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ComportementOrganisationnel_BaggerCropanzanoKo-2006

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Chapitre 1. La justice organisationnelle : définitions, modèles et nouveaux


développements

Chapter · January 2006


DOI: 10.3917/dbu.akrem.2006.01.0025

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3 authors, including:

Russell Cropanzano
University of Colorado Boulder
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So us la direcfion de
ad EL A KREMI, Sylvie GUERRERO, Jean-Pierre NEVEU

organisationnel
Volume 2
Justice organisationnelle,
enjeux de carriere et
epuisement professionnel

2006
de boeck
I 1 est difficile drimaginer Le management contemporain sans accorder une attention
particuli6re aux perceptions de justice au travail. Durant Les deux dernieres decen-
nies, La recherche a dkmontrk que Les perceptions de justice des processus d'alloca-
tion sont likes 2 de nombreuses variables organisationnelles importantes (Cohen-
Charash e t Spector, 2001 ; Colquitt, Conlon, Wesson, Porter e t Ng, 2001 ; Konovsky,
2000 ;Jouglard-Trischler e t Steiner, 2005 ; Steiner, 1999). Par exemple, nous savons
que le traitement juste des salaries a tendance 2 promouvoir Leur performance au tra-
vail (Cropanzano, Prehar e t Chen, 2002 ; Rupp e t Cropanzano, 2002) e t a augmenter
l'occurrence des comportements de citoyennetd organisationnelle (Moorman, 1991 ;
Moorman, Blakely e t Niehoff, 1998). La justice a aussi tendance 2 promouvoir La con-
fiance e t l'engagement des salaries dans Les organisations (Folger e t Konovsky, 1989 ;
Pillai, Schriesheim e t Williams, 1999) e t les equipes de travail (Korsgaard, Schweiger
e t Sapienza, 1995). De plus, la justice permet d'eviter les effets negatifs des crises
economiques dans les organisations (Schaubroeck, May e t Brown, 1994) et de reduire
Le stress des employks (Cropanzano, Goldman e t Benson, 2005). L'injustice a tendance
2 promouvoir des effets opposes, en incluant les comportements vindicatifs de reprd-
sailles (Skarlicki e t Folger, 1997), les vols (Greenberg, 1990, 1993a, 2002 ; Nadisic,
2005), La violation des regles organisationnelles (Tyler, 1990), Les comportements de
retrait (Hendrix, Robbins, Miller e t Summers, 1998 ; Schwarzwald, Koslowsky e t
Shalit, 1992) e t Les actes de sabotage sur le lieu de travail (Ambrose, Seabright e t
Schminke, 2002).

2 Eller College of Management, University of Arizona.


Arm& de telles conclusions, plusieurs auteurs se sont presses d'introduire
l'objectif de justice dans les pratiques de gestion des ressources humaines. Ces inter-
ventions integrent les systemes de selection e t de recrutement (Gilliland, 1993,
1994), les programmes de tutorat (Scandura, 1997), les changements organisation-
nels (Daly e t Geyer, 1994), les systenies de remuneration (Jones, Scarpello e t Berg-
mann, 1999 ; Lee, Law e t Bobko, 1999 ; Scarpello e t Jones, 1996), la gestion des
licenciements (Brockner, DeWitt, Grover e t Reed, 1990), le developpement du lea-
dership (De Cremer, 2003 ; Skarlicki e t Latham, 1996, 1997), les tests drusage des
drogues sur Le lieu de travail (Konovsky e t Cropanzano, 1991), la conciliation entre
vie familiale e t vie au travail (Grover e t Crooker, 1995), l'evaluation des performances
(Korsgaard e t Roberson, 1995), l'acceptation des contrdles organisationnels (Makkai
e t Braithwaite, 1996) e t la gestion des nouveaux projets (Leung, Smith, Wang e t Sun,
1996 ; Sapienza e t Korsgaard, 1996).
Face 2 des perspectives aussi encourageantes, ilest essentiel de faire le point
sur les dkveloppements conceptuels sur la justice organisationnelle. Avec de tels (ou
ce qui nous semble @tre) progres, ilest facile de perdre de vue les ptincipes premiers
sur ce theme. Ce chapitre represente, dans ce sens, une pause reflexive pour reprendre
un souffle e t repartir vers des nouveaux horizons sur la justice organisationnelle.
Nous reconsid6rons i c i la justice organisationnelle dans une perspective generale qui
se focalise sur les definitions fondamentales e t sur la structure du constrl~itafin dren
souligner les principes theoriques. Notre objectif est de fournir une synthese sur un
theme important en termes drint6r@tintellectuel grandissant e t drapplications mana-
gkriales prometteuses.

.
1 Dhfinitions fondamentales
de la iustice organisationnelle

Comment (( la justice >> est-elle comprise dans la tradition des recherches en compor-
tement organisationnel ? C'est par rapport 2 cette question que Les specialistes de
l'ethique peuvent nous offrir une taxinomie utile. En philosophie morale, Les auteurs
font une distinction entre deux types d'kthique (Thompson, 2003). L'ethique descrip-
tive ou non normative fait reference i la facon dont les individus se comportent dans
le monde reel. L'ethique normative ou substantielle designe comment les individus
doivent se comporter. Ainsi, cette ethique est-elle prescriptive par opposition 2 la
premiere essentiellement descriptive (Sabbagh, 2001 ; Velasquez, 1992). La recherche
sur la justice organisationnelle adopte generalement une approche descriptive. En
cons6quencer les auteurs essaient de dkcrire les resultats probables d i n evenement
particulier ou drune action. La valeur de cet effort reside dans sa capacite 2 aider i la
prise de decision dans le monde reel. Par exemple, l'introduction de procedures orga-
nisationnelles justes pourrait ameliorer la performance au travail. Dans la mesure oO
ilne meilleure performance est un objectif interessant pour l'organisation, la justice
procedurale devient alors iln moyen valoris6 pour atteindre cet objectif.
Malgre cette qualite, nous ne devons pas oublier que l'approche descriptive a
au moins une limite serieuse. Bien qu'une description du comportement individuel
puisse servir 6 guider une prise de decision ethique, elle ne mene pas directement e t
Definitions, modeles et nouveaux developpements
m
a
necessairement des principes moraux. Comnie les philosophes David Hume (17831
1984) et G.E. Moore (1903/2004) l'ont merveilleusement illustre, la declaration de
<< ce qui est >> (ce que les individus font vraiment) ne conduit pas directement La
declaration de << ce que doit i t r e >> (ce que les individus devraient faire). L'ethique
normative exige une reflexion complementaire sur ce qui est approprie e t bon (Hos-
mer, 1996) e t une action n'est pas necessairement juste t o u t simplement parce que
beaucoup d'individus la font.

En p b ~ sd'etre descriptive, l'approche de la justice organisationnelle est subjec-


tive. Ainsi, Les chercheurs dans ce domaine n'investiguent pas ce qui est vraiment
juste ; ils focalisent plut6t leurs etudes sur ce que Les individus pensent etre juste.
A cet iigard, un evenement donne peut, ou pas, Otre juste, selon que Les individus
croient qu'il Vest ou non. La finalit4 de la recherche est alors de determiner, empiri-
quement, les facteurs qui influencent Les perceptions de justice, mais aussi la f a ~ o n
dont Les individus se comportent des qu'ils o n t catkgoris6 un evenement comme juste
ou injuste. Qurun philosophe moral (ou une autre personne) souscrive a ces juge-
ments subjectifs ou non, est une question secondaire pour certains specialistes de La
justice organisationnelle.

2. Structure de la iustice organisationnelle

Afin d'engager des recherches empiriques sur les perceptions de La justice, Les auteurs
ont besoin d'une description coherente e t operationnelle de ce a quoi La justice
<< resemble >>. Ainsi, nous avons besoin d'une repr6sentation sensee de la structure
de la justice organisationnelle. Historiquement, les auteurs ont fourni cette represen-
tation en divisant les perceptions de justice en composantes ; en commen~ant
d'abord par un type de justice et en ajoutant progressivement de nouveaux elements
au fur e t a mesure de l'evolution des recherches.

A cet egard, la justice distributive est le type le plus ancien de justice organi-
sationnelle, avec une tradition de recherche longue e t prodigieuse (cf. Adams, 1963,
1965 ; Blau, 1964 ; Crosby, 1976, 1984 ; Homans, 1961 ; Mark e t Folger, 1985 ;
Martin, 1981). La justice distributive fait reference i La justice percue des retribu-
tions (recompenses recues suite 21 une distribution des ressources materielles ou
socio-6motionnelles au sein de l'organisation). Bien que la justice distributive reste
un theme important (Markovsky e t Younts, 2001), nombre d'auteurs estiment mainte-
nant que ce theme ne fournit qu'une vision partielle de la justice organisationnelle
(Tyler, 1997 ; Tyler e t Smith, 1998). En effet, une idee perspicace des theoriciens de
la justice organisationnelle a ete de considerer que Les individus se soucient aussi du
Processus d'allocation, ou des moyens par lesquels Les retributions sont allouees aux
individus (Folger e t Greenberg, 1985 ; Greenberg e t Folger, 1983). Empruntee a la
pensee juridique (cf. Thibaut e t Walker, 1975), cette idee a donne lieu a la justice
procidurale (Greenberg, 1986 ; Leventhal, 1976, 1980). Caccent mis sur le processus
a depuis ete l'un des criteres essentiels de distinction dans l'etude de La justice sur Le
lieu de travail (Byrne et Cropanzano, 2001). Neanmoins, nous n'avons pas toujours
une vision complete de toute l'histoire. Peu de temps apres l'integration de La justice
La justice organisationnelle

procedurale, Bies e t Moag (1986) ont ajoute Le concept de justice interactionnelle, ou


de la justice du traitement interpersonnel que l'on recoit dans l'organisation.

2.1 LAJUSTICE DISTRIBUTIVE


Thgorie de requite. La justice distributive se refere aux perceptions e t aux reactions
quant aux retributions recues suite a une allocation des ressources, confrontees a ce
que les employes croient meriter, e t bases sur une comparaison avec autrui (Deutsch,
1975 ; Homans, 1961 ; Leventhal, 1976). La justice distributive est li6e une longue
tradition de recherche aussi bien dans les sciences humaines (Markovsky e t Younts,
2001) que dans la philosophie normative (Sabbagh, 2001). Concernant la justice
organisationnelle, le pionnier Le plus important Ptait Stacy Adams (1963, '1965 ;
Adams e t Freedman, 1976). Dans sa theorie de l'equite, Adams a c o n y un modele de
reference en justice distributive. Lrapproche adoptee par Adams fait partie des theo-
ries de l'equilibre e t de La consistance, qui ont defini ce qui est cc equitable )> comme
l'equilibre entre les contributions drune personne e t ses retributions (cf. Heider,
1958). En outre, Adams a postule que les individus ne sont pas concernes par Le
niveau absolu de Leurs retributions, mais plut6t par le caractere juste de ces retribu-
tions en comparaison avec celles drun autre individu considere comme referent. La
justice est determinee en calculant un ratio des retributions aux contributions e t en
jugeant dans quelle mesure ce rapport est comparable aux ratios du referent. Ce refe-
rent peut 6tre un collegue, l'individu lui-m6me a un point anterieur dans le temps, ou
meme un referent imaginaire qui peut, drune maniere ou drune autre, 6tre concu par
l'individu ayant r e p la retribution (Folger e t Kass, 2000 ; Kulik e t Ambrose, 1992).

En se basant sur la Logique de la dissonance cognitive (Adams e t Rosenbaum,


1962), Adams a soutenu qurun salarie qui a 6te sous-pay6 sentirait de la colere ou du
ressentiment. Cela pourrait motiver l'individu, afin de restaurer l'equite, soit a chan-
ger son comportement (par exemple en travaillant moins dur), soit 2 changer ses
cognitions (par exemple en estimant que le referent initial etait inadapte). L'aspect le
plus interessant de la theorie de l'equite concerne ses predictions sur les cas de sur-
recompense. Adams (1965) a postule que, lorsque l'individu srestime beaucoup mieux
retribue qurun referent, la culpabilite s'ensuivrait probablement. Ce qui pourrait aussi
entrainer un changement du comportement. Par exemple, dans le cas d'un regime de
salaire ii La piece, l'individu est paye pour chaque unite produite. S'il y a sur-recom-
pense, plus un individu travaille, plus grand sera Le sentiment d'injustice resultant de
la sur-recorr~pense, puisque chaque unite produite genere plus d'augmentations,
apparemment ma1 recues. Se basant sur ce raisonnement, Adams (1963) a predit e t
montre que les employes relativement surpayes, dans un systenie de salaire a la piece,
baisseraient la quantite de Leur performance (afin de Limiter le gain, estime injuste,
de plus d'argent), mais aussi augmenteraient la qualite de leur performance (afin
d'integrer a chaque unite de travail plus de valeur pour leur employeur). Bien que Les
predictions d1Adams sur l'inequite de la sur-recompense semblent contre-intuitives,
elles ont ete plut6t soutenues par La recherche (cf. Greenberg, 1988, 1990 ; Green-
berg e t Ornstein, 1983 ; Harder, 1992 ; Prichard, Dunnette e t Jorgenson, 1972 ;
Schwarzwald e t al., 1992), m@mesi les effets de la sur-recompense se sont averes
plus faibles que ceux de la sous-recompense (Greenberg, 1982). De plus, comme nous
Definitions, rnoddes et nouveaux developpernents
m
le discuterons plus loin, les effets de La sur-recompense sont moderes par Les valeurs
de l'individu (Vecchio, 1981).

Regles alternatives pour la justice distributive. On peut dire sans exagkrer que
l'importance accordke a la thkorie de l'kquitk dans les premieres recherches sur La jus-
tice organisationnelle est enorme. En dkcrivant ces premieres recherches, Lind (citk
par Byrne e t Cropanzano, 2001, p. 9) a observe que << la justice ktait synonyme de la
thkorie de l'kquite dfAdams >>. Ceci dit, il est important de signaler que les etudes
empiriques sur La thkorie de l'kquitk portaient tres souvent sur des situations de
rkniunkration a la performance (cf. Harder, 1992). Ainsi, les rktributions kquitables
ont-elles tendance 2 6tre tres apprkciees dans les cultures nationales individualistes,
comme les ~ t a t s - ~ n(James,
is 1993). De plus, cette vision de l'kquitk a pour avantage
de favoriser La competition interne entre les salaries (Kabanoff, 1991), si crest sou-
haitk par l'organisation. Le corollaire est que La compktition peut perturber l'harmo-
nie e t l'esprit d'equipe. Par ailleurs, ily aura toujours des personnes qui ne trouveront
pas juste l'allocation des rktributions sur la base du critere de l'equitk d'Adams
(cf. Chen, Meindl e t Hui, 1998 ; Kim, Park e t Suzuki, 1990). Compte tenu de ces limi-
tes, Deutsch (1975, 1985) a propose de traiter l'kquitk comme une regle possible de
la justice distributive e t de montrer que d'autres regles peuvent 6tre t o u t aussi, ou
encore plus, valides selon Les situations organisationnelles.
En cons~quence,les theoriciens de la justice (cf. Deutsch, 1975, 1985 ;Leven-
thal, 1976 ; Sarnpson, 1986) conviennent maintenant que les individus utilisent une
variktk de principes ou de regles comme base pour distribuer les rktributions organi-
sationnelles. Par exemple, Deutsch (1975, 1985) a postulk l'existence d'au moins trois
regles fondamentales de distribution - l'e'quite' (rktribuer chacun selon ses contribu-
tions), l'e'galite' (retribuer chacun de La m6me maniere que Les autres) e t le besoin
(rktribuer chacun selon ce qui Lui est nkcessaire).
Deutsch (1985) a suggere que la pertinence d'une regle d'allocation dkpend de
la nature du contexte social ou de La forme d'interdkpendance sociale qui est en jeu.
La regle d'kquitk est orientke vers l'objectif de dkcouvrir, de valoriser et de rkcompen-
ser Les diffkrences entre Les membres de l'organisation. Ceci est valable aussi bien
pol.lr La contribution potentielle des me~nbresa La performance organisationnelle que
pour leur contribution rkelle. Pour cette raison, la regle d'kquite peut 6tre en conflit
avec des rapports sociaux qui mettent l'accent sur l'avenir commun des membres. Par
conskquent, La regle d'egalite peut prkdominer dans les contextes sociaux oir le but
est de preserver l'harmonie collective e t oir Les participants ont potentiellement des
liens amicaux, ont dkveloppk des relations de longue date, et/ou se considerent
comme partageant les m6mes valeurs e t attitudes (Martin e t Harder, 1994). Les distri-
butions sur La base de la regle du besoin sont prkfkrkes dans les contextes personnels
tels que les familles, ou dans les contextes de services sociaux tels que la santk publi-
que e t l'assistance sociale, ou l'objectif est de favoriser Le bien-6tre de chaque indi-
vidu (Steiner, Trahan, Haptonstahl e t Fointiat, 2006).
I 1 est kvident qu'il existe d'autres considkrations a intkgrer dans le choix des
regles de distribution et de retribution dans les organisations comme la rarete des
ressources (Skitka e t Tetlock, 1992) e t la nature des ressources 2 allouer (Martin e t
Harder, 1994). Sp6cifiquementI l'kquitk semble devenir nloins importante Lorsque La
rarete des ressources sraccentue (cf. Coon, Lane e t Lichtrnan, 1974 ; Lane e t Messe,
1972). Les rkcompenses de nature socio-krnotionelle ont tendance i @tredistribukes
selon la regle dregalit6 ou sur la base des besoins personnels, alors que les recornpen-
ses de nature kconornique sont souvent distribuees selon la regle drkquitb (Martin e t
Harder, 1994), bien quril y ait des exceptions i cette disposition generale (Chen,
1995). En conclusion, le fait qu'une personne qui a moins contribue i la performance
globale r e ~ o i une
t plus grande retribution que les autres, peut @treconsider6 cornrne
injuste ou peut ne pas l'etre. Les individus ont tendance i adopter diffkrentes regles
de distribution selon divers criteres contextuels tels que les relations sociales, la
rarete et les caractkristiques des ressources allouees.

2.2 k JUSTICE PROC~DURALE j

En analysant les procedures juridiques, Thibaut e t Walker (1975) ont realis6 une sene
drktudes sur la nature des reactions qui suivraient differentes procedures de rksolu- ,
tion de litiges. 'Thibaut e t Walker ont appelk leur niodele la the'orie de la justice pro& I
durale. Dans ce rnod61er La justice prockdurale represente les perceptions subjectives
des individus de la rnaniere avec laquelle les retributions ont kt6 distribuees. Dans le I1
contexte organisationnel, ceci se refere le plus souvent i la maniere dont les salaires
e t les avantages sont attribues. Thibaut e t Walker, dans leur thkorie de La justice pro-
I
ckdurale, distinguent deux niveaux dranalyse, la phase de processus e t la phase de
dkcision (Thibaut et Walker, 1978). Dans la premiere phase, le contrble du processus
renvoie i la capacite drune personne i contrbler la rnaniere dont les preuves, dans
une affaire juridique, sont retenues. La seconde phase inclut le contrble de la dkci-
sion, qui designe la capacitk de la personne i dkterrniner Le rksultat effectif de
l'affaire (Thibaut et Walker, 1978). La recherche a rnontre que le contrble du processus
(gknkralernent operationnalisk en terrnes de voice, droit i l'expression) peut 6tre plus
important que le contrble de la decision dans la perception de la justice. Si les pro&-
dures utilisees donnent aux parties en litige un droit i l'expression, ceci arneliore
l'acceptation des resultats de la decision, rn6rne Lorsqurils sont negatifs (cf. Lind,
Kurtz, Musante, Walker e t Thibaut, 1980).
La notion de justice procedurale a kt6 ensuite rapidernent appliquee en dehors
du dornaine de la prise de decision juridique. Les developpernents les plus rnarquants
ont kt6 realises par Leventhal(1976, 1980) e t ses collegues (Leventhal, Karuza e t Fry,
1980). Pour Leventhal, le droit i l'expression ou voice, est seulement u ~ 616nient,
i
parrni d'autres determinants de la justice du processus. Les attributs de la justice pro-
ckdurale incluent l'application coherente des regles, l'absence de biais, l'exactitude, la
possibilite de correction, la representativite des inter6ts de toutes les personnes con-
cernees e t l'adequation avec les norrnes kthiques en vigueur.

2.3 k JUSTICE INTERACTIONNELLE


La justice interactionnelle designe la qualit6 du traiternent interpersonnel que les
individus re~oiventde la part des autres (Bies e t Moag, 1986). Au depart, la justice
interactionnelle a fait l'objet de certaines controverses. Certaines etudes ont trait6 la
justice interactionnelle cornme un aspect social de la justice prockdurale
(cf. Cropanzano e t Greenberg, 1997 ; Tyler e t Bies, 1990), alors que d'autres etudes
Definitions, modeles et nouveaux developpements
m
l'ont abordee comme une forme independante de justice organisationnelle (cf. Bies,
2001 ; Cropanzano e t Prehar, 1999). Les recherches recentes soutiennent, en genkral,
La distinction entre la justice procedurale e t La justice interactionnelle (cf. Cohen-
Charash e t Spector, 2001).
Drautres recherches o n t propose des conceptions diffkrentes, en subdivisant La
justice interactionnelle en deux dimensions (Greenberg, 1993b). Plus sp6cifiquementr
cette approche structurelle appelle la distinction, au niveau de la justice interac-
tionnelle, entre La justice interpersonnelle e t la justice informationnelle (Greenberg,
1993b). La justice interpersonnelle recouvre La sincerite e t le respect dont benkficie
un individu de La part drun autre. La justice informationnelle se refere a l'adkquation
des explications donnees. Cette approche a bkneficik d'un important soutien empiri-
que (Colquitt e t al., 2001 ; Greenberg, 1993a, 1994).
Ainsi, de nombreux chercheurs utilisent de plus en plus une structure a quatre
dimensions de La justice organisationnelle : distributive, procedurale, interperson-
nelle e t informationnelle (Colquitt, 2001 ; Colquitt e t al., 2001 ;Jouglard-Trischler e t
Steiner, 2005, Nadisic, 2006a). Cependant, en depit de ces etudes prometteuses, la
structure a quatre dimensions de La justice a encore besoin de nouvelles recherches.
Compte tenu du manque dr6tudes empiriques sur cette structure, ce chapitre retient La
distinction entre justice distributive, procedurale e t interactionnelle.

3. Rdtributions assocides aux diffdrents types


de iustice organisationnelle

Dans Le domaine de La justice organisationnelle, Lorsque l'objectif est d'expliquer des


variables dependantes qui sont likes a une retribution specifique, Les recompenses
percues comme injustes ou defavorables reprksentent de meilleurs prkdicteurs
(l'accent est alors mis sur La justice distributive). Inversement, Lorsque l'objectif est
d'expliquer des variables dependantes relatives a un decideur specifique (tel que Le
superieur hikrarchique) ou a l'organisation, Les processus e t les facteurs interaction-
nels sont de meilleurs prkdicteurs (l'accent est alors mis sur La justice procedurale).
Sweeney e t McFarlin (1993) o n t appele cette dichotomie le modele bi-factoriel. Ce
modele met l'accent sur les effets principaux e t distincts de la justice distributive e t
de la justice procedurale. Brockner (2002) e t Brockner e t Wiesenfeld (1996) o n t mon-
tre que ces deux types de justice peuvent aussi interagir e t operer ensemble. Nous
considkrerons drabord le modele bi-factoriel e t discuterons ensuite Les modeles drinte-
raction.

3.1 LE MOD~LE
BI-FACTORIEL
h a n t donne que La justice distributive concerne, par definition, ce que les individus
recoivent, ilest suppose qu'elle a un impact sur Les reactions des employks aux retri-
butions specifiques a l'organisation (cf. Cohen-Charash e t Spector, 2001). Si La justice
distributive est un determinant principal de La satisfaction d'un salarie a l'egard d'une
retribution organisationnelle specifique ou drun resultat d'une decision precise, La
justice procedurale est un determinant principal de ses attitudes e t cornportements
lies 2 l'organisation dans sa globalit6 (cf. Cropanzano e t Greenberg, 1997). La justice
procedurale semble notamment avoir un impact plus grand sur les reactions 5 regard
de l'organisation e t de ses dirigeants (Lind, 1995 ; Tyler e t Degoey, 1995).
Dans une etude devenue classique, Folger e t Konovsky (1989) o n t demontre
cette dichotomie. En etudiant les augmentations de salaire, ces auteurs o n t constate
que lorsque les participants estilnaient leur augmentation trop basse, ils 6taient par-
ticuli6rement insatisfaits de l'augmentation elle-mkme. Cependant, la justice percue
des procedures determinant ces augmentations de salaire prkdisait davantage La con-
fiance 2 regard du superieur hikrarchique e t l'engagement organisationnel. Ce constat
est coherent avec l'idee selon laquelle la justice distributive a un impact plus eleve
sur ce que Les salaries pensent de leurs retributions specifiques, alors que la justice
procedurale a un impact plus eleve sur ce que Les salaries pensent de leur employeur
en general.
Les etudes empiriques semblent generalement verifier le mod6le bi-factoriel
(voir Cropanzano e t Schminke, 2001 ; Lind e t Earley, 1992 ; Tyler, 1990 ; Tyler e t
Lind, 1992). Plusieurs etudes ont montre que si les salaries p e r ~ o i v e n tune injustice
salariale, leur satisfaction 2 regard des remunerations semble en consequence baisser
(McFarlin e t Sweeney, 1992 ;Sweeney e t McFarlin, 1993 ; Sweeney, McFarlin e t Inder-
rieden, 1990 ; Summers e t Hendrix, 1991). Toutefois, meme si la retribution elle-
meme, par exemple le salaire, est percue comme desavantageuse, les salaries restent
engages 2 l'kgard de leur organisation s'ils p e r ~ o i v e n tLes procedures comme justes
(Cooper, Dyck e t Frohlich, 1992 ; McFarlin e t Sweeney, 1992 ; Schaubroeck, May e t
Brown, 1994 ; Sweeney e t McFarlin, 1993).

3.2 L'INTERACTION EN'rRE LA JUSrICE DISTRIBUTIVE ET


LA JUSTICE PROCEDLIRALE
L'effet fondamental. Les recherches sur la justice organisationnelle ont dkmontrk que
les individus evaluent souvent le caract6re juste drun evenement en tenant compte du
processus par Lequel la retribution a et6 allouke. Dans les organisations, ilarrive que la
retribution soit percue comme defavorable ou injuste. Meme dans ce cas ; si la proce-
dure par laquelle La retribution desavantageuse a et6 allou6e, est percue comme juste,
les salaries eprouveraient, probablement, moins de sentiments negatifs (Brockner,
2002). Brockner e t Wiesenfeld (1996) o n t sugghre que cet effet interactif peut etre
soutenu dans Les deux sens : celui des retributions e t celui des procedures.
Pour illustrer cette afirmation, commenCons par Le processus. Lorsqu'une retri-
bution correspond aux attentes drun individu, ilest en principe satisfait, m6me si la
procedure peut &re ambigue. En revanche, lorsqu'une retribution est contestable, Les
individus accordent plus d'attention au processus de distribution. Si le processus est
p e r p comme juste, les individus seront moins enclins 2 remettre en cause le decideur,
meme si la retribution est desavantageuse. Mais lorsque la retribution e t la procedure
sont inappropriees, le mecontentement est maximise. Ainsi, les processus ont-ils u n
plus grand impact quand la rbcompense est faible. Dans les cas oC La retribution est
perCue favorablement, Les questions relatives au processus sont moins preoccupantes.
Nous pouvons aussi decrire ce meme phenomene interactif selon la perspective de la
retribution. Lorsque le processus est perqu comme juste, Les individus sont motives
Definitions, moddes et nouveaux developpements
m
d'accepter ses consequences. Ils semblent indiffkrents au fait que La retribution obte-
nue soit favorable ou defavorable. Neanmoins, lorsque le processus de distribution est
jug6 injuste, les individus ne vont l'accepter que s'il Leur fournit une retribution avan-
tageuse. Ces rksultats sont importants puisqu'ils impliquent qu'un processus juste
peut attenuer Les effets negatifs d'une retribution desavantageuse, mais aussi qu'une
retribution juste peut modkrer les effets negatifs d'un processus de distribution abu-
sif.

Impact des interactions sur les cognitions sur soi. Les etudes exp6rimentales e t de
terrain qui cherchent A comprendre cet effet interactif suggerent que Les procedures
e t les retributions agissent rkciproquement pour predire l'estime de soi (cf. Brockner,
Heuer, Siegel, Weisenfeld, Martin e t Grover, 1998 ; Koper, Van Knippenberg, Bouhuijs,
Vermunt e t Wilke, 1993 ; Schroth e t Shah, 2000) e t le sentiment d'auto-efficacite
(Gilliland, 1994). N6anmoins, l'interaction entre La justice procedurale e t La justice
distributive semble avoir une forme diffkrente dans l'explication des cognitions sur
soi. Les etudes de Brockner et al., de Gilliland, Koper et al., e t Schroth e t Shah o n t
toutes montre qu'en recevant un feedback negatif, Les individus s'evaluent de facon
moins positive dans Les cas od Le feedback est perqu comme resultant d'une procedure
juste que dans Les cas od Le feedback est percu comnie resultant d'une procedure
injuste. Crest une conclusion inhabituelle, dans Le sens oir la justice prockdurale rend
I.'impact du feedback n6gati.f plus mauvais qu'il ne Le serait autrement !
rexplication de cet effet semble ktre like A La nature meme du feedback de
performance. Ce feedback comporte generalement des informations sur les aptitudes
e t les competences. En recevant un feedback evaluant ces capacitks, un processus
equitable peut inciter Les individus A accepter Leur feedback comme ayant une vali-
d i M plus grande. Ainsi, Lorsque les procedures sont percues comme justes, un feed-
back negatif dkcoulant de ces prockdures aurait une plus grande valeur evaluative. Au
contraire, lorsque les procedures sont percues comme injustes, Le feedback sera plus
facilement kcarte. En somme, Les informations o n t plus d'importance e t d'impact
quand elles sont fondkes sur des procedures justes plut6t que sur des procedures
injustes. En conskquence, un feedback positif e t juste incite Les individus i s'kvaluer
de maniere plus favorable, alors qu'un feedback negatif e t juste les incite A s'evaluer
d'une maniere beaucoup moins favorable. Par extension, un feedback negatif e t
injuste aura probablement moins d'inipact negatif sur l'kvaluation de soi (Brockner
et a!., 1998 ;Koper et a!., 1993 ;Schroth e t Shah, 2000).

Quelques rgflexions finales. En gknkral, Lorsque les procedures e t les retributio~is


associees ne correspondent pas i ce qui est souhaite, les individus ont tendance i
eprouver un moindre niveau de justice. Si le processus ou La retribution est percue
comme juste, les individus tendent i accepter l'evknement dans une plus Large mesure
que dans Le cas od aucun des deux n'est percu comme juste. Autrement dit, le proces-
sus importe plus quand La retribution est dkfavorable e t importe moins quand La retri-
bution est considkrke favorable. Bien que les etudes empiriques disponibles verifient
generalement ces hypotheses, deux precisions sont i mentionner.
Premierement, il faut signaler que l'interaction entre justice distributive e t
justice procedurale n'est pas toujours observke. Dans certains cas, elle n'est pas t o u t
simplement testee (cf. Konovsky e t Cropanzano, 1991), dans d'autres, Les niveaux
significatifs ne sont pas atteints (cf. Lowe e t Vodanovich, 1995) ; enfin les variables
dependantes etudiees, sont parfois seulement liees aux effets principaux de la retri-
bution (cf. Cropanzano e t Konovsky, 1995). Malgre cela, lorsque les perceptions de la
justice distributive e t la justice procCdurale sont consider6es ensemble, l'effet inte-
ractif est empiriquement soutenu (Brockner, 2002 ; Brockner e t Wiesenfeld, 1996).
Deuxiemement, en etudiant llinteraction entre le processus e t la rCtribution,
les auteurs ont parfois confondu la justice de la ritribution e t son caract6re favorable.
Bien que les deux puissent @treimportants, ils ne representent pas la meme chose. La
((justice >> se refere 2 un jugement de nature morale, alors que la favorabiliti >> dksi-
gne un jugement sur un avantage personnel. Logiquement, la justice distributive e t le
caractere favorable de la retribution o n t des liens nomologiques distincts, en termes
d'antecedents e t de consequences (Skitka, Winquist e t Hutchinson, 2003 ; Van den
Bos et al., 1998). Pour cette raison, ilest tres important que les chercheurs specifient
exactement avec lequel des deux concepts la justice procedurale interagit (Nadisic,
2006b). Certains auteurs o n t precise que la justice procCdurale interagit avec le
caractere favorable de la retribution (cf. Brockner, 2002 ; Cropanzano e t Konovsky,
1995), d'autres ont annonce que la justice procedurale interagit avec La justice de la
retribution (cf. Goldman, 2003 ; Skarlicki e t Folger, 1997). Drautres o n t enfin decrit
l'interaction entre le processus e t la retribution corrlme impliquant 2 la fois la justice
de la retribution e t son caractere favorable (cf. Brockner e t Wiesenfeld, 1996 ;
Cropanzano e t Folger, 1991). Chaque approche peut avoir des avantages e t des limi-
tes, mais les recherches futures devraient distinguer entre la justice distributive
strict0 sensu e t le caractere favorable de la retribution.

3.3 LE 'TRIPLE EFFET INTERACTIF :JUSTICE DISTRIBUTIVE X JUSTICE


PROCEDURALEx JUSTICE INTERACTIONNELLE

Skarlicki e t Folger (1997) o n t estime que la seule interaction entre processus e t retri-
bution est tres reductrice. Ces auteurs ont soutenu en particulier que si la justice
interactionnelle ou la justice procedurale sont percues comme Clevees, les individus
accepteraient mieux une retribution percue comme injuste. Autrement dit, lorsque la
justice procedurale est faible, l'interaction predite entre justice distributive e t justice
interactionnelle devient probable. Dans le cas oc la justice procedurale est elevee,
l'interaction entre justice distributive e t interactionnelle nrest pas necessairement
significative. Ces idees suggerent quril y a un triple effet interactif entre les trois for-
mes de justice. En termes empiriques, Skarlicki e t Folger (1997) o n t montre que ce
triple effet interactif predit I.'impact de la justice organisationnelle sur Les comporte-
ments deviants sur Le lieu de travail.
A l'exception de cette etude, seules quelques recherches o n t test6 la triple
interaction entre les trois formes de justice. Nkanmoins, ces tests ont generalement
soutenu cet effet interactif. Par exemple, dans une etude de terrain, Goldman (2003)
a interroge par questionnaire 583 travailleurs recemment licencies afin de savoir srils
o n t engage un recours juridique contre l'organisation (plainte aupres d'une instance
gouvernementale pour demander des indemnites conformkment 2 la loi). Goldman a
trouve un triple effet interactif entre la justice distributive, la justice procedurale e t
D6finitions, modeles et nouveaux dkveloppements
Ra
la justice interactionnelle sur l'engagement d'un recours juridique. Plus prkcis6ment1
l'effet de la justice distributive sur le recours est significatif seulement quand la jus-
tice procedurale e t la justice interactionnelle sont percues faibles. Ce qui laisse sup-
poser que des procedures justes puissent reduire l'intention de recours juridique qui
resulterait probablement des situations de licenciement dans lesquelles le traitement
interpersonnel est percu comme injuste. En outre, la relation n'est pas significative
lorsque la justice procedurale e t la justice interactionnelle etaient percues klevees.
Dans une etude rkcente, Cropanzano, Slaughter e t Bachiochi (2005) o n t etudie
la justice percue e t l'attractivite des politiques de discrimination positive. Les auteurs
o n t predit un triple effet interactif des formes de la justice sur l'attractivitk des poli-
tiques de discrimination positive e t sur l'intention de postuler a u n emploi dans
l'organisation. Ces hypotheses o n t k t 6 empiriquement verifiees. L'interaction entre La
justice distributive e t la justice interactionnelle s'est averee significative lorsque la
justice procedurale etait percue faible.

4. Les trois fondements motivationnels de la justice


Notre analyse a jusqu'd present manque de repondre a une question fondamentale :
pourquoi les individus se soucient-ils de la justice ? La litterature fournit trois repon-
ses diffkrentes, bien que non mutuellement exclusives. Les deux visions traditior~nel-
les de la justice concernent Les besoins materiels e t de valorisation de soi au sein du
groupe (les modeles instrumental e t relationnel) (Cropanzano, Rupp, Mohler e t
Schminke, 2001), alors que la troisieme vision, plus recente, est basee sur la moralite
(cf. Cropanzano, Goldman e t Folger, 2003).

4.1 MOTIF
1 : LE MOTIF INSTRUMENTAL
Selon le modele instrumental, les individus se soucient de la justice dans le sens
eclair6 de l'interiit personnel. Nous comprenons tous, e t donc le raisonnement est
valable, que par moments, nous ne pouvons pas recevoir les resultats que nous sou-
haiterions. Cependant, a long terme, les processus justes assurent de meilleures
opportunites pour maximiser Les gains personnels (ce type de raisonnement est consi-
dere en detail par Cropanzano, Rupp, Mohler e t Schminke (2001) e t Lind e t Tyler
(1988) qui ne le voient pas comme une explication complete des motivations de la
justice). Le modele instrumental repose sur la vision classique selon laquelle la jus-
tice est motivee par les incitations economiques e t que la justice est importante
parce qu'elle apporte des recompenses materielles (cf. Cropanzano e t Ambrose, 2001 ;
Shapiro, 1993).
Les etudes empiriques soutiennent cette vision instrumentale, du moins
comme une explication partielle des motivations de la justice. Plusieurs chercheurs
ont constate que les individus sont plus satisfaits par rapport aux processus lorsque
Les retributions leur sont favorables (cf. Shapiro e t Brett, 1993). Dans leur mkta-ana-
lyse, Cohen-Charash e t Spector (2001) o n t egalement trouve un lien significatif entre
le salaire e t la justice procedurale ; des salaires plus eleves ktaient correles de facon
positive avec des perceptions plus elevees de justice organisationnelle. Le modele
i n s t r ~ ~ m e n test
a l aussi verifie dans Les etudes qui montrent que Les individus ont ten-
dance A evaluer plus positivement les processus quand Les retributions obtenues sont
favorables par opposition aux processus aboutissant a des retributions defavorables
(cf. Cole e t Flint, 2003 ; Conlon, 1993 ; Conlon e t Ross, 1993).
Cependant, La prudence est de mise pour ne pas surestimer l'importance du
mobile instrumental. Les gains economiques sont potentiellement importants, mais il
sernble improbable qurils fournissent la justification unique A l'intkriit de la justice
organisationnelle. Force est de constater que les effets empiriquement verifies ne
sont pas toujours eleves (cf. Tyler, 1989, 1991). D'ailleurs, quelques etudes n'ont pas
permis de verifier significativement le modele instrumental (cf. Giacobbe-Miller,
1995 ;Tyler, 1994). Drautres etudes ont constate que le souci de justice reste present,
m6me Lorsque Les gains economiques personnels sont contr6les (cf. Conlon, 1993 ;
Cropanzano e t Randall, 1995 ; Krehbiel e t Cropanzano, 2000 ; Lind, Kanfer e t Early,
1990 ; Shapiro et Brett, 1993). Certes, les gains economiques constituent un pro-
bleme de justice, mais d'autres motifs importants devraient egalement iitre conside-
res.

4.2 MOTIF
2 : LES RAPPORTS INTERPERSONNELS
Un autre groupe de modeles sur les motivations de La justice est focalis6 sur Les rela-
tions entre les individus. Deux cadres theoriques sont alors communement utilises : le
modde de La valeur de groupe ou Le modele relationnel (Tyler e t Blader, 2000) e t la
theorie de l'echange social (Blau, 1964).

Le modele de la valeur de groupe/modele relationnel. Lind et Tyler (1988 ;Tyler e t


Lind, 1992) ont propose un modele centre sur l'identite relationnelle (appele aussi
modele de la valeur de groupe). Ce modele suggere que les individus utilisent les pro-
cedures pour estimer la valeur qui Leur est accordee par le groupe, l'organisation, ou
l'autorite utilisant ces procedures (Tyler e t Lind, 1992). Base sur la theorie de l'iden-
t i t 6 sociale, Le modele relationnel insiste sur le besoin des individus d'appartenir A
des groupes sociaux (Tyler, 1997 ;Tyler e t Smith, 1998). Selon ces auteurs, les indivi-
dus eprouvent des sentiments de valeur de soi grice A des procedures justes. Ceci est
valable parce que des procedures justes reflMent le respect pour l'individu de la part
du groupe, de l'organisation, ou de l'autorite decidant de ces procedures. Ainsi les
individus se soucient-ils de la justice parce qu'elle indique leur position, statut et
renommee au sein du groupe. Au contraire, les individus connaissent des sentiments
negatifs de soi A La suite de procedures injustes. Les procedures injustes signifient
pour l'individu qu'il est moins respect6 par le groupe, l'organisation, ou la figure
d'autorite. Cette injustice indique que l'individu n'est pas accept6 comme un membre
A part entiere dans le groupe. La recherche suggere que l'effet des procedures sur ces
sentiments positifs ou negatifs survient independamment de La retribution recue
(Lind et Tyler, 1988).
Les perceptions de justice procedurale sont determinees par la reunion de trois
<< jugements relationnels D. Premierement, La neutralit6 est evaluee. Les procedures
d'allocation utilisees doivent iitre impartiales, honniites et basties sur des arguments
pertinents ; si ces conditions sont verifiees, la neutralit6 est assuree. Deuxi+mement,
D6finitions, moddes et nouveaux dkveloppements
m
la loyaute (ou La bienveillance) est estimee. La figure d'autoritk devrait 6tre motivee
par la prkvenance, l'integrite e t un intkret sincere pour les besoins des autres. Si des
motifs justes sont a la base de La decision ou l'action, La confiance peut etre accordee
a la figure d'autorite. TroisiPmement, la reconnaissance de statut (ou le standing) est
evaluee. Si La figure d'autoritk traite Les mernbres du groupe avec dignit6 e t respect,
elle montre qu'elle est sensible au statut de ces merr~bres(cf. Tyler, 1989, 1990,
1994).
Une caracteristique importante du modele relationnel/valeur de groupe est
qul.il accorde de l'irnportance aux relations i long terme. Selon ce cadre thkorique, les
individus sont concernes par la justice car ils craignent l'exclusion de leur groupe
social. Par extension, plus le groupe est important pour les individus, plus ils crain-
dront l'exclusion e t plus La justice sera cruciale. Ainsi, Le modele relationnel postule
que la justice importe plus quand l'identification au groupe est elevee e t moins quand
l'identification au groupe est faible. Diffkrents chercheurs ont test6 ce modele
(Brockner, Tyler e t Cooper-Schneider, 1992 ; Huo, Smith, Tyler e t Lind, 1996 ; Tyler e t
Degoey, 1995).
Brockner, Tyler e t Cooper-Schneider (1992) ont explore le modele relationnel
dans deux etudes de terrain. Dans La premiere etude, Brockner e t ses collegues ont
examine les reactions des survivants a un licenciement. Leur mesure d'identification
au groupe etait l'engagement organisationnel avant que Les licenciements pour res-
tructuration n'interviennent. Comme prevu, Brockner et al. (1992) ont trouve un effet
moderateur de l'identification au groupe sur le lien entre la justice e t diverses varia-
bles dependantes. En particulier, la justice percue avait des effets plus faibles sur les
consequences du licenciement, l'intention de depart e t l'effort au travail, pour les
individus dont l'identification a l'organisation etait initialement faible. Inversement,
pour les individus dont Le niveau d'identification a l'organisation etait eleve, la per-
ception de justice avait des liens plus forts avec les variables dependantes. Ces resul-
tats ont kt6 repliques dans une seconde etude aupres d'un echantillon de citoyens de
La ville de Chicago. Les participants ont kt6 interrogks a deux reprises, i environ un
an d'intervalle. Cidentification i la ville a kt6 operationnalisee comme la fierte accor-
dke a La police Locale e t l'obeissance aux Lois en vigueur. Au cours de La periode sepa-
rant Les deux enqugtes, 291 participants ont eu maille a partir avec la police ou les
tribunaux. Les individus ayant une forte identification a La ville ont rkagi plus signifi-
cativement a la justice de leur traitement que ceux ayant une faible identification.
Cetude de Tyler e t Degoey (1995) a concern6 un echantillon de 401 residents
d'une communaut6 de Californie. Les chercheurs se sont intkresses a la facon dont les
citoyens ont reagi a La pknurie d'eau en 1991. 11s ont constatk que l'interaction entre
la justice procedurale et l'identification predit Le respect accorde i La communaut6.
Les autres conclusions de l'ktude ktaient plus mitigees, mais soutenaient generale-
ment Le modde de valeur de groupe/modPle relationnel. Dans une autre etude, Huo,
Smith, Tyler e t Lind (1996) ont etudie 305 employes de differents groupes ethniques.
HUOe t ses collegues ont utilise une methodologie retrospective. Plus prkciskment, ils
ont demand6 aux participants de rapporter un dksaccord passe avec Leur superviseur
direct. 11s leur ont demand6 ensuite de decrire leurs reactions face 2 ce conflit. Les
resultats montrent que lorsque le subordonne s'identifiait a son patron, Les considera-
tions relationnelles (par exemple, la neutralite, la bienveillance e t la reconnaissance
de statut) exer~aientdes effets forts. Inversement, Lorsque le subordonne ne s'identi-
fiait pas i son patron, les effets des consid6rations relationnelles etaient faibles e t
Les considerations instrumentales (par exemple, Le caracthe favorable du resultat)
avaient des effets forts.

Theone de L'Bchange social. I 1 faut etre prudent Lorsqu'il s'agit d'aborder la thkorie
de l'echange. En effet, il n'y a pas une seule << theone D, mais plut6t une famille de
moddes Lies (Cropanzano, Rupp et al., 2001). Les theories modernes, par opposition
2 celles plus anciennes (cf. Gergen, 1969 ; Homans, 1961 ; Kelley e t Thibaut, 1978 ;
Thibaut e t Kelley, 1986), ont tendance a soutenir que Les individus ajustent leurs
strategies d'echange sur la base de leurs rapports avec d'autres personnes ou avec
l'organisation. PLUSprecisement, ily a deux types essentiels d'echange : 6conomique
ou social (cf. Blau, 1964 ; Cropanzano et Prehar, 2001 ; Foa et Foa, 1974, 1980 ;
Masterson, Lewis, Goldman e t Taylor, 2000 ; Rousseau, 1995 ; Rousseau e t Parks,
1993 ; Shore e t Tetrick, 1994). Les deux types d'echange representent Les p6les oppo-
ses d'un continuum.
D'un cBte du continuum, il y a Les echanges economiques qui impliquent des
transactions concretes sur des avantages, souvent de nature materielle. Ces kchanges
sont probablement quid pro quo. Par exemple, Les salaries peuvent, dans leurs rela-
tions d'echange avec leurs employeurs, se limiter aux t%ches pour lesquelles ils sont
precisement remuneres. Les echanges kconomiques ne sont pas necessairement fon-
d6s sur la seule maximisation du profit. En effet, ils peuvent &re gouvernes (au
moins partiellement) par certaines obligations entre les parties concernees par
l'echange. L'obligation la plus generalement discutke est le respect de La norme de
reciprocitk. Selon cette norme, on doit rendre une faveur ou des avantages reGus
(pour une discussion classique, voir Gouldner, 1960 ; Levinson, 1965 ; Mauss, 1967).
Le nianquement i cette norme en omettant de rendre Le traitement favorable serait
probablement perqu comme injuste. Heureusement, le contraire est a ~ ~ s svrai. i
L'accomplissement des obligations de reciprocite peut favoriser Le developpement de
relations plus solides e t Lln engagement mutuel entre Les parties (Molm, 2003 ; Molm,
Takahashi e t Peterson, 2000).
Les relations d'echange social representent l'autre borne du continuum. Dans
les situations d'echarlge social, les individus echangent probablement des avantages
relativement abstraits, comme Le soutien kmotionnel ou l'empathie. Les echanges
sociaux o n t tendance a etre caract6risbs par un sens de l'engagement (Bishop e t
Scott, 2000 ; Bishop, Scott e t Burroughs, 2000 ; Deckop, Mange1 e t Cirka, 1999) e t
par La confiance (Konovsky e t Pugh, 1994). Par consequent, les individus dans Les
relations d'echange social ne demandent pas de retour immediat des f a v e ~ ~ rqu'ils
s
accordent aux autres. Les relations d'kchange social sont decrites par les participants
comme des relations a long terme e t de grande qualit6 (cf. Liden, Sparrowe e t Wayne,
1997 ; Settoon, Bennett e t Liden, 1996 ; Wayne et Green, 1993 ; Wayne, Shore e t
Liden, 1997). Ainsi, Les individus ayant des relations d'echange social avec leur
employeur, deploient des niveaux superieurs de performance au travail e t de compor-
tements de citoyennete organisationnelle (Cropanzano et al., 2002 ; Moorman et al.,
1998 ; Masterson et al., 2000 ;Rupp e t Cropanzano, 2002).
DBfinitions, modeles et nouveaux dbveloppements
m
La justice organisationnelle e t la thkorie de l'echange social representent deux
litteratures differentes, bien que les dernieres annees aient connu des efforts pour les
integrer (cf. Cropanzano, Rupp e t al., 2001). Ces modeles integratifs sont gknerale-
ment explicites. 11s postulent que la justice organisationnelle, e t surtout La justice
procedurale e t la justice interactionnelle, engendrent des relations d'echange social.
Ces relations generent a Leur tour une plus forte performance au travail et plus de
comportements de citoyennete organisationnelle. Autrement dit, la relation
d'echange social a un r6le mediateur. C'est la relation, e t non La justice en soil qui est
la cause proximale des comportements au travail. La justice est ainsi un antecedent
qui cree une relation de haute qualit6 contribuant a l'efficacit6.

La theorie de l'echange social a connu un soutien empirique important. Par


exemple, Konovsky e t Pugh (1994) ont applique la theorie de l'echange social a
475 salaries dans Le secteur hospitalier. Ces auteurs ont ~nontreque La justice proce-
durale (op6rationnalis6e1 dans cette etude, comme une combinaison de justice proc6-
durale e t de justice interactionnelle) predisait la confiance. La confiance predisait a
son tour les comportements de citoyennete organisationnelle (OCBs). La justice dis-
tributive n'avait pas de liens significatifs avec ces variables. Dans une autre etude,
Moorman et al. (1998) ont constate que La justice procedurale prkdisait Le soutien
organisationnel percu. Les salaries qui pensaient que leurs relations avec l'organisa-
tion refletaient un soutien plus fort avaient des niveaux superieurs de comportements
de citoyennete organisationnelle. Dans une etude plus recente, Cropanzano e t al.
(2002) ont distingue entre la justice procedurale et La justice interactionnelle. Ces
auteurs ont constate que la justice procedurale predisait les evaluations de perfor-
mance au travail. Cependant, comme prevu par la theorie de l'echange social, la rela-
tion entre justice interactionnelle et performance est mediatisee par la qualit6 de
l'echange entre le leader e t Le subordonne (LMX, voir Liden et al., 1997 ; Settoon
eta/., 1996 ; Wayne et al., 1997). Les resultats trouves par Cropanzano e t ses colle-
gues sont restes significatifs miime en contr6lant les perceptions de justice distribu-
tive.

Les recherches rkcentes admettent l'importance de la justice dans le develop-


pement de relations d'echange social, tout en accordant plus d'attention 6 l'entite
sociale en question. Masterson e t ses collegues (2000) ont soutenu que Les employes
peuvent developper une relation d'echange social avec leur superieur hierarchique
immediat, ou avec leur employeur considere globalement. Ces auteurs ont davantage
soutenu que la justice procedurale creerait des relations d'echange social avec l'orga-
nisation, alors que La justice interactionnelle creerait plutbt des relations d'kchange
social avec Le superieur hierarchique direct. En administrant un questionnaire a
651 employes d'une universite americaine, Masterson e t al. (2000) ont trouve un fort
soutien empirique en faveur de ce modele. D'une part, la justice procedurale etait
directement liee au soutien organisationnel percu, qui etait a son tour directement
1% aux intentions de depart e t aux comportements de citoyennete favorables a l'orga-
nisation. La justice interactionnelle, d'autre part, etait directement liee a la qualit6
du LMX, qui etait directement lie aux evaluations des performances au travail.
Vautres etudes empiriques (Barling e t Phillips, 1993 ; Cobb, Vest, e t Hills, 1997 ;
Findley, Giles e t Mossholder, 2000) ont apporte un appui supplementaire aux modeles
de rechange social.
Recemment, Rupp e t Cropanzano (2002) o n t distingue La cible de la relation
de l'echange social (l'organisation vs. le superieur hierarchique direct) en fonction du
type de justice (prockdurale vs. interactionnelle). En utilisant u n k h a n t i l l o n de
i
/I 1 232 dyades employ6s-superviseurs, ces auteurs o n t mesure 2 La fois la justice proce-
1 durale e t la justice interactionnelle de La part du superviseur e t de l'organisation. Les
Ij'~
i ! ,
resultats trouves par Rupp e t Cropanzano sont cohCrents avec La thkorie de l'echange
social. Par ailleurs, cette etude a aussi montre le r61e particulier du superieur hierar-
j

!,Ii
"'
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l ! ~
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:.I ! ; ,

jl'l
~~ chique. Ainsi, la qualit6 de la relation entre le salari6 e t le superviseur a egalement
un impact significatif sur La relation du salarie avec l'organisation.

/ i iI Comparaison entre le modele relationnel e t la theorie de rechange social. Le


1 ,
';.I modele de valeur de groupe/modele relationnel e t la theone de l'kchange social o n t
1 1 i
.j
..,
I
globalement plusieurs points communs. Les deux modeles soutiennent que l'impact de
,, 1

, .
la justice provient de l'interet de l'individu pour son appartenance i des groupes qu'il
considere importants. Neanmoins, les modeles different quant 2 La nature de cet inte-
. ,
,i
!
r&. Dans le modele relationnel, Les individus sont plus concernes par Leur position
I
sociale au sein du groupe. L'injustice renvoie 2 une sorte d'opprobre, voire de deshon-
neur e t d'avilissement public, qui cree chez l'individu des inquietudes quant 2 son sta-
t u t au sein du groupe. La theorie de l'echange social est basee sur le sens des
obligations. Plus sp6cifiquementt Les individus estiment qu'ils doivent quelque chose
2 l'autre personne e t essaient de s'acquitter de cette dette en retour. Ce qui est dQ
vane evidemment selon la nature de La relation entre les parties. I 1 peut s'agir d'une
simple rkciprocit6 pour les retributions recues (dans les relations d'echange economi-
que) ou d'une rkciprocitk aussi complexe que le soutien kmotionnel (dans les rela-
tions d'kchange social). Les deux mecanismes semblent toutefois valables. En effet,
nous reconsidererons l'idee selon Laquelle les individus o n t souvent un sens de l'obli-
gation << d'agir justement >>. Les recherches futures devraient explorer Les circonstan-
ces dans lesquelles chacune de ces hypotheses theoriques se realise.

4.3 MOTIF
3 : LES MOTIFS MORAUX DE LA JUSTICE
Dans un article fascinant, Greenberg e t Bies (1992) mettent en evidence une appa-
relite deconnexion entre Les theories de la justice organisationnelle e t les theories de
l'ethique des affaires. Ce manque d'integration est surprenant dans La mesure oC t a n t
les auteurs de La justice que les specialistes de l'ethique des affaires sont concern&
par la perception que les individus o n t des conduites morales dans les organisations.
Cropanzano, Rupp e t al. (2001) o n t suggere que l'une des raisons pour Lesquelles la
recherche sur la justice organisationnelle n'a et6 que partiellement incorpor6e dans la
litterature sur l'ethique des affaires est La predominance des deux fondements motiva-
tionnels que nous avons exposes plus haut - le motif instrumental e t Le motif inter-
personnel. Autrement dit, aucun de ces deux motifs n'est concern6 par la justice en
soi. Dans Le cadre instrumental, nous nous interessons 2 la justice en t a n t que moyen
de s'assurer d'un avantage Cconomique 2 Long terme ; dans le cadre relationnel, nous
accordons de l'importance 2 la justice pour sauvegarder notre position e t notre rang
au sein du groupe. Dans aucun des cas, les motifs de La justice ne sont vus comme
intrins6quement interessants. Les auteurs en bthique des affaires ont une conception
differente de La justice. Leur premiere preoccupation est l'identification des conduites
D6finitions, moddes et nouveaux d6veloppements
m
appropriees au sein de l'organisation. Faire ce qui est juste est consider6 comme ayant
une valeur au-deli des recompenses financieres e t sociales que cela pourrait apporter
(Halberstam, 1993 ; Henrich, Boyd, Bowles, Camerer, Fehr, Gintis e t McELreath, 2001 ;
Holley, 1999).
Une approche pertinente serait donc de combler ce hiatus entre la justice
organisationnelle e t les considerations ethiques. Selon cette approche, l'interet pour
la justice est partiellement base sur une obligation morale. Les individus adherent aux
normes de la justice parce qu'ils croient que c'est conforme au devoir moral e t que
c'est la meilleure chose afaire (Bies, 1993, 2001 ; Folger, 1994, 1998). Cette appro-
che est diffkrente des deux premieres expliquant l'importance de la justice par l'intk-
ret economique e t l'intkret relationnel. ELle complete les fondements motivationnels
de la justice en se focalisant directement sur Les principes moraux qui ne sont pas
explicites dans les cadres instrumental e t relationnel.

Le modele dkontique. Folger (2001) estime que les individus considerent souvent
qu'ils o n t un devoir moral d'agir justement envers Les autres. Les individus sont aussi
motives par la reciprocite de la justice, meme lorsque cette reciprocite ne leur profite
pas economiquement (Folger, Cropanzano e t Goldman, 2005). Une revue des preuves
empiriques de cette conception a et6 presentee par Cropanzano, Goldman e t Folger
(2003). Ces auteurs o n t procede de deux manieres. D'abord, ils o n t utilise une argu-
mentation par exclusion afin d'ecarter les motivations instrunlentales e t relationnel-
Les pour la justice, ensuite i l s o n t eu recours a une argumentation par inclusion en
mesurant directement Les valeurs attachees a la justice.
Premierelnent, l'argument par exclusion suppose que si on peut exclure toutes
les autres explications plausibles de l'interet humain pour la justice, Les possibil.it6s
restantes seraient valables. Deux articles (Kahneman, Knetsch e t Thaler, 1986 ;
Turillo, Folger, Lavelle, Urnphress e t Gee, 2002) o n t ktudie, d'une maniere experimen-
tale, les reactions des tierces personnes qui etaient temoins d'une violation de nor-
mes de justice. A ces observateurs, on avait fourni la possibilite de sanctionner Le
transgresseur, bien que cette action puisse leur coQter une partie de leurs ressources
monktaires. Kahneman e t ses collegues (1986) offraient aux participants a l'etude le
choix de partager une certaine somme d'argent avec d'autres participants qui avaient
deja participe a une etude similaire. Parmi ces premiers participants, certains avaient
reparti l'argent de maniere egale avec Les autres alors qlle d'autres s'ktaient montre
cupides, en privilegiant Leur intkret personnel e t en s'attribuant pl.us d'argent que les
autres. Si les participants a La seconde etude donnaient de l'argent ii un ancien parti-
cipant (( impartial )), i l s recevaient 5 $. Si, au contraire, ils donnaient de l'argent a un
m i e n participant cupide e t (( partial D, i l s recevaient 6 $. Ainsi, ils devaient renon-
cer a 1 $ pour punir le participant (( partial )), e t simultanement recompenser le parti-
cipant << impartial )).En conformite avec le modele deontique, 74 O/O des participants
ant choisi de s'allouer seulement 5 $, punissant ainsi le participant i< partial )).Dans
la meme Lignee, une sene d'experiences realisees par Turillo e t ses collegues (2002)
ant replique l'etude de Kahneman et al. (1986)~ en ajoutant quelques nouvelles carac-
teristiques importantes. Par exemple, dans la seconde experience, certains partici-
Pants avaient le choix de punir le transgresseur partial )), t o u t en recornpensant la
victime de l'allocation injuste de la premiere experience ; alors que d'autres partici-
pants avaient le choix de punir le transgresseur, tout en recompensant une personne
neutre. Conformement l'etude de Kahneman e t al. (1986), les participants voulaient
toujours renoncer aux recompenses monetaires pour sfassurer que le transgresseur de
la norme dr6quite ne profite pas des resultats de l'allocation.
Deuxiemement, l'argument par inclusion cherche evaluer directement le
modele deontique de la justice et ainsi ecarter les autres explications plausibles.
Ces etudes experimentales en laboratoire manipulent souvent des caracMristiques du
contexte, des valeurs morales et observent les comportements resultant de cette
manipulation (Vecchio, 1981 ; Greenberg, 2002). Par exemple, Vecchio (1981) a etu-
die les reactions des individus a la sur-remuneration. Les recherches basees sur la
theorie de l'equite (Adams, 1963, 1965) avaient d k j i montre que les individus qui tra-
vaillaient sous un regime a la piece et qui se sentaient surpayes augmentaient la qua-
lit6 de leur production. Vecchio a htendu ces conclusions en examinant la m6me
situation, mais avec une mesure du developpement moral. Comme prevu, Vecchio a
remarque que seuls les individus ayant des niveaux superieurs de developpement
moral ont adopt6 le comportement identifie par Adams. Les individus ayant des.
niveaux inferieurs de developpement moral ne se sont pas comportes conformement
la theorie de l'equite. Ces resultats prouvent que les individus valorisent l'equitk,
mais seulement lorsqurils sont moralement responsables. Dans une etude expenmen-
tale plus recente, Greenberg (2002) a etudie les reactions des individus au sous-paie-
ment et a test6 si ces reactions differaient selon le degre de developpement moral.
Apres Les avoir sous-payes, on a donne aux employes d'un service client une opportu-
nit6 de voler de l'argent. Bien que Le developpement moral ne se soit pas aver6 signi-
ficatif dans toutes Les situations, il avait un impact Lorsque l'organisation etait La
source de la faible remuneration (par opposition aux situations 013 ce sont Les direc-
teurs qui ont agi injustement) ; cet impact etait donc significatif Lorsque les indivi-
dus avaient des niveaux infbrieurs de developpement moral et lorsquraucun
programme dr6thique nretait dispense dans l'organisation.
Comme suggkri, par ces etudes, les individus se soucient vraiment de la justice
pour des raisons autres que des considerations purement instrumentales ou interper-
sonnelles. En se basant sur des situations drallocation des ressources, les individus
sont souvent disposes renoncer des recompenses monetaires srils peuvent punir
une personne injuste. Dans de telles situations, Les individus considerent la justice
comme une fin en soi, plut6t que comme un moyen pour des gains economiques ou
interpersonnels.

Les obligations morales. Une autre approche de la justice e t du raisonnement moral


a ete fournie dans une excellente etude de Skitka (2002). Comme d k j i sugg6r6, un
processus juste peut souvent kviter les effets negatifs drune retri bution defavora ble
(Brockner, 2002 ; Brockner e t Wiesenfeld, 1996). Skitka a montre qu'il y a des Limites
importantes 21 cet effet et que ces limites peuvent 6tre comprises en examinant les
normes morales de l'individu. Selon Skitka, certaines retributions revdent des valeurs
sous-jacentes importantes. On appelle ces convictions fortes et solidement internali-
sees par l'individu << les obligations morales >>.
Des exemples de ces vertus incluent Les
engagements forts pour ou contre des phknomenes comme l'avortement, la peine
capitale, Le contr6le des armes ou la censure.
D6finitionst modeles et nouveaux dbveloppements
ml
Dans une sene d'etudes, Skitka e t Houston (2001) ont constate que, lorsqu'une
obligation morale est violee, les individus ressentent souvent des niveaux inferieurs
de justice, sans necessairement tenir compte du processus de prise de decision. Par
exemple, les participants a une recherche, basee sur un scenario hypothetique, ont
estime qu'il est injuste de condamner une personne innocente de meurtre, m@mesi
l'enquete a ete justement realisee. La prise en compte des procedures etait impor-
tante, seulement lorsque la culpabilite du defendeur ou son innocence etaient peu
evidentes. Les recherches de Skitka sur Les vertus morales sont tres instructives. Cet
auteur suggere que dans les cas O IIvaleur importante pour l'individu est violee,
une
Les precautions en termes de procedures ne peuvent pas compenser les perceptions
d'injustice. Les questions relatives aux motivations morales de La justice meritent une
plus grande attention de La part des theoriciens de l'organisation.

5. Conclusion et perspectives
L'objectif de ce chapitre etait de fournir au lecteur une large introduction a la justice
organisationnelle, en incluant des definitions, des modeles e t de nouveaux develop-
pements. Nous avons presente la structure de la justice, les interactions entre Les dif-
ferent~types de justice e t les trois fondements motivationnels qui dkclenchent les
perceptions de justice. Dans ces paragraphes conclusifs, nous resumerons quel.ques
paints cles e t aborderons les directions, nouvelles e t interessantes, vers lesquelles la
recherche sur la justice organisatiorlnelle s'oriente.

5.1 LA STRUCTURE DE LA JUSTICE


REVISI'TER
En considerant l'ktat de La litterature de la justice pour ce chapitre, nous avons
estimk nkcessaire de presenter Le modele a trois facteurs de la justice ; celui distin-
guant la justice distributive, La justice procedurale et la justice interactionnelle. Cette
typologie reflete l'approche actuellement dominante dans La litterature. Cependant,
des travaux empiriques, recents e t prometteurs, scindent la justice interactionnelle en
deux categories : La justice informationnelle e t la justice interpersonnelle (Colquitt,
2001 ; Colquitt e t al., 2001 ; Greenberg, 1993a, 1993b, 1994). La comparaison des
modeles a trois e t a quatre facteurs fournit des directions utiles pour les auteurs. Ceci
devrait constituer une priorite pour la recherche future.
I 1 est certainement important de ne pas exagerer l'opposition entre ces struc-
tures de la justice. Le modele a quatre facteurs ne signifie pas que le modde a trois
facteurs est incorrect, mais propose seulement la distinction au niveau interactionnel
entre une dimension interpersonnelle et une dimension informatior~nelleafin dram&
h e r la precision de l'analyse. Cette precision est certes tres utile, mais remet-elle
pour autant en question tout ce que nous avons dkja appris sur Les perceptions de La
justice ? I 1 nous semble que non ; le modele a quatre facteurs etend, mais ne gomme
Pas, Les acquis du modele ii trois facteurs.
Alors que l'interaction entre Le processus e t La retribution est bien affirmee (Brockner,
2002 ; Brockner e t Wiesenfel.d, 1996), La triple interaction fournit une extension
potentiellement prometteuse. Bien que les recherches empiriques sur l'impact de La
triple interaction des types de justices sur diffkrentes variables de comportement
soient encore tres Limitees, Les etudes existantes suggerent La robustesse de ce phi5
nomene (Cropanzano et al., 2005 ; Goldman, 2003 ; Skarlicki e t Folger, 1997). ~ v i -
demment, des etudes empiriques supplementaires sur ce theme sont 2 encourager.
I 1 est interessant de considkrer la triple interaction 4 La lumiere de La structure
2 quatre facteurs. La triple interaction utilise la justice interactionnelle comme une
variable moderatrice. Nkanmoins, si on considere La justice interactionnelle comme 2
la fois interpersonnelle e t informationnelle, quelles seraient les implications pour La
triple interaction ? I 1 y a, 2 notre avis, deux possibilites. La premiere, crest quril y a
peut-&re une quadruple interaction qui sera 2 identifier e t 2 tester dans Les recher-
c h e ~futures. Dans ce cadre hypothetique, Les effets negatifs de l'injustice seraient
plus forts Lorsque les quatre types de justice sont perGus comme faibles. Une seconde
explication consisterait 2 dire que seule la justice informationnelle ou interperson-
nelle (mais pas Les deux) interagit avec Le processus e t La retribution. Par exemple, Le
f a i t de donner des informations aux individus rkduit kventuellement l'impact nkgatif
drun processus injuste e t d'une retribution defavorable (cf. Sitkin e t Bies, 1993),
alors que La justice interpersonnelle nraurait pas cet effet modkrateur. Nous recon-
naissons quril ne s'agit 12 que de speculations. Les recherches empiriques ne l'ont pas
encore dkmontre, e t la theorie nrest pas encore suffisamment solide non plus, pour
permettre une prediction significative. Cependant, il serait tres interessant de consi-
derer ces hypotheses dans Les recherches futures.

5.3 MOTIFS
POUR LA JUSTICE
L'etude des fondements moraux dans La justice organisationnelle constituerait un axe
de recherche tres interessant. Le travail de Folger (1998, 2001) est tres instructif 2 ce
propos. Folger e t ses collegues (voir par exemple, Cropanzano et al., 2003 ; Folger
et al., 2005 ; Turillo et al., 2002 ; Nadisic, 2006c) suggerent que La justice traduit,
partiellement, l'exercice drun devoir moral. Ce fonjement dkontique apporte un com-
plement tres pertinent aux motifs instrumentaux e t interpersonnels de la justice.
Dans la mesure oir les recherches sur La justice organisationnelle continuent drappro-
fondir Les motifs sous-jacents aux comportements de justice, Le modele deontique
semble tres prometteur. Explorer ces perspectives exaltantes, ainsi que drautres ques-
tions sur la justice organisationnelle, sfavererait tres fkcond pour de futures recher-
ches.

5.4 QUELQUES
REFLEXIONS
FINALES
Ce chapitre presente un etat de l'art de la justice organisationnelle. Nous avons elargi
Le debat en identifiant Les Limites du theme : le comportement organisationnel reste
un domaine de recherche en~pirique. L'objectif de cette recherche est de decrire les
evenements e t Les actions qui permettent de promouvoir une perception de La justice
D6finitions, modeles et nouveaux developpements
rn
(ou de l'injustice), ainsi que les attitudes, les sentiments e t les corr~portementsqui
rksulteraient de ces perceptions. C'est u n theme important e t passionnant e t nous
espkrons que cet apercu a permis de dkmontrer la richesse de ce champ de recherche.
tvidemment, ilreste beaucoup A apprendre e t beaucoup A faire pour que les entrepri-
ses profitent de cette connaissance. La recherche sur la justice organisationnelle offre
de nouveaux horizons pour rendre les organisations plus efficaces, mais surtout plus
humaines.

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