Guide_Art_8_FRA
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de la Convention européenne
des droits de l’homme
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Le présent guide a été préparé sous l’autorité du jurisconsulte et ne lie pas la Cour. Il peut subir des retouches
de forme.
Le texte original de ce guide est en anglais. Ce guide fait l’objet de mises à jour régulières dont la plus récente
date du 31 août 2020.
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© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme, 2020
Intérêts matériels................................................................................................................ 90
Droit de refuser de témoigner ............................................................................................ 91
Avis au lecteur
Le présent guide fait partie de la série des Guides sur la jurisprudence publiée par la Cour
européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour », « la Cour européenne » ou « la Cour de
Strasbourg »), dans le but d’informer les praticiens du droit sur les arrêts et décisions fondamentaux
rendus par celle-ci. En l’occurrence, ce guide analyse et résume la jurisprudence relative à l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la Convention » ou « la Convention
européenne »). Le lecteur y trouvera les principes-clés élaborés en la matière ainsi que les
précédents pertinents.
La jurisprudence citée a été choisie parmi les arrêts et décisions de principe, importants, et/ou
récents*.
Les arrêts et décisions de la Cour tranchent non seulement les affaires dont elle est saisie, mais
servent aussi plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention ; ils
contribuent ainsi au respect, par les États, des engagements qu’ils ont pris en leur qualité de Parties
contractantes (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 154, série A no 25, et, récemment,
Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 109, CEDH 2016).
Le système mis en place par la Convention a ainsi pour finalité de trancher, dans l’intérêt général,
des questions qui relèvent de l’ordre public, en élevant les normes de protection des droits de
l’homme et en élargissant la jurisprudence dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des
États parties à la Convention (Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 89, CEDH 2012). En
effet, la Cour a souligné le rôle de la Convention en tant qu’« instrument constitutionnel de l’ordre
public européen » dans le domaine des droits de l’homme (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret
Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 156, CEDH 2005-VI).
Ce guide comporte la référence des mots-clés pour chaque article cité de la Convention ou de ses
Protocoles additionnels. Les questions juridiques traitées dans chaque affaire sont synthétisées dans
une Liste de mots-clés, provenant d’un thésaurus qui contient des termes directement extraits (pour
la plupart) du texte de la Convention et de ses Protocoles.
La base de données HUDOC de la jurisprudence de la Cour permet de rechercher par mots-clés. Ainsi
la recherche avec ces mots-clés vous permettra de trouver un groupe de documents avec un
contenu juridique similaire (le raisonnement et les conclusions de la Cour de chaque affaire sont
résumés par des mots-clés). Les mots-clés pour chaque affaire sont disponibles dans la Fiche
détaillée du document. Vous trouverez toutes les explications nécessaires dans le manuel
d’utilisation HUDOC.
* La jurisprudence citée peut être dans l’une et/ou l’autre des deux langues officielles (français et anglais) de
la Cour et de la Commission européennes des droits de l’homme. Sauf mention particulière indiquée après le
nom de l’affaire, la référence citée est celle d’un arrêt sur le fond rendu par une chambre de la Cour. La
mention « (déc.) » renvoie à une décision de la Cour et la mention « [GC] » signifie que l’affaire a été examinée
par la Grande Chambre. Les arrêts de chambre non définitifs à la date de la présente mise à jour sont signalés
par un astérisque (*).
I. La structure de l’article 8
Article 8 de la Convention – Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que
cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou
de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Mots-clés HUDOC
Expulsion (8) – Extradition (8) – Obligations positives (8)
Respect de la vie privée (8-1) –Respect de la vie familiale (8-1) – Respect du domicile (8-1) – Respect
de la correspondance (8-1)
Autorité publique (8-2) – Ingérence (8-2) – Prévue par la loi (8-2) – Accessibilité (8-2) – Prévisibilité
(8-2) – Garanties contre les abus (8-2) – Nécessaire dans une société démocratique (8-2) – Sécurité
nationale (8-2) – Sûreté publique (8-2) – Bien-être économique du pays (8-2) – Défense de l’ordre
(8-2) – Prévention des infractions pénales (8-2) – Protection de la santé (8-2) – Protection de la morale
(82) – Protection des droits et libertés d’autrui (8-2)
1. Un requérant qui entend se prévaloir de l’article 8 doit démontrer que son grief relève de l’un au
moins des quatre intérêts énumérés dans cette disposition, à savoir la vie privée, la vie familiale, le
domicile et la correspondance, certaines questions pouvant bien entendu en concerner plusieurs. Il
s’agira donc pour la Cour de déterminer tout d’abord si le grief du requérant relève du champ
d’application de l’article 8 et d’examiner ensuite s’il y a eu ingérence dans l’exercice par l’intéressé
du droit protégé par cette disposition ou si les obligations positives de l’État de protéger ce droit se
trouvent en jeu. Le paragraphe 2 de l’article 8 définit sous quelles conditions il peut y avoir
ingérence de l’État dans la jouissance du droit garanti : pareille ingérence doit être nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d’autrui. Les restrictions ne sont autorisées que si elles sont « prévues par la
loi » et « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre les buts exposés ci-dessus.
Pour apprécier le critère de la nécessité dans une société démocratique, la Cour doit souvent mettre
en balance les intérêts du requérant protégés par l’article 8 et les intérêts de tiers garantis par
d’autres dispositions de la Convention ou de ses Protocoles.
A. La portée de l’article 8
2. L’article 8 englobe le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la
correspondance. En général, la Cour a défini de manière large le champ d’application de l’article 8,
même lorsqu’un droit particulier n’y est pas expressément énoncé. Le champ d’application de
chacun de ces quatre droits sera traité de manière plus détaillée ci-dessous.
3. Dans certains cas, les quatre intérêts énumérés dans l’article 8 peuvent se recouper et ils seront
mentionnés dans plusieurs des quatre chapitres.
L’affaire doit-elle être examinée sous l’angle des obligations négatives de l’État ou sous celui de ses
obligations positives ?
4. L’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires d’une
autorité publique dans l’exercice par lui de son droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance (Libert c. France, §§ 40-42). Il s’agit d’une obligation négative
classique, décrite par la Cour comme étant l’objet essentiel de l’article 8 (Kroon et autres c. Pays-Bas,
§ 31). Mais les États membres ont également l’obligation positive de garantir que les droits
découlant de l’article 8 sont respectés, même entre des parties privées (Bărbulescu c. Roumanie
[GC], §§ 108-111 concernant les actes d’un employeur privé). En particulier, si l’article 8 tend pour
l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se
contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt
négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée
(Lozovyye c. Russie, § 36). Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie
privée, jusque dans les relations des individus entre eux (voir, par exemple, Evans c. Royaume-Uni
[GC], § 75, même si le principe a d’abord été établi dans l’arrêt rendu dans l’affaire Marckx
c. Belgique).
5. Les principes applicables à l’appréciation des obligations positives incombant à un État au titre de
la Convention sont comparables à ceux régissant l’appréciation de ses obligations négatives. Dans les
deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts
antagoniques de l’individu concerné, les objectifs visés au paragraphe 2 de l’article 8 jouant un
certain rôle (Hämäläinen c. Finlande [GC], § 65 ; Gaskin c. Royaume-Uni, § 42 ; Roche c. Royaume-Uni
[GC], § 157). Lorsque l’affaire dont elle est saisie concerne une obligation négative, la Cour doit
vérifier si l’ingérence était conforme aux exigences de l’article 8 § 2, à savoir si elle était prévue par
la loi, si elle poursuivait un but légitime et si elle était nécessaire dans une société démocratique.
Cette question sera analysée de manière plus détaillée ci-dessous.
6. Lorsque l’affaire concerne une obligation positive, la Cour examine si l’importance de l’intérêt en
jeu exige l’imposition de l’obligation positive demandée par le requérant. Elle a ainsi jugé une série
d’éléments pertinents pour l’appréciation du contenu des obligations positives incombant aux États.
Certains de ces éléments concernent le requérant, par exemple l’importance de l’intérêt en jeu ou la
mise en cause de « valeurs fondamentales » ou d’« aspects essentiels » de sa vie privée, ainsi que
l’impact sur l’intéressé d’un conflit entre la réalité sociale et le droit, la cohérence des pratiques
administratives et juridiques dans l’ordre interne revêtant une grande importance pour
l’appréciation à effectuer sous l’angle de l’article 8. D’autres éléments concernent l’impact sur l’État
en cause de l’obligation positive alléguée, par exemple le caractère ample et indéterminé, ou étroit
et défini, de cette obligation (Hämäläinen c. Finlande [GC], § 66).
7. Comme dans le cas des obligations négatives, les États jouissent d’une certaine marge
d’appréciation dans la mise en œuvre des obligations positives qui leur incombent au titre de
l’article 8. Pour déterminer l’ampleur de cette marge, il y a lieu de prendre en compte un certain
nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un
individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est restreinte (voir, par exemple, X et Y
c. Pays-Bas, §§ 24 et 27 ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], § 90 ; Pretty c. Royaume-Uni,
§ 71). En revanche, la marge d’appréciation est plus large lorsqu’il n’existe pas de consensus entre
les États membres du Conseil de l’Europe sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les
meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou
éthiques délicates (X, Y et Z c. Royaume-Uni, § 44 ; Fretté c. France, § 41 ; Christine Goodwin
c. Royaume-Uni [GC], § 85). La marge d’appréciation est d’une façon générale également ample
lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents
ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit (Fretté c. France,
§ 42 ; Odièvre c. France [GC], §§ 44-49 ; Evans c. Royaume-Uni [GC], § 77 ; Dickson c. Royaume-Uni
[GC], § 78 ; S.H. et autres c. Autriche [GC], § 94).
8. Si le choix des moyens d’assurer le respect de l’article 8 dans le domaine de la protection contre
les actes d’individus relève en principe de la marge d’appréciation de l’État, une dissuasion effective
contre des actes graves qui mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la
vie privée appelle des dispositions pénales efficaces. Ainsi, les États ont l’obligation positive,
inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale qui
sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de
poursuites effectives (M.C. c. Bulgarie). Les enfants et autres personnes vulnérables, en particulier,
doivent bénéficier d’une protection effective (X et Y c. Pays-Bas, §§ 23-24 et 27 ; August
c. Royaume-Uni (déc.) ; M.C. c. Bulgarie, § 150). À cet égard, la Cour a dit, par exemple, que l’État a
l’obligation de protéger un mineur contre la diffamation (K.U. c. Finlande, §§ 45-49). Elle a
également qualifié d’actes graves constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine une intrusion au
domicile de la requérante, au cours de laquelle des personnes avaient pénétré dans son
appartement sans y être autorisées pour y installer des micros et des caméras cachées,
l’enregistrement secret, toujours à son domicile, d’images révélant les aspects les plus intimes de sa
vie privée et la diffusion au public de ces images, constitutifs d’une atteinte grave, flagrante et
extraordinairement intense à sa vie privée, ainsi que la lettre la menaçant d’humiliation publique. La
Cour a de surcroît relevé que la requérante était une journaliste connue et qu’il existait un lien
plausible entre son activité professionnelle et ces intrusions qui avaient pour but de la faire taire
(Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan, § 116).
9. L’obligation positive qui incombe à l’État en vertu de l’article 8 de protéger l’intégrité physique de
l’individu peut s’étendre aux questions touchant à l’effectivité d’une enquête pénale (Osman
c. Royaume-Uni, § 128 ; M.C. c. Bulgarie, § 150 ; Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan, § 117). Dans cette
dernière affaire, la Cour a jugé que lorsque l’ingérence au sens de l’article 8 prend la forme d’un
comportement menaçant à l’égard d’une journaliste d’investigation très critique à l’égard du
gouvernement, il est de la plus haute importance que les autorités enquêtent pour rechercher si la
menace était liée à l’activité professionnelle de la requérante et déterminer qui en était l’auteur
(Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan, §§ 119-120).
10. Pour ce qui est des actes interindividuels de moindre gravité susceptibles de porter atteinte à
l’intégrité morale, en revanche, l’obligation qui incombe à l’État, au titre de l’article 8, de mettre en
place et d’appliquer en pratique un cadre juridique adapté offrant une protection n’implique pas
toujours l’adoption de dispositions pénales efficaces visant les différents actes pouvant être en
cause. Le cadre juridique peut aussi consister en des recours civils aptes à fournir une protection
suffisante (ibidem, § 47 ; X et Y c. Pays-Bas, §§ 24 et 27 ; Söderman c. Suède [GC], § 85 ; Tolić et
autres c. Croatie (déc.), §§ 94-95 et § 99). Par ailleurs, les articles 2 et 8 font peser sur les États
membres un certain nombre d’obligations positives en matière de droit à la santé (Vasileva
c. Bulgarie, §§ 63-69 ; İbrahim Keskin c. Turquie, § 61).
11. En somme, les obligations positives des États découlant de l’article 8 qui comportent le devoir
pour les autorités de mettre en place des mécanismes effectifs d’enquête et de poursuites relevant
du droit pénal entrent en jeu lorsque les allégations portent sur des actes de violence graves infligés
par des particuliers. Seules des lacunes importantes dans l’application des mécanismes pertinents
peuvent néanmoins emporter violation des obligations positives découlant pour l’État de cette
disposition. La Cour n’est donc pas appelée à se prononcer sur les allégations d’erreurs ou
d’omissions particulières ; elle ne saurait se substituer aux autorités internes dans l’appréciation des
faits de la cause ; elle ne saurait pas non plus statuer sur la responsabilité pénale des agresseurs
présumés (B.V. et autres c. Croatie (déc.), § 151). La Cour a ainsi conclu, s’agissant de relations entre
particuliers, que l’article 8 exigeait la mise en place de mécanismes effectifs de droit pénal dans des
affaires qui concernaient des abus sexuels perpétrés sur une personne atteinte de handicaps
mentaux, une agression physique, des coups infligés par un homme adulte à un enfant âgé de treize
ans qui avait en conséquence souffert de multiples blessures physiques, des coups portés à une
femme lui ayant occasionné plusieurs blessures à la tête et ayant nécessité son hospitalisation, ainsi
que des faits de violences domestiques graves (ibidem, § 154, et les références qui y sont citées)
Pour ce qui est des actes interindividuels de moindre gravité susceptibles de porter atteinte à
l’intégrité morale, en revanche, l’obligation qui incombe à l’État, au titre de l’article 8, de mettre en
place et d’appliquer en pratique un cadre juridique adapté offrant une protection, n’implique pas
toujours l’adoption de dispositions pénales efficaces visant les différents actes pouvant être en
cause. Le cadre juridique peut aussi consister en des recours civils aptes à fournir une protection
suffisante (Noveski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (déc.), § 61).
12. La Cour a également précisé quelles obligations procédurales découlant de l’article 8 sont
particulièrement pertinentes pour déterminer la marge d’appréciation accordée à l’État membre.
Son analyse se fonde sur les considérations suivantes : chaque fois que les autorités nationales se
voient reconnaître une marge d’appréciation susceptible de porter atteinte au respect d’un droit
protégé par la Convention, il convient d’examiner les garanties procédurales dont dispose l’individu
pour déterminer si l’État défendeur n’a pas fixé le cadre réglementaire en outrepassant les limites de
son pouvoir discrétionnaire. Selon la jurisprudence constante de la Cour, même si l’article 8 ne
renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant
sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts de l’individu
protégés par l’article 8 (Buckley c. Royaume-Uni, § 76 ; Tanda-Muzinga c. France, § 68 ; M.S.
c. Ukraine, § 70). Il faut, en particulier, que le requérant soit associé à ce processus (Lazoriva
c. Ukraine, § 63).
13. Dans certains cas, lorsque les principes applicables sont similaires, la Cour estime qu’il n’est pas
nécessaire de déterminer si la décision interne attaquée constitue une « ingérence » dans l’exercice
du droit au respect de la vie privée ou familiale, ou si elle doit être examinée sous l’angle du
non-respect par l’État défendeur d’une obligation positive lui incombant (Nunez c. Norvège, § 69 ;
Osman c. Danemark, § 53 ; Konstatinov c. Pays-Bas, § 47).
22. Elle a par exemple considéré que des mesures en matière d’immigration peuvent être justifiées
par la défense du bien-être économique du pays, au sens du paragraphe 2 de l’article 8, plutôt que
par celle de l’ordre s’il s’agit, en raison de la densité de la population, de régulariser le marché du
travail (Berrehab c. Pays-Bas, § 26). Elle a également jugé que la défense du bien-être économique
du pays et la protection des droits et libertés d’autrui constituaient des buts légitimes de grands
projets gouvernementaux, tels que l’agrandissement d’un aéroport (Hatton et autres
c. Royaume-Uni [GC], § 121 – pour ce qui est de la préservation d’une forêt et de l’environnement
ainsi que de la protection des « droits et libertés d’autrui », Kaminskas c. Lituanie, § 51).
23. Concernant l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, la Cour a pris en compte
le fait que l’État défendeur considérait que le visage jouait un rôle important dans l’interaction
sociale et elle a donc admis que la clôture qu’opposait aux autres le voile cachant le visage fût
perçue par l’État défendeur comme portant atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de
sociabilité facilitant la vie ensemble (S.A.S. c. France [GC], § 122).
24. Dans l’affaire Toma c. Roumanie, elle a toutefois observé que le Gouvernement n’avait fourni
aucune indication quant à la justification de l’autorisation accordée à des journalistes de publier des
images d’une personne prises au moment de son arrestation, alors qu’aucun motif de sûreté
publique ne l’exigeait (§ 92). Dans l’affaire Aliyev c. Azerbaïdjan, elle a estimé que la perquisition du
domicile et du bureau du requérant et les saisies qui en étaient résultées ne poursuivaient aucun des
buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2 (§§ 183-188).
25. Dans certaines affaires, la Cour a jugé que la mesure litigieuse était dépourvue de toute base
rationnelle ou de tout lien avec l’un des buts légitimes prévus à l’article 8 § 2, ce qui était en soi
suffisant pour constater une violation de cette disposition. Elle a toutefois considéré que l’ingérence
soulevait un problème si grave de proportionnalité par rapport à un but légitime, quel qu’il soit,
qu’elle a décidé d’examiner également cet aspect (Mozer c. République de Moldova et Russie [GC],
§§ 194-196; P.T. c. République de Moldova, §§ 30-33).
c. Pologne, § 212). La Cour a rappelé dans l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie ([GC], §§ 179-184)
les principes directeurs concernant la marge d’appréciation.
28. Concernant les mesures générales adoptées par un gouvernement national, il ressort de la
jurisprudence de la Cour que, pour déterminer la proportionnalité d’une mesure générale, la Cour
doit commencer par étudier les choix législatifs à l’origine de la mesure. La qualité de l’examen
parlementaire et judiciaire de la nécessité de la mesure réalisé au niveau national revêt une
importance particulière à cet égard, y compris pour ce qui est de l’application de la marge
d’appréciation pertinente. Il convient d’examiner les garanties procédurales dont dispose l’individu
pour déterminer si l’État défendeur n’a pas fixé le cadre réglementaire en outrepassant sa marge
d’appréciation. En particulier, la Cour doit rechercher si le processus décisionnel ayant débouché sur
des mesures d’ingérence était équitable et respectait comme il se doit les intérêts de l’individu
protégés par l’article 8 (A.-M.V. c. Finlande, §§ 82-84).
1
Voir le Guide sur l’article 2 (droit à la vie).
2
Voir le guide sur l’article 3 (interdiction de la torture) – actuellement en cours d’élaboration.
l’article 8, pareille interdiction doit toutefois être mise en œuvre au moyen de mesures
proportionnées afin que la protection soit concrète et effective, et non pas seulement théorique
(Wetjen et autres c. Allemagne, §§ 77-78 ; Tlapak et autres c. Allemagne, §§ 90-91).
32. La Cour a également considéré que lorsqu’une mesure ne relève pas des traitements interdits
par l’article 3, elle peut malgré tout tomber sous le coup de l’article 8 (Wainwright c. Royaume-Uni,
§ 43, en ce qui concerne les fouilles à corps). En particulier, l’article 8 peut parfois octroyer une
protection s’agissant de conditions de détention n’atteignant pas la gravité requise par l’article 3
(Raninen c. Finlande, § 63). Dans des affaires où l’absence d’une séparation suffisante entre les
sanitaires et le reste de la cellule n’était que l’un des éléments déterminant de mauvaises conditions
de détention, la Cour a souvent conclu à une violation de l’article 3 de la Convention (Szafrański
c. Pologne, §§ 24 et 38). En revanche, dans l’affaire Szafrański c. Pologne, elle a jugé que le fait pour
le requérant de devoir utiliser les toilettes en présence d’autres détenus avait privé celui-ci dans sa
vie quotidienne du degré minimum d’intimité et que les autorités nationales avaient ainsi manqué à
leur obligation positive à cet égard en violation de l’article 8 (§§ 39-41).
33. De même, bien que le droit à la santé ne figure pas en tant que tel parmi les droits garantis par
la Convention ou ses Protocoles, les États membres ont dans ce domaine un certain nombre
d’obligations positives découlant des articles 2 et 8. Ils doivent, d’une part, mettre en place une
réglementation obligeant les hôpitaux publics et privés à adopter des mesures appropriées pour
protéger l’intégrité physique de leurs patients et, d’autre part, mettre à la disposition des victimes
de négligences médicales une procédure apte à leur procurer, le cas échéant, une indemnisation de
leur préjudice. Pareilles obligations découlent de l’article 8 lorsqu’il s’agit d’atteintes à l’intégrité
physique ne mettant pas en cause le droit à la vie tel que garanti par l’article 2 (Vasileva c. Bulgarie,
§§ 63-69 ; İbrahim Keskin c. Turquie, § 61 ; et Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, §§ 92-94).
34. L’obligation procédurale de mener une enquête effective sur des violations alléguées du droit à
la vie, qui découle de l’article 2, peut entrer en conflit avec certaines obligations que l’article 8 fait
peser sur l’État (Solska et Rybicka c. Pologne, §§ 118-119). Les autorités nationales sont tenues de
ménager un juste équilibre entres les exigences relatives à une enquête effective qui découlent de
l’article 2, d’une part, et la protection du droit au respect de la vie privée et familiale (garanti par
l’article 8) des personnes concernées par l’enquête, d’autre part (§ 121). L’affaire Solska et Rybicka
c. Pologne concernait l’exhumation, dans le cadre d’un procès pénal, des restes de personnes
défuntes contre la volonté de leurs familles. Le droit polonais ne prévoyait pas de mécanisme
permettant de contrôler la proportionnalité de l’ordre d’exhumation. En conséquence, la Cour a
estimé que l’ingérence n’était pas « prévue par la loi » et s’analysait donc en une violation de
l’article 8 (§§ 126-128).
3
Voir les Guides sur l’article 6 (droit à un procès équitable) – volet civil et volet pénal.
4
Voir le Guide sur l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion).
philosophiques personnelles peut faire entrer en jeu l’article 8 de la Convention car pareilles
convictions concernent certains des aspects les plus intimes de la vie privée (Folgerø et autres
c. Norvège [GC], § 98, où elle a considéré que le fait d’obliger des parents à communiquer à l’école
des renseignements détaillés sur leurs convictions religieuses et philosophiques pouvait entraîner
une violation de l’article 8, même si en l’espèce les parents n’étaient pas soumis à pareille
obligation).
5
Voir le Guide sur l’article 10 (liberté d’expression).
6
Voir le Guide sur l’article 14 (interdiction de la discrimination).
c. Autriche, § 36, où après son divorce la requérante s’était vu refuser la garde de ses deux enfants
en raison de son appartenance aux témoins de Jéhovah).
53. Dans une affaire où la police n’avait pas protégé les habitants roms d’un village du saccage
planifié de leurs domiciles par une foule animée de sentiments anti-Roms, la Cour a conclu à la
violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 (Burlya et autres c. Ukraine, §§ 169-170).
54. La Cour a également conclu à la violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 dans une affaire
où les détenus condamnés avaient droit à des visites courtes d’une durée de quatre heures ainsi
qu’à des visites longues de plusieurs jours, alors que les personnes placées en détention provisoire
ne pouvaient pas se voir accorder de visites longues et n’avaient droit qu’à des visites courtes d’une
durée limitée à trois heures (Chaldayev c. Russie, §§ 69-83).
55. Dans l’affaire Cînța c. Roumanie, les juridictions nationales avaient appliqué des restrictions au
droit de visite du requérant à l’égard de sa fille. La Cour a conclu à la violation de l’article 14 combiné
avec l’article 8 au motif que les tribunaux avaient fondé leurs décisions sur la santé mentale de
l’intéressé sans avoir évalué l’impact de celle-ci sur ses aptitudes parentales ou sur la sécurité de
l’enfant.
Domicile et correspondance
7
Voir le Guide sur l’article 2 (droit à la vie).
8
Voir le Guide sur l’article 10 (liberté d’expression).
9
Voir le Guide sur l’article 13 (droit à un recours effectif).
références à l’arrêt Roman Zakharov c. Russie [GC]). Dans le domaine des mesures de surveillance
secrète, où les abus sont potentiellement si aisés dans des cas individuels et pourraient entraîner
des conséquences préjudiciables pour la société démocratique tout entière, il est en principe
souhaitable que le contrôle soit confié à un juge, car le pouvoir judiciaire offre les meilleures
garanties d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière (Roman Zakharov c. Russie [GC],
§ 233 ; İrfan Güzel c. Turquie, § 96). Il est souhaitable d’aviser la personne concernée après la levée
des mesures de surveillance dès que la notification peut être donnée sans compromettre le but de la
restriction (Roman Zakharov c. Russie [GC], §§ 287 et suiv. ; İrfan Güzel c. Turquie, § 98). Pour
donner à l’intéressé le moyen de contester la décision servant de fondement à l’interception de ses
communications, il est nécessaire de lui fournir un minimum d’informations sur ladite décision, par
exemple sa date d’adoption et l’autorité dont elle émane (Roman Zakharov c. Russie [GC], §§ 291 et
suiv. ; İrfan Güzel c. Turquie, § 105). Enfin, un « recours effectif » au sens de l’article 13 en matière
de surveillance secrète doit s’entendre d’un « recours aussi effectif qu’il peut l’être eu égard à sa
portée limitée, inhérente à tout système de surveillance » (İrfan Güzel c. Turquie, § 99).
10
Voir le Guide sur l’article 14 (interdiction de la discrimination).
11
Voir également La correspondance des détenus.
12
Voir le Guide pratique sur la recevabilité.
13
Voir le Guide sur l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété).
14
Voir le chapitre sur les Questions environnementales.
71. Dans l’affaire Vučina c. Croatie (déc.), un magazine avait publié une photographie de la
requérante et lui avait attribué par erreur l’identité de l’épouse du maire. La Cour a déclaré la
requête irrecevable ratione materiae. Même si elle a admis que la légende erronée qui
accompagnait la photographie de l’intéressée pouvait avoir été source pour celle-ci d’un certain
désarroi, elle a estimé que le degré de gravité de cette erreur et le désagrément qui en est résulté ne
pouvaient être considérés comme posant problème au regard de l’article 8, que ce soit en termes de
droit à l’image ou en termes de droit à l’honneur et à la réputation (§§ 42-51).
72. Dans le cas de l’accès d’une personne handicapée à une plage privée, la Cour a jugé que le droit
revendiqué concernait des relations interpersonnelles d’un contenu si ample et indéterminé
qu’aucun lien direct entre les mesures exigées de l’État pour remédier aux omissions des
établissements de bains privés et la vie privée de l’intéressé n’était envisageable et, partant, elle a
conclu que l’article 8 ne s’appliquait pas (Botta c. Italie, § 35).
73. La Cour a également considéré que l’article 8 n’entrait pas en jeu dans une affaire concernant
une condamnation pour abus de fonction au motif que l’infraction en question n’avait pas de lien
évident avec le droit au respect de la « vie privée », mais qu’elle concernait au contraire des actes et
omissions d’ordre professionnel commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs tâches. Par
ailleurs, dans l’affaire en question le requérant n’avait mis en évidence aucune retombée concrète
sur sa vie privée avec laquelle sa condamnation pour l’infraction en question aurait présenté un lien
de causalité direct (Gillberg c. Suède [GC], § 70 ; voir aussi Denisov c. Ukraine [GC], §§ 115-117). En
revanche, dans le cas d’un enquêteur de police qui avait été reconnu coupable de prévarication pour
avoir demandé et obtenu des pots-de-vin en échange de l’abandon de poursuites pénales et qui,
après avoir purgé sa peine, avait sollicité son inscription sur la liste des avocats stagiaires, la Cour a
estimé que les restrictions apportées à l’inscription d’une personne auprès d’un ordre professionnel,
qui peuvent dans une certaine mesure nuire à la capacité de celle-ci à développer des relations avec
le monde extérieur, relèvent de la sphère de sa vie privée (Jankauskas c. Lituanie (no 2), §§ 57-58).
74. Dans l’affaire Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], le requérant avait été grièvement blessé
au cours d’un accident de la route. La Grande Chambre a toutefois jugé que les blessures subies par
lui ne soulevaient aucun problème relatif à sa vie privée au sens de l’article 8 en ce qu’elles avaient
trouvé leur origine dans le fait qu’il s’était volontairement livré à une activité qui s’était déroulée en
public et que le risque de préjudice personnel grave était atténué par des règles de circulation qui
visaient à garantir la sécurité routière pour tous les usagers de la route. Par ailleurs, l’accident ne
s’était pas produit à la suite d’un acte de violence qui aurait été commis dans le but de porter
atteinte à l’intégrité physique et psychologique du requérant, et il ne pouvait pas non plus être
assimilé aux autres situations où la Cour avait conclu à l’applicabilité de l’obligation positive pouvant
incomber à l’État de protéger l’intégrité physique et psychologique des individus (§§ 125-132).
75. Dans l’affaire Ahunbay et autres c. Turquie (déc.), la Cour n’a pas reconnu un droit individuel
universel à la protection d’un héritage culturel particulier (§§ 24-25). Tout en se déclarant prête à
considérer qu’il existe une communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité de
protéger le droit d’accès à l’héritage culturel, elle a indiqué que cette protection vise généralement
les situations et des réglementations portant sur le droit des minorités de jouir librement de leur
propre culture ainsi que sur le droit des peuples autochtones de conserver, contrôler et protéger
leur héritage culturel. Dès lors, en l’état actuel du droit international, les droits liés à l’héritage
culturel paraissent intrinsèques aux statuts spécifiques des individus qui bénéficient, en d’autres
termes, à l’exercice des droits des minorités et des autochtones.
76. Dans l’affaire Denisov c. Ukraine [GC], la Cour a exposé l’importance du critère de la gravité de
l’ingérence incriminée pour déterminer si l’article 8 entre en jeu dans différents types d’affaires
(§§ 110-114). Dans certains contextes, l’applicabilité de l’article 8 a été appréciée sur la base d’un
critère de gravité (voir, par exemple, la jurisprudence pertinente sur les questions
environnementales, celle relative à l’atteinte à la réputation d’une personne, à un licenciement, à
une rétrogradation, au refus d’accès à une profession ou à d’autres mesures tout aussi défavorables
dans l’arrêt Denisov c. Ukraine [GC], §§ 111-112 et 115-117, et les références qui y sont citées (voir
aussi Polyakh et autres c. Ukraine, §§ 207-211 ; Vučina c. Croatie (déc.), §§ 44-50 ; Convertito et
autres c. Roumanie ; Platini c. Suisse (déc.)), ainsi que celle sur les actes ou décisions d’un particulier
dommageables pour l’intégrité physique ou morale d’une personne dans l’arrêt Nicolae Virgiliu
Tănase c. Roumanie [GC], § 128, concernant un accident de la route, et sur une atteinte au bien-être
et à la dignité de la personne dans l’arrêt Beizaras et Levickas c. Lituanie, §§ 109 et 117).
77. On ne saurait invoquer l’article 8 pour se plaindre d’un préjudice personnel, social, moral et
économique qui résulterait de manière prévisible de ses propres actions, tels une infraction pénale
ou tout autre comportement répréhensible (Denisov c. Ukraine [GC], § 98 ; Evers c. Allemagne, § 55).
78. Dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 8, l’importance de la vie privée et des valeurs
auxquelles elle se rapporte est généralement reconnue. Ces valeurs englobent, notamment, le
bien-être et la dignité (Beizaras et Levickas c. Lituanie, § 117), le développement de la personnalité
(Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], § 95), l’intégrité physique ou psychique (Söderman
c. Suède[GC], § 80), les relations de chaque individu avec ses semblables (Couderc et Hachette
Filipacchi Associés c. France [GC], § 83), ainsi que la protection des données à caractère personnel
(M.L. et W.W. c. Allemagne, § 87) ou de l’image d’une personne (Reklos et Davourlis c. Grèce, § 38).
79. Compte tenu des multiples questions que la vie privée englobe, les affaires relevant de cette
notion ont été regroupées en trois grandes catégories (qui se recoupent parfois) aux fins d’une
classification, à savoir i) l’intégrité physique, psychologique et morale d’une personne, ii) sa vie
privée et iii) son identité et son automonie. Chaque catégorie sera examinée de manière plus
détaillée ci-dessous.
15
Voir le chapitre sur La correspondance des particuliers, professionnels, et sociétés.
le milieu du football (la seule source de revenus qu’il avait eue pendant toute sa vie) et que la
sanction incriminée pouvait avoir un impact négatif sur la possibilité pour lui de nouer et développer
des relations sociales avec autrui, ainsi que sur sa réputation. Elle a toutefois constaté que le
requérant disposait en l’espèce de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes, soit un
système de juridictions privée (TAS) et étatique (Tribunal fédéral) devant lesquelles il avait pu faire
valoir ses griefs, et que celles-ci avaient procédé à une véritable pesée des intérêts pertinents en jeu
et répondu à tous les griefs du requérant dans le cadre de décisions dûment motivées. Elle en a
conclu, compte tenu notamment de la marge d’appréciation considérable dont jouissait l’État
défendeur en l’espèce, que la Suisse n’a pas manqué à ses obligations découlant de l’article 8 de la
Convention.
87. Dans l’affaire Convertito et autres c. Roumanie, la Cour, citant l’arrêt Denisov c. Ukraine [GC], a
jugé l’article 8 applicable à l’annulation de diplômes universitaires pour des irrégularités
administratives lors de la procédure d’inscription en première année (§ 29). Elle a estimé que
l’annulation de leurs diplômes, pour l’obtention desquels ils avaient étudié pendant six ans, avait eu
des conséquences non seulement sur la façon dont les requérants avaient forgé leur identité sociale
par le développement de relations avec autrui, mais aussi sur leur vie professionnelle dans la mesure
où leur niveau de qualification avait été remis en cause et leur intention d’entreprendre la carrière
qu’ils envisageaient avait été brusquement frustrée.
88. Les communications émanant de locaux professionnels peuvent aussi se trouver comprises dans
les notions de « Vie privée » et de « Correspondance » visées à l’article 8 (Bărbulescu c. Roumanie
[GC], § 73 ; Libert c. France, §§ 23-25, et la jurisprudence qui y est citée), de même que le stockage
de données privées sur les ordinateurs professionnels des salariés (ibidem, § 25). Afin de déterminer
si ces notions sont applicables, la Cour a en plusieurs occasions recherché si l’individu pouvait
raisonnablement s’attendre à ce que sa vie privée soit protégée et respectée. Dans ce contexte, elle
a indiqué que l’attente raisonnable en matière de protection et de respect de la vie privée était un
critère important, mais pas nécessairement décisif. Il est intéressant de relever que dans Bărbulescu
c. Roumanie [GC], la Cour a choisi de ne pas répondre à la question de l’attente raisonnable du
requérant en matière de vie privée parce qu’en tout état de cause, « les instructions d’un employeur
ne peuvent pas réduire à néant l’exercice de la vie privée sociale sur le lieu de travail. Le respect de
la vie privée et de la confidentialité des communications continue à s’imposer, même si ces
dernières peuvent être limitées dans la mesure du nécessaire ». Elle a donc conclu à l’applicabilité de
l’article 8. En somme, indépendamment de l’attente raisonnable que l’individu peut avoir en matière
de vie privée, les communications sur le lieu de travail sont couvertes par les notions de vie privée et
de correspondance (§ 80). Dans cette affaire, la Cour a établi une liste détaillée de facteurs
concernant l’obligation positive que l’article 8 de la Convention fait peser sur les États en matière de
communications non professionnelles sur le lieu de travail (§§ 121-122)16. Dans l’affaire Libert
c. France, qui portait sur l’ouverture par un employeur public, à l’insu du salarié concerné et en son
absence, de fichiers personnels stockés sur un ordinateur professionnel, la Cour a jugé que les
autorités nationales n’avaient pas outrepassé leur marge d’appréciation et s’étaient notamment
appuyées sur des directives claires contenues dans la charte informatique de l’employeur (§§ 52-53).
89. Par ailleurs, dans l’affaire Antović et Mirković c. Monténégro, la Cour a souligné que la
vidéosurveillance au travail, qu’elle soit secrète ou non, constitue en tant que telle une intrusion
considérable dans la « vie privée » du salarié (§ 44). Cette affaire concernait l’installation
d’équipements de vidéosurveillance dans des amphithéâtres universitaires. L’affaire López Ribalda et
autres c. Espagne [GC] portait sur la vidéosurveillance secrète d’employés tout au long de leur
journée de travail dans un supermarché. La Cour a jugé l’article 8 (« vie privée ») applicable en
l’espèce car même dans des espaces publics, la création d’un enregistrement systématique ou
permanent d’images de personnes identifiées et le traitement subséquent des images ainsi
16
Voir aussi Correspondance.
recueillies peuvent soulever des questions touchant à la vie privée des individus concernés (§ 93). La
Cour s’est appuyée sur les principes établis dans les arrêts Bărbulescu et Köpke pour énumérer les
éléments que les juridictions nationales doivent prendre en compte lorsqu’elles mettent en balance
les différents intérêts en jeu et apprécient la proportionnalité de mesures de vidéosurveillance
(§§ 116-117). Elle a estimé que le droit des requérants au respect de leur vie privée devait être mis
en balance avec l’intérêt de l’employeur à la préservation de ses droits patrimoniaux et que l’État
jouissait à cet égard d’une marge d’appréciation.
90. Toute procédure pénale emporte certaines conséquences sur la vie privée de l’auteur d’une
infraction. Celles-ci se concilient avec l’article 8 de la Convention dès lors qu’elles ne vont pas
au-delà des conséquences normales et inévitables en pareille situation (Jankauskas c. Lituanie (no 2),
§ 76). On ne saurait invoquer cette disposition pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui
résulterait de manière prévisible de ses propres actions, telle une infraction pénale (Sidabras et
Džiautas c. Lituanie, § 49). Ce principe vaut non seulement pour les infractions pénales mais aussi
pour les irrégularités d’une autre nature, qui engagent d’une certaine manière la responsabilité
juridique d’une personne et emportent des conséquences négatives prévisibles sur la « vie privée »
(Denisov c. Ukraine [GC], § 98, et la jurisprudence qui y est citée).
positive de protéger l’intégrité physique des individus au cours de leur service militaire obligatoire,
voir, par exemple, Demir c. Turquie, §§ 29-40, et la jurisprudence qui y est citée.
Victimes de violence
93. La Cour considère depuis longtemps qu’il incombe à l’État de protéger les individus contre les
violences exercées par des tiers. Cela vaut particulièrement dans les affaires concernant des enfants
et des victimes de violence domestique. Même si, en pareil cas, elle a souvent conclu à la violation
des articles 2 et 3, il lui arrive également d’appliquer l’article 8 au motif que les actes de violence
menacent l’intégrité physique et le droit au respect de la vie privée (Milićević c. Monténégro,
§§ 54-56 ; et E.S. et autres c. Slovaquie, § 44). En particulier, en vertu de l’article 8, les États ont
l’obligation de protéger l’intégrité physique et morale d’un individu face à autrui, y compris en cas
de cyberviolence du fait d’un partenaire intime (Buturugă c. Roumanie, §§ 74, 78-79). Ces
obligations positives peuvent comporter un devoir de mettre en place et d’appliquer en pratique un
cadre juridique adapté offrant une protection contre les actes de violence pouvant être commis par
des particuliers (Sandra Janković c. Croatie, § 45).
94. En ce qui concerne les enfants, qui sont particulièrement vulnérables, les dispositifs créés par
l’État pour les protéger contre des actes de violence tombant sous le coup de l’article 8 doivent être
efficaces et inclure des mesures raisonnables visant à empêcher les mauvais traitements dont les
autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance ainsi qu’une prévention efficace mettant les
enfants à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne (Z et autres
c. Royaume-Uni [GC], § 73 ; M.P. et autres c. Bulgarie, § 108 ; A et B c. Croatie, §§ 106-113). Pareilles
mesures doivent viser à garantir le respect de la dignité humaine et la protection de l’intérêt
supérieur de l’enfant (Pretty c. Royaume-Uni, § 65 ; C.A.S. et C.S. c. Roumanie, § 82). Dans l’affaire
Wetjen et autres c. Allemagne, la Cour a jugé que le risque de châtiments systématiques et réguliers
encouru par les enfants constituait un motif pertinent pour décider leur placement ainsi que le
retrait partiel de l’autorité parentale (§ 78) (voir aussi Tlapak et autres c. Allemagne, § 91).
95. S’agissant d’actes aussi graves que le viol et les abus sexuels sur des enfants, qui mettent en jeu
des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée, il appartient aux États membres
de se doter de dispositions pénales efficaces (X et Y c. Pays-Bas, § 27 ; M.C. c. Bulgarie, § 150 et
§ 185, où la démarche adoptée par le magistrat instructeur et les procureurs n’a pas répondu aux
exigences inhérentes aux obligations positives de l’État ; M.G.C. c. Roumanie, § 74 ; A et B c. Croatie,
§ 112). L’obligation positive qui incombe à l’État peut s’étendre aux questions touchant à l’effectivité
d’une enquête pénale (C.A.S. et C.S. c. Roumanie, § 72 ; M.P. et autres c. Bulgarie, §§ 109-110 ; M.C.
c. Bulgarie, § 152 ; A, B et C c. Lettonie, § 174 ; et Y c. Bulgarie, §§ 95-96) et à la possibilité d’obtenir
une réparation et un redressement (C.A.S. et C.S. c. Roumanie, § 72), même s’il n’existe pas un droit
absolu à obtenir l’ouverture de poursuites contre une personne donnée, ou la condamnation de
celle-ci, lorsqu’il n’y a pas eu de défaillances blâmables dans les efforts déployés pour obliger les
auteurs d’infractions pénales à rendre des comptes (Brecknell c. Royaume-Uni, § 64 ; Szula
c. Royaume-Uni (déc.)).
96. Dans les affaires de violence domestique, la Cour tient également l’État pour responsable de la
protection des victimes, en particulier lorsque les risques de violence étaient connus des agents de
l’État et que ces derniers n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger les victimes
(Bevacqua et S. c. Bulgarie ; A c. Croatie ; Hajduová c. Slovaquie ; Kalucza c. Hongrie ; B. c. Moldova).
L’État a aussi une obligation positive de protéger les enfants pour qu’ils ne soient pas témoins de
violences au sein de leur foyer (Eremia c. République de Moldova). La Cour applique alors sa
jurisprudence relative à la garde et au placement d’enfants (voir ci-dessous), en ayant
particulièrement égard aux décisions d’éloignement justifiées par des actes de violence domestique
au sein du foyer (Y.C. c. Royaume-Uni). Dans l’affaire Buturugă c. Roumanie, la Cour a insisté sur la
nécessité d’appréhender de manière globale le phénomène de la violence conjugale sous toutes ses
formes. Elle a jugé qu’en examinant les allégations de cyberviolence de la requérante et sa demande
de perquisition de l’ordinateur familial, les autorités nationales ont fait preuve d’un formalisme
excessif en écartant tout rapport avec les faits de violence conjugale qu’elle avait déjà portés à leur
attention. L’intéressée a ainsi été obligée de déposer ultérieurement une nouvelle plainte pour
violation du secret de la correspondance. En la traitant séparément, les autorités ont failli à leur
obligation de prendre en considération les diverses formes que peut revêtir la violence conjugale.
97. Dans l’affaire Y. c. Slovénie, la Cour a jugé que, lors du contre-interrogatoire de la victime (la
requérante) par l’accusé au cours d’un procès pénal concernant des allégations d’agression sexuelle,
l’État n’avait pas suffisamment protégé le droit de la victime au respect de sa vie privée, et
notamment de son intégrité personnelle (§§ 114-116).
98. L’État doit également offrir une protection adéquate dans des situations dangereuses comme
l’agression d’une femme à son domicile ou dans la rue par un jet d’acide au visage (Sandra Janković
c. Croatie ; Ebcin c. Turquie). Cela vaut d’autant plus lorsqu’il aurait dû avoir connaissance d’un
danger particulier. La Cour a par exemple constaté une violation dans le cas d’une femme qui avait
été attaquée par des chiens errants dans une zone où ces animaux posaient fréquemment problème
(Georgel et Georgeta Stoicescu c. Roumanie, § 62).
99. Elle exige toutefois l’existence d’un lien entre l’État et le préjudice subi. En l’absence d’un lien
évident entre l’action (ou l’inaction) de l’État et le préjudice allégué, comme dans le cas d’une
bagarre entre des élèves dans une école, elle peut déclarer la requête irrecevable (Đurđević
c. Croatie).
100. Les conditions de détention peuvent aussi emporter violation de l’article 8, en particulier
lorsqu’elles n’atteignent pas la gravité requise par l’article 3 (Raninen c. Finlande, § 63 ; Szafrański
c. Pologne, § 39). De même, l’obligation de se soumettre à une fouille à corps constitue
généralement une ingérence au sens de l’article 8 (Milka c. Pologne, § 45).
Droits reproductifs17
101. La Cour a considéré que l’interdiction de l’avortement pour motifs de santé et/ou de bien-être
relève du droit au respect de la vie privée et donc de l’article 8 (A, B et C c. Irlande [GC], §§ 214
et 245). En particulier, elle a jugé que l’obligation pesant sur l’État à cet égard peut impliquer la
création d’un cadre réglementaire instaurant un mécanisme judiciaire et exécutoire destiné à
protéger les droits des individus et la mise en œuvre, le cas échéant, de mesures spécifiques en
matière d’avortement (ibidem, § 245 ; Tysiąc c. Pologne, § 110 ; R.R. c. Pologne, § 184). En effet, si
l’État jouit d’une ample marge d’appréciation pour définir les circonstances dans lesquelles il
autorise l’avortement, une fois la décision prise, le cadre juridique correspondant doit présenter une
certaine cohérence et permettre de prendre en compte les différents intérêts légitimes en jeu de
manière adéquate et conformément aux obligations découlant de la Convention (A, B et C c. Irlande
[GC], § 249 ; R. R. c. Pologne, § 187 ; P. et S. c. Pologne, § 99 ; Tysiąc c. Pologne, § 116).
102. Dans l’affaire P. et S. c. Pologne, la Cour a rappelé que la notion de vie privée au sens de
l’article 8 recouvre également le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir
parent (voir également Evans c. Royaume-Uni [GC], § 71 ; R.R. c. Pologne, § 180 ; Dickson
c. Royaume-Uni [GC], § 66 ; Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], §§ 163 et 215). En effet, cette
notion n’exclut pas les liens affectifs s’étant créés et développés entre un adulte et un enfant en
dehors de situations classiques de parenté. Ce type de liens relève également de la vie et de
l’identité sociale des individus. Dans certains cas impliquant une relation entre des adultes et un
enfant qui ne présentent aucun lien biologique ou juridique, les faits peuvent néanmoins relever de
la « vie privée » (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], § 161).
17
Voir aussi Procréation médicalement assistée /droit de devenir parents génétiques dans la partie consacrée
à la Vie familiale.
103. Les conditions dans lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la vie
privée d’une personne aux fins de l’article 8 (Ternovszky c. Hongrie, § 22). Dans l’affaire citée, la Cour
a constaté que la requérante n’était en fait pas libre de choisir d’accoucher à domicile en raison de la
menace de poursuites pesant en permanence sur les professionnels de santé et de l’absence de
législation spécifique et complète en la matière. Elle a toutefois rappelé que les autorités nationales
disposent d’une large marge d’appréciation dans les affaires qui mettent en jeu des questions
complexes de politique de santé et d’affectation de ressources. Observant qu’il ne se dégageait pas
au sein des États membres du Conseil de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à
domicile, la Cour a jugé que la politique de l’État qui empêchait en pratique les mères de se faire
assister par une sage-femme lors d’un accouchement à domicile n’avait pas emporté violation de
l’article 8 (Dubská et Krejzová c. République tchèque [GC]).
104. Le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à la procréation
médicalement assistée relève également de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une
forme d’expression de la vie privée et familiale (S.H. et autres c. Autriche [GC], § 82 ; Knecht
c. Roumanie, § 54). Il en va de même pour le diagnostic génétique préimplantatoire lorsque la
procréation artificielle et l’interruption médicale de grossesse sont autorisées (Costa et Pavan
c. Italie). Cette dernière affaire concernait un couple d’Italiens, tous deux porteurs sains de la
mucoviscidose, qui souhaitaient recourir à la procréation médicalement assistée et au dépistage
génétique afin d’éviter de transmettre la maladie à leur descendant. Constatant une violation de
l’article 8, la Cour a relevé l’incohérence du système législatif italien, qui, d’une part, privait les
requérants de l’accès au diagnostic génétique préimplantatoire et, d’autre part, les autorisait à
effectuer une interruption médicale de grossesse quand le fœtus était affecté par cette même
pathologie. La Cour a conclu que l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au
respect de leur vie privée et familiale était disproportionnée.
Concernant les examens prénataux, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 sous son volet
procédural au motif que les juridictions nationales n’avaient pas examiné pleinement la plainte de la
requérante selon laquelle elle avait été privée des soins médicaux appropriés en temps utile en
raison du refus de pratiquer sur elle un test de dépistage prénatal qui aurait indiqué le risque que
son fœtus souffre d’une maladie génétique et lui aurait permis de prendre une décision éclairée sur
la poursuite ou l’interruption de sa grossesse (A.K. c. Lettonie, §§ 93-94).
105. Dans le cas de requérants qui, en dehors de toute procédure d’adoption régulière, avaient
introduit sur le territoire italien un enfant – ne présentant aucun lien biologique avec au moins l’un
d’eux – provenant de l’étranger, et conçu – selon les juridictions nationales – à l’aide de techniques
de procréation assistée illégales au regard du droit italien, la Cour a constaté l’absence de vie
familiale entre les requérants et l’enfant et considéré que si les mesures incriminées relevaient de la
vie privée des requérants, l’intérêt général en jeu pesait lourdement dans la balance, alors que,
comparativement, il convenait d’accorder une moindre importance à l’intérêt des requérants à
assurer leur développement personnel par la poursuite de leurs relations avec l’enfant. Elle a donc
conclu à la non-violation de l’article 8 (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], §§ 165 et 215). Elle a
observé que les faits de la cause touchaient à des sujets éthiquement sensibles – adoption, prise en
charge par l’État d’un enfant, procréation médicalement assistée et gestation pour autrui – pour
lesquels les États membres jouissent d’une ample marge d’appréciation (§§ 182-184 et 194)18.
106. L’article 8 s’applique également aux actes de stérilisation. Comme cette intervention concerne
l’une des fonctions corporelles essentielles des êtres humains, elle a des incidences sur de multiples
aspects de l’intégrité de la personne, y compris sur le bien-être physique et mental et la vie
émotionnelle, spirituelle et familiale (V.C. c. Slovaquie, § 106). La Cour a dit que les États avaient
18
Voir aussi Procréation médicalement assistée /droit de devenir parents génétiques dans la partie consacrée
à la Vie familiale.
l’obligation positive de mettre en place des garanties juridiques effectives pour protéger les femmes
contre une stérilisation forcée et, en particulier, d’accorder une considération particulière à la santé
reproductive des femmes roms. À plusieurs reprises, elle a en effet estimé que la pratique de
stérilisation forcée de cette minorité ethnique vulnérable exigeait qu’une protection particulière fût
accordée aux femmes roms (ibidem, §§ 154-155 ; I.G. et autres c. Slovaquie, §§ 143-146). Cette
jurisprudence s’applique également à la stérilisation involontaire, lorsque le médecin n’a pas
pratiqué les contrôles appropriés ou n’a pas obtenu le consentement éclairé de l’intéressée au cours
d’un avortement (Csoma c. Roumanie, §§ 65-68).
107. La Cour a également estimé que la possibilité pour une requérante d’exercer un choix
conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touchait un aspect intime de sa vie
personnelle et relevait à ce titre de son droit à l’autodétermination, et donc de sa vie privée (Parrillo
c. Italie [GC], § 159). Elle a ajouté que les autorités nationales jouissaient toutefois en la matière
d’une ample marge de discrétion, compte tenu de la pluralité de vues existant à ce sujet parmi les
différents États membres (ibidem, §§ 180-183). Elle a conclu que l’interdiction légale du don à la
recherche d’embryons cryoconservés issus d’un traitement de fécondation in vitro suivi par la
requérante ne pouvait donc pas être considérée comme ayant porté atteinte au droit de l’intéressée
au respect de sa vie privée.
son importance est minime, doit s’analyser en une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son
droit au respect de sa vie privée (Jalloh c. Allemagne [GC], § 70 ; Schmidt c. Allemagne (déc.)). La
Convention n’interdit toutefois pas en tant que tel le recours à pareille procédure en vue de
l’obtention de la preuve de la participation du suspect à une infraction (Jalloh c. Allemagne [GC],
§ 70). Dans l’affaire Caruana c. Malte (déc.), la Cour a jugé qu’un prélèvement buccal n’est pas
interdit a priori lorsqu’il vise à obtenir des éléments relatifs à la commission d’une infraction dont la
personne soumise au test n’est pas l’auteur mais un témoin pertinent (§ 32).
Maladie mentale19
112. En ce qui concerne les obligations positives qui incombent aux États membres à l’égard des
personnes vulnérables souffrant de maladie mentale, la Cour a affirmé qu’il faut voir dans la santé
mentale aussi une partie essentielle de la vie privée relevant de l’intégrité morale. La sauvegarde de
la stabilité mentale est à cet égard un préalable indispensable à la jouissance effective du droit au
respect de la vie privée (Bensaid c. Royaume-Uni, § 47).
113. La Cour considère depuis longtemps que le droit d’un individu de refuser un traitement
médical relève du champ d’application de l’article 8 (voir ci-dessus). Ce droit inclut celui des patients
atteints de troubles mentaux de refuser tout traitement psychiatrique médicamenteux. Une
intervention médicale effectuée contre la volonté d’une personne s’analyse en une atteinte à son
droit au respect de sa vie privée, et plus particulièrement à son droit à l’intégrité physique
(X. c. Finlande, § 212). Dans certaines circonstances, l’administration forcée de médicaments à une
personne souffrant de troubles mentaux peut être justifiée pour protéger le patient lui-même ou
autrui. Mais pareilles décisions ne peuvent être prises que s’il existe des lignes directrices claires et
la possibilité d’un contrôle juridictionnel (ibidem, § 220 ; Storck c. Allemagne, §§ 164-169 ; Shopov
c. Bulgarie, § 47).
114. La Cour a également estimé que l’article 8 fait peser sur les États une obligation de protéger le
droit à la vie privée et familiale des personnes souffrant de maladie mentale, en particulier lorsque
leurs enfants sont pris en charge par l’État. Les États doivent ainsi s’assurer que ces personnes
peuvent participer effectivement à la procédure en vue du placement de leurs enfants
(B. c. Roumanie (no 2), § 117 ; K. et T. c. Finlande [GC]). Le droit au respect de la vie familiale garanti
par l’article 8 (voir ci-dessous) peut également entrer en jeu, comme dans le cas d’une mère
handicapée mentale qui n’avait pas été informée de l’adoption de son fils et n’avait pu participer à la
procédure d’adoption ni la contester (A.K. et L. c. Croatie). L’affaire S.S. c. Slovénie concernait la
déchéance des droits parentaux d’une mère malade mentale au motif de son incapacité à s’occuper
de son enfant. L’arrêt contient un rappel de la jurisprudence relative aux droits des personnes
souffrant de maladie mentale dans le contexte de la déchéance de l’autorité parentale et de
l’adoption ultérieure de l’enfant (§§ 83-87).
115. Dans des affaires où des personnes atteintes de troubles mentaux se sont vu privées de la
capacité juridique, la Cour a défini les exigences procédurales nécessaires au respect des droits
découlant de l’article 8, qu’elle examine souvent en combinaison avec les articles 5 et 6. Elle accorde
une importance particulière à la qualité du processus décisionnel (Salontaji-Drobnjak c. Serbie,
§§ 144-145) et considère que la privation de la capacité juridique constitue indéniablement une
grave ingérence dans l’exercice par l’intéressé du droit au respect de sa vie privée garanti par
l’article 8. Dans l’affaire A.N. c. Lituanie, elle a examiné la décision d’une juridiction interne qui avait
privé le requérant de sa capacité d’agir de manière indépendante dans presque tous les domaines
de la vie. Au moment des faits, ce dernier, qui résidait en Lituanie, ne pouvait plus vendre ou acheter
de biens lui-même, travailler, choisir son lieu de résidence, se marier ou intenter une action en
justice. La Cour a jugé qu’il s’agissait là d’une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit
19
Voir également d’autres chapitres du présent guide pour plus de références.
au respect de sa vie privée (§ 111). Elle a également dit que les procédures de déclaration
d’incapacité, les décisions concernant le placement en établissement fermé ou la cession de biens et
les procédures relatives aux enfants (voir ci-dessus) doivent être accompagnées de garanties
adéquates, afin que les personnes atteintes de troubles mentaux puissent prendre part au processus
et que celui-ci soit suffisamment individualisé pour répondre à leurs besoins spécifiques (Zehentner
c. Autriche, § 65 ; Chtoukatourov c. Russie, §§ 94-96 ; Herczegfalvy c. Autriche, § 91). Par exemple,
dans une procédure relative à une déclaration d’incapacité juridique, la preuve médicale des
troubles mentaux doit être suffisamment récente (Nikolyan c. Arménie, § 124). Par ailleurs, dans
l’affaire Nikolyan c. Arménie (§ 122), la Cour a jugé que l’existence d’un trouble mental, même
sérieux, ne peut fonder à lui seul la privation complète de toute capacité juridique. Par analogie avec
les affaires de privation de liberté, pour pouvoir fonder une privation complète de capacité
juridique, le trouble mental doit revêtir « un caractère ou une ampleur » justifiant une telle mesure.
116. En ce qui concerne le choix du lieu de résidence d’une personne intellectuellement déficiente,
la Cour a indiqué qu’il convient de ménager un juste équilibre entre le respect de la dignité et de
l’autodétermination de l’individu et la nécessité de protéger et de garantir les intérêts de celui-ci, en
particulier lorsque ses capacités et sa situation le placent dans une position de vulnérabilité
particulière (A.-M.V. c. Finlande, § 90). Elle a souligné l’importance des garanties procédurales
existantes (§§ 82-84). Dans l’affaire citée, elle a relevé que la procédure interne avait comporté des
garanties effectives destinées à empêcher les abus, comme les normes internationales en matière
de droits de l’homme le requièrent, garanties qui avaient permis de veiller à ce que les droits, la
volonté et les préférences du requérant fussent pris en compte. Elle a également observé que le
requérant avait été associé à tous les stades de la procédure, qu’il avait été entendu en personne et
avait pu formuler ses souhaits. Enfin elle a estimé que même si, dans l’intérêt de la protection de la
santé du requérant et de son bien-être, les autorités n’avaient pas donné suite aux souhaits de
l’intéressé, il n’y avait pas eu violation de l’article 8.
20
Voir aussi Questions relatives au handicap.
l’intégrité physique ne mettant pas en cause le droit à la vie tel que garanti par l’article 2 (İbrahim
Keskin c. Turquie, § 61).
118. La tâche de la Cour consiste à contrôler l’effectivité des recours dont les requérants ont usé et
à déterminer ainsi si le système judiciaire a assuré la mise en œuvre adéquate du cadre législatif et
réglementaire conçu pour protéger le droit à l’intégrité physique des patients (İbrahim Keskin
c. Turquie, § 68 ; Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, § 90). Dans tous les cas, le système mis en
place pour déterminer la cause de l’atteinte à l’intégrité de la personne se trouvant sous la
responsabilité de professionnels de la santé doit être indépendant. Cela suppose non seulement une
absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi l’indépendance, tant formelle que
concrète à l’égard des personnes impliquées dans les événements, de toutes les parties chargées
d’apprécier les faits dans le cadre de la procédure devant conduire à établir la cause de l’atteinte
incriminée (Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, § 93). Il existe une exigence de promptitude et de
diligence raisonnable dans le contexte des négligences médicales (Eryiğit c. Turquie, § 49). Par
exemple, une procédure ayant duré près de sept ans est incompatible avec l’article 8 (İbrahim Keskin
c. Turquie, §§ 69-70).
119. L’objectivité des expertises en cas de négligence médicale ne peut être automatiquement mise
en cause lorsque les experts sont des médecins travaillant dans le système de santé national. Le
simple fait qu’un expert soit employé par un établissement de santé public spécialement chargé de
produire des expertises sur telle ou telle question d’ordre médical et financé par l’État ne permet
pas en lui-même de faire craindre un manque de neutralité ou d’impartialité. Ce qui importe dans ce
contexte c’est que la participation d’un expert à la procédure soit accompagnée des garanties
procédurales appropriées pour assurer son indépendance tant formelle que concrète et son
impartialité (Jurica c. Croatie, § 93). Par ailleurs, une expertise médicale – en ce qu’elle ressortit à un
domaine technique échappant à la connaissance des juges – est susceptible d’influencer de manière
prépondérante leur appréciation des faits ; il est donc capital qu’elle puisse être « efficacement »
commentée par les parties au litige (Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, §§ 109-110).
120. Pour ce qui est de l’accès aux services de santé, la Cour fait preuve de prudence de manière à
éviter que l’application de l’article 8 n’exige l’affectation d’importantes ressources publiques. En
effet, elle considère que, conscientes des sollicitations dont est l’objet le régime de santé et des
fonds disponibles, les autorités nationales sont mieux placées qu’une juridiction internationale pour
procéder à une évaluation en la matière (Pentiacova et autres c. Moldova (déc.)).
121. La Cour a jugé irrecevable une requête concernant le refus des autorités du Royaume-Uni de
mettre en place un programme d’échange de seringues pour les toxicomanes en prison (Shelley
c. Royaume-Uni (déc.)). Dans cette affaire, elle a en effet estimé que rien dans l’article 8 n’obligeait
les États contractants à adopter une politique particulière de prévention en matière de santé. De
même, elle a conclu que le refus de la Bulgarie d’autoriser des patients en phase terminale à faire
usage de médicaments expérimentaux non autorisés n’avait pas emporté violation de l’article 8
(Hristozov et autres c. Bulgarie ; Durisotto c. Italie (déc.) et elle a rejeté une requête contestant une
législation relative à la prescription de médicaments à base de cannabis (A.M. et A.K. c. Hongrie
(déc.)), tout en rappelant les obligations de l’État en la matière (§§ 46-47). Dans l’affaire Abdyusheva
et autres c. Russie, la Cour a jugé que l’impossibilité pour des dépendants aux opiacés de bénéficier
d’un traitement de substitution par la méthadone ou la buprénorphine n’avait pas emporté violation
de l’article 8 car l’évaluation des risques d’un traitement de substitution pour la santé publique et
l’examen de la situation individuelle du requérant relèvent de la marge d’appréciation dont jouit
l’État.
122. Concernant l’accès aux soins de santé pour les personnes handicapées, la Cour a déclaré
irrecevable la requête d’une personne lourdement handicapée qui souhaitait un bras robotisé pour
l’aider dans ses mouvements (Sentges c. Pays-Bas (déc.)). Elle a toutefois considéré que la
diminution du niveau des soins dispensés à une femme dont la mobilité était réduite avait emporté
21
Voir aussi Soins médicaux et traitement.
d’autres êtres humains et le monde extérieur étaient mis en cause (Glaisen c. Suisse (déc.),
§§ 43-46 ; voir aussi Zehnalova et Zehnal c. République tchèque (déc.) ; Botta c. Italie ; et Mółka
c. Pologne (déc.)).
130. La Cour a considéré que la décision de retirer leurs enfants à deux parents aveugles au motif
qu’ils ne leur dispensaient pas les soins appropriés n’était pas justifiée par les circonstances et
portait atteinte au droit des parents au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 (Saviny
c. Ukraine). En revanche, elle a conclu à la non-violation de l’article 8 concernant le régime prévu en
France pour la compensation des charges particulières découlant du handicap d’un enfant, même si,
sans l’erreur commise par l’hôpital public lors du diagnostic d’une anomalie génétique, les parents
auraient choisi de ne pas avoir l’enfant (Maurice c. France [GC] ; Draon c. France [GC]). La Cour laisse
aussi aux États une ample marge d’appréciation dans la détermination du montant de l’aide accordé
aux parents d’un enfant handicapé (La Parola et autres c. Italie (déc.)), et elle a jugé que, dès lors
qu’un État offre des recours adéquats en cas de handicaps causés par des soins inappropriés au
moment de la naissance d’un enfant, il n’y a pas violation de l’article 8 (Spyra et Kranczkowski
c. Pologne, §§ 99-100).
131. L’affaire Kholodov c. Ukraine (déc.) concernait la suspension du permis de conduire d’un
requérant atteint d’un handicap physique (diverses maladies articulaires) pour une infraction au
code de la route. L’intéressé soutenait que la peine qui lui avait été infligée était excessive compte
tenu de son état de santé. La Cour a reconnu que la suspension de son permis de conduire pendant
neuf mois avait eu des répercussions sur la vie quotidienne du requérant et qu’on pouvait donc
admettre que ladite sanction avait constitué une « ingérence » dans l’exercice par l’intéressé de son
droit découlant de l’article 8.
manquement continu de l’État à fournir des informations sur ce qui s’était produit. Elle a également
considéré que le refus de la Russie de permettre à un enfant mort-né de prendre le nom de son père
biologique, du fait de la présomption légale selon laquelle le mari de la mère était le père, avait violé
le droit de la mère, protégé par l’article 8, d’enterrer son enfant avec le nom de son vrai père
(Znamenskaya c. Russie).
135. Certains requérants se sont également plaints du laps de temps écoulé entre le décès et
l’inhumation, ainsi que du traitement auquel le corps du défunt avait été soumis avant sa restitution
à la famille. La Cour a par exemple jugé que le délai de restitution aux requérants des prélèvements
pratiqués par la police sur le corps de leur fille, qui avait empêché les intéressés d’inhumer leur fille
rapidement, avait violé leur droit au respect de la vie privée et familiale découlant de l’article 8
(Girard c. France). Elle a également considéré que le prélèvement d’organes sur le corps d’un défunt
pratiqué par un hôpital sans qu’il informât la mère et sollicitât son consentement n’était pas prévu
par la loi et avait violé le droit au respect de la vie privée de l’intéressée au sens de l’article 8
(Petrova c. Lettonie, §§ 97-98). Conformément à sa jurisprudence, elle a également conclu que le
prélèvement de tissus sur le corps d’une personne décédée à l’insu et sans le consentement de son
épouse avait emporté violation de l’article 8 en raison du défaut de clarté du droit interne et de
l’absence de garanties juridiques contre l’arbitraire (Elberte c. Lettonie, § 115).
136. Dans l’affaire Elli Poluhas Dödsbo c. Suède, toutefois, la Cour a jugé que le refus de la Suède de
transférer l’urne contenant les cendres du mari de l’intéressée dans la concession de sa famille
n’avait pas emporté violation de l’article 8 en ce que la décision avait été prise en tenant dûment
compte des intérêts de l’épouse du défunt et relevait de la marge d’appréciation reconnue à l’État
en la matière. Il est intéressant de relever que la Cour n’a pas jugé nécessaire de déterminer si un tel
refus se rapportait à la notion de « vie privée » ou à celle de « vie familiale », mais est partie de
l’hypothèse qu’il y avait eu ingérence (§ 24). Dans l’affaire Drašković c. Monténégro, elle a estimé
que la demande d’exhumation de la dépouille d’un parent décédé aux fins de sa réinhumation en un
autre lieu de repos formée par un parent proche relève, en principe, à la fois des aspects « vie
privée » et « vie familiale ». Elle a toutefois précisé que la nature et la portée de ce droit, ainsi que
l’étendue des obligations de l’État en vertu de la Convention dans des affaires de ce type, dépendent
des circonstances de l’espèce et des faits exposés (§ 48). Même si les États doivent se voir
reconnaître une ample marge d’appréciation pour cette question si importante et sensible (§ 52),
elle a jugé que l’absence d’examen au fond par les juridictions nationales du grief formulé par la
requérante dans une procédure civile dirigée contre un tiers avait emporté violation de l’article 8.
Elle a également conclu que le représentant d’un défunt qui voulait empêcher l’État d’utiliser l’ADN
de ce dernier dans une procédure en recherche de paternité ne présentait aucun grief relevant de la
vie privée et ne pouvait intenter une action au nom du défunt (Succession Kresten Filtenborg
Mortensen c. Danemark (déc.)).
137. La Cour s’est aussi penchée sur la politique d’un État tendant à refuser la restitution, en vue de
leur inhumation, des corps de personnes accusées de terrorisme. Tout en reconnaissant que l’État a
un intérêt à protéger la sûreté publique, en particulier lorsque la sécurité nationale est en jeu, elle a
considéré qu’en raison de son caractère automatique le refus de restituer les corps de terroristes
présumés n’avait pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l’État et les droits des membres
de la famille des défunts découlant de l’article 8 (Sabanchiyeva et autres c. Russie, § 146).
138. Dans l’affaire Solska et Rybicka c. Pologne, la Cour a jugé que l’article 8 s’applique à
l’exhumation, dans le cadre d’un procès pénal, des restes de personnes défuntes contre la volonté
de leurs familles (§§ 107-108). Elle a conclu que le droit interne n’offrait pas de garanties suffisantes
contre l’arbitraire dans le contexte d’un ordre d’exhumation délivré par le parquet. Les requérantes
ont donc été privées du niveau minimum de protection auquel elles avaient droit, ce qui a emporté
violation de l’article 8 (§§ 124-127).
Questions environnementales22
139. Même si la Convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain
(Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], § 96), la Cour s’est prononcée dans plusieurs affaires où la
qualité du milieu environnant d’une personne était en cause, affirmant que des facteurs
environnementaux dangereux ou perturbateurs peuvent avoir un effet négatif sur le bien-être
individuel (Cordella et autres c. Italie, §§ 157-160). Une question ne se pose toutefois sous l’angle de
l’article 8 que si les personnes sont directement et gravement affectées par les nuisances en
question et sont en mesure de prouver l’impact direct qu’elles ont eu sur leur qualité de vie (Çiçek et
autres c. Turquie (déc.), § 32 et §§ 22-29 pour un résumé de la jurisprudence pertinente dans le
contexte de la pollution de l’air ; Fadeyeva c. Russie, §§ 68-69, où la Cour a dit que les conséquences
néfastes de la pollution sur la santé des personnes doivent atteindre un minimum de gravité pour
tomber sous le coup de l’article 8). L’article 8 peut trouver à s’appliquer dans les affaires
d’environnement, que la pollution soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce
dernier découle de l’absence de réglementation adéquate de l’activité du secteur privé.
L’applicabilité de l’article 8 est appréciée sur la base d’un critère de gravité (voir la jurisprudence
pertinente sur les questions environnementales exposée dans l’arrêt Denisov c. Ukraine [GC],
§§ 111). Dans l’affaire Hudorovič et autres c. Slovénie, la Cour a précisé que même si l’accès à l’eau
potable n’est pas, en tant que tel, un droit protégé par l’article 8, « l’absence durable et persistante
d’accès à l’eau potable » peut avoir des conséquences néfastes pour la santé et la dignité humaine
et porter effectivement atteinte à un domaine essentiel de la vie privée. Par conséquent, lorsque ces
strictes conditions sont remplies, des obligations positives peuvent être déclenchées à la charge de
l’État, en fonction des circonstances particulières de l’espèce (§ 116).
140. Sur le fond, Il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de
l’individu et de la société dans son ensemble. L’État jouit d’une certaine marge d’appréciation pour
déterminer les dispositions à prendre afin d’assurer le respect de la Convention (Powell et Rayner
c. Royaume-Uni ; López Ostra c. Espagne, § 51 ; Giacomelli c. Italie, § 78).
141. Dans l’affaire López Ostra c. Espagne (§ 51), la Cour a jugé que des atteintes graves à
l’environnement pouvaient affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son
domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, portant ainsi atteinte à son droit au respect
de sa vie privée et familiale (et de son domicile)23. La requérante se plaignait des effets sur le
domicile familial de la grave pollution causée par une station d’épuration construite grâce à une
subvention de l’État à douze mètres de son appartement par une tannerie privée sur des terrains
appartenant à la commune. Dans l’affaire Giacomelli c. Italie, la Cour a estimé que la pollution
provoquée par une usine privée de traitement de déchets industriels toxiques construite à trente
mètres du domicile de la requérante avait emporté violation de l’article 8 (§§ 97-98). Dans l’affaire
Fadeïeva c. Russie, elle a considéré que les autorités avaient porté atteinte au droit au respect du
domicile et de la vie privée d’une femme, faute de lui avoir proposé une solution effective pour
favoriser son éloignement de la « zone de sécurité sanitaire » située autour de la plus grande
entreprise sidérurgique de Russie où elle était exposée à une forte pollution et à des émissions
chimiques dangereuses (§§ 133-134).
142. Dans plusieurs affaires, la Cour a jugé que la non-communication par les autorités
d’informations relatives à des risques ou dangers environnementaux pouvait s’analyser en une
violation de l’article 8 (Tătar c. Roumanie, § 97, où les autorités n’avaient pas apprécié de manière
adéquate les risques qu’une société d’exploitation minière faisait peser sur l’environnement ; Guerra
et autres c. Italie, où la population locale n’avait pas reçu les informations essentielles qui lui
22
Voir aussi Domicile.
23
Voir aussi Domicile.
auraient permis d’évaluer les risques auxquels les habitants se trouvaient exposés s’ils continuaient
à résider à proximité d’une usine chimique, jusqu’à l’arrêt de la production de fertilisants en 1994).
143. Les tentatives des autorités nationales d’aboutir à la décontamination d’une région polluée qui
n’avaient pas produit les effets escomptés ont été considérées comme emportant violation de
l’article 8 dans l’arrêt Cordella et autres c. Italie, §§ 167-172, qui portait sur un cas de pollution de
l’air par une aciérie au détriment de la santé de la population voisine. Dans cette affaire, malgré
l’existence d’études scientifiques officielles attestant que la pollution environnementale mettait en
danger la santé des requérants, la situation avait perduré pendant des années et la population
résidant dans les zones à risque était restée privée d’informations quant au déroulement de
l’assainissement du territoire concerné.
144. La Cour a également estimé que des nuisances olfactives provenant d’une décharge d’ordures
se trouvant à côté d’une prison et qui parvenaient jusqu’à la cellule d’un détenu, considérée comme
le seul « espace de vie » dont l’intéressé disposait depuis plusieurs années, relevaient du droit à la
vie privée et familiale (Brânduşe c. Roumanie, §§ 64-67), tout comme l’incapacité prolongée des
autorités à assurer le fonctionnement régulier du service de collecte, de traitement et d’élimination
des déchets (Di Sarno et autres c. Italie, § 112).
145. La Cour a établi que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence doit être
équitable et respecter comme il se doit les intérêts de l’individu protégés par l’article 8 (Taşkın et
autres c. Turquie, § 118, où les autorités administratives n’avaient pas offert aux requérants une
protection procédurale effective concernant l’exploitation d’une mine d’or ; Hardy et Maile
c. Royaume-Uni, § 217).
146. Elle a déclaré l’article 8 applicable à une situation où le bruit des avions de l’aéroport de
Heathrow avait diminué la qualité de la vie privée et les agréments du foyer de chacun des
requérants (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, § 40). En définitive, elle a toutefois conclu que le choix
du gouvernement de ne pas réduire les vols de nuit au départ de l’aéroport de Heathrow afin de
favoriser le bien-être économique du pays n’avait pas porté atteinte aux droits garantis par l’article 8
aux personnes habitant sous la trajectoire de vol de l’aéroport, compte tenu du faible nombre de
personnes atteintes de troubles du sommeil (voir aussi Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC],
§§ 129-130).
147. Dans plusieurs affaires plus récentes concernant la pollution sonore, la Cour a estimé que l’État
défendeur avait failli à son obligation positive de garantir le droit du requérant au respect de son
domicile et de sa vie privée. Elle a par exemple jugé que l’absence de réglementation par les
autorités des niveaux sonores d’une discothèque située à proximité du domicile du requérant avait
emporté violation de l’article 8 (Moreno Gómez c. Espagne, §§ 62-63), tout comme l’absence de
prise de mesures par les autorités pour traiter le problème de nuisances sonores excessives
provoquées par une circulation dense dans la rue où habitait le requérant à la suite de modifications
apportées au plan de circulation (Deés c. Hongrie, § 23), ou celui des nuisances sonores causées par
un club informatique dans un immeuble (Mileva et autres c. Bulgarie, § 97).
24
Voir Couples homosexuels.
C. Vie privée
150. La Cour a toujours jugé que la notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à
l’identité d’une personne, tels que son nom, sa photo, son intégrité physique et morale, et que la
garantie offerte par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le
développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les
relations avec ses semblables. Il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui,
même dans un contexte public, peut relever de la vie privée (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC],
§ 95). Par ailleurs, la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition
exhaustive, qui recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et peut donc englober de
multiples aspects de l’identité d’un individu, tels l’identification et l’orientation sexuelle, le nom, ou
des éléments se rapportant au droit à l’image. Elle comprend des informations personnelles dont un
individu peut légitimement attendre qu’elles ne soient pas publiées sans son consentement (Axel
Springer AG c. Allemagne [GC], § 83). La notion de « vie privée » englobe aussi le droit à la
confidentialité d’informations relatives à l’adoption d’un enfant (X et autres c. Russie, §§ 62-67,
concernant la publication sur Internet d’une décision judiciaire mentionnant le nom des requérants
et celui de leurs enfants adoptés).
151. Pour ce qui est de la surveillance et de la collecte de données privées par des agents de l’État,
la Cour a considéré que de tels renseignements, lorsqu’ils sont, d’une manière systématique,
recueillis et mémorisés dans un fichier tenu par des agents de l’État, relevaient de la « vie privée »
au sens de l’article 8 § 1 de la Convention. Tel était d’autant plus le cas dans une affaire où certaines
informations avaient été déclarées fausses et qu’elles risquaient de porter atteinte à la réputation de
l’intéressé (Rotaru c. Roumanie [GC], § 44). Appliquant ce principe, la Cour a précisé qu’un certain
nombre d’éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la vie privée d’une
personne est touchée par des mesures prises en dehors de son domicile ou de ses locaux privés.
Puisqu’à certaines occasions les gens se livrent sciemment ou intentionnellement à des activités qui
sont ou peuvent être enregistrées ou rapportées publiquement, ce qu’un individu est
raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur
significatif, quoique pas nécessairement décisif (Benedik c. Slovénie, § 101). Une personne marchant
dans la rue sera forcément vue par toute autre personne qui s’y trouve aussi. Le fait d’observer cette
scène publique par des moyens techniques (par exemple un agent de sécurité exerçant une
surveillance au moyen d’un système de télévision en circuit fermé) revêt un caractère similaire. En
revanche, la création d’un enregistrement systématique ou permanent de tels éléments appartenant
au domaine public peut donner lieu à des considérations liées à la vie privée. C’est pourquoi les
dossiers rassemblés par les services de sécurité sur un individu en particulier relèvent de l’article 8,
même quand les informations n’ont pas été recueillies par une méthode agressive ou dissimulée
(P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, § 57).
152. En ce qui concerne les activités en ligne, les informations associées à une adresse IP dynamique
spécifique permettant l’identification de l’auteur de telles activités constituent, en principe, des
données personnelles qui ne sont pas accessibles au public. L’utilisation de pareilles données peut
donc relever de l’article 8 (Benedik c. Slovénie, §§ 107-108). À cet égard, le fait que le requérant n’ait
pas dissimulé son adresse IP dynamique ne saurait être tenu pour déterminant dans l’appréciation
du point de savoir si son espérance en matière de protection de sa vie privée était raisonnable
(§ 116). En revanche, l’anonymat lié aux activités en ligne est un facteur important à prendre en
compte (§ 117).
suicide d’un requérant enregistrée par des caméras de télévision en circuit fermé a été considérée
comme une atteinte grave à la vie privée de ce dernier, alors même qu’il se trouvait dans un lieu
public au moment des faits (ibidem, § 87). La vidéosurveillance par un employeur dans un
supermarché (López Ribalda et autres c. Espagne [GC], § 93) ou dans un amphithéâtre universitaire
(Antović et Mirković c. Monténégro) relève également du champ d’application de l’article 8 de la
Convention.
157. Dans le cas de personnes arrêtées ou poursuivies, la Cour a jugé à plusieurs reprises que
l’enregistrement d’une vidéo dans le contexte de poursuites pénales ou la remise par les autorités
de police aux médias de photographies des requérants avait porté atteinte au droit de ces derniers
au respect de leur vie privée. Elle a ainsi conclu à une violation de l’article 8 lorsque des services de
police avaient donné à la presse des photographies des requérants sans leur accord (Khoujine et
autres c. Russie, §§ 115-118 ; Sciacca c. Italie, §§ 29-31 ; Khmel c. Russie, § 40 ; Toma c. Roumanie,
§§ 90-93) ou dans une affaire où l’affichage d’une photographie du requérant sur le panneau des
personnes recherchées n’était pas prévu par la loi (Guiorgui Nikolaïchvili c. Géorgie, §§ 129-131).
158. Dans l’affaire Gaughran c. Royaume-Uni, une photographie d’identité judiciaire du requérant
avait été prise au moment de son arrestation et devait être conservée sans limitation de durée dans
une base de données locale utilisée par la police ; les services de police étaient susceptibles d’avoir
recours la concernant à des techniques de traitement des photographies et de reconnaissance
faciale. La Cour a conclu que la prise et la conservation de la photographie du requérant
s’analysaient en une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit à l’image (§ 70) et que
cette ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique (§ 97). Dans une autre affaire,
elle a toutefois jugé que la conservation pendant cinq ans de la photographie d’un récidiviste n’avait
pas emporté violation de l’article 8 en ce que la durée de la conservation était limitée, les juridictions
internes avaient procédé à une appréciation individualisée du risque de récidive du requérant et la
nécessité de conserver les données en question pouvait faire l’objet d’un réexamen (P.N.
c. Allemagne, §§ 76-90). Elle a en outre considéré que la prise et la conservation d’une photographie
d’une personne soupçonnée de terrorisme sans son accord n’était pas une mesure disproportionnée
au but poursuivi de prévention du terrorisme, légitime dans une société démocratique (Murray
c. Royaume-Uni, § 93).
159. L’article 8 n’exige pas nécessairement le versement d’une compensation pécuniaire à la victime
si d’autres mécanismes de redressement sont mis en place (Kahn c. Allemagne, § 75). Dans cette
affaire, l’éditeur qui avait enfreint une interdiction de publier des photographies des deux enfants
d’un ancien gardien de but de l’équipe nationale de football allemande n’avait pas été condamné au
versement d’un dédommagement (voir aussi Egill Einarsson c. Islande (no 2), §§ 36-37 et § 39, et les
références qui y sont citées).
§ 2 de la Convention reconnaît aux individus d’être présumés innocents jusqu’à ce que leur
culpabilité ait été établie (Jishkariani c. Géorgie, § 41).
162. Dans une affaire concernant la diffusion d’une partie d’un enregistrement vidéo sans le
consentement de l’intéressé, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 8, notamment parce que
le reportage litigieux ne visait pas à critiquer personnellement le requérant, mais à dénoncer
certaines pratiques commerciales mises en œuvre dans un secteur particulier (Haldimann et autres
c. Suisse, § 52). Elle a, en revanche, jugé qu’un reportage télévisé dans lequel le requérant était
décrit comme un « marchand de religion étranger » avait emporté violation de l’article 8 (Bremner
c. Turquie, §§ 72 et 84).
163. La Cour prend en compte la notoriété du requérant au moment des déclarations réputées
diffamatoires, les limites de la critique admissible étant plus larges pour une personnalité publique
que pour un particulier, ainsi que le sujet sur lequel portait les déclarations (Jishkariani c. Géorgie).
Des professeurs d’université spécialistes des droits de l’homme nommés en qualité d’experts par les
autorités dans un organisme public chargé de conseiller le gouvernement sur des questions relatives
aux droits de l’homme ne sauraient être assimilés à des hommes politiques tenus de faire preuve
d’un plus grand degré de tolérance (Kaboğlu et Oran c. Turquie, § 74).
164. La Convention ne saurait être interprétée comme imposant à des individus de tolérer d’être
accusés publiquement d’actes criminels, sans que pareils propos soient étayés par des faits, par des
agents de l’État dont le public est en droit d’attendre qu’ils possèdent des informations susceptibles
d’être vérifiées concernant ces accusations (idem, §§ 59-62). Dans le même sens, dans l’affaire Egill
Einarsson c. Islande, une personnalité connue en Islande avait fait l’objet d’un commentaire injurieux
sur Instagram, service en ligne de partage de photographies, où le qualificatif de « violeur »
apparaissait à côté d’une photo la représentant. La Cour a jugé qu’un commentaire de ce type était
susceptible de constituer une atteinte à la vie privée du requérant dès lors qu’il atteignait un certain
degré de gravité (§ 52). Elle a souligné qu’il convenait d’interpréter l’article 8 de la Convention en ce
sens que, même si elles avaient déclenché un vif débat par leur comportement et leurs
commentaires publics, les personnes publiques n’avaient pas à tolérer d’être accusées publiquement
d’actes criminels violents sans que pareils propos fussent étayés par des faits (§ 52).
165. En ce qui concerne internet, la Cour a souligné l’importance du critère du degré de gravité de
l’atteinte (Tamiz c. Royaume-Uni (déc.), §§ 80-81). Des millions d’internautes publient en effet
chaque jour des commentaires en ligne et nombre d’entre eux s’expriment d’une manière
susceptible d’être considérée comme injurieuse, voire diffamatoire. Le plus souvent, ces
commentaires revêtent toutefois un caractère trop insignifiant et/ou l’étendue de leur diffusion est
trop limitée pour être de nature à porter gravement atteinte à la réputation d’autrui. Dans l’affaire
citée, le requérant se plaignait que des commentaires postés sur un blog avaient porté atteinte à sa
réputation. Lorsqu’elle s’est prononcée sur le point de savoir si le seuil minimum de gravité avait été
atteint, la Cour s’est ralliée à l’analyse des juridictions nationales selon laquelle, même si la majeure
partie des commentaires dont se plaignait le requérant était indubitablement injurieuse, il s’agissait
dans la plupart des cas de simples « insultes à caractère vulgaire », formulées dans un registre
familier, qui sont courantes dans les communications sur de nombreux sites internet. Par ailleurs, il
est probable que compte tenu du contexte dans lequel ils ont été rédigés, la plupart des
commentaires que le requérant dénonçait, qui formulaient des allégations plus précises et
potentiellement injurieuses, ont été compris par les lecteurs comme de simples conjectures qui ne
devaient pas être prises au sérieux.
166. Dans l’affaire Tamiz c. Royaume-Uni (déc.), la Cour s’est prononcée sur l’étendue du droit au
respect de la vie privée tel que consacré par l’article 8 en liaison avec la liberté d’expression garantie
par l’article 10 aux prestataires de services de la société de l’information tels que Google Inc.
(§§ 83-84). Elle a considéré que l’État défendeur jouissait d’une ample marge d’appréciation et
souligné le rôle important que jouent ces prestataires de services sur internet pour faciliter l’accès à
l’information et le débat sur toute une série de questions politiques, sociales et culturelles (§ 90).
Concernant des commentaires déposés sur un blog par un tiers, elle a rappelé que l’article 8 fait
peser sur les États membres une obligation positive d’assurer aux personnes relevant de leur
juridiction une protection effective de leur droit au respect de la réputation (Pihl c. Suède (déc.),
§ 28 ; voir aussi Høiness c. Norvège). Dans l’affaire Egill Einarsson c. Islande (no 2), les juridictions
internes avaient jugé nulles et non avenues des déclarations diffamatoires publiées sur Facebook
mais, au vu des circonstances de la cause, elles avaient refusé d’accorder au requérant le
remboursement de ses frais de justice ou une indemnité. La Cour a dit que la décision de ne pas
accorder de réparation n’emportait pas en elle-même violation de l’article 8. La Cour a relevé que,
pour apprécier le degré de protection à accorder au droit du requérant au respect de sa réputation,
les juridictions internes avaient pris en compte, entre autres éléments, le fait que les déclarations
incriminées avaient été publiées sous forme de commentaire sur une page Facebook parmi des
centaines, voire des milliers d’autres commentaires, et qu’elles avaient été retirées par leur auteur
dès que le requérant en avait fait la demande (§§ 38-39).
167. En matière de litiges professionnels, la Cour a énoncé dans l’affaire Denisov c. Ukraine [GC] les
principes directeurs présents dans la jurisprudence relative à la « réputation professionnelle et
sociale » (§§ 115-117 et voir ci-dessus « Activités professionnelles ou commerciales »).
168. On ne saurait invoquer l’article 8 pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait
de manière prévisible de ses propres actions. Dans l’affaire Gillberg c. Suède [GC], §§ 67-68, le
requérant alléguait que sa condamnation pénale avait eu en soi un impact sur la jouissance de sa
« vie privée » en ternissant son honneur et sa réputation. La Cour n’a toutefois pas admis ce
raisonnement (voir aussi, entre autres, Sidabras et Džiautas c. Lituanie, § 49 ; Mikolajová
c. Slovaquie, § 57 ; Medžlis Islamske Zajednice Brčko et autres c. Bosnie-Herzégovine [GC], § 76). Une
condamnation pénale ne constitue pas en soi une atteinte au droit au respect de la « vie privée ». Ce
principe vaut aussi pour les irrégularités d’une autre nature, qui engagent d’une certaine manière la
responsabilité juridique d’une personne et emportent des conséquences négatives prévisibles sur sa
« vie privée » (Denisov c. Ukraine [GC], § 98). En revanche, dans l’affaire Vicent Del Campo
c. Espagne, le requérant avait été désigné nommément dans un jugement prononcé au terme d’une
procédure à laquelle il n’était pas partie, qui ne lui avait pas été notifiée et dans le cadre de laquelle
il n’avait pas été cité à comparaître. Ledit jugement avait également exposé les détails d’un
harcèlement prétendument commis par l’intéressé. La Cour a estimé que la divulgation de l’identité
du requérant ne pouvait être considérée comme une conséquence prévisible des actions de celui-ci
et qu’elle n’était justifiée par aucune raison impérieuse (§§ 39-42 et 48-56).
169. La Cour a également considéré qu’à partir d’un certain degré d’enracinement, tout stéréotype
négatif concernant un groupe peut agir sur le sens de l’identité de ce groupe ainsi que sur les
sentiments d’estime de soi et de confiance en soi de ses membres. En cela, il peut être considéré
comme touchant à la vie privée des membres du groupe (Aksu c. Turquie [GC], §§ 58-61, où le
requérant, d’origine rom, s’était senti blessé par certains passages du livre « Les Tsiganes de
Turquie », consacré à la communauté rom ; et Király et Dömötör c. Hongrie, § 43, concernant des
manifestations anti-Roms accompagnées d’intimidations verbales et de menaces plutôt que de
violences). Elle a jugé le principe du stéréotype négatif également applicable dans le cas de propos
diffamatoires à l’égard d’anciens prisonniers de Mauthausen qui, en tant que survivants de
l’holocauste, peuvent être considérés comme constituant un groupe social (hétérogène) (Lewit
c. Autriche, § 46).
170. La Cour a jugé que, lorsqu’il met en balance le droit au respect de la vie privée garanti par
l’article 8 et d’autres droits protégés par la Convention, l’État se doit de garantir ces deux droits et, si
la protection de l’un conduit à une atteinte à l’autre, de choisir les moyens adéquats pour rendre
cette atteinte proportionnée au but poursuivi (Fernández Martínez c. Espagne [GC], § 123). Cette
dernière affaire concernait le droit à la vie privée et familiale ainsi que le droit des organisations
religieuses à l’autonomie. La Cour a conclu que le refus de renouvellement du contrat d’un
enseignant de religion et de morale catholiques après que celui-ci eut publiquement révélé sa
situation de « prêtre marié » n’avait pas emporté violation de l’article 8 (§ 89). Concernant un parent
soupçonné de sévices sur enfant, elle a jugé que l’absence d’une enquête adéquate sur la
divulgation non autorisée d’informations confidentielles ou le défaut de protection de la réputation
du requérant et de son droit à la présomption d’innocence (article 6 § 2) s’analysait en une violation
de l’article 8 (Ageyevy c. Russie, § 155).
171. Lorsqu’elle met en balance, d’une part, la liberté d’expression garantie par l’article 10 et,
d’autre part, le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8, la Cour applique différents
critères, notamment la contribution à un débat d’intérêt public, la notoriété de la personne visée et
l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d’obtention des
informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, et la gravité
de la sanction imposée (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], § 89-95). Ces critères, qui ne sont pas
exhaustifs, doivent être transposés et adaptés aux circonstances de la cause (Axel Springer SE et RTL
Television GmbH c. Allemagne, § 42 ; Jishkariani c. Géorgie, § 46).
172. Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la
réputation et des droits d’autrui (Kaboğlu et Oran c. Turquie, § 74), il lui incombe néanmoins de
communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées
sur toutes les questions d’intérêt général, informations que le public a le droit de recevoir. Cette
tâche englobe la rédaction de comptes rendus et commentaires sur les procédures judiciaires (Axel
Springer AG c. Allemagne [GC], § 79). La Cour a également souligné l’importance du rôle dynamique
de la presse consistant à révéler et porter à la connaissance du public des informations susceptibles
de susciter l’intérêt et de faire naître un tel débat au sein de la société (Couderc et Hachette
Filipacchi Associés c. France [GC], § 114). Certains événements de la vie privée et familiale doivent
toutefois conduire les journalistes à faire preuve de prudence et de précaution lors de leur
traitement (ibidem, § 140).
Dans l’affaire Tamiz c. Royaume-Uni (déc.), la Cour s’est prononcée sur l’étendue du droit au respect
de la vie privée tel que consacré par l’article 8 en liaison avec la liberté d’expression garantie par
l’article 10 aux prestataires de services de la société de l’information tels que Google Inc. (§§ 83-84).
Elle a considéré que l’État défendeur jouissait d’une ample marge d’appréciation et souligné le rôle
important que jouent ces prestataires de services sur internet pour faciliter l’accès à l’information et
le débat sur toute une série de questions politiques, sociales et culturelles (§ 90). Concernant des
commentaires déposés sur un blog par un tiers, elle a rappelé que l’article 8 fait peser sur les États
membres une obligation positive d’assurer aux personnes relevant de leur juridiction une protection
effective de leur droit au respect de la réputation (Pihl c. Suède (déc.), § 28). Dans l’affaire Egill
Einarsson c. Islande (no 2), les juridictions internes avaient jugé nulles et non avenues des
déclarations diffamatoires publiées sur Facebook mais, au vu des circonstances de la cause, elles
avaient refusé d’accorder au requérant le remboursement de ses frais de justice ou une indemnité.
La Cour a dit que la décision de ne pas accorder de réparation n’emportait pas en elle-même
violation de l’article 8. La Cour a relevé que, pour apprécier le degré de protection à accorder au
droit du requérant au respect de sa réputation, les juridictions internes avaient pris en compte,
entre autres éléments, le fait que les déclarations incriminées avaient été publiées sous forme de
commentaire sur une page Facebook parmi des centaines, voire des milliers d’autres commentaires,
et qu’elles avaient été retirées par leur auteur dès que le requérant en avait fait la demande
(§§ 38-39).
173. Dans l’affaire Sousa Goucha c. Portugal, la Cour s’est référée au critère du « lecteur
raisonnable » pour aborder des questions concernant des formes d’expression satirique (§ 50 ; voir
aussi Nikowitz et Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche, §§ 24-26). Elle a également reconnu que la
parodie bénéficiait d’une marge d’appréciation particulièrement large dans le contexte de la liberté
d’expression (Sousa Goucha c. Portugal, § 50). Dans cette affaire, pendant une émission de
télévision humoristique, le requérant, un célèbre animateur de télévision homosexuel, avait fait
l’objet d’une plaisanterie qui l’assimilait à une femme. La Cour a considéré que, la plaisanterie en
cause n’ayant pas été faite dans le contexte d’un débat sur une question d’intérêt général (voir, a
contrario, Alves da Silva c. Portugal et Welsh et Silva Canha c. Portugal), l’obligation de l’État en
vertu de l’article 8 de protéger la réputation d’un requérant ne pouvait entrer en jeu que si les
déclarations en cause étaient allées au-delà des limites considérées comme acceptables au regard
de l’article 10 (Sousa Goucha c. Portugal, § 51). Dans une affaire concernant l’utilisation
non-consensuelle du prénom d’une célébrité dans une campagne publicitaire pour des cigarettes, la
Cour a jugé que la nature à la fois commerciale et humoristique de la publicité en cause et le
comportement antérieur du requérant vis-à-vis du public l’emportaient sur les arguments que le
requérant tirait de l’article 8 (Bohlen c. Allemagne, §§ 58-60 ; voir aussi Ernst August von Hannover
c. Allemagne, § 57).
174. À ce jour, la Cour ne s’est pas expressément prononcée sur la question de savoir si l’article 8
sous son volet relatif à la vie privée protège la réputation d’une entreprise (Firma EDV für Sie, EfS
Elektronische Datenverarbeitung Dienstleistungs GmbH c. Allemagne (déc.), § 23). Il convient
toutefois de mentionner que sur le terrain de l’article 10, la « dignité » d’une institution ne peut pas
être mise sur le même pied que celle des personnes (Kharlamov c. Russie, § 29). De l’avis de la Cour,
la protection de l’autorité de l’université est un simple intérêt institutionnel, qui n’a pas
nécessairement le même poids que la « protection de la réputation ou des droits d’autrui » (voir
aussi Uj c. Hongrie, § 22, où la Cour a considéré qu’il existe une différence entre une atteinte à la
réputation d’une personne concernant son statut social, qui peut entraîner des répercussions sur la
dignité de celle-ci, et une atteinte à la réputation commerciale d’une société, laquelle n’a pas de
dimension morale). De même, dans l’affaire Margulev c. Russie (§ 45), la Cour a souligné qu’il existe
une différence entre la réputation d’une personne morale et celle d’un individu en tant que membre
de la société. Si la réputation de l’individu peut entraîner des répercussions sur la dignité de celui-ci,
celle d’une entité dotée de la personnalité juridique est dépourvue de cette dimension morale. Cette
différence est d’autant plus essentielle lorsque c’est une autorité publique qui invoque le droit au
respect de sa réputation.
25
Voir les autres chapitres du guide.
181. Dans l’affaire Gaughran c. Royaume-Uni, la Cour a également constaté une violation de
l’article 8 à raison de la conservation, sans limitation de durée, du profil ADN, des empreintes
digitales et de la photographie d’une personne reconnue coupable d’une infraction mineure. Les
données biométriques et la photographie du requérant avaient été conservées sans prendre en
considération ni la gravité de l’infraction commise ni la nécessité de conserver ces données sans
limitation de durée. Par ailleurs, aucune disposition ne permettait au requérant de présenter une
demande d’effacement si la conservation des données le concernant n’apparaissait plus pertinente
au regard de la nature de l’infraction qu’il avait commise. La Cour a conclu que la conservation
litigieuse s’analysait en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie
privée (§ 94). À cet égard, elle a estimé que le degré de consensus existant parmi les États
contractants avait restreint la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur relativement à la
conservation des profils ADN (§ 84). Elle a en revanche conclu à la non-violation de l’article 8 dans
l’affaire P.N. c. Allemagne. Cette dernière affaire concernait la conservation pendant cinq ans des
photographies, du signalement et des empreintes digitales et palmaires d’un récidiviste. Étant donné
que la conservation de ces données n’avait pas une durée indéterminée et que le requérant pouvait
en obtenir la suppression dans les fichiers de police si son comportement démontrait qu’elles
n’étaient plus nécessaires au travail de la police, la Cour a jugé que la mesure litigieuse avait
constitué une ingérence proportionnée dans l’exercice par le requérant du droit au respect de sa vie
privée (§§ 85-86).
182. L’affaire Caruana c. Malte (déc.) concernait un prélèvement buccal qui avait été pratiqué sur
l’épouse de l’auteur présumé d’un meurtre. La Cour a dit que le prélèvement buccal ne cause en
général ni lésion corporelle ni souffrance physique ou morale. Il s’agit d’un acte d’une importance
mineure. En l’espèce, le prélévement était nécessaire aux fins d’une enquête sur un meurtre et la
Cour a jugé que cette mesure n’était pas disproportionnée (ibidem, § 41). L’affaire Dragan Petrović
c. Serbie concernait un prélèvement buccal qui avait été pratiqué au cours d’une enquête pour
meurtre. Le requérant n’avait accepté de donner un échantillon de sa salive aux policiers que sous la
menace, en cas de refus, d’un prélèvement de sang coercitif. La Cour a considéré que le prélèvement
d’un échantillon d’ADN constitue une ingérence qui, en l’espèce, n’était pas « prévue par la loi », et
était donc contraire à l’article 8, parce que les dispositions internes n’étaient pas prévisibles : le
mandat autorisant la police à prélever un échantillon de salive ne citait pas de disposition juridique
précise, les dispositions applicables du code de procédure pénale ne faisaient pas précisément
référence au prélèvement d’ADN, et aucun procès-verbal de l’opération n’avait été établi (§§ 80-82).
De surcroît, le droit interne applicable à l’époque des faits ne contenait pas plusieurs des garanties
qui ont ensuite été prévues par la version plus récente du code de procédure pénale, lequel i) cite le
prélèvement d’ADN effectué au moyen d’un « écouvillon buccal », ii) précise que les actes en
question doivent être exécutés par un expert, et iii) limite le cercle des personnes sur lesquelles un
échantillon buccal peut être prélevé sans consentement (§ 83).
183. Dans l’affaire Mifsud c. Malte, la Cour a examiné la question de savoir si l’obligation de fournir
un échantillon de matériel génétique dans le cadre d’une procédure en établissement de paternité
avait emporté violation de l’article 8. Étant donné qu’avant d’ordonner à l’intéressé de se soumettre
à un test ADN, les juridictions internes avaient procédé à la nécessaire mise en balance des intérêts
en présence dans le cadre d’une procédure judiciaire à laquelle le requérant avait participé,
représenté par le conseil de son choix, et dans laquelle ses droits procéduraux avaient été respectés
tout autant que ceux de la partie adverse, la Cour a conclu qu’elles avaient ménagé un juste
équilibre entre les intérêts en jeu (§§ 61-78).
184. La protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du
droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention (Satakunnan
Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], § 133). Ainsi, l’utilisation et la communication
d’informations relatives à la vie privée d’une personne, qui sont mémorisées dans un registre secret,
189. Dans l’affaire M.L. et W.W. c. Allemagne, la Cour a abordé pour la première fois la question des
archives de presse constituées sur Internet à partir d’informations déjà publiées (§ 90 et § 102) et le
rejet d’une demande visant à obliger des organes de presse à rendre anonymes des archives en ligne
portant sur le procès pénal qui avait été dirigé contre les requérants et avait abouti à leur
condamnation (§ 116). La Cour a estimé qu’il convenait de distinguer cette situation des affaires
dans lesquelles des personnes exercent leur droit à la protection des données sur des informations
personnelles publiées sur Internet qui peuvent être consultées et récupérées par des tiers, au moyen
de moteurs de recherche (§ 91), et utilisées aux fins de l’établissement d’un profil (§ 97).
190. Dans l’affaire Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan, la Cour a jugé que la divulgation par les
autorités de poursuite d’informations à caractère privé, concernant les relations financières et
personnelles de la requérante, dans un communiqué de presse qui prétendait fournir un rapport
d’avancement sur une enquête pénale, s’analysait en une violation de l’article 8 (§§ 142-150). Dans
l’affaire J.S. c. the Royaume-Uni (déc.), la Cour a conclu que le grief du requérant tiré d’informations
personnelles contenues dans un communiqué de presse publié par le parquet était manifestement
mal fondé. En l’espèce, les informations divulguées ne révélaient ni le nom du requérant, ni son âge
ou son école, ni aucune autre information personnelle. Le communiqué n’allait pas au-delà de ce qui
est généralement fourni aux médias en réponse à des questions sur une procédure judiciaire.
191. Dans l’affaire Breyer c. Allemagne, la Cour a dit que l’obligation légale pour les opérateurs de
téléphonie mobile de recueillir des données personnelles des utilisateurs de cartes SIM prépayées et
de les tenir à la disposition des autorités n’était pas constitutive d’une violation de l’article 8 de la
Convention. Elle a estimé que l’ingérence était de nature relativement limitée. Concernant
l’enregistrement et la conservation des données en tant que tels, elle a jugé qu’il existait des
garanties suffisantes : par exemple, les données conservées se bornaient aux informations
nécessaires pour identifier clairement l’abonné concerné et la durée de la conservation était limitée.
(Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, § 91). Si la Cour a reconnu que, en particulier dans une
procédure concernant les activités de services de sécurité de l’État, il pouvait y avoir des motifs
légitimes de limiter l’accès à certains documents ou autres éléments, elle a cependant jugé que,
dans le cas d’une procédure de lustration, cette considération n’était plus guère valable (Turek
c. Slovaquie, § 115).
196. La loi doit prévoir une procédure effective et accessible permettant aux requérants d’avoir
accès à toute information importante les concernant (Yonchev c. Bulgarie, §§ 49-53). Dans cette
affaire, le requérant, qui était policier, avait posé sa candidature pour une mission internationale
mais à l’issue de deux évaluations psychologiques, il avait été déclaré inapte à l’exercice de l’emploi
en question. Il allèguait que les autorités avaient refusé de le laisser consulter son dossier personnel
au ministère de l’Intérieur, en particulier les évaluations, au motif que certains documents étaient
classifiés.
concernant la divulgation à un employeur des raisons médicales pour lesquelles un employé avait
été exempté des obligations du service militaire).
200. Le fait pour une clinique de ne pas avoir sollicité le consentement de la patiente avant de
communiquer à la caisse de sécurité sociale, et donc à un nombre accru d’agents publics, son dossier
médical contenant des renseignements sur un avortement s’analysait en une ingérence dans
l’exercice par la patiente concernée de son droit au respect de sa vie privée (M.S. c. Suède, § 35). De
même, la divulgation de données médicales par des établissements médicaux à des journalistes et
au parquet, ainsi que la collecte de données médicales concernant un patient par un organe chargé
de contrôler la qualité de la prise en charge médicale, ont été jugées constitutives d’une atteinte au
droit au respect de la vie privée (Mockutė c. Lituanie, § 95). Dans cette affaire, la Cour a également
estimé que, compte tenu des relations tendues entre la requérante et sa mère, la divulgation
d’informations à cette dernière avait constitué une ingérence au sens de l’article 8 (§ 100).
201. Le droit à un accès effectif à des informations concernant la santé et la capacité à procréer
présente un lien avec la vie privée et familiale des intéressées au sens de l’article 8 de la Convention
(K.H. et autres c. Slovaquie, § 44). Certaines obligations positives inhérentes à un respect effectif de
la vie privée et familiale peuvent imposer à l’État de communiquer aux personnes concernées, en
temps utile, les informations essentielles concernant des risques pour leur santé (Guerra et autres
c. Italie, §§ 58 et 60). En particulier, dès lors qu’un État s’engage dans des activités dangereuses
susceptibles d’avoir des conséquences néfastes cachées sur la santé des personnes qui y participent,
le respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 exige la mise en place d’une procédure
effective et accessible permettant à semblables personnes de demander la communication de
l’ensemble des informations pertinentes et appropriées (McGinley et Egan c. Royaume-Uni, §§ 97
et 101 ; Roche c. Royaume-Uni [GC], § 167).
26
Voir aussi La surveillance des télécommunications dans le contexte pénal et La surveillance secrète spéciale
des citoyens/organisations.
sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure
jugée par eux appropriée. Quel que soit le système de surveillance retenu, elle doit se convaincre de
l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (ibidem, § 106). Le pouvoir de
surveiller en secret les citoyens n’est tolérable que dans la mesure strictement nécessaire à la
sauvegarde des institutions démocratiques (Klass et autres c. Allemagne, § 42 ; Szabó et Vissy
c. Hongrie, §§ 72-73). Pareille ingérence doit se fonder sur des motifs pertinents et suffisants et doit
être proportionnée aux buts légitimes poursuivis (Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, § 88).
204. La Cour a conclu à la violation de l’article 8 lorsque l’enregistrement d’une conversation à l’aide
d’un appareil de radiotransmission dans le cadre d’une opération secrète de la police n’était pas
entourées de garanties procédurales (Bykov c. Russie [GC], §§ 81 et 83 ; Oleynik c. Russie, §§ 75-79).
De même, elle a considéré que la collecte et la conservation systématiques d’informations par des
services de sécurité sur certains individus constituaient une ingérence dans la vie privée de ces
personnes, même si pareilles données avaient été recueillies dans un lieu public (Peck
c. Royaume-Uni, § 59 ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, §§ 57-59) ou ne concernaient que les activités
professionnelles ou publiques de la personne (Amann c. Suisse [GC], §§ 65-67 ; Rotaru c. Roumanie
[GC], §§ 43-44). Elle a également estimé que la collecte d’informations par un émetteur GPS installé
dans la voiture d’une personne et la conservation des données concernant sa localisation et ses
déplacements en public avaient porté atteinte à la vie privée de l’intéressé (Uzun c. Allemagne,
§§ 51-53). Il y a ainsi atteinte au droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 § 1 de
la Convention dès lors que le droit interne n’indique pas avec une clarté suffisante la portée et le
mode d’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités internes pour recueillir et
conserver dans une base de données des informations sur la vie privée de particuliers, notamment
lorsqu’il ne fournit sous une forme accessible au public aucune indication des garanties minimales
contre les abus (Shimovolos c. Russie, § 66, où le nom du requérant était enregistré dans la « base de
données des surveillances », dans laquelle des informations sur ses déplacements par train et par
avion en Russie étaient consignées). La législation interne doit être assortie de garanties
suffisamment précises, effectives et complètes en ce qui concerne la prise, l’exécution et la
réparation éventuelle des mesures de surveillance (Szabó et Vissy c. Hongrie). En matière de
surveillance secrète, il convient d’interpréter la condition que l’ingérence soit « nécessaire dans une
société démocratique » comme exigeant que toute mesure prise réponde au critère de la stricte
nécessité, tant pour préserver, en général, les institutions démocratiques que pour obtenir, en
particulier, des renseignements essentiels dans une opération donnée. Toute mesure de surveillance
secrète qui ne remplit pas le critère de la stricte nécessité pourrait être qualifiée d’abus des
autorités (§§ 72-73).
205. La Cour a également jugé que la consultation des extraits du compte bancaire personnel d’une
avocate avait porté atteinte à son droit au respect du secret professionnel, lequel est inclus dans la
notion de vie privée (Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal, § 59).
Surveillance policière27
206. La Cour a jugé que la surveillance GPS d’une personne soupçonnée de terrorisme, le traitement
et l’utilisation des données ainsi recueillies n’avaient pas emporté violation de l’article 8 (Uzun
c. Allemagne, § 81).
207. Elle a toutefois conclu à une violation de cette disposition dans une affaire où les services de
police avaient enregistré dans une « base de données des surveillances » secrète le nom d’une
personne ainsi que des informations sur ses déplacements en raison de son appartenance à une
organisation de défense des droits de l’homme (Shimovolos c. Russie, § 66, la base de données dans
27
Ce chapitre doit être lu conjointement avec La surveillance des télécommunications dans le contexte pénal
et La surveillance secrète spéciale des citoyens/organisations.
laquelle le nom du requérant avait été enregistré avait été créée par un arrêté ministériel qui n’avait
jamais été publié ni d’une autre manière rendu accessible au public. Il était donc impossible de
savoir pourquoi certaines personnes y étaient enregistrées, quel type d’informations elle contenait,
pendant combien de temps elles y demeuraient, comment les données étaient conservées et
utilisées ou qui les contrôlait).
208. La Cour a établi que la surveillance des communications et entretiens téléphoniques (émanant
tant de locaux professionnels que du domicile privé) relève de la notion de vie privée et de
correspondance au sens de l’article 8 (Halford c. Royaume-Uni, § 44 ; Malone c. Royaume-Uni, § 64 ;
Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), §§ 76-79). Tel n’est pas nécessairement le cas du recours à des
agents infiltrés (Lüdi c. Suisse, § 40).
209. Les écoutes et autres formes d’interception des entretiens téléphoniques représentent une
atteinte grave au respect de la vie privée et de la correspondance. Partant, elles doivent se fonder
sur une loi d’une précision particulière. L’existence de règles claires et détaillées en la matière
apparaît indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se
perfectionner (Kruslin c. France, § 33). Lorsqu’elles mettent en balance l’intérêt de l’État défendeur à
protéger la sécurité nationale au moyen de mesures de surveillance secrète, d’une part, et la gravité
de l’ingérence dans l’exercice par un requérant du droit au respect de sa vie privée, d’autre part, les
autorités nationales disposent d’une certaine marge d’appréciation dans le choix des moyens
propres à atteindre le but légitime que constitue la protection de la sécurité nationale. Des garanties
adéquates et effectives contre les abus doivent toutefois exister. La Cour tient ainsi compte de
toutes les circonstances de la cause, par exemple la nature, la portée et la durée des mesures
éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre,
les exécuter et les contrôler, et le type de recours fourni par le droit interne (Roman Zakharov
c. Russie [GC], § 232; İrfan Güzel c. Turquie, § 85).
210. Dans l’affaire Hambardzumyan c. Arménie (§§ 63-68), le mandat qui autorisait la mesure de
surveillance n’indiquait pas le nom de la requérante comme étant la personne visée par les
enregistrements audio et vidéo que la police avait été autorisée à effectuer. Les communications
téléphoniques de l’intéressée avaient également été surveillées et placées sur écoute, alors que le
mandat ne précisait pas que ces mesures étaient autorisées. La Cour a jugé que l’autorisation
judiciaire qui servait de base à une surveillance secrète ne pouvait être rédigée en des termes si
vagues qu’ils laissaient place à la spéculation quant à son contenu et, surtout, quant à l’identité de la
personne qui devait faire l’objet de la mesure. La surveillance secrète n’ayant en l’espèce pas été
soumise à un contrôle judiciaire adéquat, la Cour a estimé qu’elle n’était pas « prévue par la loi » au
sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
211. Ainsi, dans le cas de mesures d’interception, de « comptage » ou d’écoute d’entretiens
téléphoniques des requérants dans le cadre de poursuites pénales, la Cour a conclu à la violation de
l’article 8 au motif que pareilles mesures n’étaient pas prévues par la loi (Malone c. Royaume-Uni ;
Khan c. Royaume-Uni). L’expression « prévue par la loi » impose non seulement le respect du droit
interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, celle-ci devant être compatible avec le principe de la
prééminence du droit (Halford c. Royaume-Uni, § 49). Dans le contexte de la surveillance secrète
exercée par les autorités publiques, le droit interne doit offrir une protection contre une ingérence
arbitraire dans l’exercice du droit d’un individu au regard de l’article 8 (Khan c. Royaume-Uni,
§§ 26-28). En outre, la loi doit user de termes assez clairs pour indiquer aux individus de manière
suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite les autorités publiques à
prendre pareilles mesures secrètes (ibidem). Lorsqu’il n’existe aucun système légal régissant l’emploi
d’appareils d’écoute secrète et que les directives les concernant ne sont ni juridiquement
contraignantes ni directement accessibles au public, on ne peut considérer que l’ingérence est
« prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, et il y a donc violation de l’article 8
(ibidem, §§ 27-28).
28
Voir aussi le Guide sur le terrorisme.
Relation avocat-client
220. Dans l’affaire Altay c. Turquie (no 2), la Cour a jugé pour la première fois que les
communications entre une personne et un avocat dans le cadre de l’assistance juridique relèvent du
domaine de « vie privée » étant donné que leur objectif est de permettre à l’intéressée de prendre
des décisions éclairées sur sa vie. Elle a considéré que le plus souvent, un client communique à son
avocat des informations qui portent sur des sujets intimes ou personnels, ou sur des questions
sensibles. Il s’ensuit donc qu’une personne qui consulte un avocat peut raisonnablement s’attendre
à ce que leurs échanges soient privés et confidentiels, que ces échanges s’inscrivent dans le cadre de
l’assistance juridique fournie en lien avec une affaire civile ou pénale ou qu’ils aient trait à des
conseils juridiques d’ordre général (§ 49).
221. Il y va clairement de l’intérêt public qu’une personne désireuse de consulter un homme de loi
puisse le faire dans des conditions propices à une pleine et libre discussion (§ 50 qui se réfère à
Campbell c. Royaume-Uni, § 46). En principe, les communications orales et écrites entre un avocat et
son client jouissent d’un statut privilégié en vertu de l’article 8 (§ 51).
222. Malgré son importance, le droit de communiquer de manière confidentielle avec un avocat
n’est pas un droit absolu puisqu’il peut être soumis à des restrictions. Afin de s’assurer que les
limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa
substance même et de le priver de son effectivité, la Cour doit se convaincre que celles-ci sont
prévisibles pour le justiciable, qu’elles tendent à un ou des buts légitimes au sens de l’article 8 § 2, et
qu’elles sont « nécessaires dans une société démocratique » en ce sens qu’elles sont proportionnées
aux objectifs poursuivis.
29
Voir aussi Domicile ci-dessous.
223. La marge d’appréciation dont dispose l’État lorsqu’il s’agit d’évaluer les limites admissibles de
l’ingérence dans la confidentialité des consultations et des communications avec un avocat est
étroite en ce que seules des circonstances exceptionnelles, comme éviter la perpétration d’un délit
grave ou une atteinte majeure à la sécurité et à la sûreté de la prison, peuvent justifier la nécessité
d’apporter des restrictions à ces droits (§ 52).
30
Voir aussi La correspondance des détenus.
justice et peuvent être considérés, en vertu de ce rôle d’intermédiaire entre les justiciables et les
tribunaux, comme des agents de la loi (§ 56).
228. Dans l’affaire Gorlov et autres c. Russie, la Cour a jugé que la vidéosurveillance permanente de
détenus dans leurs cellules n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention
en ce que le droit interne ne définissait pas l’étendue des pouvoirs des autorités et leurs modalités
d’exercice avec une clarté suffisante pour offrir aux intéressés une protection contre l’arbitraire. Elle
a ainsi constaté que les autorités avaient le pouvoir absolu de mettre tout individu, en détention
provisoire ou purgeant une peine d’emprisonnement, sous une vidéosurveillance permanente, sans
condition, à tout endroit de l’établissement, pendant une durée indéfinie et en l’absence de
réexamens périodiques. En l’état, le droit national ne proposait quasiment aucune garantie contre
d’éventuels abus par les agents de l’État.
229. Dans l’affaire Szafrański c. Pologne, la Cour a considéré que le fait pour le requérant de devoir
utiliser les toilettes en présence d’autres détenus l’avait privé du degré minimum d’intimité dans son
quotidien et que les autorités nationales avaient ainsi manqué à leur obligation positive à cet égard,
ce qui avait emporté violation de l’article 8 (§§ 39-41).
D. Identité et autonomie
230. L’article 8 garantit à l’individu une sphère dans laquelle il peut poursuivre librement le
développement et l’épanouissement de sa personnalité (A.-M.V. c. Finlande, § 76 ; Brüggemann et
Scheuten c. Allemagne, décision de la Commission ; Fédération nationale des associations et
syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, § 153).
239. Dans l’affaire Odièvre c. France [GC], la requérante, qui avait été adoptée, avait demandé à
avoir accès à des informations qui lui auraient permis d’identifier sa mère et sa famille biologiques,
mais sa requête avait été rejetée en vertu d’une procédure particulière qui autorisait les mères à
conserver l’anonymat. La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 en ce que l’État avait ménagé
un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence (§§ 44-49).
240. La Cour a toutefois jugé que si le droit national ne ménageait pas un juste équilibre entre les
droits et intérêts en présence, l’impossibilité pour un enfant non reconnu à la naissance de
demander soit l’accès à des informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du
secret quant à l’identité de sa mère, emportait violation de l’article 8 (Godelli c. Italie, §§ 57-58).
Lien de filiation
241. Le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être
humain, ce qui inclut sa filiation (Mennesson c. France, § 96). L’article 8 protège donc également les
enfants nés d’une mère porteuse hors de l’État membre en question, lorsque les personnes qui sont
légalement les parents en vertu du droit de l’État étranger ne peuvent pas faire transcrire le lien
juridique de filiation en droit interne. La Cour n’exige pas des États qu’ils légalisent la gestation pour
autrui. De plus, ceux-ci peuvent, avant de délivrer les documents d’identité de l’enfant, demander
une preuve de filiation pour les enfants nés d’une mère porteuse. Le droit de l’enfant au respect de
sa vie privée exige toutefois que le droit interne rende possible la reconnaissance d’un lien de
filiation entre un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui et le père d’intention dès lors
qu’il s’agit du père biologique (Mennesson c. France ; Labassee c. France ; D. et autres c. Belgique ;
Foulon et Bouvet c. France, §§ 55-58).
Dans son premier avis consultatif, la Cour a précisé que lorsqu’un enfant est né d’une gestation pour
autrui pratiquée à l’étranger, dans une situation où il a été conçu avec les gamètes d’une tierce
donneuse, et que la mère d’intention est désignée dans l’acte de naissance légalement établi à
l’étranger comme étant la « mère légale », le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert
également la possibilité d’une reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre cet enfant
et la mère d’intention. Le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre pareille
reconnaissance tombe dans la marge d’appréciation des États. Néanmoins, lorsque le lien entre
l’enfant et la mère d’intention s’est « concrétisé », les modalités prévues par le droit interne pour
permettre la reconnaissance de ce lien doivent garantir « l’effectivité et la célérité de leur mise en
œuvre » (Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un
enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC]). Appliquant
les principes énoncés dans l’affaire Mennesson c. France et dans l’Avis consultatif susmentionné, la
Cour a jugé que l’obligation d’emprunter la voie de l’adoption pour la reconnaissance du lien de
filiation avec leur mère génétique des enfants nés par gestation pour autrui ne porte pas atteinte au
droit de la mère au respect de sa vie privée (D c. France).
Identité de genre
248. L’article 8 est applicable à la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle des personnes
transgenres ayant subi une opération de conversion sexuelle (Hämäläinen c. Finlande [GC], § 68),
aux conditions d’accès à une opération de ce type (L. c. Lituanie, § 56-57 ; Schlumpf c. Suisse, § 107 ;
Y.Y. c. Turquie, §§ 65-66) et à la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle des personnes
transgenres qui n’ont pas subi ou ne souhaitent pas subir d’opération de conversion sexuelle (A.P.,
Garçon et Nicot c. France, §§ 95-96).
249. La Cour a examiné une série d’affaires concernant la reconnaissance officielle de personnes
transgenres après une opération de changement de sexe au Royaume-Uni (Rees c. Royaume-Uni ;
Cossey c. Royaume-Uni ; X, Y et Z c. Royaume-Uni ; Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni ; Christine
Goodwin c. Royaume-Uni [GC] ; I. c. Royaume-Uni [GC]). Dans les affaires Christine Goodwin et
I. c. Royaume-Uni, elle a conclu à la violation de l’article 8 au vu notamment d’une tendance
européenne et internationale vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des
personnes transgenres opérées. L’affaire Goodwin soulevait la question de savoir si l’État défendeur
avait ou non méconnu son obligation positive de garantir à la requérante, une personne transgenre
passée du sexe masculin au sexe féminin à la suite d’une opération, le droit au respect de sa vie
privée, notamment en ne reconnaissant pas la conversion sexuelle de l’intéressée sur le plan
juridique. La Cour a conclu qu’il y avait eu manquement par l’État à son obligation de respecter le
droit à la vie privée de la requérante car aucun facteur important d’intérêt public n’entrait en
concurrence avec l’intérêt de la requérante à obtenir la reconnaissance juridique de sa conversion
sexuelle (§ 93).
250. La Cour a reconnu qu’au XXIe siècle, la faculté pour les personnes transgenres de jouir
pleinement, à l’instar de leurs concitoyens, du droit au développement personnel et à l’intégrité
physique et morale ne pouvait être considérée comme une question controversée exigeant du
temps pour que l’on parvînt à appréhender plus clairement les problèmes en jeu. Elle a dit que, en
résumé, la situation insatisfaisante des personnes transgenres opérées, qui vivent entre deux
mondes parce qu’ils n’appartiennent pas vraiment à un sexe ni à l’autre, ne pouvait plus durer
(Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], § 90 ; Grant c. Royaume-Uni, § 40 ; L. c. Lituanie, § 59).
251. Les États membres disposent toutefois d’une marge d’appréciation quant au changement
d’identité d’une personne transgenre sur des documents officiels. Dans l’affaire Hämäläinen
c. Finlande [GC], la requérante se plaignait de ne pouvoir obtenir la pleine reconnaissance de son
nouveau sexe sans transformer son mariage en un partenariat enregistré. La Cour a observé que
l’article 8 trouvait à s’appliquer en l’espèce, tant en son volet vie privée qu’en son volet vie familiale
(§§ 60-61). Elle a jugé que le refus de l’État de reconnaître l’identité féminine de la requérante à la
suite de sa conversion sexuelle sauf transformation de son mariage en partenariat enregistré n’était
pas disproportionné. Elle a en effet rappelé que la Convention n’impose pas aux États une obligation
générale d’autoriser les mariages entre personnes de même sexe. Elle a donc conclu qu’en l’absence
de consensus européen en la matière, et compte tenu des questions morales et éthiques délicates
en jeu, la Finlande devait se voir reconnaître une ample marge d’appréciation en ce qui concerne
tant la décision de légiférer ou non sur la reconnaissance juridique des changements de sexe
résultant d’opérations de conversion sexuelle que les règles édictées pour ménager un équilibre
entre les intérêts publics et les intérêts privés en conflit (§ 67).
252. Concernant la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle des personnes transgenres, la
Cour a jugé, dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot c. France, que conditionner cette reconnaissance à la
réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisants (« condition de stérilité ») que les
intéressées ne souhaitent pas subir revient à conditionner le plein exercice de leur droit au respect
de leur vie privée à la renonciation au plein exercice de leur droit au respect de leur intégrité
physique, que garantit non seulement l’article 8 mais aussi l’article 3 de la Convention (§ 131), ce qui
emporte violation du droit au respect de leur vie privée (§ 135). Elle a en effet considéré que deux
raisons justifient que l’État ne dispose que d’une marge d’appréciation restreinte quant à la
condition de stérilité : premièrement, la condition d’irréversibilité de la transformation de
l’apparence touche à un aspect essentiel de l’identité intime des personnes, si ce n’est de leur
existence ; deuxièmement, une tendance est récemment apparue en Europe vers l’abandon de la
condition de stérilité. La Cour a toutefois estimé que, dans le cadre de son ample marge
d’appréciation, l’État peut exiger un diagnostic préalable de « syndrome de dysphorie de genre »
(§§ 139-143) et la réalisation d’un examen médical confirmant la réassignation sexuelle
(§§ 150-154).
253. Dans l’affaire S.V. c. Italie, les autorités avaient refusé d’autoriser la requérante à changer de
prénom avant l’aboutissement d’une opération de conversion sexuelle. La Cour a jugé que le rejet de
la demande de la requérante était basé sur des arguments purement formels ne prenant nullement
en compte le fait que l’intéressée avait entrepris depuis des années un parcours de transition
sexuelle qui avait modifié son apparence physique et son identité sociale (§§ 70-75). Pour la Cour, la
rigidité du processus judiciaire de reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres a
placé la requérante pendant une période déraisonnable – deux ans et demi – dans une situation
anormale susceptible de lui inspirer des sentiments de vulnérabilité, d’humiliation et d’anxiété
(§ 72).
254. Dans le cas particulier examiné dans l’affaire L. c. Lituanie, le requérant transgenre avait subi
une opération de conversion sexuelle partielle, faute d’un cadre légal adéquat qui lui aurait permis
de se soumettre à une chirurgie complète. Tant qu’il n’avait pas parachevé sa conversion sexuelle, il
lui était impossible de faire modifier son code personnel sur son nouveau certificat de naissance, sur
son passeport et sur son diplôme universitaire car aucun texte ne réglementait les opérations de
conversion sexuelle complète. Pour la Cour, l’État a manqué à son obligation de ménager un juste
équilibre entre l’intérêt général et les droits du requérant. En effet, la lacune législative existante a
placé le requérant dans une situation d’incertitude pénible pour ce qui est du déroulement de sa vie
privée, et les restrictions budgétaires dans le système public de santé ne pouvaient justifier un
retard de plus de quatre années (ibidem, § 59).
255. Plus récemment, dans une affaire concernant un requérant transgenre qui se plaignait de
l’absence de cadre réglementaire pour la reconnaissance juridique de son identité sexuelle et qui
alléguait que cette reconnaissance était conditionnée à la réalisation d’une opération de conversion
sexuelle complète, la Cour a jugé que l’absence de « procédures rapides, transparentes et
accessibles » permettant de changer le genre des personnes transgenres sur leur certificat de
naissance avait emporté violation de l’article 8 (X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, § 70).
L’État a manqué à son obligation positive de mettre en place une procédure effective et accessible
assortie de conditions clairement définies garantissant au requérant l’exercice de son droit au
respect de la vie privée en ce qui concerne sa demande de modification de l’indication du
sexe/genre dans le registre d’état-civil.
256. Dans l’affaire Y.T. c. Bulgarie, la Cour a dit que le refus d’autoriser une personne transgenre à
modifier la mention relative au sexe sur les registres d’état civil la concernant, alors même que son
physique et son identité sociale et familiale avaient changé depuis longtemps, a porté une atteinte
injustifiée au droit au respect de sa vie privée. Elle a en particulier estimé que les juridictions
internes n’avaient pas avancé de motivation suffisante et pertinente pour justifier ce refus ni
expliqué pourquoi dans d’autres affaires une telle réassignation pouvait être reconnue (§ 74).
257. Une autre question importante porte sur l’accès aux opérations de conversion sexuelle et aux
autres traitements pour les personnes transgenres. Sans aller jusqu’à reconnaître un droit général
d’accéder à pareil traitement (Y.Y. c. Turquie, § 65), la Cour a toutefois jugé que le refus de prise en
charge par l’assurance peut emporter violation de l’article 8 (Van Kuck c. Allemagne, §§ 82-86 ;
Schlumpf c. Suisse, § 115-116). Dans l’affaire Schlumpf, la Cour a estimé que l’État dispose d’une
marge d’appréciation étroite s’agissant d’une question touchant à l’un des aspects les plus intimes
de la vie privée, à savoir l’identité sexuelle d’un individu (§§ 104 et 115). En l’espèce, eu égard à la
situation très particulière dans laquelle se trouvait la requérante – âgée de plus de soixante-sept ans
au moment de sa demande de prise en charge des frais liés à l’opération – l’État n’aurait pas dû
appliquer mécaniquement le délai d’observation de deux ans requis par la loi. La Cour a conclu qu’un
juste équilibre n’avait pas été ménagé entre les intérêts de la compagnie d’assurance, d’une part, et
les intérêts de la requérante, d’autre part (§ 115).
258. Concernant la question des opérations de conversion sexuelle, dans l’affaire Y.Y. c. Turquie, le
requérant souhaitait obtenir l’autorisation de recourir à une telle opération mais celle-ci lui avait été
refusée par les autorités turques au motif qu’il ne satisfaisait pas à la condition préalable de
l’incapacité permanente de procréer (§ 44). La Cour a estimé qu’en déniant au requérant, pendant
de nombreuses années, la possibilité d’accéder à la chirurgie de changement de sexe, l’État avait
méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée (§§ 121-122).
31
Voir aussi Domicile.
262. Tenant compte du contexte général de préjugés contre les Roms dans le pays, la Cour a conclu
à la violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 dans une affaire où la police n’avait pas protégé
les habitants roms d’un village du saccage de leurs domiciles, voire avait joué un certain rôle dans
cette attaque, et où il n’y avait pas eu d’enquête interne effective (Burlya et autres c. Ukraine,
§§ 169-170).
263. La Cour a jugé que la vie en caravane faisait partie intégrante de l’identité d’une femme
tsigane, dont l’État devait tenir compte lorsqu’il adoptait des mesures d’expulsion d’un terrain
(Chapman c. Royaume-Uni [GC], § 73 ; McCann c. Royaume-Uni, § 55). Dans l’affaire Hirtu et autres
c. France, à propos de l’expulsion de Roms qui vivaient illégalement dans un camp, la Cour a affirmé
que l’appartenance des Roms à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers à ce
titre doivent être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont
tenues d’effectuer (§ 75). Elle a également conclu à la violation de l’article 8 pour des motifs
procéduraux du fait de l’expulsion sommaire d’une famille d’un site caravanier mis à disposition par
l’autorité locale et sur lequel le requérant et sa famille avaient vécu plus de treize ans. Elle a estimé
que l’ingérence constatée était d’une gravité telle qu’elle ne pouvait se justifier que par « des motifs
d’intérêt général particulièrement impérieux » et que la marge d’appréciation devant être reconnue
aux autorités nationales s’en trouvait réduite d’autant (Connors c. Royaume-Uni, § 86). Elle a
toutefois déjà jugé que des politiques nationales en matière d’aménagement peuvent justifier le
déplacement de sites caravaniers si un juste équilibre est ménagé entre les droits individuels des
familles qui y vivent et les droits des autres membres de la communauté, notamment leur droit à
voir l’environnement protégé (Jane Smith c. Royaume-Uni [GC], §§ 119-120 ; Lee c. Royaume-Uni
[GC] ; Beard c. Royaume-Uni [GC] ; Coster c. Royaume-Uni [GC]).
264. La Cour a conclu que la conservation par les autorités des empreintes digitales, échantillons
cellulaires et profils ADN des requérants après la conclusion des poursuites pénales engagées contre
eux et l’utilisation de ces données pour en déduire leur origine ethnique avaient porté atteinte au
droit au respect de l’identité ethnique garanti aux requérants par l’article 8 (S. et Marper
c. Royaume-Uni [GC], § 66).
265. Elle a également estimé qu’à partir d’un certain degré d’enracinement, tout stéréotype négatif
concernant un groupe peut agir sur le sens de l’identité de ce groupe ainsi que sur les sentiments
d’estime de soi et de confiance en soi de ses membres. En cela, il peut être considéré comme
touchant à la vie privée des membres du groupe (Aksu c. Turquie [GC], §§ 58-61, où le requérant,
d’origine rom, s’était senti blessé par certains passages du livre « Les Tsiganes de Turquie », consacré
à la communauté rom ; Király et Dömötör c. Hongrie, § 43, concernant des manifestations anti-Roms
accompagnées d’intimidations verbales et de menaces plutôt que de violences). Elle a jugé le
principe du stéréotype négatif également applicable dans le cas de propos diffamatoires à l’égard
d’anciens prisonniers de Mauthausen qui, en tant que survivants de l’holocauste, peuvent être
considérés comme constituant un groupe social (hétérogène) (Lewit c. Autriche, § 46).
266. Dans le contexte de l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de
la famille, la Cour a souligné qu’il est impératif de tenir compte des effets à long terme que peut
emporter une séparation permanente entre un enfant et sa mère biologique, d’autant plus lorsque
cette séparation pourrait éloigner l’enfant de son identité rom (Jansen c. Norvège, § 103).
32
Voir le Guide sur l'immigration.
raison de l’impact d’un tel refus sur la vie privée de l’intéressé (Karassev c. Finlande (déc.) ; Slivenko
et autres c. Lettonie (déc.) [GC] ; Genovese c. Malte). La perte d’une nationalité acquise peut porter
une atteinte identique (voire plus grave) au droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale
(Ramadan c. Malte, § 85 ; dans le contexte d’activités en rapport avec le terrorisme, K2
c. Royaume-Uni (déc.), § 49, et Ghoumid et autres c. France, § 43 (pour ce qui est de la vie privée))33.
Pour déterminer si pareille ingérence enfreint l’article 8, deux questions distinctes doivent être
examinées : le point de savoir si la décision de déchoir l’intéressé de sa nationalité était arbitraire
(un critère plus strict que celui de la proportionnalité), d’une part, et la question des conséquences
de cette décision pour le requérant, d’autre part (Ramadan c. Malte, §§ 86-89 ; K2 c. Royaume-Uni
(déc.), § 50 ; et Ghoumid et autres c. France, § 44, concernant la déchéance de nationalité prononcée
en considération d’une condamnation pour une infraction à caractère terroriste commise plus de dix
ans auparavant). Les mêmes principes s’appliquent au refus des autorités de délivrer une carte
d’identité (Ahmadov c. Azerbaïdjan, § 45). Dans l’affaire Ahmadov, les autorités nationales avaient
estimé que le requérant n’avait jamais acquis la nationalité azerbaïdjanaise et n’était pas citoyen de
la République d’Azerbaïdjan alors même qu’il avait été considéré comme tel par différents pouvoirs
publics entre 1991 et 2008 et qu’un tampon sur son passeport soviétique confirmait qu’il avait la
nationalité azerbaïdjanaise. La Cour a jugé que le refus de reconnaître ladite nationalité au
requérant n’avait pas été accompagné des garanties procédurales nécessaires et était à la fois
arbitraire et contraire à l’article 8 de la Convention.
268. L’article 8 de la Convention ne peut pas être interprété comme garantissant, en tant que tel, le
droit à un type particulier de titre de séjour. Le choix en la matière relève en principe de
l’appréciation souveraine des autorités nationales (Kaftailova c. Latvia (radiation du rôle) [GC], § 51).
Cependant, la solution proposée doit permettre à l’individu concerné d’exercer sans entrave son
droit à la vie privée et/ou familiale (B.A.C. c. Grèce, § 35 ; Hoti c. Croatie, § 121). Des mesures
restreignant le droit d’une personne de séjourner dans un pays peuvent, dans certains cas, donner
lieu à une violation de l’article 8 s’il en résulte des répercussions disproportionnées sur la vie privée
et/ou familiale de l’intéressé (Hoti c. Croatie, § 122).
269. En outre, dans ce contexte, l’article 8 peut impliquer une obligation positive de garantir la
jouissance effective par le requérant de son droit au respect de sa vie privée et/ou familiale (Hoti
c. Croatie, § 122). Dans la même affaire, les autorités nationales ont porté atteinte au droit à la vie
privée d’un immigré apatride en négligeant pendant des années de régulariser son statut de résident
et en le laissant dans une situation de précarité (§ 126). L’État n’a pas rempli son obligation positive
de mettre en place une procédure – ou une combinaison de procédures – effective et accessible, qui
aurait permis au requérant d’obtenir sur son séjour et sur son statut en Croatie une décision tenant
dûment compte de ses intérêts liés à sa vie privée au regard de l’article 8 (§ 141). Dans l’affaire
Sudita Keita c. Hongrie, l’État n’a pas non plus honoré l’obligation positive qu’il avait de fournir au
requérant, apatride de fait, une procédure ou un ensemble de procédures effectives et accessibles
propres à lui permettre d’obtenir, relativement à son statut en Hongrie, une décision respectueuse
de son droit à la vie privée au sens de l’article 8 (§ 41). Le requérant avait en particulier rencontré
pendant une quinzaine d’années d’interminables difficultés pour régulariser sa situation, lesquelles
avaient eu des retombées négatives sur la possibilité pour lui d’avoir accès aux soins et à l’emploi et
sur son droit au mariage.
270. La Cour a considéré que le défaut de réglementation de la question du séjour de personnes
ayant été « effacées » du registre des résidents permanents après le retour à l’indépendance de la
Slovénie avait emporté violation de l’article 8 (Kurić et autres c. Slovénie [GC], § 339).
271. Lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter atteinte au
droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 combiné avec l’article 8 de la
33
Voir le Guide sur le terrorisme.
Convention exige que l’État fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester
la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment
approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une
instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité (De
Souza Ribeiro c. France [GC], § 83 ; M. et autres c. Bulgarie, §§ 122-132 ; Al-Nashif c. Bulgarie, § 133).
34
Voir également le Guide sur l'immigration.
35
Voir aussi Décisions de renvoi et d’expulsion.
275. De même, les procédures relatives à l’identité d’une personne en tant que parent relèvent de
la vie privée et familiale. La Cour a ainsi considéré que la détermination du régime juridique des
relations d’un père avec son enfant putatif (Rasmussen c. Danemark, § 33 ; Yildirim c. Autriche
(déc.) ; Krušković c. Croatie, § 20 ; Ahrens c. Allemagne, § 60 ; Tsvetelin Petkov c. Bulgarie, §§ 49-59 ;
Marinis c. Grèce, § 58), tout comme une action en désaveu de paternité (R.L. et autres c. Danemark,
§ 38 ; Shofman c. Russie, §§ 30-32), relevait de la « vie privée » de l’intéressé. En outre, le droit de
solliciter une adoption pour devenir parents relève de la vie privée (A.H. et autres c. Russie, § 383).
279. En dépit de l’absence de liens biologiques et d’un lien de parenté juridiquement reconnu par
l’État défendeur, la Cour a estimé qu’il y avait vie familiale entre les parents d’accueil qui avaient pris
soin temporairement d’un enfant et ce dernier, et ce en raison des forts liens personnels existant
entre eux, du rôle assumé par les adultes vis-à-vis de l’enfant, et du temps vécu ensemble (Moretti
et Benedetti c. Italie, § 48; Kopf et Liberda c. Autriche, § 37). En outre, dans l’affaire Wagner et
J.M.W.L. c. Luxembourg – où il était question de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance au
Luxembourg d’une décision judiciaire péruvienne prononçant l’adoption plénière de la deuxième
requérante au profit de la première requérante – la Cour a reconnu l’existence d’une vie familiale en
l’absence d’une reconnaissance juridique de l’adoption. Elle a pris en compte la circonstance que des
liens familiaux de facto existaient depuis plus de dix ans entre les requérantes et que la première
requérante se comportait à tous égards comme la mère de la mineure. Dans ces affaires, le
placement de l’enfant auprès des requérants était soit reconnu soit toléré par les autorités. En
revanche, dans l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], compte tenu de l’absence de tout lien
biologique entre l’enfant et les parents d’intention, de la courte durée de la relation avec l’enfant
(environ huit mois) et de la précarité juridique des liens entre eux, et malgré l’existence d’un projet
parental et la qualité des liens affectifs, la Cour a estimé que les conditions propres à l’existence
d’une vie familiale n’avaient pas été remplies (§§ 156-157) (comparer avec D. et autres c. Belgique
(déc.)).
280. Les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit
d’adopter. Le droit au respect d’une « vie familiale » ne protège pas le simple désir de fonder une
famille ; il présuppose l’existence d’une famille, voire au minimum d’une relation potentielle qui
aurait pu se développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage, d’une
relation née d’un mariage non fictif, même si une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement
établie, d’une relation entre un père et son enfant légitime, même s’il s’est avéré des années après
que celle-ci n’était pas fondée sur un lien biologique (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], § 141). Le
projet d’une requérante d’établir une « vie familiale », auparavant inexistante, avec son neveu en
devenant sa tutrice a ainsi été jugé comme ne relevant pas de la « vie familiale » telle que protégée
par l’article 8 (Lazoriva c. Ukraine, § 65).
281. Même en l’absence de vie familiale, l’article 8 peut toutefois encore trouver à s’appliquer sous
l’angle de la vie privée (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], § 165; Lazoriva c. Ukraine, §§ 61 et 66 ;
Azerkane c. Pays-Bas, § 65).
B. Obligation procédurale
282. Si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure (comme cela a été relevé
ci-dessus), il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit
équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cet article (Petrov et X c. Russie,
§ 101), particulièrement lorsqu’il s’agit de la prise en charge d’enfants (W. c. Royaume-Uni, §§ 62
et 64 ; McMichael c. Royaume-Uni, § 92 ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], §§ 72-73) ou du retrait
de l’autorité parentale avec autorisation d’adopter l’enfant (Strand Lobben et autres c. Norvège [GC],
§§ 212-213, 220). La Cour a également jugé que dans les affaires où la durée de la procédure est
clairement déterminante pour la vie familiale du requérant, il y a lieu d’adopter une approche plus
stricte, et l’État doit offrir un recours interne à la fois préventif et indemnitaire (Macready
c. République tchèque, § 48 ; Kuppinger c. Allemagne, § 137).
36
Voir aussi Allocations pour congé parental, autorité parentale/garde et droits de visite.
reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude, en particulier lorsqu’il s’agit d’apprécier
la nécessité de prendre en charge un enfant par la voie d’une procédure d’urgence (R.K. et A.K.
c. Royaume-Uni), d’adopter une législation en matière de divorce et de l’appliquer à certains cas
particuliers (Babiarz c. Pologne, § 47), ou de déterminer le statut juridique d’un enfant (Fröhlich
c. Allemagne, § 41).
284. Il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires,
comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties
juridiques destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect
de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations
familiales entre un jeune enfant et l’un de ses parents ou les deux (Sahin c. Allemagne [GC], § 65 ;
Sommerfeld c. Allemagne [GC], § 63).
285. Leur marge d’appréciation est toutefois plus limitée concernant le droit de visite et le droit
d’obtenir des informations concernant l’enfant (Fröhlich c. Allemagne) et beaucoup plus étroite en
cas de séparation prolongée entre parents et enfants. En pareil cas, les États ont l’obligation de
prendre des mesures visant à les réunir (Elsholz c. Allemagne [GC] ; K.A. c. Finlande).
288. Cependant, en général, la Cour ne voit pas dans la vie commune une condition sans laquelle on
ne saurait parler de vie familiale entre parents et enfants (Berrehab c. Pays-Bas, § 21). Ce n’est pas
parce qu’un mariage n’est pas conforme au droit national qu’il est impossible de constater
l’existence d’une vie familiale (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, § 63). Un mariage
purement religieux contracté par un couple et non reconnu par le droit interne peut relever du
domaine de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. L’article 8 ne saurait toutefois
s’interpréter comme imposant à l’État l’obligation de reconnaître le mariage religieux, par exemple
en matière de droits successoraux et de pensions de réversion (Şerife Yiğit c. Turquie [GC], §§ 97-98
et 102), ou lorsque le mariage a été contracté par une enfant de quatorze ans (Z.H. et R.H. c. Suisse,
§ 44).
289. Enfin, des fiançailles ne créent pas en elles-mêmes une vie familiale (Wakefield
c. Royaume-Uni, décision de la Commission).
b. Couples homosexuels
290. La relation stable qu’entretient un couple homosexuel relève de la notion de vie familiale, ainsi
que de celle de vie privée, au même titre que celle d’un couple hétérosexuel (Vallianatos et autres
c. Grèce [GC], § 73-74 ; X et autres c. Autriche [GC], § 95 ; P.B. et J.S. c. Autriche, § 30 ; Schalk et Kopf
c. Autriche, §§ 92-94). Ce principe a été énoncé pour la première fois dans l’arrêt Schalk et Kopf
c. Autriche, dans lequel la Cour a estimé qu’il était artificiel de continuer à considérer que, au
contraire d’un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne saurait connaître une « vie familiale »
aux fins de l’article 8. En conséquence, la relation qu’entretenaient les requérants, un couple
homosexuel cohabitant de fait de manière stable, relevait de la notion de « vie familiale » au même
titre que celle d’un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation. La Cour a aussi jugé que
la relation entre deux femmes vivant ensemble sous le régime du pacte civil de solidarité (PACS) et
l’enfant de l’une d’elles conçu par procréation médicalement assistée et élevé conjointement avec la
partenaire, s’analysait en une « vie familiale » aux fins de l’article 8 (Gas et Dubois c. France (déc.) ;
X et autres c. Autriche [GC], § 96).
291. En 2010, la Cour a constaté que se faisait jour un consensus européen tendant à la
reconnaissance juridique des couples homosexuels, évolution qui s’était produite avec rapidité au
cours de la décennie écoulée (Schalk et Kopf c. Autriche, § 105 ; voir aussi Orlandi et autres c. Italie,
§§ 204-206). Dans les affaires Schalk et Kopf c. Autriche, § 108, et Chapin et Charpentier c. France,
§ 48, la Cour a estimé que les États sont libres, au titre de l’article 14 combiné avec l’article 8, de
n’ouvrir le mariage qu’aux couples hétérosexuels.
292. Toutefois, ayant relevé que parmi les dix-neuf États parties à la Convention qui autorisaient des
formes de partenariats enregistrés autres que le mariage, seuls deux les réservaient uniquement aux
couples de sexe opposé, la Cour a conclu à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8
concernant une loi interdisant aux couples homosexuels de conclure des unions civiles (Vallianatos
et autres c. Grèce [GC], §§ 91-92). Constatant que la tendance à la reconnaissance juridique se
confirmait au niveau international, et eu égard aux circonstances propres à l’Italie, la Cour a
considéré que les autorités italiennes n’avaient pas rempli l’obligation positive que leur imposait
l’article 8 de veiller à fournir aux requérants un cadre juridique spécifique assurant la reconnaissance
et la protection des unions homosexuelles (Oliari et autres c. Italie, §§ 178 et 180-185). Elle a
observé que vingt-quatre des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe avaient déjà
adopté une législation permettant une reconnaissance des couples homosexuels et leur accordant
une protection juridique (§ 178). Elle a également relevé qu’il existait en Italie un conflit entre la
réalité sociale des requérants, qui vivaient ouvertement en couple, et l’impossibilité légale pour eux
d’obtenir une quelconque reconnaissance officielle de leur relation. Estimant que le fait de garantir
la reconnaissance et la protection des unions homosexuelles ne constituerait pas une charge
particulière pour l’État italien, elle a considéré qu’en l’absence de mariage, les couples homosexuels
tels que les requérants avaient un intérêt particulier à se voir accorder la possibilité de conclure une
forme d’union civile ou de partenariat enregistré, qui serait le moyen le plus approprié pour eux
d’obtenir la reconnaissance légale de leur relation et de se voir garantir la protection
nécessaire - sous la forme des droits fondamentaux revêtant de l’importance pour un couple engagé
dans une relation stable -, sans aucun obstacle inutile (§§ 173-174).
293. Quant au refus d’inscrire à l’état civil des mariages homosexuels contractés à l’étranger, la Cour
a considéré, dans l’affaire Orlandi et autres c. Italie, que les autorités nationales n’avaient offert
aucune forme de protection aux unions des requérants, en raison du vide juridique qui existait en
droit italien (pour autant qu’il ne prévoyait aucune union susceptible de protéger la relation des
requérants). Elle a conclu que le manquement de l’État à son obligation de s’assurer que les
requérants disposent d’un cadre légal spécifique offrant une reconnaissance et une protection aux
unions homosexuelles avait emporté violation de l’article 8 (§ 201).
294. Dans deux affaires, la Cour a estimé que des couples homosexuels étaient dans une situation
différente de celle des couples hétérosexuels. Dans l’arrêt Aldeguer Tomás c. Espagne, elle a conclu
à la non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole
no 1. Dans cette affaire, le partenaire survivant d’un couple homosexuel, à la différence de celui d’un
couple hétérosexuel, n’avait pas pu percevoir une pension de réversion après le décès de son
partenaire survenu avant la reconnaissance du mariage homosexuel en 2005 (§§ 88-90). Dans l’arrêt
Taddeuci et McCall c. Italie, la Cour a conclu à la violation de l’article 14 de la Convention combiné
avec l’article 8. La situation dans cette affaire était celle de partenaires homosexuels empêchés de
vivre ensemble en Italie, parce que l’un des deux, qui n’était pas citoyen de l’Union européenne,
s’était vu refuser un permis de séjour demandé pour raison familiale (§§ 98-99). La Cour a jugé qu’un
couple homosexuel dont l’un des partenaires n’était pas citoyen de l’Union européenne était dans
une situation différente de celle d’un couple hétérosexuel non marié dont l’un des partenaires
n’était pas citoyen de l’Union. Elle en a déduit qu’un tel couple homosexuel devait être traité
différemment (§ 85).
295. Dans une autre affaire relative à la réglementation des permis de séjour demandés à des fins
de regroupement familial, la Cour a toutefois considéré que des couples homosexuels et
hétérosexuels se trouvaient dans une situation analogue (Pajić c. Croatie, § 73). Elle a considéré
qu’en excluant tacitement les couples homosexuels de son champ d’application, la législation
nationale en cause avait introduit une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle et
donc méconnu l’article 8 de la Convention (ibidem, §§ 79-84).
296. Dans une affaire dans laquelle la requérante avait demandé à changer son numéro d’identité
masculin contre un numéro féminin après son opération de conversion sexuelle, la Cour a estimé
que le fait que la pleine reconnaissance du nouveau sexe de l’intéressée exigeait que celle-ci
transformât son mariage en un partenariat enregistré mettait en jeu sa vie familiale (Hämäläinen
c. Finlande [GC], §§ 60-61). La Cour a toutefois conclu que la transformation du mariage de la
requérante en partenariat enregistré n’emporterait pas violation de l’article 8 (ibidem, § 86).
Parents
Enfants
a. Être ensemble
302. Pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie
familiale au sens de l’article 8 de la Convention (même si la relation entre les parents s’est rompue)
et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par
l’article 8 de la Convention (Monory c. Roumanie et Hongrie, § 70 ; Zorica Jovanović c. Serbie, § 68 ;
Kutzner c. Allemagne, § 58 ; Elsholz c. Allemagne [GC], § 43 ; K. et T. c. Finlande [GC], § 151).
303. La Cour a jugé que l’enlèvement secret du requérant en dehors de tout cadre judiciaire, puis sa
détention arbitraire, avaient eu pour effet d’empêcher les membres de sa famille d’être ensemble et
qu’il y avait donc eu violation de l’article 8 (El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine
37
Voir aussi Lien de filiation.
38
Voir aussi Droit au développement personnel et à l’autonomie.
[GC], §§ 248-250). Elle est également parvenue à un constat de violation de l’article 8 dans une
affaire où, pendant plus d’un an, le requérant avait été détenu à l’isolement et séparé de sa famille,
laquelle n’avait eu aucune information sur son sort (Nasr et Ghali c. Italie, § 305).
304. La Cour a aussi considéré que le manquement continu d’un État à fournir à une requérante des
informations crédibles sur ce qu’il était advenu de son fils constituait une violation continue du droit
des membres d’une famille d’être ensemble, ainsi que du droit de la requérante au respect de sa vie
familiale (Zorica Jovanović c. Serbie, §§ 74-75).
305. Dans une autre affaire, en l’absence du consentement de l’un des deux parents, un enfant
n’avait pas été autorisé à accompagner sa mère dans un autre pays, où celle-ci poursuivait des
études universitaires supérieures. La Cour a expliqué qu’il y avait lieu d’examiner ce refus
d’autorisation à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant, en évitant une approche formaliste et
automatique (Penchevi c. Bulgarie, § 75).
aux moyens de surmonter leurs difficultés (§ 87). Elle a également pris en compte le fait que les
enfants avaient été séparés non seulement de leur mère mais également les uns des autres (§ 94).
314. Il existe entre l’enfant et ses parents un lien constitutif d’une vie familiale même si à l’époque
de sa naissance les parents ne vivaient plus ensemble ou si leurs relations avaient alors pris fin
(Berrehab c. Pays-Bas, § 21). Lorsque la relation entre le père et la mère de l’enfant a duré deux ans,
dont un pendant lequel ils avaient cohabité et projeté de se marier, et que la conception de leur
enfant résultait d’une décision délibérée, il y a eu en conséquence à partir de la naissance de
l’enfant entre le père et sa fille un lien constitutif d’une vie familiale, quelle que soit la relation entre
celui-ci et la mère (Keegan c. Irlande, §§ 42-45). La Cour a donc conclu que l’autorisation de placer
l’enfant en vue de son adoption peu après sa naissance, à l’insu et sans le consentement de son
père, avait constitué une violation de l’article 8 (ibidem, § 55).
315. La Cour a jugé que, en prenant en compte le refus du requérant de se soumettre à l’expertise
génétique qu’elles avaient ordonnée pour le déclarer père d’un enfant et faire ainsi prévaloir le droit
au respect de la vie privée de ce dernier sur le sien, les juridictions internes n’avaient pas excédé
l’importante marge d’appréciation dont elles disposaient (Canonne c. France (déc.), § 34 et § 30 pour
les tests ADN). Elle a conclu à la non-violation de l’article 8 dans le cas du refus, au nom de l’intérêt
supérieur des enfants, de reconnaître la paternité d’un père biologique (R.L. et autres c. Danemark).
Elle a considéré que les juridictions nationales avaient pris en compte les divers intérêts en jeu et
accordé la primauté à ce qu’elles estimaient être l’intérêt supérieur des enfants, et notamment leur
intérêt à ce que l’unité familiale fût préservée (§§ 47-48). Dans l’affaire Fröhlich c. Allemagne, la
Cour a admis l’importance que la question de la paternité pourrait avoir aux yeux de l’enfant
concernée à l’avenir, mais elle a jugé que, pour le moment, il était dans l’intérêt supérieur de cette
enfant âgée de six ans de ne pas être confrontée à cette question. Elle en a conclu que le refus des
tribunaux d’accorder un droit de visite au requérant et d’ordonner aux parents légaux de l’enfant de
lui communiquer des informations à son sujet n’avait pas emporté violation de l’article 8 (§§ 62-64).
316. Dans le contexte particulier d’un « parent passif » en l’absence, notamment, de contact entre
un père naturel et son très jeune enfant pendant une longue période sans tentative de reprise de
contact, la Cour a jugé que le retrait de l’autorité parentale n’avait pas emporté violation de l’article
8 (Ilya Lyapin c. Russie). Elle a notamment tenu compte du fait que c’était l’inaction du père qui avait
entraîné la rupture des liens entre lui et son fils et que, compte tenu de l’absence de toutes relations
personnelles pendant une période de sept ans, le retrait de l’autorité parentale n’avait fait que
supprimer le lien juridique entre le père naturel et son fils (§ 54).
échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré c. France, § 59, et pour une analyse
de la jurisprudence, Jansen c. Norvège, §§ 88-93).
319. Si l’article 8 de la Convention ne renferme aucune condition explicite de procédure, le
processus décisionnel doit être équitable et propre à respecter comme il se doit les intérêts protégés
par cette disposition. Les parents doivent être suffisamment associés au processus décisionnel, pris
dans son ensemble, pour que l’on puisse considérer qu’ils ont bénéficié de la protection requise de
leurs intérêts et qu’ils ont été pleinement en mesure de présenter leur cause. Les juridictions
nationales doivent se livrer à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et de
toute une série d’éléments, d’ordre factuel, affectif, psychologique, matériel et médical notamment,
et procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable des intérêts respectifs de chacun, avec le
souci constant de déterminer quelle était la meilleure solution pour l’enfant, considération qui revêt
une importance cruciale dans toute affaire. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales
compétentes variera selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu
(Petrov et X c. Russie, §§ 98-102)39. Dans l’affaire Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], la Cour a
souligné que dans le processus qui aboutit au retrait de l’autorité parentale et à l’autorisation de
l’adoption, les autorités internes doivent se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre
les intérêts de l’enfant et ceux de sa famille biologique.
320. Dans une affaire où des parents n’avaient pas obtenu communication de documents pertinents
dans le cadre des procédures engagées par les autorités en vue d’organiser puis de maintenir le
placement de leur enfant, la Cour a jugé que le processus décisionnel au travers duquel les
modalités de garde et de visite avaient été fixées n’avait pas accordé aux intérêts des parents la
protection voulue par l’article 8 (T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], § 73). Le refus d’ordonner une
expertise psychologique indépendante, joint à l’absence d’audience devant un tribunal régional, ont
empêché un requérant de jouer un rôle suffisamment important dans le processus décisionnel
relatif à son droit de visite, en méconnaissance de l’article 8 (Elsholz c. Allemagne [GC], § 53). Dans
l’affaire Petrov et X c. Russie, la Cour a considéré que la demande qu’avait formée le père pour que
la garde de son enfant lui fût confiée n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisant et que les motifs
invoqués à l’appui de la décision de confier la garde à la mère de l’enfant n’étaient ni pertinents ni
suffisants, ce qui a emporté violation de l’article 8 (§§ 105-114 et l’analyse de la jurisprudence qui s’y
trouve).
321. Pour ce qui est des droits de visite, la Cour a dit que le processus décisionnel devant les
juridictions internes doit être équitable, il doit permettre aux intéressés de faire valoir pleinement
leurs droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans l’affaire Cînța c. Roumanie,
le droit de visite du requérant à l’égard de sa fille de quatre ans avait été restreint et les juridictions
internes avaient fondé leur décision sur la santé mentale de l’intéressé. La Cour a toutefois observé
qu’il n’avait été présenté aucun élément devant les tribunaux indiquant que le requérant aurait
constitué une menace pour le bien-être de sa fille (§§ 47-48), et que les juridictions n’avaient ni
établi ni apprécié l’intérêt supérieur de l’enfant (§§ 52-55).
322. L’article 8 ne saurait autoriser un parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé
et au développement de son enfant (Elsholz c. Allemagne [GC], § 50 ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni
[GC], § 71 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, § 94 ; Nuutinen c. Finlande, § 128). Ainsi, dans le cas d’une
enfant âgée de treize ans ayant clairement exprimé, et ce depuis plusieurs années, le souhait de ne
pas rencontrer son père – de sorte que la contraindre à le voir perturberait gravement son équilibre
émotionnel et psychologique – les décisions refusant au père un droit de visite pouvaient passer
pour avoir été prises dans l’intérêt de l’enfant (Sommerfeld c. Allemagne [GC], §§ 64-65 ; Buscemi
c. Italie, § 55). Dans le cas d’un père putatif qui demandait que des informations lui fussent
communiquées au sujet l’enfant qu’il disait être la sienne, et qui souhaitait, malgré le refus des
39
Voir aussi Marge d’appréciation en matière de vie familiale.
parents légaux de ladite enfant, obtenir un droit de visite, la Cour a admis qu’accéder aux demandes
du requérant aurait fait peser sur le mariage des parents légaux un risque de séparation qui aurait
compromis le bien-être de l’enfant, laquelle risquait de perdre l’unité de sa famille et sa relation
avec celle-ci (Fröhlich c. Allemagne, §§ 42 et 62-63). La Cour a par ailleurs considéré que le droit de la
fille d’un couple divorcé au respect de sa vie privée et familiale avait été violé au motif que la
procédure d’attribution de la garde avait duré trop longtemps et que, malgré l’âge et le degré de
maturité de l’enfant, les tribunaux internes n’avaient pas permis à celle-ci d’exprimer son opinion
quant à la question de savoir quel parent devait s’occuper d’elle (M. et M. c. Croatie, §§ 171-172).
323. Dans les affaires concernant la relation entre un parent et son enfant, il faut témoigner d’une
diligence exceptionnelle, car le passage du temps risque de trancher en pratique la question posée.
Ce devoir de diligence, qui revêt une importance décisive pour déterminer si la cause a été entendue
dans le délai raisonnable requis par l’article 6 § 1 de la Convention, fait aussi partie des exigences
procédurales que contient implicitement l’article 8 (Ribić c. Croatie, § 92). Pour déterminer l’intérêt
supérieur de l’enfant, il convient de mettre en balance les conséquences négatives à long terme que
l’enfant risque de subir en perdant le contact avec ses parents, d’une part, et l’obligation positive de
prendre des mesures pour faciliter la réunion de la famille dès que cela est vraiment possible,
d’autre part. Il est impératif de tenir compte des effets à long terme que peut emporter une
séparation permanente entre un enfant et sa mère biologique (Jansen c. Norvège, § 104). Comme la
Cour l’a souligné dans cette dernière affaire, le risque d’enlèvement de l’enfant par le père de la
requérante (et donc le problème de la protection de l’enfant) ne devrait pas prévaloir sur la question
du droit de la mère à rester en contact avec son enfant (§ 103).
324. De plus, les États doivent adopter des mesures visant à assurer l’exécution des décisions en
matière de garde et de droits parentaux (Raw et autres c. France ; Vorozhba c. Russie, § 97 ; Malec
c. Pologne, § 78). Si nécessaire, pareilles mesures peuvent comprendre des investigations visant à
découvrir où se trouve un enfant caché par l’autre parent (Hromadka et Hromadkova c. Russie,
§ 168). La Cour a aussi jugé que, en s’appuyant sur une série de mesures automatiques et
stéréotypées dans le but de garantir le droit d’un père de rendre visite à son enfant, les tribunaux
nationaux n’avaient pas pris les mesures appropriées pour créer les conditions nécessaires à la
pleine réalisation de ce droit et établir une véritable relation entre le père et son enfant (Giorgioni
c. Italie, §§ 75-77 ; Macready c. République tchèque, § 66 ; Bondavalli c. Italie, §§ 81-84). Une
violation a également été constatée dans une affaire où aucune nouvelle expertise psychiatrique
indépendante au sujet de la requérante n’avait été effectuée pendant environ dix ans (Cincimino
c. Italie, §§ 73-75). De même, la Cour est parvenue à un constat de violation dans une affaire dans
laquelle, pendant sept ans, le requérant n’avait pas pu exercer son droit de visite dans les conditions
fixées par les tribunaux, du fait de l’opposition de la mère de l’enfant et de l’absence de mesures
appropriées ordonnées par les juridictions nationales (Strumia c. Italie, §§ 122-125). Le rôle de
celles-ci consiste ainsi à rechercher quelles mesures peuvent être prises pour surmonter les barrières
existantes et faciliter les contacts entre l’enfant et le parent qui n’en a pas la garde. Par exemple, le
fait que les juridictions nationales n’ont envisagé aucun moyen qui aurait aidé un requérant à
surmonter les barrières découlant de son handicap (surdité avec communication en langage des
signes, alors que son fils était également sourd mais pouvait communiquer oralement) a amené la
Cour à conclure à une violation (Kacper Nowakowski c. Pologne, § 95).
325. La Cour a aussi conclu à la violation de l’article 8 concernant des mesures qui empêchaient les
requérants de quitter des territoires très limités et rendaient plus difficile l’exercice par les
intéressés de leur droit d’entretenir des contacts avec des proches résidant en dehors des enclaves
en question (Nada c. Suisse [GC], §§ 165 et 198 ; Agraw c. Suisse, § 51 ; Mengesha Kimfe c. Suisse,
§§ 69-72).
avaient emporté violation de l’article 8 en ce qu’ils avaient affecté l’équité du processus décisionnel
et entraîné de longs retards.
330. Eu égard à leur caractère urgent, les décisions de justice relatives à des enlèvements d’enfants
doivent également être exécutées de manière adéquate et effective (V.P. c. Russie, § 154).
f. Adoption
331. La Cour a jugé que, bien que le droit d’adopter ne figure pas en tant que tel au nombre des
droits garantis par la Convention, les relations entre un adoptant et un adopté sont en principe de
même nature que les relations familiales protégées par l’article 8 (Kurochkin c. Ukraine ; Ageyevy
c. Russie). Une adoption légale et non fictive peut relever de la vie familiale, même en l’absence de
cohabitation ou de vrais liens entre l’enfant et ses parents adoptifs (Pini et autres c. Roumanie,
§§ 143-48 ; Topčić-Rosenberg c. Croatie, § 38).
332. Les dispositions de l’article 8 pris isolément ne garantissent toutefois ni le droit de fonder une
famille ni le droit d’adopter (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], § 141 ; E.B. c. France [GC]). De plus,
un État membre n’a pas l’obligation de reconnaître en tant qu’adoption toutes les formes de tutelle,
par exemple la « kafala » (Harroudj c. France, § 51 ; Chbihi Loudoudi et autres c. Belgique). Les
autorités jouissent d’une grande latitude en matière d’adoption (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
§ 128).
333. La Cour a précisé que les obligations que l’article 8 fait peser en matière d’adoption et les
effets de l’adoption sur la relation entre les adoptants et les adoptés doivent s’interpréter à la
lumière de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération
en matière d’adoption internationale, de la Convention des Nations unies relative aux droits de
l’enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention européenne en matière d’adoption des enfants
(Pini et autres c. Roumanie, §§ 139-140).
334. L’article 8 n’impose pas aux États membres d’étendre le droit à l’adoption coparentale aux
couples non mariés (X et autres c. Autriche [GC], § 136 ; Gas et Dubois c. France, §§ 66-69 ; Emonet
et autres c. Suisse, §§ 79-88). Les États n’ont pas l’obligation de mettre sur un pied d’égalité les
couples mariés hétérosexuels et les couples non mariés homosexuels concernant les conditions
d’accès à l’adoption (Gas et Dubois c. France, § 68). Cependant, à partir du moment où ils ouvrent
l’adoption aux couples non mariés, il faut qu’elle soit accessible aux couples homosexuels comme
aux couples hétérosexuels, étant donné qu’ils se trouvent dans une situation comparable (X et
autres c. Autriche [GC], §§ 112 et 130).
335. En ce qui concerne l’adoption d’un enfant par un homme homosexuel non marié, la Cour a
constaté, en 2002, des divergences d’opinions tant au niveau national que d’un pays à un autre.
Dans l’affaire Fretté c. France, elle a conclu que les autorités nationales avaient légitimement et
raisonnablement pu considérer que le droit de pouvoir adopter dont le requérant se prévalait
trouvait sa limite dans l’intérêt des enfants susceptibles d’être adoptés (§ 42).
336. Les principes en matière d’adoption s’appliquent même lorsque les parties souhaitent faire
exécuter un jugement étranger d’adoption qui n’aurait pas pu valablement être rendu dans le pays
dont elles sont les ressortissantes (Negrepontis-Giannisis c. Grèce).
337. La Cour a jugé que des lacunes du droit civil turc en matière d’adoptions monoparentales
emportaient violation de l’article 8. Au moment où la requérante avait introduit sa demande, aucun
cadre réglementaire ne régissait le remplacement du prénom du parent naturel par celui du parent
célibataire adoptif (Gözüm c. Turquie, § 53).
338. Lorsque la révocation de l’adoption d’enfants par les requérants prive totalement ceux-ci d’une
vie familiale avec les enfants qu’ils entendaient adopter et que cette révocation est irréversible et ne
cadre pas avec le but de réunir parents adoptifs et enfants, pareille mesure ne doit être appliquée
que dans des circonstances exceptionnelles et ne peut se justifier que si elle s’inspire d’une exigence
primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant (Ageyevy c. Russie, § 144 ; Johansen
c. Norvège ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], § 148 ; Zaieţ c. Roumanie, § 50).
339. L’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie [GC] concernait le retrait et le placement en vue de son
adoption d’un enfant né à l’étranger d’une mère porteuse et amené sur le territoire italien en
violation de la législation italienne sur l’adoption (§ 215). Les faits de la cause touchaient à des sujets
éthiquement sensibles – adoption, prise en charge par l’État d’un enfant, procréation médicalement
assistée et gestation pour autrui – pour lesquels les États membres jouissent d’une ample marge
d’appréciation (§ 194). Dans cette affaire, la Cour a conclu à l’absence de vie familiale et elle a
examiné la cause sous l’angle de la notion de « vie privée ».
g. Familles d’accueil
340. La Cour peut reconnaître l’existence d’une vie familiale de fait entre des parents d’accueil et un
enfant placé chez eux, eu égard au temps vécu ensemble, à la qualité des relations ainsi qu’au rôle
assumé par l’adulte envers l’enfant (Moretti et Benedetti c. Italie, §§ 48-52). Dans cette affaire, la
Cour a conclu à la violation de l’obligation positive qui incombait à l’État, au motif que la demande
introduite par les requérants, qui sollicitaient l’adoption spéciale de l’enfant qui avait été placé
immédiatement après sa naissance dans leur famille et y était resté pendant cinq mois, n’avait pas
été examinée attentivement avant que l’enfant ne fût déclaré adoptable et qu’un autre couple ne
fût sélectionné (voir aussi Jolie et autres c. Belgique, décision de la Commission, pour un examen de
la relation entre des parents d’accueil et des enfants dont ils s’étaient occupés ; et V.D. et autres
c. Russie, où une famille d’accueil se plaignait que les autorités nationales avaient décidé de
renvoyer auprès de ses parents biologiques un enfant qui lui avait été confié, mis un terme à la
tutelle exercée par elle et refusé de lui accorder un droit de visite).
341. La Cour a également jugé (lorsqu’elle a été appelée à décider s’il existait un droit de consulter
des documents relatifs aux modalités de placement d’un enfant) que les personnes se trouvant dans
la situation du requérant (qui, enfant, avait été placé dans une famille d’accueil) avaient un intérêt
primordial, protégé par la Convention, à recevoir les renseignements qu’il leur fallait pour connaître
et comprendre leur enfance et leurs années de formation (Gaskin c. Royaume-Uni, § 49).
supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents (Elsholz
c. Allemagne [GC], § 64 ; A.D. et O.D. c. Royaume-Uni, § 83).
344. Dans deux affaires concernant un recours systématique aux châtiments corporels dans
l’éducation des enfants, la Cour s’est avant tout employée à déterminer si le processus décisionnel,
considéré comme un tout, avait garanti aux parents la protection requise de leurs intérêts et si les
mesures adoptées avaient été proportionnées (Wetjen et autres c. Allemagne, § 79 ; Tlapak et autres
c. Allemagne, § 92 ). Le retrait de l’autorité parentale, qui ne devrait être envisagé qu’en dernière
extrémité, doit ainsi se limiter aux aspects strictement nécessaires pour prévenir tout risque réel et
imminent de traitement dégradant et aux enfants qui encourent pareil risque (Wetjen et autres
c. Allemagne, § 84 ; Tlapak et autres c. Allemagne, § 97). En outre, les juridictions internes doivent
exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles elles n’avaient, pour protéger les enfants,
aucune autre solution impliquant une moindre atteinte aux droits de la famille (Wetjen et autres
c. Allemagne, § 85 ; Tlapak et autres c. Allemagne, § 98). Les obligations procédurales implicitement
contenues dans l’article 8 imposent aussi de s’assurer que les parents sont en mesure de faire valoir
tous leurs arguments (Wetjen et autres c. Allemagne, § 80 ; Tlapak et autres c. Allemagne, § 93). Ces
obligations requièrent également que les conclusions des juridictions internes reposent sur un
fondement factuel suffisant et ne soient ni arbitraires ni déraisonnables (Wetjen et autres
c. Allemagne, § 81). Dans l’affaire Wetjen et autres c. Allemagne, la Cour a ainsi relevé que les
autorités nationales s’étaient appuyées sur les déclarations des parents et des enfants eux-mêmes
pour constater que ces derniers avaient été frappés ou étaient susceptibles de l’être.
345. Les éventuelles erreurs commises par des professionnels dans leurs évaluations ou leurs
appréciations ne rendent pas en soi des mesures de prise en charge d’enfants incompatibles avec les
exigences de l’article 8 (B.B. et F.B. c. Allemagne, § 48). Les autorités, qu’elles soient médicales ou
sociales, ont l’obligation de protéger les enfants et elles ne peuvent voir leur responsabilité engagée
à chaque fois que des préoccupations sincères et raisonnables au sujet de la sécurité d’enfants par
rapport aux membres de leur famille s’avèrent rétrospectivement erronées (R.K. et A.K.
c. Royaume-Uni, § 36 ; A.D. et O.D. c. Royaume-Uni, § 84). Il s’ensuit que les décisions prises au
niveau national ne peuvent être examinées qu’à la lumière de la situation qui prévalait au moment
où elles ont été adoptées et telle qu’elle se présentait aux autorités internes à ce moment-là (B.B. et
F.B. c. Allemagne, § 48).
346. Ainsi, la Cour a estimé que lorsque les autorités internes étaient confrontées à des allégations
d’abus physiques graves, qui, à tout le moins à première vue, semblaient crédibles, le retrait
temporaire de l’autorité parentale était suffisamment justifié (B.B. et F.B. c. Allemagne, § 49).
Cependant, elle a considéré qu’une décision rendue au principal ordonnant le retrait permanent de
cette autorité ne comportait pas de motifs suffisants et qu’elle emportait donc violation de l’article 8
(ibidem, §§ 51-52). Dans l’affaire Wetjen et autres c. Allemagne, la Cour a jugé que le risque de
châtiments corporels systématiques et réguliers encouru par les enfants constituait un motif
pertinent pour décider leur placement ainsi que le retrait partiel de l’autorité parentale (§ 78) (voir
aussi Tlapak et autres c. Allemagne, § 91). Elle a examiné si les juridictions nationales avaient
ménagé un juste équilibre entre les intérêts des parents et l’intérêt supérieur des enfants (Wetjen et
autres c. Allemagne, §§ 79-85).
347. Lorsque le retrait de l’autorité parentale se fondait sur une distinction découlant pour
l’essentiel de considérations de religion, la Cour a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 8
combiné avec l’article 14 (Hoffmann c. Autriche, § 36, concernant le retrait à la requérante de ses
droits parentaux, ordonné parce qu’elle était témoin de Jéhovah, après qu’elle eut divorcé du père
de leurs deux enfants). Par ailleurs, elle a jugé disproportionnée la décision de prise en charge d’un
nouveau-né en bonne santé au motif que la mère avait choisi de quitter l’hôpital à une date
antérieure à celle recommandée par les médecins (Hanzelkovi c. République tchèque, § 79). Elle a en
revanche considéré que la privation de certains aspects de l’autorité parentale et le retrait forcé
pendant trois semaines d’enfants à leurs parents après que ceux-ci eurent obstinément refusé de les
envoyer à l’école avaient « ménagé un équilibre proportionné entre l’intérêt supérieur des enfants
et les intérêts des requérants sans outrepasser la marge d’appréciation accordée aux autorités
nationales » (Wunderlich c. Allemagne, § 57).
348. Le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait
en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence
dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur
enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (Strand Lobben et
autres c. Norvège [GC], § 208 ; K. et T. c. Finlande [GC], § 173). Par ailleurs, l’application des
dispositions pertinentes du droit interne doit être dépourvue d’arbitraire (Zelikha Magomadova
c. Russie, § 112).
349. L’arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège [GC] a résumé les principes jurisprudentiels
(§§ 202-213) applicables aux affaires où les autorités ont décidé de substituer à la mesure de
placement en foyer d’accueil une mesure plus radicale, à savoir la déchéance de l’autorité parentale
et l’autorisation de l’adoption. En pareils cas, la Cour prend en considération le principe selon lequel
« de telles mesures ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et ne
peuvent se justifier que si elles s’inspirent d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur
de l’enfant » (S.S. c. Slovénie, §§ 85-87, 96 et 103 ; Aune c. Norvège, § 66). La situation financière
d’une mère, sans qu’il soit tenu compte d’un changement de circonstances, ne saurait justifier de lui
retirer la garde de son enfant (R.M.S. c. Espagne, § 92). De même, la Cour a conclu à la violation dans
une affaire où les autorités nationales n’avaient fondé leur décision que sur les difficultés financières
et sociales du requérant, sans lui fournir une assistance sociale appropriée (Akinnibosun c. Italie,
§§ 83-84). Elle a constaté une violation de l’article 8 dans l’affaire Soares De Melo c. Portugal, dans
laquelle les enfants d’une femme vivant dans des conditions précaires avaient été placés en vue de
leur adoption, ce qui avait conduit à la rupture des liens familiaux (§§ 118-123). Par ailleurs, le
manque de compétence et d’expérience en matière d’éducation ne peut guère, en soi, être
considéré comme une raison légitime de restreindre l’autorité parentale ou de maintenir la prise en
charge d’un enfant (Kocherov et Sergeyeva c. Russie, § 106, concernant un père affecté d’un
handicap intellectuel modéré).
350. Dans l’affaire Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], la Cour a constaté une violation au motif
que le processus décisionnel ayant abouti au retrait de l’autorité parentale et à l’autorisation de
l’adoption n’avait pas été conduit de manière à ce que tous les avis et intérêts des requérants
fussent dûment pris en compte. Elle a notamment observé que les autorités n’avaient pas facilité le
contact entre la mère et l’enfant après la prise en charge initiale de cette dernière, ni demandé une
nouvelle expertise des aptitudes parentales de la mère (§§ 220-225). De même, dans l’affaire
Omorefe c. Espagne, la Cour a jugé que le processus à l’origine de la décision de placer sous tutelle
un bébé à la demande de sa mère puis d’en autoriser l’adoption six ans plus tard, malgré l’opposition
de la mère, n’avait pas été conduit de manière à ce que tous les avis et les intérêts de l’intéressée
fussent dûment pris en compte ni entouré de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et
des intérêts en jeu (§ 60). Elle a en particulier relevé que les autorités n’avaient pas sérieusement
envisagé la possibilité de réunir l’enfant et sa mère biologique ni d’adopter d’autres mesures moins
radicales prévues par la législation telles que l’accueil temporaire ou simple, non préadoptif, et
qu’elles avaient retiré à la requérante son droit de visite sans aucune expertise psychologique. De
surcroît, l’accueil familial préadoptif de l’enfant était intervenu vingt jours après que la requérante
avait été informée qu’elle aurait un délai de six mois pour réaliser certains objectifs pour retrouver
son fils. La Cour a en revanche conclu à la non-violation dans une affaire où une mère souffrant de
troubles mentaux s’était vue retirée ses droits parentaux sur son enfant (laquelle avait ensuite fait
l’objet d’une adoption) au motif qu’il n’existait aucune possibilité réaliste qu’elle pût s’en occuper
malgré les mesures positives qui avaient été adoptées pour l’assister (S.S. c. Slovénie, §§ 97 et 103-
104).
351. Une décision de prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure
temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit
concorder avec un but ultime : unir à nouveau les parents par le sang et l’enfant (voir, en particulier,
Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], § 208 ; Olsson c. Suède (no 1), § 81). L’obligation positive de
prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible
s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en
plus de force, mais elle doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt
supérieur de l’enfant (K. et T. c. Finlande [GC], § 178 ; Haddad c. Espagne, § 54). La Cour a conclu à la
violation de l’article 8 dans une affaire où les autorités internes avaient déclaré les enfants de la
requérante adoptables sans avoir fait tous les efforts nécessaires à la préservation de la relation
parent-enfant (S.H. c. Italie, § 58). Elle a jugé que le refus d’accorder un droit de visite à la mère
d’une enfant placée en famille d’accueil en raison du risque d’enlèvement de l’enfant par le père de
la requérante avait emporté violation de cette disposition. Comme la Cour l’a souligné, le risque
d’enlèvement de l’enfant par le père de la requérante (et donc le problème de la protection de
l’enfant) ne devrait pas prévaloir sur la question du droit de la mère à rester en contact avec son
enfant (Jansen c. Norvège, §§ 103-104). La Cour a également conclu à la violation de l’article 8 dans
une affaire où les autorités n’avaient pas favorisé le rétablissement des contacts entre une fille et
son père alors même que ce dernier avait été acquitté des charges de violences domestiques qui
avaient été retenues contre lui et avait récupéré la garde de ses fils aînés. Elle s’est déclarée peu
convaincue par les raisons que l’administration et les juridictions internes avaient estimé suffisantes
pour justifier le placement en accueil préadoptif de la mineure (Haddad c. Espagne, §§ 57-74).
352. L’article 8 commande que les décisions des tribunaux tendant en principe à favoriser entre
parents et enfants des rencontres qui renoueront leurs relations en vue d’un regroupement
éventuel soient mises en œuvre de manière effective et cohérente. Il ne serait pas logique de
ménager la possibilité de rencontres si la suite donnée à cette décision se traduisait de facto par
l’éloignement définitif de l’enfant de son parent biologique. Par conséquent, sous l’angle de
l’article 8, la Cour a considéré que les autorités n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre les
intérêts de la requérante et ceux de ses enfants, en raison de l’absence de limite temporelle au
placement, ainsi que de l’attitude et du comportement du personnel du centre d’accueil, tous ces
éléments ayant acheminé les enfants de la première requérante vers une séparation irréversible
d’avec leur mère (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], §§ 181 et 215).
353. La Cour a jugé que la décision de prise en charge d’urgence de l’enfant d’une requérante et
l’absence de mesure suffisante prise par les autorités dans le but d’une éventuelle réunion de la
famille des requérants, sans qu’il ait été tenu compte d’éventuels signes d’amélioration de la
situation des intéressés, étaient constitutives d’une violation du droit au respect de la vie familiale.
Elle a estimé cependant que les décisions ultérieures de prise en charge ordinaire et de restriction
des visites n’avaient pas emporté violation (K. et T. c. Finlande [GC], §§ 170, 174, 179 et 194).
354. Dans l’affaire Blyudik c. Russie, la Cour a dit que le placement de la fille du requérant dans un
centre éducatif fermé situé à 2 500 km de son domicile n’était pas « prévu par la loi » en ce qu’il
était dépourvu de tout fondement en droit interne.
356. La Cour a admis que la relation entre des adultes, d’une part, et leurs parents, frères et soeurs,
d’autre part, relevait de la vie familiale protégée par l’article 8, même si l’adulte en question ne
vivait pas avec ses parents, frères ou sœurs (Boughanemi c. France, § 35) et même s’il avait fondé un
foyer et une famille distincts (Moustaquim c. Belgique, §§ 35 et 45-46 ; El Boujaïdi c. France, § 33).
357. Elle a considéré que la vie familiale englobait pour le moins les rapports entre proches parents,
lesquels peuvent y jouer un rôle considérable, par exemple entre grands-parents et petits-enfants
(Marckx c. Belgique, § 45 ; Bronda c. Italie, § 51 ; T.S. et J.J. c. Norvège (déc.), § 23). Le droit au
respect de la vie familiale des grands-parents, à savoir au respect de la relation que ceux-ci ont avec
leurs petits-enfants, implique avant tout le droit de maintenir cette relation par des contacts entre
eux (Kruškić c. Croatie (déc.), § 111 ; Mitovi c. l’ex-République yougoslave de Macédonie, § 58). La
Cour estime toutefois que les contacts entre grands-parents et petits-enfants ont normalement lieu
avec le consentement de la personne détentrice de l’autorité parentale, ce qui signifie qu’ils sont
normalement laissés à l’appréciation des parents de l’enfant (Kruškić c. Croatie (déc.), § 112).
358. Dans l’affaire Petithory Lanzmann c. France (déc.), la Cour a dit que l’article 8 ne saurait
englober le droit de devenir grand-parent (§ 20).
359. Le principe selon lequel il est important pour un parent et son enfant d’être ensemble vaut
également dans les affaires concernant les relations entre un enfant et ses grands-parents
(L. c. Finlande, § 101 ; Manuello et Nevi c. Italie, §§ 54, 58-59, en ce qui concerne la suspension du
droit de visite de grands-parents à l’égard de leur petite-fille). Particulièrement lorsque les parents
naturels sont absents, il a été jugé que des liens familiaux existaient entre oncles et tantes, d’une
part, et neveux et nièces, d’autre part (Butt c. Norvège, §§ 4 et 76 ; Jucius et Juciuvienė c. Lituanie,
§ 27). Cependant, normalement, la relation entre grands-parents et petits-enfants et celle entre
parents et enfants sont d’une nature et d’une intensité différentes. Partant, de par sa nature même,
la relation entre grands-parents et petits-enfants appelle en principe un degré de protection
moindre (Kruškić c. Croatie (déc.), § 110 ; Mitovi c. l’ex-République yougoslave de Macédonie, § 58).
360. Dans sa jurisprudence plus récente, la Cour a considéré que les rapports familiaux entretenus
par des adultes avec leurs parents ou avec leurs frères ou sœurs, bénéficiaient d’une protection
moindre, à moins que ne fût démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance
autres que les liens affectifs normaux (Benhebba c. France, § 36 ; Mokrani c. France, § 33 ; Onur
c. Royaume-Uni, § 45 ; Slivenko c. Lettonie [GC], § 97 ; A.H. Khan c. Royaume-Uni, § 32).
b. Droit au maintien des contacts pour les détenus et autres personnes privées de
leur liberté40
361. Il est essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à
maintenir un contact avec sa famille proche (Messina c. Italie (no 2), § 61 ; Kurkowski c. Pologne,
§ 95 ; Vintman c. Ukraine, § 78 ; Chaldayev c. Russie, § 59). La Cour attache une importance
considérable aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des
traitements ou peines inhumains ou dégradants (CPT), qui indiquent que les régimes proposés aux
détenus purgeant de longues peines « devraient être de nature à compenser les effets désocialisants
de l’emprisonnement de manière positive et proactive » (Khoroshenko c. Russie [GC], § 144).
362. Les restrictions telles que la limitation du nombre de visites familiales, la surveillance de ces
visites et la soumission du détenu à un régime pénitentiaire spécifique ou à des modalités de visite
particulières s’analysent en une « ingérence » dans l’exercice par l’intéressé des droits garantis par
l’article 8 (Mozer c. République de Moldova et Russie [GC], §§ 193-195). Pour pouvoir se prétendre
« victime » au sens de l’article 34 de la Convention à raison des restrictions légales apportées au
nombre des visites familiales qu’il est autorisé à recevoir, le requérant doit toutefois démontrer qu’il
40
Voir le Guide sur les droits des détenus et le Guide sur le terrorisme.
avait des parents ou des proches avec lesquels il souhaitait maintenir le contact pendant son
incarcération (Chernenko et autres c. Russie (déc.), §§ 46-47). L’« ingérence » doit se justifier sous
l’angle du paragraphe 2 de l’article 8 (voir, par exemple, le rappel jurisprudentiel concernant les
droits de visite dans l’arrêt Khoroshenko c. Russie [GC], §§ 123-126, où l’interdiction pour les détenus
à vie de recevoir des visites familiales longues a été qualifiée de violation, § 148, et Mozer
c. République de Moldova et Russie [GC], où les restrictions apportées au droit d’un détenu à
recevoir en prison des visites de ses proches ont été jugées contraires à l’article 8 § 2, §§ 193-196 ;
voir aussi Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie (no 2), § 598, et Resin c. Russie, §§ 39-41, concernant
l’impossibilité de recevoir des visites de longue durée dans une maison d’arrêt). L’affaire Öcalan
c. Turquie (no 2) portait sur les régimes de sécurité renforcée à l’égard de détenus dangereux. La
Cour a estimé que les restrictions apportées au droit du requérant au respect de sa vie familiale ne
sont pas allées au-delà de ce qui, au sens de l’article 8 § 2, est nécessaire, dans une société
démocratique, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales
(§§ 161-164). Elle a également considéré qu’une décision restreignant les droits de visite d’un
prisonnier était nécessaire et proportionnée, eu égard à la nécessité du régime spécial de détention
qui était en vigueur à l’époque (Enea c. Italie [GC], §§ 131-135). Elle a aussi jugé que la limitation du
nombre de visites par le partenaire non marié d’un détenu pouvait être justifiée si ledit partenaire
avait un casier judiciaire (Ulemek c. Croatie, § 151).
363. Dans l’affaire Ciupercescu c. Roumanie (no 3), concernant les communications en ligne d’un
détenu avec sa femme, la Cour a considéré que l’article 8 ne saurait être interprété comme
garantissant aux détenus le droit de communiquer avec le monde extérieur au moyen d’appareils de
communication en ligne, notamment lorsque d’autres moyens de communication sont disponibles
et adéquats (§ 105, et concernant le droit de recevoir des appels téléphoniques, voir Lebois
c. Bulgarie, § 61). En l’espèce, le droit interne autorisait les détenus à maintenir le contact avec le
monde extérieur, et particulièrement avec les membres de leur famille, à travers la communication
en ligne et les juridictions internes avaient également reconnu ce droit. Le requérant ne pouvait
toutefois pas l’exercer faute de décret d’application. Néanmoins, la Cour a constaté que cette
restriction avait duré relativement peu de temps et que le requérant, qui pouvait recevoir des visites
de sa femme et passer des appels téléphoniques, avait pu maintenir le contact avec elle grâce à
d’autres modes de communication (§§ 106-110).
364. La Cour a par ailleurs estimé que le refus de transférer le requérant dans une prison plus
proche du domicile de ses parents emportait violation de l’article 8 (Rodzevillo c. Ukraine, §§ 85-87 ;
Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, §§ 831-851). Dans une affaire concernant un requérant qui
purgeait une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement pour collaboration avec une organisation
terroriste, la Cour a déclaré un grief similaire irrecevable pour défaut manifeste de fondement au
motif, notamment, que les autorités avaient poursuivi le but légitime de briser les liens du requérant
avec l’organisation terroriste et que le trajet que les amis proches et la famille du requérant devaient
faire pour lui rendre visite ne semblait pas leur causer des difficultés particulières ou insurmontables
(Fraile Iturralde c. Espagne (déc.), §§ 26-33). Dans l’affaire Polyakova et autres c. Russie, elle a conclu
à la violation de l’article 8 du fait de l’absence de garanties suffisantes, en droit interne, contre
d’éventuels abus dans la répartition géographique des détenus (§ 116).
365. Dans le contexte des transferts intra-étatiques, si les autorités nationales bénéficient d’une
grande latitude quant aux questions relatives à l’exécution des peines, leur pouvoir d’appréciation
n’est pas absolu, en particulier en ce qui concerne la répartition de la population pénitentiaire
(Rodzevillo c. Ukraine, § 83). La Cour s’est également prononcée sur la question des transferts
pénitentiaires interétatiques. Dans l’affaire Serce c. Roumanie (§ 56), le requérant, un ressortissant
turc purgeant une peine de dix-huit ans d’emprisonnement en Roumanie, se plaignait du refus des
autorités de ce pays de le transférer dans un autre État membre du Conseil de l’Europe, à savoir la
Turquie, pour qu’il y purgeât le reste de sa peine, près de sa femme et de ses enfants. Même si elle a
conclu que les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence d’activités ou de travail et la surpopulation
carcérale dans le lieu de détention en Roumanie étaient constitutives d’une violation des droits
protégés par l’article 3, la Cour a estimé que l’article 8 de la Convention n’était pas applicable à la
demande de transfert pénitentiaire interétatique présentée par le requérant. Dans l’affaire
Palfreeman c. Bulgarie (déc.) qui concernait le refus des autorités de transférer un détenu dans un
État non membre du Conseil de l’Europe, la Cour a souligné que la Convention n’accorde pas aux
détenus le droit de choisir leur lieu de détention (§ 36) et elle a examiné la question de l’applicabilité
de l’article 8 au regard des dispositions du traité pertinent relatif au transfert des détenus
condamnés (§§ 33-36).
366. Il est essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à
maintenir un contact avec sa famille proche (Messina c. Italie (no 2), § 61 ; Kurkowski c. Pologne,
§ 95 ; et Vintman c. Ukraine, § 78). L’article 8 impose également aux autorités de permettre au
détenu de communiquer rapidement avec sa famille à la suite de son placement en détention
(Lebois c. Bulgarie, § 53).
367. Le refus d’autoriser un détenu à assister aux obsèques d’un proche constitue une ingérence
dans son droit au respect de la vie familiale (Schemkamper c. France, § 31 ; Lind c. Russie, § 92 ; et
Feldman c. Ukraine (no 2), § 32). Même si l’article 8 ne garantit pas un droit inconditionnel à
bénéficier d’une autorisation de sortie pour assister à des obsèques (ou pour rendre visite à un
proche malade – Ulemek c. Croatie, §152), toute limitation de ce type, pour être justifiée, doit être
« nécessaire dans une société démocratique » (Lind c. Russie, § 94 ; et Feldman c. Ukraine (no 2),
§ 34). Les autorités ne peuvent donc refuser à un détenu le droit d’assister aux obsèques de ses
parents que si pareil refus se fonde sur des raisons impérieuses et si aucune solution alternative ne
peut être trouvée (Płoski c. Pologne, § 37 ; et Guimon c. France, §§ 44-51). Dans les affaires Płoski
c. Pologne (§ 39) et Vetsev c. Bulgarie (§ 59), la Cour a ainsi jugé que le refus d’autoriser un
prisonnier à assister à l’enterrement de ses proches parents constituait une ingérence dans
l’exercice par l’intéressé de son droit au respect de sa vie privée et familiale. En revanche, dans le
contexte de la lutte contre le terrorisme, elle a conclu à la non-violation de l’article 8 au motif que
les autorités judiciaires avaient procédé à une mise en balance des intérêts en jeu, à savoir, d’une
part, le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, et, d’autre part, la sûreté publique, la
défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales (Guimon c. France, § 50).
368. L’affaire Solcan c. Roumanie (§§ 24, 35) concernait la demande de suspension temporaire de
son internement en hôpital psychiatrique formulée par une personne privée de sa liberté qui
souhaitait assister aux obsèques d’un proche. La Cour a estimé que les auteurs d’infractions
présentant des troubles psychiatriques et internés dans des établissements psychiatriques se
trouvent dans une situation fondamentalement différente de celle des autres détenus quant à la
nature et au but de leur détention. Des risques différents doivent par conséquent être appréciés par
les autorités nationales. En l’espèce, la Cour a jugé, en particulier, que le refus inconditionnel des
juridictions internes d’accorder à la requérante une permission pour raisons humanitaires ou de lui
offrir toute autre solution pour assister aux obsèques de sa mère n’était pas compatible avec
l’obligation pour l’État d’apprécier sur le fond chaque demande individuelle et de démontrer que la
restriction apportée au droit de l’intéressée à assister aux obsèques d’un proche n’était pas
« nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
Immigration et expulsion41
369. La Cour a confirmé qu’un État a le droit, en vertu d’un principe de droit international bien
établi et sans préjudice des engagements découlant pour lui des traités, de contrôler l’entrée et le
séjour des non-nationaux sur son sol (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, § 67 ;
Boujlifa c. France, § 42). En outre, la Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou
41
Voir le Guide sur l'immigration.
de résider dans un pays particulier. Les autorités nationales n’ont donc pas l’obligation d’autoriser
un étranger à s’installer dans leur pays (Jeunesse c. Pays-Bas [GC], § 103). Le corollaire du droit pour
les États de contrôler l’immigration est que les étrangers – comme la requérante dans cette affaire –
ont l’obligation de se soumettre aux contrôles et aux procédures d’immigration et de quitter le
territoire de l’État contractant concerné lorsqu’ils en recoivent l’ordre si l’entrée ou le séjour sur ce
territoire leur ont été valablement refusés (ibidem, § 100). Cependant, la Cour a conclu à la violation
de l’article 8 dans une affaire dans laquelle les autorités n’avaient pas protégé le droit du requérant
au respect de sa vie privée, car elles n’avaient pas mis en place une procédure effective et accessible
qui aurait permis d’examiner la demande d’asile de l’intéressé dans des délais raisonnables, afin
d’écourter autant que possible sa situation de précarité (B.A.C. c. Grèce, § 46).
pour des motifs tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant (tels que la précaution de s’assurer
préalablement, au-delà de tout doute raisonnable, de la réalité des liens allégués). Le refus de réunir
les requérants ne visait, cependant, pas en l’espèce au respect de l’intérêt supérieur des enfants,
mais seulement à assurer leur expulsion dans les meilleurs délais et de manière contraire au droit
interne, ce qu’on ne saurait admettre comme un but légitime (§ 114).
b. Regroupement familial42
374. En matière d’immigration, l’article 8 pris isolément ne saurait s’interpréter comme comportant
pour un État l’obligation générale de respecter le choix, par les couples mariés, de leur pays de
résidence et de permettre le regroupement familial sur le territoire de ce pays (Jeunesse c. Pays-Bas
[GC], § 107 ; Biao c. Danemark [GC], § 117). Cela étant, dans une affaire qui concerne la vie familiale
aussi bien que l’immigration, l’étendue de l’obligation pour l’État d’admettre sur son territoire des
proches de personnes qui y résident varie en fonction de la situation particulière des personnes
concernées et de l’intérêt général (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, §§ 67-68 ; Gül
c. Suisse, § 38 ; Ahmut c. Pays-Bas, § 63 ; Sen c. Pays-Bas ; Osman c. Danemark, § 54 ; Berisha
c. Suisse, § 60).
375. Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte sont : la mesure dans laquelle il y a
effectivement entrave à la vie familiale, l’étendue des liens que les personnes concernées ont avec
l’État membre en cause, la question de savoir s’il existe, ou non, des obstacles insurmontables à ce
que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou de plusieurs des personnes concernées et la
question de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration (par exemple, des
précédents d’infractions aux lois sur l’immigration) ou des considérations d’ordre public pesant en
faveur d’une exclusion du territoire (Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, § 39 ; Ajayi et
autres c. Royaume-Uni (déc.) ; Solomon c. Pays-Bas (déc.)).
376. Il convient également de savoir si la vie familiale a débuté à un moment où les individus
concernés savaient que la situation de l’un d’entre eux au regard des lois sur l’immigration était telle
que cela conférait d’emblée un caractère précaire à la poursuite de cette vie familiale dans l’État
d’accueil (Sarumi c. Royaume-Uni (déc.) ; Shebashov c. Lettonie (déc.)). Lorsque tel est le cas, ce n’est
que dans des circonstances particulièrement exceptionnelles que le renvoi du membre de la famille
n’ayant pas la nationalité de l’État hôte est incompatible avec l’article 8 (Abdulaziz, Cabales et
Balkandali c. Royaume-Uni, § 68 ; Mitchell c. Royaume-Uni (déc.) ; Ajayi et autres c. Royaume-Uni
(déc.) ; Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas ; Biao c. Danemark [GC], § 138). Par exemple,
dans l’affaire Jeunesse c. Pays-Bas [GC], la Cour a jugé, sur la base d’une approche cumulative de
différents facteurs, que les circonstances entourant le cas de la requérante devaient être
considérées comme exceptionnelles. La procédure de regroupement familial doit aussi être
suffisamment transparente et se dérouler sans retards excessifs (Tanda-Muzinga c. France, § 82).
42
Voir le Guide sur l'immigration.
43
Voir le Guide sur l'immigration.
d’accueil, il y a lieu d’avancer de très solides raisons pour justifier l’expulsion (Maslov c. Autriche
[GC], § 75). Compte tenu de la vie familiale du requérant et du fait qu’il n’avait commis qu’une
infraction grave en 1999, la Cour a considéré que l’expulsion de l’intéressé vers l’Albanie et
l’interdiction à vie pour celui-ci de revenir en Grèce constituaient une violation de l’article 8 (Kolonja
c. Grèce, §§ 57-58). En revanche, dans l’affaire Levakovic c. Danemark, §§ 42-45, la Cour a conclu
qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à la « vie privée » dans le cas d’un immigré qui avait été condamné à
l’âge adulte pour des infractions graves, qui n’avait ni enfants ni éléments de dépendance envers ses
parents ou ses frères et sœurs, et qui avait constamment démontré toute absence de volonté de se
conformer à la loi. La Cour a insisté sur le fait que, contrairement à ce qui s’était produit dans
l’affaire Maslov, les autorités n’avaient pas fondé leur décision d’expulser le requérant sur des
infractions que celui-ci avait commises lorsqu’il était adolescent (voir notamment §§ 44-45).
378. Dans son analyse de pareilles affaires, la Cour considère généralement que la marge
d’appréciation signifie que, dès lors que les juridictions internes ont examiné les faits avec soin, en
toute indépendance et impartialité, qu’elles ont appliqué, dans le respect de la Convention et de sa
jurisprudence, les normes applicables en matière de droits de l’homme et qu’elles ont ménagé un
juste équilibre entre les intérêts personnels du requérant et l’intérêt général, elle n’a pas à
substituer sa propre appréciation du fond de l’affaire (en particulier, sa propre appréciation des
éléments factuels relatifs à la question de la proportionnalité) à celle des autorités nationales
compétentes. Seuls font exception à cette règle les cas où il est démontré que des « raisons
sérieuses » justifient d’y déroger (Ndidi c. Royaume-Uni, § 76). Par exemple, dans deux affaires
concernant l’expulsion d’immigrés établis, la Cour a refusé de substituer ses conclusions à celles des
juridictions internes qui s’étaient livrées à un examen approfondi de la situation personnelle des
requérants, avaient soigneusement mis en balance les intérêts concurrents et pris en compte les
critères établis dans sa jurisprudence, et étaient parvenues à des conclusions « ni arbitraires ni
manifestement déraisonnables » (Hamesevic c. Danemark (déc.), § 43 ; Alam c. Danemark (déc.),
§ 35 ; voir, à titre de comparaison, I.M. c. Suisse, où la proportionnalité de la mesure de renvoi avait
fait l’objet d’un examen superficiel).
379. La Cour apprécie également l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des
difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel
l’intéressé doit être expulsé, ainsi que la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays
hôte et avec le pays de destination (Üner c. Pays-Bas [GC], § 58 ; Udeh c. Suisse, § 52). La Cour a
rappelé qu’en cas d’expulsion d’un parent il y a lieu de prendre en compte l’intérêt supérieur des
enfants dans la mise en balance des intérêts en jeu, notamment la situation difficile qui résulterait
d’un retour de ce parent dans le pays d’origine (Jeunesse c. Pays-Bas [GC], §§ 117-118).
380. En matière d’immigration, il n’y a pas de « vie familiale » entre parents et enfants adultes à
moins que ne soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que
des liens affectifs normaux (Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas (déc.) ; Slivenko c. Lettonie [GC], § 97 ;
A.S. c. Suisse, § 49 ; Levakovic c. Danemark, §§ 35 et 44). De tels liens peuvent toutefois être pris en
considération sous le volet de la « vie privée » (Slivenko c. Lettonie [GC]). Par ailleurs, la Cour a admis
dans un certain nombre d’affaires concernant de jeunes adultes qui n’avaient pas encore fondé leur
propre famille que leurs liens avec leurs parents et d’autres membres de leur famille proche
s’analysaient également en une vie familiale (Maslov c. Autriche [GC], § 62 ; Azerkane c. Pays-Bas,
§§ 63-64 ; Bousarra c. France). Dans d’autres affaires, la Cour a jugé que les requérants ne pouvaient
pas invoquer ces rapports familiaux à l’égard de leurs enfants adultes à raison de l’absence de tout
lien de dépendance. Elle a néanmoins considéré que les rapports familiaux avec les enfants adultes
n’étaient pas complètement dépourvus de pertinence pour l’appréciation de la situation familiale
des requérants (Hasanbasic c Suisse, § 60).
381. S’agissant d’éloignements d’étrangers contestés sur la base d’une atteinte alléguée à la vie
privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein
droit suspensif (De Souza Ribeiro c. France [GC], § 83). Il n’en demeure pas moins qu’en matière
d’immigration, lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter
atteinte au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 de la Convention
combiné avec l’article 8 exige que l’État fournisse à la personne concernée une possibilité effective
de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen
suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes
par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et
d’impartialité (M. et autres c. Bulgarie, §§ 122-132 ; Al-Nashif c. Bulgarie, § 133). Par ailleurs, une
personne qui fait l’objet d’une mesure motivée par des considérations de sécurité nationale ne doit
pas être dépourvue de toutes les garanties contre l’arbitraire. Elle doit notamment avoir la
possibilité de faire contrôler la mesure litigieuse par un organe indépendant et impartial, habilité à
se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes, pour trancher sur la légalité de la
mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités. Devant cet organe de contrôle, la personne
concernée doit bénéficier d’une procédure contradictoire afin de pouvoir présenter son point de vue
et réfuter les arguments des autorités (Ozdil et autres c. République de Moldova, § 68).
382. La Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale dans une affaire
dans laquelle l’obligation imposée au requérant de ne pas se soustraire à la justice et la saisie de ses
passeports avaient empêché celui-ci de se rendre en Allemagne, où il avait vécu pendant plusieurs
années et où sa famille continuait à résider (Kotiy c. Ukraine, § 76).
383. Le renvoi envisagé d’une personne atteinte d’une maladie grave vers son pays d’origine, alors
que des doutes subsistent quant à la disponibilité d’un traitement médical approprié dans ce pays,
constituerait une violation de l’article 8 (Paposhvili c. Belgique [GC], §§ 221-226).
d. Permis de séjour44
384. Ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne peut pas être interprété comme
garantissant, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour. Cependant, la solution
proposée par les autorités doit permettre à l’individu concerné d’exercer sans entrave ses droits au
respect de la vie privée et familiale (B.A.C. c. Grèce, § 35). En particulier, s’il permet à la personne qui
en bénéficie de résider sur le territoire de l’État d’accueil et d’y exercer librement son droit au
respect de la vie privée et familiale, l’octroi d’un tel titre de séjour constitue en principe une mesure
suffisante pour que les exigences de l’article 8 soient remplies. En pareil cas, la Cour n’est pas
compétente pour se prononcer sur l’opportunité d’accorder à l’étranger concerné tel statut légal
plutôt que tel autre, ce choix relevant de l’appréciation souveraine des autorités nationales (Hoti
c. Croatie, § 121).
Intérêts matériels
385. La « vie familiale » ne comprend pas uniquement des relations de caractère social, moral ou
culturel ; elle englobe aussi des intérêts matériels, comme le montrent notamment les obligations
alimentaires et la place attribuée à la réserve héréditaire dans l’ordre juridique interne de la
majorité des États membres. La Cour a ainsi admis que les droits successoraux entre enfants et
parents, ainsi qu’entre petits-enfants et grands-parents, étaient si étroitement liés à la vie familiale
qu’ils tombaient sous l’empire de l’article 8 (Marckx c. Belgique, § 52 ; Pla et Puncernau c. Andorre,
§ 26). On ne saurait toutefois déduire de l’article 8 le droit d’un enfant à être reconnu, à des fins
successorales, comme l’héritier d’une personne décédée (Haas c. Pays-Bas, § 43).
386. La Cour a jugé que l’attribution d’une allocation familiale permettait à l’État de « témoigner
son respect pour la vie familiale » au sens de l’article 8 et entrait donc dans le champ d’application
de ce dernier (Fawsie c. Grèce, § 28).
44
Voir le Guide sur l'immigration.
387. Elle a néanmoins considéré que la notion de vie familiale ne s’appliquait pas à une demande de
dommages-intérêts introduite contre un tiers à la suite de la mort de la fiancée du requérant
(Hofmann c. Allemagne (déc.)).
388. La « vie familiale » est aussi étroitement liée à la protection du « domicile » ou de la « vie
privée » lorsqu’il s’agit, par exemple, de saccage d’habitations ou de destruction de biens (Burlya et
autres c. Ukraine), ou encore d’expulsion (Hirtu et autres c. France, § 66).
IV. Domicile45
A. Généralités
Étendue de la notion de « domicile »
392. La notion de domicile est un concept autonome qui ne dépend pas des qualifications du droit
interne (Chiragov et autres c. Arménie [GC], § 206). Ainsi, la réponse à la question de savoir si une
habitation constitue un « domicile », relevant de la protection de l’article 8 § 1, dépend des
circonstances de fait, notamment de l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu
déterminé (Winterstein et autres c. France, § 141, et les références qui y sont citées ; Prokopovitch
c. Russie, § 36 ; McKay-Kopecka c. Pologne (déc.) ; pour le cas d’un déplacement forcé, voir Chiragov
et autres c. Arménie [GC], §§ 206-207, et Sargsyan c. Azerbaïdjan [GC], § 260 ; concernant des
personnes ayant vécu illégalement dans des caravanes dans un camp pendant seulement six mois,
faute de lien suffisant et continu avec ce lieu, voir Hirtu et autres c. France, § 65). En outre, le mot
« home » figurant dans la version anglaise de l’article 8 est un terme qui n’est pas d’interprétation
stricte car l’équivalent français « domicile » a une connotation plus large (Niemietz c. Allemagne,
§ 30).
393. Le « domicile » ne se limite pas à un bien dont on est propriétaire ou locataire. Il peut recouvrir
l’occupation d’une maison appartenant à un proche lorsque celle-ci dure, chaque année, pendant de
longues périodes (Menteş et autres c. Turquie, § 73). Le « domicile » ne se limite pas aux résidences
qui sont établies légalement (Buckley c. Royaume-Uni, § 54) et peut être invoqué par une personne
vivant dans un appartement dont le bail n’est pas à son nom (Prokopovitch c. Russie, § 36) ou qui est
inscrite ailleurs en tant que résidente (Yevgeniy Zakharov c. Russie, § 32). Il peut s’appliquer à un
logement social que le requérant occupait en qualité de locataire, même si, selon le droit interne, le
droit d’occupation avait pris fin (McCann c. Royaume-Uni, § 46), ou à l’occupation d’un lieu pendant
plusieurs années (Brežec c. Croatie, § 36).
394. Le « domicile » ne se limite pas aux résidences traditionnelles. Il comprend donc, entre autres,
les caravanes et autres domiciles non fixes (Chapman c. Royaume-Uni [GC], §§ 71-74 ; voir,
cependant, Hirtu et autres c. France, § 65). Il inclut les cabanes ou bungalows installés sur des
terrains indépendamment de la légalité de cette occupation en droit national (Winterstein et autres
c. France, § 141 ; Yordanova et autres c. Bulgarie, § 103). Même si le lien entre une personne et un
lieu qu’elle n’occupe qu’occasionnellement peut être plus faible que dans le cas d’une résidence
principale, l’article 8 peut aussi s’appliquer aux résidences secondaires ou aux maisons de vacances
(Demades c. Turquie, §§ 32-34 ; Fägerskiöld c. Suède (déc.) ; Sagan c. Ukraine, §§ 51-54), ou à une
résidence partiellement meublée (Halabi c. France, §§ 41-43).
395. Cette notion s’étend aux locaux professionnels d’une personne physique, comme le bureau ou
le cabinet d’un membre d’une profession libérale (Buck c. Allemagne, § 31 ; Niemietz c. Allemagne,
§§ 29-31), les locaux d’un journal (Saint-Paul Luxembourg S.A. c. Luxembourg, § 37), les locaux d’une
étude notariale (Popovi c. Bulgarie, § 103) ou le bureau d’un professeur d’université (Steeg
c. Allemagne (déc.)). Elle s’applique aussi au siège social, aux filiales ou aux autres locaux
professionnels d’une société (Société Colas Est et autres c. France, § 41 ; Kent Pharmaceuticals
Limited et autres c. Royaume-Uni (déc.)).
396. Par ailleurs, la Cour n’exclut pas que les lieux d’entraînement, et de manifestations sportives ou
de compétition, et leurs annexes, telle une chambre d’hôtel en cas de déplacement, puissent être
assimilés à un « domicile » au sens de l’article 8 de la Convention (Fédération nationale des
associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, § 158).
45
Voir aussi Questions environnementales.
397. Si la Cour a admis l’existe d’un « domicile » en faveur d’une association qui se plaignait de
mesures de surveillance (Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et
Ekimdjiev c. Bulgarie), une association ne peut se prétendre victime d’une violation du droit au
respect de son domicile à raison de la pollution (Asselbourg et autres c. Luxembourg (déc.)).
398. La Cour a posé certaines limites à l’extension de la protection de l’article 8. En effet, celle-ci ne
s’applique pas à l’intention de construire une maison sur un terrain, ni au fait d’avoir ses racines
dans une région particulière (Loizidou c. Turquie, § 66) ; ni à une buanderie, bien commun de la
copropriété d’un immeuble, censée servir à un usage occasionnel (Chelu c. Roumanie, § 45) ; une
loge d’artiste (Hartung c. France (déc.)) ; aux terres où les propriétaires exercent un sport ou à celles
où ils en autorisent la pratique (par exemple, la chasse, Friend et autres c. Royaume-Uni (déc.),
§ 45) ; ni à des bâtiments et équipements industriels, tels que moulin, boulangerie ou entrepôts
utilisés à des fins exclusivement professionnelles (Khamidov c. Russie, § 131) ou des bâtiments
abritant du bétail (Leveau et Fillon c. France (déc.)). De même, un bâtiment inhabité et vide ou en
cours de construction pourrait ne pas être qualifié de « domicile » (Halabi c. France, § 41).
399. En outre, lorsqu’un requérant revendique comme son « domicile » un lieu qu’il n’a jamais ou
guère occupé ou qu’il n’occupe plus depuis un laps de temps considérable, il se peut que les liens
qu’il entretient avec ce lieu soient si ténus qu’ils cessent de soulever une question sous l’angle de
l’article 8 (Andreou Papi c. Turquie, § 54). La possibilité d’hériter d’un bien ne constitue pas un lien
concret suffisant pour pouvoir conclure à l’existence d’un « domicile » (Demopoulos et autres
c. Turquie (déc.) [GC], §§ 136-137). Par ailleurs, l’article 8 ne va pas jusqu’à garantir le droit d’acheter
un logement (Strunjak et autres c. Croatie (déc.)) ou imposer aux autorités une obligation générale
de respecter le choix fait par des couples mariés de leur domicile commun (Mengesha Kimfe
c. Suisse, § 61). L’article 8 ne garantit pas non plus le droit à obtenir un logement (Chapman
c. Royaume-Uni [GC], § 99 ; Ward c. Royaume-Uni (déc.) ; Codona c. Royaume-Uni (déc.)), et encore
moins à obtenir un logement ou une catégorie de logement particulier – par exemple situé dans un
endroit précis (Hudorovič et autres c. Slovénie, § 114). Une intrusion au domicile d’une personne
peut être examinée sous l’angle des exigences liées à la protection de la « vie privée » (Khadija
Ismayilova c. Azerbaïdjan, § 107).
400. La Cour a admis des éléments tels que des documents délivrés par l’administration locale, des
plans, des photographies et des factures relatives à des frais d’entretien, ainsi que des preuves de
livraison de courrier, des témoignages et tout autre élément pertinent (Prokopovich c. Russie, § 37) à
titre de commencement de preuve de résidence dans un lieu déterminé (Nasirov et autres
c. Azerbaïdjan, où le requérant n’avait pas produit de preuves démontrant l’existence de liens
suffisants et continus avec un appartement, §§ 72-75).
Marge d’appréciation
404. Dans la mesure où, dans ce domaine, les questions en jeu peuvent dépendre d’une multitude
de facteurs locaux et relever de choix et de plans d’aménagement urbain et rural, les États
contractants disposent, en principe, d’une marge d’appréciation étendue (Noack et autres
c. Allemagne (déc.) ; voir aussi l’ample marge d’appréciation en matière de logement et plus
précisément en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement, Hudorovič et autres c. Slovénie, §§ 141,
144, 158, et les références qui y sont citées). Cependant, la Cour demeure habilitée à conclure qu’ils
ont commis une erreur manifeste d’appréciation (Chapman c. Royaume-Uni [GC], § 92). La mise en
œuvre de ces choix peut porter atteinte au respect du domicile, sans pour autant soulever un
problème au regard de la Convention, dès lors que certaines conditions sont respectées et des
mesures d’accompagnement mises en place (Noack et autres c. Allemagne (déc.)). Toutefois,
l’importance des droits fondamentaux, voir intimes, protégés par l’article 8 réduit
proportionnellement la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales (Connors
c. Royaume-Uni, § 82).
B. Les logements
405. L’article 8 ne peut être interprété comme conférant un droit au logement (Chapman
c. Royaume-Uni [GC], § 99) ou comme consacrant le droit de vivre à un endroit en particulier (Garib
c. Pays-Bas [GC], § 141). En outre, la portée de toute obligation positive de loger des personnes sans
abri est limitée (Hudorovič et autres c. Slovénie, § 114).
406. Le droit au respect de son domicile est conçu non seulement comme le droit à un simple
espace physique, mais aussi comme le droit à la jouissance, en toute tranquillité, de cet espace. Ceci
peut impliquer des mesures à prendre par les autorités, notamment en matière d’exécution de
décisions judiciaires (Cvijetić c. Croatie, §§ 51-53). Les ingérences peuvent être à la fois d’ordre
corporel, telle que l’entrée d’une personne sans autorisation (Chypre c. Turquie [GC], § 294 ;
Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, § 154), et
d’ordre incorporel, comme des bruits, émissions, odeurs, etc. (Moreno Gómez c. Espagne, § 53).
407. Si l’article 8 protège les individus contre les ingérences des autorités publiques, il implique
également l’adoption de mesures par l’État afin de garantir le droit au respect du « domicile »
(Novosseletski c. Ukraine, § 68) et ce, jusque dans les relations entre particuliers (Surugiu
c. Roumanie, § 59). La Cour a constaté un manquement de l’État à ses obligations positives en raison
de l’inaction des autorités à la suite de plaintes répétées d’un requérant qui dénonçait l’entrée dans
sa cour de personnes venant déverser des charrettes de fumier devant sa porte et ses fenêtres
(ibidem, §§ 67-68 ; pour le cas d’une absence de manquement à une obligation positive mise à la
charge de l’État, voir Osman c. Royaume-Uni [GC], §§ 129-130). Le défaut d’exécution par les
autorités nationales d’un ordre d’expulsion d’un appartement au profit de son propriétaire a été
jugé constitutif d’un manquement aux obligations positives de l’État découlant de l’article 8 (Pibernik
c. Croatie, § 70). La restitution tardive par les autorités publiques d’un appartement dans un état
inhabitable a été jugée contraire au droit au respect du domicile (Novosseletski c. Ukraine, §§ 84-88).
Même si la Convention ne garantit pas un accès à l’eau potable en tant que tel, une absence
persistante, sur le long terme, d’un accès à l’eau potable pourrait avoir des conséquences néfastes
sur la santé et la dignité humaine, et porter effectivement atteinte à un domaine essentiel de la vie
privée et de la jouissance du domicile, ce qui signifie que des obligations positives à la charge de
l’État pourraient en découler, en fonction des circonstances de l’espèce et du degré de gravité de ces
conséquences (Hudorovič et autres c. Slovénie, §§ 116, 158, et §§ 145-146).
408. La Cour enjoint aux États membres de mettre en balance les intérêts concurrents en jeu
(Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], § 98), que l’affaire soit abordée sous l’angle de l’ingérence
d’une autorité publique devant être justifiée en vertu du paragraphe 2 de l’article 8, ou sous l’angle
d’obligations positives imposant à l’État l’adoption d’un cadre juridique protecteur du droit au
respect de son domicile en vertu du paragraphe 1.
409. S’agissant de l’étendue de la marge d’appréciation des États en ce domaine, il faut accorder
une importance particulière à l’ampleur de l’ingérence dans la sphère personnelle de l’intéressé
(Connors c. Royaume-Uni, § 82 ; Gladysheva c. Russie, §§ 91-96). Compte tenu de l’importance
cruciale des droits garantis par l’article 8 pour l’identité de la personne, son autodétermination et
son intégrité physique et morale, la marge d’appréciation concernant les questions de logement est
plus étroite s’agissant de ces droits que des droits protégés par l’article 1 du Protocole no 1 (ibidem,
§ 93).
410. La Cour s’intéresse particulièrement aux garanties procédurales pour déterminer si l’État a
outrepassé sa marge d’appréciation en fixant le cadre juridique applicable (Connors c. Royaume-Uni,
§ 92). Elle a notamment jugé que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au
respect du domicile. Toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir faire
examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes
pertinents qui découlent de l’article 8 de la Convention, quand bien même son droit d’occuper les
lieux aurait été éteint par l’application du droit interne (McCann c. Royaume-Uni, § 50). Ce principe a
été énoncé dans le contexte de logements appartenant à l’État ou en propriété sociale (F.J.M.
c. Royaume-Uni (déc.), § 37, et les références qui y sont citées). Une distinction a toutefois été
établie entre propriétaires publics et propriétaires privés, de sorte que le principe ne s’applique pas
automatiquement lorsque la mise en possession est demandée par un simple particulier ou par une
entreprise (§ 41). En pareilles circonstances, l’équilibre à ménager entre les intérêts concurrents des
parties peut notamment être assuré par la législation interne, auquel cas il n’est pas nécessaire
qu’un tribunal les mette à nouveau en balance lorsqu’il examine une demande de mise en
possession (§ 45).
Propriétaires
411. Lorsqu’une autorité de État a affaire à un propriétaire qui se trouve avoir acheté de bonne foi
un bien acquis frauduleusement par le précédent propriétaire, les juridictions nationales ne
sauraient automatiquement ordonner son expulsion sans se pencher plus avant sur la
proportionnalité de cette mesure ou sur la particularité de la situation. Le fait que le logement doit
être récupéré par l’État, et non par une quelconque partie privée dont les intérêts auraient pu être
en jeu au travers de l’appartement, a aussi une importance particulière (Gladysheva c. Russie,
§§ 90-97).
412. Les États membres peuvent prévoir la possibilité d’une vente forcée d’une maison pour assurer
le paiement des taxes exigibles. Toutefois, l’exécution de cette mesure doit se concilier avec le droit
au respect de son domicile. Dans une affaire visant les conditions de la vente forcée aux enchères
d’une maison, pour rembourser une dette fiscale, la Cour a conclu à une violation car les intérêts du
propriétaire n’avaient pas été pas suffisamment protégés (Rousk c. Suède, §§ 137-142). S’agissant
plus généralement de la conciliation du droit au respect du domicile avec la vente forcée d’une
maison aux fins du paiement de dettes, voir Vrzić c. Croatie, § 13.
413. L’obligation d’obtenir un permis pour pouvoir habiter le domicile dont on est propriétaire sur
une île, afin d’éviter le surpeuplement du lieu, n’est pas, en soi, contraire à l’article 8. Toutefois,
l’exigence de proportionnalité n’est pas satisfaite lorsque les autorités nationales ne tiennent pas
suffisamment compte, notamment, de la situation particulière des propriétaires (Gillow
c. Royaume-Uni, §§ 56-58).
414. La Cour a examiné la question de la perte imminente d’un domicile consécutivement à une
décision de démolir celui-ci au motif qu’il avait été délibérément construit en violation de la
réglementation applicable en matière d’urbanisme (Ivanova et Cherkezov c. Bulgarie). La Cour s’est
essentiellement penchée sur la question de savoir si la démolition était « nécessaire dans une
société démocratique ». Elle s’est appuyée à cet égard sur les arrêts qu’elle avait rendus dans des
affaires précédentes dans lesquelles elle avait estimé que les procédures d’expulsion d’un domicile
devaient respecter les intérêts protégés par l’article 8, la perte d’un domicile constituant une forme
extrême d’ingérence dans l’exercice du droit au respect du domicile, que la personne concernée
appartienne ou non à un groupe vulnérable. Pour conclure à la violation de l’article 8 dans cette
affaire, la Cour s’est fondée sur la constatation que les tribunaux nationaux devaient se prononcer
uniquement sur la question de l’illégalité et qu’ils s’étaient limités à cette question, sans examiner
l’effet éventuellement disproportionné de l’exécution de l’arrêté de démolition sur la situation
personnelle des requérants (ibidem, §§ 49-62).
415. Par ailleurs, la Cour a dit que lorsqu’un État adopte un cadre juridique obligeant une personne
à partager son domicile avec des personnes étrangères, il doit mettre en place une réglementation
pertinente et les garanties de procédures nécessaires pour assurer la protection des droits au titre
de la Convention de toutes les parties concernées (Irina Smirnova c. Ukraine, § 94).
Locataires
416. La Cour s’est notamment prononcée sur des litiges relatifs à l’éviction de locataires (voir les
références citées dans l’arrêt Ivanova et Cherkezov c. Bulgarie, § 52). Un ordre émis par les autorités
de quitter un logement doit s’avérer nécessaire et répondre à des garanties procédurales dans le
cadre d’un processus décisionnel équitable devant un tribunal indépendant respectueux des
exigences de l’article 8 (Connors c. Royaume-Uni, §§ 81-84 ; Bjedov c. Croatie, §§ 70-71). Indiquer
simplement que la mesure est prévue par le droit national, sans prendre en considération les
circonstances individuelles en cause, ne suffit pas (Ćosić c. Croatie, § 21). Encore faut-il que la
mesure vise un objectif légitime et justifier que la perte du domicile est proportionnée aux buts
légitimes poursuivis conformément à l’article 8 § 2. Il faut donc prendre en considération les
circonstances factuelles concernant l’occupant dont les intérêts légitimes sont à protéger (Orlić
c. Croatie, § 64 ; Gladysheva c. Russie, §§ 94-95 ; Kryvitska et Kryvitskyy c. Ukraine, § 50 ; Andrey
Medvedev c. Russie, § 55).
417. La Cour a ainsi décidé qu’une procédure sommaire d’éviction d’un locataire n’offrant pas de
garanties procédurales suffisantes, entraînait une violation de la Convention, même si la mesure
pouvait légitimement viser à assurer la bonne application du régime légal en matière de logement
(McCann c. Royaume-Uni, § 55). La résiliation d’un bail sans la possibilité d’un contrôle de
proportionnalité de la mesure d’éviction par un juge indépendant a été jugée contraire à l’article 8
dans des affaires où le propriétaire était un organisme public (Kay et autres c. Royaume-Uni, § 74).
Dans des affaires où le propriétaire était un simple particulier ou une entité de droit privé, il a en
revanche été jugé que le principe ne s’applique pas automatiquement (Vrzić c. Croatie, § 67 ; F.J.M.
c. Royaume-Uni (déc.), § 41).
En outre, continuer d’occuper la propriété d’un particulier en méconnaissance d’une mesure
d’expulsion exécutoire prise par un tribunal ayant conclu à l’irrégularité de l’occupation en question,
méconnaît l’article 8 (Khamidov c. Russie, § 145).
418. Dans son arrêt Larkos c. Chypre [GC], la Cour a jugé que le fait de protéger de manière
différente des locataires contre l’éviction – selon que ceux-ci occupent des logements d’État ou des
locaux privés – emportait violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (§§ 31-32). Par contre,
n’est pas discriminante, la possibilité pour les seuls locataires de propriétaires publics d’acheter
l’appartement qu’ils occupent, les locataires d’appartements possédés par des particuliers ne le
pouvant pas (Strunjak et autres c. Croatie (déc.)). Par ailleurs, il est légitime de fixer des critères pour
l’attribution d’un logement social, lorsque les ressources sont insuffisantes pour satisfaire la
demande, pourvu que ces critères ne soient ni arbitraires ni discriminatoires (Bah c. Royaume-Uni,
§ 49 ; voir, plus généralement sur les locataires de logements sociaux, Paulić c. Croatie ; Kay et
autres c. Royaume-Uni).
419. La Cour n’a pas constaté de violation de l’article 8 s’agissant d’une réforme du secteur du
logement, consécutive au passage d’un régime socialiste à l’économie de marché, se traduisant par
une diminution générale de la protection juridique octroyée aux titulaires de « baux spécialement
protégés ». En effet, malgré une hausse des loyers et une diminution de la garantie de maintien dans
les lieux, ces locataires continuaient de jouir d’une protection particulière supérieure à celle
normalement accordée aux locataires (Berger-Krall et autres c. Slovénie, § 273 et les références
citées ; à comparer toutefois avec Galović c. Croatie (déc.), § 65).
425. La Cour a aussi jugé que l’attitude générale des autorités consistant à entretenir le sentiment
d’insécurité de personnes Roms dont les maisons et biens avaient été détruits, et les manquements
des autorités à faire cesser les atteintes au domicile notamment, avaient constitué une grave
violation de l’article 8 (Moldovan et autres c. Roumanie (no 2), §§ 108-109 ; Burlya et autres
c. Ukraine, §§ 169-170).
426. Une mesure qui touche une minorité ne constitue pas de ce seul fait une violation de l’article 8
(Noack et autres c. Allemagne (déc.)). Dans l’affaire Noack et autres, la Cour a en effet examiné si les
motifs invoqués pour justifier le transfert des habitants de la commune, dont une partie appartenait
à une minorité nationale, vers une autre commune, étaient pertinents et si cette ingérence était
proportionnée au but poursuivi, tout en gardant à l’esprit le fait que cette ingérence affectait une
minorité. Dans l’affaire Hudorovič et autres c. Slovénie, la Cour s’est penchée sur la portée de
l’obligation positive qui incombe à l’État de fournir un accès aux infrastructures de base à un
groupes socialement défavorisé, à savoir des membres de la communauté rom (§§ 143-158). Elle a
estimé que les mesures adoptées par les autorités internes pour assurer aux requérants un accès à
l’eau potable et à l’assainissement avaient tenu compte de la position vulnérable des intéressés et
satisfait aux exigences de l’article 8 (§ 158).
427. Une personne ne jouissant pas de la capacité juridique est aussi particulièrement vulnérable.
L’article 8 fait donc peser sur l’État l’obligation positive de lui accorder une protection spéciale. Est
ainsi constitutive d’une violation de l’article 8 la vente judiciaire d’un appartement suivie de
l’expulsion de son occupant sans que ce dernier, privé de la capacité juridique, n’ait pu participer
effectivement à la procédure et faire examiner la proportionnalité de cette mesure par les tribunaux
(Zehentner c. Autriche, §§ 63 et 65). Il convient de se référer aux garanties existant en droit interne
(A.-M.V. c. Finlande, §§ 82-84 et 90). Dans l’affaire citée, la Cour a jugé que le refus de donner suite
aux souhaits formulés par un adulte intellectuellement déficient en ce qui concerne sa formation et
son lieu de résidence n’avait pas emporté violation de l’article 8.
428. Le fait pour des enfants d’être psychologiquement affectées par la vision des violences
commises par leur père contre leur mère au sein du foyer constitue une « ingérence » dans
l’exercice par les intéressées de leur droit au respect de leur domicile (Eremia c. République de
Moldova, § 74). Dans l’affaire citée, la Cour a conclu à une violation de l’article 8 en raison du
manquement du système judiciaire à réagir de manière adéquate aux graves violences domestiques
(§§ 78-79).
429. L’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile et, par
conséquent, toute obligation positive de loger les personnes sans domicile doit être limitée.
Néanmoins, l’obligation d’offrir un abri aux personnes particulièrement vulnérables peut, dans des
cas exceptionnels, se déduire de l’article 8 (Yordanova et autres c. Bulgarie, § 130, et les références
qui y sont citées). Le refus des autorités sociales de fournir une assistance au logement à un individu
souffrant de sérieux problèmes de santé pourrait, dans certaines circonstances, soulever un
problème sous l’angle de l’article 8, en raison de l’impact de ce refus sur la vie privée du demandeur
(O’Rourke c. Royaume-Uni (déc.)).
430. Dans sa jurisprudence, la Cour prend en compte les éléments de droit international pertinents
et elle détermine l’étendue de la marge d’appréciation des États membres (A.-M.V. c. Finlande,
§§ 73-74 et 90). Dans le domaine du logement, les États jouissent d’une ample marge d’appréciation
(Hudorovič et autres c. Slovénie, §§ 141 et 158).
violation ; pour un exemple de non-violation, voir Dragan Petrović c. Serbie, §§ 75-77), tout comme
les mesures prises à l’intérieur du domicile (Vasylchuk c. Ukraine, § 83, s’agissant d’un saccage des
lieux).
432. L’arrêt rendu dans l’affaire Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs
(FNASS) et autres c. France concernait l’obligation faite aux sportifs de haut niveau appartenant à un
« groupe cible » de communiquer à l’avance des informations sur leurs déplacements afin que des
tests anti-dopage puissent être pratiqués sans préavis. La Cour a souligné que ces contrôles
s’inséraient dans un contexte très différent de ceux placés sous la supervision de l’autorité judiciaire
et destinés à la recherche d’infractions ou susceptibles de donner lieu à des saisies qui, par
définition, touchent le cœur du droit au respect du domicile et auxquels les visites au domicile des
athlètes ne peuvent pas être assimilées (§ 186). Elle a considéré que limiter ou supprimer les
obligations dont le requérant se plaignait risquait d’augmenter les dangers du dopage pour la santé
des athlètes concernés et de l’ensemble de la communauté sportive et serait contraire aux
consensus européen et international existant quant à la nécessité de pratiquer des contrôles
inopinés (§ 190).
433. Il convient de protéger le citoyen contre le risque d’une intrusion abusive de la police dans son
domicile. La Cour a conclu à une violation de l’article 8 dans le cas d’une intrusion, au lever du jour,
de forces spéciales cagoulées portant des mitraillettes, pour effectuer une notification d’inculpation
et un transfert au poste de police. La Cour a indiqué que des garanties appropriées doivent être
mises en place pour éviter les abus d’autorité et les atteintes à la dignité humaine (Kučera
c. Slovaquie, §§ 119 et 122 ; voir également Rachwalski et Ferenc c. Pologne, § 73). Ceci peut aller
jusqu’à mettre à la charge de l’État une obligation d’enquête effective lorsque c’est l’unique moyen
de droit pour faire la lumière sur des allégations de fouilles illégales (H.M. c. Turquie, §§ 26-27 et 29 :
violation de l’article 8 sous son volet procédural du fait de l’insuffisance de l’enquête ; sur
l’importance de cette protection procédurale, voir Vasylchuk c. Ukraine, § 84).
434. Les mesures intrusives du domicile doivent être « prévues par la loi », ce qui inclut le respect
de la procédure légale (L.M. c. Italie, §§ 29 et 31) et des garanties existantes (Panteleyenko
c. Ukraine, §§ 50-51 ; Kilyen c. Roumanie, § 34), poursuivre l’un des buts légitimes énumérés au
paragraphe 2 de l’article 8 (Smirnov c. Russie, § 40) et être « nécessaire dans une société
démocratique » à la poursuite de ce but (Camenzind c. Suisse, § 47).
435. Poursuivent un but légitime, par exemple, des mesures prises aux fins de la protection de la
concurrence économique par l’Autorité en matière de concurrence (DELTA PEKÁRNY a.s.
c. République tchèque, § 81) ; de la répression des fraudes fiscales (Keslassy c. France (déc.) ; K.S. et
M.S. c. Allemagne, § 48) ; de la recherche d’indices et preuves en matière pénale, par exemple, pour
faux en écriture et usage, abus de confiance et émission de chèques sans provision (Van Rossem
c. Belgique, § 40), meurtre (Dragan Petrović c. Serbie, § 74), trafic de stupéfiants (Işıldak c. Turquie,
§ 50) ou commerce illégal de médicaments (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, § 55) ;
de la protection de l’environnement et de la prévention des nuisances (Halabi c. France, §§ 60-61) ;
de la protection de la santé et des « droits et libertés d’autrui » dans le cadre de la lutte contre le
dopage (Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, §§
165-166).
436. La Cour contrôle ensuite le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier
de telles mesures, le respect du principe de proportionnalité dans les circonstances de l’affaire (Buck
c. Allemagne, § 45), et si la législation et la pratique pertinentes fournissent des garanties adéquates
et suffisantes pour empêcher les autorités de prendre des mesures arbitraires (Gutsanovi c. Bulgarie,
§ 220 ; pour les critères applicables, voir Iliya Stefanov c. Bulgarie, §§ 38-39 ; Smirnov c. Russie, § 44).
Par exemple, le juge ne peut se borner à signer et apposer le sceau du tribunal, la date et l’heure de
la décision suivies de la mention « j’approuve » sur un procès-verbal, sans produire une ordonnance
exposant les motifs de cette approbation (Gutsanovi c. Bulgarie, § 223). Pour une perquisition du
domicile des requérants en vertu d’un mandat délivré sur la base de preuves susceptibles d’avoir été
obtenues en violation du droit interne et du droit international, voir K.S. et M.S. c. Allemagne,
§§ 49-53.
437. La Cour est particulièrement vigilante lorsque le droit interne permet des perquisitions en
l’absence de mandat décerné par un juge. Elle admet une telle perquisition lorsque l’absence de
mandat est compensée par un contrôle judiciaire postérieur efficace, portant sur la légalité et la
nécessité de la mesure (Işıldak c. Turquie, § 51 ; Gutsanovi c. Bulgarie, § 222). Cela implique que
l’intéressé puisse obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait et en droit, de la régularité de la
mesure et un redressement approprié en cas d’irrégularité (DELTA PEKÁRNY a.s. c. République
tchèque, § 87). Une perquisition ordonnée par un procureur en l’absence de contrôle par une
autorité judiciaire n’est pas conforme à l’article 8 (Varga c. Roumanie, §§ 70-74).
438. D’après la Cour, un mandat de perquisition doit être assorti de certaines limites pour que
l’ingérence qu’il autorise dans les droits garantis par l’article 8, et en particulier le droit au respect du
domicile, ne soit pas potentiellement illimitée et, partant, disproportionnée. Ainsi, le libellé du
mandat doit préciser son champ d’application (pour s’assurer que la perquisition se limite à la
recherche des infractions poursuivies), et les conditions de son exécution (pour permettre l’exercice
d’un contrôle sur l’étendue des opérations). Un mandat rédigé en des termes larges et ne
comportant aucune information sur l’instruction en cause ni sur les objets devant être saisis, ne
préserve pas un juste équilibre entre les droits des parties, en raison des pouvoirs étendus qu’il
octroie aux enquêteurs (Van Rossem c. Belgique, §§ 44-50, et les références qui y sont citées ;
Bagiyeva c. Ukraine, § 52).
439. Une perquisition par la police peut être jugée disproportionnée si elle n’a pas été précédée de
précautions raisonnables qu’il était pourtant possible de mettre en œuvre (Keegan c. Royaume-Uni,
§§ 33-36, où l’identité des occupants du lieu perquisitionné n’avait pas été vérifiée de manière
suffisante au préalable) ou si les mesures employées ont été excessives (Vasylchuk c. Ukraine, §§ 80
et 84). Une entrée de la police à 6 heures du matin, sans motif suffisant, au domicile d’une personne
absente, qui n’était pas la personne poursuivie mais la victime, n’a pas été jugée « nécessaire dans
une société démocratique » (Zubaľ c. Slovaquie, §§ 41-45, où la Cour a également relevé l’impact sur
la réputation de la personne concernée). La Cour a aussi conclu à une violation de l’article 8
s’agissant de perquisitions et saisies dans un domicile privé à propos d’une simple contravention qui
visait un tiers (Buck c. Allemagne, § 52).
440. La présence du requérant et d’autres témoins lors de la perquisition peut être prise en compte
par la Cour (Bagiyeva c. Ukraine, § 53), comme élément donnant la possibilité au requérant
d’exercer de manière effective le contrôle sur l’étendue des perquisitions effectuées (Maslák et
Michálková c. République tchèque, § 79). En revanche, une perquisition opérée en la présence de la
personne visée, de son avocat, de deux autres témoins et d’un expert, mais en l’absence d’une
autorisation préalable d’un juge et d’un contrôle effectif a posteriori ne permet pas de prévenir le
risque d’abus de pouvoir de la part des autorités de l’enquête pénale (Gutsanovi c. Bulgarie, § 225).
441. Une perquisition effectuée à un stade particulièrement précoce de la procédure pénale tel
celui de l’enquête préliminaire, antérieur à l’instruction préparatoire, doit s’entourer des garanties
adéquates et suffisantes (Modestou c. Grèce, § 44). En l’espèce, la Cour a jugé qu’une perquisition à
ce stade était disproportionnée en raison de l’imprécision du mandat, de l’absence d’un contrôle
judiciaire ex ante et ex post factum immédiat, mais aussi de l’absence physique du requérant
pendant la perquisition (§§ 52-54).
442. À l’inverse, les garanties instituées par le droit national et les conditions pratiques du
déroulement de la perquisition peuvent conduire à un constat de non-violation de l’article 8
(Camenzind c. Suisse, § 46, et Paulić c. Croatie pour une perquisition de faible ampleur pour saisir un
téléphone non agréé ; Cronin c. Royaume-Uni (déc.) et Ratushna c. Ukraine, § 82, pour l’existence de
garanties appropriées).
46
Voir le Guide sur le terrorisme.
F. L’environnement du domicile
Approche générale47
463. La Convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain et calme
(Kyrtatos c. Grèce, § 52), mais lorsqu’une personne pâtit directement et gravement du bruit,
d’émissions ou d’autres formes de pollution, une question peut se poser sous l’angle de l’article 8
(Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], § 96 ; Moreno Gómez c. Espagne, § 53). L’article 8 peut
trouver à s’appliquer, que la nuisance soit directement causée par l’État ou que celui-ci soit
responsable faute de réglementation adéquate de l’activité du secteur privé en cause (Jugheli et
autres c. Géorgie, §§ 73-75).
464. Toutefois, pour soulever une question au regard de l’article 8, l’atteinte à l’environnement doit
avoir des répercussions directes et immédiates sur le droit au respect du domicile (Hatton et autres
c. Royaume-Uni [GC], § 96). Ainsi, par exemple, la seule invocation de risques de pollution liés à une
activité industrielle future ne suffit pas, en soi, pour acquérir la qualité de victime (Asselbourg et
autres c. Luxembourg (déc.)).
465. Les conséquences de la pollution de l’environnement doivent atteindre un « seuil minimum de
gravité », sans qu’il soit pour autant nécessaire que l’atteinte constitue un grave danger pour la
santé de l’intéressé (López Ostra c. Espagne, § 51). En effet, des atteintes graves à l’environnement
peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de
manière à nuire à leur vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger leur santé
(Guerra et autres c. Italie, § 60). Un grief défendable sur le terrain de l’article 8 peut naître si un
risque écologique atteint un niveau de gravité diminuant notablement la capacité du requérant à
jouir de son domicile ou de sa vie privée ou familiale (Jugheli et autres c. Géorgie, §§ 73-75).
L’appréciation de ce seuil minimum dépend des circonstances de l’affaire, comme de l’intensité et
de la durée des nuisances (Udovičić c. Croatie, § 139), ainsi que des conséquences physiques ou
psychologiques sur la santé ou la qualité de vie de l’intéressé (Fadeïeva c. Russie, § 69).
466. Par conséquent, l’article 8 ne couvre ni une « dégradation générale de l’environnement »
(Martínez Martínez et Pino Manzano c. Espagne, § 42), ni le cas d’une atteinte négligeable par
rapport aux risques écologiques liés à la vie dans les villes modernes (Hardy et Maile c. Royaume-
Uni, § 188).
467. Le seuil de gravité requis n’est pas atteint lorsque le bourdonnement émis par des éoliennes
(Fägerskiöld c. Suède (déc.)) ou le bruit émanant d’un cabinet dentaire (Galev et autres c. Bulgarie
(déc.)) sont trop faibles pour nuire gravement aux habitants et faire obstacle à la jouissance de leur
domicile (voir aussi Koceniak c. Pologne (déc.) pour une usine de transformation de viande). En
revanche, le niveau sonore de feux d’artifice à côté d’une habitation située en zone rurale, peut
atteindre le seuil de gravité requis (Zammit Maempel c. Malte, § 38).
468. Le simple fait que l’activité à la source des nuisances alléguées est illégale ne suffit pas, en soi,
à déclencher l’application de l’article 8. La Cour doit déterminer si la nuisance a atteint le seuil
minimum de gravité nécessaire (Furlepa c. Pologne (déc.)).
469. L’affaire Dzemyuk c. Ukraine concernait un cimetière situé à proximité du domicile et du
système d’approvisionnement en eau du requérant. Le taux élevé de bactéries relevé dans l’eau du
puits du requérant, associé à la violation flagrante des règlements nationaux relatifs à la sécurité et à
la santé environnementales, confirmait l’existence de risques environnementaux, notamment une
grave pollution de l’eau, atteignant un degré suffisant de gravité pour mettre en jeu l’application de
l’article 8 (comparer, pour ce qui est de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, Hudorovič et
47
Voir aussi ci-dessus.
autres c. Slovénie, § 113). L’illégalité de l’emplacement du cimetière avait été reconnue par des
décisions des juridictions internes, mais les autorités locales compétentes ne s’étaient pas
conformées à la décision judiciaire définitive ordonnant la fermeture du cimetière. La Cour a conclu
que l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de son domicile et de sa vie
privée et familiale n’était pas « prévue par la loi » (§§ 77-84 et 87-92).
470. La Cour autorise une certaine flexibilité en matière de preuve des conséquences néfastes de la
pollution sur le droit au respect du domicile (Fadeïeva c. Russie, § 79). Si le requérant n’a pas pu
produire de document officiel des autorités internes attestant du danger, cela ne fait pas
nécessairement échec à sa requête (Tătar c. Roumanie, § 96).
471. Face à une allégation de nuisance environnementale ayant un impact sur la jouissance du
« domicile », la Cour procède en deux temps. Elle examine, en premier lieu, le contenu des décisions
des autorités nationales puis, en second lieu, le processus décisionnel (Hatton et autres
c. Royaume-Uni [GC], § 99). La violation peut consister en une ingérence arbitraire des pouvoirs
publics ou en un manquement à leurs obligations positives. La Cour rappelle que dans les deux cas, il
faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la
société dans son ensemble (Moreno Gómez c. Espagne, § 55).
472. La jouissance effective du droit au respect du domicile impose à l’État d’adopter l’ensemble
des mesures raisonnables et adéquates protégeant les individus contre les atteintes graves à leur
environnement (Tătar c. Roumanie, § 88). Cela suppose la mise en place d’un cadre législatif et
administratif permettant de prévenir de tels dommages, le contexte revêtant une certaine
importance (Tolić et autres c. Croatie (déc.), § 95). Dans une affaire qui concernait une pollution de
l’eau par des entreprises privées, la Cour n’a pas jugé nécessaire la mise en œuvre de mécanismes
de droit pénal, la voie civile apparaissant suffisante (ibidem, §§ 91-101).
473. L’État dispose en la matière d’une marge d’appréciation étendue, car la Cour n’attribue pas de
statut spécial aux droits environnementaux (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], §§ 100 et 122). Il
doit atteindre un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence (Fadeïeva c. Russie, § 93 ;
Hardy et Maile c. Royaume-Uni, § 218). En matière de nuisances sonores, la Cour a admis l’argument
tiré de l’intérêt économique de l’exploitation de grands aéroports internationaux à proximité de
domiciles (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, § 42), y compris durant la nuit (Hatton et autres
c. Royaume-Uni [GC], § 126). Toutefois, la Cour a conclu à une rupture de l’équilibre face à l’absence
de solution effective d’éloignement d’habitants de la zone à risque autour d’une grande aciérie, et
d’adoption de mesures propres à ramener le volume des émissions industrielles à un niveau
acceptable (Fadeïeva c. Russie, § 133). Dans l’affaire Jugheli, elle a également constaté que l’État
défendeur n’avait pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général que présentait l’exploitation
d’une centrale thermique et la jouissance effective par les requérants de leur droit au respect de
leur domicile et de leur vie privée (Jugheli et autres c. Géorgie, §§ 77-78).
474. La Cour prend en compte les mesures mises en place par les autorités nationales. Elle a conclu
à une violation du droit au respect du domicile dans l’affaire López Ostra c. Espagne, §§ 56-58,
lorsque les autorités ont entravé la fermeture d’une station d’épuration nuisible à la santé. La
passivité des autorités locales face aux nuisances sonores prolongées provenant d’une boîte de nuit,
dépassant les niveaux sonores autorisés, a conduit à un constat de violation dans l’affaire Moreno
Gómez c. Espagne, § 61. L’incapacité prolongée des autorités italiennes à assurer le bon
fonctionnement du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets a aussi conduit à
une violation du droit au respect du domicile dans l’affaire Di Sarno et autres c. Italie, § 112. En
revanche, dans l’affaire Tolić et autres c. Croatie (déc.), la Cour a considéré que l’État avait pris
toutes les mesures raisonnables pour protéger les droits garantis aux requérants par l’article 8
(§§ 95-101).
475. Le processus décisionnel doit comporter la réalisation d’enquêtes et d’études appropriées
permettant d’évaluer et de prévenir les effets néfastes pour l’environnement des activités en
question (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], § 128). La Cour précise toutefois, dans cette même
affaire, que la prise de décision par les autorités nationales n’est pas subordonnée à l’obtention de
données exhaustives et vérifiables sur l’ensemble des aspects de la question à trancher.
L’investigation doit permettre l’établissement d’un juste équilibre entre les intérêts concurrents en
présence (ibidem).
476. La Cour a souligné l’importance de l’accès du public aux conclusions des études et enquêtes
effectuées, ainsi qu’à des informations permettant d’évaluer le danger auquel il est exposé
(Giacomelli c. Italie, § 83). En ce sens, la Cour a condamné l’absence de possibilité de participation au
processus décisionnel, de la population résidant à proximité d’une usine d’extraction utilisant du
cyanure de sodium (Tătar c. Roumanie). Contrairement à l’affaire Hatton et autres c. Royaume-Uni
[GC], § 120, les habitants n’avaient pas eu accès aux conclusions de l’étude ayant servi de base à
l’octroi de l’autorisation de fonctionnement de l’usine, et aucune autre information officielle
concernant ce sujet ne leur avait été présentée. Les dispositions nationales en matière de débats
publics n’avaient pas été respectées (Tătar c. Roumanie, §§ 115-124). Dans une autre affaire, en
revanche, la Cour a relevé que le public avait eu accès aux informations essentielles pour identifier
et évaluer les risques liés à l’exploitation de deux sites de traitement de gaz naturel liquéfié (Hardy
et Maile c. Royaume-Uni, §§ 247-250).
477. Tout individu doit également être en mesure de former un recours devant un tribunal s’il
considère que ses intérêts n’ont pas fait l’objet d’une prise en compte suffisante dans le processus
décisionnel (Tătar c. Roumanie, § 88). Cela implique que les autorités concernées exécutent les
décisions internes définitives. Est constitutive d’une violation de l’article 8, l’inexécution par les
autorités locales d’une décision judiciaire définitive ordonnant la fermeture d’un cimetière dont la
proximité avec le domicile du requérant a entraîné une contamination bactériologique de l’eau à
usage domestique (Dzemyuk c. Ukraine, § 92).
478. Le choix des moyens propres à régler les questions environnementales relève de la marge
d’appréciation des États, qui ne sont pas tenus de prendre toute mesure spécifique demandée par
des particuliers (invoquant, par exemple, la protection de leur santé contre les émissions de
particules par les véhicules : Greenpeace e.V. et autres c. Allemagne (déc.)). Dans ce domaine
complexe, l’article 8 n’exige pas des autorités nationales qu’elles assurent à chaque individu un
logement qui atteint des critères environnementaux spécifiques (Grimkovskaya c. Ukraine, § 65).
480. La Cour examine les conséquences concrètes des nuisances alléguées et la situation dans son
ensemble (Zammit Maempel c. Malte, § 73, non-violation). Ainsi, elle ne constate pas de problème
sous l’angle de l’article 8 si les mesurages techniques appropriés ont été omis (Oluić c. Croatie, § 51),
ou si les intéressés ne démontrent pas avoir subi un préjudice particulier du fait des nuisances
critiquées (Borysiewicz c. Pologne, s’agissant d’un atelier de couture ; Frankowski et autres
c. Pologne (déc.), en matière de trafic routier ; Chiş c. Roumanie (déc.), s’agissant de l’activité d’un
bar). De plus, il n’y pas de violation lorsque les autorités ont pris des mesures limitatives de l’impact
des nuisances et que le processus décisionnel s’est montré adéquat (Flamenbaum et autres
c. France, §§ 141-160 ; voir aussi le rappel des principes généraux applicables aux §§ 133-138).
V. Correspondance
A. Généralités48
Étendue de la notion de « correspondance »
483. Le droit au respect de la « correspondance » au sens de l’article 8 § 1 vise à protéger le
caractère confidentiel des communications dans de nombreuses et diverses situations. Cette notion
recouvre bien sûr le courrier privé ou professionnel (Niemietz c. Allemagne, § 32 in fine), y compris
lorsque l’expéditeur ou le destinataire est un détenu (Silver et autres c. Royaume-Uni, § 84 ; Mehmet
Nuri Özen et autres c. Turquie, § 41), mais aussi les colis saisis par les agents des douanes
(X c. Royaume-Uni, décision de la Commission). Cette notion vise également les conversations
téléphoniques entre membres d’une même famille (Margareta et Roger Andersson c. Suède, § 72),
ou avec des tiers (Lüdi c. Suisse, §§ 38-39 ; Klass et autres c. Allemagne, §§ 21 et 41 ; Malone
c. Royaume-Uni, § 64), passées dans des locaux privés ou professionnels (Amann c. Suisse [GC], § 44 ;
Halford c. Royaume-Uni, §§ 44-46 ; Copland c. Royaume-Uni, § 41 ; Kopp c. Suisse, § 50), ainsi que les
appels depuis une prison (Petrov c. Bulgarie, § 51), et l’« interception » des éléments se rapportant à
ces conversations (date, durée, numéros composés) (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, § 42).
484. Les technologies relèvent aussi du champ d’application de l’article 8, et notamment les
messages électroniques (courriels/e-mails) (Copland c. Royaume Uni, § 41 ; Bărbulescu c. Roumanie
[GC], § 72), l’usage d’internet (Copland c. Royaume Uni, §§ 41-42), les données des serveurs
informatiques (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, § 45), dont les disques durs (Petri
Sallinen et autres c. Finlande, § 71) et les disquettes informatiques (Iliya Stefanov c. Bulgarie, § 42).
485. Sont aussi concernées les formes plus anciennes de communications électroniques telles que
les télex (Christie c. Royaume-Uni, décision de la Commission), les messages par bipeur (Taylor-
Sabori c. Royaume-Uni), ainsi que les émissions d’une radio privée (X et Y c. Belgique, décision de la
Commission), à l’exception de celles sur une fréquence publique et donc accessible à autrui (B.C.
c. Suisse, décision de la Commission).
48
Voir aussi ci-dessus.
Obligations positives
490. Jusqu’à présent, la Cour a retenu plusieurs obligations positives incombant à l’État dans le
cadre du droit au respect de la correspondance, par exemple :
▪ l’obligation positive de l’État en matière de communications non professionnelles sur le
lieu de travail (Bărbulescu c. Roumanie [GC], §§ 113 et 115-120) ;
▪ l’obligation d’empêcher la divulgation dans le domaine public de conversations privées
(Craxi c. Italie (no 2), §§ 68-76) ;
▪ l’obligation de fournir à un détenu le nécessaire pour correspondre avec la Cour de
Strasbourg (Cotleţ c. Roumanie, §§ 60-65 ; Gagiu c. Roumanie, §§ 91-92) ;
▪ l’obligation d’exécuter l’arrêt d’une Cour constitutionnelle ordonnant de détruire des
cassettes audio sur lesquelles avaient été enregistrées des conversations téléphoniques
entre un avocat et son client (Chadimová c. République tchèque, § 146) ;
▪ l’obligation d’établir un juste équilibre entre le droit au respect de la correspondance et le
droit à la liberté d’expression (Benediktsdóttir c. Islande (déc.)) ; et
Approche générale
491. La situation critiquée peut relever de l’article 8 § 1 sous l’angle tant du respect de la
correspondance que d’autres sphères de l’article 8 (droit au respect du domicile, de la vie privée et
familiale) (Chadimová c. République tchèque, § 143 et les références citées).
492. L’ingérence ne peut se justifier que si les conditions du second paragraphe de l’article 8 sont
remplies. Ainsi, pour qu’une ingérence ne porte pas atteinte à l’article 8, elle doit être « prévue par
la loi », inspirée par un ou plusieurs « buts légitimes », et « nécessaire, dans une société
démocratique », pour atteindre ce ou ces buts.
493. La notion de « loi » au sens de l’article 8 § 2 prend en compte les pays de common law et les
pays « continentaux » (Kruslin c. France, § 29). Lorsque la Cour estime que l’ingérence n’est pas
« prévue par la loi », elle s’abstient, en général, de vérifier le respect des autres exigences du
paragraphe 2 de l’article 8 (Messina c. Italie (no 2), § 83 ; Enea c. Italie [GC], § 144 ; Meimanis
c. Lettonie, § 66).
494. La Cour reconnaît aux États contractants une marge d’appréciation sous l’angle de l’article 8
lorsqu’ils réglementent la matière, mais cette marge d’appréciation s’inscrit dans le cadre d’un
contrôle de conventionalité par la Cour de Strasbourg (par exemple, Szuluk c. Royaume-Uni, § 45 et
les références citées).
495. La Cour a souligné en la matière l’importance des textes internationaux pertinents, dont les
Règles pénitentiaires européennes (Nusret Kaya et autres c. Turquie, §§ 26-28 et 55).
49
Voir également Article 34 (requêtes individuelles), le Guide sur les droits des détenus et ci-dessus.
correspondance des détenus, sans réglementation de sa mise en œuvre ni motivation des autorités,
serait contraire à la Convention (Petrov c. Bulgarie, § 44).
499. Sont constitutifs d’« ingérences » au sens de l’article 8 § 1, notamment :
▪ l’interception d’une lettre par les autorités de la prison (McCallum c. Royaume-Uni, § 31)
ou l’absence d’envoi postal (William Faulkner c. Royaume-Uni, § 11 ; Mehmet Nuri Özen et
autres c. Turquie, § 42) ;
▪ la limitation du courrier (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, § 110) ou sa destruction (Fazıl
Ahmet Tamer c. Turquie, § 52 et § 54 pour un système de filtrage) ;
▪ l’ouverture d’une lettre (Narinen c. Finlande, § 32) – y compris en cas de
dysfonctionnement du service du courrier au sein de l’établissement pénitentiaire
(Demirtepe c. France, § 26) ou d’une simple ouverture avec remise sans délai (Faulkner
c. Royaume-Uni (déc.)) ;
▪ un certain retard dans l’acheminement du courrier (Cotleţ c. Roumanie, § 34) ou le refus de
faire suivre l’envoi à l’adresse électronique de la prison de courriels destinés à un détenu
(Helander c. Finlande (déc.), § 48).
Les échanges entre deux prisonniers sont aussi pris en considération (Pfeifer et Plankl c. Autriche,
§ 43), ainsi que le refus de remettre un livre au détenu (Ospina Vargas c. Italie, § 44).
500. Il y a aussi une « ingérence » après du fait
▪ de biffer certains passages (Fazıl Ahmet Tamer c. Turquie, §§ 10 et 53 ; Pfeifer et Plankl
c. Autriche, § 47) ;
▪ de limiter le nombre de paquets et colis que le détenu est autorisé à recevoir (Aliev
c. Ukraine, § 180) ;
▪ d’enregistrer et de conserver les conversations téléphoniques d’un détenu (Doerga
c. Pays-Bas, § 50) ou des conversations tenues au parloir d’une prison entre un détenu et
ses proches (Wisse c. France, § 29).
Il en est de même s’agissant de l’infliction d’une sanction disciplinaire comprenant la défense
absolue d’envoyer ou de recevoir du courrier pendant 28 jours (McCallum c. Royaume-Uni, § 31) et
d’une restriction concernant l’usage par des détenus de leur langue maternelle lors des
conversations téléphoniques (Nusret Kaya et autres c. Turquie, § 36).
501. L’ingérence doit satisfaire aux exigences de légalité, prévues par l’article 8 § 2. La loi doit user
de termes clairs pour indiquer à tous, en quelles circonstances et sous quelles conditions, la
puissance publique est habilitée à opérer de telles mesures (Lavents c. Lettonie, § 135). C’est au
gouvernement défendeur devant la Cour d’indiquer la disposition de la loi sur laquelle les autorités
nationales se sont appuyées pour soumettre à contrôle la correspondance du détenu (Di Giovine
c. Italie, § 25).
502. L’exigence de légalité implique non seulement l’existence d’une base légale en droit interne
mais renvoie également à la qualité de la loi. En effet, la loi doit être claire, prévisible et accessible
pour la personne concernée, qui doit être en mesure d’en prévoir les conséquences pour elle-même
(Lebois c. Bulgarie, §§ 66-67 ; Silver et autres c. Royaume-Uni, § 88).
503. N’est pas conforme à la Convention, une législation qui ne réglemente ni la durée des mesures
de contrôle de la correspondance ni les motifs pouvant les justifier, n’indique pas avec assez de
clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes
dans le domaine considéré, ou leur laisse une trop large marge d’appréciation (Labita c. Italie [GC],
§§ 176 et 180-184 ; Niedbała c. Pologne, §§ 81-82 ; Lavents c. Lettonie, § 136).
504. Ne sont pas « prévues par la loi » notamment :
pénitentiaire, n’a pas été jugée disproportionnée (Puzinas c. Lituanie (no 2), § 34 ;
comparer cependant avec Buglov c. Ukraine, § 137) ;
▪ un retard de trois semaines dans l’acheminement d’une lettre non urgente, justifié par la
nécessité d’obtenir des instructions d’un supérieur hiérarchique, n’est pas non plus
constitutif d’une violation (Silver et autres c. Royaume-Uni, § 104).
Correspondance écrite
515. L’article 8 ne garantit pas aux détenus le choix du matériel pour écrire. L’obligation faite aux
détenus d’utiliser pour leur correspondance le papier réglementaire de la prison ne constitue pas
une ingérence dans le droit au respect de la correspondance, pourvu que ce papier soit
immédiatement disponible (Cotleţ c. Roumanie, § 61).
516. L’article 8 n’impose pas aux États de supporter les frais d’affranchissement de toute la
correspondance des détenus (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, §§ 56-58). Toutefois, une appréciation
au cas par cas est de mise car un problème pourrait surgir si, faute de moyens financiers, la
correspondance d’un détenu était sérieusement entravée. Ainsi, la Cour a jugé que :
▪ le refus de l’administration pénitentiaire de fournir à un requérant, sans moyens financiers
suffisants pour se les procurer, les enveloppes, timbres et papier à écrire qui sont
nécessaires pour sa correspondance avec la Cour de Strasbourg peut constituer un
manquement de l’État défendeur à son obligation positive d’assurer le respect effectif du
droit au respect de sa correspondance (Cotleţ c. Roumanie, §§ 59 et 65) ;
▪ s’agissant d’un détenu sans moyen ni soutien, en état de dépendance totale par rapport
aux autorités pénitentiaires, celles-ci devaient lui fournir le nécessaire, en particulier des
timbres, pour sa correspondance avec la Cour de Strasbourg (Gagiu c. Roumanie,
§§ 91-92).
517. Une atteinte au droit à la correspondance qui s’avère être une erreur accidentelle, imputable à
un dysfonctionnement de l’administration pénitentiaire, suivie d’une reconnaissance explicite et
d’un redressement suffisant (par exemple, l’adoption par l’administration de mesures permettant
d’éviter la répétition de l’erreur) ne pose pas problème au regard de la Convention (Armstrong
c. Royaume-Uni (déc.) ; Tsonyo Tsonev c. Bulgarie, § 29).
518. La preuve de la réception effective d’un envoi par le détenu est à la charge de l’État : en cas de
désaccord devant la Cour, entre le requérant et le gouvernement défendeur, sur la remise effective
d’une lettre, ce dernier ne peut se borner à produire un relevé des lettres envoyées au détenu et
arrivées à la prison, sans d’établir avec certitude que l’objet dont il s’agit a bien atteint le
destinataire en question (Messina c. Italie, § 31).
519. Il appartient aux autorités responsables de l’envoi et de la réception du courrier d’informer les
détenus de tout mauvais fonctionnement du service postal (Grace c. Royaume-Uni, rapport de la
Commission, § 97).
Conversations téléphoniques
520. L’article 8 de la Convention ne confère pas aux détenus le droit de passer des appels
téléphoniques, en particulier lorsque les facilités offertes pour communiquer par courrier sont
disponibles et adéquates (A.B. c. Pays-Bas, § 92 ; Ciszewski c. Pologne (déc.)). Toutefois, si le droit
national reconnaît aux détenus la possibilité d’avoir des conversations téléphoniques, par exemple
avec leurs proches, à partir des téléphones se trouvant sous le contrôle de la prison, une restriction
imposée aux communications téléphoniques peut constituer une « ingérence » dans l’exercice du
droit au respect de leur correspondance au sens de l’article 8 § 1 de la Convention (Lebois
c. Bulgarie, §§ 61 et 64 ; Nusret Kaya et autres c. Turquie, § 36). En pratique, il faut prendre en
compte que les prisonniers doivent pouvoir partager un nombre limité de téléphones et les autorités
prévenir les infractions et maintenir l’ordre (Daniliuc c. Roumanie (déc.) ; voir aussi Davison
c. Royaume-Uni (déc.), s’agissant du tarif des appels téléphoniques depuis la prison).
521. L’interdiction pour un prisonnier d’avoir accès, pendant un certain temps, à la cabine
téléphonique de la prison pour appeler la mère de son enfant, sa compagne depuis environ quatre
ans, au motif qu’ils n’étaient pas mariés a été jugé contraire aux articles 8 et 14 combinés (Petrov
c. Bulgarie, § 54).
522. Dans une prison au régime de sécurité renforcée, le fichage des numéros que le détenu
souhaitait appeler – dont il avait été informé – a été considéré comme une mesure nécessaire pour
des motifs de sécurité et pour éviter la commission d’autres infractions (le détenu disposait d’autres
moyens pour maintenir ses contacts avec ses proches, tels que le courrier et les visites) (Coşcodar
c. Roumanie (déc.), § 30 ; voir aussi, dans une prison ordinaire, Ciupercescu c. Roumanie (no 3),
§§ 114-117).
50
Voir aussi Article 34 (requêtes individuelles), le Guide sur les droits des détenus et ci-dessus.
528. La lutte contre le terrorisme est une situation exceptionnelle, qui poursuit les buts légitimes
tenant à la protection de la « sécurité nationale », à la « défense de l’ordre » et à la « prévention des
infractions pénales » (Erdem c. Allemagne, §§ 60 et 66-69). Dans cette affaire, le contexte du procès
en cours, la menace terroriste, les exigences de sécurité, les garanties procédurales mises en place et
l’existence d’un autre canal de communication entre l’accusé et son avocat, ont conduit la Cour à un
constat de non-violation de l’article 8.
529. L’interception de lettres dénonçant les conditions carcérales et certains agissements des
autorités pénitentiaires n’a pas été jugée conforme à l’article 8 § 2 (Ekinci et Akalın c. Turquie, § 47).
530. La non-transmission par le procureur d’un pli d’un avocat informant de ses droits une personne
arrêtée a été jugée contraire à l’article 8 § 2 (Schönenberger et Durmaz c. Suisse, §§ 28-29).
531. L’article 34 de la Convention (voir ci-dessous Correspondance avec la Cour) peut aussi entrer
en considération en cas de limitation de la correspondance entre un détenu et un avocat, s’agissant
de la saisine de la Cour de Strasbourg et de la participation à la procédure devant elle
(Chtoukatourov c. Russie, § 140, concernant notamment une interdiction d’appels téléphoniques et
de correspondance51). La Cour a, par exemple, examiné sous l’angle de l’article 34 une affaire qui
portait sur l’interception de lettres envoyées à des détenus par leurs avocats concernant des
requêtes devant la Cour (Mehmet Ali Ayhan et autres c. Turquie, §§ 39-45).
532. La Cour a néanmoins précisé que l’État conserve une certaine marge d’appréciation dans la
détermination des modes de correspondance auxquels les détenus doivent avoir recours. Est ainsi
justifié le refus de l’administration pénitentiaire de faire suivre à un détenu la correspondance que
son avocat lui a envoyée par courriel à l’adresse électronique de la prison, lorsque d’autres moyens
de transmission de la correspondance existent et qu’ils sont effectifs et suffisants (Helander
c. Finlande (déc.), § 54, où le droit interne prévoyait que les contacts entre les détenus et leurs
avocats devaient se faire par courrier postal, téléphone ou visites). La Cour a également admis que le
respect par un représentant en justice de certaines conditions de forme peut être nécessaire pour
s’entretenir avec un détenu, par exemple pour des raisons de sécurité ou pour prévenir toute
collusion ou entrave au cours de l’enquête ou de la justice (Melnikov c. Russie, § 96).
533. Il n’existe aucune raison de distinguer entre les différentes catégories de correspondance avec
les avocats. Quelle qu’en soit la finalité, elles portent sur des sujets de nature confidentielle et
privée. Dans l’affaire Altay c. Turquie (no 2), la Cour a jugé pour la première fois que les
communications orales avec un avocat dans le cadre de l’assistance juridique relèvent du domaine
de la « vie privée » (§ 49 et § 51)52.
51
Voir le Guide pratique sur la recevabilité.
52
Voir aussi Vie privée en détention et emprisonnement.
53
Voir aussi Article 34 (requêtes individuelles), le guide sur les droits des détenus et ci-dessus.
d’élément permettant de conclure à une volonté délibérée des autorités de porter atteinte au
respect de la correspondance du requérant avec les organes de la Convention, susceptible d’être
analysée en une ingérence dans le droit au respect de sa correspondance au sens de l’article 8 § 1
(Touroude c. France (déc.) ; Sayoud c. France (déc.)).
536. En revanche, un contrôle de la correspondance qui est automatique, inconditionnel,
indépendant de toute décision d’une autorité judiciaire et non assujetti à des voies de recours, n’est
pas « prévu par la loi » (Petra c. Roumanie, § 37 ; Kornakovs c. Lettonie, § 159).
537. Le contentieux de la correspondance entre un détenu et la Cour de Strasbourg peut aussi
soulever un problème sous l’angle de l’article 34 de la Convention en cas d’entrave à « l’exercice
efficace » du droit de recours individuel (Shekhov c. Russie, § 53 et les références citées; Yefimenko
c. Russie, § 16454 ; Mehmet Ali Ayhan et autres c. Turquie, §§ 39-45).
538. Les États contractants de la Convention se sont engagés à ce que leurs autorités s’abstiennent
d’entraver « par aucune mesure » l’exercice efficace du droit de requête devant la Cour de
Strasbourg. Il est donc de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient
libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les dissuadent ou les découragent
d’utiliser le recours ouvert par la Convention, ni les pressent en aucune manière de retirer ou
modifier leurs griefs (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], § 480 ; Cotleţ c. Roumanie, § 69 ; voir
aussi l’Accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour
européenne des Droits de l’Homme, la Résolution CM/Res(2010)25 sur le devoir des États membres
de respecter et protéger le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de
l’homme et la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les
règles pénitentiaires européennes).
539. Refuser de transmettre la correspondance du requérant, servant, en principe, à déterminer le
respect du délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, est un exemple typique
d’une entrave à l’exercice efficace du droit de requête devant la Cour (Kornakovs c. Lettonie, § 166).
Relèvent notamment de l’article 34 de la Convention (voir, cependant, par exemple, Dimcho Dimov
c. Bulgarie, §§ 94-102) :
▪ l’interception du courrier de la Cour ou à destination de celle-ci par les autorités de la
prison (Maksym c. Pologne, §§ 31-33 et les références citées), même s’il s’agit de simples
lettres d’accusé de réception (Yefimenko c. Russie, § 163) ;
▪ les mesures limitant les contacts du requérant avec son représentant en justice
(Chtoukatourov c. Russie, § 140 ; Mehmet Ali Ayhan et autres c. Turquie, §§ 39-4555) ;
▪ l’infliction d’une punition au détenu à la suite de l’envoi d’une lettre à la Cour (Kornakovs
c. Lettonie, §§ 168-169) ;
▪ des actes de pression ou d’intimidation (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], § 481) ;
▪ le refus des autorités pénitentiaires de fournir des photocopies devant être annexées à la
requête ou des retards injustifiés (Igors Dmitrijevs c. Lettonie, §§ 91 et 100 ; Gagiu
c. Roumanie, §§ 95-96 ; Moisejevs c. Lettonie, § 184) ;
▪ en général, l’absence d’accès effectif aux documents qui sont nécessaires pour soumettre
une requête à la Cour (Vasiliy Ivashchenko c. Ukraine, §§ 123 et 125).
540. Il convient de prendre en compte qu’un détenu, enfermé dans un espace clos, ayant peu de
contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur et constamment soumis à l’autorité de
l’administration de la prison, présente un degré de vulnérabilité certain et de dépendance (Cotleţ
54
Voir le Guide pratique sur la recevabilité.
55
Voir aussi Correspondance entre le détenu et son avocat.
544. S’agissant plus généralement d’une lettre qui n’est pas adressée à la presse mais est
susceptible d’être publiée, la protection des droits du personnel de la prison nommément visé dans
la lettre peut être prise en considération (W. c. Royaume-Uni, §§ 52-57).
les différentes catégories de correspondance, telle que celle avec le médiateur, est contraire à
l’article 8 (§ 81). De même, un contrôle automatique de l’intégralité de la correspondance du
requérant, notamment les lettres adressées par lui à des autorités nationales ou à des organisations
non gouvernementales, emporte violation de l’article 8 (Jankauskas c. Lituanie, § 22; Dimcho Dimov
c. Bulgarie, § 90, concernant les lettres adressées au Comité Helsinki bulgare).
C. La correspondance d’avocat56
553. La correspondance que l’avocat entretient avec son client, quelle qu’en soit sa finalité, est
protégée au titre de l’article 8 de la Convention. Cet article lui accorde une protection renforcée
quant à sa confidentialité (Michaud c. France, §§ 117-119). Cela se justifie par le fait que les avocats
se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des
justiciables. Le contenu des documents interceptés importe peu (Laurent c. France, § 47). Or le
secret professionnel est « la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client » (ibidem) et
tout risque d’atteinte à ce secret professionnel peut avoir des répercussions sur la bonne
administration de la justice et donc sur les droits reconnus par l’article 6 de la Convention (Niemietz
c. Allemagne, § 37 ; Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, § 65). En dépend indirectement
mais nécessairement le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu’il
comprend le droit de tout « accusé » de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Michaud
c. France, § 118).
554. Dans l’affaire Kruglov et autres c. Russie, la Cour a examiné la protection du secret
professionnel d’avocats en exercice non inscrits au barreau et conclu à la violation de l’article 8. Elle
a jugé qu’il serait incompatible avec le principe de la prééminence du droit de laisser sans aucune
garantie particulière l’ensemble des relations entre les clients et les conseillers juridiques qui, avec
peu de limites, exercent leur profession de manière professionnelle et souvent indépendante, y
compris en représentant les parties devant les tribunaux (§ 137).
555. La Cour s’est prononcée, par exemple, sur la compatibilité avec l’article 8 de la Convention de
la non-transmission d’une lettre entre un avocat et son client (Schönenberger et Durmaz c. Suisse) et
de la mise sur écoute des lignes téléphoniques d’un cabinet d’avocats (Kopp c. Suisse).
556. Le terme « correspondance » est entendu largement. Il recouvre aussi des dossiers écrits
d’avocats (Niemietz c. Allemagne, §§ 32-33 ; Roemen et Schmit c. Luxembourg, § 65), des disques
durs informatiques (Petri Sallinen et autres c. Finlande, § 71), des données électroniques (Wieser et
Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, §§ 66-68 ; Robathin c. Autriche, § 39), des clés USB (Kırdök et
autres c. Turquie, § 32), des fichiers informatiques et des messageries (Vinci Construction et GTM
Génie Civil et Services c. France, § 69) ou une feuille de papier pliée en deux sur laquelle un avocat a
écrit un message avant de la remettre à ses clients (Laurent c. France, § 36).
557. La conservation par les autorités d’une copie des données professionnelles saisies dans le
cabinet d’avocats des requérants constitue en elle-même une ingérence, indépendamment du fait
que les données ont ou non été décryptées (Kırdök et autres c. Turquie, §§ 33 et 36-37).
558. Si le secret professionnel a une grande importance pour l’avocat, son client et le bon
fonctionnement de la justice, il n’est cependant pas intangible (Michaud c. France, §§ 123
et 128-129). Dans cette affaire, la Cour a examiné si l’obligation faite aux avocats de déclarer leurs
soupçons, révélés en dehors de leur mission de défense, relatifs aux activités illicites de blanchiment
d’argent de leurs clients portait une atteinte disproportionnée au secret professionnel de l’avocat
(non-violation). Dans l’arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, la Cour a examiné
l’interception d’une conversation d’une avocate avec un client, la ligne duquel avait été placée sur
56
Hors le cas de la correspondance avec les détenus abordée au chapitre précédent sur La correspondance des
détenus.
écoute téléphonique, qui avait révélé la commission d’un délit par l’avocate. La Cour a indiqué qu’il
pouvait exister, sous certaines conditions, une exception au principe de la confidentialité des
échanges entre l’avocat et son client (§§ 79-80).
559. La législation imposant une obligation de déclaration de soupçons à la charge des avocats est
constitutive d’une ingérence, dite « permanente », dans le droit de l’avocat au respect des échanges
professionnels avec ses clients (Michaud c. France, § 92). Une ingérence peut aussi intervenir dans le
cadre d’une procédure dirigée contre l’avocat lui-même (Robathin c. Autriche ; Sérvulo & Associados
- Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal).
560. La fouille d’un cabinet d’avocat dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre un tiers
peut, même si elle poursuit un but légitime, empiéter sur le secret professionnel de l’avocat d’une
manière disproportionnée (Kruglov et autres c. Russie, §§ 125-129 ; Kırdök et autres c. Turquie,
§§ 52-58 ; Niemietz c. Allemagne, § 37).
561. Les ingérences dans la « correspondance » d’avocat aboutissent à une violation de l’article 8 si
elles ne sont pas dûment justifiées. À cette fin, elles doivent être « prévues par la loi » (Robathin
c. Autriche, §§ 40-41), poursuivre l’un des « buts légitimes » énumérés au paragraphe 2 de l’article 8
(Tamosius c. Royaume-Uni (déc.) ; Michaud c. France, §§ 99 et 131) et être « nécessaires dans une
société démocratique » pour atteindre ce but légitime. La notion de nécessité, au sens de l’article 8,
implique l’existence d’un besoin social impérieux et, en particulier, la proportionnalité de l’ingérence
au but légitime poursuivi (ibidem, § 120). Visant un avocat ou son cabinet, ces ingérences doivent
impérativement être assorties de garanties particulières.
562. La Cour a souligné que, constituant une atteinte grave au respect de la correspondance de
l’avocat, les écoutes téléphoniques doivent se fonder sur une « loi » d’une précision particulière,
d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner (Kopp c. Suisse,
§§ 73-75). Dans cette affaire, la Cour a conclu à une violation de l’article 8. D’une part, la loi ne
précisait pas comment devait s’opérer le tri entre ce qui relevait spécifiquement du mandat d’avocat
et ce qui avait trait à une autre activité que celle de conseil, et, d’autre part, les écoutes étaient
effectuées par l’administration sans contrôle par un magistrat indépendant (voir également sur la
question de la protection offerte par la « loi », Petri Sallinen et autres c. Finlande, § 92). Par ailleurs,
le droit interne doit prévoir des garanties contre les abus de pouvoir lorsque, en mettant sur écoute
la ligne téléphonique d’un suspect, les autorités interceptent accidentellement les conversations de
ce dernier avec son avocat (Dudchenko c. Russie, §§ 109-110).
563. Surtout, la législation et la pratique doivent offrir des garanties adéquates et suffisantes contre
les abus et l’arbitraire (voir, pour un rappel des garanties suffisantes, Kruglov et autres c. Russie,
§§ 125-132 ; Iliya Stefanov c. Bulgarie, § 38). Les éléments pris en compte par la Cour en cas de
perquisition visent notamment l’existence d’un mandat, reposant sur des motifs plausibles de
soupçonner l’intéressé (pour le cas où celui-ci a été acquitté ultérieurement, voir Robathin
c. Autriche, § 46). La Cour prend également en considération la gravité de l’infraction dans le cadre
de laquelle la perquisition est menée (Kruglov et autres c. Russie, § 125). Le mandat doit être d’une
portée raisonnable. La Cour a souligné l’importance que la perquisition soit opérée en présence d’un
observateur indépendant afin que des documents couverts par le secret professionnel ne soient pas
soustraits (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, § 57 ; Tamosius c. Royaume-Uni (déc.) ;
Robathin c. Autriche, § 44). En outre, la légalité et l’exécution du mandat doivent pouvoir faire
l’objet d’un contrôle suffisant (ibidem, § 51 ; Iliya Stefanov c. Bulgarie, § 44 ; Wolland c. Norvège,
§§ 67-73). La Cour vérifie également si d’autres garanties particulières existent pour s’assurer que les
éléments protégés par le secret professionnel de l’avocat ne sont pas enlevés. Enfin, elle prend en
compte l’étendue des répercussions possibles sur le travail et la réputation de la personne visée par
la perquisition (Kruglov et autres c. Russie, § 125).
564. Saisi d’allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés avaient été
appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête ou qu’ils relevaient de la confidentialité
571. En ce qui concerne les accusés placés sous escorte, le contrôle de leur correspondance avec
leur avocat n’est pas en soi incompatible avec la Convention, mais il ne devrait s’opérer qu’en
présence de motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite (Laurent c. France, § 44 et
§ 46).
57
Voir également Constitution de dossiers ou collecte de données par les services de sécurité ou d’autres
organes de l’État.
elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui
l’appliquent (Roman Zakharov c. Russie [GC], § 232).
574. Le placement sur écoute ne peut être décidé qu’en présence de soupçons qui peuvent être
considérés comme objectivement raisonnables (Karabeyoğlu c. Turquie, § 103). La Cour a également
souligné l’importance d’accorder à l’autorité qui délivre l’autorisation le pouvoir de vérifier
« l’existence d’un soupçon raisonnable à l’égard de la personne concernée, en particulier de
rechercher s’il existe des indices permettant de la soupçonner de projeter, de commettre ou d’avoir
commis des actes délictueux ou d’autres actes susceptibles de donner lieu à des mesures de
surveillance secrète » et de « s’assurer que l’interception requise satisfait au critère de « nécessité
dans une société démocratique » (...) en vérifiant par exemple s’il est possible d’atteindre les buts
recherchés par des moyens moins restrictifs » (Roman Zakharov c. Russie [GC], § 260 ; Dragojević
c. Croatie, § 94). Pareille vérification, associée à l’exigence d’exposer les raisons pertinentes dans les
décisions par lesquelles la surveillance secrète est autorisée, constitue une garantie importante
destinée à empêcher que les mesures de surveillance secrète ne soient ordonnées au hasard,
irrégulièrement ou sans examen approprié et convenable.
575. La Cour a constaté une violation du droit au respect de la correspondance, par exemple, dans
les affaires suivantes : Kruslin c. France, § 36 ; Huvig c. France, § 35 ; Malone c. Royaume-Uni, § 79 ;
Valenzuela Contreras c. Espagne, §§ 60-61 ; Prado Bugallo c. Espagne, § 30 ; Matheron c. France,
§ 43 ; Dragojević c. Croatie, § 101 ; Šantare et Labazņikovs c. Lettonie, § 62 ; Liblik et autres
c. Estonie, §§ 140-142, concernant la motivation a posteriori des autorisations de surveillance
secrète au cours d’une procédure pénale ; pour une non-violation, voir par exemple Karabeyoğlu
c. Turquie, §§ 104-110.
576. L’intéressé doit disposer d’un « contrôle efficace » pour contester les écoutes téléphoniques
dont il a fait l’objet (Marchiani c. France (déc.)). Refuser à une personne toute qualité pour critiquer
les écoutes téléphoniques dont elle a fait l’objet, au motif qu’elles ont été effectuées sur la ligne
d’un tiers, est contraire à la Convention (Lambert c. France, §§ 38-41 ; comparer avec Bosak et
autres c. Croatie, §§ 63 et 65).
577. La Cour a estimé que l’obtention par la police, permise par la loi, des numéros composés sur le
téléphone d’un appartement était nécessaire dans le contexte d’une enquête sur des soupçons de
commission d’une infraction pénale (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, §§ 42-51). La Cour a conclu dans le
même sens s’agissant d’écoutes téléphoniques qui étaient l’un des principaux moyens
d’investigation contribuant à démontrer l’implication d’individus dans un important trafic de
stupéfiants, et qui avaient fait l’objet d’un « contrôle efficace » (Coban c. Espagne (déc.)).
578. En général, la Cour reconnaît le rôle des écoutes téléphoniques dans le cadre pénal lorsqu’elles
sont prévues par la loi et nécessaires, notamment, à la défense de l’ordre, la sûreté publique, ou la
prévention des infractions pénales. En effet, ces mesures assistent la police et la justice dans leur
travail de prévention et de répression des infractions. Toutefois, la manière dont l’État organise leurs
modalités pratiques doit empêcher tout abus ou arbitraire (Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2)).
579. Dans le cadre d’une affaire pénale, les écoutes téléphoniques ordonnées par un magistrat,
réalisées sous son contrôle, assorties de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, et
soumises à l’examen ultérieur d’une juridiction, ont été jugées proportionnées au but légitime
poursuivi (Aalmoes et autres c. Pays-Bas (déc.) ; Coban c. Espagne (déc.)). La Cour a également
conclu à la non-violation de l’article 8 lorsque rien n’indiquait que l’interprétation et l’application des
dispositions légales invoquées par les autorités internes eussent été arbitraires ou manifestement
déraisonnables au point de conférer aux opérations d’écoutes téléphoniques un caractère irrégulier
(İrfan Güzel c. Turquie, § 88).
580. Par ailleurs, l’État doit assurer une protection effective des données ainsi recueillies et du droit
des personnes dont des conversations purement privées ont ainsi été interceptées par les autorités
répressives (Craxi c. Italie (no 2), §§ 75 et 83, violation ; comparer avec Man et autres c. Roumanie
(déc.), §§ 104-111). Dans l’arrêt Drakšas c. Lituanie, la Cour a conclu à une violation en raison de
fuites dans les médias et de la diffusion d’une conversation d’ordre privé enregistrée, avec l’aval des
autorités, sur la ligne téléphonique d’un homme politique, qui était en cours d’examen devant les
autorités de poursuites (§ 60). En revanche, la publication légale, dans le cadre d’une procédure
constitutionnelle, des enregistrements des conversations non privées, mais professionnelles et
politiques, d’un politicien connu, n’a pas été jugée contraire à l’article 8 (ibidem, § 61).
iii) L’employeur a-t-il avancé des motifs légitimes pour justifier la surveillance de ces
communications et l’accès à leur contenu même ?
iv) Aurait-il été possible de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et
des mesures moins intrusifs ?
v) Quelle a été la gravité des conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet et
de quelle manière a-t-il utilisé les résultats de la mesure de surveillance ?
vi) S’est-il vu offrir des garanties adéquates empêchant notamment que l’employeur n’ait accès au
contenu des communications ? Enfin, les employés dont les communications ont été surveillées
doivent pouvoir bénéficier d’une « voie de recours devant un organe juridictionnel ayant
compétence pour statuer, du moins en substance, sur le respect des critères énoncés ci-dessus
ainsi que sur la licéité des mesures contestées » (ibidem, §§ 121-122).
587. La jurisprudence porte aussi sur le contrôle de la correspondance lors des faillites
commerciales (Foxley c. Royaume-Uni, §§ 30 et 43). Dans l’affaire Luordo c. Italie, la Cour a conclu à
une violation de l’article 8 en raison des conséquences d’une procédure de faillite excessivement
longue sur le droit au respect de la correspondance du failli (§ 78). Toutefois, en soi, la mise en place
d’un système de contrôle de la correspondance du failli n’est pas critiquable (voir aussi Narinen
c. Finlande).
588. La question de la correspondance des sociétés est étroitement liée à celle des perquisitions
effectuées dans leurs locaux (il est donc renvoyé au chapitre sur Les locaux des sociétés
commerciales). Par exemple, dans l’affaire Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, la Cour n’a
pas conclu à une violation s’agissant d’une décision enjoignant à une société de remettre une copie
de l’intégralité des données du serveur informatique qu’elle partageait avec d’autres sociétés.
Même si la loi applicable n’exigeait pas l’autorisation préalable d’une autorité judiciaire, la Cour a
pris en compte l’existence de garanties effectives et adéquates contre les abus, les intérêts tant des
sociétés que de leurs employés, et l’intérêt public relatif à la réalisation de contrôles fiscaux efficaces
(§§ 172-175). En revanche, la Cour a constaté une violation dans l’affaire DELTA PEKÁRNY a.s.
c. République tchèque, concernant l’inspection de locaux commerciaux en vue de rechercher des
indices et des preuves de l’existence d’une entente illicite sur les prix contraire aux règles de
concurrence. La Cour s’est référée à l’absence d’autorisation préalable d’un juge, de contrôle effectif
a posteriori de la nécessité de la mesure, et de réglementation relative à une éventuelle destruction
des données obtenues (§§ 92-93).
58
Voir également Constitution de dossiers ou collecte de données par les services de sécurité ou d’autres
organes de l’État et le Guide sur le terrorisme.
doit être strictement nécessaire, en général, à la sauvegarde des institutions démocratiques et, en
particulier, à l’obtention de renseignements essentiels dans une opération donnée. À défaut, il y
aurait un « abus » de la part des autorités (§ 73).
590. En principe, la Cour ne reconnaît pas l’actio popularis de sorte que, pour pouvoir introduire une
requête en vertu de l’article 34, une personne doit pouvoir démontrer qu’elle a « subi directement
les effets » de la mesure litigieuse. Toutefois, compte tenu des particularités des mesures de
surveillance secrète et de l’importance qu’il y a à veiller à ce qu’elles fassent l’objet d’un contrôle et
d’un encadrement effectifs, la Cour a admis les recours généraux dirigés contre la législation qui
régit cette matière (Roman Zakharov c. Russie [GC], § 165). Elle a précisé dans cet arrêt les
conditions dans lesquelles un requérant peut se prétendre « victime » d’une violation de l’article 8
sans avoir à démontrer que des mesures de surveillance secrète lui ont bien été appliquées. Elle
s’est basée sur l’approche de l’arrêt Kennedy c. Royaume-Uni qu’elle a jugée la mieux adaptée à la
nécessité de veiller à ce que le caractère secret des mesures de surveillance ne conduise pas à ce
qu’elles soient en pratique inattaquables et qu’elles échappent au contrôle des autorités judiciaires
nationales et de la Cour. Dès lors, un requérant peut se prétendre victime d’une violation de la
Convention s’il entre dans le champ d’application de la législation autorisant les mesures de
surveillance secrète (parce qu’il appartient à un groupe de personnes visées par cette législation ou
que celle-ci s’applique à tous) et s’il ne dispose d’aucune voie de recours pour contester cette
surveillance secrète. De plus, même si des recours existent, un requérant peut toujours se prétendre
victime, du fait de la simple existence de mesures secrètes ou d’une législation permettant de telles
mesures, s’il est à même de montrer qu’en raison de sa situation personnelle il est potentiellement
exposé au risque de subir pareilles mesures (§§ 171-172). Voir également, sur la qualité de
« victime », Szabó et Vissy c. Hongrie, §§ 32-39 et les références citées.
591. L’arrêt Roman Zakharov c. Russie [GC] contient une compilation complète de la jurisprudence
de la Cour fondée sur l’article 8 concernant la « légalité » (« qualité de la loi ») et la « nécessité »
(caractère suffisant et effectif des garanties contre l’arbitraire et le risque d’abus) d’un système de
surveillance secrète (§§ 227-303). Dans cette affaire de Grande Chambre, les défaillances du cadre
juridique national régissant la surveillance secrète des communications de téléphonie mobile a
entraîné un constat de violation de l’article 8 (§§ 302-303).
592. La surveillance secrète du citoyen ne peut se justifier au regard de l’article 8 que si elle est
« prévue par la loi », vise un ou plusieurs des « buts légitimes » énumérés au paragraphe 2 de
l’article 8 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts (Szabó
et Vissy c. Hongrie, § 54 ; Kennedy c. Royaume-Uni, § 130).
593. Sur le premier point, cela signifie que la mesure de surveillance doit avoir une base en droit
interne et être compatible avec la prééminence du droit. La loi doit donc satisfaire à des exigences
de qualité : elle doit être accessible à la personne concernée et prévisible quant à ses effets
(Kennedy c. Royaume-Uni, § 151 ; Roman Zakharov c. Russie [GC], § 229). En matière d’interception
de communications, la « prévisibilité » ne peut se comprendre de la même façon que dans beaucoup
d’autres domaines. Dans le contexte particulier des mesures de surveillance secrète, la prévisibilité
ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver à même de prévoir quand les autorités sont
susceptibles d’intercepter ses communications de manière qu’il puisse adapter sa conduite en
conséquence (Weber et Saravia c. Allemagne, § 93). Toutefois, pour éviter l’arbitraire, l’existence de
règles claires et détaillées en matière d’interception de conversations téléphoniques s’avère
indispensable. La loi doit être rédigée avec suffisamment de clarté pour indiquer à tous, de manière
adéquate, en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à
prendre de telles mesures secrètes (Roman Zakharov c. Russie [GC], § 229 ; Association pour
l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev c. Bulgarie, § 75). En outre, la loi doit
définir l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ou à un
juge, avec une clarté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire
(Roman Zakharov c. Russie [GC], § 230 ; Malone c. Royaumi-Uni, § 68 ; Huvig c. France, § 29 ; Weber
et Saravia c. Allemagne (déc.), § 94).
594. Une loi relative à des mesures de surveillance secrète doit renfermer les garanties minimales
suivantes contre les abus de pouvoir : définir la nature des infractions susceptibles de donner lieu à
un mandat d’interception et les catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute, fixer
une limite à la durée d’exécution de la mesure, prévoir une procédure à suivre pour l’examen,
l’utilisation et la conservation des données recueillies, les précautions à prendre pour la
communication des données à d’autres parties, et les circonstances dans lesquelles peut ou doit
s’opérer l’effacement ou la destruction des enregistrements (Roman Zakharov c. Russie [GC], §§ 231
et 238-301 ; Amann c. Suisse [GC], §§ 56-58).
595. Ensuite, le recours à la surveillance secrète doit poursuivre un but légitime et doit être
« nécessaire dans une société démocratique » à la réalisation de ce but.
Les autorités nationales disposent d’une certaine marge d’appréciation. Celle-ci est toutefois l’objet
d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent. La Cour de
Strasbourg doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et effectives contre les abus
(Klass et autres c. Allemagne, § 50). L’appréciation de cette question est fonction de toutes les
circonstances en cause dans l’affaire, par exemple la nature, la portée et la durée des mesures
éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre,
les exécuter et les contrôler, et le type de recours fourni par le droit interne. Les procédures de
contrôle du déclenchement et de la mise en œuvre de mesures restrictives doivent être de nature à
limiter l’ingérence à ce qui est « nécessaire dans une société démocratique » (Roman Zakharov
c. Russie [GC], § 232 et les références citées).
596. L’examen et le contrôle des mesures de surveillance secrète peuvent intervenir à trois stades :
lorsqu’on ordonne la surveillance, pendant qu’on la mène ou après qu’elle a cessé (ibidem,
§§ 233-234 et les références citées). Concernant les deux premières phases, les procédures
existantes doivent procurer en elles-mêmes des garanties appropriées et équivalentes sauvegardant
les droits de l’individu. Les abus étant potentiellement aisés, il est en principe souhaitable que le
contrôle soit confié à un juge, car le pouvoir judiciaire offre les meilleures garanties d’indépendance,
d’impartialité et de procédure régulière. Quant au troisième stade, c’est-à-dire lorsque la
surveillance a cessé, la question de la notification a posteriori de mesures de surveillance est
indissolublement liée à celle de l’effectivité des recours judiciaires et donc à l’existence de garanties
effectives contre les abus des pouvoirs de surveillance. La personne concernée ne peut guère, en
principe, contester rétrospectivement devant la justice la légalité des mesures prises à son insu, sauf
si on l’avise de celles-ci ou si – autre cas de figure –, soupçonnant que ses communications font ou
ont fait l’objet d’interceptions, la personne a la faculté de saisir les tribunaux, ceux-ci étant
compétents même si le sujet de l’interception n’a pas été informé de la mesure (ibidem,
§§ 233-234).
597. Il est à noter que dans les affaires où la législation autorisant la surveillance secrète elle-même
est contestée, la question de la légalité de l’ingérence est étroitement liée à celle de savoir s’il a été
satisfait au critère de la « nécessité ». Il convient donc d’examiner conjointement les critères selon
lesquels la mesure doit être « prévue par la loi » et « nécessaire » (Kennedy c. Royaume-Uni, § 155 ;
Kvasnica c. Slovaquie, § 84). La « qualité de la loi » en ce sens implique que le droit national doit non
seulement être accessible et prévisible dans son application, mais aussi garantir que les mesures de
surveillance secrète soient appliquées uniquement lorsqu’elles sont « nécessaires dans une société
démocratique », notamment en offrant des garanties et des garde-fous suffisants et effectifs contre
les abus (Roman Zakharov c. Russie [GC], § 236). Dans cette affaire, il n’était pas contesté que les
interceptions des communications de téléphonie mobile avaient une base en droit national et
qu’elles poursuivaient les buts légitimes au sens de l’article 8 § 2 tenant à la protection de la sécurité
nationale et de la sûreté publique, la prévention des infractions pénales et la protection du bien-être
économique du pays. Ceci n’est toutefois pas suffisant. Il convient ensuite d’apprécier
successivement l’accessibilité du droit interne, la portée et la durée des mesures de surveillance
secrète, les procédures à suivre pour la conservation, la consultation, l’examen, l’utilisation, la
communication et la destruction des données interceptées, les procédures d’autorisation, les
modalités du contrôle de l’application de mesures de surveillance secrète, l’existence éventuelle
d’un mécanisme de notification et les recours prévus en droit national (ibidem, §§ 238-301).
598. Champ d’application des mesures de surveillance secrète : il convient de fournir aux citoyens
des indications appropriées sur les circonstances dans lesquelles les pouvoirs publics peuvent
recourir à de telles mesures. En particulier, il importe d’énoncer clairement la nature des infractions
susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception et définir les catégories de personnes
susceptibles d’être mises sur écoute (Roman Zakharov c. Russie [GC], §§ 243 et 247). En ce qui
concerne la nature des infractions, le critère de la prévisibilité n’exige pas des États qu’ils énumèrent
exhaustivement en les nommant celles qui peuvent donner lieu à une mesure d’interception. En
revanche, ils doivent fournir des précisions suffisantes sur la nature des infractions en question
(Kennedy c. Royaume-Uni, § 159). Les mesures d’interception visant une personne non soupçonnée
d’une infraction mais susceptible de permettre d’obtenir des informations sur une telle infraction
peuvent s’avérer justifiées au regard de l’article 8 de la Convention (Greuter c. Pays-Bas (déc.),
s’agissant d’écoutes ordonnées et supervisées par un juge et dont l’intéressée fut informée).
Toutefois, les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet d’écoutes téléphoniques ne sont
pas suffisamment délimitées lorsqu’elles englobent non seulement les suspects et les accusés, mais
également « toute autre personne impliquée dans une infraction pénale » sans autre précision
quant à la manière d’interpréter en pratique ces termes (Iordachi et autres c. République de
Moldova, § 44, où les requérants se disaient confrontés à un risque sérieux de voir leurs
télécommunications interceptées au motif qu’ils appartenaient à une organisation non
gouvernementale spécialisée dans la représentation des requérants devant la Cour de Strasbourg ;
voir également Roman Zakharov c. Russie [GC], § 245 ; Szabó et Vissy c. Hongrie, §§ 67 et 73). Dans
l’affaire Amann c. Suisse [GC], concernant une fiche établie sur la base d’une interception
téléphonique et conservée par les autorités, la Cour a conclu à une violation notamment parce que
la loi ne réglementait pas de façon détaillée le cas des interlocuteurs écoutés « par hasard » (§ 61).
599. Durée de la surveillance : la question de la durée totale d’une mesure d’interception peut être
laissée à l’appréciation des autorités compétentes pour délivrer et renouveler un mandat
d’interception, pourvu qu’il existe des garanties suffisantes telles que des indications claires dans le
droit national sur le délai d’expiration de l’autorisation d’interception, les conditions dans lesquelles
elle peut être renouvelée et les circonstances dans lesquelles elle doit être annulée (Roman
Zakharov c. Russie [GC], § 250 ; Kennedy c. Royaume-Uni, § 161). Dans l’affaire Iordachi et autres
c. République de Moldova, la législation nationale était critiquée car elle ne posait pas de limite
temporelle suffisamment claire en cas d’autorisation d’une mesure de surveillance (§ 45).
600. Procédures à suivre pour la conservation, la consultation, l’examen, l’utilisation, la
communication et la destruction des données interceptées (Roman Zakharov c. Russie [GC],
§§ 253-256). La conservation automatique, six mois durant, de données manifestement dénuées
d’intérêt ne saurait passer pour justifiée au regard de l’article 8 (ibidem, § 255). L’arrêt Liberty et
autres c. Royaume-Uni concernait l’interception par le ministère de la Défense, sur la base d’un
mandat, des communications vers l’extérieur d’organisations œuvrant dans le domaine des libertés
civiles. La Cour a conclu à une violation car, notamment, aucune précision quant à la procédure
applicable à l’analyse, au partage, à la conservation et à la destruction des communications
interceptées, n’était accessible au public (§ 69).
601. Procédures d’autorisation : pour vérifier que les procédures d’autorisation sont à même de
garantir que la surveillance secrète n’est pas ordonnée au hasard, irrégulièrement ou sans examen
approprié et convenable, il convient de tenir compte d’un certain nombre de facteurs, parmi
lesquels, notamment, le service compétent pour autoriser la surveillance, la portée de l’examen qu’il
606. Dans l’affaireAssociation pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev
c. Bulgarie, une association à but non lucratif et un avocat qui assurait la représentation des
requérants dans la procédure devant la Cour de Strasbourg alléguaient qu’ils pouvaient faire l’objet
de mesures de surveillance à tout moment, sans avertissement. La Cour a relevé que le droit
national en cause ne prévoyait pas de garanties suffisantes contre le risque d’abus inhérent à tout
système de surveillance secrète et que l’ingérence dans l’exercice par les intéréssés de leurs droits
garantis par l’article 8 n’était donc pas « prévue par la loi ».
607. L’affaire Association « 21 décembre 1989 » et autres c. Roumanie concernait une association de
défense des intérêts de participants et de victimes de manifestations antigouvernementales. La Cour
a conclu à une violation de l’article 8 (§§ 171-175 ; voir, a contrario, Kennedy c. Royaume-Uni, § 169,
non-violation).
La jurisprudence citée dans le présent guide renvoie à des arrêts et décisions rendus par la Cour,
ainsi qu’à des décisions et rapports de la Commission européenne des droits de l’homme (« la
Commission »).
Sauf mention particulière indiquée après le nom de l’affaire, la référence citée est celle d’un arrêt
sur le fond rendu par une chambre de la Cour. La mention « (déc.) » renvoie à une décision de la
Cour et la mention « [GC] » signifie que l’affaire a été examinée par la Grande Chambre.
Les arrêts de chambre non « définitifs », au sens de l’article 44 de la Convention, à la date de la
présente mise à jour sont signalés dans la liste ci-après par un astérisque (*). L’article 44 § 2 de la
Convention est ainsi libellé : « L’arrêt d’une chambre devient définitif a) lorsque les parties déclarent
qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après
la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou
c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de
l’article 43. ». Si le collège de la Grande Chambre accepte la demande de renvoi, l’arrêt de chambre
devient alors caduc et la Grande Chambre rendra ultérieurement un arrêt définitif.
Les hyperliens des affaires citées dans la version électronique du guide renvoient vers la base de
données HUDOC (http://hudoc.echr.coe.int) qui donne accès à la jurisprudence de la Cour (arrêts et
décisions de Grande Chambre, de chambre et de comité, affaires communiquées, avis consultatifs et
résumés juridiques extraits de la Note d’information sur la jurisprudence), ainsi qu’à celle de la
Commission (décisions et rapports) et aux résolutions du Comité des Ministres. Certaines décisions
de la Commission ne figurent pas dans la base de données HUDOC et ne sont disponibles qu’en
version imprimée dans le volume pertinent de l’Annuaire de la Convention européenne des droits de
l’homme.
La Cour rend ses arrêts et décisions en anglais et/ou en français, ses deux langues officielles. La base
de données HUDOC donne également accès à des traductions de certaines des principales affaires
de la Cour dans plus de trente langues non officielles. En outre, elle comporte des liens vers une
centaine de recueils de jurisprudence en ligne produits par des tiers.
—A—
o
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A. c. France, 23 novembre 1993, série A no 277-B
A et B c. Croatie, no 7144/15, 20 juin 2019
A, B et C c. Lettonie, no 30808/11, 31 mars 2016
A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, CEDH 2010
A.B. c. Pays-Bas, no 37328/97, 29 janvier 2002
A.B. et autres c. France, no 11593/12, 12 juillet 2016
A.D. et O.D. c. Royaume-Uni, no 28680/06, 16 mars 2010
A.D.T. c. Royaume-Uni, no 35765/97, CEDH 2000-IX
A.H. Khan c. Royaume-Uni, no 6222/10, 20 décembre 2011
A.K. c. Lettonie, no 33011/08, 24 juin 2014
A.K. et L. c. Croatie, no 37956/11, 8 janvier 2013
A.M. et A.K. c. Hongrie (déc.), nos 21320/15 et 35837/15, 4 avril 2015
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—B—
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Babylonová c. Slovaquie, no 69146/01, CEDH 2006-VIII
Băcilă c. Roumanie, no 19234/04, 30 mars 2010
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Faulkner c. Royaume-Uni (déc.), no 37471/97, 18 septembre 2001
Fazıl Ahmet Tamer c. Turquie, no 6289/02, 5 décembre 2006
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Friend et autres c. Royaume-Uni (déc.), nos 16072/06 et 27809/08, 24 novembre 2009
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Funke c. France, 25 février 1993, série A no 256-A
Furlepa c. Pologne (déc.), no 62101/00, 18 mars 2008
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Galev et autres c. Bulgarie (déc.), no 18324/04, 29 septembre 2009
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Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, série A no 160
Gaughran c. Royaume-Uni, no 45245/15, 13 février 2020
Genovese c. Malte, no 53124/09, 11 octobre 2011
Georgel et Georgeta Stoicescu c. Roumanie, no 9718/03, 26 juillet 2011
Ghoumid et autres c. France, nos 52273/16 et 4 autres, 25 juin 2020
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Hambardzumyan c. Arménie, no 43478/11, 5 décembre 2019
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Hanzelkovi c. République tchèque, no 43643/10, 11 décembre 2014
Haralambie c. Roumanie, no 21737/03, 27 octobre 2009
Hardy et Maile c. Royaume-Uni, no 31965/07, 14 février 2012
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Kaftailova c. Lettonie (radiation) [GC], no 59643/00, 7 décembre 2007
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