Le Plan National de Resorption Des Decharges Littorales

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La fin des plastiques ?

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Le plan national de résorption


des décharges littorales
Par Marie-Amélie NÉOLLIER
Directrice adjointe du Plan national de résorption
des décharges littorales historiques au Cerema

L’attractivité historique des littoraux a contribué à l’émergence de décharges. Elles sont les stigmates de
l’utilisation massive des plastiques depuis les années 1960. En 2022, l’État a mis en place un plan décennal
national de résorption des décharges littorales. Il y a 110 décharges inventoriées par le BRGM en 2024
menaçant de relarguer à court termes des déchets en mer. Le Cerema est l’opérateur technique pour le
pilotage opérationnel et l’accompagnement des collectivités engagées dans un process de restauration
d’une décharge. Le soutien financier pour les études et travaux est porté par l’Ademe, pilote d’un fonds
annoncé à hauteur de 300 millions d’euros. L’Ademe et le Cerema ont développé un plan de gestion des
plastiques à l’échelle des décharges. Il s’agit ici de considérer les macro et microplastiques au même titre
que les autres polluants physico-chimiques propres aux contextes des décharges brutes historiques. Ce
projet est un challenge technico-économique.

L ’attractivité historique des littoraux a contribué à


l’émergence de décharges dégradant ces zones
vulnérables. Vestiges des usages domestiques, ces
Pourquoi trouve-t-on d’anciennes
décharges sur le littoral français ?
décharges sont le témoin matériel manifeste de l’utili- Avant 1970, les déchets ménagers étaient stockés en
sation exponentielle des plastiques depuis les années décharge, en proximité du bord de mer dans « d’oppor-
1960. Omniprésents dans les sites concernés par le tunes » dépressions, à l’arrière des dunes ou en bord de
plan national de résorption des décharges littorales, falaise. Cependant, la hausse du niveau des océans et
ils marquent de manière indélébile les littoraux de l’érosion côtière provoquent aujourd’hui un recul du trait
l’Anthropocène. de côte chronique marqué par des événements brutaux

Figure 1 : Décharge en Baie de Saint-Brieuc (22) dans les années 1980 (© Ville de Saint-Brieuc).

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de plus en plus fréquents. Les décharges constituent De plus, en contribuant à réduire les pressions qui
alors un stock massif de déchets terrestres, mobili- s’exercent sur la biodiversité, le nombre de décharges
sables dans le milieu marin, à court ou moyen termes. engagées dans un processus de restauration ou res-
La fermeture des « décharges brutes » a été imposée taurées constitue un indicateur boussole de la Stratégie
au fil du temps par la réglementation. La loi n°92-646 Nationale pour la Biodiversité.
du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets Ce plan est sous la tutelle du ministère de la Transition
prévoit la fermeture et la remise en état des décharges écologique et de la Cohésion des territoires, notam-
brutes à l’échéance du 1er juillet 2002. La circulaire du ment des directions générales de l’Aménagement, du
23 février 2004 relative à la résorption des décharges Logement et de la Nature (DGALN) et de la Prévention
non autorisées rappelle aux préfets l’obligation de faire des Risques (DGPR). Il mobilise 3 opérateurs : l’Ademe,
fermer ces sites.
le BRGM et le Cerema.
Malgré tout, des centaines de décharges littorales,
Le BRGM1 recense régulièrement les décharges his-
terrestres ou fluviales n’ont pas été restaurées.
toriques vulnérables aux aléas marins qui se trouvent
Recouvertes par la végétation ou en partie tombées en
mer, elles ont bien souvent disparu des mémoires et les à moins de 100 m du rivage, ayant reçu des déchets
enjeux de pollution pour la santé et les milieux naturels ménagers avant 1992 et jusqu’en 2005. À ce jour, le
ne sont pas mesurés. Cette situation a motivé l’État à BRGM a recensé 110 décharges potentiellement éli-
s’engager auprès des collectivités concernées. gibles au plan.
Le Cerema2 est chargé de la mise en œuvre opéra-
tionnelle au niveau national. Il apporte son expertise
Un plan décennal pour restaurer et accompagne les collectivités engagées à traiter leur
les décharges littorales décharge.
Lors du One Ocean Summit à Brest (février 2022) Le soutien financier pour les études et travaux est porté
l’État a pris l’engagement de résorber, en dix ans, les par l’Ademe3, pilote d’un fonds décennal annoncé à

Figure 2 : Cartographie de l’inventaire du BRGM (© Géorisques, juin 2024).

décharges littorales françaises présentant, à court 1


Bureau de Recherches géologiques et minières.
terme, un fort risque de relargage en mer. 2
Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement,
Ce projet s’inscrit dans les objectifs du plan d’actions la mobilité et l’aménagement.
national « Zéro déchet plastique en mer ». 3
Agence de la transition écologique.

La lutte contre la pollution des plastiques


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Figure 3 : Répartition régionale et niveau d’engagement des collectivités


concernées par une décharge du plan (© Cerema, juin 2024).

hauteur de 300 millions d’euros. L’aide proposée permet nance du polyéthylène et du polyamide - 6,6 vraisem-
de financer 50 ou 100 % du projet de restauration4. blablement en raison de leur large gamme d’utilisation5.
Les services déconcentrés de l’État notamment les La Bretagne est le territoire le plus représenté en
directions départementales des territoires et de la nombre de décharges en raison de ses littoraux anthro-
mer (DDTM) et les directions régionales de l’environ- pisés représentant 30 % du linéaire côtier métropolitain.
nement, de l’aménagement et du logement (Dreal), L’Outre-mer6 représente aussi une part importante avec
accompagnent également les collectivités notamment 20 décharges. Un plan de mobilisation est déployé par
sur la partie règlementaire. les opérateurs du plan afin d’accompagner les collec-

Polyéthylène (PE) : Bouteilles de lait, conteneurs de détergent,


État des lieux
5

tuyaux d’eau, sacs en plastique, jouets ; Polypropylène (PP) :


Emballages alimentaires, bidons produits chimiques, pièces auto-
En 2024, il y a 70 décharges retenues dans le plan mobiles ; Polystyrène (PS) : Gobelets, emballages alimentaires,
représentant un volume de déchets estimé à environ mousses isolantes ; Acrylonitrile butadiène styrène (ABS) : Pièces
8 millions de mètres cube. Le plastique y est omnipré- d’appareils électroniques, jouets, coques de téléphone ; Poly-
sent, principalement dans les sols, avec une prédomi- méthacrylate de méthyle (PMMA) : Vitres acryliques, enseignes
lumineuses ; Polycarbonate (PC) : Bouteilles réutilisables, pièces
d’équipement médical ; Polychlorure de vinyle (PVC) : Tuyaux,
fenêtres, câbles électriques, revêtements de sol, jouets ; Poly-
téréphtalate d’éthylène (PET) : Bouteilles d’eau, emballages ali-
mentaires, fibres textiles (polyester) ; Polyamide 6 (PA6) : Fibres
4
Les décharges sur des parcelles privées ou communales ont textiles, pièces d’automobiles ; Polyamide-6,6 (PA 66) : Fibres
une aide maximale de 50 %. Celles situées sur des parcelles textiles, pièces de moteurs automobiles.
de l’État (Conservatoire du littoral, ONF ou DPM) ont une aide 6
5 décharges sur l’île de la Réunion, 5 en Martinique, 9 en Gua-
maximale de 100 %. deloupe et 1 en Guyane.

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tivités vers l’engagement à restaurer leurs anciennes microplastiques. En effet, les enjeux financiers asso-
décharges. ciés au traitement des matériaux fins contaminés
par les microplastiques incitent à développer des
La décharge type contient de 10 000 à 20 000 m3 de
solutions moins coûteuses afin de valoriser plus de
déchets sur moins de 5 hectares. On dénombre pourtant
matériaux.
quelques méga-décharges, proches des grands pôles
urbains. Chaque décharge présente des contraintes Ces objectifs font écho aux travaux menés par le Sénat7
règlementaires, physiques et logistiques. (mars 2021) en contribuant à :
Trois sites pilotes ont été ciblés afin de capitaliser • poursuivre les recherches sur les sources des pollu-
puis diffuser le retour d’expérience des démarches tions plastiques et leurs voies de transfert ; étudier
de résorption : la décharge de Pré-Magnou à Fouras leur vieillissement en conditions naturelles standar-
(17), la décharge de l’Anse Charpentier à Sainte-Marie disées avec un accent particulier sur les microplas-
(Martinique) et les décharges de Dollemard au Havre tiques et les nanoplastiques ;
(76).
• harmoniser les définitions des microplastiques et des
C’est notamment l’approche de la gestion des plas- nanoplastiques et standardiser les protocoles de col-
tiques sur un chantier test de résorption de décharge lecte et de mesure des données sur les pollutions
au Havre qui a amené les opérateurs du plan à réfléchir plastiques ;
à la mise en œuvre d’un plan de gestion des macro et • renforcer le rôle de la science coopérative.
microplastiques à l’échelle du plan.
La nécessité de trier et retirer les macroplastiques
comme tout autre macrodéchet ne pose aucun souci Traiter les plastiques,
aux entreprises de travaux. A contrario, la gestion des un défi technique
microplastiques notamment dans les matériaux terreux
fins issus du criblage pose un vrai souci technico-­ Dans les décharges, il y a surtout des microplas-
économique. En présence de microplastiques en forte tiques secondaires, issus de la dégradation de grands
quantité dans ces matériaux, la valorisation des terres déchets. Elle se traduit par leur fragmentation en par-
excavées est compromise. En l’absence de cadrage ticules de plus en plus petites. Dans toutes les étapes
spécifique sur ce sujet, la mise en œuvre d’un plan de intermédiaires de dégradation, ce polluant peut persis-
gestion des microplastiques est donc apparue indis- ter dans l’environnement.
pensable mais techniquement complexe. Le criblage des déchets peut générer une altération
accrue de certains macroplastiques et donc la produc-
tion de nouveaux microplastiques.
Ambitions du plan en matière
Il est donc primordial de mettre en place des outils de tri
de réduction des macro et de collecte avant criblage pour éliminer de manière
et microplastiques prioritaire les macrodéchets plastiques.

Dans le cadre de la démarche globale du plan, des Pour pallier cette situation il faut caractériser, dénom-
études et travaux sont à mener selon la méthodologie brer et quantifier les microplastiques afin d’évaluer le
propre à la résorption des décharges. Nous inscrivons degré de pollution des milieux récepteurs (sols, eaux,
donc dans ce processus cadré, le suivi des microplas- sédiments et air). Les matériaux fins, issus du criblage
tiques. Il s’agit ici de considérer les macro et microplas- des déchets, lors d’excavations de décharges peuvent
tiques à l’étape du diagnostic, en phases d’études puis contenir un grand nombre de microplastiques qu’il faut
de travaux, au même titre que les autres polluants phy- prendre en compte, afin d’anticiper leur gestion.
sico-chimiques propres aux contextes de décharges Enfin, nous avons pour objectif de tester et proposer
brutes historiques (plomb, dioxines, HAP, etc.). des techniques de dépollution adaptées pour les retirer
Le plan de gestion des macro et microplastiques se des eaux et des sols lors des chantiers.
décline à travers :
• Un accompagnement dans le cadrage des pres- Les premiers résultats en matière
tations de diagnostic. Ce polluant émergent, non
familier des bureaux d’études, exige des consignes
de gestion de la pollution plastique
d’échantillonnage et d’analyse pour obtenir des dans les décharges littorales
données pertinentes.
Nous constatons la présence de fortes quantités
• Une exploitation des données fiables et une métho- de microplastiques dans les eaux souterraines au
dologie harmonisée pour définir des approches par- droit notamment d’une des décharges à Plounéour-
tagées en matière de résorption de décharges. Brignogan-Plages (29) alors que les eaux de surface,
en général, ont des concentrations moins élevées.
• Deux travaux de recherche : l’un sur la caractérisa-
tion des charges polluantes inhérentes à la dégrada- 7
Rapport n°411 de Martine Filleul, sénatrice, fait au nom de la
tion des plastiques ainsi que la recherche d’indica- commission de l’aménagement du territoire et du développement
teurs ; l’autre, sur le développement et la faisabilité durable sur la proposition de loi visant à lutter contre le plastique,
technique de traitement des sols pollués par les mars 2021.

La lutte contre la pollution des plastiques


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Globalement la matrice sol est la plus polluée selon les local témoin qui cadre notre action ou encore la réfé-
premiers résultats. rence au Réseau de Mesures de la Qualité des Sols10.
À Fouras (17), le volume de microplastiques dans la Dans ces conditions, les opérateurs du plan jouent
décharge était 4 à 180 fois supérieur à l’environnement un rôle important à travers le prisme de la décharge,
local témoin8. Par exemple, les teneurs en microplas- en rassemblant une communauté de sachants autour
tiques (somme de tous les polymères) étaient entre d’eux tout en expérimentant des solutions opération-
6 330 et 135 000 µg/kg MS (Matière Sèche). À Plomeur nelles pragmatiques. La répétition de l’exercice et son
(29) les teneurs sont 5 fois supérieures à l’environne- cadrage fondé sur les retours d’expérience permettent
ment local témoin. Cela démontre bien l’apport massif la montée en compétences des prestataires techniques
en microplastiques généré par les décharges. qui sont plus nombreux sur le marché. Les durées
d’analyses et les montants associés, via la demande
Les principaux polymères retrouvés dans les
« décharges », commencent déjà à être optimisés.
décharges sont liés à leurs périodes d’activités (1950 à
1990 en moyenne). Les composés retrouvés sont des La partie toxicologie, écotoxicologie est également pré-
polymères produits en masse durant la seconde moitié pondérante pour contribuer à un cadrage du suivi des
du XXe siècle. Ils constituent cependant une pollution microplastiques. Contrairement à d’autres polluants,
diffuse qu’il est difficile de rattacher précisément à une le plastique peut avoir trois types d’effets toxiques :
source spécifique. physiques (par exemple, lésions intestinales),
chimiques (par exemple, lixiviation d’additifs toxiques)
Sur la base de ces premiers résultats, les éléments
et biologiques (par exemple, transfert de pathogènes).
nécessaires pour la suite de notre travail sont :
Actuellement, il existe des biais révélant que les tests
• un référentiel accessible via une base de données de toxicité et d’écotoxicité ne sont pas toujours adaptés
commune harmonisée ; aux plastiques. Des suggestions visant à améliorer la
pertinence des études et des normes de toxicité des
• une normalisation pour les analyses des sols (FTIR/
plastiques sont en développement afin de soutenir le
Pyro GCMS9) ;
cadrage approprié11.
• une harmonisation de l’expression des résultats ;
Enfin, nous avons peu d’informations sur les nano-
• des laboratoires commerciaux plus nombreux ; plastiques, conséquence irrémédiable du processus
de fragmentation des microplastiques. Ne pas agir sur
• une rationalisation des analyses (baisse des prix, les microplastiques c’est contribuer à la production de
réduction du temps de préparation…) ; nanoplastiques. Alors, l’investissement d’aujourd’hui, à
• l’identification de marqueurs chimiques de contami- travers la collecte des macroplastiques et la dépollu-
nation de microplastiques (phtalates, bisphénols…). tion, est une garantie pour demain. Le coût de l’inaction
pourrait être plus lourd.
Les restaurations de décharges constituent donc
Les attentes dans le domaine un levier efficace de lutte contre les pollutions plas-
des décharges pour un avenir tiques. Mais au-delà de la réparation, reste la prise de
sans plastique conscience collective sur la prévention et l’utilisation
constante du plastique. Comment motiver l’urgence
L’Ademe et le Cerema portent une attention spéci- à agir lorsque ce terme si familier « plastique » nous
fique aux enjeux de caractérisation. En l’absence de renvoie à des usages pratiques apparemment inoffen-
cadrage, nous comparons globalement les données sifs. Comme les PFAS notoirement appelés « polluants
acquises entre les décharges et avec les données éternels », ne faudrait-il pas changer la sémantique et
de la littérature scientifique. À l’échelle plus fine de la faire plus souvent rimer plastique avec toxique ?
décharge, c’est la comparaison avec l’environnement

Bibliographie
8
Un environnement local témoin » consiste à identifier un site
ou un ensemble de sites, comprenant les mêmes milieux d’expo- BRGM (2022), Guide méthodologique de gestion des
sition (par exemple des sols de même nature) mais dont l’étude anciennes décharges situées sur ou à proximité du littoral,
historique a démontré l’absence d’influence du site étudié, BRGM, 19 avril.
2016. Rapport n°411 (2021) de Martine Filleul, sénatrice, fait au
9
La spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, FTIR, est nom de la commission de l’aménagement du territoire et du
une technique utilisée pour obtenir le spectre d’absorption, d’émis- développement durable sur la proposition de loi visant à lutter
sion, la photoconductivité ou la diffusion Raman dans l’infrarouge contre le plastique.
d’un échantillon solide, liquide ou gazeux. Cette technique permet
d’obtenir la composition et un dénombrement des microplas- LEISTENSCHNEIDER D. et al. (2023), “A critical review on
tiques présents dans un échantillon. La Pyrolyse-GC-MS est une the evaluation of toxicity and ecological risk assessment of
technique d’analyse chimique constituée d’un pyrolyseur couplé plastics in the marine environment”, Elsevier, Science of the
à un chromatographe en phase gazeuse et un spectromètre de Total Environment, Vol. 896, 164955
masse. L’échantillon est directement porté à haute température
pour le dégrader thermiquement. Ensuite, les produits de dégra-
dation sont analysés par la chromatographie en phase gazeuse
et le spectromètre de masse. Cette technique permet, de manière
10
Cette information fait référence au projet MICROSOF.
résumée, d’obtenir la composition et la masse des microplas- 11
A critical review on the evaluation of toxicity and ecological risk
tiques présents dans un échantillon. assessment of plastics in the marine environment.

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