Faire l’histoire de la sainteté
Michel FAUQUIER
Conférence inaugurale de l’année 2024/2025 de l’Institut Saint-Pie-X,
donnée à Paris le 19 octobre 2024
Richer de Reims écrivant l’histoire de saint Martin sous la dictée fictive de Sulpice Sévère (exlibris de la première moitié du XIIe siècle, in RICHERUS REMENSIS, Vita sancti Martini, , f. 1,
abbaye de Moyenmoutier)
Si le mot « saint » est passé dans le langage commun, qui parle
ainsi d’un « saint homme » ou d’une « sainte femme », il n’en est pas de même de la sainteté
et, d’ailleurs, ce même langage commun distingue un saint homme ou une sainte femme d’un
saint ou d’une sainte stricto sensu. Il appartient en effet en propre à l’Église, et lui a toujours
appartenu, de reconnaître saint ou sainte telle ou telle personne : nous disons bien
« reconnaître » et non pas « déclarer », car il est arrivé à la ferveur populaire de devancer
l’Église, laquelle n’a pas toujours sanctionné le fait. Au demeurant, le silence de l’Église ne
préjuge pas de son éventuelle condamnation, et c’est même souvent le contraire : que l’on
pense par exemple aux apparitions de la rue du Bac (juillet-décembre 1830), que l’Église n’a
pas jugé utile de sanctionner jusqu’à ce jour par une enquête canonique, mais dont elle a
toujours encouragé la propagation de la piété qui lui est liée ; on pourrait dire la même chose
de sainte Hildegarde de Bingen, certes béatifiée en 1244, mais canonisée seulement en 2012,
soit près de huit siècles et demi après sa mort en 1170 ; et l’on pourrait ajouter enfin que
nombreux sont ceux qui attendent cette même reconnaissance.
La sainteté est donc un sujet délicat à traiter : il l’est pour l’Église,
il l’est pour l’historien. Pour l’un comme pour l’autre, cela se comprend aisément, mais pour
des raisons très différentes. Dans le cas de l’Église, il s’agit rien moins que d’authentifier une
décision qui appartient à Dieu seul et dont l’enjeu est le salut d’une âme, raison pour laquelle,
si l’Église professe fermement l’existence de l’Enfer, elle s’est toujours refusée à désigner
solennellement qui serait soumis éternellement à ses peines, comme les Romains antiques le
faisaient analogiquement en prononçant la damnatio memoriæ de tel ou tel membre de la
famille du Prince, plutôt que son apothéose. Le problème de l’historien est autre, tout
particulièrement dans un pays comme la France ou le rationalisme et le laïcisme sont encore
souvent présentés de nos jours comme constitutifs de son identité : à écouter certains, le
religieux en général, et ses manifestations les plus spectaculaires d’autres part, ne relèveraient
pas du champ historique, mais plutôt de la sociologie… quand ce n’est pas de la psychiatrie,
depuis qu’un certain Sigmund Freud a répandu l’idée que la foi ne serait rien d’autre qu’une
névrose. Ne nous croyant — c’est le cas de le dire — pas plus névrosé que la moyenne des
gens, et professant que nous sommes bien historien, nous voulons démontrer ici que les
obstacles précédemment rappelés ne constituent pas un empêchement dirimant à un mariage
harmonieux entre le religieux et l’historique.
Pour ce faire il nous faudra d’abord exposer très succinctement
comment la notion de sainteté s’est constituée à travers le temps, avant de voir pourquoi son
étude par les historiens modernes a suscité chez certains d’importantes réserves, lesquelles
nous semblent pouvoir être levées comme nous essaierons de le démontrer dans un troisième
point.
1
Comment s’est constituée la notion de sainteté
Si c’est bien l’Église qui reconnaît la sainteté, il n’en reste pas
moins qu’elle n’a fait en cela que prendre acte d’un héritage vétéro-testamentaire auquel elle
a, du fait de la Révélation néo-testamentaire, donné une signification nouvelle ou plutôt
« dérivée », au sens où le Christ déclarait à ses Apôtres : « Je ne suis pas venu pour abolir la
Loi et les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt, 5, 17).
La révélation vétéro-testamentaire a en effet fondé fermement
un postulat intangible sans lequel la notion de sainteté est incompréhensible : Dieu seul est
saint. Nous pourrions donc arrêter ici notre exposé, si l’Église n’en avait pas tiré des
conclusions décisives pour notre propos. Pour bien comprendre cela, il faut d’abord dire un
mot de la conception vétéro-testamentaire de la sainteté. Commençons par souligner que
cette conception se déploie explicitement dans 31 des 46 livres de l’Ancien Testament, et
implicitement pour ainsi dire dans tous les autres. Ainsi, le Livre de la genèse, qui n’utilise pas
les mots de la sainteté est sous-tendu par l’idée que toute trace de mal est impensable dans
le jardin d’Éden, d’où la sanction finale qui clôt le récit :
« Et l'Éternel Dieu dit : Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le
mal. Et maintenant, il ne faut pas qu'il avance sa main, et prenne aussi de l'arbre de vie, et en
mange, et vive éternellement. Et l'Éternel Dieu le mit hors du jardin d'Éden pour cultiver le sol d'où
il avait été pris. Et il chassa l'homme, et plaça à l'est du jardin d'Éden les chérubins et la lame de
l'épée qui tournait çà et là, pour garder le chemin de l'arbre de vie1. »
Gn, 3, 23.
S’il en était besoin, de nombreux passages de l’Ancien Testament affirment
littéralement l’incompatibilité de la sainteté divine avec le mal, par exemple dans le Livre de
Samuel :
« Et Josué dit au peuple : Vous ne pourrez pas servir l'Éternel car il est un Dieu saint [קד ִֹׁ֖שים,
ְ
qəḏōšîm], il est un Dieu jaloux. Il ne pardonnera pas votre transgression et vos péchés. »
Jos., 24, 19.
La première affirmation de la sainteté comme nature même de Dieu se trouve dans le
Lévitique2, qui est le grand livre biblique de la sainteté : on y trouve en effet pas moins de 97
occurrences du mot « saint », ce qui est de loin la concentration la plus forte, d’autant plus
que c’est un livre assez court, le plus court des Livres de la Loi3. Le texte emploie les mots קָ ֹֽ ֹדש
(qāḏōš, qui signifie « saint », « sacré » ou « le saint ») et ( קִֹׁ֖ דֶ שqōḏeš, que nous rendons par
« sainteté » ou « la chose sainte »). Ces mots désignent ce qui est mis à part4, au sens où le
sacré s’oppose au profane, ce qu’explicite précisément le Lévitique5 :
1
Toutes les traductions données le sont dans la version de la Bible de Jérusalem, sauf mention contraire.
Peut-être l’expression de la sainteté de Dieu exprimée dans le verset neuvième du quatre-vingt-dix-neuvième
psaume, un des « psaumes de règne », est-elle plus ancienne : « L'Éternel notre Dieu est saint [qāḏōwōš] ! ».
Toutefois, si la tradition attache 73 psaumes au roi David ― parfois la totalité ―, et quelques autres à Moïse, il
est néanmoins extrêmement difficile de les dater avec certitude.
3
ּתֹורה
ָ (Thora, littéralement « instruction ») pour les Juifs, Πεντάτευχος (Pentateuchos transcris en Pentateuque,
littéralement les « cinq étuis [contenant les livres de la Loi] ») pour les Grecs.
4
« Le mot sémitique qōdèš, chose sainte, sainteté, qui dérive d’une racine signifiant sans doute "couper, séparer",
oriente vers une idée de séparation du profane » (de Vaulx, 1988, p. 1178).
5
Autres rappels de cette distinction in Éz., 22, 26 ; 42, 20.
2
2
« Quand vous venez à la Tente du Rendez-vous, toi et tes fils avec toi, ne buvez ni vin ni autre
boisson fermentée, alors vous ne mourrez pas. C'est pour tous vos descendants une loi
perpétuelle. Qu'il en soit de même quand vous séparez le sacré [הַ קִֹׁ֖ דֶ ש, haqqōḏeš] et le profane
[הַ חֹֹ֑ ל, hahōl], l'impur [הַ טָ ִׁ֖מא, haṭṭāmê] et le pur [הַ טָ ֹֽהֹור, haṭṭāhōwr]. »
Lv, 10, 8-10.
Tout ce qui est dit « saint » dans l’Ancien Testament est
directement relié à Dieu : son nom (13 fois6), sa parole (2 fois7), sa magnificence (1 fois8), mais
aussi tout ce qui lui est dédié, espace (montagne, sanctuaire, dont le Temple avec son Saint et
son Saint des Saints), temps (sabbat, Pâque et autres fêtes), ou objets (Arche d’Alliance,
vêtements sacerdotaux, huile pour les onctions…). Mais c’était aussi le cas de sa « nation
sainte », comme le désigne une première fois le Livre de l’Exode9, ou « peuple saint10 ». La
chose relève tellement de l’évidence que l’expression la plus usitée par la Bible est « les
saints11 » ou « ses saints12 » tout court, au sens de « consacrés » ou « mis à part [pour
Dieu]13 », toutes ces expressions distinguant fortement les Juifs des autres nations14.
Il arrive toutefois que le qualificatif de « saint » soit attribué à un
homme en particulier ou à un groupe déterminé : il désigne alors Aaron, premier Grand
prêtre15, le roi David16, les Lévites17, un prophète18, ou un nazir19. Dans les visions de Daniel
rapportées par le livre éponyme, un autre personnage saint doit être identifié à un ange 20.
Malgré tout, ce qui confère la sainteté à tous ces personnages, comme aux objets, n’est pas
leur qualité ou leurs mérites propres, mais le contact autorisé avec le divin, seule source de
sanctification : contact direct des anges avec Dieu ; permission accordée à Aaron en tant que
Grand Prêtre de pénétrer dans le Saint des Saints ; contact liturgique par les sacrifices
6
Lv, 20, 3 ; 22, 2 ; 22, 32 ; 1 Chr., 16, 10 ; 16, 35 ; 29, 16 ; Ps. 33, 21 ; 99, 3 ; 103, 21 ; 105, 3 ; 106, 47 ; 111, 9 ;
145, 21.
7
Ps. 105, 42 ; Jr, 23, 9.
8
2 Chr., 20, 21.
9
« ( » קָ ֑דֹוׁש וְ ג֣ ֹויqāḏōwōš wəḡōw : Ex., 19, 6).
10
« ( » קְ ד ִֹֽׁׁשים עַם־qəḏōšîm am : en plus des passages du Deutéronome cités par la suite, on trouve cette même
expression in Is., 62, 12 ; 63, 18 ; Dn, 8, 24 ; 12, 7.
11
« qəḏōšîm » (Lv, 19, 2 et équivalents in Nb, 15, 40 ; Dt, 33, 3 ; Jb, 5, 1 ; Ps. 16, 3 ; Ps. 34, 10 ; 89, 6 ; 89, 8 ; Is.,
4, 3 ; Dn, 7, 18 ; 7, 21 ; 7, 22 deux fois ; 7, 25 ; 7, 27). On trouve aussi le singulier « qōḏeš » utilisé comme un
collectif désignant Israël dans son entier (Jr, 2, 3).
12
« ( » ֲ֝חס ְידךḥăsîḏeḵā : 2 Chr., 6, 41 et équivalents in Ps. 16, 10 ; 37, 28 ; 50, 5 ; 52, 11 ; 79,2 ; 97, 10 ; 116, 15 ;
132, 9 ; 132, 16 ; 145, 10 ; 148, 14 ; 149, 1 ; 149, 5 ; 149, 9 ; Pr., 2, 8. On trouve aussi « ( » ל ְמקֻ דָ ָ ׁ֑שיlimquddāšāy,
« ses sanctifiés » : Is., 13, 3 ; 16, 3).
13
On trouve aussi quelques variantes : « Hommes saints » ( ֹֹ֖קדֶ ׁש וְ אַ נְ ׁשֵׁ י־, qōḏeš wə’an·šê : Ex., 22, 30 et équivalent
in Nb, 16, 7) ; « troupeau saint » (כְ ֹ֤צ ֹאן ָ ִֽׁקדָ ׁשים, kəṣōn qāḏāšîm : Éz., 36, 38) ; ou « descendance sainte » ( ֹֹ֖קדֶ ׁש זֶ ֶַ֥רע,
qōḏeš zera‘ : Is., 6, 13).
14
« Dans la perspective de l’AT [Ancien Testament], le genre humain se divise en deux parts, auxquelles le
langage biblique tend à réserver des appellations différentes […]. La distinction n’est pas seulement ethnique ou
politique, mais avant tout religieuse : les nations, ce sont à la fois ceux qui "ne connaissent pas Yahweh" (les
païens) et ceux qui ne participent pas à la vie de son peuple (les étrangers) » (JOSEPH PIERRON & PIERRE GRELOT,
Nations, VTB, col. 815).
15
Ex., 9, 21 ; Ps. 106, 16.
16
Ps. 89, 20.
17
2 Chr., 23, 6 ; 31, 18 ; Esd., 8, 28 ; Éz., 42, 14.
18
Il s’agit en l’occurrence d’Élisée, « un saint homme de Dieu » (ֱֹלהים איׁש
ֹ֖ קָ ֣דֹוׁש א, qāḏōwōš ’ĕlōhîm ’îš, : 2 Rs, 4,
9).
19
Consacré perpétuel ou temporaire à Dieu (Nb, 6, 5).
20
Dn, 4, 10 ; 4, 20 ; 8, 13 (deux fois).
3
effectués par les lévites ; contact spirituel pour les prophètes et les nazirs. Un texte frappant
montre à quel point cette idée d’une sainteté se transmettant par contact avec le divin était
ancrée dans les conceptions vétérotestamentaires :
« Et quand [les sacrificateurs] sortiront dans le parvis extérieur, dans le parvis extérieur vers le
peuple, ils ôteront leurs vêtements dans lesquels ils auront fait le service et ils les déposeront dans
les cellules saintes [הַ קֹֹ֑ דֶ ש ְב ֹֽל ְש ֹֹ֣כת, haqqōḏeš bəlišḵōṯ]. Et ils revêtiront d'autres vêtements afin de
ne pas sanctifier le peuple par leurs vêtements. »
Éz., 44, 19.
Avec l’Incarnation, tout devait changer. Désormais, on pouvait non seulement voir, mais
toucher Dieu. Cela devait avoir des conséquences très importantes, et à vrai dire paradoxale,
sur la conception de la sainteté : alors que l’on ne pouvait pas accéder matériellement à Dieu,
on avait de la sainteté une conception pour ainsi dire matérielle ce qu’exprimait la sainteté
conférée aux objets et personnes entrés en contact avec Dieu ; désormais, alors que chacun
pouvait accéder matériellement à Dieu se dégagea une conception spirituelle de la sainteté
qui évitait de réduire le Christ à une personne humaine. Ainsi, lorsque qu’il dit « ne donnez
pas ce qui est saint [τὸ ἅγιον, to hagion] aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les porcs,
de peur qu'ils ne les foulent à leurs pieds et que, se retournant, ils ne vous mettent en
morceaux » (Mt, 7, 6), l’image choisie renvoie certes aux viandes du sacrifice ― image qui a
dû naturellement venir à l’esprit de l’assistance ―, pourtant il est clair que ce n’est pas de cela
dont il est question ici mais plutôt de l’enseignement du Christ, lequel, plus haut dans le même
évangile, avait rappelé un autre enseignement, extrait du Deutéronome (Dt, 8, 3) :
« Il est écrit : "L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche
de Dieu" »
Mt, 4, 4.
Dans cette perspective, même si c’est dans l’Apocalypse selon saint Jean que résonne le plus
fortement l’écho de cette vision nouvelle d’une sainteté toute spirituelle21, la fin du récit de
la Passion par saint Mathieu constitue comme une sorte de transition entre les visions vétéro
et néotestamentaires de la sainteté :
« Et Jésus, ayant encore crié d'une voix forte, rendit l'esprit. Et voici, le voile du Sanctuaire se
déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas. Et la terre trembla, et les rochers se fendirent, et les
tombeaux s'ouvrirent, et beaucoup de corps des saints [ἁγίων, hagiôn] endormis ressuscitèrent.
Et étant sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la sainte ville [ἁγίαν πόλιν,
hagian polin] et apparurent à beaucoup. Et le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus, ayant
vu le tremblement de terre et ce qui venait d'arriver, eurent une très grande peur et dirent :
"Véritablement, celui-ci était Fils de Dieu." »
Mt, 27, 51-54.
Désormais, c’est l’humanité dans son ensemble, rachetée par le
sacrifice de la Croix, qui avait été touchée par Dieu, pas seulement quelques personnes
privilégiées, et la sainteté de Dieu s’était répandue à travers toute sa Création rachetée. Dès
lors, la voie était ouverte à la reconnaissance d’une sainteté personnelle conçue comme l’effet
de la Grâce Divine saisissant une âme s’étant entièrement ouverte à elle : c’est ce
qu’expriment par exemple les œuvres ayant représenté la Transverbération de sainte Thérèse
21
Ap., 8, 3-4 ; 11, 18 ; 22, 11.
4
d’Avila, dont une, sublime, due au Bernin (1645-1652).
Se posa alors la question de savoir comment l’on reconnaîtrait
une telle sainteté. Dans un premier temps, on regarda le martyre de sang comme son sceau
unique, avec une exception notable, saint Jean, auquel sa double qualité d’Apôtre et
d’évangéliste suffisait à ce qu’il fût considéré comme un saint. Mais quand le martyre s’éloigna
pour un temps de la chrétienté, après que Constantin, récemment converti, eut imposé son
pouvoir sur la totalité de l’empire romain, soit en 324, le problème de la reconnaissance de la
sainteté se posa de nouveau : en effet, l’édit de Milan (313), qui avait accordé la liberté de
culte aux chrétiens, pouvait désormais faire pleinement son effet en mettant fin aux
persécutions et, par là-même au martyre de sang, qui ne frappa plus que de rares chrétiens
dans des circonstances très particulières, par exemple en 678 ou 679, saint Léger d’Autun,
victime d’un règlement de compte de la part du maire du palais neustrien, Ebroïn, réputé pour
sa brutalité. Or, entretemps, l’habitude s’était prise d’inclure des reliques des saints dans les
autels avant de les consacrer : à une époque où le christianisme connaissait un essor
spectaculaire, et où, de surcroît, on ne démembrait pas les corps des saints qui avaient déjà
subi tant d’outrages, la disparition du martyre de sang posa un problème.
Dans ce contexte, la décision de Sulpice Sévère d’écrire la Vie de
« saint Martin » apporta une solution inespérée22 : malgré tout, elle fut regardée par
l’épiscopat gaulois comme une initiative fort mal venue, ce qui montre bien que l’explication
fonctionnaliste selon laquelle Sulpice Sévère aurait écrit cette Vie en vue régler un problème
pour ainsi dire matériel qu’aurait rencontré l’Église ne tient pas. Dit plus brutalement, elle n’a
pas fabriqué des saints parce qu’elle en aurait eu besoin, mais, parce que, de fait, Sulpice
Sévère avait démontré que la sainteté était certes martyriale, mais au sens d’un témoignage
rendu à Dieu qui ne se limitait pas au don brutal de sa vie en un moment donné, comme le
martyre de sang, mais pouvait prendre désormais la forme d’un don quotidien de toute sa vie,
goutte à goutte. L’entreprise était d’autant plus osée que ledit Martin, fils de soldat et ayant
lui-même mené une longue carrière militaire, l’avait poursuivie après son baptême : ce qui,
pour un simple chrétien était déjà mal vu, pour un évêque, de surcroît métropolitain, était
tout simplement scandaleux, et amena Sulpice Sévère à pieusement rendre brumeuse la
chronologie des premières années de la vie de saint Martin. Il n’empêche que la ferveur
populaire ne voyait pas les choses de la même façon, et après avoir imposé à l’épiscopat
gaulois un confrère dont il ne voulait pas, elle lui imposa de lui ériger ce que devait être pour
longtemps le plus important sanctuaire d’Occident après Saint-Pierre de Rome. Pourtant, les
deux premiers successeurs de saint Martin de Tours… dont un de ses anciens moines (Brictius),
avaient tout fait pour éteindre cette ferveur, mais ils ne purent rien contre les miracles qui se
multipliaient auprès du tombeau du saint.
Entretemps, l’épiscopat gaulois, conscient qu’il ne gagnerait pas
la partie face à une ferveur populaire qui s’étendait à l’échelle de l’Europe occidentale, avait
trouver un saint comparable en de nombreux points à Martin de Tours, mais beaucoup plus
présentable à ses yeux : Germain d’Auxerre. Haut fonctionnaire romain n’ayant jamais servi
dans l’armée, issu d’une famille gauloise prestigieuse, il était unanimement apprécié de ses
confrères. Sa Vie écrite entre 480 et 490, fut conçue par son auteur, Constance de Lyon,
« Libellum quem de uita sancti Martini scripseram » (le petit livre que j’avais écrit sur la vie de saint
Martin : SVLPICIVS SEVERVS, Vita Martini, dédicace).
22
5
comme un contrefeu à la Vita Martini composée par Sulpice Sévère un peu plus de trois quarts
de siècle avant, en 397. Constance de Lyon fit merveille, sans que l’on puisse à aucun moment
l’accuser d’avoir forgé quoi que ce fût dans la Vita Germani Autissiodorensis. Dans celle-ci,
plus que dans tout autre — à part la Vita Martini, justement —, l’enjeu était si grand que
Constance de Lyon n’aurait jamais couru le risque que son témoignage pût être mis en doute :
sa chance fut que saint Germain d’Auxerre avait effectivement été lui aussi un personnage
hors norme.
Si la Vita Germani Autissiodorensis ne connut pas une diffusion
aussi large que la Vita Martini, et saint Germain un culte aussi populaire que celui rendu à
saint Martin, son impact fut appréciable. Mais l’important n’est pas là : en soutenant la
diffusion de la Vita Germani Autissiodorensis et du culte de saint Germain, l’épiscopat rendait
les armes : Sulpice Sévère avait gagné, il avait réussi à imposer une nouvelle forme de sainteté,
fondée sur l’héroïcité des vertus. La sainteté nouvelle était née, il ne restait plus qu’à lui
donner le cadre qu’elle ignora longtemps. Comme l’a admirablement démontré André
Vauchez, l’Église s’y employa entre 993 et 1738, en réservant progressivement la procédure
de canonisation (mot apparu au début XIe siècle) au seul souverain pontife, et en en précisant
tout aussi progressivement les étapes.
Le débat suscité chez les historiens par la sainteté
Alors même que l’histoire en général et l’hagiographie, venaient
d’être constituées comme sciences, respectivement par le moine mauriste Dom Jean Mabillon
en 1681 et par le jésuite belge Jean Bolland en 160723, ce sont pourtant les écrits du Parti
philosophique qui prévalurent un siècle après : que l’on songe par exemple au Charles XII de
Suède (1731) ou au Le siècle de Louis XIV (1751) de Voltaire. Le temps était au libertinage et les
saints étaient passés de mode, alors que les écoles bollandiste et mauriste avaient pourtant
permis de redonner leur vigueur historique aux écrits hagiographiques en les distinguant des
légendes qui avaient fini par les défigurer. Au siècle suivant, la puissance de l’Église ayant été
considérablement affaiblie par la Révolution française, avant d’être mise sous tutelle par
l’Empire, le rationalisme triompha sous la forme positiviste que lui avait conféré Auguste
Comte : il y eut quelques hirondelles qui firent quelques printemps, parmi lesquelles la plus
marquante fut sans conteste Le Génie du christianisme de François-René de Chateaubriant,
composé en exil mais publié en France en 1802.
Malgré tout, le rationalisme ambiant qui avait pris dès l’Empire
le contrôle de l’Université napoléonienne, avait achevé de conquérir l’esprit de cette large
partie des élites qui n’avait pas cédé aux sirènes du romantisme, et il imposa sa loi dès les
années 1840. C’est en effet à cette époque qu’Auguste Comte, de retour à Polytechnique ―
dont il avait été paradoxalement chassé sous l’Empire ―, y assura le cours de philosophie, et
diffusa le concept de positivisme reposant lui-même sur la « loi des trois états », états par
Dom Mabillon établit les règles de l’analyse critique des textes dans son De re diplomatica, qui est à l’origine
de la discipline scientifique que l’on appelle « la diplomatique ». La Société des bollandistes, fondée à Anvers (où
se trouve la maison professe des jésuites en Belgique), est la plus ancienne société savante belge toujours en
activité. Elle publia les Acta Sanctorum de 1643 à 1925.
23
6
lesquels le champ de la connaissance était réputé passer (théologique, métaphysique, positif)
et qui correspondrait aux âges de la vie (enfance, adolescence, âge adulte). Le positivisme se
définissait lui-même comme une méthode d’élaboration d’un savoir sûr, pour ainsi dire
infaillible, s’en tenant aux faits et aux relations qu’ils entretiennent, sans référence aucune
aux causes premières. Par nature, tout le champ religieux était révoqué, et les historiens
rationalistes enfermèrent alors l’Église dans un cercueil auxquels toutes les manifestations
liées marquées au sceau de l’irrationnel servirent de clous, comme les bûchers de sorcières,
l’usage de l’excommunication, les croisades, l’Inquisition… et le miracle. Or, depuis que la
procédure de canonisation avait été mise en forme, l’Église avait rendu presque nécessaire
l’authentification de miracles post mortem pour la reconnaissance de la sainteté24.
C’est ainsi que la sainteté, déjà passée de mode à partir de la
moitié du
siècle, devint persona non grata de l’histoire à partir de la moitié du XIXe, au
titre qu’elle aurait été l’expression même de l’irrationalité censée caractériser l’Église dans
son ensemble. Sortir de cette ornière où la sainteté avait échoué ne fut pas simple. Un
événement parfaitement inattendu y fut pour beaucoup : en 1924, celui que l’on imaginait
être le plus rationaliste des historiens du temps, et qui reste jusqu’à nos jours un maître à
penser, Marc Bloch, publiait son Les rois thaumaturges. La planète Histoire en trembla jusque
dans ses fondements les plus profonds, tant la démonstration de Marc Bloch était solide : voilà
qu’en pleine IIIe République laïque, l’éminent médiéviste démontrait que les rois de France
avaient constitutivement opéré des miracles, et que ce fait était incontestable alors même
que le récit ayant fondé cette tradition était incertain ! Marc Bloch avait beau conclure que
lesdits miracles avaient effectivement eut lieu parce que la ferveur populaire l’avait désiré,
l’argument ne servit qu’à sauver la face, personne n’en étant dupe. Le long silence gêné de la
communauté des historiens et le retour de la guerre firent le reste pour enterrer un cadavre
gênant qui menaçait de reprendre vie.
XVIIIe
Il fallut beaucoup de persévérance aux premiers historiens qui
repartirent à l’assaut des sources hagiographiques, et non moins de prudence, pour que leurs
travaux fussent reçus par la communauté scientifique. Pour cela, ils centrèrent leurs
recherches sur les realia dont les textes hagiographiques s’étaient fait l’écho : on ne peut
même pas dire qu’il s’agissait de faire une histoire de la sainteté sans saints, car la sainteté
n’était en aucun cas l’objet de ces études pionnières ― d’ailleurs admirables en elles-mêmes
―, mais, dans une approche clairement positiviste, les faits bruts que l’on pouvait glaner dans
les œuvres hagiographiques : la voie fut ouverte, la même année 1982, par le Die Gallische
prosopographie de Martin Heinzelmann, et le lancement par Henri-Irénée Marrou de la
Prosopographie chrétienne du Bas Empire, puis en 1986, par le lancement de la Topographie
chrétienne des cités de la Gaule sous la direction et de Nancy Gauthier et Jean-Charles Picard ;
André Vauchez en 1981, Brigitte Beaujard en 2000, et Édina Bozóky en 2007, franchirent par
la suite une étape supplémentaire en assimilant à ces realia ce qui avait trait au culte des
saints. Seuls les travaux de Marc van Uytfanghe étaient entrés de plain-pied dans le champ
hagiographique, depuis 1976, mais ce chercheur faisait alors figure d’exception, et, en dernier
Il existe toutefois la possibilité d’une telle reconnaissance sans miracles post mortem, que l’on dit
« équipollente » (qui égale en valeur), définie entre 1734 et 1738, par le traité De seruorum Dei du pape Benoît
XIV. Il fallait toutefois prouver que la personne canonisée par cette voie ait accompli des prodiges de son vivant,
notion plus vague. Il n’est certainement pas indifférent que cette procédure ait été imaginée à une époque où le
libertinage gagnait les esprits en Europe occidentale.
24
7
ressort, on pouvait rattacher tous ses travaux au culte des saints, ce qui les rendait
acceptables. Toutefois, il faut relever que le titre de la thèse d’André Vauchez, La sainteté en
Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, sonna déjà comme un défi, alors qu’elle portait
sur l’histoire de la canonisation.
Parallèlement, une autre voie avait été ouverte par la création
de la collection « Sources chrétiennes » des éditions du Cerf, qui se spécialisa dans l’édition
scientifique bilingue de sources25, en poussant ses exigences à un niveau qui n’a pas été
dépassé depuis et n’a guère d’équivalent : fondée en 1942 par quatre jésuites26, appuyée sur
un Institut homonyme lui étant entièrement dédié, et une association d’amis, elle fut illustrée
dès son origine par des savants de tout premier rang, dont Henri-Irénée Marrou, qui
contribuèrent à en faire une collection de référence. À la façon d’un double défi à l’occupant
allemand et au rationalisme ambiant, le premier volume publié par les Sources chrétiennes
fut le Βίος Μούσεως (Vie de Moïse) un ouvrage de théologie mystique dû à Grégoire de Nysse
qui revendiquait clairement les sources juives du christianisme. Toutefois, contrairement à ce
que son titre laisse penser, il ne s’agit pas d’une Vita sancti. Signe d’une certaine résistance
de la communauté scientifique, il fallut attendre 1962 et le volume 90 pour qu’une véritable
Vita sancti fût éditée par les Sources chrétiennes : il s’agît du Βίος της Αγίας Μελάνης της
Ρωμαίας (Vie de sainte Mélanie la Romaine), consacré à une pieuse et riche romaine ayant
vécu à la charnière des IVe et Ve siècles plus connue en Occident comme sainte Mélanie la
Jeune. S’étant imposée d’entrée de jeu comme une collection de référence, les Sources
chrétiennes offraient tout d’un coup d’immenses champs d’études aux historiens. Ils s’en
saisirent.
Dépasser un débat devenu stérile
Nous avons proposé pour notre part de franchir une dernière
étape en faisant de la sainteté même un objet d’histoire dans notre Martyres pacis publié en
2016. Notre propos était de démontrer qu’en dépeignant la vie des saints, les auteurs des Vitæ
sanctorum avaient laissé un témoignage parfaitement exploitable et même parfois très fiable.
Pour cela, nous avons limité notre champ d’étude à la Gaule, du fait de sa cohérence spatiale,
et aux IVe-VIe siècle, parce que c’est le moment où s’est constituée la sainteté nouvelle, ce qui
avait par ailleurs l’avantage de conférer aux Vitæ sanctorum, une certaine fraîcheur. Sur le
conseil de Brigitte Beaujard, nous avons par ailleurs fait le choix de ne retenir que des Vitæ
sanctorum contemporaines des saints, au double sens de rédigées par des contemporains et
diffusées de façon contemporaine, deux critères qui se sont révélés déterminants.
En effet, compte-tenu de l’enjeu qu’a représenté à l’époque la
volonté des auteurs d’imposer un nouveau modèle de sainteté accueilli avec beaucoup de
réticence par l’épiscopat, ces auteurs ne pouvaient pas se permettre le luxe d’enjoliver un
récit que quantité de témoins encore vivants auraient eu la plus grande facilité à démentir.
25
Grec ou latin, et français : auparavant, la Patrologia latina puis la Patrologia græca, programmes lancés
respectivement en 1844 puis 1857 par l’abbé Jacques-Paul Migne, et enfin les deux séries (Latina, Græca) du
Corpus christianorum, programme lancé en 1951 par les moines bénédictins de Turnhout, avaient offert des
éditions dans les langues d’origine.
26
Victor Fontoynont, Jean Daniélou, Henri de Lubac et Claude Mondésert.
8
Notre travail a alors consisté à démontrer que les réductions sociologique et typologique
auxquelles on n’a pas manqué de soumettre les Vitæ sanctorum ne résistent pas à l’analyse,
même si elles avaient eu leur utilité pour rappeler qu’une Vita sancti est aussi une construction
et pas nécessairement un reflet fidèle de ce que fut la vie des saints. Nous avons alors fait
remarquer que cette difficulté n’était pas inhérente au genre hagiographique mais propre à
toutes les sources littéraires utilisées par les historiens et que, si l’on appliquait à ces sources
la même approche hypercritique que l’on prétend appliquer aux seules productions
hagiographiques… il faudrait tout simplement renoncer à faire de l’histoire !
À la suite de Marc van Uytfanghe — dont nous reprenons ici les
mots —, nous avons en effet fait apparaître que nos sources répondaient à tous les critères
permettant de les considérer comme des sources historiques aussi valables que d’autres, les
auteurs de Vitæ sanctorum ayant eux-mêmes insisté sur « la véracité (c’est-à-dire le caractère
non fictif) de leurs récits [face aux] doutes, à l’incroyance et à la detractatio que rencontrent,
parmi leurs contemporains, beaucoup de saints thaumaturges du Haut Moyen Âge 27 ». À
quelques exceptions facilement identifiables (en particulier les œuvres de Venance Fortunat,
très marquées par leur volonté de mettre en avant l’art littéraire de leur auteur), nous avons
en effet pu vérifier que les auteurs de Vitæ sanctorum de notre corpus ont réellement eu ce
souci de véracité, et nous sommes trouvé d’accord avec Martin Heinzelmann qui parle de la
« véracité subjective des récits [de miracles28] », si l’on comprend l’adjectif « subjectif » non
dans le sens relativiste ou réductionniste que lui a attaché la philosophie moderne mais au
sens étymologique de « lié au sujet [rapportant le récit] ». Si on en avait douté, le même
Martin Heinzelmann ajoutait que « à la suite de travaux personnels, il me semble possible
d’affirmer que "certaines données biographiques" ont souvent une base solide, même si les
indications des Vitæ semblent douteuses par ailleurs29 ».
En effet, on relève dans les Vitæ sanctorum de très nombreux échos aux
recommandations méthodologiques posées comme des principes par les fondateurs du genre
historique, Hérodote ― bien meilleur historien qu’on ne le dit ― et Thucydide, dont personne
n’a remis en cause les enseignements sur ce point. Voici quelques illustrations de notre
propos :
• nécessité de croiser les informations :
« In his autem qui meminit sine ambiguitate suo testimonio populum nobis attulit assentantem,
cum certe de eius præteritis dubitare non liceat qui operatur in singulis cotidie clariora. »
« Pour celles [des choses] dont il [un ancien proche de saint Aubin d’Angers] se souvenait
clairement, il nous fournit des gens pour appuyer son témoignage, car en vérité il n’est pas permis
de jeter le doute sur le passé de celui qui, en tout, opère chaque jour les faits les plus éclatants. »
Vita Albini, 4.
27
Van Uytfanghe, 1981, p. 205.
Heinzelmann, 1981, p. 247. Martin Heinzelmann ajoute au même endroit, à propos d’un cas particulier, que l’
« on n’insistera jamais assez sur le caractère actuel des récits dont il était question à propos des miracles écrits
par Grégoire de Tours, et qui est encore davantage souligné, expressis uerbis, dans un grand nombre de
prologues ». Cela aurait rendu difficile la falsification des faits, ce qui, de toute façon, n’était pas dans l’intention
de l’évêque historien de Tours.
29
Heinzelmann, 1976, p. 79.
28
9
• nécessité de ne s’en tenir qu’au nécessaire, sans broder... même s’il faut avouer que la
lourdeur du verbe n’est pas ici à la hauteur de l’argument :
« Ea dumtaxat quæ minus onerent et sint a prolixitate submota [...]. Meretur siquidem hoc et Christi
uirginum pura sinceritas, ut nihil fucatum, nihil mundana arte conpositum aut oculis earum
offeratur aut auribus placiturum, sed de fonte simplicis ueritatis manantia purissimæ relationis
uerba suscipiant. »
« Nous nous en sommes tenus aux traits moins fastidieux et exempts de prolixité [...]. D’ailleurs la
pureté sans tache des vierges du Christ mérite elle aussi que rien de fardé, rien d’arrangé par un
art mondain en vue de plaire, ne soit offert ni à leurs yeux ni à leurs oreilles, mais qu’elles reçoivent
plutôt les paroles d’un récit tout naturel, coulant de la source de la simple vérité. »
Vita Cæsarii I, 1, Marie-José Delage & Marc Heijmans trad.
• et surtout, nécessité de recueillir les informations de témoins directs et dès que possible,
pour éviter que le temps ne fasse son œuvre de destruction :
Hæc enim pæne omnis ciuitas ; tamen quæ dicimus, magnificentissimo uiro ipso referente, cum
lacrimis et grandi admiratione uirtutis uiri sancti cognouimus.
« Cette [histoire de la guérison miraculeuse du patrice Libère] presque toute la ville [la connaît], en
effet. Cependant, ce que nous en disons, nous le tenons de cet excellentissime homme lui-même qui,
dans les larmes et avec une grande admiration pour les miracles du saint homme [Césaire d’Arles]
nous l’a fait connaître. »
Vita Cæsarii II, 10.
On ne croira pas qu’il s’agit là d’exceptions, car, en réalité, les Vitæ sanctorum
fourmillent de déclarations d’intention de ce type. De tout cela, nous avons donné de
multiples illustrations dans nos travaux, ce qui nous a permis, en particulier pour ce qui a trait
à la question du miracle, de montrer que, compte-tenu de l’enjeu, les auteurs de Vitæ
sanctorum ont fait preuve d’une exigence que l’on dirait scientifique de nos jours, et qui
confine même au scrupule.
Michel FAUQUIER
Professeur d’histoire de l’Antiquité Tardive et du Haut Moyen-Age à l’ICES (La-Roche-sur-Yon)
Membre du Comité scientifique de l’ICES
Membre du CRICES (Centre de Recherche de l’ICES)
Chercheur associé à l’Université de Poitiers (CESCM)
Abréviations
ACHCByz : Association des amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance
http://achcbyz.com/achcbyzV2).
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique (Paris).
EFR : [collection de l’] École Française de Rome (École Française de Rome).
Francia : Francia : Forschungen zur westeuropäischen Geschichte (Sigmaringen, Thorbecke).
RHÉF : Revue d’histoire de l’Église de France (Paris, Letouzey & Ané).
R. P. : révérend père.
VTB : R. P. XAVIER LEON-DUFOUR &, Vocabulaire de théologie biblique, rééd., le Cerf, Paris, 2013.
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10
Cerf, Paris, 2000.
BLOCH MARC, Les Rois thaumaturges : Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale
particulièrement en France et en Angleterre, Istra, Paris/Strasbourg, 1924.
BOZOKY ÉDINA, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis, Beauchesne, Paris, 2007.
FAUQUIER MICHEL, "Martyres pacis" : La sainteté en Gaule à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge ( IVe-VIe
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HEINZELMANN MARTIN, L’aristocratie et les évêchés entre Loire et Rhin jusqu’à la fin du VIIe siècle, La christianisation
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