Tapuscrit On l'appelait Tempête

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On l’appelait tempête

Colin Thiele

Chapitre 1
Tempête vivait en Australie, non loin de la baie de la rivière Murray, sur une longue bande de
sable entre la lagune du Coorong et l’océan Indien. Là, des dunes couvertes d’herbes drues et de
broussailles séparent les eaux basses et plates du Coorong des eaux de l’océan qui inlassablement
bat le rivage.
Dans un fracas terrible d’eau blanche d’écume, de vagues venues de l’autre bout du monde
balaient la terre. Jour et nuit, elles s’écroulent dans un bruit de tonnerre sur cette longue, longue
plage qui s’étire sur plus de cent kilomètres.

Tempête vivait avec Tanière, son père, dans une pauvre cahute faite de bois, de broussailles
et de vieilles boîtes de conserves aplaties. Le sol était en terre, et deux mauvais bouts de verre
servaient de fenêtres. Il y avait aussi une petite cheminée tordue, bricolée avec des tuyaux de poêle
et du fil de fer. Il y faisait chaud l’été et froid l’hiver. Elle tremblait, lorsque dehors les grandes
tempêtes courbaient les roseaux et hurlaient à travers les buissons. Mais Tempête y était heureux.
Tanière était une homme tranquille et solitaire. Des années auparavant, lorsque la mère de Tempête
était morte, il avait quitté la ville d’Adélaïde et s’était mis à vivre en ermite au bord de la mer. Les
gens baissaient les yeux quand on parlait de lui et le traitaient de naufrageurs1. Ils disaient qu’il avait
tort d’obliger un enfant de quatre ans à vivre dans des lieux aussi sauvages et déserts. Mais
Tempête et son père s’en moquait. Ils étaient heureux tous les deux comme ça.
On les voyait rarement. De temps à autre, Tanière et Tempête remontaient la lagune du
Coorong dans leur petit bateau, passaient l’étrange crique sauvage de la baie de Murray, longeaient
les îles et les franges de roseaux des rives d’eau douce, croisant les pélicans, les ibis et les
grandes grues blanches, puis ils arrivaient enfin à la petite ville dont le nom ressemble à un cri
d’oiseau des marais : Goolwa ! Là, le père de Tempête achetait des boites de conserve et des
cartons de nourritures, des rouleaux de corde et de fil de pêche, des chemises et des sandales
neuves, du pétrole pour la lampe et des tas d’autres paquets et colis, jusqu’à ce que le petit bateau
fût chargé à ras bord.
Les gens dans la rue les regardaient pensivement et se poussaient du coude, en
disant : »Voici Tom, le naufrageur de la côte. Pour une fois, il est sorti de sa Tanière ». Et c’est ainsi
que, peu à peu, on le surnomma Tanière. Personne ne se souvenait plus maintenant de son
véritable nom.

1 Personne qui provoque le naufrage des bateaux pour leur voler leur marchandises
Tempête, lui, reçut son surnom d’une autre manière. Un jour, des campeurs virent à travers les
buissons sur la rive opposée du Coorong. Ils mirent un bateau à l’eau et traversèrent la lagune pour
aller à la plage au bord de l’océan. Mais une mauvaise tempête survint pendant la journée et arriva
sur eux en rafales d’éclairs et de pluie noire. Les campeurs regagnèrent en hâte les dunes sous le
nuages galopants et dans les ténèbres. Soudain, l’un d’eux s’arrêta pour montrer quelque chose
dans la pluie et la brume.
_ Grands dieux ! Regardez ! Regardez !
Un enfant se promenait tout seul le long de la plage. Il paraissait calme et heureux et s’arrêtait de
temps en temps pour ramasser des coquillages, pour parler à un oiseau campé, solitaire, sur le
sable mouillé, les ailes repliées, la tête face au vent qui se levait.
_ Il doit être perdu ! Cria le campeur. Vite allez au bateau. Je vais le secourir !
Mais quand il se retourna, l’enfant avait disparu. Il ne purent le trouver nulle part. Alors ils
s’élancèrent dans la tempête, jusqu’à la ville, pour déclencher l’alarme.
_ Vite, il y a un petit garçon perdu tout au bout de la plage ! S’écrièrent-ils. Dépêchez-vous, ou il
sera trop tard pour le sauver !
Mais le facteur de Goolwa sourit.
_ Pas besoin de vous inquiéter, dit-il ? C’est le petit gars de Tanière. Il n’y a que lui pour se
promener ainsi dans la tempête !
Et depuis de jour-là, tout le monde l’appela Tempête.

Ils n’avaient qu’un voisin : Bill l’Osseux, l’aborigène. C’était un homme maigre comme un fil, tout
ratatiné, avec un éclair de dents blanches sur une joyeuse figure noire, fatiguée et ridée comme une
vieille botte. Il vivait dans une cahute près des rives du Coorong, à plus d’un kilomètre de là.
De tous les gens que Tempête avait jamais connus, l’Osseux était celui qui en savait le plus
sur tout. Il pouvait distinguer ses poissons dans l’eau et des oiseaux dans le ciel même lorsque
Tanière ne voyait rien. Il lisait dans les nuages et dans la mer le temps et les vents qu’il allait faire.
Et il savait déchiffrer sur les dunes et sur les plages l’étrange écriture que dessinaient les pattes de
scarabées, des souris, des péramèles2, des fourmiliers, des crabes et des oiseaux, ainsi que les
traces des glissades mystérieuses de petits ventres dans la nuit. Bientôt Tempête en eut appris
assez pour remplir une centaine de livres.
Dans sa cahute, l’osseux avait entassé toutes sortes de choses : des crochets de métal, du
fil de fer, du bois flotté, des morceaux de cuir, des bouts de cuivre, des rames, des boites, des
cordes, des chemises déchirées et, surtout, un vieux tromblon, dont il était très fier parce qu’il était
en état de marche. L’Osseux y mettait une charge de poudre, puis il le bourrait avec n’importe quoi
et tassait le tout.
Un jour, il avait trouvé une grosse bille de verre et il lui avait fait traverser une caisse de part
en part rien que pour prouver que le tromblon fonctionnait encore. Mais Tempête ne l’avait vu

2 Péramèle : mammifère de l’ordre des marsupiaux, insectivores, à museau allongé, de la taille d’un lapin.
qu’une seule fois s’en servir pour tuer : un serpent-tigre s’était faufilé dans l’herbe jusqu’à la plage,
pareil à un fil de verre noir barré de tisons rouges brûlants. Alors qu’il glissait sur l’eau vers son
bateau, l’Osseux avait saisi son tromblon et avait mis le serpent en pièces. « Serpent-tigre, ennemi
numéro un, avait-il dit, tué, mort ! »
Tempête n’avait jamais oublié. Pendant des jours et des jours, tous les bâtons qu’il voyait se
muaient lentement en verre noir et s’éloignaient en glissant.

Au début, Tanière avait eu peur que Tempête ne se perdît. La plage s’étendait sur cent
kilomètres, et chaque dune, chaque buisson, chaque touffe d’herbe ressemblait à son voisin. Sans
avoir appris à reconnaître soigneusement la plage, un enfant aurait pu errer pendant des heures
avant de retrouver son chemin. Aussi Tanière avait-il cherché un repère.
Un jour, il trouva sur la plage une poutre parmi le bois flotté. Elle avait été arrachée au pont
d’un navire de passage et était aussi épaisse et solide qu’un poteau de jetée. Tanière et l’Osseux
l’avaient lentement hissé jusqu’en haut de la dune la plus proche de la cahute. Là, tanière avait fait
des entaillent dans le bois pour pouvoir y grimper et y avait fixé une petite traverse à laquelle
s’agripper. Enfin, ils avaient creusé un trou profond dans le sable, y avaient enfoncé la poutre bien
droit, et avaient tassé le sol tout autour.

« Voilà ! Avait dit Tanière à Tempête. Maintenant tu auras toujours un poste d’observation. Tu
pourras aussi le voir de très loin, et tu ne te perdras pas.

Les années passaient et Tempête avait appris beaucoup de choses. Toutes les créatures
vivantes étaient ses amies, sauf, bien sûr, l’animal long et étroit qui se coulait à travers le sable et
les roseaux comme du verre fondu.
Dans un trou, sous les herbes, à la sortie d’un terrier, il rencontrait souvent le Pingouin qui
regardait timidement ses deux œufs blancs. Bientôt, des petits paquets brun foncé aussi doux que
le crépuscule sortirent de leur coquille. « Bonjour, madame Pingouin, disait Tempête chaque jour.
Comment vont vos petits bouts de duvet de chardon aujourd’hui ? »
Tempête ne gênait pas Mme Pingouin. Au lieu de lui donner des coups de bec ou de siffler
dans sa direction, elle s’asseyait calmement sur se queue et le regardait de ses yeux tendres.

Dans les dunes où le vent avait creusé et tamisé le sable, Tempête trouvait parfois de grands
tas de coquillages et d’éclats de pierres : de vieilles moules, des clovisses3 avec des courbes et des
spirales aux bords tranchants et brisés.
- Un vieux midden abandonné par les aborigènes, expliquait Tanière ?
- Qu’est-ce que c’est ?
- C’est l’endroit du campement où les aborigènes venaient ouvrir leurs coquillages.

3 Clovisse : mollusque (de mer) comestibles


L »osseux restait longtemps debout à fixer le grand tas de coquilles, perdu dans ses
pensées.
- Des noirs ont mangé ici, il y a longtemps, ajoute t-il un peu tristement. Pas encore de blancs.
Pendant des centaines et des centaines d’année, seulement des noirs.
Tempête regardait l’amas des coquilles et se demandait combien de temps avait passé depuis. Il
imaginait… les feux de camps rougeoyantes au bord du Coorong, les petits enfants noirs, les
chants, le cliquetis des coquilles vides s’empilant, à mesure qu’on les jetait. Et il pensait : « Si
j’avais vécu à cette époque, j’aurais été un petit garçon noir. »
Mais la voix de son père le faisait sursauter et il le précipité sur la plage pour l’aider à
déterrer de grosses clovisses, qu’ils mangeaient pour leur casse-croûte. Et lorsqu’ils en avaient
suffisamment pour eux, ils en emplissaient des sacs qu’ils emmenaient à Goolwa et vendaient
comme appas frais aux pêcheurs et aux touristes.
Tempête se tenait souvent penché en avant comme s’il jouait à saute-mouton, ses doigts
creusant et raclant le sable. La mer allait et venait sous son nez. Il aimait son odeur salée et son
long chuintement. Il était heureux.
Tempête aimait surtout se promener sur la plage après un « grand coup », comme disait
Tanière. Toutes sortes de trésors avaient été rejetés par le vent et les vagues en folie, là où la large
bande de plage brillait et bruissait lorsque l’eau se retirait. Tempête découvrait tous ces donc de la
mer comme si on les avait posés sur une plaque de verre. Des algues et du varech aux couleurs
variées, des os de seiche blancs comme le givre, des oursins et des étoiles de mer, de petits
hippocampes morts, tout raidis, et des douzaines de coquillages différents : des mitres, des buccins
aux bords violets, des murex hérissant leurs franges d’épines émoussées, des nautiles fragiles
comme de l’écume gelée et même, parfois, une porcelaine toute neuve, brillante et astiquée, avec
le dessous aussi doux et aussi rose que de la vraie porcelaine teintée.
Par endroits, le sable était foncé, plissé de rides douces et raides comme des écailles.
Tempête se plaisait à y traîner ses pieds nus ou à faire de l’équilibre sur leurs courbes fraîches.
En grandissant, Tempête était devenu agile et robuste. La plupart du temps, il ne portait
qu’un short, une chemise et un vieux chapeau fatigué. Mais lorsque le vent d’Hiver venait de
l’Antarctique et balayait tout de sa langue de glace, léchant et caressant ses joues pour en faire des
galets plats et gelés, alors Tempête enfilait un des gros manteau de son père qui lui arrivait aux
chevilles. Il relevait le col et laissait ballotter ses mains dans les poches trop grandes. Puis il sortait,
aussi à l’aise qu’un pingouin. Tempête ne supportait pas de rester à l’intérieur ; il savourait le coup
de fouet du vent sur son visage, la piqûre salée d’écume sur ses joues et l’interminable susurrement
des vaguelettes mourant à ses pieds.
Tempête était un enfant de la tempête.
Non loin de l’endroit et Tanière et l’Osseux avaient construit leurs cahutes, toute la bande de
sable du Coorong et les terrains avoisinants avaient été aménagés en réserve : là, personne n’avait
le droit de faire de mal aux oiseaux. Les chasseurs avec leurs fusils et leurs appeaux, avec leurs
filets ou leurs pièges, et même leurs chiens y étaient interdits.
Et c’est pourquoi l’eau et les rives miroitaient et palpitaient d’ailes. Dans le petit matins, les
grands oiseaux se tenaient debout et claquaient du bec pour accueillir le soleil levant. Partout le
bruit des baignades résonnait. Les oiseaux s’éclaboussaient, s’arrosaient, s’aspergeaient,
joyeusement. Sur plusieurs kilomètres de long, des milliers d’êtres affairés se gargarisaient,
gougloutant et soufflant des bulles en choeur. Il y en avait au-dessus de l’eau, il y en avait dedans,
et encore d’autres sous l’eau. Certains étaient à moitié dessus, à moitié dessous. Certains ne
faisaient qu’y plonger, d’autres en sortaient. Ceux qui voulaient s’envoler prenaient leur élan,
fendant l’eau de leurs grands pieds plats, battant furieusement des ailes et pédalant de toute leur
force. D’autres arrivaient pour se poser, freinant dur de leurs ailes, écartant leurs larges pieds
palmés, prêts à skier sur l’eau dès l’amerrissage.
Partout, il y avait des sillages entrecroisés de vagues, de rides et d’éclaboussures. Tempête
en ressentait toute la palpitation et l’émerveillement. Il restait souvent toute la journée assis sur la
plage, les genoux pliés, le menton dans les mains. Parfois, il rêvait d’être né ibis ou pélican.
Chapitre 2

Il arrivait que Tempête voit des choses qui l’attristaient. Malgré les nombreux avertissements, les
oiseaux étaient parfois maltraités. Lorsque la chasse était ouverte, certains chasseurs poursuivaient
les canards blessés en remontant le Coorong. D’autres se glissaient de nuit dans la réserve, tuaient
les oiseaux à l’aube et en ressortaient furtivement. Certains visiteurs, piétinant dans tous les coins,
renversaient les nids d’un coup de pied et écrasaient les œufs. Il y avait même des hommes avec
des carabines qui se disaient « sportifs ». Lorsqu’ils ne trouvaient rien d’autre à tirer, ils pariaient
entre eux à celui qui toucherait l’aigrette, la poule d’eau ou le héron qui se tenait innocemment au
bord du rivage. Les oiseaux leur servaient de cibles. Et lorsqu’ils en touchaient un, ils s’écriaient en
riant : « Bien visé ! » Puis ils s’éloignaient, le laissant mort, les plumes ébouriffées par le vent.
Parfois, si l’oiseau n’était pas tombé trop loin, ils marchaient jusqu’à lui, le retournaient du pied et
puis le laissaient là, gisant sur le dos.
Tempête courait alors tout raconter à son père. Tanière marmonnait, dans sa colère, et
l’Osseux mettait la main que son tromblon chargé en disant : « nom d’un chien, la prochaine fois, je
le remplis de sel. S’ils reviennent, boum ! Je leur tire du sel dans les fesses ! »
Cela faisait rire Tempête. Alors le visage de l’Osseux s’éclairait de toutes se dents blanches.
Il adressait un clin d’œil à Tanière. Ni l’un ni l’autre n’aimaient que Tempête ait l’air triste.
Lorsque tempête se promenait tout seul sur la plage ou dans les dunes, les oiseaux n’avaient
pas peur. Ils savaient qu’il était leur ami. Les pélicans, rangés comme une assemblée de vieux
messieurs, la bedaine pendante, claquaient sèchement du bec en signe de bienvenue ; les poules
d’eau s’affairaient en bavardant, les ibis découpaient l’air en lanières en laçant leur long bec
recourbé de haut en bas, et la grue bleue, au passage de Tempête, se tenait digne et silencieuse
comme une haute statue élancée.

Un matin, Tempête se trouva tout bouleversé et en pleine confusion. Trois ou quatre jeunes
gens avaient pénétré dans la réserve. Ils étaient tombés sur des nids de pélicans – de larges nids
grossièrement faits de branchettes, d’herbe et de plumes de pélicans grandes comme des remiges4
de dinde – et ils avaient tué deux des grands oiseaux qui nichaient là. Puis ils avaient tout éparpillé
à coups de bottes, poussant des cris, prenant les œufs et les lançant jusqu’à ce qu’ils les aient tous
brisés. Enfin, ils étaient partie en riant.
Tempête avançait avec précaution, prudent mais plein de colère. A l’abri d’une touffe d’herbe,
il évaluait tristement la perte et les ravages. Juste au moment où il s’apprêtait à courir chercher
l’Osseux pour qu’il remplisse son tromblon de sel, il entendit un léger froissement et un petit cri. Là,
sous les branchages et l’herbe des nids dévastés, il aperçut trois minuscules pélicans – encore en
vie. Tempête les souleva avec délicatesse et s’enfuit précipitamment avec eux pour les rapporter à
Tanière.
4 Remige : grande plume rigide de l’aile.
Deux des petits pélicans étaient assez vigoureux. Mais le troisième, blessé, était presque
mourant, si faible qu’il ne pouvait même pas soulever le tête pour être nourri. Il la laissait retomber
sur le sol dès que Tempête ou Tanière ne la soutenaient plus.
- Je ne pense pas qu’il vive ! Dit Tanière. Il est trop jeune et trop mal en point.
L’osseux lui aussi hocha la tête.
- Ces sales types ont tué les grand pélican. Je ne crois pas que le petit vivra !
- Il ne faut pas qu’il meure, dit Tempête avec désespoir. Il ne faut pas, il ne faut pas !
Il enveloppa les petit corps meurtri dans des écharpes de tanière et le déposa près du feu.
Toute la journée, il le regarda, allongé là, bougeant parfois faiblement, ouvrant le bac pour laisser
échapper un petit cri à peine audible. De temps en temps, Tempête lui donnait une goutte d’huile de
foie de morue et essayait de la faire descendre dna la gorde du bébé oiseau.
La nuit vint, et Tempête continua à veiller sur le petit animal malade, une heure après l’autre,
jusqu’à ce que Tanière lui dise avec fermeté qu’il tait temps d’aller se coucher. Mais Tempête
n’arrivait pas à dormir. Plusieurs fois dans la nuit, il se glissa hors de son lit pour traverser sur la
pointe des pieds la pièce jusqu’au poêle, et s’assurer que le bébé pélican avait assez chaud.

Au matin, l’oiseau était encore vivant.


Il fallut trois jours au bébé pélican pour se redresser et réclamer de la nourriture. Ses deux
frères ouvraient déjà leur bec affamé en permanence. Bien sûr, ils étaient encore trop jeune pour
que leur poche à poisson fût formée.
- On me prendrait pour un grand-père pélican, dit Tanière. La preuve, c’est toujours moi qu’il
viennent trouver lorsqu’ils ont faim !
-C’est ce que tu es pour eux maintenant, dit Tempête, puisque leurs parents sont morts.
- Eh bien, qu’ils ne s’imaginent pas que je vais passer tout mon temps à leur attraper du poisson!
Regarde-moi celui-là, installé comme s’il était chez lui.
-Oh ! C’est M. Puissant, dit Tempête.
- Comment allez-vous, monsieur Puissant ?
Tanière fit une courbette et gratta le dessus de la tête du pélican.
- Et comment s’appelle votre frère ?
- Lui, c’est M Pensif, dit Tempête. Il est très sage, très sérieux.
-Et le tout petit bonhomme ? Demanda Tanière. C’est M. Pip ?
- Non, c’est Perceval !
Tempête prit doucement l’oiseau dans son écharpe et le posa sur ses genoux.
- Il a été très malade !
- Soyez les bienvenus, dit Tanière, et maintenant, grand-père pélican ferait bien d’aller prendre du
poisson. Sinon, il n’y aura pas de goûter pour nos trois MM. « P ».
Alors il partit vers son bateau. Et c’est ainsi que M. Puissant, M. Pensif et M. Perceval vinrent
vivre avec Tempête.
Chapitre 3

Les trois pélicans ne tardèrent pas à devenir grands et forts. Leur cou blanc s’incurvait nettement,
leur poche à poisson se formait, et la partie supérieure de leur bec brillait comme de la nacre rose.
Chaque matin, ils ouvraient leurs grandes ailes blanches bordées de noir, et s’envolaient. Ils
faisaient trois ou quatre fois le tour de la cahute et de la plage proche, afin de s’assurer que tout
était en ordre pour la journée.
Puis ils estimaient que c’était l’heure du petit déjeuner. Alors, ils se posaient lourdement ,
avançaient de quelques pas dignes, et s’alignait devant la porte de la cahute. Si Tanière et Tempête
étaient encore couchés, les oiseaux restaient là poliment, attendant quelque signal, quelque
mouvement de bienvenue. Mais s’il ne se passait rien, au bout de cinq ou dix minutes, M. Puissant
et M. Pensif commençaient à s’impatienter.
Ils se mettaient alors à claquer du bec en signe de désapprobation – un cliquetis-cliquetas
qui ressemblait à des craquements de roseaux secs – et cela jusqu’à ce que quelqu’un se réveille.
- C’est bon, c’est bon, disait Tempête, à moitié endormi. J’ai entendu, monsieur Puissant.
Il se dressait dans son lit et regardait les trois messieurs alignés comme pour un défilé.
- Je sais ce que vous pensez, monsieur Pensif. Les honnêtes gens sont debout à cette heure-ci.
- Mais à cette heure-ci, les honnêtes pélicans vont chercher eux-même leur petit déjeuner,
grommelait Tanière. Au lieu de mendier auprès de leurs amis.
Et, comme le temps passait, il devenait de plus en plus sérieux en disant cela.

Finalement, Tanière parla fermement à Tempête.


- Il va falloir que M. Puissant, M. Pensif et M. Perceval retournent à la réserve d’où ils sont venus.
Nous n’avons vraiment plus les moyens de les nourrir.
Tempête en fut attristé. Mais il savait que lorsque son père avait pris une décision, c’était
pour de bon.
- Oui papa
- Nous les mettrons dans les grands paniers à poissons, dit Tanière, et nous les emmènerons dans
le bateau.
- Oui, papa, dit Tempête en baissant la tête.
Alors, ils attrapèrent d’abord M. Puissant, puis M. Pensif. Ils leur replièrent les ailes que les
flancs et les introduisirent d’une main ferme dans les paniers à poissons. M. Puissant et M. Pensif
ne savaient trop que penser de ce qui leur arrivait. Ils interpellaient bruyamment Tanière, raclaient
leurs plumes ébouriffées, l’air mécontent, et dardaient leurs regards jaunes à travers les trous de la
vannerie.
- Ha, ha ! Rit Tanière. Nous avons offensé ces messieurs. Tans pis. C’est pour leur bien.
Et il s’inclina d’abord devant M. Puissant, puis devant M. Pensif.
Lorsque ce fut le tour de M. Perceval, Tempête ne put supporter de le voir enfermer lui aussi.
Depuis sa guérison, M. Perceval était le préféré de Tempête. Il était toujours plus calme, plus
doux, plus fidèle que ses frères. Tempête le souleva, caressa ses plumes et le tint serré contre lui.
- Pauvre monsieur Perceval, dit-il doucement. (Il regarda son père.) Je vais tenir M. Perceval. Je
peux, hein papa ?
- Oui, ça va ! Répondit Tanière, empoignant les deux paniers. Allons, viens, c’est l’heure.
Tanière navigua pendant huit kilomètres le long de la réserve avant d’arrêter le bateau.
- Nous y voilà ! Dit-il enfin.
Alors, ils ouvrirent les deux paniers et en sortirent M. Puissant et M. Pensif.
- Allez-vous-en ! Dit Tanière. Et prenez soin de vous.
Il les poussa loin de lui. Ils s’envolèrent en décrivant un grand cercle et se dirigèrent vers le
rivage.
- Et maintenant, à M. Perceval !
Tempête posa sa tête contre celle de M. Perceval et serra doucement son ami contre lui.
- Au revoir, monsieur Perceval. (Il dut s’arrêter un instant pour se racler la gorge.) Sois… sois un
gentil pélican, monsieur Perceval, et prends bien soin de toi.
Il le souleva par-dessus le bord du bateau et le posa comme un gros canard en caoutchouc.
M. Perceval eut l’air surpris et peiné un instant, et se laissa flotter sur les vaguelettes. Puis il
souleva ses grandes ailes, pédala avec énergie, et s’éleva lentement au-dessus de l’eau.
Tempête s’essuya les yeux avec ses poings et détourna la tête. Il ne voulait pas que son père
voie son visage.

Chapitre 4

Tanière et Tempête passèrent la journée à pêcher. Il faisait beau, grand soleil, et pourtant,
c’était comme si Tempête avait froid. Ils restèrent simplement dans le bateau de pêche, sans parler.
Mais Tempête sentait que son père devinait ses pensés. Parfois, Tanière le regardait d’une drôle de
façon et, une fois même, il s’éclaircit la gorge avec soin, jeta une regard au loin sur l’eau et dit d’une
pauvre petite voix gaie :
- Eh bien, je me demande comment vont nos trois MM. « P ». Gais comme des pinsons, je
suppose.
Il jeta à Tempête un regard plutôt lamentable et se remit à pêcher.

Vers le soir, ils rangèrent tout leur attirail et prirent le chemin du retour. Le soleil traçait sur
l’eau une allée de miroirs dorés. Il inondait les taches nues des dunes, éclairait les buissons et les
herbes jusqu’à ce que chaque tige, chaque branchette brille d’un feu rosé. Le petit bateau glissa
jusqu’à la rive dans le clapotis des vaguelettes. Soudain, Tempête leva la tête.
- Regarde, papa, regarde ! Cria-t-il.
Tanière tira le bateau sur le sable et regarda dans la direction indiquée par Tempête.
- Quoi ?
- Regarde ! Regarde ! Criait Tempête.
Sur le ciel de la grosse dune se dessinait le poste d’observation que Tanière et l’Osseux
avaient dressé il y a quelques années. Et juste au sommet du poteau se tenait une grande
silhouette. Elle était toute à fait immobile, une statue en haut d’une colonne, un oiseau de pierre.
Alors, comme si elle avait entendu la voix étonnée de Tempête, la silhouette ouvrit soudain
ses deux grandes ailes et se lança dans les airs. Tandis qu’elle virait contre le soleil couchant, son
bec et ses larges ailes bordées de noir se mirent à briller dans les rayons aigus de lumière. Un
moment, elle sembla être un oiseau magique. Tempête s’élança en courant, tête en avant, criant et
agitant les bras.
- M. Perceval ! C’est M. Perceval ! M. Perceval est revenu à la maison !

Ce fut une heureuse réunion ce soir-là. Même Tanière semblait secrètement réjoui du retour
de M. Perceval.
- Oui, je pense qu’il peut rester, dit-il. Du moment que M. Puissant et M. Pensif ne reviennent pas,
eux aussi. Satisfaire l’appétit d’un pélican est un problème bien suffisant. Nous ne pourrions pas en
nourrir trois.
Et bien que Tempête aima aussi M. Puissant et M. Pensif, il se surprit à espérer qu’ils ne
revinssent pas.
C’est ce qui arriva. Au fil des jours, les deux autres pélicans passaient de temps en temps au
dessous de leurs têtes, ou même se poser sur la plage un moment. Puis ils finissaient toujours par
retourner à la réserve.
Mais pas M. Perceval, qui refusait même de s’éloigner de Tempête.
Chapitre 5

¨Partout où allait Tempête, M. Perceval suivait. S’il ramassait des coquillages le long de la
plage, M. Perceval l’accompagnait, soit qu’il se dandinât d’un air important sur ses talons, soit qu’il
volât lentement en cercles au-dessus de lui. Si Tempête allait nager ou glisser sur les dunes, ou
jouer dans le sable, M. Perceval se trouvait un bon endroit à proximité, et s’y perchait lourdement
pour le regarder et attendre qu’il ait fini.
Si Tempête allait pêcher ou ramer sur le Coorong, M. Perceval croisait joyeusement au-
dessus de lui, le cou penché en arrière et le poitrail bombé, tel un bateau-dragon naviguant
calmement dans une mer aérienne. Dès qu’il voyait Tempête mettre le bateau à l’ancre, il glissait
vers lui dans un long dérapage d’éclaboussures, secouait ses ailes en les repliant, et dansait
sereinement sur le vaguelettes, à quelques mètres de là.
- Oh ! Tu es un merveilleux vieux monsieur, monsieur Perceval, disait Tanière en riant. Tu devrais
porter un haut-de-forme et peut-être même un faux col et une paire de lunettes. Il ne te resterait
plus qu’à nous faire un sermon !
Mais Monsieur Perceval penchait seulement la tête sur le côté et attendait que Tanière lui lance un
morceau de poisson – ou deux ou trois poissons entiers – qu’il enfouissait dans sa poche.
L’osseux et Tanière étaient tous deux ravis que Tempête ait trouvé M. Perceval.
- C’est mieux qu’un chien de garde, disait l’Osseux. Il ne court pas bien, mais il vole vite !
- Il peut même chasser comme un chien, disait Tanière.
C’était vrai, ils avaient d’abord découvert que M. Perceval savait attraper une balle. C’était une
balle rouge et jaune que Tanière avait rapportée de Goolwa. Un jour, sur la plage, Tempête l’avait
lancée avec force, et elle avait rebondi dans la direction de M Perceval.
- Attention ! Avait crié Tempête.
Mais M. Perceval, au lieu de s’esquiver, s’était avancé de deux ou trois pas rapides et avait saisi la
balle pour la mettre dans sa poche. Tempête, horrifié, s’était précipité en criant :
- On ne peut pas manger une balle ! C’est du caoutchouc, ce n’est pas du poisson ! Ne l’avale pas,
tu vas t’étrangler !
L’oiseau l’avait écouté très sérieusement un instant, la tête penchée un peu plus de côté qu’à
l’ordinaire, son grand bec entrouvert sur un sourire. Puis il s’était avancé et avait fait tomber la balle
aux pieds de Tempête, comme un chien qui rapporte du gibier.

Depuis, Tempête s’amusait souvent sur la plage avec M. Perceval. Dès qu’il lançait la balle, un galet
poli, un oursin, ou encore un vieux moulinet de pêche, M. Perceval les attrapaient et les
rapportaient. Parfois, Tempête jetait des objets dans l’eau. M. Perceval observait soigneusement de
ses yeux brillants, puis il s’envolait, se posait au bon endroit et sortait l’objet de l’eau. Alors Tempête
riait et applaudissait. Puis il faisait monter et descendre ses doigts le long du cou de M. Perceval.
M. Perceval aimait beaucoup cette récompense. Il préférait une seule chose à cela : un bon repas
de poissons. Un jour, alors que Tanière les observait en train de jouer, il eut une idée.
- s’il est capable de ramasser des choses, sans doute peut-il également en emporter avec lui ? Dit-
il.
Il donna à Perceval un plomb et un bout de ligne de pêche.
- Maintenant, apporte ça à Tempête. T’es un brave pélican.
Tout d’abord, M. Perceval ne compris pas, puis après de nombreux essais, il déposa enfin le plomb
aux pieds de Tempête. Tanière et Tempête applaudirent tous deux, caressèrent M. Perceval derrière
le cou et lui donnèrent un morceau de poisson. M. Perceval avait l’air fier et très satisfait.

Ensuite, Tanière demanda à tempête de se tenir les pieds dans l’eau et ils jouèrent de
nouveau à ce jeu. Très vite, M. Perceval arriva à prendre un plomb et une petite ligne de pêche
pour voler vers Tempête et déposer le tout à ses côtés. Mais il s’attendait toujours à un morceau de
poisson après chaque tentative.
Ils jouèrent à ce jeu pendant des semaines. Tantôt c’était Tempête qui se tenait dans l’eau,
tantôt c’était Tanière, jusqu’à ce que M. Perceval parvienne à transporter une ligne de pêche et à la
lâcher sans difficulté. Puis, lorsque souffla un vent de terre, venant du Nord, et que les grandes
mers s’aplatirent tristement, Tanière s’éloigna du rivage et M. Perceval s’entraîna à lui rapporter une
longue, très longue ligne.

- C’est merveilleux, dit un jour Tanière, riant à applaudissant à la fois. Maintenant , M. Perceval peut
m’aider à pêcher, il peut porter les lignes à ma place.
Il gratta le cou de M. Perceval et lui donna un autre morceau de poisson.
- Monsieur Perceval, vous êtes aussi intelligent qu’un oiseau pêcheur chinois !
Alors, il se mit à rire avec Tempête. Et M. Perceval était si content de lui qu’il claqua du bec
joyeusement tout le reste de la journée.

Avec le temps, les gens commencèrent à parler de Tempête et de M. Perceval. Des pique-
niqueurs, des gardes-chasse et des pêcheurs de passage les aperçurent ensemble et répandirent
l’histoire.
- Il le suit comme un chien, disait le vieux
- Je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux, disait le facteur.
Et petit à petit, bien des gens le virent de leurs propres yeux. Car lorsque Tanière et Tempête
partaient pour Goolwa, M. Perceval ne comprenait pas ce qu’il se passait. Il volait devant ou
derrière eux tout le long du trajet, jusqu’aux abords de la ville. Alors, il se posait et attendait
patiemment sur la rivière le moment où le bateau quitterait le port pour rentrer chez eux.
Les gens venait voir.
- Exactement comme un chien, répétait Sammy Scales. C’est fou, je vous dit. Un jour, le monde
entier en entendra parler.
Et alors, il arriva quelque chose qui lui donna raison.

Ce fut l’année des grandes tempête. Elles commencèrent en mai, avant même le début de
l’hiver. Se précipitant en trombes du sud de l’Antarctique, les vents semblaient s’être perdus et
arrivaient en hurlant dans la rage de retrouver leur chemin. En juin, ils couchèrent les joncs,
déracinèrent les buissons tapis sur les dunes depuis des années. Ils firent s’envoler une des tôles
de la cahute. Tanière arrima les murs avec des fils de fer et lesta le toit avec du bois flotté et des
pierres.
En juillet, les vents perdirent complètement l’esprit. Trois grandes tempêtes arrivèrent du
Sud. La troisième fut si terrible qu’elle souleva des montagnes sur la mer qui se fracassaient
en écume pour retomber ensuite sur le rivage. Les vagues déferlaient jusqu’en haut des dunes où
Tanière et Tempête habitait. Elles cinglaient vers eux et s’ouvraient comme si elles avaient voulu les
emporter. Le buisson boobyalla se courba et finit par se briser. La cahute tremblait, branlait de
toutes parts. Même M. Perceval dut s’abriter à l’intérieur de peur d’être emporté par le vent.
Comme la nuit venait, Tanière attacha la porte et étendit des vêtements supplémentaires sur
les lits.
- Tu ferais mieux de dormir maintenant, tant que tu peux, dit-il à Tempête. D’ici à demain matin, la
cahute sera peut-être en train de voler de l’autre côté du Coorong.

Dans l’obscurité du petit matin, Tempête fut réveillé soudain par la voix de Tanière.
- Vite, Tempête.
Tempête bondit.
-C’est la cahute qui s’envole ?
- Non, c’est un naufrage ! Un naufrage sur la plage.
Tempête enfila un manteau de son père et le suivit sur la dune. A l’Est, l’aube se levait
comme une tache laiteuse, mais l’horizon en face d’eux n’était qu’un rugissement blanc.
Tanière mis sa bouche contre l’oreille de Tempête et montra du doigt.
- Regarde ! Hurla-t-il. Là-bas !
Tempête regarda attentivement. Une silhouette noire se détachait sur le blanc. C’était
l’Osseux, en haut de la dune, se tenant au poteau du poste d’observation.
- Remorqueur ! Cria-t-il.
- Il s’est échoué ? Hurla Tanière.
L’osseux hocha la tête.
- tempête trop forte, vociféra-t-il. Pauvres gars sur le remorqueur… (il secoua la tête) Pauvres gars !
Lorsque le matin vint sur le monde, ils purent enfin voir clairement le remorqueur, gisant
comme une baleine blessée, avec les énormes vagues qui bondissaient et s’écrasaient sur lui,
lançant des poignées blanches d’écume dans une danse diabolique.
- Il ne pourront jamais nager jusqu’ici ou mettre une barque à l’eau, dit Tanière. Leur seul espoir,
c’est une corde jusqu’à terre.
- Personne ne peut amener de corde là-bas, dit l’Osseux, pas aujourd’hui.
- Non, dit Tanière tristement. Et d’ici à demain, il sera trop tard.
Parfois, lorsqu’il y avait une accalmie entre les vagues, ils pouvaient apercevoir trois ou
quatre hommes agrippés au remorqueur, agitant les bras pour demander de l’aide.
- Regarde-les ! Cria Tempête. Il faut les aider. Ils vont se noyer.
- Comment veux-tu les aider ? Dit son père. Nous ne pouvons pas leur lancer de corde. C’est trop
loin.
- C’est à combien d’ici ?
- A deux ou trois cents mètres, au moins, dit l’Osseux. Pas moyen de lancer le javelot aussi loin, pas
même à moitié aussi loin !
- Surtout pas avec une corde à bout. Il nous faudrait un fusil à harpon.
- Par ce temps, je ne pourrais même pas lancer une pierre à un quart de la distance, dit Tanière.
Il ramassa un galet et le jeta vers la mer. Il tomba sur le rivage.
- Tu as vu ?
Soudain, un froissement de grandes ailes les frôla et M. Perceval vola en direction de
l’endroit où le galet était tombé. Il regarda l’écume des vagues un instant, comme s’il jouait au vieux
jeu de « va-cherche-le-caillou », puis il changea d’avis, fit demi-tour et se pose de nouveau sur la
plage.
Tempête poussa un grand cri et couru vers lui.
- M. Perceval ! M. Perceval, c’est lui qui va y arriver. Il peut voler, lui.
Tanière compris aussitôt. Il courut jusqu’à la cahute et rapporta deux ou trois longues lignes
de pêche, fine comme un fil. Il les attacha bout à bout et les enroula légèrement et très
soigneusement en les posant sur un coin de sable durci bien propre. Puis il prit un plomb léger,
l’attacha à l’une des extrémités de la ligne, et la donna à M. Perceval.
- Va au bateau, dit-il en pointant son index et en agitant les bras. Prends ça et porte-le au bateau.
M. Perceval eut l’air surpris et effrayé à l’idée d’aller pêcher par un temps pareil, mais il agita ses
ailes et s’éleva lourdement au-dessus de la mer.
- Au bateau, au bateau ! Criaient-ils tous les trois.
Mais M. Perceval ne comprenait pas. Il vola trop loin d’un côté, jeta la ligne dans la mer, et
s’en retourna.
- Raté ! Dit Tanière, déçu.
- c’était un essai, insista Tempête, tandis que M. Perceval se posait à côté de lui.
Il lui donna un morceau de poisson et lui gratta le cou.
- Brave garçon ! Lui dit-il. Brave garçon, monsieur Perceval. Dans une minute, on fera un nouvel
essai.
Ce fut raté à nouveau. Cette fois-ci, M. Perceval vola droit en direction du bateau, mais il ne
s’avança pas assez loin.
- Çà ne fait rien, dit Tempête, tu es un brave pélican d’avoir essayé.
Et il attrapa M. Perceval pour le cou et lui donna un autre morceau de poisson.
Ils essayèrent encore et encore, et à chaque fois ce fut un échec. Au début, les hommes sur
le bateau ne saisissaient pas ce qui se passait, mais bientôt ils comprirent et surveillèrent chaque
tentative avec espoir.
Tempête et Tanière étaient déçus, mais ils n’abandonnaient pas. Et M. Perceval non plus. Il
s’envolait et revenait, jusqu’à ce que enfin, au dixième essai, il réussît. Un grand coup de vent
soudain le souleva et le déporta sur le côté. Il ouvrit brusquement ses grandes ailes et, juste au
moment où il virait au-dessus du remorqueur, il lâcha la ligne. Elle tomba en travers du bateau en
difficulté.
- Tu as réussi ! Tu as réussi ! Hurlaient Tempête, Tanière et l’Osseux tous ensemble tandis que M.
Perceval se posait sur la plage. Tu es un bon, un brave, un merveilleux pélican !
Et ils le caressaient, lui donnaient à manger et dansaient autour de lui tant et tant que M.
Perceval se demandait e qu’il avait pu faire de si extraordinaire. Il continua de faire claquer son bec
avec excitation, l’ouvrant dans une sorte de sourire et dévorant plus de poisson qu’il ne l’avait
jamais fait.
Pourtant la lutte pour sauver les hommes du bateau ne faisait que commencer. Le capitaine
avait saisi la ligne de pêche. Il attendit que la vague suivant fût passée et, ensuite, attacha la ligne
au bout d’un long rouleau de corde fine. Doucement, très doucement, il l’amena dans la mer et fit
signe à Tanière te l’Osseux de commencer à tirer. Il fallait faire très attention : si la ligne touchait un
écueil5 ou s’il tiraient trop fort, elle pouvait se rompre et il faudrait alors tous recommencer.
Ils eurent de la chance. La corde sortit enfin de l’eau en oscillant lentement. L’Osseux se
précipita et l’attrapa. Pendant ce temps, le capitaine du remorqueur avait attaché un gros cordage à
la corde mince et l’équipage continuait de les faire filer ensemble. Les naufragés gardaient
difficilement leur équilibre lorsque les grosses vagues et l’écume venaient se briser contre le
bateau.
Bientôt, Tempête, l’Osseux et Tanière eurent halé le bout de la grosse corde sur le rivage.
Alors, ils la tirèrent vite en haut des dunes jusqu’au poste d’observation, et Tanière l’enroula
solidement plusieurs fois autour du poteau. Pendant ce temps, l’équipage avait amarré l’autre
extrémité de la corde au bateau et y avait ajusté, avec une poulie, le banc qui servait d’ordinaire à
repeindre la coque. Un des hommes s’y attacha et fit signe à Tanière de tirer. Le sauvetage allait
commencer.

5 Rocher peu visible dont le sommet dépasse légèrement de l’eau.


Comme une bête aux crocs blancs, la mer tentait de happer l’homme. Parfois, les vagues le
recouvraient complètement. Tempête sentait la corde vibrer et tressauter tandis que les vagues
s’écroulaient sur elle. Mais l’homme parvenait à reprendre sa respiration entre les paquets d’eau et
il réapparaissait sain et sauf, toujours attaché à la corde. Tanière et l’Osseux tiraient, tiraient. Leurs
pieds s’enfonçaient profondément dans le sable et les muscles qui saillaient sur leurs bras
ressemblaient à la corde qu’il tiraient.
Enfin, malgré le fracas et le mouvement de la mer, ils parvinrent à hisser l’homme jusqu’au
rivage. Celui-ci se détacha et s’effondra sur le sable de la plage. Il tremblait, à bout de forces, mais
il était sauvé. Tempête courut jusqu’à lui pour l’aider à marcher jusqu’à la cahute.
Pendant ce temps, le reste de l’équipage avait hissé le petit banc jusqu’au bateau, et un
autre homme put être ramené jusqu’à terre. Après lui, en vint un troisième qui chancelait en
remontant sur la plage.
- Vite, dit-il, le bateau est ne train de se briser et il reste encore trois homme à bord.
Le front de Tanière était trempé de sueur, et l’Osseux soufflait tandis qu’ils continuaient de
tirer.
- Vite, répétaient-ils en haletant, le bateau s’effondre.
Enfin, cinq hommes furent à terre, et il ne restait plus à sauver que le capitaine. C’était un
gros homme, qui pesait sur la corde. Tanière et l’Osseux étaient à bout de forces. Soudain la corde
se raidit, trembla et se relâcha.
- Vite, vite, cria Tanière, elle dérive.
Tempête saisit la corde et rira à son tour.
- Vite ! Hurlait le capitaine. La corde lâche !
Deux des membres de l’équipage qui pouvait encore tenir debout, empoignèrent la corde et
aidèrent à tirer. A eux tous, ils réussirent à hisser lentement le capitaine jusqu’au rivage et le
déposèrent, blême et à demi évanoui, sur le sable.
- Sauvés ! Répétait-ils faiblement. Sauvés par un miracle, sauvés par un pélican.

Tanière et Tempête abritèrent le capitaine et ses cinq matelots toute une journée dans la
cahute. Ils leur donnèrent de la nourriture chaude et firent sécher leurs vêtements. Le lendemain, la
tempête commença à s’apaiser et le soleil éclaira le Coorong. Alors Tanière se prépara à conduire
en bateau les six hommes à Goolwa.
Avant leur départ, la capitaine prit Tanière à part.
- Vous nous avez sauvé la vie ! Vous et votre ami noir, et surtout l’enfant et l’oiseau. Nous
voudrions faire quelque chose pour vous à notre tour.
Tanière était gêné.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, dit-il
- Nous avons déjà parlé entre nous, dit le capitaine, et nous avons pris une décision. Nous
voudrions payer les études du garçon, pour qu’il puisse aller en pension à l’école d’Adélaïde.
- Il serait bien seul et moi aussi.
Son cœur serait malade loin du vent, des vagues et de M. Perceval.
- Dommage, dit le capitaine. Il a presque onze ans, bientôt il sera adulte et il ne saura ni lire, ni
écrire. Ce n’est pas juste de l’en empêcher.
Tanière baissa la tête.
- Vous avez raison. Il faudrait qu’il y aille.
Mais lorsqu’ils firent venir Tempête pour lui faire part de l’offre du capitaine, il refusa.
- Non ! Dit-il d’un air horrifié. Je ne quitterai pas M. Perceval ! Jamais !
- Mais, Tempête !
- Ou alors, j’emmène M. Perceval avec moi à l’école.
- Tu sais bien que ce ne serait pas possible.
- Alors, je n’irai pas.
Le capitaine haussa les épaules.
Très bien, dit-il à Tanière. Plus tard, peut être. Il y aura toujours une place pour lui.
Puis il leur dit adieu et gratta le cou du pélican.
- Tu es un grand, un merveilleux oiseau, dit-il. (il regarda Tanière). A sa mort, il faudra l’envoyer au
musée ; nous écrirons devant sa vitrine « le pélican qui sauva la vie de six hommes ».
Tanière regarda rapidement autour de lui. Il était soulagé que Tempête n’ait pas entendu les
paroles du capitaine.
Chapitre 6

Le restant de l’année fut heureux pour tout le monde. Les tempête s’en retournèrent dans le
Sud glacé. Le soleil réchauffa les dunes, et le printemps envahit toute la campagne de feuilles
neuves et de petits bourgeons.
Bientôt, la chasse au canard fut de nouveau ouverte. Tout le long du Coorong, les chasseurs
allaient et venaient. Les coups de fusil se faisaient écho sur l’eau, et l’odeur de la poudre flottait
dans l’air immobile comme un brouillard noir de fumée âcre. Les matinées résonnaient de cris et de
hurlements d’oiseaux. Parfois, Tempête voyait les oiseaux blessés ou mutilés tomber ou s’efforcer
de voler vers l’Est pour se mettre à l’abri dans la réserve.

Depuis toujours, M. Perceval détestait les chasseurs. Il les exaspérait chaque fois qu’il en
avait l’occasion. Parfois, il se contentait de les fixer insolemment jusqu’à ce qu’ils s’impatientent et
le fassent décamper. Parfois, pour les agacer, il les débusquait, et nageait près de leurs bateaux à
l’affût, attendant qu’ils l’éclaboussent et l’envoient promener à grands cris. Mais la plupart du temps,
il volait en rond autour de leur cachette, aussi gênant qu’un vieil avion en patrouille. Tout cela pour
venir en aide aux canards, pour les avertir de se tenir éloignés des tirs, pour que les terribles fusils
rugissent moins souvent et tuent moins encore.
Les canards ne mirent pas longtemps à comprendre les avertissements de M. Perceval et
restèrent à l’écart.
Les chasseurs furent de plus en plus en colère.
- C’est encore cet imbécile de pélican ventripotent. Il est pire qu’un phoque dans un filet à poissons.
- On dirait un espion dans le ciel !
- On ne tirera pas un seul canard tant qu’il sera dans les parages.
Et cela continua de la sorte jusqu’à cet affreux matin de février.
Tempête se tenait en haut d’une dune à regarder le soleil sortir de la mer, brillant comme un
sou neuf. Il se retourna vers l’intérieur des terres et là, derrière un buisson du boobyalla au bord du
Coorong, il vit deux chasseurs accroupis. Ils étaient parfaitement immobiles, attendant que six
canards s’approchent en peu plus en nageant. Juste à ce moment-là, M. Perceval se mit à
tournoyer majestueusement. Il descendit au-dessus des hommes qui se cachaient, et les canards
lancèrent un brusque cri d’alarme, agitèrent vivement leurs ailes et s’envolèrent très vite, en rasant
l’eau. Les hommes poussèrent des cris de rage. L’un deux bondit, fit tournoyer son fusil et visa M.
Perceval. Tempête l’aperçut, poussa un grand cri et hurla :
- Non ! Ne tirez pas ! C’est M. Perceval !

Sa voix se noya dans la détonation. M. Perceval sembla tressauter en vol comme s’il avait
buté contre un mur de verre. Puis il commença à tomber lourdement et maladroitement. Tempête se
précipita en courant vers l’endroit où il était tombé, trébuchant dans les broussailles, butant dans les
trous, sautant, galopant, haletant, le cœur battant comme un fou, criant d’une voix étouffée de
sanglots :
- M. Perceval ! Ils ont tiré sur M. Perceval !
Il n’arrêtait pas de crier !
- M. Perceval ! M. Perceval !
Pauvre M. Perceval ! Lorsque Tempête arriva jusqu’à lui, il essayait vainement de se tenir
debout et de marcher. Mais il tombait désespérément en avant, un aile démise. Du sang maculait
les plumes blanches de son poitrail, et il haletait !
- Monsieur Perceval ! Monsieur Perceval ! Oh ! Monsieur Perceval !
C’était tout ce que Tempête arrivait à dire.
Il continua à redire les mêmes mots, inlassablement, au moment où il ramassa l’oiseau lentement,
doucement. Puis il retourna à la cahute, en courant tout le long du chemin.

Tanière prenait son petit déjeuner lorsque Tempête entra en coup de vent. Il s’englotait :
- M. Perceval. Ils ont tiré sur M. Perceval !
Tanière se retourna d’un bond, interdit, jeta la cuillère qu’il tenait et courut à la recherche des tireurs.
Mais ils s’étaient déjà enfuis. Pris de peur et de honte, ils avaient vite retraversé le Coorong et ils
étaient partis en voiture.
Tanière revient plein de colère. Il prit doucement M. Perceval des bras de Tempête et
l’examina. Il essuya son poitrail et redressa les plumes désordonnées de son aile. M. Perceval
faisait claquer son bec faiblement et haletait.
- Est-ce que… est-ce que M. Perceval va guérir ?
Tempête arrivait à peine à prononcer les mots. Tanière lui rendit silencieusement l’oiseau
blessé et regarda par la porte entrouverte les dernières traces des chasseurs, là où ils avaient
disparu. Il ne pouvait se résoudre à parler.
Tout le jour, tempête garda M. Perceval dans ses bras. En face du poêle, à la place même où
autrefois il avait ramené à la vie le bébé pélican meurtri, il se tenait assis, immobile, et silencieux.
L’osseux essaya en vain de la distraire. Tanière lui proposa de prendre son petit déjeuner, puis de
déjeuner.
Mais Tempête secoua la tête et resta assis, engourdi et muet. De temps à autre, il caressait
les plumes tachées et collées les unes aux autres, ou encore, il redressait l’aile qui pendait, inutile.
Dans son cœur, il savait bien ce qui était en train de se passer.
Le souffle de M. Perceval était si faible et si rapide, son corps et son cou s’affaissaient. Ses
yeux demeuraient clos pendant de longs moments, puis, tout d’un coup, il les ouvrait brusquement,
vifs, agités. Il claquait alors du bec doucement, dans une sorte de pauvre petit sourire, avant de
somnoler à nouveau.
- Monsieur Perceval, chuchota Tempête, tu es le meilleur ami que j’aie jamais eu.
Vint l’heure du thé. Le soleil descendit, et de longues ombres surgissent des creux. Un
moment, les sommets des grandes dunes prirent des reflets d’or dans le lumière du soir. Et puis,
leurs couleurs passèrent et ce fut la nuit. Tanière n’alluma pas la lanterne. Ils restèrent tous les trois
devant le poêle, Tanière, Tempête et M. Perceval, tandis que l’obscurité envahissait le cahute et que
les étoiles s’allumaient claires et pures comme la glace.
Et à neuf heures, M. Perceval mourut.
Alors seulement, Tanière se mit à bouger. Ils se leva doucement, et gentiment, très
gentiment, il prit M. Perceval des bras de Tempête. Et Tempête le laissa faire, puis se jeta sur sa
couchette et sanglota sans bruit, pour lui tout seul, une heure après l’autre, jusqu’à ce que Tanière
s’approche et lui mette la main sur l’épaule.
- Tu as raison de pleurer M. Perceval un moment, dit-il avec tendresse et fermeté. Mais il ne faut
pas s’abîmer dans le chagrin.
- Mais p… pourquoi ont-ils tué M… M. Perceval . Il ne faisait de mal à personne ; sim… simplement,
il prévenait les canards, comme toujours.
- Dans le monde, dit tristement Tanière, il y aura toujours des hommes cruels, de même qu’il y aura
toujours des hommes paresseux ou stupides, des hommes sages ou bons. Aujourd’hui, tu as vu ce
que les hommes cruels et stupides pouvaient faire.
Il tira une couverture sur Tempête et dit doucement :
- Maintenant, il faut dormir.
Mais Tempête ne dormit pas. Toute la nuit, il serra contre lui son oreiller froid et mouillé.

Le lendemain matin, tanière parla à Tempête :


- Les marins veulent mettre M. Perceval au musée, avec une pancarte pour raconter comment il
leur a sauvé la vie – et comment il a perdu la sienne. Est-ce que tu aimerais cela ?
Tempête secoua la tête.
- M. Perceval n’aurait pas aimé ça. Il n’aurait pas aimé qu’on l’enferme dans une boîte de verre pour
que des gens le regardent. Certainement pas. Jamais !
Et il pris une bêche et grimpa en haut de la grande dune près du poste d’observation.
- M. Perceval aurait voulu être enterré ici, dit-il, au pied du poste d’observation. C’est là qu’il doit
être pour toujours.
Et il commença à creuser. Tanière acquiesça. Puis il prit une pelle pour l’aider.
Et ainsi, ils enterrèrent profond M. Perceval, près du poste d’observation, en haut de la dune
dorée, avec la plage en dessous, le sable brillant et le battement salé de la mer, jour après nuit, nuit
après jour. Et tout autour, il y avait le ciel immense, la saveur du grand air et le vent sauvage et
solitaire dans les buissons.
Lorsqu’ils eurent terminé, tempête demeura un long moment à regarder silencieusement
autour de lui. Puis il se tourna vers Tanière.
- Bon, dit-il, maintenant, je suis prêt à partir si tu veux.
- Partir ? Où ?
- A l’école ! Comme l’on dit les marins.
Oh ! Oh, oui… très bien, bon.
Tanière savait que Tempête ne pouvait plus vivre ici sans M. Perceval. Du moins, pas pour le
moment.
Ensemble, ils descendirent la dune jusqu’à la cahute.
- Nous laisserons le bateau à Goolwa, dit Tanière, j’irai avec toi à Adélaïde pour t’installer.

Et c’est ainsi que Tempête alla à l’école. Tanière revint à la cahute au bord du Coorong pour
commencer la longue, l’interminable attente des vacances scolaires. On peut l’y voir, maintenant.
Dans la journée, l’Osseux vient parfois lui parler. Mais la nuit, il se tient seul près du poteau
d’observation et il fixe la mer et les nuages des Tempêtes de l’Ouest. Et à plus de cent kilomètres
de là, à Adélaïde, Tempête s’assied à la fenêtre de sa pension, et regarde les arbres qui remuent
dans le ciel agité par le vent.
Et dans leur cœur, tout continue à vivre… ce que dit le vent, ce que disent les vagues, les
gribouillis sur le sable ; le Coorong, l’odeur salée de la plage, la cahute, et les longues journées de
bonheur ensemble. Et toujours, au-dessus d’eux, il leur semble voir la forme de deux ailes traverser
les nuages d’orage ; deux grandes ailes blanches bordées de noir qui s’estompent et
s’évanouissent dans le ciel.

Les oiseaux comme M. Perceval ne meurent pas vraiment.

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