CRISE EN RCA
CRISE EN RCA
CRISE EN RCA
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Series
FES
A propos des Séries FES sur la Paix et la et la sécurité. En tant que Fondation politique
Sécurité en Afrique attachée aux valeurs de la démocratie sociale,
Le manque de sécurité est l’un des principaux Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) vise à renforcer
obstacles au développement et à la démocratie en l’interface entre la démocratie et la politique de
Afrique. L’existence de conflits violents prolongés sécurité. FES facilite donc le dialogue politique
ainsi que le manque de responsabilisation dans sur les menaces à la sécurité et les réponses qui
le secteur de la sécurité dans de nombreux pays y sont apportées au plan national, régional et
entravent la coopération dans le domaine de la continental. Les Séries FES sur la Paix et Sécurité
politique de sécurité. L’émergente Architecture en Afrique visent à contribuer à ce dialogue
Africaine de Paix et de Sécurité fournit un en faisant des analyses pertinentes, largement
cadre institutionnel pour promouvoir la paix accessible.
9 789956 532061
M. BENINGA Paul-Crescent
Dr MANGA ESSAMA Déflorine Grâce
Dr MOGBA Zéphirin Jean Raymond
PERSISTANCE DE LA CRISE EN
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
COMPRENDRE POUR AGIR
© Friedrich Ebert Stiftung, Yaoundé (Cameroun), 2017.
Tél. 00 237 222 21 29 96 / 00 237 222 21 52 92
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ISBN: 978-9956-532-06-1
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Stiftung est formellement interdit à moins d’une autorisation écrite délivrée préalablement par la
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Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements .................................................................................................................................................................... 5
Introduction ............................................................................................................................................................................ 7
Bibliographie ....................................................................................................................................................................... 26
Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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Le foisonnement des groupes armés dis- trainé une intensification des viols sexuels.
séminés sur l’ensemble du territoire en lieu En 2015, on a dénombré 693 femmes violées
et place des forces armées centrafricaines et au cours du premier semestre 2016, 501
démantelées contribue à créer au sein des cas dont 81 sur mineurs avaient déjà été
populations un climat d’insécurité perma- comptabilisés. Cette situation sécuritaire a
nent. entraîné plus de 500 000 déplacés et 70 000
Au plan socio-économique, la couverture réfugiés. En effet, à la fin de l’année 2015,
d’une partie des besoins de 1,6 million de on ne dénombrait plus que 450 000 per-
personnes en 2017 est estimée à 399,5 mil- sonnes déplacées et à la fin du mois de sep-
lions de dollars, en vue d’assurer la survie tembre 2016, 384 884, soit une diminution
des populations, leur protection, et leur de 14,27%. A contrario, le nombre de per-
accès aux services sociaux de base et aux mé- sonnes réfugiées dans les pays limitrophes a
canismes de subsistance (Rapport UNOCHA, augmenté de 2,24 %, passant de 442 069 en
2016). La découverte de nouvelles richesses juillet 2015 à 467 960 en septembre 2016. La
et un gouvernement faible ont engendré déliquescence de la situation sécuritaire se
la corruption et une lutte pour le contrôle résume ainsi dans la forte insécurité alimen-
des pierres précieuses et d’autres ressources taire, la violation des droits de l’Homme, le
naturelles. Aujourd’hui, la RCA est 20 fois recrutement d’enfants-soldats, viols, meur-
plus pauvre qu’il y a 40 ans. Dans les années tres, etc. Depuis lors, le pays fait face à une
70, elle comptait plus de 460 entreprises insécurité multidimensionnelle persistante
industrielles, elle en a moins d’une dizaine (politique, sécuritaire, économique, sociale,
aujourd’hui. En 1970, il avait une univer- humanitaire…) avec des fortes ramifications
sité pour 1000 étudiants, aujourd’hui, il a au plan régional et international.
toujours une université pour plus de 20 000 Dans ces circonstances, toutes les initiatives
étudiants. En 1970, le PIB avait franchi le cap tant internes qu’internationales menées
de 400 US$ par tête d’habitant, à ce jour il jusqu’ici pour pacifier la RCA font preuve
est à moins de 100 US$. Curieusement, cette d’impertinence au regard de leur caractère
descente aux enfers n’émeut personne. Les vain. En effet, la RCA a accueilli plus d’une
régimes se succèdent chaque cycle de 10 dizaine d’opérations internationales de main-
ans. Mais tous attendent des partenaires tien de la paix et jusqu’ici on est loin d’avoir
au développement les solutions aux im- atteint ne serait-ce que ce maintien tant la
menses défis quotidiens. Ils ont toujours les consolidation de la paix parait difficile. Ce
yeux rivés, vers la Banque Mondiale, le FMI, texte envisage donc, aux fins de comprendre
l’Union Européenne, les Nations Unies ou pour agir, d’identifier les différents acteurs et
encore vers Paris. leurs liens à la crise, les dynamiques crisogènes
Au plan humanitaire, la prise du pouvoir par et d’émettre des recommandations pour
les rébellions armées en 2003 par François une paix structurelle en République Centra-
BOZIZE et récemment en 2013 par la coa- fricaine.
lition Seleka avec Michel DJOTODIA, a en-
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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centrafricaine. Ses alliances contre nature population. On retrouve au sein de ces for-
et les acteurs politiques (gouvernement et mations majoritairement des membres dont
opposition armée) ont dramatiquement le principal critère d’adhésion est la proxim-
amplifié et complexifié les chemins de sortie ité ethnotribale avec le leader du parti. C’est
des crises en RCA. ainsi qu’à l’aube des échéances électorales,
L’opposition politique est toujours de- entre 2014 et 2015, la classe politique cen-
meurée un contrepoids du gouvernement. trafricaine enregistrait 69 partis politiques
Contrairement à l’opposition armée, celle-ci reconnus et 21 en cours de reconnaissance.
a opté pour une conquête démocratique du Cette pléthore de partis politiques n’a
pouvoir, par les moyens légaux et surtout en rien freiné l’arrivée de la Seleka et du
sans user de la dissuasion au moyen des régime de DJOTODIA dont l’usage de la
armes. Si cela est au mérite de l’opposition violence a instauré une peur générale au
politique centrafricaine, il n’en demeure pas sein de la population. Par ailleurs, la classe
moins qu’elle connaît ses tares essentielle- politique centrafricaine a su entretenir les
ment provoquées par des motivations et in- tensions sociales, intercommunautaires et
térêts individuels pour la quête du pouvoir. religieuses issues du conflit entre les Seleka
De nombreux partis politiques se réclamant assimilés à tort ou à raison aux musulmans
du pouvoir ou de l’opposition en RCA n’ont et les anti-balaka assimilés aux chrétiens,
pas un mandat clair, articulé autour d’une sinon aux non-musulmans, avec l’appui de
vision ou d’un rêve commun centrafricain certains acteurs de la société civile et des
à offrir aux citoyens. Ils ne proposent pas médias, notamment internationaux.
de mesures de performance permettant de
b- Les acteurs militaires et para-
mieux apprécier l’impact de leurs discours.
militaires : Les Forces de défense
À cela s’ajoute leur incapacité stratégique
et de sécurité (FDS) et les groupes
à traduire leurs discours dans la réalité.
Les capacités d’initiatives de l’opposition
armés
politique civile en Centrafrique ne repo- L’amélioration de la situation sécuritaire en
sent pas sur des fonctions transparentes, Centrafrique demeure largement préoccu-
mais plutôt sur le clientélisme. En somme, pante en raison de la montée des violences
la responsabilité des partis politiques de aussi bien à Bangui que dans l’ensemble des
l’opposition dans la crise centrafricaine provinces. Deux raisons peuvent l’expliquer.
repose d’une part sur leur incapacité à D’une part, l’absence d’une force légale et
proposer et constituer des alternatives légitime sur laquelle devrait s’appuyer l’État
viables aux élites dirigeantes et d’autre pour assurer la sécurité du territoire et des
part à jouer son rôle dans la formation de populations centrafricaines et d’autre part,
l’opinion publique. Comme dans la plupart la prolifération et la violence des groupes
des pays africains, la multiplicité des partis armés constituant la perte du monopole de
politiques en RCA traduit l’absence de vision la violence légitime.
commune ou de projet politique construit Les FDS sont certainement et paradoxale-
et partagé par une grande majorité de la ment la source de l’instabilité politique et
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
de la violence sociale en RCA. Beaucoup de ant dans les mutineries qui ont eu lieu en
chefs rebelles sont issus des forces armées 1996 et 1997, ainsi que la tentative de coup
centrafricaines (FACA) et de l’élite poli- d’État du 21 mai 2001 contre le Président
tique. L’explication du chaos centrafricain Ange-Félix PATASSE. Ce dernier lui-même
peut donc largement trouver son fonde- aurait contribué à la création en 2006, de
ment dans l’effondrement du secteur de l’Armée Populaire pour la Restauration
la sécurité et de la défense. Les FACA ont de la République et la Démocratie (APRD),
souvent été en déphasage avec la plupart un groupe armé dirigé par Jean-Jacques
des gouvernements du fait que les prési- DEMAFOUTH, autre personnage intriguant,
dents essayent chaque fois d’imposer leurs qui a joué un rôle majeur dans la transition
hommes de confiance, qui plus est, sur une de SAMBA-PANZA. On peut aussi noter le
base ethnique afin d’asseoir leur autorité. soutien très probable du Président BOZIZE
Ne peut-on que gouverner sur une base et son parti le Kwa Na Kwa (KNK – le tra-
ethnique ? Si gouverner consiste à gérer les vail, rien que le travail) aux Anti Balaka, en
différences, faire preuve d’universalité ne représailles aux Seleka qui l’avaient évincé
serait-il pas asseoir de fait, son autorité sur du pouvoir en 2013.
l’étendue du territoire national ? Ces inter- S’agissant des groupes armés, ils font au-
rogations suggestives ne sont pas naïves. En jourd’hui partie du paysage politico-sécu-
se référant même à l’évolution historique ritaire, car le recours à la force est considéré
politico-sécuritaire de la RCA, le constat en RCA comme une stratégie très efficace
n’est pas érudit : gouverner sur une base pour accéder aux plus hautes fonctions de
sectaire est nuisible pour les gouvernés et la République. Ces groupes ont longtemps
nocif pour les gouvernants. servi de bras armés aux hommes politiques
pour conquérir le pouvoir ou sous-traiter
L’opposition politique armée par différen-
certaines missions régaliennes de sécurité
ciation à l’«opposition démocratique» dé-
telles que la lutte contre les bandes armées
signe une élite qui en plus des moyens de
et groupuscules criminels repliés dans
conquête démocratique du pouvoir, dispose
l’arrière-pays. Aujourd’hui la nature de
également d’une force armée. Il s’agit d’une
regroupements varie ou mue en fonction
stratégie janusienne avec d’un côté, une
des opportunités. Ainsi on retrouve dans
face légale et d’un autre, une face illégale
ces divers mouvements armés, des mem-
obscure menaçante. Si l’on remonte même
bres issus des milices d’autodéfense, des
jusqu’en 1981, un parti politique était im-
coupeurs de route ou des ex-membres des
pliqué dans l’attentat du 14 juillet contre le
FDS. En effet, au fil de son histoire, la RCA a
Cinéma Club de Bangui, en guise d’hostilité
connu divers mouvements armés à l’origine
au pouvoir de David DACKO, considéré
de multiples rébellions, mutineries et coups
comme pistonné par la France. Aussi, le
d’État. Entre 2002 et 2017, on a enregistré
Rassemblement démocratique centrafricain
au moins 14 groupes armés.
(RDC) d’André Kolingba a eu un rôle import-
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BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond
Mais si avant 2012, les groupes d’opposition 36 milliards/an. Aussi, l’établissement des
armée n’affichaient que des ambitions poli- barrières routières pour racketter les usagers
tiques et territoriales étriquées, le renverse- avec près de 40 barrières entre Bangui
ment du Président BOZIZE en 2013 va con- et Bambari avec notamment l’obliga-
stituer un tournant décisif. Ainsi profitant tion de tous les passants de payer suivant
des zones grises dues à l’absence de l’État son niveau social. Par exemple 150 000 à
dans certaines localités du pays, les actions 200 000 FCFA pour les grumiers reliant le
des groupes armés vont proliférer de façon sud-ouest.
exponentielle afin de s’élargir et consolider Par ailleurs, on assiste à un phénomène
leur sphère d’influence. En 2014, la Seleka, que l’on pourrait qualifier « d’alliance
les Anti-Balaka et le LRA contrôlaient une contre nature ou incestueuse ». Il s’agit de
grande majorité du territoire centrafricain. mouvement d’implosion/dislocation et de
Ils se sont ainsi livrés à plusieurs activités recomposition/reconstruction, ou encore
relevant de la souveraineté de l’État, donc de nouvelles formes d’alliance entre fac-
illicites et souvent criminelles : exploitations tions opposées. En effet, des grands groupes
minières et contrebande de diamants ; comme la Seleka et les Anti Balaka, et
prélèvement d’impôts parallèles sur les certains d’entre eux se sont transformés au
mines, l’agriculture et autres commerces moyen de dislocation interne et de recom-
présents sur les territoires sous leur contrôle, position/alliance avec d’autres fragments
à l’instar des éleveurs qui étaient parfois de milice, en des milices à part entière, ré-
assassinés et souvent volés à hauteur de munérées par les communautés locales ou
1 500 bœufs par semaine, soit environ 750 des opérateurs économiques pour assurer
millions de FCFA/semaine, 3 milliards/mois, leur protection, remplaçant ainsi l’appa-
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
reil de sécurité de l’État. D’autres se sont Grand nombre d’entre elles sont concen-
même octroyés dans certaines localités, les trées dans la capitale et sont moins proac-
attributs du pouvoir judiciaire, exigeant une tives dans la mobilisation citoyenne, dans
rémunération pour leurs services en tant l’apprentissage de la démocratie et la com-
que procureurs et magistrats locaux, ce qui munication sociale pour un changement
a davantage affaibli la légitimité des insti- durable de comportement. De nombreux
tutions étatiques y afférant (Plan national d’entre elles n’ont pas une vision commune
de relèvement et consolidation de la paix et partagée autour des défis sociaux urgents
2017 – 2021). et prospectifs. Cette faiblesse réside dans le
In fine, on a des intérêts entre le gouver- profil sociologique souvent hétéroclite des
nement (État) et les groupes armés qui acteurs qui animent ces structures, car ayant
sont donc en constante contradiction, avec des attentes diverses. On y trouve un grand
en prime une fragmentation des groupes nombre de jeunes diplômés sans travail,
armés dont les entités qui en ressortent des fonctionnaires ayant des fins de mois
produisent des alliances avec d’autres en- difficiles, des employés du secteur privé,
tités issues d’un même processus ; ce qui des déçus et déchus des partis politiques re-
complexifie davantage la compréhension convertis dans le social. Ils utilisent l’espace
des facteurs de la crise et donc la recherche d’expression de la société civile comme un
des solutions. tremplin pour la construction de promotion
sociale, économique ou politique.
c- Les autres acteurs Aussi faut-il le dire, les espaces religieux et
Sous l’appellation « les autres acteurs » se surtout les cercles ésotériques très pro-
classent les organisations de la société civile, lifiques en RCA (Rose Croix, Franc-maçon-
les leaders religieux, les cercles ésotériques nerie, Lion’s Club, etc.) ont impacté sur la
et la jeunesse. Tous ont eu à jouer, à des faculté de penser et la capacité d’agir comme
périodes et selon les régimes politiques suc- acteurs en marquant le cours de l’évolution
cessifs, des rôles manifestes ou latents dans politique tumultueuse de la société centra-
la reproduction cyclique des crises en RCA à fricaine. Leurs adeptes et partisans s’oppo-
travers des jeux d’alliance et de contre-al- sent et même se combattent politiquement
liance. En dépit des efforts consentis pour par écoles interposées lors des crises et dans
calmer les tensions intercommunautaires les médiations sous régionales en vue d’un
et religieuses, la société civile centrafricaine positionnement sur l’échiquier politique
demeure divisée entre d’une part, ceux qui pour accéder à des hautes fonctions de
rêvent d’une société centrafricaine démocra- l’État. Si la position de ces cercles ésotériques
tique et pacifique et d’autre part, ceux qui n’est pas cernée jusqu’ici et que leur impact
souhaitent un positionnement à des postes sur la psychologie sociale n’est pas claire-
clés dans l’arène politico-administrative ment défini, il n’en demeure pas moins que
afin de profiter des prébendes. La poussée leur rôle n’est pas neutre dans la crise en
démographique des organisations de la RCA. D’ailleurs leur expansion serait à la fois
société civile n’a pas répondu aux espoirs cause et conséquence de la persistance de la
et attentes de la population centrafricaine. crise centrafricaine.
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
réservoir d’hydrocarbures, constitué par plan politique, dans le soutien des chefs
les fosses sédimentaires de Doba au Nord, d’État comme David DACKO et Barthélemy
voisines des bassins de Doséo et de Salamat BOKASSA. De même, au plan sécuritaire, elle
(« Les dynamiques de la crise centrafri- est militairement intervenue dans les crises
caine », Libération, 10 janvier 2014 ; voir centrafricaines à la fois dans un cadre d’ac-
aussi ministère centrafricain des Mines, du tion bilatérale ou multilatérale. À ce titre,
Pétrole, de l’Énergie et de l’Hydraulique, on peut citer : l’opération « barracuda » de
« Aperçu sur le potentiel minier de la Ré- 1979 qui mit fin à l’empire de BOKASSA et
publique centrafricaine »). Cependant, il installa DACKO à la présidence ;les opéra-
est légitime de s’interroger si le Tchad n’a tions « Furet » et « Almandin 1, 2 et 3 » aux
pas intérêt à ce que la crise se perpétue en côtés des FACA pour protéger le Président
RCA (mais loin du nord) ? Parce qu’une RCA PATASSE menacé par les mutineries de
en crise lui permet quand même de pouvoir 1996, les missions EUFOR-Tchad/RCA 2007
continuer d’exploiter seul ce réservoir na- puis, EUFOR-RCA 2014 (sous pavillon de
turel commun. l’Union Européenne) ; la force Sangaris en
Le Tchad a des ambitions géopolitiques 2013 (sous mandat de l’ONU) aux côtés de
et géostratégiques. De fait, il cherche à se la Mission internationale de soutien en Cen-
positionner comme une puissance sous-ré- trafrique sous conduite africaine (MISCA).
gionale en Afrique centrale. Cette volonté En définitive, l’intervention française dans la
se traduit à travers la participation de forts quête de la stabilité en RCA dans un contex-
contingents tchadiens en appui des forces te de crise complexe et répétitive ne pouvait
continentales et internationales présentes être que salutaire, là où par ailleurs d’autres
en RCA. Dans le même registre s’inscrit la pays de la communauté internationale n’y
lutte permanente de leadership entre les trouvaient pas d’intérêts stratégiques à
présidents Idriss DEBY du Tchad et Denis préserver.
SASSOU NGUESSO de la République du Cependant, la France estime qu’elle
Congo. On en veut pour preuve leur dé- « a largement rompu avec la Françafrique,
saccord sur les feuilles de route de sortie n’agit qu’avec la légalité onusienne et la
de crise, notamment au sujet de l’amnistie légitimité du soutien de l’Union Africaine ».
pour les ex-rebelles proposée par le Prési- Ce sont pourtant ces mêmes liens qui font
dent tchadien et qui semble avoir un écho douter les Centrafricains sur la sincérité
favorable du côté de l’Union Africaine. et l’humanisme total de la France dans sa
- La France participation à la résolution de la crise.
La France a des liens forts avec la RCA du Tout de même, il serait naïf de penser que
fait: de la colonisation, de la francophonie, les Opex en Centrafrique ou ailleurs ne
de la zone franc, des accords de défense, de sont fondés sur aucun intérêt ! Cet attrait
la coopération militaire et de la présence du de la France pour la RCA n’est donc pas
groupe énergétique Areva. En effet, elle a gratuit. Ceci n’est pas forcément pour
joué un rôle historique majeur en RCA, au soutenir la grille d’analyse de la « França-
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BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond
frique », mais plutôt pour réaffirmer que Lafarge où le groupe Lafarge est soupçon-
les relations entre États sont des rapports né d’avoir indirectement financé l’État
d’intérêts. Dans le cas centrafricain, ces Islamique en Syrie en 2013.
intérêts peuvent être situés à trois niveaux : L’intérêt géostratégique quant à lui, est
économique, géostratégique et géopo- davantage régional. Du fait de la position
litique. centrale du territoire centrafricain, enclavé
Sur le plan économique, même si les échang- entre les pays où la France a beaucoup
es commerciaux entre la RCA et la France ne d’intérêts divers (le Cameroun, le Tchad, le
sont pas colossaux et que le géant groupe Congo et le Gabon qui n’est pas très loin),
Areva a renoncé à exploiter l’uranium dans une zone grise à cet endroit constituerait
l’est pour lequel il avait signé un accord en une immense base arrière pour tous les
2008 avec la RCA, il existe néanmoins des groupes armés présents au Tchad, au
intérêts économiques à préserver pour le Soudan, en RDC, etc., et constituerait de
futur. Il s’agit de ceux de France Télécom facto, une menace pour l’ensemble de la
installée depuis 2007 à Bangui et le groupe région et des pays où la France a des intérêts
Bolloré qui gère le terminal porte-container directs et importants.
du port de Bangui. L’intérêt de maintenir ces Enfin, l’intérêt géopolitique de la France
relations économiques dans des domaines est celui qui a toujours motivé toutes les
stratégiques (communication et transit com- grandes puissances, à savoir la projection
mercial) résulte du fait que la France espère des forces. En effet, membre du Conseil de
ne pas être totalement déconnectée de la Sécurité de l’ONU et soucieuse d’avoir une
RCA à l’heure où le continent africain et stature internationale toujours rayonnante,
particulièrement l’Afrique subsaharienne la France n’hésite pas à être à l’initiative des
francophone est en pleine croissance (3.7% résolutions onusiennes comme la résolu-
en 2016 selon la Banque mondiale), et con- tion 2127 et les opérations de l’Union Eu-
naît la concurrence de plusieurs pays comme ropéenne. Il s’agirait même en plus, d’une
le Brésil, la Chine, la Turquie, etc. également sorte de communication simiesque, par
attirés par le continent. De plus, loin des laquelle à travers ses manœuvres militaires
questions minières qui n’ont fait que trop en RCA elle entend bien conserver l’Afrique
d’échos, d’aucuns affirment qu’ils y auraient centrale dans sa zone d’influence. L’inter-
des liens entre des sociétés d’exploitation vention de la France n’est donc pas neutre,
forestière françaises et des groupes armés tout comme celle des autres États impliqués
locaux. Cela nous rappelle bien l’affaire dans la crise.
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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On peut regrouper les OIG qui se sont in- 2002 à 2008, la MICOPAX (sous les auspices
téressées à la crise centrafricaine en deux de la CEEAC) de 2008 à 2013 et la MISCA
catégories : les organisations extracontinen- (mission internationale, mais sous conduite
tales et celles intracontinentales. africaine) de 2013 à 2014.
- Les initiatives internationales dans la Il faut bien avouer avec Roland MARCHALL
crise centrafricaine que l’implication des pays de la région dans
Par initiatives internationales, il s’agit pré- la crise centrafricaine reste marquée du
cisément des missions de maintien de la sceau d’une grande ambivalence et laisse
paix conduites par les Nations Unies ou par perplexe. La FOMUC était censée s’inter-
une force multinationale autre qu’africaine poser entre l’armée du Président PATASSE
comme l’Union Européenne. et les combattants de François BOZIZE, sans
À ce titre, on peut relever pour les missions succès. Après la prise de pouvoir par BOZIZE,
onusiennes : la Mission des Nations-Unies en les Africains changeaient de casques avec
République Centrafricaine (MINURCA, 1998- le changement de cette force en MICOPAX,
2000) ; le Bureau des Nations-Unies pour sous le commandement de la CEEAC. On as-
la consolidation de la paix en République sistait passivement à l’arrivée au pouvoir de
Centrafricaine (BONUCA, 2000-2010) ; la Seleka en 2013 et aux multiples exactions
Bureau intégré des Nations Unies pour la sur la population qui s’en suivirent. Ce qui
consolidation de la paix en République laisse percevoir un manque de coordination,
Centrafricaine (BINUCA, 2009); la MINUSCA voire une contradiction entre la CEMAC et
en remplacement de la MISCA, depuis 2014. la CEEAC.
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
dont les paradoxes ont déjà été exposés la communauté internationale. Cepen-
(supra). La deuxième est la difficulté pour dant, prévue pour le 1er août 2013, elle ne
la CEEAC à pouvoir faire respecter les dé- sera déployée que le 19 décembre 2013,
cisions sous-régionales si elle est incapable attestant de fait l’assertion de Mathias Éric
de fonctionner normalement elle-même. OWONA NGUINI selon laquelle, mettre le
En effet, à cette période, le budget annuel temps en équation reste un défi stratégique
de la MICOPAX était d’environ 30 millions et historique pour l’Afrique centrale. Elle
d’Euros, dont près de 50% avaient été sera alors soutenue par les 2 000 hommes
supportés par l’UE (en équipement et logis- de la force française « Sangaris » et les 600
tique) et 20% devaient être supportés par hommes de la force EUFOR de l’UE. Si l’une
les contributions des États membres, qui des plus grandes réussites de la MISCA était
n’ont pas versé suffisamment pour couvrir la sécurisation du corridor entre Bangui et le
les salaires et les coûts de fonctionnement Cameroun, point névralgique de l’économie
de la composante civile. centrafricaine et l’acheminement de l’aide
La MISCA quant à elle, est déployée à l’ini- humanitaire, elle n’a pas réussi à réconcilier
tiative de l’UA, en collaboration étroite les belligérants, encore moins à stopper
en amont avec l’ONU et en aval avec la les tueries et exactions contre les civils. Il
CEEAC. Cette décision part d’une bonne fallait se rendre à l’évidence, 7 000 hommes
intention : aider le gouvernement transi- (toutes les forces comprises) pour couvrir un
toire centrafricain à sécuriser son territoire territoire d’environ 623 000 km2 en conflit
et soutenir un pays frère « délaissé » par ou post-conflit, étaient très insuffisants.
Source : grotius.fr/cours-d’histoire-comprendre-crise-centrafricaine/2013
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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La coalition de la « Seleka » qui s’était con- des groupes armés portés par certains médi-
stituée en 2012 pour renverser le régime ateurs, comme l’Organisation de la coopéra-
de BOZIZE s’est très vite fissurée trois mois tion islamique (OCI) qui a œuvré en 2016 au
après le coup d’État. Des rivalités ont opposé rapprochement des factions de l’ex-Seleka,
le Front Populaire pour la Renaissance de la dévoile les profondes divisions qui travail-
Centrafrique (FPRC) à l’Union pour la Paix en lent les groupes armés. Toutefois, force
Centrafrique (UPC), deux grandes factions est de constater que les récentes attaques
de l’ex-Seleka, pour le contrôle des zones ciblées contre les musulmans ont facilité le
d’influence et des ressources minières et rapprochement entre l’UPC et FPRC avec des
caféières. profondes motivations irrédentistes.
Les exactions et pillages attribués à l’UPC
c- L’absence de mémoire collective
(majoritairement composée de Peuls) dans
certaines localités méridionales et orientales L’absence de mémoire traduit en fait la
du pays ont alimenté le sentiment anti-Peul. non-capitalisation des initiatives de paix
En représailles, des groupes d’autodéfense et des acquis des innombrables foras,
locaux se sont constitués, tissant parfois séminaires, ateliers, etc. organisés pour
des alliances contre nature pour mener des la paix et l’éternel recommencement des
attaques ciblées contre les communautés processus de paix. C’est ainsi que se tenait
Peules, à l’instar de l’attaque de Bangassou le Forum national de Bangui. Ce forum
du 13 mai 2017 qui a fait une centaine de qui se tenait du 04 au 11 mai 2015 avait
morts. Les expéditions punitives contre les pour objectif de créer une dynamique
Peuls et les musulmans s’apparentent, dans nécessaire à l’aboutissement du processus
le récit des seigneurs de guerre locaux, à une de paix et de réconciliation nationale. En
sorte de rite expiatoire pour conjurer le mal d’autres termes, l’on souhaitait modérer
de la société centrafricaine, incarné par le les appétits des acteurs du conflit centra-
« musulman étranger ». fricain et réconcilier la population à la
La recrudescence des attaques consécutives classe dirigeante. En effet, la transition
à la décomposition des groupes armés en- de SAMBA PANZA était essentiellement
traîne d’énormes pertes côté civils, mais aussi marquée par des comportements oppor-
au sein des Casques Bleus et du personnel tunistes aussi bien à la Présidence – avec
humanitaire. Rares sont les ONG qui osent cette panoplie de conseillers – qu’au
encore s’aventurer dans certaines provinces Conseil National de Transition, ainsi qu’au
et plusieurs humanitaires ont stoppé leurs Gouvernement. L’innovation majeure qui
activités dans le nord du pays où les violences la différenciait jusque-là des autres initia-
font rage. La tendance au factionnalisme tives de réconciliation nationale était que,
qui traverse les groupes armés complexifie la présence des délégués des préfectures
les négociations de paix et rend difficile permettait que la voix de la province ait pu
l’opérationnalisation des Désarment, Dé- se faire entendre par les autorités nationales.
mobilisation, Réinsertion et Rapatriement Les délégués de l’Est ont par exemple eu la
(DDRR). L’échec des projets de réunification possibilité de réclamer du gouvernement
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
des mesures pour neutraliser les éléments crise centrafricaine a enrichi de nombreux
Seleka de Basse-Kotto qui continuaient de acteurs intervenants externes. Dans le pro-
régner sur leur territoire. Toutefois, s’agissant cessus de programmation, aucune place
des groupes armés en général, leurs reven- n’est accordée à l’exploitation des forces, de
dications et leur intransigeance surtout en l’énergie et de l’intelligence locales et na-
ce qui concerne différentes garanties de tionales. Les objectifs politiques, sécuritaires
non-poursuites judiciaires ou de réinsertion et de développement ne sont définis qu’à
sociale, étaient justement fonction de leur l’intention de l’État et des partenaires au
force sur le terrain. développement, sans souci d’une intégra-
Les accords issus de ce forum ont tout de tion efficace. La crise en RCA laisse donc
même permis d’apaiser, en vue des échéances entrevoir trois scénarios possibles :
électorales qui ont suivi, le climat sécuritaire • Scénario catastrophe marqué par la per-
et politique avec la figure de Samba-Panza sistance et permanence des dynamiques
très controversée à cette période. L’accord crisogènes de la RCA où l’État serait absent
sur les principes de Désarmement, Démo- encore longtemps à cause des déficits chro-
bilisation, Réinsertion et Rapatriement niques de capacité de réponse coercitive et
(DDRR) et d’intégration dans les corps en alternatives susceptibles d’endiguer l’ex-
uniforme de l’État centrafricain entre le pansion des groupes armés, d’apaiser les
gouvernement de transition et les groupes tensions communautaires et de contribuer à
armés, posait des principes assez justes : une reconstruction durable de la société cen-
individuelle (non fondé sur l’appartenance trafricaine au niveau individuel et collectif.
à tel groupe ou autre), progressive, suite à • Scénario médian caractérisé par le main-
un vetting (absence de passé criminel) et tien en survie de l’État centrafricain sous
dans le respect des critères de professionna- perfusion onusienne et des partenaires
lisme et d’équité. extérieurs au développement.
- Scénarisation des futurs possibles de • Scénario prospectif et idéal fondé sur
la RCA l’idée force d’un rebondissement politique,
La façon dont les crises et les conflits en RCA économique et social de la RCA (penser le
sont perçus, appréhendés et gérés, ne sau- futur pour réinventer l’avenir en Centra-
rait instaurer définitivement la paix. Dans frique) si elle veut sortir du creux profond
la plupart des cas, les dimensions étroite- des crises récurrentes dans lequel le pays a
ment liées aux résiliences communautaires été plongé depuis des décennies dans l’op-
ont été jusque-là purement et simplement tique d’assurer sa continuité historique et
négligées par les institutions onusiennes, politique en tant que nation indépendante
humanitaires et autres ONG internationales, et souveraine. Ce rebondissement national
soucieuses de justifier les énormes quantités exige à n’en point douter un changement
de fonds reçus au nom de la crise centra- d’état d’esprit, d’attitude et de comporte-
fricaine dont une grande partie n’est pas ment dans les approches et stratégies de
injectée dans les efforts de consolidation gouvernance afin de réaliser le rêve centra-
de la paix et la cohésion sociale à la base. La fricain.
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BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond
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Persistance de la crise en république Centrafricaine: comprendre pour agir
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BENINGA Paul-Crescent - MANGA ESSAMA Déflorine Grâce - MOGBA Zéphirin Jean Raymond
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Achevé d’imprimer
en décembre 2017
Yaoundé - Cameroun
d Secu
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Peac
Series
FES
A propos des Séries FES sur la Paix et la et la sécurité. En tant que Fondation politique
Sécurité en Afrique attachée aux valeurs de la démocratie sociale,
Le manque de sécurité est l’un des principaux Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) vise à renforcer
obstacles au développement et à la démocratie en l’interface entre la démocratie et la politique de
Afrique. L’existence de conflits violents prolongés sécurité. FES facilite donc le dialogue politique
ainsi que le manque de responsabilisation dans sur les menaces à la sécurité et les réponses qui
le secteur de la sécurité dans de nombreux pays y sont apportées au plan national, régional et
entravent la coopération dans le domaine de la continental. Les Séries FES sur la Paix et Sécurité
politique de sécurité. L’émergente Architecture en Afrique visent à contribuer à ce dialogue
Africaine de Paix et de Sécurité fournit un en faisant des analyses pertinentes, largement
cadre institutionnel pour promouvoir la paix accessible.
9 789956 532061