Maryline Heck
Maître de conférences HDR en littérature française XXe-XXIe siècles à l'Université de Tours
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Papers by Maryline Heck
Aurélie Adler est maître de conférences en littérature française des XX e et XXI e siècles à l'université de Picardie Jules-Verne (Amiens). Maryline Heck est maître de conférences en littérature française des XX e et XXI e siècles à l'université François Rabelais (Tours).
publié dans "Modernités", Presses universitaires de Bordeaux, N° 46, 2021, p. 73-86.
Le théâtre, compris à la fois en tant qu’œuvre littéraire et œuvre artistique autonome est au cœur des enjeux politiques de la littérature, dans sa capacité à construire « un présent singulier » au sens de François Regnault qui défend l’idée d’une « dialectisation du présent », qui soit capable de faire « entendre ce que la pièce peut contenir de ce temps présent, et qui lui était au début inconnu ». De sorte que, comme l’affirme très justement Alain Badiou, « le théâtre a une fonction propre de révélation du présent, entre autres choses parce qu’il doit décider de construire ce présent ». Mais que signifie « révéler le présent », si ce n’est faire déborder le texte littéraire dans l’ici et maintenant en interrogeant sa capacité à critiquer le monde d’aujourd’hui ? On reconnaît ici « l’obscur pressentiment » de Peter Brook qui ne monte des pièces que lorsqu’il a « la conviction que cette pièce doit être montée aujourd’hui ».
Avec Jacques Rancière qui soutient que « la littérature fait de la politique en tant que littérature », nous pensons que le théâtre fait de la politique en tant que théâtre, et, si la littérature est à entendre comme un « nœud spécifique entre un régime de signification des mots et un régime de visibilité des choses », alors le théâtre en est le lieu privilégié. Au cœur de la cité, au cœur des enjeux politiques, il permet de convoquer l’actualité du monde dans l’épaisseur de l’actualité théâtrale. Et de cette cumulation des mots et des sens, de cette friction entre différentes forces de signification, naît pour les spectateurs l’intensité du présent lui-même, « une autre communauté du sens et du sensible, […] un autre monde commun et un autre peuple ».
Que peut donc la littérature quand elle se dramatise ? Comment l’enfer de L’Île de Sahkaline déborde-t-il dans la réflexion sur l’art et les malheurs de l’amour au cœur de La Mouette ? Comment l’essai politique L'Insurrection qui vient, publié par le Comité Invisible en 2007 rencontre-t-il le drame d’Ibsen Un ennemi du peuple, publié en 1882 ? Comment la clinique du Professor Bernhardi devient-elle « une bulle sociale, un microcosme révélateur » des tensions politiques liées à la monté de l’extrême-droite en Europe aujourd’hui ? C’est bien à répondre à toutes ces questions que nous invitent les mises en scène de Thomas Ostermeier, le co-directeur de la Schaubühne berlinoise. Les différents « acteurs » du théâtre - dans notre cas précis, le metteur en scène, les spectateurs et les institutions théâtrales et universitaires – construisent aujourd’hui, comme ils l'ont toujours fait, des questions éminemment politiques ; et si la littérature est à entendre « comme expression de la société », il est urgent d'entendre quels échos actualisés la littérature nous renvoie et quels enjeux il nous incombe d'affronter.