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CR Jonathan Bennett lEARNING FROM - PHILOSOPHERS

2001, Revue philosophique

HOMMAGE A JONATHAN BENNETT 1930 -2024 Jonathan Bennett est unique parmi les historiens de la philosophie dans son désir d'engager le dialogue avec les grands auteurs du passé. Il nous offre ici, en deux volumes ce qui est peut être l'une des sommes les plus passionnantes que nous ayons eues depuis longtemps sur les grands rationalistes et empiristes classiques et le produit d'une fréquentation de toute une vie avec ces penseurs.

Jonathan Bennett, Learning from six philosophers, Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke, Berkeley et Hume, 2 vol. Oxford University Press, 2000, 403 et 375 pages, Jonathan Bennett est unique parmi les historiens de la philosophie dans son désir d’engager le dialogue avec les grands auteurs du passé. Il avait déjà brillamment illustré ce style d’enquête avec Locke, Berkeley et Hume, Kant et Spinoza. Puis il a écrit de beaux livres classiques sur la rationalité, le comportement linguistique, les événements et la nature de l’action. Il nous offre ici, en deux volumes ce qui est peut être l’une des sommes les plus passionnantes que nous ayons eues depuis longtemps sur les grands rationalistes et empiristes classiques et le produit d’une fréquentation de toute une vie avec ces penseurs. Contrairement aux interprètes français qui bercèrent notre jeunesse, Guéroult et Alquié, il ne s’attarde pas aux confrontations de textes, ni à dégager des structures autosuffisantes, ou à lire des désirs d’éternité. Il n’attaque chaque philosophe ni comme un monument, ni comme un document, mais de front pour exposer ses thèses et ses arguments à des lecteurs contemporains, les évaluer et en faire des œuvres vivantes. Il n’hésite pas à corriger ses auteurs, ou à suggérer que sur tels points ils pourraient avoir de meilleures théories que celles qu’ils soutiennent en fait. Il n’est pas absolument certain que cette méthode analytique suffise à tous les besoins de l’histoire de la philosophie (par exemple rien sur Malebranche, pourtant lien essentiel entre les cartésiens et les empiristes), ni qu’elle évite des anachronismes, mais je suis absolument convaincu que c’est la meilleure manière de lire les philosophes du passé. Bennett ne cherche pas à traiter de tous les points dans chaque doctrine qu’il étudie, mais il va à l’essentiel. Chez Descartes, il examine la relation à la physique aristotélicienne, la théorie de l’espace et sa physique, puis son dualisme et enfin sa théorie de la causalité. Rien sur les passions, mais on trouvera plus loin un chapitre sur le désir chez Descartes et Spinoza. On passe à Spinoza, la théorie de la substance, le parallélisme, la causalité, puis la théorie de la croyance et de l’erreur, et on a ici une confrontation avec Descartes, très éclairante dans ses relations avec les débats contemporains sur croyance et volonté. Les thèmes de la substance, de la perception, de la causalité et de l’harmonie servent d’entrée à Leibniz, dont on expose ensuite la théorie des relations, avant de revenir au thème du cercle cartésien, et au souci de la certitude, qui le place bien plus près des empiristes que de Spinoza et Leibniz. Le second volume examine la théorie des idées chez Locke, sa théorie de la connaissance, et accroche à nouveau Descartes dans sa théorie des modalités (remarquable chapitre). Il traite ensuite des qualités secondes, des essences et de la substance, ce qui conduit naturellement à Berkeley et à son immatérialisme. Chez Hume, les thèmes des idées, de la croyance, des relations, et de la causalité font l’objet d’un traitement bien plus clair et synthétique que dans Locke, Berkeley, Hume. L’ouvrage se finit sur Locke, Hume et Leibniz sur l’identité personnelle. On voit que les thèmes ne sont pas linéaires mais entrecroisés, et les questions de la croyance, de la modalité, des relations, et de la causalité sont au centre des deux livres. Partout, Bennett va à l’essentiel, et au passage on a des développements sur Descartes et les tropes, le volontarisme cartésien, les qualia, la causalité et l’explication, la croyance, qui sont autant de thèmes contemporains qui affleurent. Bennett engage aussi le fer avec les interprètes anglo-saxons majeurs, Wilson et Wiliams, sur Descartes, Curley sur Spinoza, Ayers et Mackie sur Locke, G. Strawson sur Hume, etc. Le lecteur qui n’a pas une culture de base en philosophie contemporaine pourra lire ce livre avec profit, mais il manquera la force de nombre d’allusions et de problèmes Il n’est pas possible de rendre compte de toutes les richesses de ces deux volumes absolument admirables, écrits dans un style limpide et pour lesquels l’expression « recherche de la vérité » a encore un sens. J’ai pris un grand plaisir à lire ces livres, et on y apprend réellement beaucoup. Pascal Engel Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 191, No. 4, (OCTOBRE-DÉCEMBRE 2001)