CRISE EN RCA

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 28

d Secu

an r

ity
e
Peac

Series
FES

Séries FES sur la Paix et la Sécurité en Afrique N° 22

A propos des Séries FES sur la Paix et la et la sécurité. En tant que Fondation politique
Sécurité en Afrique attachée aux valeurs de la démocratie sociale,
Le manque de sécurité est l’un des principaux Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) vise à renforcer
obstacles au développement et à la démocratie en l’interface entre la démocratie et la politique de
Afrique. L’existence de conflits violents prolongés sécurité. FES facilite donc le dialogue politique
ainsi que le manque de responsabilisation dans sur les menaces à la sécurité et les réponses qui
le secteur de la sécurité dans de nombreux pays y sont apportées au plan national, régional et
entravent la coopération dans le domaine de la continental. Les Séries FES sur la Paix et Sécurité
politique de sécurité. L’émergente Architecture en Afrique visent à contribuer à ce dialogue
Africaine de Paix et de Sécurité fournit un en faisant des analyses pertinentes, largement
cadre institutionnel pour promouvoir la paix accessible.

A propos de cette publication


En dépit de ses innombrables richesses en La Centrafrique partage des frontières poreuses
diamant, or, uranium, café, produits de la avec ces pays pour la plupart eux aussi en proie
forêt etc., depuis son existence la République à des troubles qui débordent fréquemment sur
Centrafricaine est un pays plongé dans une le territoire centrafricain.
crise sécuritaire chronique. Au lieu d’être Pour rechercher les voies et moyens vers une
investi dans le bien-être de la population, une paix durable via des mesures collectives, la
grande partie des recettes générées par ces FES a ordonné des recherches sur l’économie
richesses est détournée dans des coups d’État politique de cette crise et organisé un dialogue M. BENINGA Paul-Crescent
successifs, des rebellions armées, des conflits sécuritaire en avril 2017, qui a abouti à cette
intercommunautaires et interconfessionnels. publication intitulée « Persistance de la crise Dr MANGA ESSAMA Déflorine Grâce
Les conséquences sont multidimensionnelles : en République Centrafricaine: Comprendre
au-delà des regrettables pertes en vies pour agir ». Afin de mieux comprendre la
Dr MOGBA Zéphirin Jean Raymond
humaines, l’économie est effondrée, la perpétuation du conflit centrafricain, l’analyse
misère s’y est installée, les liens sociaux se sont s’est focalisée d’une part, sur la dynamique
profondément délités ; entraînant la formation
d’un cercle vicieux de méfiance et violence,
des acteurs, et d’autre part, sur les facteurs de
durabilité de la crise. L’analyse des acteurs a le
PERSISTANCE DE LA CRISE EN
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
et le déplacement massif des populations à mérite de proposer une typologie d’acteurs
l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Aussi, dont les manoeuvres oscillant entre intérêt
la RCA se trouve dans une région très instable. et désintérêt sont clairement identifiées. Au

COMPRENDRE POUR AGIR


Avec ses 623 000 Km2 et ses 4 616 000 habitants, sortir de cette analyse, l’on peut affirmer sans
le pays est enclavé entre six Etats : le Tchad, le ambages que la responsabilité de la crise est
Cameroun, les deux Congo et les deux Soudan. partagée.
ISBN: 978-9956-532-06-1

9 789956 532061
M. BENINGA Paul-Crescent
Dr MANGA ESSAMA Déflorine Grâce
Dr MOGBA Zéphirin Jean Raymond

PERSISTANCE DE LA CRISE EN
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
COMPRENDRE POUR AGIR
© Friedrich Ebert Stiftung, Yaoundé (Cameroun), 2017.
Tél. 00 237 222 21 29 96 / 00 237 222 21 52 92
B.P. 11 939 Yaoundé / Fax: 00 237 222 21 52 74
E-mail : info@fes-kamerun.org
Site : www.fes-kamerun.org
Réalisation éditoriale : PUA : www.aes-pua.com
ISBN: 978-9956-532-06-1

«Tout usage à but commercial des publications, brochures ou autres imprimés de la Friedrich Ebert
Stiftung est formellement interdit à moins d’une autorisation écrite délivrée préalablement par la
Friedrich Ebert Stiftung.
La présente publication n’est pas destinée à la vente.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements .................................................................................................................................................................... 5

Liste des sigles et abréviations ...........................................................................................................................6

Introduction ............................................................................................................................................................................ 7

Chapitre I : Les acteurs de l’instabilité de la RCA :


entre intérêts et désintérêts pour la construction d’une paix durable ..................... 9

1- Les acteurs internes : intérêts, motivations et capacité d’action ou


de nuisance .......................................................................................................................................................................... 9
a- Les acteurs politico-sécuritaires ............................................................................................................... 9
b- Les acteurs militaires et paramilitaires : Les Forces de défense et
de sécurité (FDS) et les groupes armés ...................................................................................................10
c- Les autres acteurs ............................................................................................................................................. 13
2- Les acteurs externes ............................................................................................................................................. 14
a- Les acteurs étatiques .......................................................................................................................................14
b- Les Organisations Intergouvernementales dans la gestion de la crise .................... 17

Chapitre II : Dynamiques du conflit centrafricain dans un État en


« situation de fragilité » .........................................................................................................................................20
1- Analyse des facteurs de durabilité de la crise : la RCA un État « failli »
ou en « situation de fragilité » ? ...................................................................................................................... 21
a- La vulnérabilité politique interne du pays .................................................................................... 21
b- Fragmentation des groupes armés et exacerbation des tensions
communautaires .................................................................................................................................................... 21
c- L’absence de mémoire collective ......................................................................................................... 22
2- Recommandations ................................................................................................................................................ 24
a- Au gouvernement, afin de restaurer l’autorité de l’État sur tout
le territoire national: ......................................................................................................................................... 24
b- À la Société civile : .......................................................................................................................................... 25
c- À la communauté internationale et africaine : ...........................................................................25

Bibliographie ....................................................................................................................................................................... 26
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

REMERCIEMENTS sciences politiques et écrivain sur la crise


centrafricaine (Une Centrafrique au bord du
Cette publication résulte des recherches et désespoir-2015) et à Dr. MANGA ESSAMA
d’un dialogue sécuritaire organisé par la Déflorine Grâce, Chercheure associée au
FES en avril 2017. Ce dialogue a rassemblé CREPS/UYII, qui ont rédigé cette publication.
des experts sécuritaires centrafricains dans
Enfin, un remerciement particulier est
le but d’apporter des éclairages et des
adressé à l’ancienne Représentante Rési-
voies de sortie de la crise centrafricaine qui
dente, Mme Susanne STOLLREITER et à la
dure depuis longtemps. Les contributeurs
Chargée de Programme Paix et Sécurité,
centrafricains présents à ces activités sont
Mme Susan BAMUH APARA, pour tout le
venus des universités, de la société civile, des
temps et le travail titanesque fourni pour
médias et des partis politiques. La Friedrich
l’organisation des rencontres, les suivis, la
Ebert Stiftung (FES) les remercie pour leurs
rédaction et la publication de cette étude.
contributions individuelles et collectives.
La FES exprime sa profonde gratitude au
M. Friedrich Kramme-Stermose
Dr. MOGBA Zéphirin Jean Raymond, Maitre
de Conférences, Université de Bangui, à M. Représentant résident
BENINGA Paul-Crescent chercheur en FES Cameroun et Afrique Centrale

5
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

LISTE DES SIGLES ET FMI : Fonds Monétaire International


ABRÉVIATIONS FOMUC: Force Multinational de la CEMAC
KNK: Kwa Na Kwa (le travail, rien que le
AEF : Afrique Équatoriale Française travail)
APRD : Armée populaire pour la MICOPAX: Mission de Consolidation de la
Restauration de la République et de la Paix pour la Centrafrique
Démocratie
MINURCA: Missions des Nations Unies en
BONUCA: Bureau des Nations Unies pour République Centrafricaine
la Consolidation de la Paix en République
MISCA: Mission Internationale de Soutien
Centrafricaine
pour la Centrafrique
CEEAC: Communauté Economique des
OIG: Organisations Intergouvernementales
États de l’Afrique Centrale
ONG: Organisation Non Gouvernementale
CEMAC: Communauté Economique et
Monétaire de l’Afrique Centrale ONU: Organisation des Nations Unies

DDRR : Désarmement, Démobilisation, OPEX: Opération Extérieure


Réinsertion et Rapatriement PIB : Produit Intérieur Brut
EUFOR: European Union Forces RCA : République Centrafricaine
EUMAM: Mission Militaire Européenne de RDC : République Démocratique du Congo
Conseil en RCA UA : Union Africaine
FACA : Forces Armées Centrafricaines UE : Union Européenne

6
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

INTRODUCTION public. Les structures politiques dans leur


grande majorité souffrent d’un manque
La République Centrafricaine (RCA) a connu criard de légitimité et/ou de légalité. Ainsi,
des crises sociopolitiques à répétition depuis en lieu et place des urnes, les mutineries, les
la disparition tragique du feu fondateur rebellions et les coups d’État, soit cinq à ce
Barthélémy BOGANDA une année avant la jour (1965, 1979, 1981, 2003 et 2013), ont
proclamation de l’indépendance. Souvent ce été érigés en mode privilégié d’accession au
pan de l’histoire politique de la société cen- pouvoir. Tous ces cycles de crises sont la ré-
trafricaine est ignoré ou tout simplement mis sultante de l’échec politique de la construc-
en veilleuse par les observateurs et analystes tion d’un État de droit et d’une citoyenneté
extérieurs peu avertis des affaires centrafri- centrafricaine à bâtir sur les résiliences de
caines. Ce qui empêche une compréhension l’histoire et de la culture nationale. La défail-
diachronique et holistique des causes d’er- lance du système judiciaire, quasi inexistant
rements historiques de ce pays à travers des en dehors de la capitale Bangui, a créé un
cycles de violence à connotation identitaire. climat d’impunité propice aux expéditions
Pour rappel, BOGANDA n’avait pas fini d’as- guerrières et atrocités insoutenables. Le
seoir son projet de société devant conduire à poids du passé est tout aussi déterminant
la construction d’une nouvelle nation centra- pour comprendre ces crises à répétition. Les
fricaine intégrant les autres colonies de l’AEF. résistances communautaires à l’administra-
Disparu tragiquement dans un crash d’avion tion coloniale et aux esclavagistes musul-
le 29 mars 1959 sous l’occupation coloniale mans Peuls à partir du 19e siècle ont laissé
française (un an avant l’indépendance), il en héritage une culture de la résistance
n’avait pas donné l’opportunité aux Cen- populaire et de l’autodéfense qui per-
trafricains de rêver, ni d’expérimenter les durent jusqu’à nos jours à travers les milices
piliers de sa pensée, à savoir nourrir, loger, villageoises d’autodéfense, dont les Anti
vêtir, soigner, éduquer. Aussi faut-il le dire, Balaka n’en sont qu’un avatar. À ces causes
il n’avait pas pu réajuster sa vision politique endogènes se sont ajoutées les rivalités,
ni construire une équipe dynamique, mieux les ambitions et dérives géopolitiques
informée, mieux éclairée pour la relève. Sa et géostratégiques dans un contexte de
disparition brutale a été vécue comme une démonstration de puissance économique
hécatombe pour les populations ouban- ou encore des rapports de proximité et de
guiennes et surtout pour la jeune classe positionnement par rapport à la France
politique de l’époque. Il avait laissé, à ses et des pays pétroliers émergents de la
successeurs, un héritage très compliqué, sous région de l’Afrique centrale (cas du
hors de la portée de leurs mains. Depuis Gabon sous BONGO, du Tchad avec DEBY
lors, la RCA s’est trouvée plongée dans une et SASSOU du Congo). L’arrivée de Faustin
longue période d’instabilité qui dure déjà Archange TOUADERA à la présidence de la
plus de cinquante années. République en 2016 au terme d’une élection
Au plan politico-sécuritaire, la RCA n’a a constitué un bref moment d’espoir, vite
connu qu’une expérience très limitée des dissipé par la remontée des violences et de
institutions démocratiques au sens du droit l’insécurité sur le territoire centrafricain.

7
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

Le foisonnement des groupes armés dis- trainé une intensification des viols sexuels.
séminés sur l’ensemble du territoire en lieu En 2015, on a dénombré 693 femmes violées
et place des forces armées centrafricaines et au cours du premier semestre 2016, 501
démantelées contribue à créer au sein des cas dont 81 sur mineurs avaient déjà été
populations un climat d’insécurité perma- comptabilisés. Cette situation sécuritaire a
nent. entraîné plus de 500 000 déplacés et 70 000
Au plan socio-économique, la couverture réfugiés. En effet, à la fin de l’année 2015,
d’une partie des besoins de 1,6 million de on ne dénombrait plus que 450 000 per-
personnes en 2017 est estimée à 399,5 mil- sonnes déplacées et à la fin du mois de sep-
lions de dollars, en vue d’assurer la survie tembre 2016, 384 884, soit une diminution
des populations, leur protection, et leur de 14,27%. A contrario, le nombre de per-
accès aux services sociaux de base et aux mé- sonnes réfugiées dans les pays limitrophes a
canismes de subsistance (Rapport UNOCHA, augmenté de 2,24 %, passant de 442 069 en
2016). La découverte de nouvelles richesses juillet 2015 à 467 960 en septembre 2016. La
et un gouvernement faible ont engendré déliquescence de la situation sécuritaire se
la corruption et une lutte pour le contrôle résume ainsi dans la forte insécurité alimen-
des pierres précieuses et d’autres ressources taire, la violation des droits de l’Homme, le
naturelles. Aujourd’hui, la RCA est 20 fois recrutement d’enfants-soldats, viols, meur-
plus pauvre qu’il y a 40 ans. Dans les années tres, etc. Depuis lors, le pays fait face à une
70, elle comptait plus de 460 entreprises insécurité multidimensionnelle persistante
industrielles, elle en a moins d’une dizaine (politique, sécuritaire, économique, sociale,
aujourd’hui. En 1970, il avait une univer- humanitaire…) avec des fortes ramifications
sité pour 1000 étudiants, aujourd’hui, il a au plan régional et international.
toujours une université pour plus de 20 000 Dans ces circonstances, toutes les initiatives
étudiants. En 1970, le PIB avait franchi le cap tant internes qu’internationales menées
de 400 US$ par tête d’habitant, à ce jour il jusqu’ici pour pacifier la RCA font preuve
est à moins de 100 US$. Curieusement, cette d’impertinence au regard de leur caractère
descente aux enfers n’émeut personne. Les vain. En effet, la RCA a accueilli plus d’une
régimes se succèdent chaque cycle de 10 dizaine d’opérations internationales de main-
ans. Mais tous attendent des partenaires tien de la paix et jusqu’ici on est loin d’avoir
au développement les solutions aux im- atteint ne serait-ce que ce maintien tant la
menses défis quotidiens. Ils ont toujours les consolidation de la paix parait difficile. Ce
yeux rivés, vers la Banque Mondiale, le FMI, texte envisage donc, aux fins de comprendre
l’Union Européenne, les Nations Unies ou pour agir, d’identifier les différents acteurs et
encore vers Paris. leurs liens à la crise, les dynamiques crisogènes
Au plan humanitaire, la prise du pouvoir par et d’émettre des recommandations pour
les rébellions armées en 2003 par François une paix structurelle en République Centra-
BOZIZE et récemment en 2013 par la coa- fricaine.
lition Seleka avec Michel DJOTODIA, a en-

8
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

Chapitre I : LES ACTEURS cette catégorisation d’acteurs le Président,


les membres du gouvernement et assimilés,
DE L’INSTABILITÉ DE LA
les hauts-commis et fonctionnaires de l’ad-
RCA : ENTRE INTÉRÊTS ET ministration centrale, l’élite intellectuelle
DÉSINTÉRÊTS POUR LA politisée ainsi que l’élite militaire. Toute
CONSTRUCTION D’UNE PAIX cette classe politique en RCA est caractérisée
par l’absence de leader capable d’influencer,
DURABLE
de motiver, d’anticiper, de pousser les Cen-
En plus des acteurs internes, les conflits en trafricains et les Centrafricaines à réaliser
RCA se sont potentialisés ou envenimés des leurs objectifs afin de répondre aux besoins
expériences et de la participation de certains du changement. La persistance d’une forte
acteurs extérieurs, notamment des pays culture d’opacité, de prédation et d’impu-
étrangers et des organisations internatio- nité avec l’absence de leader capable de
nales. rendre compte de ses obligations et d’être
une interface sérieuse entre les prestataires
1- Les acteurs internes : intérêts, des services publics et les citoyens caractéri-
motivations et capacité d’action ou sent également cette classe politique. Il y a
de nuisance par ailleurs les déficits de capacité à gérer
les crises et changements politiques. Dans
La sociologie de la conflictualité centrafri-
ce pays, les dynamiques de changements
caine révèle une pluralité d’acteurs aux in-
politiques s’inscrivent le plus souvent dans
térêts qui se croisent et s’entrecroisent sous
un cercle vicieux qui draine sans cesse des
le prisme de l’obtention de gains politiques
tourbillons de violences, de corruption, de
et/ou financiers. Cette pléthore d’acteurs
népotisme, de haine et d’insécurité.
n’empêche pas d’opérer une typologie en
En RCA, l’élite intellectuelle politisée a cessé
fonction des champs dans lesquels sont im-
d’être créatrice de lumière, de connaissances
plémentées leurs actions. C’est dans cette
nouvelles, là où l’opacité empêche les po-
perspective que l’on distingue : des acteurs
pulations, la classe politique et les dirigeants
politico-sécuritaires, militaires et d’autres
au pouvoir de faire une lecture objective des
entités présentes dans le système politique
faits sociaux et de comprendre l’évolution
centrafricain.
et le devenir des sociétés humaines. Les pré-
a- Les acteurs politico-sécuritaires jugés liés aux privilèges immédiats de la classe
politique au pouvoir ont détourné l’élite
Les acteurs politico-sécuritaires liés à l’instabi- intellectuelle centrafricaine de « rêver ». Elle
lité en République centrafricaine regroupent cesse ainsi de mettre en œuvre son génie
les membres de la classe politique dirigeante créateur au service d’une nation en déca-
et ceux de l’opposition. dence. Ses manières de faire la politique et les
Concernant l’élite politique, elle a toujours buts poursuivis par les intellectuels politisés
contrôlé et influencé la gestion du pouvoir ou politiciens sont en déphasage avec les at-
politique au plan national. On y trouve dans tentes et aspirations légitimes de la société

9
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

centrafricaine. Ses alliances contre nature population. On retrouve au sein de ces for-
et les acteurs politiques (gouvernement et mations majoritairement des membres dont
opposition armée) ont dramatiquement le principal critère d’adhésion est la proxim-
amplifié et complexifié les chemins de sortie ité ethnotribale avec le leader du parti. C’est
des crises en RCA. ainsi qu’à l’aube des échéances électorales,
L’opposition politique est toujours de- entre 2014 et 2015, la classe politique cen-
meurée un contrepoids du gouvernement. trafricaine enregistrait 69 partis politiques
Contrairement à l’opposition armée, celle-ci reconnus et 21 en cours de reconnaissance.
a opté pour une conquête démocratique du Cette pléthore de partis politiques n’a
pouvoir, par les moyens légaux et surtout en rien freiné l’arrivée de la Seleka et du
sans user de la dissuasion au moyen des régime de DJOTODIA dont l’usage de la
armes. Si cela est au mérite de l’opposition violence a instauré une peur générale au
politique centrafricaine, il n’en demeure pas sein de la population. Par ailleurs, la classe
moins qu’elle connaît ses tares essentielle- politique centrafricaine a su entretenir les
ment provoquées par des motivations et in- tensions sociales, intercommunautaires et
térêts individuels pour la quête du pouvoir. religieuses issues du conflit entre les Seleka
De nombreux partis politiques se réclamant assimilés à tort ou à raison aux musulmans
du pouvoir ou de l’opposition en RCA n’ont et les anti-balaka assimilés aux chrétiens,
pas un mandat clair, articulé autour d’une sinon aux non-musulmans, avec l’appui de
vision ou d’un rêve commun centrafricain certains acteurs de la société civile et des
à offrir aux citoyens. Ils ne proposent pas médias, notamment internationaux.
de mesures de performance permettant de
b- Les acteurs militaires et para-
mieux apprécier l’impact de leurs discours.
militaires : Les Forces de défense
À cela s’ajoute leur incapacité stratégique
et de sécurité (FDS) et les groupes
à traduire leurs discours dans la réalité.
Les capacités d’initiatives de l’opposition
armés
politique civile en Centrafrique ne repo- L’amélioration de la situation sécuritaire en
sent pas sur des fonctions transparentes, Centrafrique demeure largement préoccu-
mais plutôt sur le clientélisme. En somme, pante en raison de la montée des violences
la responsabilité des partis politiques de aussi bien à Bangui que dans l’ensemble des
l’opposition dans la crise centrafricaine provinces. Deux raisons peuvent l’expliquer.
repose d’une part sur leur incapacité à D’une part, l’absence d’une force légale et
proposer et constituer des alternatives légitime sur laquelle devrait s’appuyer l’État
viables aux élites dirigeantes et d’autre pour assurer la sécurité du territoire et des
part à jouer son rôle dans la formation de populations centrafricaines et d’autre part,
l’opinion publique. Comme dans la plupart la prolifération et la violence des groupes
des pays africains, la multiplicité des partis armés constituant la perte du monopole de
politiques en RCA traduit l’absence de vision la violence légitime.
commune ou de projet politique construit Les FDS sont certainement et paradoxale-
et partagé par une grande majorité de la ment la source de l’instabilité politique et

10
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

de la violence sociale en RCA. Beaucoup de ant dans les mutineries qui ont eu lieu en
chefs rebelles sont issus des forces armées 1996 et 1997, ainsi que la tentative de coup
centrafricaines (FACA) et de l’élite poli- d’État du 21 mai 2001 contre le Président
tique. L’explication du chaos centrafricain Ange-Félix PATASSE. Ce dernier lui-même
peut donc largement trouver son fonde- aurait contribué à la création en 2006, de
ment dans l’effondrement du secteur de l’Armée Populaire pour la Restauration
la sécurité et de la défense. Les FACA ont de la République et la Démocratie (APRD),
souvent été en déphasage avec la plupart un groupe armé dirigé par Jean-Jacques
des gouvernements du fait que les prési- DEMAFOUTH, autre personnage intriguant,
dents essayent chaque fois d’imposer leurs qui a joué un rôle majeur dans la transition
hommes de confiance, qui plus est, sur une de SAMBA-PANZA. On peut aussi noter le
base ethnique afin d’asseoir leur autorité. soutien très probable du Président BOZIZE
Ne peut-on que gouverner sur une base et son parti le Kwa Na Kwa (KNK – le tra-
ethnique ? Si gouverner consiste à gérer les vail, rien que le travail) aux Anti Balaka, en
différences, faire preuve d’universalité ne représailles aux Seleka qui l’avaient évincé
serait-il pas asseoir de fait, son autorité sur du pouvoir en 2013.
l’étendue du territoire national ? Ces inter- S’agissant des groupes armés, ils font au-
rogations suggestives ne sont pas naïves. En jourd’hui partie du paysage politico-sécu-
se référant même à l’évolution historique ritaire, car le recours à la force est considéré
politico-sécuritaire de la RCA, le constat en RCA comme une stratégie très efficace
n’est pas érudit : gouverner sur une base pour accéder aux plus hautes fonctions de
sectaire est nuisible pour les gouvernés et la République. Ces groupes ont longtemps
nocif pour les gouvernants. servi de bras armés aux hommes politiques
pour conquérir le pouvoir ou sous-traiter
L’opposition politique armée par différen-
certaines missions régaliennes de sécurité
ciation à l’«opposition démocratique» dé-
telles que la lutte contre les bandes armées
signe une élite qui en plus des moyens de
et groupuscules criminels repliés dans
conquête démocratique du pouvoir, dispose
l’arrière-pays. Aujourd’hui la nature de
également d’une force armée. Il s’agit d’une
regroupements varie ou mue en fonction
stratégie janusienne avec d’un côté, une
des opportunités. Ainsi on retrouve dans
face légale et d’un autre, une face illégale
ces divers mouvements armés, des mem-
obscure menaçante. Si l’on remonte même
bres issus des milices d’autodéfense, des
jusqu’en 1981, un parti politique était im-
coupeurs de route ou des ex-membres des
pliqué dans l’attentat du 14 juillet contre le
FDS. En effet, au fil de son histoire, la RCA a
Cinéma Club de Bangui, en guise d’hostilité
connu divers mouvements armés à l’origine
au pouvoir de David DACKO, considéré
de multiples rébellions, mutineries et coups
comme pistonné par la France. Aussi, le
d’État. Entre 2002 et 2017, on a enregistré
Rassemblement démocratique centrafricain
au moins 14 groupes armés.
(RDC) d’André Kolingba a eu un rôle import-

11
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

Source : jeuneafrique.com Centrafrique – JeuneAfrique.com 2013

Mais si avant 2012, les groupes d’opposition 36 milliards/an. Aussi, l’établissement des
armée n’affichaient que des ambitions poli- barrières routières pour racketter les usagers
tiques et territoriales étriquées, le renverse- avec près de 40 barrières entre Bangui
ment du Président BOZIZE en 2013 va con- et Bambari avec notamment l’obliga-
stituer un tournant décisif. Ainsi profitant tion de tous les passants de payer suivant
des zones grises dues à l’absence de l’État son niveau social. Par exemple 150 000 à
dans certaines localités du pays, les actions 200 000 FCFA pour les grumiers reliant le
des groupes armés vont proliférer de façon sud-ouest.
exponentielle afin de s’élargir et consolider Par ailleurs, on assiste à un phénomène
leur sphère d’influence. En 2014, la Seleka, que l’on pourrait qualifier « d’alliance
les Anti-Balaka et le LRA contrôlaient une contre nature ou incestueuse ». Il s’agit de
grande majorité du territoire centrafricain. mouvement d’implosion/dislocation et de
Ils se sont ainsi livrés à plusieurs activités recomposition/reconstruction, ou encore
relevant de la souveraineté de l’État, donc de nouvelles formes d’alliance entre fac-
illicites et souvent criminelles : exploitations tions opposées. En effet, des grands groupes
minières et contrebande de diamants ; comme la Seleka et les Anti Balaka, et
prélèvement d’impôts parallèles sur les certains d’entre eux se sont transformés au
mines, l’agriculture et autres commerces moyen de dislocation interne et de recom-
présents sur les territoires sous leur contrôle, position/alliance avec d’autres fragments
à l’instar des éleveurs qui étaient parfois de milice, en des milices à part entière, ré-
assassinés et souvent volés à hauteur de munérées par les communautés locales ou
1 500 bœufs par semaine, soit environ 750 des opérateurs économiques pour assurer
millions de FCFA/semaine, 3 milliards/mois, leur protection, remplaçant ainsi l’appa-

12
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

reil de sécurité de l’État. D’autres se sont Grand nombre d’entre elles sont concen-
même octroyés dans certaines localités, les trées dans la capitale et sont moins proac-
attributs du pouvoir judiciaire, exigeant une tives dans la mobilisation citoyenne, dans
rémunération pour leurs services en tant l’apprentissage de la démocratie et la com-
que procureurs et magistrats locaux, ce qui munication sociale pour un changement
a davantage affaibli la légitimité des insti- durable de comportement. De nombreux
tutions étatiques y afférant (Plan national d’entre elles n’ont pas une vision commune
de relèvement et consolidation de la paix et partagée autour des défis sociaux urgents
2017 – 2021). et prospectifs. Cette faiblesse réside dans le
In fine, on a des intérêts entre le gouver- profil sociologique souvent hétéroclite des
nement (État) et les groupes armés qui acteurs qui animent ces structures, car ayant
sont donc en constante contradiction, avec des attentes diverses. On y trouve un grand
en prime une fragmentation des groupes nombre de jeunes diplômés sans travail,
armés dont les entités qui en ressortent des fonctionnaires ayant des fins de mois
produisent des alliances avec d’autres en- difficiles, des employés du secteur privé,
tités issues d’un même processus ; ce qui des déçus et déchus des partis politiques re-
complexifie davantage la compréhension convertis dans le social. Ils utilisent l’espace
des facteurs de la crise et donc la recherche d’expression de la société civile comme un
des solutions. tremplin pour la construction de promotion
sociale, économique ou politique.
c- Les autres acteurs Aussi faut-il le dire, les espaces religieux et
Sous l’appellation « les autres acteurs » se surtout les cercles ésotériques très pro-
classent les organisations de la société civile, lifiques en RCA (Rose Croix, Franc-maçon-
les leaders religieux, les cercles ésotériques nerie, Lion’s Club, etc.) ont impacté sur la
et la jeunesse. Tous ont eu à jouer, à des faculté de penser et la capacité d’agir comme
périodes et selon les régimes politiques suc- acteurs en marquant le cours de l’évolution
cessifs, des rôles manifestes ou latents dans politique tumultueuse de la société centra-
la reproduction cyclique des crises en RCA à fricaine. Leurs adeptes et partisans s’oppo-
travers des jeux d’alliance et de contre-al- sent et même se combattent politiquement
liance. En dépit des efforts consentis pour par écoles interposées lors des crises et dans
calmer les tensions intercommunautaires les médiations sous régionales en vue d’un
et religieuses, la société civile centrafricaine positionnement sur l’échiquier politique
demeure divisée entre d’une part, ceux qui pour accéder à des hautes fonctions de
rêvent d’une société centrafricaine démocra- l’État. Si la position de ces cercles ésotériques
tique et pacifique et d’autre part, ceux qui n’est pas cernée jusqu’ici et que leur impact
souhaitent un positionnement à des postes sur la psychologie sociale n’est pas claire-
clés dans l’arène politico-administrative ment défini, il n’en demeure pas moins que
afin de profiter des prébendes. La poussée leur rôle n’est pas neutre dans la crise en
démographique des organisations de la RCA. D’ailleurs leur expansion serait à la fois
société civile n’a pas répondu aux espoirs cause et conséquence de la persistance de la
et attentes de la population centrafricaine. crise centrafricaine.

13
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

Enfin, il y a aussi la jeunesse centrafricaine. ganisations Intergouvernementales (OIG –


La question de son éducation et promo- continentales et internationales).
tion comme acteur de développement n’a
pas été efficacement prise en main par les a- Les acteurs étatiques
pouvoirs publics. La situation sociale des Parmi les États qui pour des raisons d’in-
jeunes en RCA est aujourd’hui marquée par térêts divers (économiques, géopolitiques,
des manipulations et promesses politiques géostratégiques, etc.) interviennent sou-
fallacieuses. On assiste depuis 1990 à une vent en RCA de façon officielle ou officieuse,
instrumentalisation politique des jeunes on peut s’attarder sur le Tchad et la France,
à travers des enrôlements incitatifs dans sans pour autant omettre d’autres acteurs
les milices et groupes armés hétéroclites. loin d’être négligeables (Cameroun, Congo,
Ils constituent des proies faciles pour les Soudan, Afrique du Sud et USA).
gourous de tous bords prêts à les enrôler
- Le Tchad
dans les mouvements militaro-politiques et
Il est sans doute l’un des pays africains
milices (Karako, Balawa, COCORA, COAC,
très présents dans la crise centrafricaine
Anti Balaka, Seleka). Une bonne partie de la
pour des raisons d’ordre géographique,
jeunesse désœuvrée et laissée pour compte
historique, culturel, économique, politique
profite aujourd’hui de l’anarchie pour tirer
et sécuritaire. En effet, les échanges entre
les moyens de survie.
le Tchad et la RCA remontent à plusieurs
siècles. L’influence militaro-politique tcha-
2- Les acteurs externes
dienne en RCA a commencé depuis l’arrivée
En raison de sa contiguïté géographique du pouvoir de DEBY en 1990 qui porte à
avec d’autres pays (position géopolitique bout de bras des rebelles sur le territoire
centrale), de la porosité de ses frontières, national. Certains observateurs n’hésitent
du double fait de la présence insuffisante pas à affirmer qu’avec son implication di-
de l’État et des liens ethnoculturels de recte dans la crise centrafricaine, le Tchad
part et d’autre de ses frontières (Tchad, considère la Centrafrique comme sa 24ème
Soudan, Congo-Kinshasa et Cameroun région. Le Général François BOZIZÉ a eu
notamment), le conflit en RCA entretient la caution politique et l’appui militaire de
des rapports directs avec l’insécurité dans son homologue Tchadien, Idriss Déby ITNO
les sous-régions d’Afrique centrale et ori- pour mettre fin au régime démocratique-
entale. Par ailleurs, l’histoire centrafricaine ment élu d’Ange Félix Patassé en 2003.
est marquée par l’omniprésence d’acteurs Mais dix années plus tard, le même fournit
extérieurs (États et Organisations interna- des moyens aux groupes rebelles pour le
tionales) dans la conduite des affaires du renverser. En effet, une prospection menée
pays. On peut donc distinguer dans cette par la société américaine Western Geo-
catégorie deux grands types d’acteurs ex- physical en 1993, avait établi que le Tchad
ternes : les Etats (voisins ou non) et les Or- et la Centrafrique partageaient un même

14
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

réservoir d’hydrocarbures, constitué par plan politique, dans le soutien des chefs
les fosses sédimentaires de Doba au Nord, d’État comme David DACKO et Barthélemy
voisines des bassins de Doséo et de Salamat BOKASSA. De même, au plan sécuritaire, elle
(« Les dynamiques de la crise centrafri- est militairement intervenue dans les crises
caine », Libération, 10 janvier 2014 ; voir centrafricaines à la fois dans un cadre d’ac-
aussi ministère centrafricain des Mines, du tion bilatérale ou multilatérale. À ce titre,
Pétrole, de l’Énergie et de l’Hydraulique, on peut citer : l’opération « barracuda » de
« Aperçu sur le potentiel minier de la Ré- 1979 qui mit fin à l’empire de BOKASSA et
publique centrafricaine »). Cependant, il installa DACKO à la présidence ;les opéra-
est légitime de s’interroger si le Tchad n’a tions « Furet » et « Almandin 1, 2 et 3 » aux
pas intérêt à ce que la crise se perpétue en côtés des FACA pour protéger le Président
RCA (mais loin du nord) ? Parce qu’une RCA PATASSE menacé par les mutineries de
en crise lui permet quand même de pouvoir 1996, les missions EUFOR-Tchad/RCA 2007
continuer d’exploiter seul ce réservoir na- puis, EUFOR-RCA 2014 (sous pavillon de
turel commun. l’Union Européenne) ; la force Sangaris en
Le Tchad a des ambitions géopolitiques 2013 (sous mandat de l’ONU) aux côtés de
et géostratégiques. De fait, il cherche à se la Mission internationale de soutien en Cen-
positionner comme une puissance sous-ré- trafrique sous conduite africaine (MISCA).
gionale en Afrique centrale. Cette volonté En définitive, l’intervention française dans la
se traduit à travers la participation de forts quête de la stabilité en RCA dans un contex-
contingents tchadiens en appui des forces te de crise complexe et répétitive ne pouvait
continentales et internationales présentes être que salutaire, là où par ailleurs d’autres
en RCA. Dans le même registre s’inscrit la pays de la communauté internationale n’y
lutte permanente de leadership entre les trouvaient pas d’intérêts stratégiques à
présidents Idriss DEBY du Tchad et Denis préserver.
SASSOU NGUESSO de la République du Cependant, la France estime qu’elle
Congo. On en veut pour preuve leur dé- « a largement rompu avec la Françafrique,
saccord sur les feuilles de route de sortie n’agit qu’avec la légalité onusienne et la
de crise, notamment au sujet de l’amnistie légitimité du soutien de l’Union Africaine ».
pour les ex-rebelles proposée par le Prési- Ce sont pourtant ces mêmes liens qui font
dent tchadien et qui semble avoir un écho douter les Centrafricains sur la sincérité
favorable du côté de l’Union Africaine. et l’humanisme total de la France dans sa
- La France participation à la résolution de la crise.
La France a des liens forts avec la RCA du Tout de même, il serait naïf de penser que
fait: de la colonisation, de la francophonie, les Opex en Centrafrique ou ailleurs ne
de la zone franc, des accords de défense, de sont fondés sur aucun intérêt ! Cet attrait
la coopération militaire et de la présence du de la France pour la RCA n’est donc pas
groupe énergétique Areva. En effet, elle a gratuit. Ceci n’est pas forcément pour
joué un rôle historique majeur en RCA, au soutenir la grille d’analyse de la « França-

15
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

frique », mais plutôt pour réaffirmer que Lafarge où le groupe Lafarge est soupçon-
les relations entre États sont des rapports né d’avoir indirectement financé l’État
d’intérêts. Dans le cas centrafricain, ces Islamique en Syrie en 2013.
intérêts peuvent être situés à trois niveaux : L’intérêt géostratégique quant à lui, est
économique, géostratégique et géopo- davantage régional. Du fait de la position
litique. centrale du territoire centrafricain, enclavé
Sur le plan économique, même si les échang- entre les pays où la France a beaucoup
es commerciaux entre la RCA et la France ne d’intérêts divers (le Cameroun, le Tchad, le
sont pas colossaux et que le géant groupe Congo et le Gabon qui n’est pas très loin),
Areva a renoncé à exploiter l’uranium dans une zone grise à cet endroit constituerait
l’est pour lequel il avait signé un accord en une immense base arrière pour tous les
2008 avec la RCA, il existe néanmoins des groupes armés présents au Tchad, au
intérêts économiques à préserver pour le Soudan, en RDC, etc., et constituerait de
futur. Il s’agit de ceux de France Télécom facto, une menace pour l’ensemble de la
installée depuis 2007 à Bangui et le groupe région et des pays où la France a des intérêts
Bolloré qui gère le terminal porte-container directs et importants.
du port de Bangui. L’intérêt de maintenir ces Enfin, l’intérêt géopolitique de la France
relations économiques dans des domaines est celui qui a toujours motivé toutes les
stratégiques (communication et transit com- grandes puissances, à savoir la projection
mercial) résulte du fait que la France espère des forces. En effet, membre du Conseil de
ne pas être totalement déconnectée de la Sécurité de l’ONU et soucieuse d’avoir une
RCA à l’heure où le continent africain et stature internationale toujours rayonnante,
particulièrement l’Afrique subsaharienne la France n’hésite pas à être à l’initiative des
francophone est en pleine croissance (3.7% résolutions onusiennes comme la résolu-
en 2016 selon la Banque mondiale), et con- tion 2127 et les opérations de l’Union Eu-
naît la concurrence de plusieurs pays comme ropéenne. Il s’agirait même en plus, d’une
le Brésil, la Chine, la Turquie, etc. également sorte de communication simiesque, par
attirés par le continent. De plus, loin des laquelle à travers ses manœuvres militaires
questions minières qui n’ont fait que trop en RCA elle entend bien conserver l’Afrique
d’échos, d’aucuns affirment qu’ils y auraient centrale dans sa zone d’influence. L’inter-
des liens entre des sociétés d’exploitation vention de la France n’est donc pas neutre,
forestière françaises et des groupes armés tout comme celle des autres États impliqués
locaux. Cela nous rappelle bien l’affaire dans la crise.

16
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

Source : humanité.fr, « Centrafrique : Djotodia parti, la crise reste à résoudre », 2013

forgeant une doctrine d’intervention sur


- Le Soudan et le Sud-Soudan tout le continent. Elle disposait d’un con-
Les conflits armés au Soudan avec la rébel- tingent de 400 hommes à Bangui dans le
lion de John GARANG ont favorisé l’afflux cadre d’un accord bilatéral signé avec la RCA
de milliers de réfugiés en Centrafrique avec en 2007, sous forme d’un mémorandum sur
des incidences sur la sécurité. Aussi, des la formation du personnel militaire. Et d’ail-
miliciens soudanais, tout comme le Tchad, leurs, après que le Président DEBY ait retiré
ont favorisé l’arrivée au pouvoir de Michel ses forces armées affectées à la sécurité de
DJOTODIA. BOZIZE en septembre 2012, ce dernier s’est
tourné vers l’Afrique du Sud pour assurer
- L’Ouganda
sa protection. La chute de BOZIZE a causé
L’Ouganda est menacé par la LRA établie au des tensions politiques sur la scène natio-
sud de la RCA. En 2013, les troupes armées nale sud-africaine au point que le président
ougandaises sont donc déployées au sud- Jacob ZUMA aurait diplomatiquement
est de Centrafrique avec les forces spéciales milité pour obtenir le départ de DJOTODJA
américaines, pour lutter contre la LRA. du pouvoir.

- L’Afrique du Sud b- Les Organisations Intergouver-


nementales dans la gestion de la crise
L’Afrique du Sud quant à elle, est un acteur
extérieur à la sous-région d’Afrique cen- De 1997 à ce jour, la RCA a enregistré treize
trale. Toutefois, elle souhaite s’affirmer missions de maintien de la paix d’où cette
en tant que puissance continentale en se appellation « terre de contingents de paix ».

17
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

On peut regrouper les OIG qui se sont in- 2002 à 2008, la MICOPAX (sous les auspices
téressées à la crise centrafricaine en deux de la CEEAC) de 2008 à 2013 et la MISCA
catégories : les organisations extracontinen- (mission internationale, mais sous conduite
tales et celles intracontinentales. africaine) de 2013 à 2014.
- Les initiatives internationales dans la Il faut bien avouer avec Roland MARCHALL
crise centrafricaine que l’implication des pays de la région dans
Par initiatives internationales, il s’agit pré- la crise centrafricaine reste marquée du
cisément des missions de maintien de la sceau d’une grande ambivalence et laisse
paix conduites par les Nations Unies ou par perplexe. La FOMUC était censée s’inter-
une force multinationale autre qu’africaine poser entre l’armée du Président PATASSE
comme l’Union Européenne. et les combattants de François BOZIZE, sans
À ce titre, on peut relever pour les missions succès. Après la prise de pouvoir par BOZIZE,
onusiennes : la Mission des Nations-Unies en les Africains changeaient de casques avec
République Centrafricaine (MINURCA, 1998- le changement de cette force en MICOPAX,
2000) ; le Bureau des Nations-Unies pour sous le commandement de la CEEAC. On as-
la consolidation de la paix en République sistait passivement à l’arrivée au pouvoir de
Centrafricaine (BONUCA, 2000-2010) ; la Seleka en 2013 et aux multiples exactions
Bureau intégré des Nations Unies pour la sur la population qui s’en suivirent. Ce qui
consolidation de la paix en République laisse percevoir un manque de coordination,
Centrafricaine (BINUCA, 2009); la MINUSCA voire une contradiction entre la CEMAC et
en remplacement de la MISCA, depuis 2014. la CEEAC.

Les missions de l’Union Européenne (UE) : Ainsi, la MICOPAX à la différence de la


European Union Forces (EUFOR) TCHAD/ FOMUC, avait une triple composante mili-
RCA de 2007 à 2009, EUFOR-RCA de 2014 taire, policière et civile. Son mandat consis-
à 2015, EUMAM-RCA (Mission militaire eu- tait à consolider la paix, coordonner l’aide
ropéenne de conseil en RCA) depuis 2015, humanitaire, veiller au respect des droits de
EUTM (Mission de formation de l’Union l’homme, aider à développer le processus
Européenne en République Centrafricaine) politique pour le dialogue, la réconciliation
depuis 2016. nationale et l’organisation des élections, etc.
Dès l’offensive de la Seleka en 2012, elle a
Ces forces internationales sont d’une aide im-
quand même convoqué un sommet extraor-
portante et jusqu’à présent incontournable
dinaire à Ndjamena le 21 décembre 2012,
ou plutôt (in)contournée par les initiatives
qui a décidé de la constitution en urgence
africaines.
d’une force d’interposition de la MICOPAX,
- Les initiatives africaines dans la crise accompagnée par la compagnie tchadienne
centrafricaine déployée à Damara pour renforcer les ef-
Pour ce qui est des initiatives africaines, on fectifs. De ce sommet naîtront des accords
peut citer : la Mission interafricaine de sur- de cessez-le-feu qui ne seront pas respectés.
veillance des Accords de Bangui (MISAB de Rien d’étonnant à cela pour deux raisons au
1997 à 1998), le rôle de la CEN-SAD de 2001 à moins. La première est la présence d’un fort
2003, la FOMUC (allégeance à la CEMAC) de contingent des forces armées tchadiennes

18
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

dont les paradoxes ont déjà été exposés la communauté internationale. Cepen-
(supra). La deuxième est la difficulté pour dant, prévue pour le 1er août 2013, elle ne
la CEEAC à pouvoir faire respecter les dé- sera déployée que le 19 décembre 2013,
cisions sous-régionales si elle est incapable attestant de fait l’assertion de Mathias Éric
de fonctionner normalement elle-même. OWONA NGUINI selon laquelle, mettre le
En effet, à cette période, le budget annuel temps en équation reste un défi stratégique
de la MICOPAX était d’environ 30 millions et historique pour l’Afrique centrale. Elle
d’Euros, dont près de 50% avaient été sera alors soutenue par les 2 000 hommes
supportés par l’UE (en équipement et logis- de la force française « Sangaris » et les 600
tique) et 20% devaient être supportés par hommes de la force EUFOR de l’UE. Si l’une
les contributions des États membres, qui des plus grandes réussites de la MISCA était
n’ont pas versé suffisamment pour couvrir la sécurisation du corridor entre Bangui et le
les salaires et les coûts de fonctionnement Cameroun, point névralgique de l’économie
de la composante civile. centrafricaine et l’acheminement de l’aide
La MISCA quant à elle, est déployée à l’ini- humanitaire, elle n’a pas réussi à réconcilier
tiative de l’UA, en collaboration étroite les belligérants, encore moins à stopper
en amont avec l’ONU et en aval avec la les tueries et exactions contre les civils. Il
CEEAC. Cette décision part d’une bonne fallait se rendre à l’évidence, 7 000 hommes
intention : aider le gouvernement transi- (toutes les forces comprises) pour couvrir un
toire centrafricain à sécuriser son territoire territoire d’environ 623 000 km2 en conflit
et soutenir un pays frère « délaissé » par ou post-conflit, étaient très insuffisants.

Source : grotius.fr/cours-d’histoire-comprendre-crise-centrafricaine/2013

19
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

CHAPITRE II : DYNAMIQUES substantiel nécessaire à sa définition en tant


DU CONFLIT CENTRAFRICAIN qu’État c’est-à-dire la souveraineté. En effet,
ranger la RCA comme État signifie le con-
DANS UN ÉTAT EN
sidérer comme un Léviathan détenteur de la
« SITUATION DE FRAGILITÉ » violence physique légitime. Or, une endos-
Il faudrait partir d’un postulat dont l’évi- copie de la situation sécuritaire de ce pays
dence, fait débat : la RCA est un État. Il est révèle que l’exercice de la violence est con-
vrai que si on se résout à une acception currencé par divers acteurs de l’instabilité.
juridique, il est un État parce qu’il bénéficie D’où la nécessité d’analyser les facteurs de
d’un territoire, d’une population et d’un durabilité de la crise dans ce pays, et de for-
gouvernement même si celui-ci n’est pas muler des pistes d’intelligibilité nécessaire
perpétuel ou stable et légitime. Cependant, à une pérennisation du maintien de la paix,
sa position en tant qu’État est fragilisée par afin d’aboutir à une situation de paix con-
l’absence ou la décadence de l’élément con- solidée.

Source : expert FES, Bangui, 2013

20
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

1- Analyse des facteurs de durabilité armés qui y étaient « souverains ». Aussi,


de la crise : la RCA un État « failli » ou étant sous embargo depuis la résolution
en « situation de fragilité » ? 2127 de l’ONU, le gouvernement ne peut
obtenir des armes. Pourtant, les armes circu-
La Centrafrique serait peut-être qualifiée lent bel et bien entre les mains des groupes
d’État « failli » – non pas que le terme soit armés qui eux, par définition et de fait, ne
reluisant – si au moins depuis son indépen- se soucient guère d’une quelconque légalité
dance en 1960, il avait un tant soit peu, dans leurs actions. La fin de « non-recevoir »
fonctionné normalement. Dès 2015, le rap- de la communauté internationale pour la
port de l’OCDE propose un nouveau cadre levée de cet embargo a jeté un froid sur le
de suivi multidimensionnel de la fragilité régime de transition de SAMBA-PANZA et
axé sur cinq dimensions : violence, justice, reste un défi pour TOUADERA.
institutions, fondamentaux économiques et Par ailleurs, dans cette même lancée de
résilience. Selon les crises, les facteurs poli- fragilité de l’État centrafricain, mais sur
tiques, économiques, militaires, idéologiques un autre plan, il serait aussi difficile d’en-
ou religieux seront prépondérants et ceux-ci visager une reconstruction par les fils du
se combinent différemment pour donner pays (appropriation locale) lorsqu’on a un
une spécificité à une crise. S’agissant de la taux d’alphabétisation des adultes de 37%
crise en RCA, tout semble indiquer que les (Rapport UNICEF 2016), amplifiant du coup
indicateurs sont au plus bas. le manque de cohésion sociale se traduisant
par un système scolaire perturbé par une
a- La vulnérabilité politique interne cacophonie d’acteurs divers et affamés.
du pays Comme le dit si bien un adage populaire :
L’un des défis primordiaux du mandat du « ventre affamé n’a point d’oreilles » et
président TOUADERA, c’est d’assurer la sécu- donc de mémoire !
rité et de restaurer l’autorité de l’État sur
b- Fragmentation des groupes armés
tout le territoire centrafricain. Le manque
et exacerbation des tensions commu-
de capacité et l’absence de représentants de
nautaires
l’État dans certaines régions ne permettent
pas le développement de services sociaux La relative stabilité de la capitale Bangui
de base. Ces missions sont en grande partie ne devrait pas masquer la dégradation
assurées par les organisations humanitaires du climat sécuritaire dans les provinces.
et religieuses. Les acteurs humanitaires cou- Pendant que le nord-ouest connaît une
vrent environ 50% du territoire centrafricain intensification sans précédent des activités
dans leur action d’appui aux structures criminelles, les tensions intercommunau-
sociales étatiques et d’assistance à la popu- taires s’accentuent dans le centre et l’est du
lation (Rapport UNOCHA, op.cit.). D’ailleurs, pays sous fond de grande fragmentation
il y a quelque temps encore, le Président de des groupes armés. Environ 14 groupes
la République n’était pas capable de se dé- armés contrôlent aujourd’hui près de 80%
placer sur tout le territoire national. Tout le du territoire centrafricain.
nord du pays étant aux mains des groupes

21
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

La coalition de la « Seleka » qui s’était con- des groupes armés portés par certains médi-
stituée en 2012 pour renverser le régime ateurs, comme l’Organisation de la coopéra-
de BOZIZE s’est très vite fissurée trois mois tion islamique (OCI) qui a œuvré en 2016 au
après le coup d’État. Des rivalités ont opposé rapprochement des factions de l’ex-Seleka,
le Front Populaire pour la Renaissance de la dévoile les profondes divisions qui travail-
Centrafrique (FPRC) à l’Union pour la Paix en lent les groupes armés. Toutefois, force
Centrafrique (UPC), deux grandes factions est de constater que les récentes attaques
de l’ex-Seleka, pour le contrôle des zones ciblées contre les musulmans ont facilité le
d’influence et des ressources minières et rapprochement entre l’UPC et FPRC avec des
caféières. profondes motivations irrédentistes.
Les exactions et pillages attribués à l’UPC
c- L’absence de mémoire collective
(majoritairement composée de Peuls) dans
certaines localités méridionales et orientales L’absence de mémoire traduit en fait la
du pays ont alimenté le sentiment anti-Peul. non-capitalisation des initiatives de paix
En représailles, des groupes d’autodéfense et des acquis des innombrables foras,
locaux se sont constitués, tissant parfois séminaires, ateliers, etc. organisés pour
des alliances contre nature pour mener des la paix et l’éternel recommencement des
attaques ciblées contre les communautés processus de paix. C’est ainsi que se tenait
Peules, à l’instar de l’attaque de Bangassou le Forum national de Bangui. Ce forum
du 13 mai 2017 qui a fait une centaine de qui se tenait du 04 au 11 mai 2015 avait
morts. Les expéditions punitives contre les pour objectif de créer une dynamique
Peuls et les musulmans s’apparentent, dans nécessaire à l’aboutissement du processus
le récit des seigneurs de guerre locaux, à une de paix et de réconciliation nationale. En
sorte de rite expiatoire pour conjurer le mal d’autres termes, l’on souhaitait modérer
de la société centrafricaine, incarné par le les appétits des acteurs du conflit centra-
« musulman étranger ». fricain et réconcilier la population à la
La recrudescence des attaques consécutives classe dirigeante. En effet, la transition
à la décomposition des groupes armés en- de SAMBA PANZA était essentiellement
traîne d’énormes pertes côté civils, mais aussi marquée par des comportements oppor-
au sein des Casques Bleus et du personnel tunistes aussi bien à la Présidence – avec
humanitaire. Rares sont les ONG qui osent cette panoplie de conseillers – qu’au
encore s’aventurer dans certaines provinces Conseil National de Transition, ainsi qu’au
et plusieurs humanitaires ont stoppé leurs Gouvernement. L’innovation majeure qui
activités dans le nord du pays où les violences la différenciait jusque-là des autres initia-
font rage. La tendance au factionnalisme tives de réconciliation nationale était que,
qui traverse les groupes armés complexifie la présence des délégués des préfectures
les négociations de paix et rend difficile permettait que la voix de la province ait pu
l’opérationnalisation des Désarment, Dé- se faire entendre par les autorités nationales.
mobilisation, Réinsertion et Rapatriement Les délégués de l’Est ont par exemple eu la
(DDRR). L’échec des projets de réunification possibilité de réclamer du gouvernement

22
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

des mesures pour neutraliser les éléments crise centrafricaine a enrichi de nombreux
Seleka de Basse-Kotto qui continuaient de acteurs intervenants externes. Dans le pro-
régner sur leur territoire. Toutefois, s’agissant cessus de programmation, aucune place
des groupes armés en général, leurs reven- n’est accordée à l’exploitation des forces, de
dications et leur intransigeance surtout en l’énergie et de l’intelligence locales et na-
ce qui concerne différentes garanties de tionales. Les objectifs politiques, sécuritaires
non-poursuites judiciaires ou de réinsertion et de développement ne sont définis qu’à
sociale, étaient justement fonction de leur l’intention de l’État et des partenaires au
force sur le terrain. développement, sans souci d’une intégra-
Les accords issus de ce forum ont tout de tion efficace. La crise en RCA laisse donc
même permis d’apaiser, en vue des échéances entrevoir trois scénarios possibles :
électorales qui ont suivi, le climat sécuritaire • Scénario catastrophe marqué par la per-
et politique avec la figure de Samba-Panza sistance et permanence des dynamiques
très controversée à cette période. L’accord crisogènes de la RCA où l’État serait absent
sur les principes de Désarmement, Démo- encore longtemps à cause des déficits chro-
bilisation, Réinsertion et Rapatriement niques de capacité de réponse coercitive et
(DDRR) et d’intégration dans les corps en alternatives susceptibles d’endiguer l’ex-
uniforme de l’État centrafricain entre le pansion des groupes armés, d’apaiser les
gouvernement de transition et les groupes tensions communautaires et de contribuer à
armés, posait des principes assez justes : une reconstruction durable de la société cen-
individuelle (non fondé sur l’appartenance trafricaine au niveau individuel et collectif.
à tel groupe ou autre), progressive, suite à • Scénario médian caractérisé par le main-
un vetting (absence de passé criminel) et tien en survie de l’État centrafricain sous
dans le respect des critères de professionna- perfusion onusienne et des partenaires
lisme et d’équité. extérieurs au développement.
- Scénarisation des futurs possibles de • Scénario prospectif et idéal fondé sur
la RCA l’idée force d’un rebondissement politique,
La façon dont les crises et les conflits en RCA économique et social de la RCA (penser le
sont perçus, appréhendés et gérés, ne sau- futur pour réinventer l’avenir en Centra-
rait instaurer définitivement la paix. Dans frique) si elle veut sortir du creux profond
la plupart des cas, les dimensions étroite- des crises récurrentes dans lequel le pays a
ment liées aux résiliences communautaires été plongé depuis des décennies dans l’op-
ont été jusque-là purement et simplement tique d’assurer sa continuité historique et
négligées par les institutions onusiennes, politique en tant que nation indépendante
humanitaires et autres ONG internationales, et souveraine. Ce rebondissement national
soucieuses de justifier les énormes quantités exige à n’en point douter un changement
de fonds reçus au nom de la crise centra- d’état d’esprit, d’attitude et de comporte-
fricaine dont une grande partie n’est pas ment dans les approches et stratégies de
injectée dans les efforts de consolidation gouvernance afin de réaliser le rêve centra-
de la paix et la cohésion sociale à la base. La fricain.

23
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

2- Recommandations • La réforme du système judiciaire et


l’application des sanctions
Quelques recommandations s’avèrent
La réforme du système judiciaire exige des
nécessaires pour contribuer à orienter l’ac-
investissements massifs et soutenus. Il faut
tion de certains acteurs intervenant dans
à la fois reconstruire les infrastructures
la crise centrafricaine. Elles sont à cet effet
physiques et former les autorités judiciaires.
dirigées vers certains acteurs précis :
Même si des procès pour des crimes ont été
a- Au gouvernement, afin de restaurer
ouverts en 2015 et récemment sous la prési-
l’autorité de l’État sur tout le terri- dence de Touadéra, leur déroulement a mis
en évidence les graves lacunes, s’agissant
toire national
notamment de la protection des victimes
• La réforme des FACA : un impératif et des témoins (Amnesty international),
pour le gouvernement mais aussi des non-lieux et relaxations pour
Les partenaires internationaux, le gouver- des criminels avérés. Il faudrait malgré tout
nement, les groupes armés, ainsi que la faire appliquer les décisions de justice à
population, considèrent l’armée comme l’encontre de tous les acteurs d’insécurité,
indispensable. Il précise que c’est le seul appliquer les dispositions d’Oslo et accélérer
point sur lequel ils s’accordent (Thierry l’opérationnalisation de la Cour pénale spé-
Vircoulon). Ce n’est pas pour rien qu’il est le ciale annoncée depuis longtemps.
creuset de l’unité nationale dans d’autres • Améliorer le profil des acteurs en
pays. Mais pour ce faire, il faudrait prendre charge de la mise en œuvre du DDRR
un certain nombre de mesures qui relèvent • Évaluer périodiquement les mandats des
d’une véritable gageure. Notamment, missions internationales
« dé-miliciariser » l’armée, lui donner une Il faudrait évaluer l’action des missions
formation de bonne qualité et régler la internationales (notamment la MINUS-
question de l’embargo. En effet, à qui CA), en collaboration avec les partenaires
profite l’embargo ? Certainement pas au extérieurs. Il s’agit d’apporter les correctifs
gouvernement et aux FACA. Comment le nécessaires afin d’éviter une inadéquation
gouvernement dans un tel contexte peut- entre les objectifs gouvernementaux et de
il combattre ou même s’imposer dans des la population d’une part et ceux interna-
négociations face aux groupes armés ? tionaux d’autre part.
Une fois ces trois préalables effectués, • La mise en place d’une structure
reconstruire l’armée centrafricaine sur de coordination et de financement
des bases professionnelles, accompagnées où les fonds seraient mis en commun et
d’un équilibre régional et de genre, administrés sous une gouvernance collective
pourra alors être plus réaliste. En plus un par les partenaires au développement. Une
déploiement immédiat sur tout le territoire telle mesure est à encourager et à rendre
permettrait d’éviter que les populations ne effective au plus vite (Plan National de
se familiarisent davantage avec les groupes Relèvement et de Consolidation de la paix
rebelles. (PNRC 2017 – 2021).

24
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir

• Réinvestir l’arrière-pays contingents, car la perception par le gouver-


Redéployer des structures administratives nement et surtout les populations locales est
pour accompagner le rétablissement pro- essentielle pour protéger l’espace humani-
gressif de l’autorité de l’État. Relever le sec- taire dans un contexte où la MINUSCA par
teur éducatif dans les zones reculées pour exemple est de plus en plus prise à partie par
former les nombreux jeunes sous-scolarisés les belligérants et contestée par l’opinion
et les détourner de la voie des armes. Le nationale (UNOCHA, 2016). Les effectifs
relèvement devrait aussi intégrer l’ensem- et les moyens de la Minusca doivent être
ble des services de base afin d’offrir des renforcés pour leur doter d’une capacité
alternatives aux populations qui vivent dans de pression et de dissuasion militaire sur les
ces territoires ravagés par les violences inter- groupes armés.
communautaires. - Collaborer avec le gouvernement centra-
fricain, au désarmement des groupes armés
b- Aux partis politiques et à l’évaluation des missions internatio-
Ils doivent se constituer sur la base de nales, en évitant au maximum de s’imposer
l’intérêt général, pour la formation de sur des points non essentiels et toujours
l’opinion publique et pour la conquête penser en premier à l’intérêt des popula-
démocratique du pouvoir. Certains leaders tions.
politiques doivent retirer leur soutien à - Coordonner les efforts de médiation et
certaines milices locales et condamner sans harmoniser les positions des différents
complaisance les exactions de ces dernières. médiateurs (Angola, Tchad, République du
Congo et Gabon, communauté catholique
c- À la Société civile de Sant’Egidio) sur les questions relatives
Elle doit davantage renforcer ses capacités au statut futur des seigneurs de guerre, à
techniques et opérationnelles en se for- l’avenir de combattants rebelles et au retour
mant, en mobilisant elle aussi ses propres des anciens chefs d’État.
ressources, pour que sa voix compte dans - Continuer de financer les réformes struc-
la construction d’une société centrafricaine turelles et les projets d’investissement, aussi
pacifique. bien à l’échelle nationale que locale (pen-
dant le relèvement de l’État).
d- À la communauté internationale - Que l’UA, la CEEAC et la CEMAC ne se las-
et africaine sent pas de mobiliser toute l’aide disponible
- Prendre des mesures dans la sélection, la de la part des États africains, notamment
formation et l’encadrement de son per- des contingents pour rassurer la population
sonnel en charge des opérations de paix et ‘démobiliser’ définitivement les factions
pour éviter les abus tels que : viol sexuel ou armées.
trafic de drogues et stupéfiants par certains

25
BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond

BIBLIOGRAPHIE 7. MARCHAL Roland, « Brève histoire d’une


transition singulière. La République cen-
1. Amnesty International, « République
trafricaine de janvier 2014 à mars 2016 »,
centrafricaine. Le long chemin vers la justice.
ROSCA-G&D (réseau des organisations de la
L’obligation de rendre des comptes », janvier
société civile de Centrafrique pour la gou-
2017, https://www.amnesty.org/download/
vernance et le développement), septembre
Documents/AFR1954252017FRENCH.PDF
2016, 73 pages ;
(consulté le 13 mai 2017) ;
8. NTUDA EBODE Joseph Vincent, « La
2. ANKOGUI-M’POKO Guy-Florent, « La crise
Centrafrique à la croisée des chemins », in
Centrafricaine date de longues durées : qui
Diplomatie, n° 68, Paris, 2014
la finance ou la sponsorise ? », Présentation
9. NTUDA EBODE Joseph Vincent, « Quel
à l’occasion du dialogue sécurité sur la crise
avenir pour la Centrafrique ? » in Diplomatie
de longue durée en RCA, par la Fondation
magazine, n°5, Paris, 2003.
Friedrich Ebert Stiftung, du 10 au 11 avril
2017 à Douala (Cameroun) ; 10. NTUDA EBODE Joseph Vincent, « La
Centrafrique de nouveau en ébullition :
3. BELLA MESSINA Fabrice, « L’appropria-
quelles leçons pour la communauté inter-
tion locale de la réforme du secteur de la
nationale ? », inDiplomatie n° 68, Paris, 2015
sécurité en République Centrafricaine et en
Sierra Leone : Contribution à l’étude sur la 11. Plan national de relèvement et consoli-
sécurité et le développement post-conflit », dation de la paix_PNRC 2017 – 2021 (Répub-
Mémoire de Master-Recherche en Sciences lique Centrafricaine), 6 novembre 2016 ;
politiques, Université de Yaoundé II-Soa, 12. VIRCOULON Thierry, « La reconstitu-
2014-2015 ; tion de l’armée centrafricaine : un enjeu à
4. Équipe Humanitaire Pays, « Plan hauts risques », in Note de recherche n° 36,
de réponses humanitaires 2017-2019. IRSEM, 28 avril 2017, https://defense.gouv.
République Centrafricaine », Rapport fr/conten/download/5011361/8515378/file/
UNOCHA (Bureau de coordination des Af- NR_IRSEM_36.pdf (consulté le 13 mai 2017).
faires humanitaires), novembre 2016 ; 13. WEYNS Yannick, HOEX Lotte, HILGERT
5. HUGON Philippe, « Les défis de la stabilité Filip & SPITTAELS Steven, « Cartographie
en Centrafrique », in Les Notes de l’IRIS, févri- des motivations derrière les conflits : la
er 2014, 13 pages ; République centrafricaine », IPIS, Anvers,
novembre 2014 ;
6. KILEMBE Faouzi, « Assurer la sécurité en
République Centrafricaine. Mission impos-
sible ? », Friedrich Ebert Stiftung Cameroun/
Afrique Centrale, octobre 2014, 28 pages ;

26
Achevé d’imprimer
en décembre 2017
Yaoundé - Cameroun
d Secu
an r

ity
e
Peac

Series
FES

Séries FES sur la Paix et la Sécurité en Afrique N° 22

A propos des Séries FES sur la Paix et la et la sécurité. En tant que Fondation politique
Sécurité en Afrique attachée aux valeurs de la démocratie sociale,
Le manque de sécurité est l’un des principaux Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) vise à renforcer
obstacles au développement et à la démocratie en l’interface entre la démocratie et la politique de
Afrique. L’existence de conflits violents prolongés sécurité. FES facilite donc le dialogue politique
ainsi que le manque de responsabilisation dans sur les menaces à la sécurité et les réponses qui
le secteur de la sécurité dans de nombreux pays y sont apportées au plan national, régional et
entravent la coopération dans le domaine de la continental. Les Séries FES sur la Paix et Sécurité
politique de sécurité. L’émergente Architecture en Afrique visent à contribuer à ce dialogue
Africaine de Paix et de Sécurité fournit un en faisant des analyses pertinentes, largement
cadre institutionnel pour promouvoir la paix accessible.

A propos de cette publication


En dépit de ses innombrables richesses en La Centrafrique partage des frontières poreuses
diamant, or, uranium, café, produits de la avec ces pays pour la plupart eux aussi en proie
forêt etc., depuis son existence la République à des troubles qui débordent fréquemment sur
Centrafricaine est un pays plongé dans une le territoire centrafricain.
crise sécuritaire chronique. Au lieu d’être Pour rechercher les voies et moyens vers une
investi dans le bien-être de la population, une paix durable via des mesures collectives, la
grande partie des recettes générées par ces FES a ordonné des recherches sur l’économie
richesses est détournée dans des coups d’État politique de cette crise et organisé un dialogue M. BENINGA Paul-Crescent
successifs, des rebellions armées, des conflits sécuritaire en avril 2017, qui a abouti à cette
intercommunautaires et interconfessionnels. publication intitulée « Persistance de la crise Dr MANGA ESSAMA Déflorine Grâce
Les conséquences sont multidimensionnelles : en République Centrafricaine: Comprendre
au-delà des regrettables pertes en vies pour agir ». Afin de mieux comprendre la
Dr MOGBA Zéphirin Jean Raymond
humaines, l’économie est effondrée, la perpétuation du conflit centrafricain, l’analyse
misère s’y est installée, les liens sociaux se sont s’est focalisée d’une part, sur la dynamique
profondément délités ; entraînant la formation
d’un cercle vicieux de méfiance et violence,
des acteurs, et d’autre part, sur les facteurs de
durabilité de la crise. L’analyse des acteurs a le
PERSISTANCE DE LA CRISE EN
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
et le déplacement massif des populations à mérite de proposer une typologie d’acteurs
l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Aussi, dont les manoeuvres oscillant entre intérêt
la RCA se trouve dans une région très instable. et désintérêt sont clairement identifiées. Au

COMPRENDRE POUR AGIR


Avec ses 623 000 Km2 et ses 4 616 000 habitants, sortir de cette analyse, l’on peut affirmer sans
le pays est enclavé entre six Etats : le Tchad, le ambages que la responsabilité de la crise est
Cameroun, les deux Congo et les deux Soudan. partagée.
ISBN: 978-9956-532-06-1

9 789956 532061

Vous aimerez peut-être aussi