Academia.eduAcademia.edu

Correspondance Sylvie Bérard / Élisabeth Vonarburg

Correspondance Sylvie Bérard / Élisabeth Vonarburg Sylvie Bérard et Élisabeth Vonarburg Moebius, Numéro 95, 2002, Pages 95-114

Article « Correspondance Sylvie Bérard / Élisabeth Vonarburg : une année d’imperfection (1er novembre 1996 - 13 décembre 1997) » Sylvie Bérard et Élisabeth Vonarburg Moebius : écritures / littérature, n° 95, 2002, p. 95-114. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/14520ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Document téléchargé le 9 January 2015 11:33 CORRESPONDANCE SYLVIE BÉRARD / ELISABETH VONARBURG Une année d'imperfection (1" novembre 1996-13 décembre 1997) Date: Fri, 1 Nov 199616:58 To: syber@odyssee. net From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Hello Sylvie mon clavier est on the fritz, ma touche de shift ne fait plus les majuscules et tout le bordel, trop de poils de chaaats, il est vraiment temps de faire nettoyer tout le truc, ça tombe bien, j,arrive dans mon mois off, et je ne manie pratiquement que marteaux et pinceaux depuis trois ou quatre jours — et je vais pouvoir me lancer dans le rangement du bureau, grande épopée spéléologique, rien qu,à penser a tout ce que je vais retrouver, j,en frétille, ou presque, je profite aussi de l,espèce de temps libre, sort of, pour dire hello aux copines, un peu. je suppose [j,espère!] qu,on va te voir au salon et/ou au lancement de tesseracts q [je lancerai le message sur la liste des que je saurai quand et iou], mais j,ai envie de t,entretenir comme ça en preview, alors comment ca va, que fais-tu, ou [en] es-tu, l,arrivée de l,hiver, ~ ah zut peux plus faire les apostrophes non plus? — ne te défrise pas trop, tes étudiants [tu en as a cette session?] ne sont pas trop niais, bref, que pasa par chez toi6 ~ et plus de point d,interrogation, c,est la débâcle totalaaale! va falloir que j.arrête avant que la bebelle ne m,expire entre les doigts — tu es ma seule féministe dans les environs... un petit mot me fera bien plaisir; tu t,es faite terriblement rare ces temps-ci... plein de bises chicoutimiennes Elisabeth 96 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg Date: Sat, 2 Nov 19962:36 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@odyssee.net Subject: Hello Elisabeth Pauvre, PAUVRE Elisabeth, avec un clavier qui déraille et avec un prénom écrit avec un Z dans le journal _VOIR_ de cette semaine (la monarchie britannique a encore son effet sur le journalisme culturel québécois et les chats seraient des créatures parfaites si leurs poils contournaient les claviers). Bonjour, Alors l'exercice zen du pinceau et du marteau va bon train? Ne range pas trop le bureau, parfois ça te bousille une ambiance de travail! Eh oui, je me fais rare, et pour cause! Et *non*, je n'ai pas fait de demande pour fréquenter des étudiants-es, même que je n'ai pas fait de demande de cours du tout, je pensais être à Toronto, moi, à cette date-ci %#&$@! Ma Grande et Longue Maladie (ça fait tragique, j'aime) m'a affectée plus que je ne l'aurais cru au moment où elle était m'affectant. Autrement dit, je me suis retrouvée, un beau jour, en retard dans tout et surtout dans mes délais face au CRSH à qui (auquel) il me faudra fournir tout ce que je pourrai obtenir de billets médicaux de tout ce que j'ai de médecins. Alors je me cramponne à mon clavier pour ne pas craquer et je travaille* au lieu de *pitonner*. Le moral ne va pas fort fort, mais au moins la tête a recommencé à fonctionner à peu près correctement. Si tout va bien, je dépose cette semaine; je claironnerai dûment la nouvelle sur toutes les tribunes quand ce sera fait! Tu seras à Montréal à la mi-novembre? Si tes obligations d'auteure te laissent quelques minutes libres, on pourrait peut-être aller prendre un café. Je n'oublie pas que j'ai toujours ton Jayge Carr1 (estce que tu sais pourquoi, dans l'édition française, c'est Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg «Jaygee»?); j'en aurai bientôt fini. Je vais peut-être me décider à le photocopier (shocking!) étant donné qu'il est introuvable. Ah oui, pour répondre à l'une de tes questions surgies entre deux aléas de clavier: l'hiver, à moins de -20°, ne me défrise que rarement. Ça m'a fait plaisir d'avoir de tes nouvelles (ces tempsci, quand j'ai une minute, j'ai plutôt de ton roman — ha ha ha). Tiens-moi au courant de tes activités culturelles de novembre. Ciao et bises temporairement montréalaises, Sylvie * Date: Sat, 21 Dec 199608:32 To: syber@odyssee. net From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Red Hot Clavier Chère Sylvie, Ouiii, j'ai commencé à réécrire, ou plutôt à écrire parce que tout ça c'est du montrage là où y avait que du dit, et il faut tout écrire (en maintes pages) ce qui était dit en deux ou trois, voire en quelques phrases. C'est le fuuun! Mais faudrait pas que ça déborde trop ou bien Jean aura une attaque. Je ne suis toujours que dans la première partie, mais «ce qui compte le plus c'est le commencement» comme disait presque Racine (dans la comédie Les Plaideurs; en fait c'est «ce que je sais le mieux c'est le commencement»; savais-tu que Racine était un rigolo, au moins une fois dans sa vie?). Les sous de Pocket2 sont arrivés hier, de justesse pour les cadeaux de Noël un peu quand même, moins que prévu à cause des errances du change. Zut. On va passer Noël en famille, mais au moins j'ai une raison de faire ma Bûche traditionnelle (12 personnes, ça vaut le coup; remarque, je le fais même pour nous deux, c't'une tradition). 97 98 Correspondance Sylvie Bérard / Elisabeth Vonarburg Alors, je te la souhaite tout ça, je t'embrasse bien fort et j'espère qu'on se reverra en 1997. Ce qui est chouette c'est que tu seras sur SFF3. Elisabeth * Date: Sat, 28 Dec 199617:58 To: sßranco@physics.utoronto.ca From: syber@odyssee. net Subject: SFF: La perfection de ce monde... J'ai lu, oui, JLe jeu de la Perfection_4, et tout d'une traite contrairement au tome précédent (dont le début est plus... euh... coriace). Il produit l'effet contraire: alors que _Les rêves de la mer_ est autosuffisant, bouclant une histoire complète, celle d'Eïlai, dans _Le jeu de la Perfection^ nous attire sournoisement dans l'avidité de la consommation cyclique de l'univers romanesque, dans l'envie folle de parcourir les tomes suivants; le roman est complet, mais il est juste assez parcellaire. Ce tome donne la nette impression que le cycle est construit comme un oignon (notez la poésie de la comparaison), chaque tome soulevant un pan de l'univers — le dernier tome nous mènera-t-il au cœur? seul 1997 (1998?) le dira... De plus, les thématiques psi qui s'y retrouvent ne sont pas inédites, mais elles sont traitées de manière diablement efficace. Eh oui, je me suis fait avoir, et avec le sourire en plus... Ma seule réserve concerne les figures archétypales du roman, dont celle du (dieu le) père, omniprésente, qui constituent une présence un peu trop programmatique à mon goût, et qui me ramènent à l'autre figure paternelle que l'on rencontre dans _Le silence de la cité_... mais on ne va pas reprocher à une auteure ses archétypes, hein? Ciao, Sylvie » Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg Date: Sun, 29 Dec 199610:45 To: syber@odyssee. net From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Papa, reviens, ou va-t'en! ... mais branche-toi!:-) Hello, Sylvie, ma lectrice accro:-) Je commente en privé, parce que je me suis juré de ne pas commenter les commentaires de T.5 sur SFF, sinon de façon très laconique et sur des points de détail (et encore). Je trouve très intéressant ton commentaire expédié sur la liste. Intéressant pas tellement en ce qui concerne les thématiques psi, et qui est évident: T. est devenu avec le temps en partie un hommage aimant à la SF de quand j'étais petite, et sur le motif des psi, y a pas grand-chose de nouveau à dire, les structures sont pas mal «prégnantes» (à mon avis ma seule «originalité», elle-même relative, du reste, dans le traitement de ce motif des mutants psi), c'est que ce ne sont pas des surhommes (et qu'ils ne sont pas destinés à le devenir du tout); j'ai toujours considéré la télépathie (en particulier; les autres pouvoirs psi sont plus rigolos, eux!) comme plus un problème qu'une solution, sûrement pas une panacée ni une sur-quoi-que-ce-soit; j'espère que ça se perçoit déjà un peu quand même (rassure-moi!), et ça devrait devenir de plus en plus clair. Mais en ce qui concerne les «figures archétypales... (dieu le) père». D'abord je suis très curieuse de savoir quelles figures archétypales au pluriel pour toi, dans ce roman. À part les innombrables figures de Fils, je veux dire; j'inclus bien entendu Tess là-dedans — et Simon. Ensuite, si le Père est bien l'Auteur des Jours, il n'y en a que deux par la chair, Samuel et Daniel. Qu'il y en ait possiblement d'autres par l'Esprit, euh, *et de quelle nature réelle*: dis-y moi? Samuel et Daniel, en tout cas, sont aussi faillibles et non-dieux que possible l'un et l'autre. Quant à Simon, étant à la fois d'abord une victime-jouet majeure et 99 100 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg ensuite un failli à répétition aussi, je le vois mal en Dieule-Père (si c'est omniscience/omnipotence dont auxquelles on cause là... On devrait ajouter «bonté» — ou férocité, selon le Testament...); ce n'est pas parce qu'il s'aveugle de temps en temps que nous devons être victimes de ses illusions? [en relisant: tant qu'à faire, pour moi, Simon serait plus une variante du Trickster, et donc du Diable dans notre culture...] Ceci dit, je vais te faire une confidence: j'ai longtemps estimé — et me suis longtemps dit — que dans Tyranaël, «je réglais mes comptes avec mon papa». Pas au point que ce soit «programmatique», je ne programmatiquais vraiment pas quand j'ai écrit et réécrit Tyranaël jusqu'en 1976; je crois que la ligne de partage des eaux s'est faite en 1978, merci Tiptree; maintenant, je m'affaire tant bien que mal à garder l'équilibre entre l'innocence ancienne et les relatives prises de conscience qui ont eu lieu pendant les trente dernières années! Mais «programmatique»? Me semble pas, à moi. (Bien sûr.) Je suis revenue peu à peu de mon illusion (les comptesavec-Papa sont juste plus évidents que ceux avec Maman, parce qu'ils servent en partie de nuage d'encre; très efficace: ça m'a pris vingt ans pour me rendre compte de sa présence, à elle. Pas croyable!); mais il n'en demeure pas moins vrai que, au fil des réécritures après 1976 [il n'y en a eu que deux; mais avec la thèse de doc, surtout!], je me suis rendu compte à quel point il n'y avait apparemment que des pères — et à quel point c'étaient des pères-non-Dieu; quand je me les résume, c'est «le père failli, ou absent, ou mort», en anglais «the flawed father», pas de majuscule. Alors oui, d'une certaine façon, tu as raison bien entendu, mais en creux, pas en plein: (dieu le) est bien là, mais, euh, par son absence (le désir inavoué, honteux, furieux, résigné, de sa présence): il n'y a pas un seul «bon» ou «puissant» père dans toute la gagne (et il n'y en aura pas, jusqu'au bout). Là où je m'inquiète beaucoup, c'est si tu lis *Simon* comme un Dieu-le-Père: j'ai alors raté mon coup de façon majeure! J'espère que le tome III va régler la question... en attendant les deux autres. Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 101 Excuse-moi de t'obliger à faire fonctionner ton cerveau pour lire ce message... et éventuellement pour y répondre:-) Et joyeuses Pâques! Elisabeth * Date: Sun, 29 Dec 1996, 14:32 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@odyssee. net Subject: Où la Lectrice rassure l'Auteure... ...et se rassure, par la même occasion. Allô. Je t'approuve: vaut mieux nous laisser nous dépatouiller avec ton œuvre! Cela dit, je me contredis immédiatement pour te dire que je suis bien aise que tu m'aies refilé l'information quant à l'Intentio Auctoris, c'est quand même toujours agréable d'obtenir une confirmation à ses simples impressions de lecture. Je me suis exprimée de manière mollassonne sur SFF parce que j'ai le cerveau mou ces joursci, mais je veux bien me secouer un peu et préciser ma pensée. J'ai aussi pensé aux Slans, et j'ai failli les glisser dans mon message, mais pour souligner les différences. Si je remettais ce roman de Van Vogt au programme d'un cours sur la SF, je serais maintenant tentée de mettre le tien aussi, histoire d'observer comment l'idée des facultés psi s'est transformée. Alors que J(ommy) C(ross) est le demi-dieu de l'histoire et se considère comme tel, Simon (ah tiens, analysons sauvagement, on passe de JC à Simon, du dieu à l'apôtre) est bien plus un démiurge, un technicien de l'univers, qu'un dieu, un être omnipotent (un diable? je ne sais trop... un apprenti sorcier plutôt, comme le bateleur du tarot de Marseille). Et en plus, c'est un démiurge imparfait qui n'a pas les moyens de ses tentations téléologiques (tu parlais de hasard, dans une 102 Correspondance Sylvie Bérard / Elisabeth Vonarburg de tes chroniques pour _Demain la veille_, et justement Simon le refuse). Tu sais, confidence pour confidence, en exprimant ces réserves, je trahissais aussi mon propre inconfort face à la figure du père, à tous ces rapports patriarcaux qui teintent _Le jeu de la perfection_, aux fantasmes paternels ou patriarcaux de Simon-père (dans le sens où il joue les patriarches). Quand je parlais d'archétypes au pluriel, je sous-entendais simplement qu'on retrouvait des figures correspondantes à l'autre bout du spectre,figuresfiliales, donc, cristallisées surtout dans le personnage de Tess mais projetées dans tous les personnages agissant comme fidèles, volontaires ou non, de Simon. Tout en goûtant la lecture du roman, j'ai détesté d'emblée le personnage de Simon. Ce n'est pas une réaction très scientifique, mais je pense que je peux donner à cette aversion une coloration plus «universitaire». Je ne l'ai pas «aimé», et c'est surtout par opposition au rôle d'Eïlai du tome précédent. Alors que, dans le premier tome, Eïlai se livre à un travail discursif où le sens émerge de manière indépendante de sa volonté, disons, Simon, dans le tome II, tout en étant absent de l'acte de parole, agit sur l'histoire, programme (ou fait tout pour programmer, mais sans toujours y réussir) les personnages et les actions, réoriente le cours des événements lorsqu'ils ne prennent pas la tournure voulue. Heureusement que c'est aussi, un peu, un apprenti sorcier qui commet des gaffes et des bévues, sinon on aurait (j'aurais) peine à le supporter; il y a du Gosseyn en lui (pour revenir à Van Vogt6), de l'objet autant que du sujet actantiel, et c'est ce qui me permet en partie de me réconcilier avec lui. Si les pères sont aussi au pluriel, il faudrait voir les mystérieuses forces planétaires dans cette optique, dans le sens où elles forgent Simon à une certaine image dans de mystérieux desseins qui le transcendent et l'angoissent à son tour (et c'est bien fait!). L'autre élément qui fait avaler la pilule est le rappel constant de l'absence omniprésente des Anciens et des Primes, qui permet de relativiser les balbutiements psi des Simon et compagnie, et qui rappelle constamment à notre attention le modèle tyranaëlien où les facultés psi sont ins- Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 103 crites non comme un don des dieux mais comme un devoir social. Il ne faudrait pas non plus négliger le titre, qui insiste à la fois sur le rapport des Anciens à la perfection. Et tant mieux si, comme tu l'annonces, tous les pères sont des pères manques, ça nous changera des pères manquants-qui-auraient-donc-fait-mieux-s'ils-avaient-été-là! Socialement, dans le roman, est-ce que ça ne ressemblera pas aussi aux rapports avec la planète-Terre/planète-mère qui est un peu beaucoup une planète-père, qui ne manque à personne et qui pourtant s'obstine à imposer son autorité? Voilà, j'ai épuisé toutes les lueurs de mon intelligence pour l'année 1996. Pardonne-moi pour les élans sauvages de mon analyse, tu comprendras qu'il y a une différence entre mes flirts avec la psychanalyse (ou mythanalyse?) que je traduis privément (ou dans les notes de bas de page de ma thèse) et les approches discursives toutes sécurisantes que je m'autorise dans la vraie vie et dans le corps de mes textes:-) Ah ben tiens, c'est peut-être pour ça que _Le jeu_ m'a angoissée et _Les rêves_ m'a sécurisée!!! Ciao et paix-santé-prospérité ~ je m'en vais me faire cuire une oeuvre (de Pâques, bien sûr), Sylvie Date: Sun, 29 Dec 1996 18:23 To: syber@odyssee. net From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Où l'Auteure remercie sa Lectrice Et donc merci, chère Sylvie, de t'être torturé le mou de veau malgré la date tardive (dans trois jours l'an 2000, maintenant qu'ils ont rectifié le calendrier des chrétiens, eh-eh-eh; gueule des apocalyptiques: «Eh, oh, on n'est pas prêts pour la fin du monde, attendez voir un peu, ventrebleu!»). Je comprends que tu n'aimes guère Simon. 104 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg J'ai moi-même pas mal d'ambivalence à son égard; quoique, comprenant mieux d'où il vient et pourquoi il agit ainsi, toujours entre la terreur de l'action aux conséquences imprévisibles et possiblement abominables pour les êtres, et l'impossibilité de ne pas agir, et toujours menacé par la folie à cause de tous les mystères qui l'entourent...; en fait, compte tenu de ces circonstances, je le trouve quand même pas si mal que ça, la pauv' bête, penses-y bien:-) [et puis lui aussi, comme Eïlai, est une métaphore de l'écrivain: l'autre face...]. Mais ce n'est pas pour rien qu'il disparaît peu à peu dans le tome II derrière le regard de Martin. Et ce n'est pas fini. Il ne se rédimera/ne sera rédimé qu'au tout dernier volume, mon pauvre Simon. Snif. Et au fait, remarque en passant à propos d'Elïlai: elle est moins laisser-faire que tu ne semblés le penser dans ses manipulations discursives: elle choisit les histoires qu'elle préfère, elle les arrange... Qu'elle le fasse sournoisement ne l'empêche pas de manipuler! Enfin, autre détail (je relis ton message pour être sûre que), tu dis «le modèle tyranaëlien où les facultés psi sont inscrites non comme un don des dieux mais comme un devoir social»; c'est plutôt «un don des dieux *et donc* un devoir social», du moins ça a été ça d'abord, quand ils ont commencé à institutionnaliser les mutations psi. Et enfin (je remonte le message en sens inverse!) tu dis: «fantasmes paternels ou patriarcaux (dans le sens où il joue les patriarches) de Simon-père». Mais, euh, rappel: il est assez obligé de jouer les patriarches: il a été bloqué dans cet aspect de vieillard par ce qui le remet à (presque) zéro à intervalles plus ou moins réguliers. Et en fait, bien entendu, c'est moi qui l'ai bloqué là, aussi, mon arbitraire pas du tout arbitraire, ma propre image du père/grand-père mêlés (faudra que ça se justifie d'une autre façon que personnelle! Dans le dernier volume, dans le dernier volume...). Allez, bonne année, et on se recause en l'an 2000! Elisabeth Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 105 * Date: Fri, 7 Feb 199712:02 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@sympatico.ca Subject: Hourra! Bonjour, Ici une docte Torontoise... comme tu m'as peut-être vue l'annoncer sur la liste. D'ailleurs, tu es moyennement volubile, ces temps-ci, sur SFF, signe, sans doute, que tu nous couves un petit quelque chose — pas une maladie, là, un tome. J'ai mis la main sur une entrevue avec toi dans _Orientations_7. Pas mal, malgré les maladresses d'usage (qui diable estTiptree Howard:-)?). Et pis j'ai été en liesse d'apprendre qu'au tome V rappliqueraient ces chères préoccupations d'identité sexuelle qui tissent si bien *mes* thèses! Bon travail et bonnes bal(l)ades dans la neige! Sylvie + Date: Fri, 7 Feb 199712:42 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Hello vite Chère Sylvie non je n'écris pas, je m'occupe de tout ce que je n'ai pas fait depuis trois mois et qui réclame vocifèrement. Bref, les quelques jours de repos que je pensais m'accorder, histoire de me remettre un peu les neurones... zilch. Je recommence (croisons les doigts) à travailler sur le tome 4 après le 15 février, mais ce ne sera pas systématique avant le début de mai: en mars j'ai au moins deux 106 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg semaines complètement fuckées par les rencontres dans les écoles, et en avril je vais en France et encore une rencontre, bref, au moins trois semaines dans le trou. Et toi, alors, la soutenance a-t-elle été bien soutenue? Peux-tu me donner le titre exact de ta thèse, au cas où je voudrais me la faire venir pour ricaner dessus?:-) Toronto est-il/elle agréable, supportable, super? non, pas du tout des «préoccupations d'identité sexuelle» dans le tome 5, simplement des gens qui peuvent s'incarner indifféremment dans des mâles ou dans des femelles (ce n'est pas «indifférent» pour eux, bien entendu, surtout parmi les humains; les Ranao, passe encore...). Bises éreintées. Elisabeth * Date: Fri 14 Feb 9712:39 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@sympatico.ca Subject: Hello lent Bonjour Elisabeth, Si tu veux vraiment VRAIMENT rire, ne fais pas venir ma thèse tout court:-), mais voici néanmoins le titre: _Je pense 'or' je suis. Discours et identité dans la SF côté femmes. Entre la New Wave et le cyberpunk_. Toronto est agréable à supporter. Il fait toujours 5 °C de plus qu'à Montréal, et sans doute 2000 °C de plus qu'au Saguenay, alors... Plus sérieusement, oui, je crois que je vais bien aimer Toronto, ses quartiers sont jolis, ses indigènes sont fort courtois, son campus universitaire est charmant. Y a l'appart qui ne me plaît pas trop (entre autres, ils «shootent» *de l'odeur* dans le système d'aération, beurk), mais ça va se régler, je redéménage le mois prochain. Ciao, Sylvie Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 107 Date: Fri, 28 Feb 199716:54 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@sympatico.ca Subject: Ha ha. Bonjour, Le remue-méninges avec Norman 8 va-t-il bon train? Quant à moi, j'ai trouvé un autre appart, je déménage le 15 mars sur la rue d'à côté. Il n'y a pas vraiment de mouvement brownien lors des 1er juillet torontois; c'est surtout un pied de nez du Québec! Le titre de ma thèse t'allèche, dis-tu, pince-sans-rire comme c'est pas possible? Eh bien, si tu veux, je te prends au mot et je te réserve une copie de ma version corrigée. On me verra à Boréal9, oui. En attendant, s'il te prenait l'envie de passer par Toronto, tu sais à peu près où me trouver:-) Ciao, Sylvie * Date: Wed, 16Apr 199712:14 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: De retour? Hello, Sylvie, Tyranaël: quelle écriture? Je commence après le 1er mai (dernière tournée scolaire ce jour-là). Mais les 15 jours de tournées fin mars début avril ont été si frustrants-déprimants (ce qu'on fait aux gamins, et aux profs! LES CONS du ministère!!!) que pour me défouler je me suis évadée dans le remue-méninges de T.410 qui est fini à 95 %, jamais autant su ce qui se passe pourquoicomment dans un de mes romans! J'ai commencé à remue- 108 Correspondance Sylvie Bérard / Elisabeth Vonarburg méninger le tome 5 (il faudra enchaîner fin juin). Oh que j'ai hâte de m'y mettre. Ce qui veut dire courir comme une malade d'ici la fin avril pour faire tout ce que je dois faire, tournées scolaires comprises (les 28-29, mais c'est dans la région), pour mon asso d'écrivains. Entre autres. Bises épuisées. Elisabeth * Date: Thu, 26Jun 199718:39 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: FINI! FINI fini fini FINI FINI FINI FINI fini fini FINI fini FINIFINIFINIFINIFINIFINI Tyranaël 4 est fini d'écrire. Du moins la dernière version pré-finale. Et maintenant je vais réécrire la dernière version, mais bon, ça devrait prendre juste une autre semaine. Quand ce sera vraiment FINI, je lâcherai un cri primai que vous devriez entendre depuis l'Europe. Tout ceci pour dire que moi, c'est pas quand le bouquin sort que c'est le pied, c'est quand il est... FINI fini fini FINI... voir plus haut. Bises maniaques Elisabeth * Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 109 Date: Mon, 26Jun 199723:34 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@sympatico.ca Subject: Re: FINI! Alio, Je me cherchais justement de la lecture:-) En passant, jusqu'à présent, c'est le 3 que j'ai préféré (le 1 est prometteur mais «frustrant», le 2 joue surtout un rôle charnière - mais je radote). Je suis heureuse de voir que minet se sent confortable sur ma thèse (tant que ça ne se retrouve pas en charpie dans le bac à litière, hum?). Bon début d'été, Sylvie Date: Mon, 27 Oct 199712:22 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Re: Bonjour Hello Sylvie, J'ai pourtant bien dit que je partais pour 18 jours, je pourrais aussi bien ne pas exister si je comprends bien, pour ce qu'on m'écoute... Je suis de mauvais poil, attention. Je suis débordée, fatiguée, ultra-déprimée, ... j'ai trente-six mille choses urgentes à faire pour la semaine dernière. Et une traduction dont j'ai fait le 1er chapitre seulement à rendre pour le 30 novembre. La fin de Tyranaël fait un gros trou, mais il y en a d'autres tout aussi douloureux. La mort de Judith, par exemple. Boréal a été très pénible pour moi, je suis partie une journée avant la fin. Ma mère est complètement gaga, même si elle se souvient encore très bien de moi. Des amies meurent right and left du cancer. Mauvais automne. Sorry. Ça ira peut-être mieux dans un mois, mais j'en 110 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg doute, je serai seulement encore plus crevée. Dans deux mois, alors. Rendez-vous dans deux mois. Bonne continuation avec ton travail - et je trouve bien intéressants tes messages sur SFF (je viens de me payer 312 messages, le doigt sur la touche D). Sauf que j'ai envie de me désabonner. En fait, j'ai envie de sortir de tout, mais JE NE PEUX PAS, chui coincée. Bof, ça passera. Tout passe. Bises Elisabeth * Date: Tue, 28 Oct 1997 02:24 To: evarburg@saglac.qc.ca Front: syber@sympatico.ca Subject: Re: Bonjour Chère pitchoune, Je ne mobiliserai pas ton courrier électronique, alors, du moins pas avant que le délai soit expiré je me le tiens pour dit:-)). Tu sais, j'ai bien envie de me projeter dans ce que tu me racontes (on me réclame périodiquement à Montréal, ma mère perd la mémoire comme c'est pas possible, j'oscille entre l'hyperactivité intellectuelle et le trente-sixième dessous en cet automne plein de deadlines, par moments j'ai l'impression que le monde entier est un oisillon qui a le bec ouvert, attendant que j'y dépose quelque chose), mais je vais me contenter d'être de tout cœur avec toi et d'attendre de tes (bonnes, j'espère) nouvelles. Je ne serai pas au Salon du livre de Montréal (je viens de vivre mon premier Salon du livre de Toronto où j'avais l'impression pas si désagréable d'être tout bonnement dans le salon de quelqu'un). J'ai hâte delireT.5. Ciao, Sylvie Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 111 Date: Tue, 28 Oct 199708:17 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Re: Bonjour Chère pitchoune torontoise, je ne suis pas si far gone que je ne puisse empathiser avec les autres nourrices d'oisillons à la gueule ouverte, poverella... Je regrette bien que tu ne puisses être à Montréal (et oui, le Salon de Toronto est très, euh, familial). Je viens de recevoir la couverture du tome 5 et elle est tellement moins pire que je ne craignais que ça me fait un rayon de soleil à travers la neige (ça tombe depuis hier matin). Au fait, comment as-tu trouvé 3 et 4? (ne me dis pas «sous une feuille de salade»). Oui, ça va un peu mieux, deux bonnes nuits de sommeil aidant, et mon insupportablement heureuse (biologique) nature poussant aussi à la roue. Allez, je te poutoune, comme dirait l'autre. Elisabeth * Date: Sat, 13 Dec 199709:50 To: syber@sympatico.ca From: evarburg@saglac.qc.ca Subject: Hello et merci Hello, Sylvie (et j'espère que tu es toujours à cette adrelle!) Je viens enfin de lire tes commentaires sur Tyranaël revisitée moins le livre 5 dans SOLARIS (revue bloquée dans la grève). J'aime beaucoup ce que tu en dis, en particulier sur le travail du *biais*, et quelques-unes de tes remarques m'ont soudain allumé une petite lumière au- 112 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg dessus de la tête bon-sang-mais-c'est-bien-sûr, de ces évidences qui se condensent tout d'un coup en les voyant soulignées par d'autres; obnubilée par les personnages et leur mise en scène, ou en fiction, Lian/Alicia en particulier, ou par Lian-écrivain, ou par d'autres données personnelles dans ce personnage, j'avais par exemple fini par faire l'impasse, personnellement, sur les implications autobiographiques de ces *déracinés-entre-deux-mondes* ~ et l'un des niveaux de sens de l'arbre-Gomphal. Et puis, enfin, tu as lu tout ça à l'un des niveaux essentiels [pour moi!] où ce doit être lu ~ le rapport au réel, la fictionnalisation... — ce qui me «vindique» un peu de JLT, qui lit en JLT, bien sûr, c'est son utilité aussi, mais que ce soient les premiers commentaires reçus sur l'ensemble, et malgré leur louangerie finale, snif quand même (la finale positive de son essai m'a surprise, au reste, après tous ses «mais»...). J'espère que le 5e volume ne te décevra pas. À quand une Grande Étude hérissée de vocabulaire ad hoc pour Lettres Québécoises11 ou, à Dieu ne plaise, Nuit Blanche, hi-hi? Bonnes fêtes de fin d'année, et encore merci! Elisabeth * Date: Sat, 13 Dec 199714:19 To: evarburg@saglac.qc.ca From: syber@sympatico.ca Subject: Re: Hello et merci Bonjour, Je suis contente d'avoir de tes nouvelles maintenant que ta boucle tyranaëlienne est bouclée. Je te remercie de tes commentaires enthousiastes à ma critique de Tyranaël. Bien sûr, je ne fais pas des critiques pour racoler les auteures;-), mais c'est quand même très encourageant quand la critique est *entre Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 113 autres* «éclairante» pour l'auteure, sinon ça passe un peu «dans le beurre». Pour répondre à ta question, mon «monopole» sur la critique de Tyranaël se poursuivra dans _Lettres québécoises_ mais s'arrêtera là aussi (sinon ça deviendrait indécent et ça serait un peu trop univoque pour le dossier de presse de l'auteure et plate pour ses exégètes), pour le compte de laquelle je prépare une critique de T. 4 (personne, revues ou Grand Prix, n'a encore jugé bon de m'envoyerT.5, je m'inquiète et me demande si tout le monde ne s'en remet pas à tout le monde...). Dans un autre ordre d'idées: j'ai toujours ton livre de Jayge Carr, mais plus pour longtemps. J'ai fini par en trouver une copie et j'en suis fort heureuse car ce roman fait aussi partie de mon corpus de postdoc sur la guerre des sexes. L'édition Playboy Press est moins luxueuse mais c'est la même histoire, hum, et les Delyene sont toujours aussi outrageusement sexuées sur la couverture. C'est sûr qu'il me manquera aussi toute la genèse de la traduction, mais cette recherche, si elle vient, n'est pas pour tout de suite (surtout:-) n'efface pas tes commentaires rédigés à la mine dans les marges!). Bonnes fêtes de fin d'année à toi aussi! Pour ma part, j'irai et viendrai entre la région montréalaise (fête paternelle et Noël familial), torontoise (MLA oblige) et de nouveau montréalaise avant de redevenir torontoise où j'entamerai ma deuxième année (ça nous rajeunit pas). Je vis un rapport d'attraction/répulsion face à l'autoroute 401. Ciao, Sylvie 1 Leviathan's Deep, de l'auteure de science-fiction Jayge Carr (1979), a été traduit par E.V. {L'abîme de Léviathan, Paris, Albin Michel, 1982) et fait aussi partie du corpus de thèse de doctorat de S.B. {Je pense or je suis. Discours et identité dans la SF côté femmes, thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en sémiologie de l'Université du Québec à Montréal, novembre 1996). 114 Correspondance Sylvie Bérard I Elisabeth Vonarburg 2 E.V. parle ici des éditions Presses Pocket, pour lesquelles elle venait de traduire les recueils de nouvelles de Marion Zimmer Bradley et d'Anne McCaffrey. 3 «SFF» ou «SFFranco» est une liste de diffusion électronique consacrée, comme son nom l'indique, à la science-fiction francophone. Elle a été fondée le 8 novembre 1993 par Jean-Louis Trudel, qui l'anime depuis tout ce temps. 4 Le jeu de la Perfection, second tome de la pentalogie «Tyranaël» écrite par E.V. (Québec, Mire, 1996-1997). 5 Par «T», E.V. fait référence à sa série «Tyranaël». 6 S.B. fait ici référence au roman À la poursuite des Slans d'A.E. Van Vogt (1954 pour l'édition française). 7 Orientations est un magazine gai lancé en novembre 1996 par Bernard Gadouas, dont le premier numéro comportait un article consacré à l'œuvre d'É.V 8 E.V. a consulté Norman Molhant quant à certains aspects scientifiques de la planète décrite dans «Tyranaël». 9 Le Congrès Boréal est une rencontre annuelle consacrée à la littérature fantastique et de science-fiction francophone et surtout québécoise. 10 E.V. n'évoque pas ici sa déclaration de revenus mais le tome 4 de sa série «Tyranaël». 11 Depuis 1993, S.B. est une collaboratrice régulière de la revue Lettres québécoises.