Academia.eduAcademia.edu

2024. Etudes dans l'Ancien Testament - Studies in the Old Testament

2024, Collected essays

Plus qu’un livre ou une collection de livres, l’Ancien Testament est un monde. Il raconte une histoire, celle de l’Ancien Israël, sur près de deux millénaires, à partir de la fin du 3e millénaire ou du début du 2e si l’on peut se risquer à dater les origines de ce peuple à partir de l’époque des patriarches. Cette histoire, il la raconte par des mots, en utilisant les moyens disponibles à l’époque : mythes, légendes, épopées, mais aussi documents d’archives (les annales ou chroniques des rois par exemple). Mais au-delà des mots, il décrit la trajectoire d’un peuple dans son environnement socioculturel, religieux et politique. Son caractère de livre sacré a souvent fait oublier que cet ensemble de texte, et toute la Bible en général, porte lui-même cette histoire, à la fois sacrée et profane, religieuse et politique, avec parfois ses incohérences et ses contradictions. C’est bien là la particularité et le charme de ce livre plus que bimillénaire...

ÉTUDES DANS L’ANCIEN TESTAMENT STUDIES IN THE OLD TESTAMENT Jean Koulagna Études dans l’Ancien Testament Studies in the Old Testament– collected essays Ngaoundéré, 2024 Études dans l’Ancien Testament – Studies in the Old Testament  2024 Presses universitaires du Plateau – The Plateau University Press Ngaoundéré (Par Lulu Press) ISBN : 978-1-4452-7029-6 Tous droits réservés – All rights reserved. Distribué par l’auteur, Institut luthérien de théologie, B.P. 09 Meiganga, Cameroun Email : pup@koulagna.com, jean@koulagna.com, pastojean@gmail.com Téléphone : +237 694 10 63 31 ; +237 674 97 85 74 Toute Écriture est inspirée de Dieu… et elle s’inscrit dans l’histoire des hommes. En guise d’introduction Plus qu’un livre ou une collection de livres, l’Ancien Testament est un monde. Il raconte une histoire, celle de l’Ancien Israël, sur près de deux millénaires, à partir de la fin du 3e millénaire ou du début du 2e si l’on peut se risquer à dater les origines de ce peuple à partir de l’époque des patriarches. Cette histoire, il la raconte par des mots, en utilisant les moyens disponibles à l’époque : mythes, légendes, épopées, mais aussi documents d’archives (les annales ou chroniques des rois par exemple). Mais au-delà des mots, il décrit la trajectoire d’un peuple dans son environnement socioculturel, religieux et politique. Son caractère de livre sacré a souvent fait oublier que cet ensemble de texte, et toute la Bible en général, porte lui-même cette histoire, à la fois sacrée et profane, religieuse et politique, avec parfois ses incohérences et ses contradictions. C’est bien là la particularité et le charme de ce livre plus que bimillénaire. L’Ancien Testament, c’est en effet le témoignage polyphonique d’un peuple qui dit sa foi en un Dieu qui fait et conduit l’histoire. L’épisode de la rencontre entre ce Dieu et Moïse près du buisson ardent dans Exode 3, me semble-t-il, résume cette théologie. À la question de savoir comment s’appelle ce Dieu qui l’envoie auprès des Hébreux d’Égypte pour les libérer, Dieu se contente de dire : « Je serai ce que je serai » (‫) ֶ ֶֽאהְ יֶה אֲשֶ ר ֶ ֶֽאהְ יֶה‬. Cette tournure au futur, que la traduction grecque a rendue par le présent : « Je suis celui qui est » (ἐγώ εἰμι ὁ ὤν), traduit toute l’idée du Dieu qui n’habite pas seulement parmi son peuple, mais qui chemine avec lui dans son 1 histoire, qui prendra une identité adaptée dans chaque contexte de cette histoire dont il est l’artisan et le maître. Ce corpus de textes est lui-même le produit d’une histoire complexe que tente de résumer la première partie de cet ouvrage. Depuis les traditions orales jusqu’aux canons, il est passé par bien des péripéties et a connu bien des destins. Les sources orales ou écrites, la composition, les différentes réceptions dont témoigne l’activité rédactionnelle, la transmission par recopiage ou par traduction dans d’autres langues que l’hébreu, la fixation par le canon, etc., témoignent d’un processus de production de cette Bible diversement reçue et interprétée, par les communautés croyantes comme par les non-croyants, en communautés religieuses ou simplement dans l’univers de la littérature. Révélation divine, elle est aussi le produit de l’activité des hommes qui l’ont formulée et transmise au fil des millénaires, jusque dans des livres sacrés d’autres religions que le judaïsme et le christianisme. Parole divine, elle est aussi parole humaine. La plupart des études rassemblées dans ce volume ont été déjà publiées dans des revues ou comme contributions dans des ouvrages collectifs issus de colloques et autres rencontres académiques et scientifiques ou non. J’ai estimé qu’il était utile de les reprendre en un volume dans lequel elles s’articulent les unes avec les autres et permettent d’apprécier une certaine progression dans ma recherche biblique depuis vingt-cinq ans. L’ouvrage participe ainsi, indirectement, de la célébration de vingtcinq ans d’enseignement et de recherche biblique. 2 Première partie : problèmes d’histoire du texte 3 4 Chapitre 1. L’Ancien Testament n’est pas tombé du ciel1 I. En guise d’introduction « La Bible n’est pas tombée du ciel », titrait Bernard Gillièron en 1988 pour son livre d’introduction à la Bible. Ce point de départ, qui peut être choquant pour plusieurs, est fondamental pour comprendre les textes de ce livre étonnant qui fonde la foi des juifs et des chrétiens. Elle permet de comprendre la notion et le mécanisme de la révélation, biblique en ce qui nous concerne ici. L’histoire de la révélation divine est plus longue que la Bible. Elle remonte à la nuit des temps. L’histoire de la Bible aussi remonte avant Israël, en Mésopotamie. Mais comment cette révélation est-elle devenue la Bible ? Comment l’Ancien Testament est-il né ? Comment Dieu at-il parlé et donné ces Écritures ? Les a-t-il dictées mot pour mot à des scribes assis comme dans une salle de dictée ? Ce sont les questions auxquelles cette étude essaiera de répondre. Un des objectifs de cette étude est, au-delà d’un savoir à acquérir, de permettre de prendre du recul par rapport à certaines certitudes et au caractère doctrinaire que ces attitudes peuvent colporter, faisant dire aux textes ce qu’ils ne disent pas nécessairement parce qu’ils sont détachés de leur contexte. La connaissance de l’histoire et des coulisses de la Bible n’est pas dangereuse ; elle permet de se rendre compte comment Dieu utilisent souvent nos pauvres moyens et notre faible perception pour communiquer sa Parole et se révéler. Cours dispensé sous le titre : « L’Ancien Testament, histoire d’une longue révélation de Dieu » au programme de formation des responsables des églises de maison (FOREM), Institut Al Mowafaqa, Rabat, le 24 novembre 2018. 1 5 II. Le terme « ancien testament » Les termes correspondants qu’on a traduits par « testament » sont beryth en hébreu et diathêkê en grec, qui signifient plutôt habituellement « alliance ». Le mot « testament » est venu de la bible latine (la Vulgate) qui a rendu les deux termes par testamentum. Pour les juifs, ce que nous appelons « ancien testament » dans le vocabulaire chrétien, c’est la Bible. Le mot « bible » vient du grec biblos, qui désignait au départ l’écorce intérieure du papyrus, avec laquelle on confectionnait un support d’écriture semblable à du papier. Plus tard, biblos a fini par désigner tout livre écrit, en rouleau ou en codex. Son diminutif, biblion, au pluriel ta biblia (les livres – en hébreu sefarim), transposé en latin par biblia, a donné le nom féminin la bible, en français2. La majuscule de b dans « Bible » relève du domaine confessionnel, la bible étant considérée comme un livre saint, la parole de Dieu. Dans le vocabulaire juif ancien, la bible désigne donc uniquement l’Ancien Testament et dans le langage de l’époque de Jésus, l’Ancien Testament est désigné par les écritures, expression initialement réservée à la troisième partie de la bible juive après la torah et les prophètes. Pour les qualificatifs « ancien » et « nouveau », ils appartiennent au vocabulaire chrétien, et ce depuis l’Église du 1er siècle. C’est Paul qui est le premier à en faire usage en 2 Co 3. Ce passage au féminin est dû à une erreur. À cause de la terminaison en « a » qui est le pluriel du neutre, la transposition latine a fait croire qu’il s’agissait d’un féminin. Finalement, l’erreur est devenue la règle : vous ne pouvez plus dire « le bible ». 2 6 14, dans un passage polémique : « Mais ils sont devenus durs d’entendement. Car jusqu’à ce jour le même voile demeure quand, ils font la lecture de l’Ancien Testament, et il ne se lève pas, parce que c’est en Christ qu’il disparaît ». Pour la première fois, les écrits canoniques juifs sont appelés « ancien testament », alors que le « nouveau » n’est même pas encore écrit. L’alliance avec Israël est vue comme ancienne par rapport à celle inaugurée par Jésus et proclamée lors de l’institution de la cène (Lc 22. 20 ; 1 Co 11. 25)3. III. De la Mésopotamie à Canaan L’Ancien Testament commence en Mésopotamie. Les premiers acteurs de l’Ancien Testament, c’est-à-dire les patriarches, viennent de cette région. Quelques passages en parlent : • La famille d’Abraham (son père Térach) est partie d’Ur en Chaldée (dans l’actuelle région du Golfe, en Irak). Gn 11. 31 : « Térach prit Abram, son fils, et Lot, fils d'Haran, fils de son fils, et Saraï, sa belle-fille, femme d'Abram, son fils. Ils sortirent ensemble d'Ur en Chaldée, pour aller au pays de Canaan. Ils vinrent jusqu'à Charan, et ils y habitèrent. » • La confession de foi d’Israël l’affirme aussi. Dt 26. 5 : « Tu prendras encore la parole, et tu diras devant le Seigneur, ton Dieu : Mon père était un Araméen nomade ; il Il faut remarquer cependant que Marc et Matthieu parlent du « sang de l’alliance », sans le qualificatif « nouvelle ». Pour eux, l’alliance du Christ s’inscrit dans le prolongement de celle de Moïse et il n’y a pas de rupture. C’est chez Paul et dans la tradition qui lui est liée (celle de Luc justement) que l’affirmation de la rupture est importante. 3 7