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Anne Prunier
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Toujours
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Photo de couverture de l’auteur
ISBN 978-2-36200-118-5
Prix : 12 Euros
Price : 7 Dollars
9 782362 001185
AnneBoubakary
PrunierDiakité
Abribat
Anne Prunier Abribat
Kaléidoscope
poétique
Anne Prunier Abribat
Kaléidoscope poétique
Tant qu’il y aura des hommes
Kaléidoscope poétique
Poèmes
Boubakary Diakité
Tant qu’il y aura des hommes
Poèmes
Avertissement
Arrête ! Referme ce livre tout de suite !
Surtout ne va pas plus loin ! ... à moins que... à moins que tu
acceptes de souffrir avec moi. Car je ne retoucherai pas cet
autoportrait que voici.
Plutôt, je zoomerai sur nos selfies jusqu’à l’imparfait, pour
révéler la seule vraie couleur de notre humanité.
Je te promets de m’ouvrir la tête pour braver la machette que
tiennent encore mon frère et ma sœur de sang, mon Frère-etma-Sœur des-débats-politiques-et-littéraires.
Moi, j’ai déjà pris connaissance avec les marécages rouges qui
coulent sous les Mille Collines et les forêts du Kivu.
Car moi, j’ai déjà essuyé la musique rouge qui tue, dans les
collines et sables rougis de Guitrozon et de Bossembélé, de
Bassam et de Yopougon, d’Abobo et de Williamsville.
Car moi, j’ai déjà rampé sur les dalles rouges du Bataclan
pour aider la musique à fuir par la fenêtre. Car moi, j’ai déjà
côtoyé la face de la haine rouge dans les rues de Ferguson et
de Chicago.
Car moi, j’ai souffert l’indifférence de mon voisin, couché
dans une flaque de fièvre-africaine-rouge-qui-fait-peur.
J’ai aussi repêché des enfants immobiles comme des
chaussures rouges et fières et neuves. Tu vois, j’ai perdu mon
innocence ! Nous avons tous perdu nos innocences !
Puisque je n’en peux plus, je m’en vais quémander de la
Poésie et de son lopin de tranquillité.
-Rejoins-moi si le cœur t’en dit.
!
2!
Puisqu’il faut écrire un poème
Je veux entonner une chanson
Pour souder tous ces sourires d’enfants
Déchiquetés par des débris des plats brisés par la faim
Qui enfonce des morceaux de peurs pointues
Dans les innocences des fillettes qui
Replient précipitamment
Leurs chants joyeux quand le ciel pleut des larmes de misère.
Il faut que j’en trouve la mélodie!
Je veux former une bande des vers
Pour gommer toutes les larmes de danseurs,
Interrompus rouges par les bras alourdis de versets mal appris
Qui aspergent des notes de peurs noires et de fer coagulé
Sur la poitrine d’innocents fêtards qui, pour ne plus danser,
Replient précipitamment
Le spectacle qui fera toujours mal même quand les guitares
blessées auront fini de traîner leurs cordes.
Il faut que j’en trouve le ton!
Je veux écrire des poèmes
Pour faire couler l’espoir des pleurs d’une mère
Abandonnée par une besace trop plate.
Alors que le reste du monde se la blingue-double,
Elle regarde soupirer ses enfants qui,
Pour ne pas pleurer,
Replient précipitamment
Un linceul si mince que le Néant n’en veut même plus.
Il faut que j’en trouve les la force!
!
4!
Je veux tracer des mots en sillons
Pour guider tous ces bateaux de fortune,
Débordant de rêves.
Traîtreusement, ils ont signé un pacte avec
Toutes les Mers Dévoreuses qui attendent
Patiemment des voyageurs qui,
Par peur de se voir flotter,
Replient précipitamment
Les sourires qui encore hier soir,
S’attardaient dans un coin encore
Chaud de leurs lèvres.
Je vais en trouver les moyens !
Je cherche à écrire un poème qui fasse
Chanter des mots
Dans une chorale où
Des verbes de verre
S’unissent
Avec des adjectifs de boue.
Pour éclabousser notre monde de surprises,
Ils se déplieront patiemment
En des vers qui poussent insolents et maladroits,
Arrogants ainsi que des fleurs mâles.
!
5!
Reçois ces mots…
A Mariam Diakité
Reçois ce bouquet de mots
Qui se suivent sur ces pages.
Des mots livres, des mots contes,
Des mots qui grenouillent et qui croissent en fleurs.
Des mots qui délirent, mauves comme la face colorée
D’une mauvaise mère qui se tord de mélancolie
Pour des enfants dont le ciel ne veut même plus !
Reçois mes phrases verticales et crues,
Avec leurs adverbes trop grillés, leurs adjectifs parfois mal cuits,
Leurs verbes extravagamment salés,
Ainsi que des tétons audacieux qui, d’une encre de sang
Nourrissent des idées noires qu’on balade en bord de Seine.
Ces mots, je les veux de tête comme des oracles,
Je les veux ouvreurs d’yeux, pour ausculter l’invisible.
Reçois ces mots mal peignés qui, sinon, finiront délinquants.
Pour toi, ils se sont sagement alignés en strophes,
Pour te faire tourner les yeux vers le manège des conforts
Qui ne poussent que dans les rondeurs égoïstes
Des bedaines qui gazent de lourdeur.
Reçois ces poèmes aux senteurs café.
Ils te tiendront éveillés lorsque tes nuits se feront noires
De l’absence des cœurs lisses qui crient et griffent.
Ils viendront à toi, mais ils seront de moi.
Gauches, plats, ridés comme des désordres
De surprises, mais encore parfaitement sages
A l’image des mystères qui glissent
Hors de la bouche d’une vieille conteuse
Qui sommeille.
!
6!
La plume qui brûle
Je suis le poète à la plume enfiévrée
Comme les poussées dentaires d’un premier-né.
Ne te laisse dérouter par la Rhumba*
Que dansent mes mots aux couleurs tropiques.
Malgré mes déhanchés aux allures de Tam-Tam,
Mes déhanchés aux rythmes de balafons,
Et mes pas de Coupé-Décalé*,
Je cours, insatiable, toutes les mélodies du monde.
Vois-tu, Frère-et-Sœur-du-Monde, ces vers-ci,
Je te les ai taillés à l’image du sourire de la muse
Que j’ai rencontrée, mythique, dans les couloirs du métro.
Vois-tu, ces poèmes-là, je les ai pondus
Le jour même où j’ai engrossé ma muse à l’endroit où
Le Danube bleu a pris rendez-vous avec la Lagune Ebrié,
Là même où le Mississipi a fait la connaissance des Grands Lacs.
Toi, Frère-et-Sœur-du-Monde, tu es libre de les tamiser
Aux commentaires que tu auras composés.
Mais empresse-toi d’oublier,
Ô Frère-et-Sœur-du-Monde, qu’ils viennent de moi.
Car moi, j’aurai déjà habité d’autres têtes
Et d’autres cœurs,
Lorsque ces poèmes t’auront atteint.
Car moi, je me serai déjà tranché
La plume
Pour qu’elle renaisse
En d’autres confessions poétiques
Lorsque tu auras refermé ce livre.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
*!Musique!et!danse!populaires!du!Congo!et!de!Côte!d’Ivoire.!
!
7!
Tant qu’il y aura des hommes
Tant qu’il y aura des paupières qui s’ouvrent au soleil matinal,
Il y aura des sérénades pour faire germer les désirs.
Tant qu’il y aura les désirs, nos cœurs troqueront leurs rides
Contre des joues sur lesquelles coulent des larmes encore lisses.
Tant qu’il y aura des larmes pour diluer nos tourments,
Il y aura l’oubli pour blanchir le fond de nos mémoires.
Alors aussi, il y aura la pluie et la graine en oubliera sa déprime.
Tant qu’il y aura la graine, notre terre en sera verte. Sur cette terre,
Il y aura la danse des corps qui font naître l’amour. Avec l’amour,
Suivra la transe qui assèche la lèvre. Pour assouplir cette lèvre,
Les mares glisseront hors de leurs lits. Et sur ces mares, flotteront
Nénuphars et grenouilles. Aussi longtemps que ces grenouilles
Resteront accroupies dans nos contes nocturnes, il y aura des rêves
A poings fermés et des princesses qu’on épie.
Tant qu’il y aura des Princesses, il y aura des Palais où se vautrent
Des bedaines qui s’enflent comme des corps qu’il faudra garder.
Tant qu’il y aura des corps apeurés, il y aura aussi des cris,
Et des battements de mains, et des doigts qui, en claquant,
Presseront sur les gâchettes. Et tant qu’il y aura des gâchettes pour
Tirer sur les foules à pain, il y aura le gâchis.
Contre le gâchis, marcheront Jeunesse et Justice, témoins
D’une vérité qui fleurit en des matins brillants et limpides
Comme un ciel de lait qui parle bas, un ciel qui parle lourd,
De peur d’éveiller des bébés qu’on dorlote.
Auprès des bébés, il y aura des femmes aux cheveux qui gémissent
Caressés par des hommes aux mains qui durcissent.
Tant qu’il y aura des hommes, il y aura la guerre.
Pour panser les blessures des hommes, des bébés et des femmes,
Il y aura la poésie.
!
8!
La naissance d’un poème
D’abord écho qui harcèle mon oreille gauche, et mes yeux
Et mes doigts. D’abord mélodies égarées, d’abord sons
Qui tiennent à peine debout, d’abord nonchalances aux figures
Décorées de bouts de musique qui s’égarent,
D’abord murmures qu’on entend à peine, d’abord morcelés
De phrases dont bourgeonnent des idées d’une mollesse désossée,
D’abord phrasés qui s'assemblent mal, Tu m’arrives.
Et puis, tu disparais, soudain !
Et puis, comme un morceau de madeleine mal cuite,
Tu reviens en serpentant des gribouillis dans les recoins
Obscurs de ma tête. Et puis, tu déclenches mes doigts. Et puis
Tu joues de mes cordes buccales, dans des rythmes qui se dansent
Hors de mon corps, hors de ma bouche, hors de ma tête.
Et, de lettres en lettres, de ratures en mots, de phrases en phrases,
Tu rampes, tu marches, tu cours. Et moi, je vogue sur l’encre
Qui flotte et glisse sur la feuille. Et puis tu te démultiplies en sons
purs, en mots impurs, en mots en transe et sans attaches. Et puis,
Tu m’agrippes et m’enfermes dans des espaces inattendus.
Et puis, Déesse Possessive, Charmeuse de Prince ! Tu me bats
En chœur, tu me bats en pieds, farouchement, obsédé-ment!
Et puis, tu t’éclipses quand mes yeux se font noirs
Et mes paupières se font lourdes comme la nuit qui tombe.
Et puis, à mon insu, tu invites Adjectifs et Verbes. Ensuite suit
Une suite d’Adverbes d’abord hésitants, d’abord nonchalants,
Qui poussent et tirent. Et moi ensuite, je m’y mets, d’abord passif,
Et puis massif, danseur dont la muse s’amuse, chorégraphe
Des délires espiègles. Ensuite mon corps écoute
Et ma tête suit tes danses, transe-formée de tes contagions…
!
9!
Et quand, séduite, la page s’étend là, sous mes yeux,
Et toi, mon poème encore en moi, mais en surface de peau,
Tu pousses, tu incites et tu insistes.
Enfin, moi contraint, mais encore incertain,
Enfin, moi avec mon œil en contraction et ma tête qui fait mal,
Enfin moi, la peur, la tête et la main conquises,
Enfin moi, j’ordonne:
« Les Noms, montrez votre volume! »
« Et vous Adjectifs, apportez les couleurs »
« Hé ! Verbes, marchez tout ce monde aux temps ! »
« Vous, Adverbes, placez-vous là ! »
« Attention, ici il y a désordre....»
« Attendez ! Ce désordre a de l’allure ! » .
« Métaphores, Métonymies et Autres, apportez masques et
mascara et grimez tous ces liens au quotidien, entourez les idées,
qu’elles n’aillent traîner sur les trottoirs ».
« De l’allure, de l’allure, restons dignes! On évite les platitudes!
Oui c’est cela ! »
« Vos masques ! Vos masques ! »
« Maintenant, sortons tous… en lignes. »
!
10!
Une orange pas trop bleue
Ma terre est une orange pas trop bleue,
Suspendue entre des bouts de petits matins
Et des hommes qui se regardent avec effroi.
Elle tourne folle comme une toupie tombée
De la poche d’un enfant qu’on tyrannise
Et qui, à force de poésie,
Parviendra à assembler les mélodies qui réveillent les anges.
Ma terre est une mangue pas trop boueuse,
Suspendue entre les clins d’œil d’une mère
Et les lettres d’amour qu’on déchire de colère.
Elle s’agrippe désespérément, sur la branche haute
D’un arbre qui a poussé seul dans la forêt
Et qui, à force de poésie,
Parviendra à capter la lumière qu’on lui verse depuis le ciel.
Ma terre est une banane pas trop penchée,
Suspendue entre les jambes qui fuient
Et les chemins qu’on écarte de force.
Elle glisse hors de sa peau jaune comme un lézard
Qui se cache loin du regard des hommes
Et qui, à force de poésie,
Parviendra à embrasser le soleil sans se brûler la langue.
Ma terre est un poème pas trop rond,
Perdu entre l’encre qui noircit
Et les pages qu’on tourne plus de sept fois dans la tête.
Elle rend l’aube au poète esseulé et têtu,
Et qui, à force de ratures,
Parviendra à trouver la mesure qui fait briller les étoiles.
!
11!
Vaste comme une tranche de ville
En un cercle vaste comme une tranche de ville,
Une tranche de ville qui grelotte d’ennui,
Ma plume déambule les ruelles du monde.
Parfois, elle s’assoit avec effroi,
Là où, dans une patience coupable,
Des peuples entiers attendent
Qu’on ait fini
De compter
Les moutons.
En un cercle vaste comme une tranche d’esprit,
Une tranche d’esprit joufflue comme la source
Des secrets du monde,
Mon encre coule encore parfois
En des lignes enragées.
Et mon encrier
S’en vide comme un fond de cœur
Qui tait une peine solitaire
Dans des corps que personne ne veut voir.
En un cercle vaste comme un lopin de cœur,
Un lopin de cœur large comme une couette de vers
Mon poème se déploie
Pour que nous la partagions, toi et moi.
Nous nous en couvrirons, toi et moi,
Lorsqu’abandonnés par les grelots sacrés,
Nous grelotterons ensemble
Les dents
En castagnettes.
!
12!
Confessions poétiques
Il faut que je te le confesse.
Moi, en réalité, je ne pense pas,
J’écris.
Donc, j’écris
Comme une simple main
Qui tient une plume
Trop bien peignée
Et trop bien sapée
Pour ne pas être bannie
Des forêts sacrées.
Il faut que je te le confesse.
Moi, en réalité, je ne pense pas,
J’écris.
Donc, j’écris comme un pied
Qui court trop le monde
Et qui s’enfonce
Trop souvent dans les bouches
Pour ne pas être banni des cocktails qui sentent bon.
Simplement,
Je fais tourniquer
Mes verbes comme des fouets,
Pour déloger l’humanité
Qui buissonne
Dans le fond
De nos ignorances communes.
!
13!
Donnez-moi un livre
Donnez-moi un livre aux lettres chatoyantes, noires et rondes,
Pour qu’il me murmure des histoires qui percent les nuages
Ainsi qu’une larme grise qui attend qu’on la verse.
Je le laisserai m'étonner de ses souffles qu’on reprend
Au détour de virgules qui imposent de suivre le silence qui passe.
Donnez-moi un livre pur comme des mélodies d’enfants
J’en toucherai les pages ainsi qu’un serpent-à-pommes.
Je le feuilletterai, familier comme un copain de quartier.
J’en toiserai les phares qui pointent leurs rayons vers les villes
Où attendent des lèvres tendues vers un horizon qui ne jaunit pas.
Donnez-moi un livre mystérieux comme le silence d’une amante
Qui nous lie le cœur de ses étreintes douloureusement parfumées.
Je l’ouvrirai comme on ouvre le désir, les deux yeux fermés.
J’en caresserai les recoins humides, comme un jardinier
Déjà ivre à l’idée de goûter à sa propre côte pour la première fois.
Donnez-moi un livre ridé comme un chapeau de berger,
Froid comme un riz-couché* qui donne plus de goûts aux efforts
De la veille. Je le réchaufferai au milieu du cercle qui chantonne
Pour oublier comment notre humanité a nourri la machette
Qui se cache dans la main de mon frère.
*
Donnez-moi un livre qui fleurit la Nature qu’on étouffe.
J’en rebâtirai un monde où l’Ozone ne couche pas
Mais où la narine infinie, comme un train qui traverse la savane,
Se glisse dans les espaces entre métaphores et synecdoques
Pour égayer des feux d’artifices qui font lever la tête
En même temps que les pages qui délirent.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Expression de Côte d’Ivoire, pour décrire le petit déjeuner fait de restes de riz cuit la
veille, réchauffé au petit matin.
!
!
14!