Tous les détails de cette inhumation furent accomplis avec la plus froide insensibilité. Au sortir de l’église, hommes et femmes oubliant le drame lugubre auquel ils venaient d’assister, se mirent à caqueter comme des perruches.
Je n’eus garde de parler aux bons pères du verset profane que les néophytes avaient intercalé dans la prose des morts du rituel. Une indiscrétion de ma part à ce sujet eût fait chapitrer vertement les hommes qui avaient aidé à l’enterrement et valu aux femmes qui y assistaient, vingt-cinq coups de nerf de lamantin.
Ce retour vers des coutumes barbares est plus fréquent chez les chrétiens de la Mission que les religieux ne l’imaginent. Tous usent à l’occasion de pratiques bizarres, mystérieuses, que nous avons surprises dans leur intimité, mais sur l’origine ou le sens desquelles nous n’avons jamais pu obtenir d’éclaircissements. Au reste, chacune des tribus qui composent la population de Sarayacu a ses rites, ses usages, ses amulettes particuliers, dérivés des traditions de son passé et des croyances de ses pères.
À la mort d’un néophyte, sa veuve est dépossédée amicalement du logis conjugal qu’on adjuge à un jeune couple et va habiter avec d’autres femmes veuves comme elle, une demeure séparée. Ainsi reléguées à l’écart, ces colombes dépariées courraient risque de mourir de faim, si le prieur n’avait eu la charitable idée de les nourrir et de les habiller aux frais de la communauté, en exigeant d’elles de petits travaux manuels qui rentrent dans leur spécialité de ménagères. Les unes sont employées au récurage des pots et des casseroles, d’autres charrient l’eau et le bois nécessaires à la cuisine, d’autres enfin, enlèvent à l’aide d’une bêche le gramen et la folle avoine qui envahissent les abords du couvent.
« J’en agis de la sorte avec ces infortunés (infelices), nous disait le révérend Plaza, afin que sans se livrer au dévergondage elles puissent gagner de quoi couvrir leur corps (taparse las carnes). »
La plantation qui subvenait aux besoins du ménage et que la mort du mari a laissée à l’abandon, est reprise par les religieux qui la font exploiter et en récoltent les produits. Des néophytes sont désignés à tour de rôle pour cette besogne rurale. Aucun salaire fixe ne leur est alloué, mais une bonne parole du prieur ou un verre de tafia donné à propos, dédommage suffisamment les travailleurs de la fatigue ou de l’ennui de cette corvée.
Obligés de pourvoir à la subsistance d’un certain nombre de serviteurs et de commensaux, bouches toujours ouvertes, estomacs toujours affamés, les Pères de Sarayacu ont de grandes plantations de bananiers, de riz, de maïs, de manioc, de patates douces et de cannes à sucre. Un parc à tortues, où pataugent dans une boue liquide sept à huit cents de ces animaux recueillis sur les plages de l’Ucayali, approvisionne de viande fraîche le réfectoire et la cuisine. Des réserves de poisson salé, de lamantin fumé, de tapir, de singe et de pécari boucané sont faites en prévision des cas extraordinaires ; enfin l’apport journalier des mitayas en gibier et en poisson frais, contribue à entretenir l’abondance dans le couvent.
La culture de la canne à sucre et la transformation en tafia du jus de cette graminée, sont l’objet d’une vive sollicitude de la part des religieux. Chaque mois des provisions de ce liquide sont faites et emmagasinées. On aura une idée approximative de la quantité d’alcool que consomment les serviteurs du couvent et les néophytes, en apprenant que tous les travaux journaliers et les corvées exceptionnelles, sont précédés, entretenus, suivis d’une distribution de petits verres,