voudrais bien savoir ce que font mes gredins !
SIMONE
Qu’avez-vous donc, l’abbé ?
Contez-nous vos chagrins.
BRIDAINE
Moi ? Rien !..moi, rien !...
SIMONE
Laissons l’abbé soupirer en silence
Et que la fête recommence !
CHANSON VILLAGEOISE
SIMONE
Dans le village, on dansera
Gaîment sous le grand chêne
Le vin de Vouvray moussera
Dans la futaille pleine
Ah ! hi ! dia !
Boire et danser à perdre haleine !
Ah ! hi ! dia !
Tant pis pour qui s’en lassera !
LE CHŒUR
Ah ! hi ! dia
Etc…
SIMONE
Y en aura pour tous de la fête
Amour, piquette, et caetera !
LE CHŒUR
Et caetera !
SIMONE
Et chacun, faisant à sa tête,
Selon son goût se distraira !
LE CHŒUR
Et chacun, faisant à sa tête,
Selon son goût se distraira !
SIMONE
Dans le village on dansera
Gaîment sous le grand chêne
Le vin de Vouvray moussera
Dans la futaille pleine !
37
LE CHŒUR
Dans le village, on dansera
Gaîment sous le grand chêne
Le vin de Vouvray moussera
Dans la futaille pleine
Ah ! hi ! dia !
Boire et danser à perdre haleine !
Ah ! hi ! dia !
Tant pis pour qui s’en lassera !
PRIERE
LE CHŒUR
Le front dans la poussière,
Amis, prosternons-nous,
Ecoutons à genoux
Leur prière,
Et vous, saints pèlerins, le ciel soit avec vous !
COUPLETS
I
GONTRAN, BRISSAC
Nous venons de la Palestine,
Ensemble chantant Te Deum !
LE CHŒUR
Te Deum !
GONTRAN, BRISSAC
Pieds nus, nous frappant la poitrine
Pax Domini sit vobiscum !
LE CHŒUR
Vobiscum !
GONTRAN, BRISSAC
Nous n’exigeons rien de personne,
Mais pas d’argent, pas d’oremus !
Le bon Dieu donne à qui nous donne !
Benedicat vos Dominus !
38
LE CHOEUR
Dominus !
BRISSAC
Et maintenant au couvent
Rendons-nous pieusement !
GONTRAN, s’oubliant
O doux espoir !
Je vais donc te revoir !
C’est un moment bien doux !
LE CHŒUR (reprise)
Le front dans la poussière,
Etc.
RIGOBERT, le reconnaissant
Capitaine !...
BRISSAC
Silence !
Et, par le ciel ! pas d’imprudence
Un signe, un mot nous perdrait tous
Mais de cette porte
Poussez les verrous !
Quatre mousquetaires d’escorte
Feront sentinelle avec toi,
Et que nul ne rentre ou ne sorte
Sans un nouvel ordre de moi !
BRISSAC, GONTRAN
Pax Domini sit semper vobiscum !
(Ils sortent)
FINAL
SIMONE
Dans le village, on dansera
Gaîment sous le grand chêne
39
Le vin de Vouvrai moussera
Dans la futaille pleine !
LE CHŒUR, reprenant
Dans le village, on dansera
Gaîment sous le grand chêne
Le vin de Vouvrai moussera
Dans la futaille pleine !
Ah ! hi ! dia !
Boire et danser à perdre haleine !
Ah ! hi ! dia !
Tant pis pour qui s’en lassera !
Sous le vieux chêne on dansera,
Le vin de Vouvrai moussera !
(fin du n°6)
40
ACTE DEUXIEME
Entracte musical – Ballets des moines devant le rideau
SCENE PREMIERE
Une salle d’étude au couvent des Ursulines.
MARIE, LOUISE, AGATHE, PENSIONNAIRES, à leurs pupitres, SŒUR
OPPORTUNE, dans la chaire, dictant.
CHOEUR
LOUISE
Ah ! quel exercice ennuyeux !
C’est une double pénitence
Que se taire et baisser les yeux !
CHŒUR, LOUISE
C’est une double pénitence
Que se taire et baisser les yeux !
DICTEE
SŒUR OPPORTUNE
Donc, Rébecca, sa cruche pleine…
SŒUR OPPORTUNE
…S’en revenait de la fontaine,
Par le chemin déjà désert,
Lorsqu’elle avisa dans la plaine…
41
LES PENSIONNAIRES, même jeu
Tonton et tontaine !...
SŒUR OPPORTUNE
…Le serviteur Eliézer,
Qui s’avançait vers la fontaine !
(parlé)
Un point, à la ligne !
(chanté)
La source, dit-elle, est lointaine…
LES PENSIONNAIRES
Tonton et tontaine !
SŒUR OPPORTUNE
Mais buvez, car ma cruche est pleine,
Et que vous garde Jéhovah !
Et voilà comme, étant humaine…
LES PENSIONNAIRES
Tonton et tontaine !
SŒUR OPPORTUNE
La belle Rébecca trouva…
LOUISE
Un mari dans une fontaine !
(Rires)
(fin du n° 7)
Dialogue 8
SŒUR OPPORTUNE
Qui a parlé ?
SŒUR OPPORTUNE
Que celle qui a parlé le dise ! (Un silence). Je m’y attendais ! J’ai reconnu la voix de
mademoiselle Agathe !
AGATHE
Par exemple ! Moi ?
SŒUR OPPORTUNE
Oui, vous me copierez dix fois le verbe : « Je bavarde pendant la classe ! »
42
LOUISE
Tu bavardes pendant la classe…
TOUTES
Elle bavarde pendant la classe…
AGATHE
Mais sœur Opportune, je vous assure que je n’ai rien dit !... C’est insupportable !...
J’attrape toutes les punitions !
LOUISE, bas.
Ne crains rien, je t’aiderai !... Je sais un moyen d’écrire avec quatre plumes à la fois !
SŒUR OPPORTUNE
Allons, mesdemoiselles, reprenons !
TOUTES
Oh…encore…
SŒUR OPPORTUNE
Silence : Madame la supérieure ! …
SCENE II
LES MEMES, LA SUPERIEURE
LOUISE
Nous avons congé ?
LA SUPERIEURE
Non, mademoiselle… Mais j’ai une grande et heureuse nouvelle à vous annoncer.
LOUISE, bas
Je parie pour un sermon !
LA SUPERIEURE
Les révérends pères…
LOUISE
Là ! que disais-je ?
LA SUPERIEURE
Les révérends pères, dont M. le comte de Pontcourlay a bien voulu m’annoncer la
prochaine visite, ne sauraient tarder d’arriver ! En quittant ce matin notre pieuse
maison, pour aller rejoindre le cardinal sous les murs de la Rochelle, M. le
43
gouverneur m’a recommandé de faire à ces saints hommes l’accueil que nous
devons à leur vertus.
LOUISE, à part.
Un redoublement de pénitence, pardi !
LA SUPERIEURE
J’ai pensé qu’il leur serait agréable de confesser notre innocent troupeau, et à vous,
mesdemoiselles, de verser dans leur sein l’aveu de vos péchés !
LOUISE
Comment donc, madame ! C’est une faveur que nous vous eussions demandée !
LA SUPERIEURE
Très bien, mon enfant!... un mot, encore… Afin de faciliter la tâche que je proposerai
à ces bons religieux, vous allez faire, au préalable, votre examen de conscience.
LOUISE
Ce sera peut-être un peu long !
LA SUPERIEURE
N’omettez rien, mesdemoiselles, et songez à toutes les bénédictions que vous
promet la parole de ces révérends. Suivez-moi, sœur Opportune, laissons ces
enfants à leurs pieuses méditations.
SŒUR OPPORTUNE
Ma mère, pourrais-je me confesser aussi ?
LA SUPERIEURE
Assurément !
LOUISE
Ça ne saurait vous faire de mal, ma sœur !
AGATHE, ébahie
Moi ?
SŒUR OPPPORTUNE
Vous me copierez dix fois le verbe : « Je manque de respect à la sœur Opportune ! »
AGATHE
Encore ! Oh ! mais j’en ai assez d’attraper toutes les punitions !
C’est toujours sur moi que ça tombe !
44
SCENE III
AGATHE, LOUISE, MARIE, PENSIONNAIRES
LOUISE
Notre examen de conscience ? Il s’agit de nous trouver des défauts… Nous en avons
donc?
AGATHE
Moi, je ne m’en connais pas !
TOUTES
Ni moi ! ni moi !
LOUISE
Oh ! en cherchant bien… (Ouvrant son pupitre.) J’ai mon idée. Comme nous avons
à peu près les mêmes, tenez !... voici une liste où j’ai noté les miens : faisons une
dictée générale !
TOUTES
C’est ça, une dictée !
Fin Dialogue 8
LOUISE
Que dites-vous de mon idée ?
TOUTES
Nous l’avons toutes adoptée !
AGATHE
Elle nous convient, c’est parfait !
LOUISE
Eh ! Mais, regardez donc Marie !
Elle écrit, et je le parie,
Son examen est déjà prêt !
MARIE
Oui, mais, ma chère, il est secret !
LOUISE
Commençons donc l’expérience
Et réécrivez toutes le mien !
TOUTES
Commençons donc l’expérience
Et réécrivons toutes le sien !
45
MARIE
Mon père, je m’accuse, ayez pitié de moi !
ROMANCE
MARIE
Mon Dieu ! de mon âme incertaine
Calmez l’effroi,
Si d’aimer un beau capitaine
Est mal à moi !
D’aimer sans que nul ne soupçonne,
Jusqu’à ce jour,
Et lui, moins encor que personne,
Mon pauvre amour !
LOUISE
Est-ce écrit ?
CHŒUR
C’est écrit !
LOUISE
Eh ! bien, sans complaisance,
Et sans respect humain,
Lisons notre examen,
Notre examen de conscience.
LOUISE, LE CHOEUR
Relisons donc notre examen !
46
LOUISE ET ISABELLE
Relisons notre examen,
Notre examen de conscience.
LE CHOEUR
Mon père, je m’accuse,
Et cependant sachez
Que quelque chose excuse
Chacun de mes péchés !
LOUISE
J’ai, durant la prière,
Causé plus d’une fois…
C’est, pour une écolière,
Très peu grave, je crois !
AGATHE
J’aime fort la toilette,
Dentelles et rubans,
Mais qui n’est pas coquette
Entre seize et vingt ans ?
LE CHOEUR
Mais qui n’est pas coquette
Entre seize et vingt ans ?
Je suis un peu gourmande
Et même un peu beaucoup
Qu’est-ce, je le demande,
Sinon preuve de goût ?
Parfois, par bouderie,
Je prends un air grognon ;
Est-ce, je vous en prie,
Plus qu’un péché mignon ?
BLANCHE
Je voudrais tout surprendre
De ce qu’on tient caché ;
Mais le désir d’apprendre
Est-il donc un péché ?
ISABELLE
Je rechigne à l’ouvrage,
Mais s’il m’en souvient bien,
Alors qu’elle était sage,
Eve ne faisait rien !
LE CHŒUR
Alors qu’elle était sage,
Eve ne faisait rien !
47
Quand je vois sœur Ursule,
Je m’en moque, mais quoi ?
Puisqu’elle est ridicule
Est-ce ma faute, à moi ?
(fin du n°8)
LOUISE
Attention ! voici madame la supérieure, avec les révérends !
SCENE IV
LES MEMES, LA SUPERIEURE, SŒUR OPPORTUNE, GONTRAN, BRISSAC, en
moines
Dialogue 9
MERE SUPERIEURE
Venez, mes chers frères, venez, j’ai hâte de vous présenter le petit troupeau que
vous avez mission d’édifier.
BRISSAC
Très édifiant déjà, ma sœur, très édifiant, le régiment si j’en juge par le colonel !
GONTRAN, bas.
Imprudent !
MERE SUPERIEURE
Le colonel ?
GONTRAN
Ne faites pas attention, ma sœur, c’est une figure.
BRISSAC
Une figure, effectivement ! J’adore le style figuré !
MERE SUPERIEURE
Preuve que vous vous nourrissez de la lecture des livres saints !
48
BRISSAC
Je ne vous cacherai pas, ma sœur que c’est là mon ordinaire… ordinaire ! Depuis
hier, je ne me suis pas nourri d’autre chose… (A part) Ce qui m’a laissé une
fringale…
GONTRAN
Mais ne nous permettrez-vous pas d’approcher de ces chérubins ?
BRISSAC
Oui, n’allez-vous pas commander une petite manœuvre… par le flanc gauche,
droite ?...
MERE SUPERIEURE
Par le flanc ?...
GONTRAN
Encore une figure ! manœuvre est ici pour exercice…pieux !
MERE SUPERIEURE
Ah ! très bien…je vous comprends… vous voudriez…
BRISSAC
Passer vos troupes en revue, quoi ? … Qui est-ce qui fait l’appel ?
GONTRAN, bas.
Tais-toi donc !
LOUISE, s’avançant
Moi, madame, si vous voulez bien ?
BRISSAC
Oh ! le charmant minois!... Avancez à l’ordre, mon enfant !... Votre nom ?
LOUISE
Louise de Pontcourlay, mon père !
BRISSAC (à part)
La petite sœur, nous brûlons !
GONTRAN
N’avez-vous pas une sœur, mon enfant ?
LOUISE
Si, mon père, mais pourquoi me demandez-vous cela?
LA SUPERIEURE
Votre curiosité est déplacée, mademoiselle. Répondez simplement!
LOUISE
Ma soeur se cache ; elle est plus timide que moi.
49
LA SUPERIEURE
Louise !
BRISSAC
Laissez-la dire, madame, elle est charmante, cette petite, et pour un peu j’en
deviendrais…
LA SUPERIEURE
Approchez, Marie !
GONTRAN
Marie !... (Bas.) C’est elle ! ah ! mon ami ! regarde-là !
BRISSAC, bas
Adorable !... mes compliments !...mais l’autre !
(Marie s’approche)
Fin dialogue 9
GONTRAN
Je voudrais qu’approchant sans crainte,
Votre regard sur moi tombât !
Sous ma robe sainte
C’est le cœur d’un père qui bat !
MARIE
Sa voix n’inspire nulle crainte,
Bien doux est son apostolat !
LE CHŒUR
On sent que sous sa robe sainte
C’est le cœur d’un père qui bat !
BRISSAC
Mais, vraiment, quels dangers je cours en cette enceinte
Moi qui depuis longtemps vis dans le célibat !
Et c’est bien dangereux sous cette robe sainte
Lorsque c’est le cœur d’un soldat qui bat !
GONTRAN
Je voudrais qu’approchant sans crainte,
Votre regard sur moi tombât !
Sous ma robe sainte
C’est le cœur d’un père qui bat !
50
LOUISE ET LE CHOEUR
C’est le cœur d’un père qui bat !
Sa voix n’inspire nulle crainte,
Oui, c’est le cœur d’un père qui bat !
MARIE
Sa voix n’inspire nulle crainte,
Bien doux est son apostolat !
On sent que sous sa robe sainte
C’est le cœur d’un père qui bat !
BRISSAC
Mais, vraiment, quels dangers je cours en cette enceinte,
Pour le cœur d’un soldat qui bat !
(fin du n°9)
Dialogue 10
MARIE
Ciel !
LOUISE, à part
Qu’est-ce donc ?
MARIE, bas.
Gontran ! vous ici ?
GONTRAN, bas
Oui, j’ai voulu vous revoir… Ne vous trahissez pas !... Revenez ici, je vous y
attendrai.
LOUISE, à part
Qu’est-ce qu’il peut bien lui dire tout bas ?
LA SUPERIEURE
Maintenant, mes révérends, ne jugerez-vous pas convenable d’adresser quelques
questions à ces demoiselles, pour vous assurer de l’instruction qu’elles reçoivent ici ?
BRISSAC
Oh ! oh ! l’instruction…tout me porte à croire qu’elle est soignée !
GONTRAN
Si cependant vous souhaitez que nous adressions quelques questions à vos
enfants ?...
51
BRISSAC
Oui, quelques questions… faciles !... Voyons !... A quelle heure le déjeuner ?
LOUISE
A dix heures, mon père !… Mais aujourd’hui, à cause de votre arrivée…
BRISSAC
Il y a du retard ? Je n’aime pas ça… je suis pour l’exactitude… militaire !
GONTRAN
Encore !
BRISSAC
Et je vous conjure, ma sœur, de faire sonner, dare dare, la cloche du déjeuner !
LA SUPERIEURE
Allez, sœur Opportune !
Sœur Opportune sort et on entend, bientôt après, la cloche.
LA SUPERIEURE, s’interposant.
Mesdemoiselles
LA SUPERIEURE, s’interposant
Impossible, mon père! La discipline de notre maison s’y oppose… Allez,
mesdemoiselles !
SCENE V
BRISSAC, GONTRAN
BRISSAC
Eh bien ! eh bien ! on va déjeuner sans nous ?
GONTRAN
Que m’importe, Brissac !...Je l’ai revue… je vais la revoir encore !
BRISSAC
Taratatata !... Je meurs de faim !...
52
GONTRAN
Et, si j’ai bien compris, ma présence ne lui est pas indifférente !
BRISSAC
Oui !... mais je défaille !
GONTRAN
Elle va revenir ici…je lui parlerai sans témoin… Je saurai si vraiment elle m’aime…
BRISSAC
Je croule d’inanition !
GONTRAN
Prosaïque animal !... Je lui parle amour…il me répond…
BRISSAC
Fringale !... Ecoute donc, nous sommes partis de Vouvray sans déjeuner, et puisque
la supérieure nous a fermé au nez la porte du réfectoire… ma foi, tant pis, en
maraude comme sur pays ennemi !
GONTRAN
Qu’espères-tu trouver dans une salle d’étude ?
BRISSAC
Ni pâté, ni dinde rôtie, parbleu !...dans des pupitres de colombes !... mais peut-être
quelques friandises, ou quelque gâteau… Tiens !... justement !
GONTRAN
C’est une indiscrétion !...
BRISSAC
Non, c’est un échaudé… en veux-tu la moitié ?
GONTRAN
Merci !
BRISSAC
A ton aise !... (Ouvrant des pupitres.) Rien…que des livres…des papiers…une liste
de péchés mignons…une autre liste, une lettre… ah !... (Il prend la lettre dans le
pupitre de Marie.) Cette lettre…ce nom !....La victoire est à nous !
GONTRAN
La victoire ?
BRISSAC
Regarde !...
53
GONTRAN, lisant ;
Ma lèvre murmure Marie, Mon cœur, Gontran ?
Il serait possible ?
BRISSAC
A moins qu’il n’y eut un second Gontran…car ces livres marqués à ses armes… ces
devoirs signés d’elle, c’est bien le pupitre de Marie de Pontcourlay !
GONTRAN
Ah ! Brissac, l’heureuse découverte !...
BRISSAC
N’est-ce pas ?... Toi qui blâmais mon indiscrétion !...
GONTRAN
Maintenant, mon cher, il faut l’enlever tout de suite !
BRISSAC
Avant déjeuner, jamais !...
GONTRAN
Pourtant…
BRISSAC
Jamais !...il faut des forces pour enlever les jeunes filles, si sveltes soient-elles, et
tant que je n’aurai pas fait une découverte moins sentimentale, mais plus
substantielle… comme un jambonneau ou une terrine de gibier…
GONTRAN
Attention…on vient !... Marie sans doute !
SCENE VI
LES MEMES, LA SUPERIEURE
BRISSAC
Non, la supérieure.
LA SUPERIEURE
C’est encore moi, mes chers frères…
BRISSAC
Soyez la bienvenue, ma chère sœur, surtout si vous venez nous annoncez la manne
céleste !
LA SUPERIEURE
La manne céleste, en effet ! car j’avais bien songé à vous recevoir avec quelque
pompe…
54
BRISSAC
Oh ! Mon Dieu ! …pompe ou pas pompe…
LA SUPERIEURE
J’avais même fait de nombreuses provisions et choisi quelques bouteilles de vins
très vieux !
BRISSAC
Trop de cérémonies ! beaucoup trop !...
LA SUPERIEURE
Mais je me suis rappelé à temps, que c’était vigile et jeûne !
BRISSAC
Hein ?...
La supérieure
Et que vous n’accepteriez que du pain et de l’eau…
BRISSAC
Va te promener ! (Voyant Gontran qui rit.) Tu ris, toi ! …Gouaille ! gouaille !... Je
trouverai, moi le moyen de déjeuner ! Je l’ai trouvé. (Haut.) Ma sœur ?
LA SUPERIEURE
Mon père !
BRISSAC
Nous sommes touchés de vos intenions…
LA SUPERIEURE
Voulez-vous votre pain et votre eau tout de suite ?
BRISSAC
Pour mon camarade… mon frère, veux-je dire, oui !... Ca lui suffit !... mais moi…je
vais vous avouer une chose, qui ne laissera pas de vous étonner !... Vigile et jeûne
ne m’empêchent pas de déjeuner !
LA SUPERIEURE
Ah !...
BRISSAC
Par exception… par exception seulement quand je dois prêcher.
LA SUPERIEURE
Prêcher !...
BRISSAC
Oui !... Je me fais violence… ces jours-là !... et je déjeune !
55
LA SUPERIEURE
Comme il doit vous en coûter !
BRISSAC
Ne m’en parlez pas !... C’est la pire des mortifications… Mais parler demande de
l’énergie, n’est-ce pas ?
LA SUPERIEURE
Et vous nous feriez la grâce de prêcher dès aujourd’hui ?
BRISSAC
Je vous la ferai… prêcher tout à l’heure… mais déjeuner tout de suite… Et si la
discipline s’oppose à ce que ce soit dans le réfectoire du couvent !...
LA SUPERIEURE
Il y a une salle exprès pour l’aumônier.
BRISSAC
Une salle exprès !... Vive la joie !...
LA SUPERIEURE
Elle est pauvrement meublée.
BRISSAC
Peuh !... Quand on a l’habitude des camps !
Bourrade de Gontran
LA SUPERIEURE
Des camps ? …
BRISSAC
Des can…tiques, ma sœur, des cantiques !
LA SUPERIEURE
Je vous montre le chemin.
BRISSAC
Et nous vous emboîtons le pas. (Bourrade de Gontran.) Je veux dire : nous vous
suivons. (Louise paraît à la deuxième porte à droite et observe.) Viens aussi.
GONTRAN, résistant.
Mais !...
LA SUPERIEURE
Venez, mon frère… j’ai encore une grâce à vous demander.
GONTRAN, à part.
Une grâce !... Elle va me faire manquer mon rendez-vous !...
Ils sortent
56
SCENE VII
LOUISE, puis BRIDAINE et SŒUR OPPORTUNE
LOUISE
Je me suis fait mettre à la porte du réfectoire pour voir ce qui se passe ici. Ca n’est
pas que je sois curieuse, mais, pour sûr, il y a quelque chose dans l’air… Et Marie
qui ne veut pas me dire ce que le capucin lui a dit tout bas ! Tant pis pour elle !...
qu’elle garde ses secrets …Je saurai bien les découvrir… J’entends du bruit…
Cachons-nous…
Elle se cache dans la chaire de sœur Opportune.
SCENE VIII
BRIDAINE, LOUISE
BRIDAINE
Ouf !... je respire… (Louise se montre peu à peu) Le couvent est encore debout…et
Marie n’est pas enlevée !
LOUISE
Bonjour, monsieur Bridaine !
BRIDAINE
Ah ! C’est la petite curieuse…D’où tu sors, toi ?...
BRIDAINE
Ça ne m’étonne pas !
LOUISE
Dites donc, monsieur Bridaine, qu’est-ce que vous lui voulez à ma sœur ?
BRIDAINE, embarrassé.
Moi ?... rien !
LOUISE
Puisque j’étais là !... J’ai entendu sœur Opportune…
BRIDAINE
Tu es trop curieuse !...
LOUISE
Curieuse, moi ?... Oh ! si l’on peut dire !
57
Fin Dialogue 10
LOUISE
Curieuse, Curieuse, ah ! vraiment,
Cette injure est cruelle !
Je sais bien qu’on m’appelle
Le furet du couvent !
Mais c’est mal me connaître,
Car souvent sans paraître,
Si j’entends, si je vois,
C’est toujours malgré moi !
Et ce qui me taquine,
C’est que dans bien des cas,
Lorsque je n’entends pas,
A coup sûr je devine !
Et voilà cependant
Ce qui fait qu’on m’accuse ;
Vous voyez maintenant,
A quel point l ‘on abuse !
58
Ne dormait pas si bien ?
Curieuse, ah ! vraiment,
Cette injure est cruelle !
Etc
(fin du n°10)
Dialogue 11
BRIDAINE
Eh bien, c’est convenu, tu n’es pas curieuse.
LOUISE
Certainement, non !...
BRIDAINE
Non !... non !... non !... J’avais tort, et toute la communauté aussi… et pour m’en
convaincre…
LOUISE
Pour vous en convaincre ?...
BRIDAINE
Voici Marie…Laisse-moi seul avec elle, puisque tu n’es pas curieuse. Ah !
LOUISE, à elle-même.
Je suis prise !...
SCENE IX
LES MEMES, MARIE, entrant de la deuxième porte à droite
MARIE
Monsieur Bridaine !
BRIDAINE
Mon enfant !... Vous, Louise, laissez-nous !
LOUISE
Ça suffit…on s’en va !... (A part) Allez ! allez ! faites des cachotteries ! Je finirai
toujours bien par savoir la vérité.
Elle sort à droite
59
SCENE X
MARIE, BRIDAINE, puis GONTRAN
MARIE, riant.
Ah ! Que de mystère, monsieur Bridaine !
BRIDAINE
C’est que j’ai à vous parler d’une chose grave, très grave !... Ah ! ma chère enfant,
depuis deux jours le ciel ne me ménage pas les émotions !
MARIE
Quelles émotions ?
BRIDAINE
Maintenant, je peux tout vous dire… Figurez-vous que mon ancien élève, Gontran de
Solanges…
MARIE
Dont vous nous parliez si souvent ?
BRIDAINE
Oui !... Et avec tant d’éloges ! Que voulez-vous ? Il les mérite, et puis c’est ma manie
de parler comme ça des uns aux autres.
MARIE
Alors vous lui parliez aussi de moi ?
BRIDAINE
De vous ? … constamment et avec un enthousiasme qui a fait tout le mal !
MARIE
Mais quel mal ?
BRIDAINE
Je ne sais pas si je dois vous dire…
MARIE
Vous le devez !
BRIDAINE
Eh bien ! Gontran vous adore.
60
BRIDAINE
Je le sais…il me l’a avoué ! Et je sais aussi que, pour arriver jusqu’à vous, il n’est pas
d’extravagance dont il ne serait capable, le malheureux !...
MARIE, à part.
Je m’en doute.
BRIDAINE
Par bonheur, votre obéissance aux volontés du gouverneur concilie tout.
MARIE
Je ne comprends pas…
BRIDAINE
C’est pourtant limpide ! Vous allez écrire à Gontran que vous ne l’aimez pas ! … que
le monde vous épouvante… que le mariage vous fait peur… et que vous prenez le
voile par goût par plaisir, par vocation !...
MARIE
Mais savez-vous bien ce que vous me demandez là ?... Vous me demandez un
mensonge, un gros mensonge !...
BRIDAINE
Hein ?... quoi ?... Vous aimez Gontran ?...
MARIE
Pourquoi m’en parliez-vous sans cesse avec tant d’admiration ?
BRIDAINE
Allons, bon ! allons, bien ! … Mais je suis donc destiné à porter le ravage dans tous
les cœurs !... je n’oserai plus ouvrir la bouche, ma parole !... Avec cette lettre, tout était
fini ! Sans cette lettre, je le connais, c’est un écervelé !... il va commettre quelque folie,
que le cardinal lui fera payer de sa tête.
MARIE
Ah ! mon Dieu…mais je ne veux pas que Gontran expose sa vie pour moi!... qu’il
m’expose moi-même à la douleur d’avoir causé sa perte !... et plutôt que de lui laisser
courir de si grands dangers…
BRIDAINE
Que faites-vous ? …
BRIDAINE
Mais cette lettre, maintenant, c’est un mensonge ?
61
MARIE
N’est-ce pas le seul moyen de le sauver ?...
BRIDAINE
C’est juste… Tenez, mademoiselle Marie, vous êtes un ange !... vous mentez, mais
vous êtes un ange !... Il n’y a que les femmes dit-on pour avoir ces délicatesses ! (Se
rapprochant.) Ajoutez que vous ne sauriez jamais partager ses
sentiments…jamais !... que, fussiez-vous libre de l’épouser, vous n’auriez pas su
faire son bonheur !...
MARIE
Oh ! je crois que si.
BRIDAINE
Et moi donc ! …mais n’importe !... Quand on commence à mentir, un peu plus… un
peu moins… (A lui-même) Qu’est-ce que je dis donc ?... En voilà des maximes !...
MARIE
Est-ce tout, M. Bridaine ?
BRIDAINE
Oui, mon enfant, je vous remercie… vous pouvez rejoindre vos compagnes !...
BRIDAINE
Un révérend ? … c’est le ciel qui l’envoie… c’est bien le consolateur qu’il vous faut !
Venez, mon père, et consolez cette enfant…
GONTRAN, s’oubliant.
Consoler Marie ? … Mais de quels chagrins ?
BRIDAINE
Cette voix !
MARIE
Imprudent !
BRIDAINE
Gontran !... vous ici, monsieur, malgré ma défense !...
GONTRAN
Plus bas, mon ami !...
BRIDAINE
Comment, plus bas ? il me plaît de crier !
GONTRAN
Voulez-vous me perdre ?...
62
BRIDAINE
C’est pourtant vrai !... Le garnement me tient…mais au moins n’espérez aucun profit
de cette mascarade sacrilège !... Vous, Marie, laissez-nous !...
GONTRAN
Mais, Bridaine…
BRIDAINE
Vous, demeurez, monsieur ! nous avons un compte à régler.
Il fait sortir Marie à droite.
SCENE XI
GONTRAN, BRIDAINE, puis BRISSAC
BRIDAINE
Et d’abord toutes vos folies ne vous serviront de rien.
GONTRAN
C’est ce que nous verrons !
BRIDAINE
C’est tout vu !... Au moment même où vous entriez, Marie venait de me remettre
cette lettre qu’elle vous adressait.
(Il lui donne la lettre.)
Fin Dialogue 11
N°11 : ROMANCE
GONTRAN
I
Il serait vrai, ce fut un songe
Dont le réveil brise mon cœur !
Je ne serais, fatal mensonge !
Que le jouet d’un sort moqueur !
Et pourtant, un doute suprême
Près d’elle encor retient mes pas !
Ses yeux semblaient déjà me dire : Je vous aime !
Sa lettre, hélas ! dit : Je ne vous aime pas !
II
Faudra-t-il voir s’enfuir l’aurore
De mes beaux rêves effacés ?
Vainement je relis encore
Ces mots que sa main a tracés !
Dans ma foi persistant quand même,
63
Laissez -moi répéter tout bas :
Ses yeux semblaient pourtant me dire : Je vous aime
Sa lettre, hélas ! me dit : Je ne vous aime pas.
(Fin du n° 11)
Dialogue 12
BRIDAINE
Quel entêtement !... devant cette lettre, qui respire la vocation la plus déterminée !...
BRIDAINE
Une lettre de Marie!... Où as-tu trouvé ça ?
GONTRAN
Dans son pupitre !
BRIDAINE
Ah ! tu fouilles dans les pupitres à présent !
GONTRAN
Comment concilier tout cela ?
BRIDAINE
Concilier ?... Ah ! mon pauvre garçon… Est-ce que les femmes ont jamais deux
idées qu’on puisse concilier !... François Ier l’a dit… Il l’a même écrit sur les vitres de
Chambord… Mais il ne s’agit pas de Chambord… Il s’agit de partir d’ici, et au plus
vite…
BRIDAINE
Jurez ?... D’abord, je ne jure pas… je ne jure jamais… c’est défendu par les
canons… Et puis, c’est assez de folies comme ça ! Un capucin…non ! un
mousquetaire, dans un couvent d’Ursulines !... Tiens, je t’en supplie !...partons ! Je
tremble toujours de voir surgir des complications !
BRIDAINE
Ah !...cette voix !... cette chanson ! … Est-ce une hallucination ? …Un épouvantable
cauchemar ?... (voyant paraître Brissac) Monsieur de Brissac en était !... Oh ! pour
sûr, j’en ferai une maladie !
64
BRIDAINE
Gris ! le malheureux !
Fin Dialogue 12
N°11bis ARIETTE
BRISSAC
Dialogue 13
BRISSAC
L’abbé Bridaine… Tenons-nous !... (Lui donnant la bénédiction.) Mon très cher
frère !...
65
GONTRAN
C’est inutile, il sait tout !...
BRISSAC
Tout !... Alors, à bas les capuchons !... Vous offrirai-je un pruneau… à l’eau de
vie ?...
BRIDAINE
Monsieur !...
BRISSAC
Des manières !... Mais, chanoine de mon cœur…
GONTRAN
Brissac !...
BRISSAC
Aussi, pourquoi fait-il des manières, ton ex-précepteur ? …Est-ce qu’il n’est pas un
des nôtres ? …
BRIDAINE
Des vôtres ? …
BRISSAC
Complice par force majeure !... Vous offrirai-je un pruneau ? …
BRIDAINE
Vade retro, satanas !...
BRISSAC
A l’eau de vie !...
GONTRAN
Brissac !...
BRISSAC
Présent !
GONTRAN
Tu es mon ami ?
BRISSAC
A la vie, à la mort !... Veux-tu un pruneau ?
BRIDAINE
Allez vous coucher !...
66
BRISSAC
Sans souper !...
GONTRAN
Plus tard, souper !
BRIDAINE
Il sort de table !
BRISSAC
Précisément ! Qui a bu, boira !...
GONTRAN
Si c’était une preuve de ton attachement que je te demandais là ?...
BRISSAC
Tout ce qui te fera plaisir ! j’ai dit : « A la vie, à la mort ! » Veux-tu un pruneau ?
GONTRAN
Eh bien ! viens ! Les bonnes sœurs nous ont préparé une chambre…
BRISSAC
Pas ça !... tout !... mais pas ça… Et mon sermon, donc ?...
BRIDAINE
Quel sermon, donc ?...
BRISSAC
Je leur ai promis un sermon… je ne manquerai pas à ma parole !... c’est une dette
d’honneur !... car j’ai déjeuné… j’ai déjeuné… je dois le sermon !... Je n’aurai pas
déjeuné… mais j’ai déjeuné…
BRIDAINE
Trop !...Nous dirons que vous étiez souffrant !...
BRISSAC
Pourquoi parce que j’ai déserté !... J’ai promis de prêcher…je prêcherai !
BRIDAINE
Mais, malheureux, dans votre état…
BRISSAC
Mon état… qu’est-ce qu’il a mon état?... non, ne chicanons point !... je suis peut-être
un peu trop… ou pas assez… mais, cornes du diable, je n’en parlerai qu’avec plus
de feu !
GONTRAN
On vient !... plus bas !
BRISSAC
Plus bas ! (A Bridaine.) Veux-tu un pruneau ?...
67
BRIDAINE
Que le diable vous emporte !... (Il lui arrache le bocal des mains.) Oh ! encore ! …
Fin Dialogue 13
SCENE XII
LES MEMES, LA SUPERIEURE, SŒUR OPPORTUNE, LOUISE, AGATHE,
SŒURS et PENSIONNAIRES
FINALE
CHŒUR
SOPRANES
De la cloche qui vous appelle
Entendez-vous le tintement ?
Depuis une heure à la chapelle
On vous attend patiemment !
BRISSAC
A la chapelle ! Et que m’importe, en somme ?
GONTRAN
Brissac, je meurs d’effroi !...
BRIDAINE
Malheureux ! mon sang bout !
BRISSAC
Restons ici plutôt ! croyez en un saint homme :
Dieu, mes sœurs, est partout !
SOPRANES
C’est étonnant,
C’est surprenant,
Mais on dirait que le bon père,
Par trop de chère
Mis en humeur,
Au déjeuner fit trop d’honneur !
BRISSAC
Mes bonnes sœurs, n’en croyez rien,
68
Je me sens très bien.
BRISSAC
Car je vais prêcher…
BRIDAINE
Sur quoi, Seigneur ?...
BRISSAC
(parlé) : Sur quoi ?
(chanté) :Sur l’abstinence !
BRIDAINE, à part
Joli sujet maintenant !
BRISSAC
Partout, partout !
SOPRANES
C’est étonnant !
C’est surprenant !
Mais on dirait que le bon père,
Par trop chère
Mis en humeur,
Au déjeuner fit trop d’honneur !...
BRISSAC
Sur l’abstinence !
BRIDAINE
Et ne pouvoir, hélas ! obtenir qu’il se taise !
GONTRAN, SOPRANES
Une thèse pareille, en un pareil séjour !...
BRIDAINE
(parlé) : Sur l’amour !
69
COUPLETS DE BRISSAC
BRISSAC
L’amour n’est pas, quoi qu’on en dise
Un sentiment blâmable en soi !
Il va de pair, nous dit l’Eglise,
Avec l’espérance et la foi !
Les Pères, après les Apôtres,
Sont d’accord sur le premier point :
Que la morale nous enjoint
De nous aimer les uns les autres !
REFRAIN
Aimons-nous donc !
Tel est mon prêche
Qui n’aime pèche !
De Cupidon
Vive la flèche,
Et le brandon !
BRISSAC
Aimons-nous donc !
Tel est mon prêche
Etc…
II
BRISSAC
L’amour, qu’on vous peint effroyable,
N’a rien qui vous doive effrayer !
Ce petit Dieu n’est qu’un bon diable,
Qu’on ne doit pas calomnier,
Et loin d’en maudire les chaînes,
Me conformant aux livres saints,
Moi, si j’aime tous mes prochains
J’ai aussi toutes mes prochaines !
LES SŒURS
Juste ciel ! quel affreux scandale !...
Il prêche une étrange morale !
70
ENSEMBLE :
LOUISE, AGATHE, BLANCHE, ISABELLE
Quel singulier sermon nous entendons prêcher !
Mais de se divertir on ne peut s’empêcher,
Et si les bonnes sœurs ont l’air de se fâcher,
Tant pis ! l’amour n’a rien pour nous effaroucher.
BRISSAC
Aimons-nous, aimons-nous donc !
GONTRAN
N’y prenez garde, il est souffrant !
BRISSAC
Aimons-nous, aimons-nous donc !
ENSEMBLE :
MARIE, LOUISE, SOPRANES
Jamais je n’aurais crû qu’on puisse ainsi prêcher !
Et de le remarquer je ne puis m’empêcher !
Ah !quel affreux scandale !...
Et surtout ne répétons pas
Ce refrain de source infernale !...
BRISSAC
Aimons-nous, aimons-nous donc !
Vive la flèche de Cupidon !
Mais vous, enfants, ne croyez pas
Mon refrain de source infernale !...
71
L’horrible prêche,
Rien ne l’empêche !
De Cupidon, à bas la flèche
Et le brandon !...
72
ACTE TROISIEME
SCENE PREMIERE
La cour du couvent
CHŒURS HOMMES
Sous les grands murs du vieux couvent,
L’oreille au guet, le nez au vent,
Faisons sentinelle,
Sous les grands murs du vieux couvent,
Nos officiers sont dans un coin de quelque tourelle,
Faisons sentinelle !
(fin du n°13)
Dialogue 14
BRIDAINE
Le brigadier, avec une patrouille !... Ah ! bien, merci, assez de mousquetaires
comme ça !
Il ferme vivement le guichet
RIGOBERT, au dehors
Monsieur l’abbé ! … (Criant avec les autres.) Monsieur l’abbé !
BRIDAINE, impatienté
Voulez-vous bien vous taire !
73
RIGOBERT
Des nouvelles de nos officiers, rien de plus !
BRIDAINE
Est-ce que j’en ai, moi ?... Est-ce qu’on me les a donnés à garder ?
SCENE II
LES MEMES, GONTRAN
GONTRAN, en mousquetaire
Eh bien ! Bridaine ?...
BRIDAINE
Allons, bon !... le voilà, maintenant, pour me faire mentir !... (Il ferme le guichet.)
GONTRAN
Avec qui causiez-vous là ?
BRIDAINE
Avec de pauvres mendiantes… âgées !
RIGOBERT, criant
Monsieur l’abbé !
GONTRAN
Mais c’est la voix de Rigobert !... (il va ouvrir) Rigobert vous ici ?...
RIGOBERT
Inquiet de votre absence, capitaine… et avec quelques camarades, pour vous venir
à la rescousse au besoin !
GONTRAN
Merci !... Mais tes prisonniers ?
RIGOBERT
Sous bonne garde, j’en réponds
BRIDAINE
Quels prisonniers ?
GONTRAN, le repoussant
Cela n’est pas votre affaire, mon ami… (A Rigobert) Toi, écoute ! (Bridaine
s’approche) Pas vous, Bridaine… pas vous !
Il le repousse.
BRIDAINE, descendant
Il m’envoie promener… Ah ! si je pouvais… Mais voilà ! je ne peux pas !
GONTRAN
Dans une heure, sous bois, avec nos chevaux ! Est-ce convenu ?
74
RIGOBERT
Oui, capitaine !
(Gontran referme le guichet.)
BRIDAINE
Qu’est-ce qui est convenu ?
GONTRAN
Cela n’est encore pas votre affaire !
BRIDAINE, sévèrement
Monsieur… attention…! On vient…
GONTRAN
Les religieuses…peut-être?
BRIDAINE
Non…les pensionnaires…C’est l’heure de la récréation… Elles vont jouer dans le
jardin…allons !
Il veut l’entraîner à gauche
GONTRAN
Ah ! si je pouvais seulement apercevoir Marie !
BRIDAINE
Taratata !... Rentrez ! … Assez de folies, ventre- saint-gris !... Oh ! il me fait jurer
comme un mécréant ! (Il fait rentrer Gontran dans le pavillon) Pour plus de sécurité,
enfermons-les !
Il ferme la porte à clef
Fin Dialogue 14
SCENE III
MARIE, LOUISE, AGATHE, PENSIONNAIRES, SŒUR OPPORTUNE
CHŒUR FEMMES
Deux à deux, posément,
Comme il sied à notre âge,
Nous venons, sous l’ombrage
Nous distraire un moment !
SŒUR OPPORTUNE
Je vous laisse, blanches gazelles,
A la gaîté de vos seize ans !
Mais que vos jeux, mesdemoiselles,
75
Comme vos cœurs soient innocents.
CHŒUR FEMMES
Deux à deux, posément,
Comme il sied à notre âge ,
Etc…
(fin du n° 14)
Dialogue 15
BRIDAINE, s’avançant.
Un mot, sœur Opportune ?
SŒUR OPPORTUNE
Monsieur l’abbé ?...
BRIDAINE
Je ne vois pas Marie ! où est-elle ?
SŒUR OPPORTUNE
Dans sa chambre, en prière !...
BRIDAINE, à part
En larmes, certainement !... (Haut.) Ne pourrais-je la voir ?
SŒUR OPPORTUNE
Je pense que si !... Venez, monsieur l’abbé !... Et vous, mesdemoiselles, soyez
sages et réservées !... Il faudra bien de la docilité pour faire oublier à notre mère
votre incartade de ce matin !
(Elle sort avec Bridaine)
SCENE IV
LOUISE, LES PENSIONNAIRES, puis BRISSAC
LOUISE
Notre incartade de ce matin ? Est-ce qu’il y a eu de notre faute ?
TOUTES
Non !... non !...
LOUISE
Ce révérend prêchait si bien !
AGATHE
Si gaiement !
LOUISE
Sur un si joli sujet ! C’est ce qu’on peut appeler une parole entraînante !
76
TOUTES
Oh ! oui !...
LOUISE
Aussi suis-je entraînée… et si vous m’en croyez…
AGATHE
Que ferons-nous ?
LOUISE
Nous nous révolterons !
TOUTES
C’est cela ! Révoltons-nous !
TOUTES , se sauvant ;
Ah !...
(Louise seule reste)
SCENE V
LOUISE, BRISSAC
LOUISE
Je suis restée, moi !... Je suis curieuse de savoir ce que c’est que ce révérend-là ?
BRISSAC
La petite Louise !... Eh ! eh ! Je ne vous ai pas fait peur, mon enfant !
LOUISE
Non, mon père. Du reste, je désirais vous parler.
BRISSAC
Comme ça se trouve ! Vous m’excuserez de ne pas descendre…Ce satané
Bridaine…
LOUISE
Satané ?...
BRISSAC
Non ! non ! Je retire satané ! Mais il a retiré la clef, lui… la clef n’est pas sur la
porte ?
LOUISE
Non.
BRISSAC
Je suis enfermé… Mais nous pouvons causer tout de même.
77
LOUISE
Très bien !… Je voulais soumettre à vos saintes lumières un petit cas de
conscience…
BRISSAC
Ah ! ah ! un petit cas de conscience ? … C’est bien peu de chose !... J’aimerais
mieux une confession générale ! Dépêchons toujours ! La bonne mère pourrait venir,
et je crois qu’elle trouverait étrange ce système de confessionnal perchoir, car, après
mon équipée de ce matin…
LOUISE
C’est vrai que vous nous avez fait un sermon…
BRISSAC
Très étonnant, mon sermon ! Vous n’êtes pas accoutumées à des textes aussi
joyeux ?
LOUISE
Moi, ça m’a beaucoup amusée, mais madame la supérieure…
BRISSAC
Elle était scandalisée ?...
LOUISE
Mais c’est peut-être que vous n’avez pas l’habitude de prêcher ?
BRISSAC
Ma parole d’honneur, c’était un début !
BRISSAC
Hier ! pas davantage.
LOUISE
Ah !... Et c’est sans doute quelque grande peine de cœur ?
BRISSAC, à part.
Ah ça ! est-ce que c’est elle qui va me confesser ?...
LOUISE
Vous ne répondez pas ?
BRISSAC
Peine de cœur…pas tout à fait !... Mais affaire de cœur !
LOUISE
Que faisiez-vous avant d’être capucin ?
BRISSAC
Je faisais la guerre ! J’étais mousquetaire du roi.
78
LOUISE
Oh ! oh ! mousquetaire !
BRISSAC
Vous connaissez ce régiment ?
LOUISE
J’en ai entendu parler par mon oncle ! Il paraît que vous y êtes tous très mauvais
sujets !
BRISSAC
Par exemple !
LOUISE
Etiez-vous très mauvais sujet aussi ?
BRISSAC
Moi ? (A part) Décidément, c’est elle qui me confesse !
LOUISE
Vous ne répondez pas ?
BRISSAC
J’étais un saint, mon enfant ! Mes camarades m’appelaient saint Narcisse, qui est
mon petit nom.
LOUISE
Vous étiez sage, donc ?
BRISSAC
Une colombe !
LOUISE
Vous ne querelliez pas tous les hommes?
BRISSAC
Pas un !
LOUISE
Vous n’embrassiez pas toutes les femmes ?
BRISSAC
Pas une ! (A part) Allons ! allons ! je suis confessé !
LOUISE
Alors quelle est cette affaire de cœur qui vous a jeté dans la religion ? Vous ne
répondez pas ?
BRISSAC
Je vais vous dire ! (A part.) Ma foi, tant pis ! Elle est charmante, et l’occasion…
(Haut.) Voici…
79
LA VOIX DE LA SUPERIEURE, au dehors
Mais, sœur Opportune, vous n’y songez pas !
LOUISE, à elle-même
On vient ! J’allais tout savoir !
BRISSAC
Les importuns ! j’allais me déclarer.
Il ferme son œil de bœuf et disparaît
SCENE VI
LOUISE, LA SUPERIEURE, SŒUR OPPORTUNE
Entrant par le premier plan, à droite.
LA SUPERIEURE, sévèrement
Que faites-vous ici, mademoiselle ?
LOUISE
Vous le voyez, ma mère, je médite.
LA SUPERIEURE, s’adoucissant
Je le vois, mon enfant ! Mais allez méditer plus loin. Le voisinage des révérends me
donne de réels sujets d’alarme, et je déplore que sœur Opportune vous ait laissée
prendre votre récréation dans cette cour !... Allez, allez toutes deux ! Moi, je vais
m’informer !...
(Louise remonte.)
LA SUPERIEURE
Dans les vignes ? …
SŒUR OPPORTUNE
Du Seigneur !
LA SUPERIEURE
C’est ce que je veux éclaircir auprès de M. Bridaine ! allez !...
Sœur Opportune sort, précédée de Louise à droite, deuxième plan.
80
SCENE VII
LA SUPERIEURE, puis BRIDAINE
LA SUPERIEURE, se retournant
Monsieur l’abbé !...vous n’étiez pas auprès des révérends ?
BRIDAINE
Non, ma mère, notre malade reposait un peu…et j’ai cru pouvoir le quitter un
moment !
LA SUPERIEURE
Notre malade, monsieur l’abbé ? Est-il bien vrai qu’on puisse mettre ses
extravagances au compte de quelque maladie ?
BRIDAINE
Aïe ! aïe !
LA SUPERIEURE
Je croirais plus volontiers que le malheureux était… Comment dirais-je ?
BRIDAINE
Je ne sais pas.
LA SUPERIEURE
D’autant que sœur Félicité, qui lui a servi son déjeuner, s’est aperçue qu’il avait
mangé copieusement.
BRIDAINE
Le pauvre homme !
LA SUPERIEURE
Qu’il avait bu plus copieusement encore.
BRIDAINE
Le pauvre homme !
LA SUPERIEURE
Et qu’enfin un gros certain bocal de prunes à l’eau-de-vie avait disparu de l’office.
BRIDAINE
Le pauvre bocal !... Le pauvre homme !
81
LA SUPERIEURE
Vous le plaignez, monsieur l’abbé ?
BRIDAINE
Certes, je le plains… je le plains d’être en butte à de semblables suppositions… si
calomnieuses… si imméritées… et si vous connaissiez son histoire…
LA SUPERIEURE
Il y a une histoire… Racontez-la moi, monsieur Bridaine !
BRIDAINE, à part
Allons bon ! où me suis-je encore embarqué ?
LA SUPERIEURE
Quelque grande douleur ? …
BRIDAINE
Précisément !
LA SUPERIEURE
Qui l’a jeté dans la religion ?...
BRIDAINE
Voilà !
LA SUPERIEURE
Eh bien ! continuez, vous m’intéressez infiniment !
BRIDAINE
Que je continue ?... (A part.) Allons, il n’y a que le premier pas qui coûte ! (Haut.) Une
grande douleur, vous avez bien dit. La perte d’une femme qu’il chérissait… lui a fait
quitter, jadis, l’armée pour le froc… Il est parti pour la Palestine…en pèlerinage… à
pied. Et c’est en traversant le désert, par une chaleur… que nous ne soupçonnons
pas en Touraine…qu’un coup de soleil… de soleil tropical… a ébranlé sa raison et
déterminé des crises de folie…avec intermittences de lucidité… pareilles à la crise
que vous avez vue… Ouf !
LA SUPERIEURE
Un coup de soleil ?
BRIDAINE
Tropical,oui, ma soeur !
LA SUPERIEURE
Le pauvre homme !...Et moi qui l’accusais !...
Je m’en veux de mes odieux soupçons… et, pour les racheter, je ne l’oublierai plus
dans mes prières !Vous le lui direz, monsieur l’abbé… Je ne l’oublierai plus !
(Elle sort à droite, deuxième plan.)
82
SCENE VIII
BRIDAINE, BRISSAC, puis SŒUR OPPORTUNE, puis SIMONE
BRIDAINE
Monsieur !
BRISSAC
Il y a plaisir à vous avoir dans son jeu, vous !
BRIDAINE
Monsieur !
BRISSAC
Vous êtes un homme à expédients !
BRIDAINE
Monsieur !
BRISSAC
Là, là ! ne vous fâchez point, papa Bridaine…et avisons plutôt au moyen de …
BRIDAINE
De sortir d’ici.
BRISSAC
Non
BRIDAINE
Si !... Assez d’alertes comme cela !.... Je crains à chaque instant quelque nouvelle
anicroche, et je ne peux pas vivre dans ces transes continuelles. (On sonne à la
porte du fond) Ah ! mon Dieu !
BRISSAC
Qui vient là ?
BRIDAINE
Ça ne vous regarde pas… Mais la sœur tourière va ouvrir ! Cachez-vous donc !... si
l’on vous voyait ainsi…
BRISSAC
Trembleur !...
Il se cache derrière l’arbre.
83
SŒUR OPPORTUNE, entrant.
(Elle va ouvrir)
Ah ! C’est vous Simone !
BRISSAC, à part.
Simone !
BRIDAINE
Simone, ici !
SIMONE
Pardon, excusez, ma sœur. Je voudrais parler à M. l’abbé Bridaine ?
SŒUR OPPORTUNE
Le voici tout justement.
BRIDAINE, à part.
Qu’est-ce qu’elle peut me vouloir ?
BRIDAINE
Vos prières ?... Le révérend ?... Ah ! j’y suis…madame la supérieure vous a raconté
le coup de soleil ?...
SŒUR OPPORTUNE
Oui !...le pauvre homme !...
(Elle sort.)
SCENE IX
BRIDAINE, BRISSAC, SIMONE
Dialogue 16
BRIDAINE, à lui-même.
Un mensonge qui fera du chemin, celui-là ! ( A Simone.) Mais toi, qu’est-ce qui
t’amène ?
SIMONE
C’est maître Pichard, qui m’envoie vers vous, pour vous demander si vous n’avez pas
vu M. de Brissac.
BRIDAINE
M. de Brissac !...non ! non ! je ne l’ai pas vu !... (A Brissac qui rit en cachette) Je vous
conseille de rire !
84
SIMONE
Alors, nous voilà bien !... avec les mousquetaires qui ont leur consigne et les révérends
qui n’ont pas leurs robes !
BRIDAINE
La consigne des mousquetaires ?... Les robes des révérends ?... Je ne comprends
pas !
SIMONE
Ah ! c’est que vous ne savez pas …
Couplets.
I
A la porte des révérends,
Quatre soldats montent la garde,
Et le temps passe, et l’heure tarde
Et ce sont des cris déchirants !
Avec un accent pitoyable,
Les pères crient : Aux assassins !
On croirait entendre le diable
Dans la chambre des capucins !
II
Y regarder, on n’ose pas,
Car des aventuriers, peu probes
Ont emporté depuis leurs robes
Jusqu’à leurs souliers et leurs bas.
Et ce matin, chose effroyable !
Sous ces vêtements trop succints,
J’avais déjà cru voir le diable
Dans la chambre des capucins !
Brissac rit aux éclats
SIMONE
Vous riez, monsieur l’abbé ?
BRIDAINE
Non, ce n’est pas moi, c’est… c’est l’écho…( A Brissac) Je vous conseille…
SIMONE
Alors…si vous aviez su où trouver M. de Brissac…on aurait pu lui demander de lever
la consigne des mousquetaires…
BRIDAINE
Si j’avais su, mais puisque je ne sais pas !
85
SIMONE, criant
Ah ! mon Dieu !
BRIDAINE
Ne crie pas ou je t’étrangle !
SIMONE
Vous ?
BRIDAINE
Moi !... Je suis sur une pente fatale !... Je ne sais pas où je m’arrêterai !
SIMONE
Vous ici, mauvais sujet ! … Mais comment ?
BRIDAINE
Eh ! malheureuse, n’as-tu pas tout deviné ? Les aventuriers qui ont dépouillé les
bons pères…
SIMONE
M. Gontran en serait aussi ?
BRIDAINE
Mon élève… oui !... impie…profane !... Mais c’en est assez ! … C’en est trop ! (A
Brissac) Vous allez signer l’ordre de remettre en liberté ces pauvres moines !
BRISSAC
Tant que nous serons ici, impossible.
BRIDAINE
C’est juste !... Eh bien ! partons tout de suite !
BRISSAC
Le pouvons-nous ?
BRIDAINE
Assurément !...Remettez les robes et prenons congé. Gontran ! Gontran !
SCENE X
LES MEMES, GONTRAN
GONTRAN
Pardon… j’écrivais … Ah ! Simone !
SIMONE
Pour vous servir, monsieur le capitaine.
BRIDAINE
Est-ce l’ordre de lever les arrêts de nos malheureux pèlerins que vous écriviez ?
86
GONTRAN
Non, Bridaine !... Je n’y pensais guère… à vos malheureux pèlerins… mais puisque
vous me défendez de revoir Marie…
BRIDAINE
Je te le défends absolument !
GONTRAN
Je lui faisais mes adieux.
BRIDAINE
Tes adieux ?... Est-ce bien vrai ?
BRISSAC
Ce que c’est que de mentir ! On ne croit plus à rien. !
BRIDAINE
Ne m’irritez pas, vous !... Et toi, montre-moi cette lettre.
GONTRAN
C’est inutile, mon ami, vous ne voudriez pas vous en charger.
BRISSAC
Non !... votre âge, votre caractère, votre réputation… (Prenant la lettre.) mais
Simone…
GONTRAN, à simone
Oui, toi !
BRIDAINE
Cependant !...
BRISSAC
A bas les mains !... Prends cette lettre !
GONTRAN
Et cette bourse !
BRISSAC
Garde la bourse…
GONTRAN
Et remets la lettre à mademoiselle Marie…
BRISSAC
En cachette de tout le monde !... Quoique ce soit un adieu, n’en doutez pas,
monsieur l’abbé !
BRIDAINE
Je voudrais m’assurer…
87
BRISSAC
A bas les mains !... mystère et discrétion !
SIMONE, sortant
Fiez-vous à moi. (A Bridaine, qui cherche à lui prendre la lettre.) A bas les mains !...
SCENE XI
GONTRAN, BRIDAINE, BRISSAC, puis la SUPERIEURE
BRISSAC
Et maintenant, à nos robes !
GONTRAN
Partir d’ici ?
BRISSAC, bas
Feindre au moins… pour ne pas exaspérer Bridaine
Ils rentrent à gauche
BRIDAINE
Que je suis donc vexé, mon Dieu ! d’avoir quitté mon ermitage !... où j’étais si
heureux ! si tranquille !... Ah ! j’avais bien besoin de m’occuper de ces deux jeunes
gens ! monsieur abbé ?
LA SUPERIEURE, rentrant.
Eh bien !...
BRIDAINE
Eh bien ! ma sœur ?
LA SUPERIEURE
Comment se trouve-t-il ?
BRIDAINE
Qui ?
LA SUPERIEURE
Mais votre pauvre malade ! Est-il revenu à la raison ?
BRIDAINE
A la raison !... Oui ! oui ! il semble bien !
LA SUPERIEURE
Cela ne m'étonne pas !... J'ai déjà dit trois chapelets à son intention !
BRIDAINE
Et le ciel vous a exaucée... si bien que le voici avec son compagnon qui vient
prendre congé de vous !
88
LA SUPERIEURE
Prendre congé ? …
LA SUPERIEURE
Eh ! quoi, mes révérends, vous voudriez nous quitter déjà ?
BRIDAINE
Il le faut… leur pèlerinage…leur mission…leur…(Bas.) Prends donc garde, ta
dentelle passe !
Il l’arrange.
LA SUPERIEURE
Il n’importe , votre présence nous est nécessaire ici.
GONTRAN
Vraiment ?
LA SUPERIEURE
Jusqu’à l’arrivée du cardinal, au moins.
BRIDAINE
Le cardinal ?
LA SUPERIEURE
Il arrive demain ?
BRIDAINE
Demain !
LA SUPERIEURE
Et c’est pourquoi je venais vous chercher. Le conseil de la communauté s’assemble
pour délibérer sur la réception que nous devons faire à Son Eminence, et nous
espérons que vous daignerez vous joindre à nous, ainsi que M. Bridaine, pour nous
donner vos sages avis.
BRIDAINE
Au conseil de la communauté ?
BRISSAC
Mais, comment donc ! Tout l’honneur sera pour nous, ma sœur !
89
SCENE XII
LES MEMES, SIMONE, puis SOEUR OPPORTUNE
SIMONE
Oh ! la supérieure !
LA SUPERIEURE
Qu’est-ce que c’est ?
SIMONE
C’est moi, madame, Simone de chez maître Pichard.
GONTRAN, à part.
La réponse de Marie ?
BRIDAINE
Oui !... oui !... vous voyez !...
LA SUPERIEURE
De l’artillerie ?...
BRISSAC
Oh ! pardon ! vous n’avez peut-être pas de canon ici. Mais venez donc, monsieur
Bridaine !...
Ils sortent à droite
90
SCENE XIII
GONTRAN, SIMONE, par instants, puis MARIE
GONTRAN
Partis ! enfin ! Et tu dis qu’elle viendra ?
SIMONE
Elle l’a bien promis…
On se rendait à la chapelle
Malgré la sœur qui surveillait !...
Je parvins à m’approcher d’elle
Et lui remis votre billet
Suivant la classe
La tête basse
Cachant les pleurs qui coulaient de ses yeux
Triste et pensive
L’enfant captive
Mêlait sa voix aux chants religieux Ah !
Mais sitôt qu’elle a votre lettre
Elle rougit elle pâlit
Puis sans y rien laisser paraître
La met dans son livret et la lit
Heureuse et fière
Son front s’éclaire
L’amour ajoute encore à sa beauté
Plus de nuage
Sur son visage
Ou de nouveau reparaît la gaité
Et jamais durant un cantique
Jamais je ne vis croyez m’en
Mettre une ardeur plus angélique
A lire plus dévotement
Bref un sourire
A su me dire
Combien sa joie est complète aujourd’hui
Même elle ajoute :
Simone écoute
Dans un instant je serai près de lui.
Encore un peu de patience
C’est ici qu’elle va venir
Et si bien tout cela commence
Que mieux encore tout doit finir
91
Dialogue 17
SIMONE
Tenez, la voilà … (Entre Marie) Je suis là… Je veille sur vous !...
Elle disparaît
GONTRAN
Que c’est bon à vous d’être venue, Marie !
MARIE
Pouvais-je vous le refuser, quand vous me menacez de tout avouer au cardinal ?
GONTRAN
Bridaine mentait donc !...
MARIE
C’est lui qui m’avait que mon amour pour vous serait fatal !
GONTRAN
Fatal, en effet, si vous ne consentez pas à fuir avec moi !
Fin Dialogue 1
N° 16 : DUETTO
GONTRAN
Il faut fuir, le danger nous presse,
Mais fuir seul, plutôt le trépas !
MARIE
Doutez-vous donc de ma tendresse ?
Je ne vous abandonne pas,
Et quelque danger qui se dresse,
Partout je veux suivre vos pas !
GONTRAN
Puis-je douter de sa tendresse
Quand, fidèle, elle suit mes pas ?
ENSEMBLE
MARIE
Partons, hâtons-nous,
Que Dieu nous sourie !
Le cœur de Marie
Ne bat que pour vous !
GONTRAN
Eh ! bien, hâtons-nous,
Que Dieu nous sourie !
Et venez, Marie,
92
Au bras d'un époux !
GONTRAN
Venez, je vous aime,
Et l'exil lui-même
N'est plus odieux !
Loin de la patrie,
J'emporte Marie,
Son ciel dans vos yeux !...
MARIE
Partons, je suis forte
Et moi, que m'importe
Où va le chemin,
Si, me donnant toute,
Nous faisons la route
La main dans la main !
ENSEMBLE
La main dans la main,
Suivons le chemin,
Qui va nous sourire !
Partons tous les deux,
Ceux-là sont heureux,
Que l'amour inspire !...
Partons je vous aime !
REPRISE
ENSEMBLE
MARIE
Partons, hâtons-nous,
Que Dieu nous sourie !
Le cœur de Marie
Ne bat que pour vous !
Venez, je vous aime !
GONTRAN
Eh ! bien, hâtons-nous,
Que Dieu nous sourie !
Et venez, Marie,
Au bras d'un époux !
Venez, je vous aime !
SIMONE, entrant
Alerte ! J’entends quelqu’un !
93
GONTRAN, à Marie qui s’ éloigne.
Demeurez !... ce déguisement ne me permet-il pas de vous parler sans éveiller les
soupçons ?
SIMONE
C’est M. de Brissac !...
SCENE XIV
LES MEMES, BRISSAC, puis LOUISE
SIMONE
Tiens, vous ne m’avez pas embrassée cette fois !
BRISSAC
Parce que je sors d’être édifié, mon enfant !... Une heure d’édification…et de débats
palpitants, sur la question de savoir quels cantiques l’on chantera pour l’arrivée du
cardinal !... Le bon Bridaine n’y a pas tenu ! Je l’ai laissé profondément endormi, et je
profite de son sommeil… (Apercevant Marie et Gontran les mains dans les mains.)
Eh ! mais vous en profitez aussi, du sommeil de Bridaine !... Il me paraît qu’on n’a
pas perdu son temps ici ?
GONTRAN
Ah ! Brissac ! partage mon bonheur ! Marie m'aime et consent à me suivre !
BRISSAC
A merveille !
MARIE
Puisqu’autrement il voudrait mourir !
SIMONE
Et M. de Solanges est bien jeune pour ça !
BRISSAC
Un mousquetaire ne fleur, Solanges !...
GONTRAN
Dès la nuit tombée, nous partons.
BRISSAC
Un enlèvement !.. .j'en suis !...
MARIE
Louise !...je suis perdue !
94
BRISSAC
Pourquoi donc ? Mademoiselle Louise est-elle si redoutable aux amoureux ?
LOUISE
Mais certainement non… mon père !
BRISSAC
Oh !... votre père...appelez-moi plutôt capitaine ! j’aime mieux ça !
LOUISE
Capitaine ? Je l’aime mieux aussi !
GONTRAN
En tout cas, mademoiselle, vous ne vous opposez pas à notre départ ?
LOUISE
Non ! Mais à une condition, cependant !
MARIE
Parle ! nous sommes à ta merci !
LOUISE
C’est que si l’on enlève ma sœur, on m’enlèvera aussi.
BRISSAC
Vous enlever ? Eh ! mais ?...
SIMONE
Comment, mademoiselle, une si jeune fille…une novice…
LOUISE
Mais précisément ! c’est le couvent qui me fait peur !
BRISSAC
Vous n’avez pas la vocation !
LOUISE
Pas plus que Marie !...Il est vrai que je n’aime pas, moi, et ne suis pas aimée comme
elle…
BRISSAC
Ça viendra !
LOUISE
Un jour ou l’autre, j’y compte bien !... et c’est pour cela que je veux profiter de
l’occasion qui s’offre de conquérir ma liberté.
95
SIMONE
Vive Dieu ! Quelle prévoyance !
LOUISE
Est-ce décidé, messieurs ?... J’accompagne Marie… Mais rassurez-vous, cela
n’engage personne… On n’est pas tenu de m’aimer !... Si cela arrive plus tard…on
verra bien !...
BRISSAC
C’est qu’en vérité elle est adorable !
LOUISE, modestement
Adorable !...Ah !...capitaine !...
BRISSAC
Tant pis ! Je vous enlève ! Partons-nous ?
SIMONE
Comme cela?... Bras dessus, bras dessous ?... Tous les quatre ?...Si vous croyez
que la tourière vous ouvrira la porte...
MARIE
C’est vrai !
GONTRAN
Comment faire ?
BRISSAC
Il nous faudrait...
LOUISE
Une échelle, pas vrai ?… Eh bien ! Je sais où il y en a une… celle du jardinier !
BRISSAC
Où cela ?
LOUISE
Dans le petit verger, derrière ce pavillon !
SIMONE
Attendez, je vas la chercher !...
(Elle sort.)
GONTRAN
Mais une échelle…ne craindrez-vous pas ?...
LOUISE
Quoi donc ? Ah ! oui ! je sais… les messieurs monteront les premiers !
96
SIMONE, rentrant avec l'échelle)
Voilà l’échelle !
BRISSAC
Est-elle solide, au moins ?
SIMONE
Je ne sais pas, mais elle est joliment lourde !...
Fin Dialogue 18
MARIE
Quand reviendra le cardinal
De la Rochelle,
Il va, coup d'œil original,…
TOUS
…Voir notre échelle !
GONTRAN
Et cette échelle trottera
Dans sa cervelle !
Qu'est-ce, vertubleu! qu'il dira…
TOUS
…Que cette échelle ?
LOUISE
Il roulera ses yeux méchants !
« Quelque donzelle
A t-elle pris la clé des champs…
TOUS
…Par cette échelle ? »
97
BRISSAC
Dans tout le couvent confondu,
Grande nouvelle !
« Un complice naïf a vu...
TOUS
…tenir l'échelle ! »
SIMONE
Et dans le tapage infernal
De la querelle,
C'est tant pis si le cardinal…
TOUS
…Monte à l'échelle !
(REPRISE)
Prenons l'échelle,
Façon nouvelle
De déloger,
Sans déranger,
Etc…
Prenons l’échelle !
Partons !
(fin du n° 17)
SCENE XV
LES MEMES, puis BRIDAINE
Dialogue 19
GONTRAN
C'est Bridaine !
MARIE et LOUISE
Ah ! Mon Dieu !
BRISSAC
L’important !
98
SCENE XVI
SIMONE, BRIDAINE
BRIDAINE
Père capucin !... je m’étais endormi…et les misérables ont abusé de mon sommeil…
Hé ! Simone !...
BRIDAINE
Dis-moi vite…(Apercevant l'échelle) Dieu du ciel ! Cette échelle !...les tourtereaux ont
décampé ?
SIMONE
Je ne sais pas !...J'arrive moi même !
BRIDAINE
Ils ont décampé ! Mais on les rattrapera ! (criant) Sœur Opportune ! Sœur
Opportune !
SIMONE
Que faites-vous ?
BRIDAINE
Tu le vois ! J'appelle...pour me faire ouvrir la porte...et courir après les fugitifs !
SIMONE
Décidément, vous voulez les perdre.
BRIDAINE
C’est vrai !... je m’égare… n’appelons pas… Mais cette échelle...elle est solide ?
SIMONE
Dame !
BRIDAINE
Alors...je prends le même chemin qu’eux !
(Il monte. Au moment où il atteint la crête du mur, on entend une marche militaire au
dehors) Une ronde !...je suis bloqué ! (Voyant Simone qui emporte l’échelle et la
dresse contre l’arbre.) Simone ! l’échelle, mon enfant !
SIMONE
Merci, pour paraître votre complice !
(Elle rentre dans le pavillon)
99
SCENE XVII
BRIDAINE, sur le mur, puis SOEUR OPPORTUNE, LA SUPERIEURE, LES
RELIGIEUSES, puis LE GOUVERNEUR et LES MOUSQUETAIRES
LE GOUVERNEUR, au dehors
Ouvrez, au nom du roi !
SOEUR OPPORTUNE
Eh ! mon Dieu ! Qu’arrive-t-il encore ? (Elle ouvre guichet) C'est monseigneur le
gouverneur de Touraine !
LA SUPERIEURE
Monseigneur !
LE GOUVERNEUR
Où sont-ils ? Je veux les voir à l'instant !
LA SUPERIEURE
Qui cela ?
LE GOUVERNEUR
Vos révérends ! On fouillera tout le couvent...
LA SUPERIEURE
Mais qu'ont-ils fait ?
LE GOUVERNEUR
On mettra des gardes à toutes les issues ! (Il remonte) Holà
(Apercevant Bridaine qui s'est efforcé de se cacher.)
Que vois-je ? Monsieur Bridaine !
BRIDAINE
Monseigneur !...
LE GOUVERNEUR
Que faites-vous là-haut, monsieur Bridaine ?
BRIDAINE
J'admire la nature, monseigneur !
LE GOUVERNEUR
Ne raillez pas monsieur ! Votre présence sur ce mur m’est déjà suspecte ! elle
indiquerait votre complicité !
100
BRIDAINE
Aïe ! aïe !
LE GOUVERNEUR
Descendez... et répondez-moi! (On applique l'échelle, Bridaine descend.)
J’admire la nature !
LA SUPERIEURE
Mais monseigneur... cette sévérité ... Ce déploiement de forces...
LE GOUVERNEUR
Vous allez en connaître la cause ! (A Bridaine) Où sont vos complices ?...
BRIDAINE
Je vous proteste…
LE GOUVERNEUR
Où sont-ils ? … Parlez !... je le veux !...
BRIDAINE
Eh bien ! monseigneur… Mais vous leur pardonnerez ! vous serez clément pour une
étourderie de jeunesse…
LE GOUVERNEUR
Une étourderie de jeunesse !... un horrible complot tramé contre le cardinal !
BRIDAINE
Par exemple !
LA SUPERIEURE
Un complot ?
SOEUR OPPORTUNE
Contre son Eminence?
LE GOUVERNEUR
Sachez tout, mes sœurs ! Les prétendus révérends que vous avez accueillis...
LA SUPERIEURE
N'étaient pas des capucins?
LE GOUVERNEUR
C'étaient des conjurés, qui n’avaient revêtu la robe de moines que pour approcher
plus aisément du cardinal et le frapper à coup sûr ! …
TOUS
Juste ciel !
BRIDAINE
Eux ! quelle atrocité !... Les pauvres enfants !... quelle calomnie !...
101
LE GOUVERNEUR
Vous les connaissez donc ?
BRIDAINE
Moi ?... Oui !... non !... si !... c’est-à-dire… de vue seulement !... et leur langage…
leur physionomie… (A part.) Que je suis donc fâché d’avoir quitté mon ermitage !
LE GOUVERNEUR
Et vous, fouillez le couvent… battez les bois… morts ou vifs, il me faut ces
misérables !
SCENE XVIII
LES MEMES, BRISSAC, GONTRAN, puis MARIE et LOUISE
BRISSAC
Ne cherchez pas, monseigneur !
LE GOUVERNEUR
Des mousquetaires ?
SOEUR OPPORTUNE
Des mousquetaires !
LE GOUVERNEUR
M. de Brissac ! M. de Solanges !...
LA SUPERIEURE
Oh ! monsieur Bridaine !
LES SŒURS
Oh ! monsieur Bridaine !
LE GOUVERNEUR
M. de Brissac ! M de Solanges !...
LA SUPERIEURE
Oh ! Monsieur Bridaine !
LE GOUVERNEUR
Que faites-vous ici ?
LA SUPERIEURE
Croyez bien, monseigneur, que nous ignorions la présence de ces messieurs…
BRISSAC
Il est vrai… et nos robes de capucins ont donné le change à tout le monde !
LE GOUVERNEUR
C’est donc vous qui vous êtes introduits dans ce couvent ?
102
GONTRAN
Sous le déguisement que vous connaissez, oui, monseigneur.
SŒUR OPPORTUNE
Sainte Vierge !... et j’ai failli me confesser !... Oh ! monsieur Bridaine !
LA SUPERIEURE
Oh ! monsieur Bridaine !
LE GOUVERNEUR
Vous ?... mais alors ces misérables, arrivés à Vouvray ce matin ?
BRISSAC
Nous leur avons emprunté leurs frocs… pendant leur sommeil… Et nous les avons
laissés sous bonne garde à l'hôtellerie du Mousquetaire gris…
LE GOUVERNEUR
Sous bonne garde ?
SIMONE, s'approchant
Quatre hommes, le mousquet au poing … Sans compter que, dans le costume où ils
sont …
LE GOUVERNEUR
Prisonniers !...
BRISSAC
Et voyez pourtant, monseigneur, si nous avions été plus raisonnables, le cardinal
était perdu !
LE GOUVERNEUR
Bien vous en prend, capitaine, car le seul fait d’avoir pénétré dans ce monastère…
BRIDAINE, s'approchant
A mon insu, monseigneur, à mon insu...
LE GOUVERNEUR
Je veux vous croire, Bridaine ! D’ailleurs, les évènements ont donné raison à la folle
entreprise de ces écervelés, et loin de les punir, je demanderai à Son Eminence...
GONTRAN
Notre grâce ?
LE GOUVERNEUR
Mieux encore ! Une récompense !
BRISSAC
Eh bien ! monsieur le comte, il ne tient qu'à vous !
(Allant au pavillon et ramenant Louise et Marie) Venez, mesdemoiselles…
103
LE GOUVERNEUR
Mes nièces !
SŒUR OPPORTUNE
Dans le pavillon des officiers !
LA SUPERIEURE
Quel scandale !
MARIE
J'aime M.de Solanges, mon oncle !
BRISSAC
J'adore mademoiselle Louise, son oncle !
BRIDAINE
Mariez-les tous les quatre, leur oncle !
LE GOUVERNEUR
Puis-je m’y refuser maintenant ? Le cardinal signera demain votre contrat !
SIMONE
Et on fera les deux noces à l'hôtellerie du Mousquetaire gris !
Fin Dialogue 19
N° 18 FINAL
TUTTI ET CHOEUR
SIMONE
Dans le village on dansera,
Gaîment, sous le grand chêne !
Le vin de Vouvray moussera
Dans la futaille pleine !
SIMONE ET LE CHOEUR
Dans le village on dansera,
Gaîment, sous le grand chêne !
Le vin de Vouvray moussera
Dans la futaille pleine !
Boire et danser,
A perdre haleine !
Ah! hi ! Dia !
Tant pis pour qui s’en lassera !
(Fin du n°18)
Rideau final.
104