181_PAPER Bodet

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 16

1

ÉVALUATION DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES : QUELLES SPÉCIFICITÉS


DE L'ÉCONOMIE SOCIALE ?

Catherine Bodet, catherine-bodet@wanadoo.fr

Thomas Lamarche, thomas.lamarche@univ-lille3.fr

Gérard Leseul, LESEULGE@creditmutuel3d.com

Dominique Picard, dominique.picard@caissedesdepots.fr

Résumé

Les problématiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE) se développent alors que l'État
se désengage de la voie réglementaire dans le champ des questions économiques. Le pouvoir des
firmes multinationales n'a jamais été aussi fort. Celles-ci cherchent ainsi à se construire une
impérieuse légitimité au moment où se multiplient les scandales financiers, sanitaires et sociaux.
Soutenus par les comités comptables internationaux, les orientations prises par les firmes
multinationales deviennent la référence, y compris pour les PME. Mais qu'en est-il des entreprises
coopératives ?

La présente contribution interroge les outils d’évaluation de la responsabilité sociale dans les
organisations de l’économie sociale. Des outils adaptés et participatifs ont été créés, tel le Bilan
sociétal. Ces outils fournissent-ils l’ensemble des preuves nécessaires ou bien est-il pertinent d’aller
se confronter aux outils des autres entreprises ? Et inversement sont-ils universels ?

La réponse aux défis sociétaux actuels passe par la preuve de l’utilité sociale et de la « haute qualité
entrepreneuriale » de l’organisation. La méthodologie du Bilan Sociétal, basée sur la participation
des différentes parties prenantes à l'évaluation, et sur l'écart entre les valeurs affichées et la réalité
perçue par les parties prenantes, apparaît bien opérationnelle quel que soit le statut juridique de
l'entreprise.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
2

INTRODUCTION : RESPONSABILITÉ SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES, UNE

ÉVICTION DU SOCIAL ?

Les entreprises coopératives, les mutuelles et les associations se trouvent confrontées à de nouvelles
questions à propos de l’évaluation de leurs actions, des effets de leurs activités et de leurs manières
de faire. L’intérêt de l’ESS pour le thème de sa responsabilité et de son utilité sociale est historique,
on pourrait dire qu’il est intrinsèque à l’économie sociale et à ses fondements philosophiques ou
politiques. Le système de gouvernance spécifique, tout comme la prise en compte du halo sociétal
des activités, figurent parmi les caractéristiques organisationnelles essentielles des organisations qui
la composent. Pourtant le chantier de la responsabilité se trouve assez brusquement remis dans
l’actualité par la conversion des entreprises capitalistes au thème de la citoyenneté puis à celui de la
responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE).

L’acuité de la question de la gouvernance dans le secteur traditionnel (affaires Enron et suivantes ;


collusions ; rapports sur la gouvernance ; Loi NRE…) comme dans l’ESS mérite d’être resituée.
L’antagonisme capital travail n’est pas de nature identique selon les types d’entreprises : les formes
de compromis sociaux sont historiquement distinctes. La nature intrinsèquement conflictuelle des
relations capital-travail prend une forme assez radicalement différente dans l’économie sociale.
Dans l’économie sociale, le capital n’est pas exogène à l’entreprise, alors qu’il tend à l’être dans les
firmes les plus financiarisées1. Le pouvoir naturellement endogène du sociétariat et des
administrateurs constitue une hiérarchie que les mutuelles et les coopératives ont systémisé et érigé
en principe d’équilibre des pouvoirs techniques et politiques, La mobilisation collective du capital
est liée à un projet social et les modalités de la répartition de la valeur entre sociétaires et salariés
constituent ainsi un élément de singularisation des compromis propres à l’économie sociale.

Permettons-nous un rappel historique. La longue crise du fordisme, dans sa période 1975-1990


constitue un moment d’intenses pressions sur le rapport salarial (flexibilité du travail, désindexation
des salaires, forme d’éviction du compromis social…). Une hypothèse possible est que l’émergence
du concept de RSEE développe un nouveau compromis, remplaçant le compromis fordien capital /
1
Cf Aglietta et Rébérioux : leur proposition est de considérer que les actionnaires sont extérieurs à l’entreprise.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
3

travail2. Dans ce sens la RSEE peut être comprise comme un régime politique ou un régime
symbolique dans lequel s’enchâsse la relation capital-travail3: C’est l’abandon du compromis
salarial fordien, d’une part, et le démantèlement de l’État-providence, d’autre part, qui induit la
recherche d'un nouvel ordre symbolique. L’entreprise de capitaux a besoin de construire une
nouvelle légitimité pour succéder au compromis salarial fordien. L’émergence du discours en
responsabilité correspond à cette quête de justification. La mobilisation d’un discours sociétal
constitue alors une forme d’écrasement du social, au sens de la politique sociale telle qu’on la
conçoit dans la grande entreprise industrielle. C’est ainsi que le discours environnementaliste ou
sociétal peut être analysé comme une pression exercée à l’encontre du travail et des régimes de
protection des salariés. La justification de l’entreprise se fait au nom des générations à venir
(politique de développement durable notamment) ou au nom de la prise en compte de facteurs non
strictement sociaux (parties prenantes, environnement…).

Il semble que les entreprises de l'ESS (Mutuelles, Coopératives et celles que l’on nomme les
« entreprises associatives ») n’ont pas intrinsèquement cherché une nouvelle justification comme
l'ont fait les entreprises à capitaux. En effet d’une part elles ne remettent pas en cause leur
compromis salarial : au sein des mutuelles on ne repère pas d’écrasement du social, et pas de
recherche d’un projet alternatif au compromis fordien ; pour les entreprises associatives la nature
des compromis sociaux n’est pas passée par l’élaboration de compromis sociaux ou salariaux que
l’on pourrait qualifier de fordien (faiblesse des avantages sociaux et salariaux et des salaires
indirectes). D’autre part ces organisations de l’ESS n’ont pas à se faire « pardonner » (ou faire
passer) deux aspects majeurs de la réorganisation contemporaine des entreprises qui ne les
concernent pas : la déconstruction des frontières de l’entreprise aux dépens des salariés
(externalisation et délocalisation) et la montée des inégalités salariales liée à la reprise en main du
pouvoir actionnarial (stock option…).

Les discours en responsabilité des entreprises tentent d’aborder le terrain politique. Avec une
logique d’autopromotion, d’autoproduction de sens, de valeur, les entreprises à capitaux se
déplacent sur un terrain qui est originellement celui de l’économie sociale (économie pilotée par des

2
C’est le thème du programme de recherche Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise : interaction
des logiques d’acteurs dans la construction de normes, Clersé-IFRESI.
3
Voir les travaux régulationnistes, notamment Théret ; Lordon

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
4

valeurs et non pas seulement par le profit). C’est ainsi une menace paradoxale pour l’économie
sociale, menace qui est perçue dès les années 1980.

La tension qu’exercent les stratégies RSE sur les entreprises de l’économie sociale entre en
résonance avec une certaine crise de la démocratie (réalité du sociétariat, fréquentation des AG…).
Il y a bien question sur la nature des projets qui animent les entreprises de l’économie sociale en
comparaison avec les entreprises à but lucratif.

L’évaluation prend, dans ce contexte de confrontation de valeurs, une place singulière. Le chantier
de l'évaluation en entreprise donne lieu à une intense activité qui suppose de travailler sur les
modalités de l'évaluation (le comment évaluer) mais suppose préalablement de définir ce qui doit
être, ou va être, évalué (le quoi évaluer). Vient enfin la question de qui produit l’évaluation, c’est à
dire la question du financement de l’évaluation, donc du modèle économique de l’évaluation.

L’évaluation peut se considérer dans le cadre d’un renforcement de ce que les anglo-saxons
appellent accountability et fait référence à la façon dont les élus rendent des comptes à leurs
électeurs. Sont associées alors les notions de responsabilité à l’égard des parties prenantes et de
transparence (principe de publicité de l’information qui induit les pratiques de divulgation). Dans le
cas de la RSEE, les pratiques d’évaluation vont de paire avec l’émergence d’une politique
volontaire d'application des lois ; c’est le passage à la soft law qui est partie intégrante de
l’émergence des pratiques de RSEE. Les entreprises vont se trouver en situation de prouver par
elles-mêmes leurs bonnes pratiques, même si des acteurs extérieurs tentent de produire de
l’information autonome4.

Les modalités d’évaluation vont donc se multiplier. Une des particularités de l’ESS est de travailler
sur l'utilité sociale. Dès lors on se trouve confronté à une des questions les plus difficiles et
insolubles, celle de l’intérêt général.

La RSEE peut en effet être considérée comme une tentative de prise en considération et de gestion
des externalités négatives : l’entreprise responsable cherche à réduire ses impacts négatifs sur son
environnement, les générations futures, ses parties prenantes impliquées dans les effets de la
production…

4
Association consumériste par exemple mais qui sont sans financement lié ; les agences sont dans une situation
différente, elles sont certes extérieures mais leur indépendance mérite d’être interrogée.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
5

En d’autres termes, la RSE peut être décrite comme un mouvement visant à l’endogéniésation des
externalités. Or c’est une des particularités de l’ESS que de tenter de considérer l’environnement
humain et social dans son activité. Reste à définir comment peut être administrée la preuve de la
réalité de cette démarche. Pour les organisations de l’ESS l’engagement dans une logique de preuve
des bonnes pratiques vise aussi à rendre visible une part cachée de sa participation à une certaine
utilité sociale. Comment rendre compte d’une richesse qui n’est pas nécessairement mesurable,
quantifiable, monétisable ?

De plus pour l’ESS, l'évaluation est utile à deux niveaux : au niveau des structures elles-mêmes, en
les engageant dans une démarche d'amélioration des pratiques ; au niveau de l'ensemble de la
communauté de l’ESS, par la reconnaissance et la valorisation de ses pratiques.

1. OUTILS UNIVERSELS / OUTILS SPÉCIFIQUES

L'outil Bilan Sociétal a été créé au sein de l'économie sociale par des militants et des praticiens de
ces entreprises. Ce contexte le rend évidemment adapté à l'évaluation des organisations de l'ESS,
comme le montrent les cas de mise en œuvre dans les mutuelles, les coopératives (notamment les
Scop) et les associations.

La question qui se pose par contre est celle de l'universalité de l'outil : ses indicateurs sont-ils
adaptés aux organisations externes à l'économie sociale, et, d'autre part, les organisations de l'ESS
ont-elles besoin de se confronter aux indicateurs produits en dehors de l'ESS ?

1.1. Produire des preuves de la responsabilité des entreprises de l’ESS, grâce à des outils
"adaptés" à leurs spécificités

Au début des années 90, alors que sont médiatisés des concepts liés à l'entreprise citoyenne, et que
le rapport Bruntland a imposé l'expression de développement durable, le CJDES (Centre des Jeunes
Dirigeants et acteurs de l'Économie Sociale) crée le Bilan Sociétal, outil visant à permettre aux
organisations de prendre en compte et d'évaluer la mise en pratique des valeurs autres que
financières : citoyennes, environnementales, humaines, démocratiques.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
6

Le référentiel a été élaboré collectivement par un groupe de travail réunissant de nombreux acteurs
d'horizons différents (dirigeants d'entreprise, universitaires, acteurs de l'économie sociale,
spécialistes de la RSE…), garant d'un référentiel objectif sur lequel peut s'appuyer la démarche
d'évaluation.

Le but du Bilan Sociétal est de faire entrer l'organisation qui le met en œuvre dans une démarche de
progrès pour une meilleure prise en compte de ses responsabilités globales envers son milieu. Pour
cela, le référentiel balaye les domaines économique, social et environnemental de l'organisation5, et
l'analyse des données se fait au regard de 15 critères d'appréciation6.

La démarche est participative et "multi-parties prenantes". Les mêmes questions sont posées aux
différents acteurs de l'entreprise (dirigeants, salariés, représentants du personnel, clients / sociétaires
/ adhérents, fournisseurs, élus locaux…). Le regard croisé des acteurs de l'organisation sur son
action fonde la base du diagnostic et ouvre un processus de dialogue inter parties prenantes. Le
diagnostic sociétal de l'organisation n'est pas une fin en soi, mais permet le déploiement d'une
politique de responsabilité sociale et environnementale, basé sur un bilan qualitatif et une
implication des acteurs.

La recherche absolue du profit financier n'est pas au centre des préoccupations des organisations de
l'économie sociale : elles n'ont pas à verser de mirobolants dividendes ni d'actionnaire à rémunérer.
Leur objectif est autre (satisfaction des besoins des "clients", utilité sociale, etc.) et leur mode
d'organisation repose sur un principe démocratique (une personne – une voix, primauté de la
personne…). La rente est en quelque sorte internalisée.

C'est sur la base de ces principes qu'a été développé l'outil Bilan Sociétal, et que sont évaluées les
actions de l'organisation. Les principes et valeurs de l'économie sociale sont donc intégrés à cet
outil, qui ne s'y réduit cependant pas. Les thèmes de la préservation de l'environnement naturel, ou
de la formation et de l'employabilité des salariés, par exemple, ne sont pas spécifiques à l'économie
sociale mais font évidemment partie intégrante de l'évaluation.

5
9 domaines sont précisément explorés : 1. Produits - services et relations clients ; 2. Gestion économique ; 3.
Anticipation, innovation, prospective ; 4. Organisation du travail et de la production ; 5. Gestion des ressources
humaines ; 6. Acteurs internes de l’entreprise ; 7. Environnement humain, social et institutionnel ; 8. Environnement
biophysique ; 9. Finalités – valeurs.
6
Les 15 critères du Bilan Sociétal : Activité ; Citoyenneté et participation internes ; Citoyenneté externe ;
Compétitivité ; Convivialité ; Créativité ; Esthétique ; Efficacité et efficience ; Employabilité et développement des
compétences ; Éthique ; Précaution¨et Prévention ; Satisfaction ; Solidarité ; Utilités sociale et collective ; Viabilité.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
7

Quels sont les apports du Bilan Sociétal aux organisations ? Le centrage de l'outil sur les valeurs
est-il nécessaire ? Qu'attendent finalement les organisations qui entrent dans une démarche
d'évaluation de leur responsabilité ?

Dans chaque organisation qui l'a mis en œuvre, le Bilan Sociétal est vécu de façon différente,
particulière. Néanmoins on peut relever quelques expériences significatives.

Des mutuelles ayant réalisé leur Bilan Sociétal7 y ont trouvé une revitalisation des valeurs de
l'entreprise, notamment en interne, et une implication des acteurs sur les pistes de travail engagées
suite à la réalisation du diagnostic8.

La mise en œuvre du Bilan Sociétal dans les Scops est également à l'origine d'un réveil des valeurs
et des échanges autour des modes d'organisation démocratique. Des formations pour les
coopérateurs ont ainsi été mises en place suite au bilan de l'Artésienne, imprimerie organisée sous
forme coopérative, et le Plan stratégique de l'entreprise à été élaboré à la suite du diagnostic9.

Pour les associations qui ont réalisé leur Bilan Sociétal, le bilan apporte un accroissement de la
visibilité de leur identité et de leurs apports à la collectivité. L'évaluation qualitative de l'utilité
sociale est soutenue par l'exigence de transparence de la démarche, une certaine forme d'objectivité
de l'évaluation croisée, et par une contextualisation des apports au sein d'un certain nombre de
contraintes externes10.

Dans tous les cas, le Bilan Sociétal engage l'organisation dans un processus participatif
d'amélioration des pratiques. La participation des différents types d'acteur au diagnostic contribue à
sa fiabilité, et on peut attendre une démultiplication de l’efficacité d'une démarche de progrès qui
intègre les différents acteurs concernés en amont de la démarche11.

7
Cf. notamment la présentation de sa démarche Bilan Sociétal par la MAIF :
http://www.maif.fr/portal/maif/tous/html_libre?reset=oui&itemDesc=contenu&contentid=14500026&rubriqueContenti
d=14500026&rubriqueid=14100009&themeid=14100007&menuId=500004&orderId=4&_requestid=597205
8
Voir le compte rendu de la table ronde lors de laquelle des dirigeants de la MAIF et de la MACIF ont présenté les
apports de la démarche pour leur structure :
http://www.cjdes.org/35-Compte_rendu_de_la_table_ronde_du_juin_sur_le_bilan_societal
9
Voir : Le Bilan Sociétal de l'Artésienne, L'Artésienne-Le CJDES, 2004.
Ainsi que : Ignace Motte (2004) "Quand l'Artésienne… se remet en question", illustrant l'article d'Alain Détolle, Le
Bilan Sociétal, une boussole pour les entreprises de l'ESS, Travailler dans l'économie sociale et solidaire, n°6, février,
P.26.
10
Voir la synthèse de l'expérimentation du Bilan Sociétal dans 5 associations rennaises en 2005 :
http://www.audiar.org/emploi/doc/bilan-societal.pdf
11
Voir Catherine Bodet et Dominique Picard, "Le Bilan Sociétal © : de la prise en compte des intérêts contradictoires
des parties prenantes à la responsabilité sociétale", Revue Développement Durable & Territoires, 2005. (En ligne :
http://developpementdurable.revues.org/document1615.html)

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
8

Le centrage de l'évaluation sur les valeurs aussi nécessaire et apprécié des acteurs de terrain soit-il,
n'est cependant pas suffisant : l'efficacité de l'outil, en tant que démarche d'amélioration des
pratiques, passe également par le caractère participatif multi-parties prenantes, qui même s'il n'est
pas spécifique aux organisations de l'ESS, correspond cependant bien à leur type de
fonctionnement.

I.2. Répondre par l’universalité des indicateurs, c’est à dire sur un terrain commun à toutes
les entreprises

Produire des indicateurs spécifiques pour conduire des audits et évaluations d’un monde
entrepreneurial qui se veut différent peut susciter quelques interrogations. Certains détracteurs
s’interrogent ainsi sur la volonté de réelle transparence, d’autres s’amusent parfois de cette
apparente volonté de distinction qui pousse à créer des outils spécifiques voire des méthodes
d’appréciation endogènes. Derrière les logiques d’évaluation traînent encore très souvent des
logiques de comparaison et de benchmark. Il n’est d’ailleurs pas illégitime pour les entreprises de
l’économie sociale de vouloir démontrer la qualité de leur gouvernance ou l’efficience de leur
organisation économique et humaine. Et parfois la démonstration prend la forme comparative. C’est
d’ailleurs dans cet esprit de juste sincérité que les promoteurs du Bilan sociétal ont travaillé à rendre
universels le mode d’interrogation et les champs du questionnement. C’est pourquoi le bilan
sociétal est aujourd’hui mené dans des entreprises TPE ou PME hors champ de l’économie sociale.
Le mode participatif et dynamique d’interrogation peut fonctionner quels que soient la taille et le
statut juridique de l’entreprise.

Toutes les entreprises fonctionnent selon les principes ou logiques d’action plurielles rappelées à de
nombreuses reprises par Boltanski et Thévenot dans leurs travaux, et c’est une articulation
particulière entre elles qui à un moment peut permettre de mener une évaluation de type sociétale
dans une entreprise.

L’élément déterminant majeur de choix réside dans la finalité que l’entreprise accorde à
l’évaluation sociétale. A qui est principalement destinée cette mise en interrogation ? Quel est le
destinataire réel, supposé ou sublimé de l’évaluation sociétale ? Si l’objectif est avant tout externe,
lié à un souci de meilleure communication publique, il y a de fortes chances que le bilan sociétal ne

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
9

réponde pas totalement aux attentes. Si l’évaluation est avant tout souhaitée comme participative et
collective dans un but d’amélioration interne des process de décision, de production dans une
logique de responsabilité et de transparence alors une évaluation de type bilan sociétal est possible.

L’universalité des indicateurs n’est aujourd’hui pas encore atteinte mais un large consensus s’est
construit autour des grands champs de responsabilité et différents projets de normes voient le jour
(cf. normes ISO 26000 par exemple). Bien qu’il faille se réjouir des tentatives de rapprochement
conceptuel et méthodologique, il faut veiller à ce que les logiques d’universalité ne mènent pas tout
droit à des normalisations impérieuses et partiales. Les logiques du marché risqueraient de trop
rapidement corseter la diversité. Le risque est d’autant plus réel que les entreprises de l’économie
sociale cultivent encore trop souvent l’idée qu’il faut absolument utiliser les techniques et les
véhicules des entreprises cotées pour pouvoir se faire reconnaître. Or ces indicateurs sociétaux et
ces démarches d’audit sont très souvent issues des obligations nées de la loi NRE et leur nature très
peu participative puisque issues de logiques communicationnelles externes. Elles ne seront pas
remises en cause ici mais nous souhaitons qu’elles se conjuguent davantage à la méthode
participative de regards croisés du Bilan sociétal et qu’elles viennent venir nourrir le débat de
l’universalité plurielle plutôt qu’assurer la promotion d’un modèle unique d’entreprise.

C’est pourquoi plusieurs mouvements d’économie sociale ont choisi en 2001 de créer le
Groupement européen pour le Bilan social (GEBS) afin de partager leurs réflexions, leurs pratiques,
et définir un cadre commun de référence sur les conditions d’évaluation de la responsabilité sociale
des entreprises principalement au sein de l’économie sociale.

2. SPÉCIFICITÉS DE L’ESS ET UNIVERSALITÉ DES QUESTIONNEMENTS

2.1. Gouvernance : les spécificités de l’ESS ont conduit à une évaluation poussée du type
de gouvernance dans l’outil Bilan Sociétal

Le Bilan Sociétal est en rapport étroit avec la question de la gouvernance d’entreprise au sens
large : c’est un outil de reddition (pour « rendre compte ») supplémentaire, de dialogue avec les
parties prenantes internes et externes de l’entreprise. Vecteur de transparence et de responsabilité, il

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
10

participe d’un mouvement de renforcement des possibilités de contrôle, non seulement des
actionnaires ou sociétaires mais de l’ensemble des parties prenantes concernées par les activités de
l’entreprise.

Par la méthodologie du regard croisé, invitant les différentes parties prenantes à participer à
l’ensemble de la démarche engagée par l’entreprise, le Bilan sociétal offre une originalité propre
particulièrement « impliquante » et exigeante, en particulier pour les managers de l’entreprise.
Accepter de confronter sa vision de l’entreprise avec celles d’autres parties prenantes, notamment
internes, c’est prendre le risque d’identifier des zones de dissensus sur des aspects sensibles du
fonctionnement de l’entreprise et d’accepter la remise en cause d’un certain nombre de certitudes
établies. Mais c’est aussi la possibilité de reconnaître les zones de consensus partagé, les points
forts sur lesquels s’appuyer pour travailler sur les points faibles. Le Bilan Sociétal, en réinterrogeant
par ses questions le projet et le mode de fonctionnement de l’entreprise, sert à éclairer, d’une
manière partagée, ce qui devra constituer une démarche de progrès pour l’avenir et qui pourra être
construite collectivement.

Parce que l’ESS revendique des valeurs spécifiques et un autre mode d’entrepreneuriat -son slogan
n’est-il pas : « entreprendre autrement »-, il était normal qu’au travers des 9 domaines de réflexion
thématique définis par le Bilan Sociétal, un questionnement particulièrement pointu soit apporté sur
les aspects de gouvernance et de management. En effet, la gouvernance des entreprises de l’ESS est
caractérisée par trois spécificités fondamentales : le pouvoir remonte de la base vers le
management, la légitimité émane du vote et de l’adhésion de sociétaires ou des adhérents ; les
processus de décision sont fidèles au principe démocratique « une personne, une voix » ; enfin, la
recherche du profit est considérée comme un moyen pour réaliser leur projet et non comme un
objectif en soi. La gouvernance démocratique est donc au cœur des pratiques de l’ESS et traverse
l’ensemble des familles qui la compose.

Si on regarde de plus près 3 domaines d’investigation du Bilan Sociétal qui concernent


l’organisation du travail, les ressources humaines et les acteurs internes-citoyens de l’entreprise, on
retrouve beaucoup de questions ayant trait à la façon dont s'organise cette gouvernance
démocratique et à la participation des salariés dans le cadre d'une citoyenneté interne :

•« Y-a-t-il une négociation sur l’aménagement et la réduction du temps de travail ? »

•« Le droit d'expression des salariés est-il organisé ? »

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
11

•« La participation des coopérateurs ou salariés aux assemblées est-elle importante ? »

•« Le processus de production est-il présenté aux salariés ? »

•« Existe-t-il un tutorat organisé ? »

•« Le nouveau salarié est-il présenté aux différents services ? »

•« L’entreprise est-elle présentée au nouvel embauché ? »

•« Y –a-t-il des initiatives solidaires proposées par les salariés et soutenues par l’entreprise ? »

•etc.

Le dernier domaine d’investigation du Bilan Sociétal porte sur les Finalités-Valeurs-Éthique de


l’entreprise : là encore et de manière très incisive, le mode de gouvernance est interrogé, relié de
manière explicite aux valeurs de référence de l’ESS. Les questions portent sur l’affichage des
valeurs et leur lisibilité auprès notamment des salariés, les modes de communication et de
transmission organisés au sein de l’entreprise, le respect des procédures et de la législation, la
transparence des décisions auprès des différentes parties prenantes, les modes d’élection et de
participation aux différentes instances de décisions, l’éthique des comportements de l’entreprise.

À l’heure de la généralisation de la communication des entreprises autour de leur responsabilité, de


leurs valeurs, et de leur éthique, ces questions de gouvernance sont centrales quels que soient les
types d’entreprise ou leur taille.

La structure et le mode de questionnement du Bilan Sociétal portent une pertinence intrinsèque pour
interroger la gouvernance de tout type d’entreprise : à l’intérieur de l’ESS comme pour des PME ou
des établissements de grands groupes sensibles à leur intégration dans le territoire.

2.2. Quel modèle économique de l’évaluation ?

Lorsqu’une organisation s’engage dans une évaluation de sa responsabilité sociale, qui doit en
supporter le coût ? L’organisation elle-même ? La collectivité ? Un « mixte » des deux ? Dans le
cas de l’évaluation des firmes cotées, les gestionnaires de fonds « éthiques » peuvent également
figurer parmi les financeurs.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
12

Dans le cas de financements publics des évaluations, quel est le niveau le plus pertinent : les
collectivités locales, la région, le pays, l’Europe ?

Il n’y a pas aujourd’hui de modèle économique idéal. Les organismes d’évaluation ont du mal à
trouver leur équilibre, et le modèle dominant de « l’évalué-payeur » pose un certain nombre de
questions :

- quid de la validité de l’évaluation lorsque l’évalué « finance » l’évaluateur ? N’y a t-il pas un
risque « d’acheter » son évaluation ? Il en est de même lorsque l’organisation évaluée est
actionnaire de l’évaluateur. Il y a là un risque sérieux de collusion entravant la marge de manœuvre
de l’évaluateur.

- le coût d’une évaluation ne peut pas être supporté par toutes les organisations. Comment faire en
sorte que les organisations les plus faibles financièrement puissent bénéficier d’une évaluation ? Les
PME, les associations… sont pour la plupart exclues de fait des chantiers d’évaluation, mis à part
lorsque des dispositifs spécifiques sont mis en place pour contrecarrer cette inégalité d’accès.

Ces dispositifs spécifiques peuvent nous aider à imaginer un modèle possible de l’évaluation de la
RSEE. L’exemple du Bilan Sociétal réalisé à l’initiative des collectivités locales dans les
associations rennaises volontaires est à ce titre intéressant à étudier.

L’objectif du Codespar (Conseil de Développement du Pays de Rennes) était de trouver un outil


permettant d’évaluer et de valoriser les apports de l’économie sociale et solidaire à la vie locale,
dans une perspective de développement durable. L’idée était également que cette initiative soit à
l’origine d’un renforcement des relations et du partenariat entre les associations et les institutions du
territoire (élus, administrations locales…) pour améliorer la qualité des prestations rendues à la
collectivité.

Il a été ainsi proposé à des associations rennaises de participer à l’expérimentation de l’outil Bilan
Sociétal dans un cadre collectif (cinq associations réalisaient leur Bilan Sociétal sur la même
période, avec des temps d’échanges collectifs inter association) ; et sans être contraintes par la
question financière, puisque le financement était entièrement public (DRASS, Conseil Régional,
Rennes Métropole, ville de Rennes, Conseil Général d'île et Vilaine).

Outre la nécessité d’adaptations techniques marginales, ces Bilans Sociétaux ont permis de valoriser
les apports des associations en termes d’utilité sociale par une analyse transversale des

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
13

organisations (économique, sociale et environnementale). Ils ont également permis à ces


associations d’accroître leur visibilité et d’entamer un débat interne et externe sur leurs points forts
et la définition de pistes de travail.

Aucune de ces associations n’aurait pu, faute de moyens financiers suffisants, entrer dans une
démarche Bilan Sociétal s’il n’y avait pas eu une mobilisation publique autour de ce type
d’évaluation.

De même, l’Union Régionale des Scop12 de l’Ouest s’est engagée dans une recherche-action sur la
démarche Bilan Sociétal auprès d’un échantillon de Scop bretonnes. L’objectif principal était de
donner aux Scop participantes les moyens d’évaluer leurs pratiques au regard de leur projet
d’entreprise, d’apprécier les écarts entre les pratiques mises en œuvre et les valeurs affichées et
défendues, et enfin d’identifier d’éventuels axes de progrès.

Les salariés, les dirigeants et les administrateurs, ainsi que des représentants de parties prenantes
externes (clients, fournisseurs essentiellement) ont été invités à s’exprimer sur des thèmes peu
abordés habituellement. Ces échanges se sont révélés riches pour la vie démocratique au sein de
l’entreprise et ont pu faire ressortir des points forts comme des malaises ou des difficultés internes.
Il est notable que les parties prenantes externes aient généralement exprimé une perception plus
positive de l’entreprise que les salariés : « c’est un peu comme si les valeurs ajoutées coopératives,
par rapport aux entreprises « classiques », étaient moins perçues en interne qu’en externe »,
remarque François Kerfourn, directeur de l’Union Régionale des Scop de l’Ouest13.

Un des résultats de l’expérimentation est que la mise en œuvre d’une démarche Bilan Sociétal est
facilitée par le caractère collectif de l’expérimentation et surtout par la prise en charge financière de
l’évaluation. Selon François Kerfourn, « les démarches volontaires d’entreprises pour s’engager
dans un bilan sociétal risquent de rester isolées si elles ne sont pas soutenues à la fois par des
réseaux (fédérations professionnelles, chambres consulaires, groupements…) et par des dispositifs
publics de type appui –conseil permettant une prise en charge financière. »

Associer la problématique du financement de l’évaluation et l’inscription territoriale des entreprises


constitue une importante piste de réflexion. En effet la territorialité des entreprises est aussi une
question de responsabilité sociale. On fait ici référence aux firmes financiarisées (i.e. dont le capital
12
En partenariat avec le CJDES, la Caisse des Dépôts et Consignations, la DRIRE, la Fondation Macif et la CGSCOP.
13
François Kerfourn, « Les défis du secteur des organisations coopératives et mutualistes. Proposition de
communication », http://www.pro-asocia.uchile.cl/proasocia/rulescoop/docs/Articulo_47.doc

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
14

est détenu dans le cadre de portefeuilles financiers type fond de pension) dont la mobilité du capital
est une des toutes premières caractéristiques et dont la volatilité est souvent pointée lorsque les
dégâts se mesurent localement (délocalisation, fermeture de site…). La responsabilité territoriale de
l’entreprise, son inscription dans la durée auprès d’un sol, d’une population et des pouvoirs publics
peut être comprise comme une démarche de responsabilité, associant développement durable et
territoire. L’implication des acteurs territoriaux dans les démarches d’évaluation peut ainsi
constituer une configuration efficace pour jeter les bases d’une nouvelle forme de contrat social
s’appuyant sur une meilleure connaissance commune et une plus grande confiance réciproque.

CONCLUSION : POUR UNE « HAUTE QUALITÉ ENTREPRENEURIALE »

La question de l’évaluation dans l’économie plurielle renvoie à la nature des engagements des
différents acteurs et à leur positionnement en ce qui concerne les enjeux écologiques et sociaux.
L’évaluation incite à une forme de retour aux fondements des projets et de projection vers un futur
souhaitable. Elle s’inscrit dans une injection de sens dans l’organisation et le monde du travail.

Un vaste mouvement de quête de sens touche l’entreprise de façon générale. C’est avec un certain
mimétisme que se trouvent mobilisées les notions de responsabilité sociale, assez largement
inscrites dans des logiques de projet. Se retrouve ici la fonction mobilisatrice du projet collectif
comme figure du nouvel esprit du capitalisme.

L’évaluation, considérée comme la mesure ou la production d’information, se traduit par la


prolifération d’objets communicationnels en matière de responsabilité d’entreprise (charte, rapport,
site, convention…).

Les démarches d’évaluation de la responsabilité doivent ainsi être considérées comme une
composante à part entière des relations sociales de l’entreprise avec son milieu : elles produisent des
données pour communiquer d’une part et elles résultent de processus communicationnels (internes
notamment) d’autre part.

L’évaluation mérite alors d’être abordée non comme un objet ou une question technique,
professionnalisée, mais relève, au contraire d’un projet politique qui suppose d’être porté par et
dans l’entreprise. Loin d’évacuer le « social » et le travail, l’évaluation peut permettre, au contraire,
de le resituer au cœur de l’organisation. Les conditions de production de l’évaluation et des discours

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
15

sur la responsabilité et le projet méritent donc d’être scrutées avec soin. Trois modèles sont
discernables :

•Pilotée par le haut. L’évaluation est voulue par le management ; elle est mise en œuvre sous son
contrôle à des fins stratégiques. C’est une situation classique en matière de communication de RSE :
le reporting est institué, pour ne pas dire instrumenté, aux fins de constituer une identité de firme
responsable.

•Professionnalisée. L’évaluation est prise en charge par des services spécialisés qui se saisissent de
la portée stratégique de l’évaluation pour légitimer leur position. Cette analyse en termes de logique
d’acteur peut être appliquée à différentes professions dans l’entreprise, particulièrement autour de la
qualité (pilotage par les normes) et de la communication. La technicisation de l’évaluation renvoie à
son autonomisation dans l’entreprise ; c’est dans ce sens qu’elle peut échapper (partiellement au
moins) à un contrôle politique /managérial. La professionnalisation de l’évaluation peut aussi
induire une forme de désappropriation pour l’entreprise : évaluée en externe elle perd la main sur
les constituants de son évaluation.

•Coproduite. L’évaluation peut être l’occasion d’une production collective dans l’entreprise ; une
production collective qui aboutit à des formes d’engagement traitant notamment du Projet de
l’entreprise, de la responsabilité sociale…

Cette dernière forme d’évaluation est d’ores et déjà utilisée par les entreprises de l’ESS avec l’outil
Bilan Sociétal, proposant une démarche d’évaluation participative multi parties prenantes. Le Bilan
Sociétal, au travers de son questionnement, permet de mettre en valeur la richesse essentielle des
entreprises de l’ESS, c’est à dire leur potentiel humain. Par son mode d’organisation et de
pratiques, par ses valeurs qui lui donnent sens, l’entreprise d’ESS doit pouvoir réunir les conditions
d’une adhésion de ses parties prenantes favorable à une meilleure performance économique et à une
plus grande reconnaissance extérieure. À l’heure des délocalisations, de la casse humaine dans les
entreprises, avec son cortège de maux et de mal être, facteurs de démobilisation et de démotivation,
les modes de gouvernance et de management deviennent une ambition stratégique de première
importance. Les entreprises de l’ESS peuvent relever ce défi par des pratiques de « haute qualité
entrepreneuriale » porteuses d’inventivité, d’autonomie, de créativité et d’utilité sociale en leur sein
et pour la collectivité.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006
16

La recherche du sens devient une question primordiale. Or, historiquement, l’ESS traite de cette
question du sens en répondant, par ses actions et son mode de fonctionnement à une aspiration
légitime de mieux-être individuel, de cohésion sociale, de transformation des modes de vie et des
relations interhumaines. C’est en cela que les entreprises de l’ESS ne doivent pas hésiter à
« convoquer le projet » comme disait Georges RINO, fondateur du groupe Chèque Déjeuner, quand
le sens de l’action menée ne semble plus en cohérence avec les fondements. Le Bilan sociétal peut
permettre de se poser et de se reposer les bonnes questions pour y parvenir et permettre de
maintenir la conciliation du projet économique et du projet social.

BIBLIOGRAPHIE

Aglietta M. et Reberioux A. (2004), Dérives du capitalisme financier. Paris: Albin Michel.


Bodet C. et Lamarche T. (2006), « Le bilan sociétal : Un processus participatif multi parties
prenantes pour la responsabilité sociale des entreprises ». In De La Broise P. et Lamarche T.,
Responsabilité sociale : Vers une nouvelle communication des entreprises ?, Lille, Septentrion.
Bodet C. et Picard D. (2006), « Le bilan sociétal : De la prise en compte des intérêts contradictoires
des parties prenantes à la responsabilité sociétale ». Revue Développement Durable et Territoires,
Consultable sur : http://developpementdurable.revues.org/document1615.html Dossier 5
Boltanski L. et Thevenot L. (1991), De la justification : Les économies de la grandeur. Paris:
Gallimard-NRF.
Capron M. et Leseul G. (1997), « Pour un bilan sociétal des entreprises. Revue des études
coopératives et mutualistes et associatives », RECMA, 277, 28-41.
Capron M. et Quairel F. (2002), « Les dynamiques relationnelles entre les firmes et les parties
prenantes », Commissariat Général au Plan, Gouvernement d'entreprises et gestion des relations
avec les parties prenantes
De La Broise P. et Lamarche T. (2006), Responsabilité sociale : Vers une nouvelle communication
des entreprises ?, Lille, Septentrion.
Lordon F. (1999), « Croyances économiques et pouvoir symbolique », L'Année de la régulation 3,
169-210.
Theret B. (1992), Régimes économiques de l'ordre politique : Esquisse d'une théorie
régulationniste des limites de l'État, Paris, PUF.

Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises : quelles spécificités de l’économie sociale ?


C. Bodet, T. Lamarche, G. Leseul et D. Picard
Dourdan – octobre 2006

Vous aimerez peut-être aussi