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Ecolo : Les verts en politique

1996

En couverture : photo J. Guyaux © De Boeck et Larcier s.a. 1996 Département De Boek Université Paris, Bruxelles Toute reproduction d'un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite

ECOLO Les verts en politique 3 Pascal Delwit – Jean-Michel De Waele ECOLO Les verts en politique En couverture : photo J. Guyaux © De Boeck et Larcier s.a. 1996 Département De Boek Université Paris, Bruxelles Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite Printed in Belgium ISSN 1370-0715 ISBN 2-8041-2146-1 D 1996/0074/197 Avant-propos Jeune formation née dans le courant du mois de mars 1980, Ecolo s’est depuis lors implanté dans le paysage politique belge. Seize ans après sa naissance, l’heure était venue de tenter un premier bilan de la vie et des perspectives des verts francophones. Cet ouvrage ne constitue toutefois pas «l»’histoire d’Ecolo. Il se veut une contribution à la compréhension de ce qu’a été Ecolo, de ce qu’il est et, peut-être, de ce qu’il voudrait devenir. Pour ce faire, nous avons eu accès à l’ensemble des sources dont dispose le parti. A ce titre, nous avons pu vérifier qu’Ecolo a le réel souci de la transparence. Nous avons effectué une enquête auprès de l’ensemble de ses adhérents. Grâce à leur collaboration massive, nous pouvons, pour la première fois, dresser un profil sociologique et politique des membres écologistes en Belgique francophone. Nous avons aussi pu compléter nos recherches par des interviews auxquelles les dirigeants d’Ecolo se sont prêtés de bonne grâce. Nous leur en sommes reconnaissants. Nos remerciements les plus chaleureux vont à Andrea Rea, Daniel Delwit et Lydie Pesesse qui nous ont considérablement aidés dans le dépouillement du questionnaire et l’interprétation des données. P. D. et J.-M. D. Chapitre 1 DE L'ECOLOGIE A L'ECOLOGIE POLITIQUE 10 C'est en 1866 qu'est utilisé pour la première fois le terme écologie, fusion de deux «racines grecques» : Oikos (maison) et Logia (discours). Ernst Haeckel, qui en détient la paternité, le définit de la sorte : «Par écologie, nous entendons la totalité de la science des relations de l'organisme avec son environnement comprenant au sens large toutes les conditions d'existence.»1 Etymologiquement, il s'agit donc de la science de l'habitat. Au sens strict, l'écologie représente donc originellement une branche de la biologie étudiant «les interactions entre les êtres vivants et leur environnement.»2 Après les travaux pionniers de Linné, de Buffon, de Lamarck et d'Hutton, les découvertes d'Humboldt, de Wallace et de Darwin approfondissent la connaissance de l'environnement — entendu dans son sens large — de l'être humain. Le XIXe siècle, siècle de l'industrialisation et du scientisme, voit le foisonnement d'études, de recherches, d'expéditions, d'enquêtes qui concernent les rapports de l'humain avec l'ensemble des êtres vivants qui l'entourent. En d'autres termes, l'étude des écosystèmes ou de l'écosystème.3 1 Cité par J.-P. DELEAGE, Une histoire de l'écologie, Points-science, Seuil, 1991, 330 p., p. 8. 2 D. SIMONNET, L'écologisme, Presses universitaires de France, 1994, 126 p., p. 4. 3 La notion d'écosystème a été avancée par Tansley : «La notion la plus fondamentale est, me semble-t-il, la totalité du système (dans le sens où l'on parle de système en physique) incluant non seulement le complexe des organismes mais aussi le complexe de tous les facteurs physiques formant ce que nous appelons le milieu du biome, les facteurs de l'habitat au sens large (...). Les systèmes ainsi formés sont du point de vue de l'écologiste les unités de base de la nature à la surface de la terre (....) Ces écosystèmes, comme nous pouvons les appeler, offrent la plus grande diversité de type et de taille.» Cité par J.-P. DELEAGE, op. cit., p. 120. 11 La politisation des questions d’environnement Très vite, par-delà son statut de branche particulière de la biologie4, l'écologie acquiert un statut qui franchit ses limites originelles mais aussi la stricte approche scientifique pour rentrer dans le domaine des débats sociaux et sociétaux. Les propos et les suggestions de Malthus au XIXe siècle en sont sans doute l'illustration la plus frappante. Le thème déterminant dégagé par Malthus dans Essai sur le principe de la population (1803) est la déconnexion entre l'évolution de la population mondiale et celle des ressources. En effet, la première progresse sur une base géométrique (2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256, etc.) tandis que la seconde évolue sur une base arithmétique (2, 4, 6, 8,10, etc.). Cette dichotomie pose à — court — terme l'incompatibilité entre la croissance de la population mondiale et celle des moyens pour la nourrir. Malthus est un précurseur dans l'appréhension des questions des relations de l'homme avec son environnement et est un des premiers à poser en termes crûs la problématique de la survie de l'espèce humaine. Mais on ne peut détacher son propos de son positionnement politique et social, un élitisme affiché qu'il intègre sans fard dans les solutions au problème qu'il a posé : «En effet, dans un Etat ancien et déjà très peuplé, vouloir assister les pauvres de manière à leur permettre de se marier aussi précocement qu'ils le voudront et d'élever une nombreuse famille aboutit à une impossibilité mathématique. (...) Le fait de répandre ces connaissances parmi les pauvres aurait des effets encore plus importants. La cause principale et permanente de la pauvreté n'a que peu ou pas de rapports directs avec la forme du gouvernement ou l'inégale division de la propriété ; les riches n'ont pas le pouvoir de fournir aux pauvres du travail et du pain : en conséquence, les pauvres n'ont nul droit à les demander. Telles sont les importantes vérités qui découlent du principe de population : et si elles étaient clairement expliquées, elles seraient à la portée même des plus 4 Depuis l'écologie «scientifique» a nécessité des adaptations dans les sciences fondamentales ; notamment dans la recherche et l'enseignement universitaires. Ce que rappelait, il y a peu, Roland Wollast : «L'enseignement de l'écologie fait nécessairement sauter le compartimentage traditionnel de l'enseignement des sciences naturelles à l'Université.» R. WOLLAST, «Universités. Pluralité des sciences de l'environnement», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1991, p. 62. 12 faibles intelligences.»5 Après Malthus, il faudra près d'un siècle pour que les questions relatives à la nature, à ses rapports à la population dominent les discussions politiques. Ce n'est que plusieurs années après la fin de la seconde guerre mondiale, que le débat sociétal sur les rapports de l'homme à son environnement prend un envol décisif. En raison notamment de la découverte d'une nouvelle source d'énergie redoutable : l'énergie nucléaire.6 Le mois d'août 1945 a vu l'explosion de deux bombes d'un type nouveau à Hiroshima et à Nagasaki. Des bombes dont la dévastation est sans commune mesure avec les dégâts jusqu'alors provoqués par un seul engin explosif. Le monde est entré dans l'ère atomique. Le nucléaire, militaire dans un premier temps, civil par la suite, interpelle dans des termes radicalement neufs les rapports de l'homme à son environnement. Il «politisera» ces relations. Comme l'explique André Gorz, l'un des chantres de l'écologie politique, l'écologie s'occupera désormais des conditions «que l'activité économique doit remplir et des limites externes qu'elle doit respecter pour ne pas provoquer des effets contraires à ses buts ou même incompatibles avec sa propre continuation.»7 Elle devient, selon les termes de Gilles Billen, «une certaine démarche globalisante pour décrire les milieux qui nous entourent.»8 Si la problématique nucléaire a occupé une part prépondérante dans cette conscientisation, cette transformation fut aussi rendue possible par la publication d'ouvrages pionniers, qui mettent en exergue les problèmes environnementaux de plus en plus importants qui se présentent pour le devenir de l'humanité9 : Rachel Carson, Printemps silencieux10, Jean Dorst, 5 MALTHUS, Essai sur le principe de population, Seghers, 1963, 378 p., p. 376. 6 Pour Donald Worster, le débat écologique a pris son envol avec l'explosion de la bombe atomique : «L'âge écologique a commencé dans le désert du nouveau Mexique (...), le 19 juillet 1945, avec une boule de feu aveuglante et un gros champignon de gaz radioactifs.» D. WORSTER, Les pionniers de l'écologie. Une histoire des idées écologiques, éditions Sang de la terre, 412 p., p. 365. 7 A. GORZ, Ecologie et politique, Points-politique, Seuil, 1978, 245 p., p. 22. 8 G. BILLEN, «Des écologues aux écologistes : un pas franchi», La revue nouvelle, n °10, octobre 1978, p. 248. 9 G. BILLEN et F. TOUSSAINT, «Eveil et itinéraire de la conscience écologique», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978. 10 R. CARSON, Printemps silencieux, Le livre de poche, 1968. 13 Avant que la nature ne meurt11, Barbara Ward et René Dubos, Nous n'avons qu'une terre12, Barry Commoner, L'encerclement13,... Autant de livres qui connaîtront des succès de librairie et qui, parfois, seront à l'origine de réorientations des (non)politiques menées dans les domaines concernés. Ces œuvres concourent également à la formation de multiples organisations et associations de protection de l'environnement. Toutefois la mouvance écologiste ne prendra son véritable envol qu'à la suite des premières catastrophes environnementales majeures. Depuis la fin des années soixante, le catalogue des sinistres environnementaux a considérablement crû sans même évoquer les drames évités de justesse : — Le 18 mars 1967, le pétrolier Torrey Canyon fait naufrage près des côtes bretonnes. Plus de cent mille tonnes de pétrole pollueront des dizaines de kilomètres de plages britanniques et françaises.14 — Le 10 juillet 1976, une cuve explose dans une usine fabriquant des herbicides dans la banlieue de Milan. Un nuage se forme sur la petite ville de Seveso. Quelques jours plus tard, des milliers d'animaux meurent, les habitants sont saisis de vomissements et de troubles divers. Après enfin avoir pris au sérieux l'ampleur du problème, on découvre que le nuage était composé de dioxine. Dans l’improvisation, des mesures de décontamination tentent de limiter les dégâts. Mais le mal est fait. En juillet 1977, un premier bilan de la catastrophe est établi : «En un an, les naissances d'enfants anormaux sont passées de 4 à 38, et les avortements ont augmenté de 20%. (...) Les cas de maladies infectieuses ont triplé. L'apparition d'une certaine forme d'acné chez les enfants a entraîné à plusieurs reprises la fermeture des écoles. Plus de 80 000 animaux ont péri — dont beaucoup abattus préventivement. Les dommages sont évalués à 121 milliards de lires.»15 11 J. DORST, Avant que la nature ne meurt, Delachaux et Niestlé, 1965. 12 B. WARD et R. DUBOS, Nous n’avons qu’une terre, Denoël, 1972, 357 p. 13 B. COMMOMER, L’encerclement, Seuil, 1972, 301 p. 14 J.-L. BENNHAMIAS et A. ROCHE, Des verts de toutes les couleurs. Histoire et sociologie du mouvement Ecolo, Albin Michel, 1992, 209 p., p. 21. 15 EDMA, L'écologie, Le livre de Poche, 1980, 192 p., pp. 168-169. 14 — Le 16 mars 1978, le pétrolier Amoco-Cadiz fait naufrage sur les côtes bretonnes. Pour la deuxième fois en dix ans, celles-ci sont saccagées par le déversement de milliers de tonnes de pétrole. — Le 29 mars 1979, un incident sérieux à la centrale nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie révèle au monde que contrairement à ce que déclamaient avec autorité les patrons du secteur de l'électricité, les centrales nucléaires n'étaient pas à l'abri d'incidents plus ou moins graves. Une défection dans le système de refroidissement du cœur d'un réacteur concourra à l'irradiation de centaines de milliers de personnes. Il faudra trois années de décontamination et un coût estimé à quatre cents millions de dollars pour effacer les traces de l'«incident.» — Le 7 mars 1980, c'est au tour du pétrolier Tano de s'échouer. — Le 6 mars 1986, l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Union Soviétique, provoque un «nuage nucléaire.» Une fois encore, les affirmations sur la sécurité des centrales sont prises en défaut. Et de quelle façon ! Il y aura officiellement 32 morts, 237 irradiés, 135 OOO personnes évacuées, 2 millions d'hectares de terres agricoles irradiées, 3 000 kilomètres carrés définitivement contaminés autour de la centrale.16 Sans compter les milliers de malformations attendues pour les nouveaux nés, les dizaines de milliers de cancers précoces pronostiqués par plusieurs experts. La chronique des incidents «sans répercussion majeure sur l'environnement» est par ailleurs une longue litanie. L’«accident» du pétrolier Sea Empress le long des côtes du Pays de Galles vient récemment de s’y ajouter. Le 6 avril 1968, plusieurs scientifiques, certains hauts fonctionnaires et quelques grands industriels créent un groupe de rencontres informelles afin d'essayer de «renouer avec la Renaissance, de retrouver l'élan, la ferveur, la curiosité, l'«oeil de Lynx» pour scruter leur époque.»17 Le club de Rome est né. Son but premier est de sensibiliser l'opinion mais surtout les élites politiques et économiques sur une dimension fondamentale jusqu'alors quasiment ignorée dans le fonctionnement des sociétés et dans la prise de décision politique et économique : les effets des choix accomplis sur l'environnement et la survie de la planète. 16 J.-M. CHAUVIER, URSS : une société en mouvement, éditions de l'aube, 1988, 412 p., p. 263. 17 Halte à la croissance. Le club de Rome présenté par Janine Delaunay. Rapport Meadows, Fayard, 1974, 309 p., p. 29. 15 En 1972, le club de Rome lance un véritable cri d'alarme sur cette problématique en publiant un rapport, commandé au MIT, sur les limites de la croissance : The Limits to Growth18. L'étude a été conduite par Denis Meadows et son laboratoire au Massachussetts Institute of Technology (MIT). Le rapport Meadows repose sur un modèle dynamique de l'évolution mondiale dans une perspective à long terme. Les travaux du MIT montrent une série d'incompatibilités dans l'évolution de la planète : — Incompatibilité entre la croissance exponentielle de la population mondiale et l'évolution de la croissance économique et agricole ; — Incompatibilité entre développement industriel d'une population en croissance exponentielle et les ressources non renouvelables : «De ces exemples et de nombreux autres également valables pour la quasi-totalité des ressources naturelles actuellement détectées, nous pouvons conclure que : étant donné le taux actuel de consommation des ressources naturelles et l'augmentation probable de ce taux, la grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront atteint des prix prohibitifs avant qu'un siècle ne soit écoulé.»19 ; — Incompatibilité entre croissance de la population et développement industriel pour la qualité de la vie sur terre. La pollution est nécessairement au rendez-vous : «La pollution étant une fonction complexe de la population, de l'industrialisation et de développements technologiques particuliers, il est difficile d'évaluer avec précision comment va évoluer la courbe exponentielle globale de la pollution. Nous pouvons supposer que si les 7 milliards d'hommes de l'an 2 000 ont un PNB par tête aussi élevé que celui des Américains de 1970, les contraintes imposées à l'environnement par la pollution seront dix fois plus élevées qu'aujourd'hui.»20 Autant de contradictions qui rapprochent chaque jour, selon les auteurs du rapport, l'«écosystème mondial des limites ultimes de sa croissance»21 et qui imposent un choix clair : «ou bien ne se 18 L'ouvrage est traduit en français sous le titre Halte à la croissance. 19 Halte à la croissance. Le club de Rome présenté par Janine Delaunay. Rapport Meadows, op. cit., pp. 181-182. 20 Ibid., p. 196. 21 Ibid., p. 286. 16 soucier que de ses intérêts à court terme, et poursuivre l'expansion exponentielle qui mène le système global jusqu'aux limites de la terre et à l'effondrement final, ou bien définir l'objectif, s'engager à y parvenir et commencer, progressivement, rigoureusement, la transition vers l'état d'équilibre.»22 C'est aussi 1972 que se déroule, dans la capitale suédoise, la première Conférence mondiale des Nations unies sur l'environnement. La Conférence de Stockholm, qui se tient du 5 au 16 juin, sous le thème Only one Earth adopte cent et neuf recommandations et vingt-six principes. Selon Dimitrios Roussopoulos, elle «fut incontestablement le point culminant dans la reconnaissance grandissante de l’importance du rôle des Etats dans la gestion de la crise environnementale croissante.»23 Dans la foulée de la Conférence de Stockholm est établi le programme des Nations Unies pour l’environnement. Au-delà des aspects «grandes messes» des conférences internationales, d’aucuns y voient un levier important sur lequel s'appuyer pour la conscientisation et l'action aux questions environnementales : «Tout ceci montre que depuis la Conférence de Stockholm, l'opinion publique est mieux armée qu'elle ne l'était auparavant, si du moins l'on est capable d'utiliser politiquement les résultats de ces travaux.»24 Les appréhensions qui se développent sur l'état de l'environnement englobent le problème démographique. La population mondiale est en croissance exponentielle. Comme le rappelle Dominique Simonnet, «il a fallu près d'un million d'années pour qu'un milliard d'êtres humains peuplent lentement la planète, jusqu'en 1840, au début de l'ère industrielle. Et un siècle et demi pour atteindre cinq milliards d'habitants.»25 La projection «moyenne» des Nations Unies prévoit plus de huit milliards d’habitants en 2025. 22 Ibid., p. 287. 23 D. I. ROUSSOPOULOS, L’écologie politique, éd. Écosociété, 1994, 144 p., p. 35. 24 R. SCHOONBRODT, «Oublier Stockholm ?», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1972, p. 223. 25 D. SIMONNET, op. cit., p. 18. 17 Evolution de la population mondiale 9000000 8000000 7000000 En millions 6000000 5000000 4000000 3000000 2000000 1000000 0 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015 2025 Année Soulignons toutefois qu’il existe de fortes disparités «régionales.» Les courbes d’évolution de la population sont très différentes suivant les continents. L’exemple de l’Afrique, de l’Europe et l’Amérique latine en témoigne. Evolution des populations africaine, européenne et latino-américaine 1600000 1400000 1200000 En millions 1000000 800000 600000 400000 Afrique Europe 200000 Amérique latine 0 1955 1965 1975 1985 1995 Année 2005 2015 2025 18 Se pose dès lors la question des limites de l’approvisionnement : approvisionnement en nourriture et en matières premières ; les deux étant liés. Outre les barrières écologiques que signifierait une croissance forte de la production agricole, la problématique énergétique est peut-être plus complexe : «Si le monde entier utilisait les techniques agricoles américaines sur les superficies actuellement cultivées, l'agriculture, à elle seule, épuiserait la totalité des réserves connues de pétrole en l'espace de 29 ans. Le moyen de nourrir 8, 12, 16 milliards d'hommes reste à trouver. Il n'est pas sûr que cela soit possible»26 pronostiquait, en 1974, André Gorz. Récemment, le président du Worldwatch Institute de Washington, Lester R. Brown n’abordait pas cette problématique sous la forme d’une question : «Nous sommes parvenus à un tel point d’augmentation des besoins humains que nous avons atteint les limites des ressources disponibles pour les satisfaire. Cette collision avec les limites du développement provoque une stabilisation majeure de nos sociétés.»27 Part du nucléaire dans la production d’électricité dans le monde, en Belgique et en France (En %) Belgique France Monde 80 70 60 50 40 30 20 10 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 1980 1979 1978 1977 1976 1975 1974 1973 1972 1971 1970 0 26 A. GORZ, «Douze milliards d'hommes», 2 septembre 1974, in A. GORZ, op. cit., p. 109. 27 Le Monde, 27 février 1996. 19 Si besoin en était, l'importance de la question énergétique est révélée en 1973 lors du premier choc pétrolier. L’augmentation des cours de «l’or blanc» et la révélation de la dépendance des économies européenne et américaine entraîne une réorientation stratégique dans la production d’énergie. La production d’électricité à partir des centrales nucléaires prend son envol. Toutes ces problématiques ont façonné l'entrée de l'écologie en politique. Elle est manifestement devenue un objet «politisé» au sens où le comprend l'analyse politologique : Un fait ou un objet sont politisés lorsque les acteurs impliqués dans le fait ou la relation à l'objet sont parvenus à faire prendre en considération par les tenants du pouvoir politique la question dont ils sont porteurs comme une question à réguler par le pouvoir politique28 si tant est que cela fût possible. En effet, dans les défis posés par l’écologie, Jean-Paul Deléage soulève une question philosophique existentielle. En manipulant les autres espèces, l'espèce humaine aurait accéléré le processus évolutif à un point tel que les termes se seraient littéralement inversés : «au lieu de stimuler l'innovation évolutive, ils entraînent des processus d'extinction en cascade. La domination de l'homme sur la nature le rend désormais captif à l'accélération de la technique.»29 Les questions d'écologie dans leur globalité suscitent l'intérêt croissant d'organisations internationales. Le 19 décembre 1983, une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies crée la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (CMED). Composée de vingt-deux membres, provenant de vingt et un pays, choisis «selon un subtil équilibre»30, la Commission a en charge la fourniture d'un rapport sur l'état de la planète, les perspectives et des propositions pour y faire face. Fruit d'un compromis entre les différentes approches, le rapport est présenté en 1987 sous le nom de son animateur, madame Gro Brundtland, à l'époque ancien premier ministre travailliste de Norvège, qui a retrouvé son poste depuis. 28 Voir par exemple P. LECOMTE et B. DENNI, Sociologie du politique, Presses universitaires de Grenoble, 1990, 242 p., pp. 12 et suivantes. 29 J.-P. DELEAGE, «Ecologie et environnement. Entre science et politique», Aménagement et nature, n° 116, 1995, p. 31. 30 B. CARTON, P. DELMOTTE, «Le rapport Brundtland : un bulletin de santé à l'épreuve», La revue nouvelle, février 1990, n° 2, p. 18. 20 Sous le titre Our common future31, l'étude avance un nouveau concept appelé à une médiatisation forte, «The sustainable development», traduit en français par la croissance ou le développement durables, qui font actuellement «fortune comme référence de haute exigence», selon la formule de Sarah Deutsch et Georges Thill.32 Le développement durable y est appréhendé à partir de trois exigences centrales : — qu'il s'inscrive dans un souci de justice ; — qu'il soit écologiquement soutenable pour la planète ; — qu'il soit à même d'être poursuivi par les générations futures.33 Une des questions prégnantes qui détermine l'approche de l'écologie politique et ses options stratégiques consiste à savoir si le mode de production basé sur l’économie de marché et le développement durable sont compatibles. Question essentielle dans l'appréhension du rapport Brundtland et des suites que l'on peut y donner. Dans une contribution récente, James O'Connor a prudemment nié cette prétention : «Je pense que les tentatives de rationaliser les conditions de production — y compris du point de vue de la rentabilité — sont faibles. Je vois bien que le capital et les Etats de par le monde sont en train d'essayer de restructurer les conditions de production, dans l'espoir de rendre le développement capitaliste soutenable, par exemple en essayant de sauver l’Amazonie pour le profit à long terme ; en planifiant l'exploitation des forêts ; en imposant une sorte d'environnementalisme d'Etat au tiers-monde ou encore en réhabilitant les cités et en restructurant les systèmes de transport... Mais, sans entrer dans le détail de chaque mesure, je ne crois pas à la réussite de la plupart de ces tentatives. Le capitalisme est trop irrationnel et contradictoire, de même que l'Etat capitaliste, et c'est encore plus vrai dans les pays du Sud. Par contre, je veux bien croire à la possibilité d'une certaine dose de capitalisme vert, mais je doute qu'elle atteigne jamais un seuil qualitatif susceptible de remettre en cause ou de menacer les structures de privilège et de pouvoir dont dépend le capitalisme en général.»34 Le débat suscite néanmoins moult 31 Commission mondiale sur le développement et l’environnement, Notre avenir à tous, un monde : aperçu de la commission mondiale sur le développement et l’environnement, éd. du Fleuve Montréal, 1989, 432 p.. 32 S. DEUTSCH, G. THILL, «L'environnement à l'heure de l'écologie», La revue nouvelle, février 1990, n° 2, p. 4. 33 B. CARTON, P. DELMOTTE, op. cit., p. 22. 34 J. O'CONNOR, «Un développement soutenable du capitalisme est-il possible ?», Ecologie politique, n° 1, janvier 1992, p. 67. 21 polémiques ravivées actuellement dans une première évaluation des initiatives et des actions engendrées par les promesses et les documents signés à la Conférence de Rio de 1992 (voir infra). Le concept de développement durable fait école. A l'échelle de la Communauté européenne, le Conseil des Chefs d'Etat et de gouvernement adhère à son principe lors du sommet européen de Dublin les 25 et 26 juin 1990 : «L'environnement naturel qui constitue le système de maintien de la vie sur notre planète est gravement atteint. L'atmosphère terrestre est sérieusement menacée. La situation des ressources aquatiques, notamment des mers et des océans, constitue un sujet d'inquiétude, les ressources naturelles sont en voie de disparition et la diversité génétique se réduit de plus en plus. La qualité de la vie, voire la poursuite de la vie, ne pourra plus être assurée s'il n'est pas mis un terme à l'évolution actuelle. En tant que Chefs d'Etat et de gouvernement de la Communauté européenne nous reconnaissons la responsabilité spécifique qui nous incombe en matière d'environnement tant auprès de nos propres citoyens que dans un contexte plus large. Nous nous engageons à intensifier nos efforts afin de protéger et de valoriser l'environnement naturel de la Communauté et du monde dont elle fait partie. Nous souhaitons que l'action entreprise par la Communauté et ses Etats membres soit développée d'une manière coordonnée et selon les principes du développement durable et du recours aux mesures préventives.»35 Une nouvelle étape dans l'approche des questions environnementales et ses rapports avec les problématiques économiques et sociales est franchie avec la tenue du «sommet de la terre», c'est-à-dire de la Conférence mondiale des Nations unies pour l'environnement et le développement, en juin 1992 à Rio de Janeiro au Brésil. Cette conférence médiatisera la problématique des questions relatives à la protection de l'environnement comme cela n'avait jamais été le cas auparavant. Après des débats extrêmement difficiles, elle débouche sur l'agenda XXI, document signé par cent septante-huit Etats.36 35 Annexe II des conclusions du Conseil européen, Dublin 25 et 26 juin 1990, Europe documents, n° 1632-1633, p. 11. 36 B. RIHOUX, «Les écotaxes-produits sur la scène politique belge», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1426, 1994, p. 8. 22 Depuis le sommet de Rio, la thématique de l'environnement est clairement retombée. Elle ne revient que ponctuellement à l'actualité soit en raison de catastrophes plus ou moins importantes d'un point de vue écologique, soit en raison de campagnes menées par des associations de protection de l'environnement au premier rang desquelles on trouve l'association Greenpeace. Née au Canada en 1970, Greenpeace37 s'est rapidement implantée aux Etats-Unis puis progressivement en Europe. Consacrée à l'action directe d'un petit noyau de militants professionnels pour la protection de l'environnement, Greenpeace a fondé sa puissance sur l'écho de ses initiatives spectaculaires — Canots contre super-pêcheurs de baleines, contre navires déversant des fûts de déchets en mer,... — et sur le financement que lui assurent des millions de sympathisants. Pendant l'année 1995, Greenpeace a, par exemple, mené deux campagnes fortes d'un point de vue médiatiques. D'une part, contre la volonté de la firme pétrolière Shell de couler une plateforme pétrolière. D'autre part, contre la reprise des essais nucléaires décidée par le président français durant l'été. L'émergence des nouveaux mouvements sociaux Si la protection de l’environnement est une racine importante de l’'écologie politique, il en existe aussi une autre : le développement des «nouveaux mouvements sociaux» dans les années septante. Selon C. Mouffe, les «nouveaux mouvements sociaux» seraient l'expression d'antagonismes qui ont émergé comme conséquence du système hégémonique38 qui a été instauré dans les pays occidentaux après la deuxième guerre mondiale.»39 Dans cette perspective, les «nouveaux mouvements sociaux» rejettent certains principes de fonctionnement de l'Etat néo-corporatiste : un échange à l’échelle du processus décisionnel au seul niveau des élites, un fonctionnement de type autoritaire et centralisé, des 37 EDMA, op. cit., p. 112. 38 Système hégémonique caractérisé comme «l'articulation entre un certain type de procès de travail : le fordisme ; un certain type d'Etat : l'Etat keynésien et de nouvelles formes culturelles pour lesquelles nous proposerons le terme de «culture médiatique».» 39 C. MOUFFE, «Socialisme, démocratie et nouveaux mouvements sociaux», in C. BUCI-GLUCKSMAN (sous la direction de), La gauche, le pouvoir et le socialisme, PUF, p. 149. 23 associations partie prenante à la relation avec les institutions étatiques (partis politiques, organisations patronales et syndicales), un désintérêt pour les questions qui ne ressortissent pas aux problèmes socio-économiques,...40 Daniel Gaxie souligne à juste titre que les problématiques «hors des affrontements centrés sur des questions socio-économiques ont toujours trouvé difficilement leur place dans le «champ politique».»41 Dans cet essor, les événements de mai 1968 et les valeurs charriées ont joué un rôle essentiel : réaction contre l’«ordre culturel», contre la «hiérarchie des savoirs», contre le centralisme42, égalitarisme mêlé d'individualisme, rejet des organisations, de la technocratie, de la bureaucratie, utopie, décentralisation.43 Autant d'éléments que l'on retrouvera, à des titres divers, dans les «nouveaux mouvements sociaux» et les mouvements écologistes naissants.44 L'émergence de ces mouvements a aussi été interprétée comme la révolte de nouvelles catégories sociales éduquées — les 40 F. L. WILSON, Neo-corporatism and the rise of new social Movements, in Challenging the political order. New social and political order in Western democracies, Dalton & Kueler, 1990, 329 p., p. 70. 41 D. GAXIE, La démocratie représentative, Montchrestien-clé, 1993, 158 p., p. 126. 42 Y compris comme le centralisme des organisations syndicales : «Le modèle organisationnel des vieux mouvements sociaux est souvent identifié avec une structure centralisée, hiérarchique, comme dans beaucoup de syndicats, de groupes de défense des droits et autres associations économiques.» R. J. DALTON, M. KUELER, W. BÜRKLIN, «The challenge of new movements», in Challenging the political order. New social and political order in Western democracies, Dalton & Kueler, 1990, 329 p., p. 13. 43 M. TOZZI, Militer autrement, Chronique sociale-Vie ouvrière, 1985, 159 p., p. 27. 44 Pour Pascal Ory, le combat sur le plateau du Larzac dans les années septante incarnent l'intégration des valeurs de mai 1968 dans la mouvance écologiste : «S'il fallait symboliser d'un nom et d'une date l'intégration de la dimension régionale dans l'utopie issue de mai, ce serait le Larzac en août 1973. Le week-end du 25-26 août 1973, au moins 50 000 manifestants défilèrent pour protester contre l'extension du champ militaire et la menace d'expropriation suspendue sur cent-trois agriculteurs depuis octobre 1970.» P. ORY (sous la direction de), Nouvelle histoire des idées politiques, Hachette, 1987, 642 p., p. 554. 24 «nouvelles classes moyennes» — freinées dans leur mobilité et dans leur ascension par la crise économique45 ou frustrées de ne pouvoir accéder, par des méthodes conventionnelles, au processus décisionnel.46 Une des caractéristiques des «nouveaux mouvements sociaux» est qu'il est difficile d'isoler les différents combats et la diversité des formes de lutte nouvelle. Il y a une approche holistique mise en exergue par Alain Touraine et son équipe dans un travail pionnier sur les «nouveaux mouvements sociaux» : «Plus clairement encore, l'action anti-nucléaire n'est pas isolable d'un ensemble de campagnes contestataires, comme celles des mouvements de consommateurs, qui mettent en cause un pouvoir technocratique et la mise en forme de la demande sociale par les appareils de production et de gestion : appel à une conception de la santé, qui ne soit pas commandée seulement par des appareils d'intervention médicale ou hospitalière ; défense de la liberté d'information contre le monopole d'émission de la radio et de la télévision d'Etat ; lutte pour l'autonomie des régions et pour la démocratie locale contre l'appareil administratif centralisateur et autoritaire ; participation à la révolte des femmes contre une domination masculine qui est celle de la puissance, de la guerre et de l'argent. Sur tous ces terrains se mènent des luttes dont chacune déborde son objet spécifique et possède donc une signification générale qui est celle à la fois d'une mutation culturelle et d'une nouvelle définition des conflits sociaux.»47 Le trait d'union originel de ces «nouveaux mouvements sociaux» est leur anti-étatisme, qui sera revu par la suite. L'Etat est voué aux gémonies. Accusé d'avoir cassé la «sphère autonome», certains idéologues écologistes des années septante évoqueront même l'avènement d'un Etat total : «Le dépérissement de la société civile au profit de l'Etat amorce aussi le dépérissement des libertés fondamentales et l'instauration d'une société pan-étatiste, plus ou moins militarisée : on a pris l'habitude d'appeler «totalitaire» ce genre de sociétés parce que l'Etat y a totalement 45 Sur l'interprétation de l'émergence des nouveaux mouvements sociaux, voir K. W. BRAND, «Cyclical aspects of new social movements : waves of cultural criticism and mobilization cycles of new middle class radicalism», in Challenging the political order. New social and political order in Western democracies, Dalton & Kueler, 1990, 329 p., p. 24. 46 F. L. WILSON, op. cit., p. 71. 47 A. TOURAINE, «Le sens d'une lutte», in A. TOURAINE, Z. HEGEDUS, F. DUBET, M. WIEVIORKA, La prophétie anti-nucléaire, Seuil, 1980, 373 p., p. 301. 25 évincé la société civile et est devenu «Etat total.» Nous avons virtuellement atteint ce stade.»48 Hypothèse audacieuse, dans la mesure où un Etat total n'aurait certainement pas toléré la publication d'un livre reprenant ces thèses. Cette critique débouchera notamment de multiples remises en cause, notamment de la formation, de l'éducation49 et de la reproduction des savoirs, dont l'ouvrage de référence sera celui d'Ivan Illich, Une société sans école.50 Il faut néanmoins rester prudent dans l’interprétation de ces mouvements. D'abord, sur le caractère «neuf» des «nouveaux mouvements sociaux.» Peut-on raisonnablement affirmer que le féminisme est un combat récent alors que de nombreuses associations se battent depuis des dizaines d'années, notamment pour leurs droits politiques. Le pacifisme était un thème de débat capital dans le mouvement socialiste à la charnière du dixneuvième et du vingtième siècle. La lutte pour le suffrage universel visait à renverser des gouvernements autoritaires sans légitimité populaire et démocratique,... En 1990, Max Kaase soulignait au demeurant qu'il y avait en fait «beaucoup plus de continuité entre les «vieux» et les «nouveaux» mouvements sociaux» que de ruptures.51 Toutefois, il reste vrai que les événements de mai 1968 ont permis de casser des tabous dans de nombreux domaines sociétaux et que dans leur foulée, la décennie septante a vu fleurir des réflexions, des actions et des engagements nouveaux dont une bonne part a débouché sur la création de formations écologistes en Europe. Une synthèse difficile 48 A. GORZ, op. cit., p. 48. 49 Dans Ecologie et politique, André Gorz se situe dans ce fil : «La fonction institutionnelle dévolue à l'école est de prolonger et de corroborer — et non pas de contrecarrer ou de corriger — l'action désintégratrice, infantilisante, déculturante de la société et de l'Etat.» Ibid., p. 45. 50 I. ILLICH, Une société sans école, Seuil, 1971, 220 p. Illich y appelle à la «déscolarisation» : «Partout, non seulement l’éducation, mais la société dans son ensemble, ont besoin d’être déscolarisées.» (p.14). 51 M. KAASE, «Social Movements and Political Innovation», in Challenging the political order. New social and political order in Western democracies, Dalton & Kueler, 1990, 329 p., p. 105. 26 A partir d'une condamnation du productivisme et de la société industrielle, l'identité de l'écologie recouvre donc des formes diverses : critique radicale de la société s'appuyant sur les «nouveaux mouvements sociaux», mais aussi refus, parfois réactionnaire, du progrès. Ces deux tendances, ces deux approches coexisteront un temps. Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun et Yves Dupont en dressait une prospective dans L'équivoque écologique : « (...) il y a fort à parier que, tout en conservant à la fois son caractère nébuleux et sa vitalité, l'écologie sera de plus en plus écartelée entre l'attirance passéiste pour les sociétés de corps préindustrielles et le vertige futuriste d'une planète enfin advenue à l'ère post-industrielle. Elle fera ainsi, et de plus en plus, l'objet de critiques diamétralement opposées.»52 Dans les années septante, nombre d'observateurs et d'acteurs verront dans un des pans des mouvements écologistes un espace de recomposition de la gauche ou, plus exactement, d'une gauche. Une gauche, dépassant le canevas social-démocrate d'un point de vue politique et les conceptions théoriques marxistes. En effet, sur un plan théorique, la pensée marxiste s'avère relativement silencieuse dans le rapport des hommes à la nature.53 Jean-Paul Deléage le rappelle : «L'interpellation écologique actualise la critique du modèle de développement capitaliste et conduit inévitablement à réévaluer la conception de la révolution avancée par Marx et à la complexifier.»54 Ce qui rassemble les tenants de cette approche, parfois qualifiée d'écosocialisme55, est la remise en cause radicale du capitalisme et de son système hégémonique.56 La crise écologique 52 P. ALPHANDERY, P. BITOUN et Y. DUPONT, L'équivoque écologique, La découverte/essais, 1991, 277 p., p. 272. 53 Voir J.-P. DELEAGE, D. HEMERY, «L'éconologie, critique de l'économie», L'homme et la société, n° 91-92, 1989. 54 J.-P. DELEAGE, «Le rapport des sociétés à la nature : une question de vie ou de mort», L'homme et la société, n° 91-92, 1989, p. 10. 55 Sur les sources de l'écosocialisme, voir F. DE ROOSE et P. VAN PARIJS, La pensée écologiste, De Boeck-Université, 1991, 202 p., p. 59. 56 Tel que Mouffe l'a défini et qui lui permet d'y voir de nouvelles perspectives pour une stratégie socialiste : «Ce qui est nouveau, c'est la diffusion de la conflictualité sociale à d'autres domaines et la politisation de tous les rapports sociaux. Une fois que l'on a reconnu qu'il s'agit de résistances contre les formes de domination qui sont la conséquence du développement du système 27 et la crise sociale ne seraient que les deux versants d'une même pièce, d'un même système qu'il faut attaquer de tous les angles : «Relever le défi que constitue aujourd'hui la crise écologique suppose donc non pas une action spécifique, sectorielle, limitée (du type de celles qui pratiquent les «ministères de l'environnement et du cadre de vie» créés dans les différents Etats occidentaux au cours de ces dernières années), mais une politique au sens fort du terme : une pensée et une action visant à réorienter et réorganiser les sociétés contemporaines tout entières. En ce sens, les mouvements écologistes n'ont pas tort de proclamer qu'ils sont porteurs d'une exigence radicale de renouvellement de la politique. Et, à ce titre aussi, la crise écologique concerne tout particulièrement la lutte de classe du prolétariat, également animée d'un projet de refondation globale de la société.»57 Cette perspective et cette vision seront cependant réfutées par la plupart des écologistes et des partis verts, qui naissent à l’aube des années quatre-vingts. Pour deux raisons essentielles. Pour beaucoup d'entre eux, pour autant qu’il n’ait même jamais eu une pertinence (voir infra), le clivage gauche-droite est dépassé. Par ailleurs, si nombre d'écologistes dénoncent effectivement les méfaits de la société capitaliste — de manière implicite ou parfois explicitement —, leur critique dépasse largement le cadre de la société capitaliste. C'est le productivisme qui est dénoncé. Dans la société capitaliste, bien sûr, dont c'est un des traits d'identité mais aussi dans les régimes socialistes, qui s'en glorifiaient. Si l'écologie a un versant de gauche, mis en question, elle a aussi un versant conservateur sinon réactionnaire. Celui-ci prendra particulièrement la forme d'une exaltation du «bon vieux temps.» Comme l'ont noté Claire Billen et Christian Dupont, le temps historique est, dans cette perspective, divisé en deux grandes étapes : avant et après la révolution industrielle.58 hégémonique d'après-guerre, on est en mesure de comprendre le vaste potentiel anticapitaliste que de telles luttes représentent. Dans la mesure où elles mettent en question un modèle de développement productiviste et un Etat bureaucratique, elles constituent sans conteste des revendications fondamentales pour une stratégie socialiste.» C. MOUFFE, op. cit., p. 151. 57 A. BIHR, «Ecologie et mouvement ouvrier», L'homme et la société, n° 91-92, 1989, p. 58. 58 C. BILLEN et C. DUPONT, «Le bon vieux temps», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978, p. 289. 28 Certains écologistes iront loin dans cette forme de raisonnement en présentant la nature59 comme une «référence immuable qu'il s'agit de restaurer dans son intégrité.»60 Ils poussent parfois cette logique jusqu'à prôner l'édification d'un «droit de la nature», donnant ainsi naissance à la «deep ecology»61 — l'écologie profonde — qui a surtout fait des émules aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne. Ces écologistes «profonds» vénèrent Gaia.62 La «deep ecology» a focalisé les critiques envers l'écologie politique et les partis écologistes. Certains auteurs ont assimilé les différentes positions rencontrées sur l'échiquier de l'écologie politique à ce versant particulier. Cette démarche intellectuelle a été illustrée par Luc Ferry dans son ouvrage Le nouvel ordre écologique63, dont le procédé n'est vraiment pas à son honneur. La naissance des partis écologistes La mouvance écologiste naît de l'émergence de mouvements attentifs à la protection et à la sauvegarde de l'environnement. Ceux-ci, dans la foulée du rapport du club de Rome en 1972, remettent en cause le productivisme et la croissance. Mais elle est aussi issue du fleurissement des «nouveaux mouvements sociaux» qui se développent dans l'après mai-1968. Comment et pourquoi cette mouvance a-t-elle débouché sur la création de partis politiques ? 59 Dans l'ouvrage La prophétie anti-nucléaire, Michel Wieviorka soulignait, en 1980, l'«historicité» nouvelle de certaines franges écologistes, de même que certains courants passéistes parmi les «naturalistes.» M. WIEVIORKA, «La rupture», in A. TOURAINE, Z. HEGEDUS, F. DUBET, M. WIEVIORKA, op. cit., p. 101. 60 A. CARTON et M. MOLITOR, «Ecologie et politique», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978, p. 423. 61 F. DE ROOSE et P. VAN PARIJS, op. cit., p. 58. 62 Gaia, selon le scientifique anglais James Lovelock, incarne la terre. Dans son optique, la terre est un organisme vivant qui trouve seul son équilibre. Voir D. SIMONNET, op. cit, p. 119. 63 L. FERRY, Le nouvel ordre écologique : l’arbre, l’animal et l’homme, Grasset, 1992, 274 p. 29 La raison essentielle tient, selon nous, dans l'épuisement de l'efficacité des «nouveaux mouvements sociaux» comme groupes de pression. Ces associations ont atteint un seuil de militantisme, de crédibilité et de rendement qu'ils ne pouvaient que difficilement franchir. Peser «hors du jeu» sur la prise de décision a ses limites. Plusieurs associations en prendront lentement acte. L'idée de se présenter aux élections prend forme dans le deuxième lustre des années septante. Très vite, la question de la constitution en parti est avancée. La formation de partis écologistes s'opère avec difficulté au début des années quatre-vingts. Mais partout en Europe, le pas est franchi. Une nouvelle famille politique voit le jour. 30 Chapitre 2 Les étapes d’Ecolo 31 A la suite de l'élection législative de novembre 1971, le président de la fédération namuroise du Rassemblement wallon, Pierre Waucquez, démissionne suite à sa cooptation au Sénat. Nouveau président élu, Paul Lannoye est contesté et immédiatement mis en cause. Cette crise interne à la fédération namuroise du Rassemblement wallon entraîne le départ de Lannoye et des personnes qui lui sont proches — notamment le sénateur Paul Waucquez. Ces quelques personnalités fondent un nouveau mouvement Démocratie nouvelle, dont les objectifs sont définis dans le manifeste qu'ils publient en février 1973.1 Aux origines d’Ecolo On y retrouve plusieurs thèmes qui formeront le canevas identitaire de l'écologie politique, en particulier celui d'Ecolo. Le «fédéralisme intégral» y est prôné comme mode de fonctionnement de la société, en ce compris pour l'organisation elle-même. Démocratie nouvelle veut éviter «les délégations de pouvoirs et (...) garder à chaque membre du mouvement son autonomie et son pouvoir de décision.»2 Sur le plan économique, la planification est encouragée pour deux catégories de biens : les «biens fondamentaux» et les «biens d'épanouissement», d'une part ; les «biens superflus» et les «biens nocifs», d'autre part. Démocratie nouvelle se présente à l'élection législative de mars 1974 en alliance avec l'Union des progressistes (UDP).3 Elle recueille 3 632 voix dans les arrondissements de Namur (2,1%) et de Dinant-Philippeville (1,1%). L'examen des résultats obtenus dans les 1 P. MAHOUX et J. MODEN, «Le mouvement Ecolo», Courrier hebdomadaire du CRISP, 22 juin 1984, p. 3. 2 Ibid., p. 4. 3 L'Union des progressistes agrège le parti communiste de Belgique et des chrétiens de gauche indépendants. Elle sera surtout forte dans les provinces namuroise et hennuyère. 32 cantons révèle les meilleurs résultats dans les cantons d'Andenne (2,0%), de Fosses-La-Ville (2,3%) et de Namur (2,4%). Résultats par canton en mars 1974 Arrondissement de Dinant-Philippeville Voix % Beauraing 51 0,8 Ciney 96 0,8 Couvin 146 1,6 Dinant 167 1,2 Florennes 112 1,6 Gedinne 31 0,6 Philippeville 74 1,3 Rochefort 72 0,9 Arrondissement de Namur Voix % Andenne 216 2,0 Eghezée 118 1,0 Fosses-La-Ville 638 2,3 Gembloux 278 1,3 Namur 1520 2,4 Il s'agit donc d'une organisation uniquement située dans la province de Namur. Mais elle anticipe la formation et le contenu des listes écologistes dans la deuxième moitié des années septante. Les principaux responsables de Démocratie nouvelle seront d'actifs participants aux listes écologistes formées en 1977, 1978 et 1979 et à la constitution d'Ecolo. Retenons entre autres Paul Lannoye, Georges Trussart, Gérard Lambert... Lors de l'élection communale du 10 octobre 1976, Démocratie nouvelle est à l'origine d'une nouvelle liste, Combat pour l'écologie et l'autogestion, déposée à Namur. La liste recueille 63 089 suffrages, soit 1,9%.4 Si la scission Démocratie nouvelle de la fédération namuroise du RW est une des sources d'Ecolo, on trouve un autre pendant de l'émergence de la mouvance écologiste dans le foisonnement d'une multitude d'organisations de protection de la nature et de l'environnement. Comme nous l'avons vu, ces associations ont parfois des buts et des ambitions plus larges dans le cadre du développement «nouveaux mouvements sociaux»5 : combat contre l'énergie nucléaire, pour les formes de médecine alternative, pour la paix, pour le féminisme,... A Bruxelles, à la suite des luttes pour l'aménagement du quartier des marolles est établi, en 1969, l'atelier de recherche et 4 Le Soir, 10-11 octobre 1976. 5 Voir notamment le numéro spécial de La revue nouvelle : Les «groupes de base.» Un phénomène politique ?, n° 9, septembre 1975. 33 d'action urbaine (ARAU). L'ARAU «a pour objet la lutte contre la déshumanisation croissante des structures urbaines et la promotion d'un cadre de vie qui développe la créativité collective. Il veut rechercher un nouveau type d'organisation qui favorise la rencontre des hommes dans la ville et qui oriente leurs relations vers la démocratie.»6 L'association Inter-environnement, qui voit le jour en 1971, a pour ambition d'agir comme groupe de pression sur les décisions politiques en matière de protection de l'environnement et du «cadre de vie.» La volonté d'intervenir dans les procédures décisionnelles placera Inter-environnement dans une dynamique complexe de contestation-intégration. Ce qui ne manquera pas d'engendrer des tensions sur le but et le fonctionnement de l'organisation. En 1978, Gérard Lambert n'hésitera pas à évoquer sa — jeune — histoire comme celle de son «intégration progressive dans l'appareil d'Etat.»7 Conclusion que nuancera voire contredira René Schoonbrodt.8 De nos jours, Inter-environnement a clairement gagné en crédibilité comme groupe de pression auprès des pouvoirs publics. Cette crédibilité fut notamment accrue en termes d'expertise et d'analyse avec la professionnalisation de l'association.9 En retour, l'institutionnalisation progressive d'Inter-environnement a aussi modifié sa nature et son attrait. Thérèse Snoy, actuelle présidente d'Inter-environnement Wallonie, a ainsi remarqué que la militance et le bénévolat à IEW sont plus rares aujourd'hui, notamment chez 6 H. CNUDDE, «L'atelier de recherche et d'action urbaine», La revue nouvelle, n° 4, 1970, p. 387. Voir aussi l'interview de R. SCHOONBRODT : «L'action urbaine : un exemple à Bruxelles, l'ARAU», La revue nouvelle, n° 5-6, mai-juin 1971, p. 481 et suivantes. 7 G. LAMBERT, «L'écologie est partout», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978, p. 269. 8 René Schoonbrodt aborde cette problématique contestationintégration avec nettement plus de nuance sans nier pour autant les dangers de «l'institutionnalisation.» R. SCHOONBRODT, «Inter-environnement ou l'action contrainte», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978. 9 Il y a aujourd'hui une quinzaine de permanents à Interenvironnement Wallonie qui permettent de faire face «honorablement à l'énorme complexification des problèmes.» T. SNOY, «Inter-environnement Wallonie. Du volontariat au professionnalisme», Critique régionale, n° 20, p. 112. 34 les jeunes, car ces derniers semblent plus attirés par des organisations «actives», contestataires et à l'écho médiatique nettement plus important, telles Greenpeace.10 Il n'empêche qu'Inter-environnement Wallonie a fédéré de plus en plus en d'associations : 15 en 1974, 50 en 1980, 90 en 1990 et 116 en 1994.11 Le 12 mars 1976, naît l'ASBL Les amis de la terre, dont plusieurs animateurs proviennent de Démocratie nouvelle. En janvier 1977, Les Amis de la terre se dotent d'une charte qui, comme le soulignent P. Mahoux et J. Moden, «porte la marque peu douteuse des animateurs de Démocratie nouvelle et de Combat pour l'écologie et l'autogestion.»12 La problématique de l'énergie, et tout particulièrement de l'énergie nucléaire, est au centre des préoccupations de cette nouvelle association. Elle condamne tout à la fois le pari nucléaire et prône l'utilisation de sources énergétiques alternatives. Dans le numéro spécial que La revue nouvelle consacre, en 1976, à l'énergie nucléaire, Paul Lannoye en dresse certains contours : «C'est un même effort de recherche qui doit permettre la mise en œuvre rapide des techniques douces, la priorité absolue devant être accordée aux énergies solaire et éolienne. A cet égard, certains problèmes concrets pour lesquels on peut espérer une solution doivent polariser l'attention : 1 - la ventilation de la consommation énergétique selon l'usage et le secteur d'utilisation ainsi que la répartition géographique de cette consommation, 2 - le stockage de la chaleur par voie chimique et par système à changement de phase, 3 - le relevé des nappes aquifères au voisinage des agglomérations, 4 - le relevé des sites privilégiés du point de vue de la grandeur des vents et de leur régularité.»13 Les Amis de la terre permettront à la jeune mouvance écologiste de sortir progressivement de l'épicentre namurois en créant des sections dans d'autres provinces wallonnes. Ainsi la 10 Ibid., p. 114. 11 B. RIHOUX, «Nieuwe sociale bewegingen in Franstalige België, eenheid in Verscheidenheid ?», in S. HELLEMANS en M. HOOGHE (eds), Van Mei'68 tot «hand in hand.» De geschiedenis van de nieuwe sociale bewegingen in België. 1965-1995, Gavant, Leuven, 1995. 12 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 6. 13 P. LANNOYE, «Les énergies alternatives : un rôle marginal ?», La revue nouvelle, n° 9, septembre 1976, p. 224. 35 section liégeoise est créée en mars 1977 sous les auspices de José Daras, Théo Bruyère, Henri Hoffait et Raymond Yans, futurs dirigeants liégeois d'Ecolo. C'est d’ailleurs dans les traces de la constitution des sections locales des Amis de la terre que sont déposées, à l'occasion des élections législatives de 1977, plusieurs listes écologistes : Ecolog dans les arrondissements de BruxellesHal-Vilvorde et de Nivelles et Wallonie écologie dans huit arrondissements provinciaux wallons. Ecolog obtient 11 555 suffrages (1% à l'échelle de l’arrondissement de Bruxelles-HalVilvorde et 2,3% dans l’arrondissement de Nivelles). WallonieEcologie est présente dans sept arrondissements. Elle obtient son meilleur score dans le canton de Namur : 1743 voix, soit 2,9%. Résultats de Wallonie-écologie par arrondissement Voix Charleroi Mons Soignies Thuin Huy-Waremme Dinant-Philippeville Namur % 588 1953 896 861 777 809 3249 0,3 1,5 1,0 1,1 0,9 1,0 2,3 Créée pour la circonstance électorale de 1977, Wallonieécologie, après quelques mois d'hibernation, est remise sur pied dès le 23 janvier 1978. Le 18 août 1978, elle adopte un programme. Celui est fortement marqué par les axes programmatiques du manifeste des Amis de la terre : fédéralisme intégral, référendum d'initiative populaire, arrêt du programme nucléaire, promotion des énergies non polluantes et renouvelables, protection des espaces agricoles et forestiers,...14 Cette agrégation politique de la mouvance écologiste à partir des Amis de la terre entraîne des conflits internes vifs en son sein. Au bout du compte, une partie des militants — en particulier bruxellois — plutôt favorables à l’action sur le terrain provoque une scission. Deux groupes concurrents s'affrontent désormais : Les Amis de la terre et le réseau libre des Amis de la terre. Cet affrontement a des répercussions à l’occasion de l'élection législative du 17 décembre 1978. Dans la mesure où, dans la région bruxelloise, prédomine le réseau libre des Amis de la terre, la liste Ecopol comprend de nombreux membres de cette organisation. 14 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 7. 36 L'autre liste écologiste présente dans la région bruxelloise, Ecolog, n'a pas l'aval des Amis de la terre. En revanche, du côté wallon la «tendance» des Amis de la terre prédomine mais les conflits internes ont laissé des cicatrices. Il y a moins de listes qu'en 1977. Wallonie écologie n'est présente que dans six arrondissements administratifs : Nivelles, Charleroi, Liège, Neufchâteau-Virton, Dinant-Philippeville et Namur. La liste Ecolog recueille 8 364 suffrages, soit 1% dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Ecopol récolte, pour sa part, 3 924 voix, soit 0,5% dans le même arrondissement. Enfin Wallonie-Ecologie engrange 21 224 voix, soit 1,23% à l'échelle wallonne. Sans que ce résultat soit prodigieux, les scores obtenus dans certains cantons wallons revêtent une certaine signification : Wavre, 3,5% ; Liège, 2,6% ; Paliseul, 3,6% ; Walcourt, 3,0% ; Andenne, 3,5% et surtout Namur, 5,2%. Ces quelques éléments encourageants favoriseront la poursuite d'un travail politique. Celui-ci trouve son prolongement naturel dans la préparation d'une liste à la première élection au suffrage universel pour le Parlement européen prévue pour juin 1979. Dès le mois de février 1979, la plate-forme programmatique de la liste est adoptée. Ses axes principaux sont la promotion d'une Europe des régions, la démocratisation des Communautés européennes et l'instauration des procédures référendaires, le développement d'une économie européenne «écologique», l'établissement de relations égalitaires avec le tiers-monde, la désescalade de l'armement nucléaire et le retrait de l'OTAN.15 Paul Lannoye conduit la liste qui s'intitule Europe écologie. Y figurent treize membres des Amis de la terre. Contrairement à la situation qu'a connue Wallonie écologie aux élections législatives de 1977 et 1978, Europe écologie n'a pas la concurrence d'autres listes écologistes. Le résultat obtenu va au-delà des espérances puisque Europeécologie totalise 107 837 voix, soit environ 5% à l'échelle wallonne et 3,3% dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Europeécologie recueille ses meilleurs résultats dans les provinces de Namur (6,4%) et de Liège (5,9%). La percée est par contre moins forte dans le Hainaut (3,5%) et dans la province du Luxembourg (3,9%). Le résultat atteint s'inscrit dans une progression enregistrée 15 Ibid., p. 9. 37 par d'autres listes écologistes confectionnées pour l'élection européenne. Si Europe écologie n'a pas d'élus, ses artisans y voient un formidable encouragement au développement de l'écologie politique en Belgique francophone. Le jour même de l'élection, on n'a pas fait pas mystère parmi les promoteurs de la liste : «Nous avons tout lieu d'être optimiste pour la suite mais il va falloir que nous nous organisions parce que nous représentons apparemment un espoir pour une partie importante de la population et nous n'avons pas le droit de la décevoir.»16 La liste Europe-écologie et, plus largement certaines formations écologistes en Europe, a dépassé un seuil de crédibilité électorale. L'écologie politique se façonne désormais dans la vie politique de quelques Etats européens. Cette émergence constitue un encouragement à aller de l'avant et à étendre le champ de ses approches. Paul Lannoye ne s'y trompe pas. Un mois après le scrutin européen, il annonce cette évolution : «Plus fondamentalement sans doute, il s'agit de faire connaître le projet écologique dans son intégralité, de prouver que ce projet va bien au-delà de la lutte pour la protection de l'environnement dans laquelle on essaie toujours de nous enfermer. (...) Dans cette perspective, l'écologie qui implique de nouveaux rapports de l'homme avec la nature, mais aussi de nouveaux rapports sociaux apparaît bien comme la seule alternative démocratique cohérente.»17 Même si l'impulsion des élections européennes a été forte, les réticences à la création d'un parti restent multiples. Même parmi les membres des Amis de la terre.18 Toutefois, chez les militants et 16 Le Soir, 12 juin 1979. 17 P. LANNOYE, «Que vont faire les écologistes ?», Le Soir, 11 juillet 1979. 18 Pierre André en donne un aperçu dans La revue nouvelle : «Les Amis de la terre se veulent un mouvement d'écologie politique. Chaque terme ici a son importance. Mouvement et non parti ni groupe de pression, groupuscule ou club de réflexion, mais bien rassemblement de militants écologistes disposant de moyens d'analyse et d'action qui leur sont propres. Ecologie «politique» car si elle ne proposait pas de nouveaux modèles de société elle rentrerait dans la catégorie de l'environnementalisme dont nous avons démontré plus haut les mécanismes. Adopté en février 1977, le «manifeste des Amis de la terre-Belgique» consigne les grands principes qui les animent et les guident. Ni bible, ni corps de doctrine figé, il organise en projet politique la théorie et la pratique écologiques articulées autour de trois thèmes essentiels : l'écologie, l'autogestion et le fédéralisme intégral.» 38 les organisations de protection de la nature, de lutte contre l'énergie nucléaire, de promotion du féminisme ou des énergies douces, beaucoup s'interrogent sur les débouchés politiques de leurs combats et sur une structuration globale de leur mouvement. Le pas est en voie d'être franchi. C'est lors de deux assemblées de militants écologistes au mois de mars 1980 (Opheylissem, le 8 et Huy, le 23) qu'est mis sur les fonts baptismaux le mouvement Ecolo. L'objectif principal est «d'organiser une structure d'intervention permanente sur le mode autogestionnaire et fédéraliste, afin de poser la revendication écologique sur le plan politique en termes de gestion de société.»19 Ecolo se positionne surtout comme une formation totalement neuve : neuve quant à son fonctionnement interne, neuve quant à la manière d'envisager les débats, neuve enfin quant aux questions qu'elle aborde. Ecolo veut tourner une page de l'histoire, celle qui a opposé le monde du travail au monde du capital sur des enjeux socio-économiques, la page qui a vu politiquement la gauche et la droite se combattre. Ce n'est pas son histoire. Ce ne sont plus les véritables enjeux. Ni à gauche, ni à droite. Ailleurs : «On nous demande à quelles conditions Ecolo ne sera pas un parti comme les autres ? Il y a une réponse de fond à cette question — insuffisante peut-être — mais qui est déterminante : c'est qu'Ecolo est l'interrogation politique qui pose les problèmes de notre civilisation, se démarquant ainsi de l'héritage politique du siècle passé dans lequel se mesurent tous les autres partis.»20 La création d'Ecolo n'a pas été acquise consensuellement. Quelques semaines après la tenue des deux assemblées de fondation, une série de mouvements se présentant comme des «groupes écologistes de bases», lui dénient la légitimité d'incarner l'écologie politique et dénonce son caractère opportuniste : «Des représentants des groupes écologistes de base des régions de LiègeVisé, Bruxelles, Huy-Waremme, Verviers, Nivelles, Mons, Borinage, Soignies, La Louvière (...) contestent la prétention d'Ecolo à une quelconque représentativité des écologistes belges (...), dénoncent l'adoption par ce mouvement d'une structure particratique qui permet à quelques carriéristes politiciens d'envisager la réalisation P. ANDRE, «Les Amis de la terre vus par un militant», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978, p. 349. 19 La Libre Belgique, 23 avril 1980. 20 G. LAMBERT, J.-M. PIERLOT et J.-L. ROLAND, «Les écolos voient l'avenir autrement», La revue nouvelle, n° 5-6, mai-juin 1982, p. 544. 39 de leurs ambitions personnelles.21 «Pour Ecolo, il faudra attendre les lendemains de l'élection législative de novembre 1981 pour se voir reconnus comme seul représentant fondé de l'écologie politique. Mais à l’occasion de cette élection, plusieurs listes sont présentées aux électeurs avec un label «vert.» A Bruxelles, l'opposition à Ecolo est dirigée par Luc de Brabandere qui mène une liste intitulée Ecolo-J. Elle aura un pendant dans certains arrondissements wallons. En accord sur les principes défendus par Ecolo, Ecolo-J est une réminiscence du conflit ayant opposé Les Amis de la terre et du réseau libre des Amis de la terre qui s'est focalisé sur des questions de personnes. Pour sa part, la tendance libertaire est représentée sous l'autel de la liste Eco-Bruxelles dont la démarcation envers Ecolo et Ecolo-J tient avant tout dans le rejet du légalisme. La liste a en effet deux «origines» : les membres de l'association CQFD (Cyclistes quotidiens follement dynamiques) et les amis des militants des «cinq de Zeebrugge», à savoir cinq sympathisants écologistes qui avaient saccagé le navire Andrea Smith, chargé de déchets radioactifs dans le port de Zeebrugge.22 Au demeurant, pour marquer leur différence, EcoBruxelles organise sa conférence de presse dans une maison squattée dans le quartier des communautés européennes.23 Enfin, une quatrième liste au label «vert» est déposée sous la houlette d'André De Schrijver, proche des milieux d'extrême droite et aux relents xénophobes marqués.24 Celle-ci porte le titre d'Ecolos. Malgré la présence de plusieurs listes concurrentes, les railleries de l'extrême-gauche25 et de la presse communiste26, et de 21 Le Soir, 29 avril 1980. 22 La Libre Belgique, 26 octobre 1981. 23 Le Soir, 1 et 2 novembre 1981. 24 Le Soir, 31 octobre 1981. 25 Dans le journal La Gauche (trotskiste), on peut lire : «Image de marque oblige, le programme de la liste Ecolo est imprimé sur du papier gris, visiblement du vieux papier recyclé. C'est très bien. L'ennui, c'est que les idées qui s'y trouvent sont souvent, elles aussi, de vieilles idées recyclées. La Gauche, 5 novembre 1981. 26 Jean-Pierre Keimeul y fait des amalgames avec la vielle droite française : «Disons-le sans acrimonie, les têtes de liste de ce mouvement connaissent mieux les résidences secondaires de nos campagnes que les corons ouvriers. Leur analyse politique et économique rejoint parfois les discours du CVP ou plus exactement 40 maigres moyens27, Ecolo réalise une percée marquante lors du scrutin législatif. Il obtient 135 129 suffrages. En Wallonie, son score atteint 6,1% tandis que dans l'arrondissement de BruxellesHal-Vilvorde, il est de 2,5%. Qu'en est-il des listes écologistes concurrentes ? Ecolo-J recueille 8 826 voix surtout dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, Eco-Bruxelles, 2 710 et Ecolos 5 828, dont une bonne part dans le Brabant wallon. Si ces trois listes ont pu porter un petit préjudice à Ecolo dans la région bruxelloise, le total de leurs suffrages (17 364) témoigne que les électeurs ont bien choisi Ecolo comme la formation écologiste francophone «légitime.» Ce résultat permet à Ecolo de conquérir ses premiers élus : deux députés et trois sénateurs. Ecolo et Agalev sont de la sorte les deux premières formations écologistes en Europe à remporter des élus lors d'une élection nationale ! A la Chambre, Olivier Deleuze est élu dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde et José Daras dans celui de Liège. Au Sénat, Pierre Van Roye est élu dans l'arrondissement de Bruxelles-HalVilvorde, Simone Jortay-Lemaire dans celui de Charleroi-Thuin et Alphonse Royen, dans celui de Verviers. Au surplus, Georges Trussart sera coopté au Sénat sur une liste d'alliance PS-FDF-RPWEcolo.28 Ecolo recense ainsi six parlementaires à l'issue de ce scrutin. Le profil des élus écologistes détonne dans les assemblées parlementaires. Olivier Deleuze a vingt-six ans. Ingénieur agronome diplômé de l'université catholique de Louvain, il a accompli un service civil à Inter-Environnement Bruxelles dont il deviendra viceprésident. Il militera aussi à l'ARAU et aux Amis de la Terre.29 Professeur de latin-grec, Alphonse Royen, qui a 43 ans au moment de son élection, est parti enseigner en Afrique. Revenu en Belgique, il adopte plusieurs enfants du tiers-monde et devient d'une nouvelle droite française, qui s'inspirant du pétainisme des années quarante, voit l'avenir dans le retour à l'agriculture, le développement de l'artisanat et des petites entreprises.» Le drapeau rouge, 8 octobre 1981. 27 Selon Ecolo, la campagne de 1981 a coûté un peu plus d'un millions et demi qui ont été empruntés. Le Soir, 10 novembre 1981. 28 Le Soir, 8 décembre 1981. 29 Le Soir, 12 novembre 1981. 41 ouvrier-forestier.30 Jeune enseignant liégeois (il a alors 33 ans), José Daras est un «enfant de mai 1968.» Lecteur du journal écologiste français La gueule ouverte (voir infra), il a suivi les premiers jalons de l'écologie politique au travers du parcours de René Dumont en France.31 Simone Jortay-Lemaire née en 1929 est, pour sa part, conseillère conjugale. D'origine verviétoise, elle y a créé en 1962 un des premiers centres sociaux pour les immigrés. S'installant dans la région carolorégienne, elle milite pour le planning familial et l'aide sociale contre le corporatisme médical.32 Agé de 56 ans, Pierre Van Roye est le doyen des élus. Employé, il a, à l'instar d'Olivier Deleuze, milité aux Amis de la Terre et à InterEnvironnement Bruxelles où il a également occupé la viceprésidence. L'entrée des députés et des sénateurs écologistes (Ecolo et Agalev) au Parlement sera tonitruante. Olivier Deleuze et ses amis se rendent en effet à vélo, sous une pluie battante, lors de la première session le 27 novembre 1981. Ce jour-là, les parlementaires écologistes volent la vedette aux responsables des autres formations. Ce qui suscite amusements mais aussi ironie paternaliste33 et râleries34. Le même jour, les députés écologistes distribuent, au cours d'une suspension de séance, des petites fioles d'«eau non radioactive» prélevée dans la Meuse, denrée qui risque, selon eux «devenir rare dans quelques années.»35 Le ton est donné. Le président de la Chambre, le libéral Jean Defraigne, aura beaucoup de mal à s'accoutumer au non conformisme de certains députés écologistes, qui transgressent les codes — ou peut-être les canons ? — vestimentaires de «l'élite de la nation.» 30 Le Soir, 21-22 novembre 1981. 31 Le Soir, 24 novembre 1981. 32 Le Soir, 4 décembre 1981. 33 S'adressant à un journaliste, Guy Spitaels persifle : «Jacques, je viens sur mon ânesse et j'aurai mon petit succès. Il pleut, c'est un coup du sort pour ces jeunes gens. C'est excellent !» Le Soir, 28-29 novembre 1981. 34 Le ministre régional bruxellois sortant, André Degroeve, peste de ne pas voir son exploit sportif reconnu à sa juste valeur : «Je vois que pour vos confrères photographes, il n'y a plus que le folklore qui paie ! Personne ne parlera de moi, et pourtant je suis venu à pied de mon bureau, et encore, sous la pluie.» Le Soir, 28-29 novembre 1981. 35 Le Soir, 28-29 novembre 1981. 42 L'appréhension des institutions parlementaires par les nouveaux élus écologistes révèle toutefois des sensibilités différentes illustrées par les propos de José Daras et d’Olivier Deleuze. Le député liégeois précise en effet d'emblée qu'il a choisi d'inscrire son action politique dans le cadre des institutions : «La tactique des radicaux italiens fait merveille dans leur pays, mais je ne la crois pas exportable chez nous. Notre vie politique est déjà suffisamment bloquée. Je nous imagine aller faire de l'obstruction, en déposant des centaines d'amendements. Mieux vaut concentrer nos forces sur les propositions réalistes, pas utopiques de notre programme.»36 Le propos de Deleuze est autre : «Il va... falloir être original... On peut imaginer des moyens les plus sérieux aux plus burlesques, le but étant de se faire entendre... un peu à l'image de ce que font les radicaux en Italie.»37 Le frère flamand : la naissance d'Agalev Les origines du parti écologiste en communauté flamande, Agalev, sont différentes de celles d'Ecolo. Il faut remonter au début des années septante et à la mise sur pied dans la province d'Anvers d'une association Anders Gaan Leven38 (AGL, vivre autrement). Ce mouvement a été impulsé par Luc Versteylen, prêtre et enseignant jésuite dans la banlieue d'Anvers.39 Le groupe fonde sa philosophie, sa réflexion et son action autour de trois valeurs principales : la solidarité, la sobriété et le silence.40 Lors des élections législatives de 1977, l'association AGL décide de déposer une liste sous l'étiquette Agalev dans le canton d'Anvers. Le résultat est alors marginal. Mais le fait d'avoir pu la déposer contribuera à une certaine structuration. Il favorisera 36 Le Soir, 28-29 novembre 1981. 37 Cité par J. DARAS, «Le grand chantier», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, Le grand chantier. Réflexions d'écologistes, Edition Luc Pire, 1994, 144 p., p. 81. 38 «Vivre autrement.» 39 B. RIHOUX, Emergence et développement des deux partis écologistes belges, Institut e Ciències Politiques i Socials, working paper, n° 77, 1993, 47 p., p. 6. 40 K. DESCHOUWER, «Belgium : The «Ecologists» and «Agalev»», in F. MÜLLER-ROMMEL (Edited by), New Politics in Western Europe. The rise and success of Green Parties and Alternative Lists, Westview Press, 1989, 230 p., p. 40. 43 notamment le landelijke beraad (conseil national) à décider de prendre à nouveau part aux élections législatives de 1978.41 A l'instar d'Ecolo, les élections européennes de 1979 permettent aux écologistes flamands de sortir de la marginalité politique. Ils obtiennent à l'échelle du collège électoral néerlandophone 2,3% des suffrages. Ce succès débouche cependant sur des conséquences paradoxales dans la mesure où il accroît les tensions entre le mouvement d'origine (AGL) et la structure politique Agalev qui n'est alors toujours qu'un groupe de travail. L'«explication finale» se déroulera suite à l'élection législative de 1981, où la liste Agalev récolte 138 527 voix, soit 3,9% dans les régions flamandes. A l'instar d'Ecolo, Agalev décroche aussi ses premiers élus ! Dans ces conditions, les pressions pour la formation d'un parti écologiste flamand sont plus fortes que jamais. Ce sera chose faite à l'issue des journées des 27 et 28 mars 1982. Agalev devient un parti politique à part entière. Si le processus de création est parallèle à celui d'Ecolo, l'origine et les sources d'inspiration d'Agalev sont très distinctes. Le rapport au monde catholique, très puissant en Flandre, est à cet égard tout à fait distinct d'Ecolo. Comme le soulignaient, en 1984, Kris Deschouwer et Patrick-Edward Stouthuysen, «il existe une affinité entre Agalev et des mouvements chrétiens progressistes. (...) Le parti Agalev, et plus particulièrement, le «mouvement de renaissance» dont il est issu, résulte d'un malaise vis-à-vis de certaines institutions catholiques.»42 Les raisons qui ont permis à Ecolo en Communauté française et germanophone, et à Agalev en Communauté flamande d'émerger comme des partis écologistes avec un poids parlementaire et politique certains sont diverses. — D'une manière générale, à la suite des mobilisations des années septante, on observe un frémissement électoral pour les partis écologistes en constitution dans plusieurs pays européens. En 1983, les Grünen allemands font à leur tour une entrée au parlement fédéral, le Bundestag (voir infra). 41 B. RIHOUX, «Belgium : Greens in a divided society», in D. RICHARDSON and C. ROOTES (Edited by), The Green challenge. The development of Green Parties in Europe, Routledge, 1995, 268 p., p. 96. 42 K. DESCHOUWER et P.-E. STOUTHUYSEN, «L'électorat d'Agalev», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1061, 1984, p. 7. 44 — Le mode de scrutin belge basé sur une proportionnelle avec apparentements provinciaux autorise l'arrivée de nouveaux groupes ou partis sur l’échiquier politique. Bien plus que dans un système majoritaire, le système proportionnel permet à de nouvelles formations, qui ne sont pas marginales d'acquérir, à tout le moins ponctuellement43, une base électorale et parlementaire. — Il convient aussi d'analyser la percée d'Ecolo et d'Agalev à la lumière du blocage que connaît la vie politique belge depuis le milieu des années septante. En huit ans, les Belges ont été amenés à se présenter aux urnes à six reprises : quatre élections législatives chaque fois anticipées (1974, 1977, 1978 et 1981), une élection communale (1976) et une élection européenne (1979). La lassitude face à ce grippage du fonctionnement normal de la vie politique a certainement profité à Ecolo et à Agalev. — Il leur aura d'autant plus bénéficié qu'Ecolo et Agalev se présentent aux électeurs avec des problématiques neuves, peu en rapport avec les questions qui dominent le débat politique depuis plusieurs années : le conflit linguistique sur fond d'échec du pacte d'Egmont mais aussi sur fond d'une crise économique et sociale dont on mesure de plus en plus l'ampleur. — Par ailleurs, Ecolo, dont un trait d'identité est la défense du fédéralisme sur le plan interne comme sur celui de la société, profitera aussi partiellement du déclin du Rassemblement wallon. Celui-ci s'est accéléré à la charnière des années septante et quatre-vingt. Evolution en Wallonie des résultats du Rassemblement wallon (en %) 1968 1971 1974 9,0 1977 21,0 1978 16,4 1981 7,0 9,2 4,7 — Enfin, rappelons que nous sommes dans une période où la sensibilité à la dégradation de l'environnement s'est fortement étendue. Notamment en raison des catastrophes environnementales qui ont frappé les imaginations (voir supra). 43 Les exemples sont nombreux d'une apparition parfois importante sur l'échiquier politique d'une formation qui disparaît presque aussi vite que son succès fut important. Nous songeons, pour la période contemporaine, au rassemblement wallon ou l'Union démocratique pour le respect du travail (UDRT). 45 La consolidation d'Ecolo Durant l'année 1982, Ecolo s'efforce de gérer le succès de 1981, en tentant d'apprendre les subtilités de la vie et des procédures parlementaires tout en conservant des activités et des actions hors les enceintes de la Chambre et du Sénat. D'un point de vue interne, il s'active principalement dans la perspective d'une échéance capitale dans le cadre de son fonctionnement et de ses propositions institutionnelles : les élections communales. Ecolo s'y présente avec trois priorités programmatiques essentielles tout en refusant toute alliance préélectorale44 : — l'établissement du référendum d'initiative populaire à l'échelle communale ; — la reconnaissance de conseils de quartier et de villages (voir infra) qui auraient un véritable pouvoir décisionnel sur les questions concernant la ville ou le quartier ; — la remise en cause du fonctionnement et des pouvoirs «démesurés» des intercommunales.45 Dans l'optique de la démocratie de base que prône Ecolo, la question des intercommunales est essentielle. Au lendemain de son succès à l'élection législative de 1981, les écologistes avaient déjà adressé des critiques fortes au fonctionnement des intercommunales : la manipulation de la gestion publique à des fins spéculatives par des pouvoirs privés dans des intercommunales mixtes ; l'incompatibilité entre les services que doivent assurer des intercommunales et la présence au sein d'assemblées générales et de conseils d'administration de plusieurs d'entre elles de représentants d'intérêts privés ; la tendance aux prix surfaits dans la mesure où les intercommunales ristourneraient «aux communes les bénéfices prélevés sur les consommateurs.»46 Ces trois points sont d'ailleurs un prérequis pour toute liste de rassemblement.47 44 Le Soir, 14 août 1982. 45 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 15. 46 Le Soir, 11 décembre 1981. 47 «Texte général pour les élections communal d'octobre 1982», Ecolo info, n° 5, avril 1982, p. 6. 46 Après la percée de l'élection législative de 1981, Ecolo «s'installe» en Communauté française lors de ces élections communales. Il y recueille septante-cinq conseillers communaux. En outre, il fait une entrée remarquée dans la majorité d'une des plus grandes villes francophones du pays : Liège.48 La campagne communale a été très polarisée dans la ville de Simenon. Deux pôles essaieront d'enlever la majorité absolue des sièges. D'une part, une liste de rassemblement des progressistes réunit le parti socialiste, le rassemblement populaire wallon et le Rassemblement wallon sous le sigle RPSW. D'autre part, le PSC et le PRL se présentent en cartel (Union pour Liège, UPL) pour faire échec au RPSW. En définitive, ni l'un ni l'autre ne recueillent de majorité absolue. Résultat des élections communales à Liège en 1982 Voix RPSW UPL Ecolo PCB PTB AAT-AAJ UDRT RCL VOTEZW RAL SZ 48 483 43 452 13 871 5 270 277 659 1 936 3 918 463 165 480 % Sièges 40,75 36,52 11,66 4,43 0,23 0,55 1,63 3,29 0,39 0,14 0,4 23 21 6 1 C'est dans ce contexte qu'Ecolo sera approché tout à la fois par le RPSW et par le cartel libéral-social-chrétien. Très rapidement, les écologistes abandonnent la perspective d'un accord avec les libéraux et les sociaux-chrétiens. Les discussions débutent alors avec les représentants du RPSW. Ecolo défend prioritairement la confection d'un programme de législature sur lequel, en réalité, il ne rencontre que peu de réserve à sa grande surprise.49 Il est vrai que pour le PS, le RW et le RPW, l'essentiel n'est pas là. Ecolo fait son écolage politique. 48 J. BAUFAYS, M. HERMANS et P. VERJANS, «Les élections communales à Liège : cartels, polarisation et les écologistes au pouvoir», Res publica, 1983, 2-3. 49 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 64. 47 L'accord entre Ecolo et le RPSW est signé le 22 octobre 1982 et débouche sur un programme de gestion détaillé. Celui-ci prévoit notamment des points clés en termes de participation politique des citoyens hors le calendrier électoral : interpellation des habitants aux séances du conseil communal, retransmission audiovisuelle des séances du conseil, possibilité d'organisation de référendums d'initiative populaire,... Le programme contient par surcroît un élément essentiel aux yeux des écologistes : le désengagement du nucléaire dans un délai maximum de cinq ans. Cet accord sera accepté par trois quarts de l'assemblée des cent-vingt membres présents de la locale liégeoise d'Ecolo.50 Ecolo est représenté au collège par trois échevins : Raymond Yans (Premier échevin, échevin de l'Urbanisme, de l'aménagement du territoire et des transports en commun), Brigitte Ernst (échevine de la Jeunesse, des sports51, de la participation et des relations avec les quartiers) et Théo Bruyère (échevin du Logement et des bâtiments communaux). Pendant les premières années d'existence, la vie et l'activité d'Ecolo sont rythmées par un double mouvement. D'une part, une certaine institutionnalisation de son action. Au Parlement mais aussi dans tout ce qui concerne la vie politique. D'autre part, dans la réaffirmation constante par Ecolo de sa vocation de mouvement, c'est-à-dire d'association présente sur d'autres terrains que le niveau institutionnel. Les initiatives écologistes dans le domaine extraparlementaire sont percutantes, médiatiques et ont pour ambition de frapper les imaginations. — En avril 1982, les sénateurs Alphonse Royen et Georges Trussart entament un jeûne pour exiger du gouvernement des mesures 50 Y. VANDERBEMPDEN, Ecolo : De l'action civique à l'action politique. Analyse d'éléments historiques et de l'itinéraire de 16 élus de Wallonie et de Bruxelles, mémoire de licence UCL, juin 1993, 180 p., p. 31. 51 Dans une interview au journal Vlan, Brigitte Ernst reconnaîtra, en novembre 1984, «n'avoir jamais participé, avant d'être nommée échevin, à la moindre manifestation sportive !» Vlan, 12 novembre 1984. 48 concrètes concernant la résolution contre la faim dans le monde adoptée par le Sénat à l'initiative des écologistes.52 — En janvier 1983, les écologistes parodient, dans le métro bruxellois, les services offerts par les compagnies d'aviation à leurs passagers. Ils y distribuent des pralines pour stigmatiser la politique des prix de la société des transports intercommunaux bruxellois. En effet, selon les calculs d'Ecolo, le prix du voyage en métro est supérieur au kilomètre à celui pratiqué par les compagnies d'aviation. — A Uccle, commune de la région bruxelloise, le conseil communal écologiste Alain Thys joue de la corne de brume et se fait exclure par la police lors d'une séance du conseil communal.53 — En septembre 1984, plusieurs militants d'Ecolo bloquent pendant une heure, à Hockay, le tour de Belgique tout terrain pour protester contre les dégradations à la nature que cette compétition occasionne.54 — Le 21 avril 1985, enfin, les parlementaires écologistes — Ecolo et Agalev — franchissent de manière illégale l'enceinte de la base de Florennes où doivent être «accueillis» les missiles de croisière américains pour protester contre l'abandon de ses prérogatives par la Chambre et le Sénat. Arrêtés, les parlementaires sont maintenus en prison pendant deux jours. L'affaire fait grand bruit et embarrasse le gouvernement libéral-social-chrétien. Tout le monde dans la mouvance pacifiste n'a toutefois pas apprécié cette action de «francs-tireurs.» Le comité national d'action pour la paix et le développement (CNAPD) qui rassemble la nébuleuse des organisations pacifistes ne cautionne pas cette action non concertée : «Le CNAPD dénonce les actions entreprises en dehors des concertations avec les composantes du mouvement de la paix, alors que l'essentiel est de convaincre les populations du bienfondé des propositions du mouvement de la paix.»55 Trois ans après la création d'Ecolo, l'heure est à un premier bilan de la présence d'Ecolo comme mouvement et comme parti sur l'échiquier politique belge. Après la première percée de l'élection législative de novembre 1981, après l’implantation réalisée dans la foulée de l'élection communale de 1982 et alors qu'Ecolo est 52 Les deux sénateurs poursuivront leur grève de la faim «jusqu'à la limite de leurs forces physiques mais sans se détruire.» La Libre Belgique, 6 mai 1982. 53 Le même Alain Thys proposera de débaptiser l'avenue De Fré, ou siégeait l'ambassade d'URSS, au profit de l'avenue Sakharov. 54 La Wallonie, 15 septembre 1984. 55 Le Soir, 22 avril 1985. 49 présent au Parlement depuis deux enseignements tirés par ces expériences ? ans, quels sont les Tel est l'objet principal de l'assemblée générale qu'Ecolo organise à Marcinelle en avril 1983. Selon Paul Lannoye, secrétaire fédéral et l'un des têtes pensantes du mouvement, Ecolo peut se montrer satisfait du chemin parcouru pendant cet espace-temps même si du travail reste encore à réaliser : «Le bilan est positif car le monde politique a été obligé de prendre en compte une série de thèmes que nous jugions prioritaires. (...) On a réconcilié une partie de l’opinion publique avec la politique. Enfin, un élément négatif est sans doute qu'avec neuf parlementaires (six francophones et trois néerlandophones), nous ne pesons pas assez dans les débats à la Chambre et au Sénat.»56 Les débats de l'Assemblée de Marcinelle découvrent plusieurs bémols à ce satisfecit. Les écologistes ont découvert les difficultés et les limites de l'action parlementaire, l'ingratitude du travail dans les commissions de la Chambre et du Sénat, de même que les rapports nouveaux aux associations et aux individus que leur présence au Parlement a provoqués. «Le travail au Parlement était apparu à la fois plus prenant et plus ingrat que prévu. Très vite, les gens, les groupements, se sont adressés à nous parce que nous étions au Parlement et pour nous demander de plus en plus d'y travailler pour défendre leurs préoccupations. C'était vraiment la découverte d'un continent inconnu. Enfin, le Parlement se révélait ne pas être l'amplificateur espéré»57 rappelait récemment José Daras. En plus, il y a les interminables discussions avec des partenaires éventuels et, surtout, une difficulté nouvelle mais qui devient récurrente dans le mouvement : assurer un travail parlementaire crédible et sérieux tout en maintenant une activité et des actions extra-institutionnelles.58 Tâche redoutable s'il en est pour un parti qui ne compte que quelques centaines d'adhérents et moins de militants encore. La tension entre la dynamique du «mouvement» et la logique du «parti» est parfois complexe à assumer. Des dissensions se font jour et les déçus, de part et d'autre, s'expriment. 56 La Libre Belgique, 30 avril 1983. 57 J. DARAS, «Le grand chantier», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, Le grand chantier. Réflexions d'écologistes, Ed. Luc Pire, 1994, 144 p., p.84. 58 Le Soir, 2 mai 1983. 50 Au début de l'année 1984, Eric Picard, un des neuf secrétaires fédéraux d'Ecolo démissionne. Il reproche le manque de réflexion de l'organisation sur cette problématique et la gestion des problèmes au jour le jour : «On ne s'est pas posé, ou on ne veut pas, la question de savoir si nous devons effectivement participer aux institutions toujours et partout, en accepter tous les vices, cachés ou non. Nous n'avions pas de stratégie, ni de tactique à mener au sein des diverses institutions politiques. Ce sont les institutions qui nous ont dicté notre ordre du jour, nos thèmes de réflexion. (...) Notre présence institutionnelle n'a apporté aucun changement fondamental en direction de nos objectifs.»59 Au-delà du malaise politique sur la définition identitaire du mouvement que met en exergue cette démission, cet exemple révèle aussi l'hétérogénéité des motivations des adhérents originels d'Ecolo. Les attentes, les envies, les choix de vie et de société sont très dissemblables parmi les membres fondateurs du mouvement. Leur parcours politique aussi. Ecolo aura à clarifier tout à la fois son identité et à choisir entre des orientations stratégiques discordantes. Cela ne se fera pas sans peine. Si le monde des adhérents écologistes est hétéroclite, Ecolo est aussi confronté à un autre problème important : l'instabilité de ses élus, à tous les niveaux de pouvoirs. Un an après son élection, le sénateur Royen remet son mandat. Au surplus, Ecolo est frappé par un drame. La sénatrice Ecolo, M. Jortay-Lemaire, décède accidentellement en septembre 1984. Dans les conseils communaux, le problème se pose avec encore plus d'acuité. Les situations sont diverses. — La découverte du travail communal en a découragé quelquesuns. — Les élus communaux d'Ecolo sont le plus souvent très jeunes ; c'est-à-dire, les personnes dont la mobilité est la plus forte. Plusieurs déménagements d'élus entraînent la vacance de fait ou de droit des sièges. — Les discussions internes dans l'organisation écologiste ont également eu un impact sur le monde des élus communaux. Plusieurs d'entre eux abandonnent la vie politique ou, de temps à autre, changent de parti. En 1985, Ecolo avait épuisé en plusieurs endroits ses réserves en suppléants. 59 Ecolo info, n° 36, 31 mars 1984, p. 51. 51 Une progression arrêtée Durant le premier semestre de l'année 1984, Ecolo s'active à la préparation du deuxième scrutin européen au suffrage universel. Dernier niveau où il n'a pas encore d'élus, les verts espèrent décrocher un siège en juin. La liste est conduite par, l'ancien secrétaire général d'Inter-environnement Wallonie, François Roelants du Vivier. Le 17 juin, le pari d'Ecolo est gagné. De 135 129 voix à l'élection législative de 1981, il grimpe à 220 663 suffrages (9,4% à l'échelle wallonne), enregistrant une progression spectaculaire dans le Hainaut, où il n'est pas loin de tripler ses voix. Surtout, sa tête de liste, François Roelants du Vivier, est élue. Le succès d'Ecolo dans le collège francophone belge est partagé du côté flamand, puisqu'Agalev recueille 246 712 voix (7,2% dans la région flamande) et obtient aussi un député européen : Paul Staes. La victoire électorale de 1984 et le gain d'un siège de parlementaire européen ont été accueillis avec satisfaction mais ils n'ont pas effacé le trouble qui traverse Ecolo depuis plusieurs mois. Au début de l'année 1985, Paul Lannoye en fait état sans ambages : «Il me paraît, et de nombreux indices confirment cette impression, qu'il est temps de provoquer un sursaut au sein d'Ecolo. Le désenchantement actuel, le manque d’enthousiasme et même une certaine grogne ambiante paraissent sans doute hors de propos alors que notre popularité se confirme de jour en jour, et pourtant les faits sont là.»60 Il propose un plan de relance politique articulé autour de quatre points majeurs. — L'organisation de campagnes d'envergure sur des thèmes tout à fait spécifiques à Ecolo par rapport aux autres formations politiques. Il songe en particulier à une action saillante contre l'utilisation massive de pesticides dans l'agriculture de même qu'à une campagne d'information d'envergure sur la problématique des pluies acides. — Fixer comme priorité d'assurer la présence d'Ecolo d'abord et avant tout dans les débats politiques où les écologistes peuvent marquer leur différence : c'est-à-dire principalement dans le registre des questions relatives à la protection de l'environnement. 60 Ecolo info, 1er février 1985, n° 51, p. 49. 52 — Soutenir à tous les points de vue — politique mais également financier — des initiatives d'autres mouvements ou associations en accord avec les orientations philosophiques et politiques d'Ecolo, tout particulier sur les questions qui concernent l'environnement. — Enfin, corollaire des trois premières propositions, Paul Lannoye suggère de «laisser tout le reste, c'est-à-dire ce qui ne nous permet pas de faire la différence.»61 Le malaise est confirmé dans le rapport moral présenté par le secrétariat fédéral au premier semestre de l'année. On peut notamment y lire qu'Ecolo «(au niveau fédéral en tout cas) a beaucoup plus souvent réagi que pris l'initiative. De plus, ses réactions se font au coup par coup sans stratégie globale»62, thème étonnamment proche de certains reproches adressés à la direction du mouvement ces derniers mois. C'est donc dans la voie d'un repositionnement politique, stratégique et organisationnel qu'une première étape importante dans la tentative de clarification de la dialectique entre les dimensions «mouvement» et «parti» d'Ecolo a lieu lors des assemblées générales de 1985. A l'issue de débats vifs mais constructifs, est adoptée une déclaration dite de PeruwelzLouvain-La-Neuve. Pour l'essentiel, la déclaration de Peruwelz-Louvain-La-Neuve de 1985 réaffirme les deux faces de l'identité organisationnelle d'Ecolo — parti et mouvement. Mais dans la logique dégagée par Paul Lannoye au début de l'année 1985, elle insiste cependant spécifiquement sur l'aspect mouvement : «Ecolo est un parti politique. (...) Mais Ecolo ne veut pas privilégier le travail dans les institutions, qu'il cherche d'ailleurs à désacraliser en confrontant à la réalité les discours qui y sont tenus. Ecolo se veut surtout un mouvement, en contact direct et permanent avec les multiples associations qui forment le tissu de la mouvance écologiste.»63 Mais les dissensions n'en sont pas pour autant atténuées. Elles vont, au contraire, s'amplifier. Le noyau dur de la contestation provient principalement de la régionale de Bruxelles. Les opposants aux choix majoritaires veulent marquer Ecolo plus à gauche que ne le souhaite la direction. Plusieurs d'entre eux ont une sensibilité de 61 Ecolo info, 1er février 1985, n° 51, p. 50. 62 Ecolo info, dimanche 26 mai 1985. 63 Ecolo, Déclaration de Peruwelz- Louvain-La-Neuve exprimant les principes fondamentaux du mouvement Ecolo rendue publique le 1er juillet 1985, 18 p., p. 16. 53 gauche, voire parfois d'extrême-gauche. Certains ont milité dans des organisations d'extrême gauche proche de la mouvance trotskiste (Pour le socialisme — PLS —, La ligue révolutionnaire des travailleurs — LRT). Il ne s'agit que de quelques individus64 mais c’est une composante qualitativement importante. Dès avant l'assemblée générale de Floreffe, qui se tient en mai 1985, ils enjoignent le mouvement à adopter un «programme de résistance à la crise.»65 Le conflit entre le secrétariat fédéral et la régionale de Bruxelles connaît un nouvel accès en septembre 1985. Lors de son assemblée, le 4 septembre 1995, la régionale de Bruxelles a confectionné des listes au Sénat et à la Chambre dans lesquelles des places, supposées utiles, sont attribuées à des personnes très à gauche. A la chambre, la proposition est la suivante : 1 Deleuze, 2 Collard, 3 Fauchet et 4 Winkel. Au Sénat, l'ordre est 1 Vaes, 2 Segers, 3 Van Roye. Saisi par quelques délégués bruxellois mécontents de ce classement, le comité d'arbitrage fédéral annule cette proposition en affirmant que la «désignation des candidats à Bruxelles est entachée de suspicion.... et risque de compromettre le consensus politique et la cohésion du mouvement.»66 Ce conflit entre la régionale bruxelloise et les instances fédérales se réglera difficilement. Le 13 septembre une nouvelle assemblée régionale modifie, au terme de longs débats et à la suite d'une vingtaine de votes67, la présentation des listes. A la Chambre, Olivier Deleuze occupe toujours la deuxième place mais cette fois devant Xavier Winkel. Collard est troisième tandis que Jean-Louis Fauchet qui suscitait la méfiance des instances fédérales est rétrogradé en quatrième place. Au Sénat, Jean-François Vaes emmène la liste devant Carla Segers et Jean Donneux. Les problèmes de la liste bruxelloise ne seront pas clos pour autant puisque le comité d'arbitrage refusera la présence de Carla Segers-Goffi sur la liste ; celle-ci ayant acquis la nationalité belge trop tard selon les instances fédérales d'Ecolo. 64 Olivier Deleuze l’évalue à 10% de la régionale bruxelloise. Entretien avec les auteurs, 23 janvier 1996. 65 La Libre Belgique, 12 mai 1985. 66 Le Soir, 12 septembre 1985. 67 Le Soir, 16 septembre 1985. 54 Ecolo part donc aux élections législatives d'octobre 1985 dans le cadre d'une tension interne latente et explicite. Néanmoins, les écologistes vont au scrutin confiants. Ils pensent les partis écologistes en croissance et ils ont connu une progression notable aux élections européennes. De plus, le travail de plusieurs de ses parlementaires a été reconnu. Dans un classement des députés francophones fondé sur le dépôt de propositions de lois, d'amendements, la confection de rapports, de questions écrites ou orales et d'interpellations, Olivier Deleuze et José Daras sont, par exemple, respectivement répertoriés troisième et neuvième.68 Pour leur part, Georges Trussart et Pierre Van Roye sont classés quinzième et vingt-neuvième parmi les sénateurs francophones. Le résultat des élections est très décevant pour les écologistes francophones qui s'attendaient à une nouvelle percée. Il n'en est rien. Le score obtenu est très en retrait du résultat de l'élection européenne de 1984 : 152 843 suffrages soit 70 000 de moins qu'un an auparavant. Le désappointement est d'autant plus vif qu'au Nord du pays, Agalev a, lui, confirmé son résultat des élections européennes (226 758 voix) et qu'Ecolo espérait une progression notable par rapport à l'élection de 1981. Ce ne sont finalement que 15 000 voix supplémentaires que les verts ont pu gagner. Le traumatisme est grand dans ses rangs.69 Ecolo a sans doute quelque peu pâti de l'arrivée — éphémère — sur l'échiquier politique d'une nouvelle formation politique. Né le 24 mars 1985, Solidarité et participation (SeP) se présente, comme le nouveau relais politique du mouvement ouvrier chrétien, après la participation du parti social-chrétien à la ligne néo-libérale du gouvernement Martens-Gol. SeP a pris part à la campagne de 1985 en mettant en exergue quatre «convictions» : — l'idée qu'il existait une alternative, même «limitée», à la crise économique et à la politique du gouvernement ; — les points déterminants de l'alternative devaient s'établir tout à la fois sur des questions de politique économique et sociale mais aussi sur des problématiques institutionnelles telles le 68 Le Soir, 1 octobre 1985. 69 G. Dutry, F. Janssens, J.-M. Pierlot et C. Delbascourt parlent pour leur part d'«électrochoc» : Les résultats de ces élections législatives ont joué un rôle d'électrochoc pour Ecolo, qui précédemment avait tendance à croire à une augmentation automatique de son pourcentage dans les élections successives. Les résultats ont été ressentis comme un succès relatif ou comme un échec relatif.» Ecolo info, numéro spécial, 6 janvier 1986, p. 5. 55 développement et le dynamisme régionaux et d'élargissement de l'espace démocratique ; — l'absolue nécessité d'allier dans cette alternative l'approche des problèmes intérieurs et les questions extérieures : le principe de solidarité devant guider cette appréhension combinée ; — le besoin de renouveler la société, de l'ouvrir au débat, d'y valoriser la place des femmes et des jeunes afin de garantir son caractère pluraliste et pluriel.70 Une fois encore dans l'histoire politique belge, la tentative d'établir un parti politique incarnant la philosophie et les principes du mouvement ouvrier chrétien a échoué. SeP n'a pas remporté le succès qu'il escomptait. Il n'empêche que les éléments fondés sur le christianisme social qu'il a mis à l'avant-plan de la campagne ont séduit des catégories électorales susceptibles de voter pour Ecolo. On peut notamment l'observer dans le Brabant wallon. Ce résultat fut aussi le fruit d’une mauvaise campagne. Paul Lannoye le rappelle : «On est allé aux élections fleur au fusil en croyant qu’on allait gagner. Il n’en a rien été. Ces élections avaient été très mal préparées. On était à l’époque dans un bouillonnement interne qui était stimulant quelque part mais qui était un peu destructeur. Tout était toujours remis en question.»71 A l'issue des élections, Ecolo recense cinq députés dont trois nouveaux : Olivier Deleuze et Xavier Winkel (Bruxelles), José Brisart (Soignies), Georges Dutry (Charleroi) et José Daras (Liège). La moyenne d'âge des cinq députés est de 34 ans ! Au Sénat, Ecolo a deux — nouveaux — élus directs : Jean-François Vaes (Bruxelles) et Edgard Flandre (Charleroi-Thuin) auquel s’adjoindra Georges Trussart, coopté sur une liste PSC-CVP-Ecolo-Agalev. Ceux qui escomptaient une victoire pour relancer Ecolo et diluer la contestation en sont pour leurs frais. Au contraire, l'échec de 1985 alimentera et exacerbera la crise interne. Les explications sont différentes de part et d'autre. Relevons toutefois un élément de commentaire qui a souvent eu beaucoup de succès lors des tassements électoraux d'Ecolo : le problème de la communication. José Daras, par exemple, attribue — déjà ! — le résultat à un problème de communication électorale : «Nous avons eu quelques toutes-boîtes mal réussis avec des BD moches, un «look» peu attirant. On a surtout mal ciblé nos investissements. Les gens se préoccupent du chômage, de la violence, de la sécurité. Ils se 70 Le Soir, 24 septembre 1985. 71 Entretien avec les auteurs, 24 janvier 1996. 56 fichent, malheureusement sans doute, complètement de l'agriculture biologique. Certains ont voulu rompre le coup au professionnalisme. Dans un débat télévisé, nous avons été lamentable.»72 A la fin de l'année 1985, une crise éclate au secrétariat fédéral. Philippe Defeyt, Paul Lannoye et Michel Somville, trois fortes personnalités du secrétariat fédéral, remettent leur mandat à la disposition du parti à la suite de ce qu'ils ont perçu comme un vote de méfiance : «La réunion du conseil de fédération du 29 novembre dernier a débouché sur une décision qui a entraîné un certain nombre de secrétaires fédéraux à annoncer leur démission. Il n'est pas niable que le secrétariat fédéral connaît actuellement des problèmes de fonctionnement difficiles à gérer et que, par ailleurs, le rôle qu'il est censé tenir ne semble pas clair pour tout le monde (y compris à l'intérieur même du secrétariat fédéral) ce qui accroît ces difficultés.» Le vote négatif sur la base même du projet d'organigramme a sans doute été la goutte qui fait déborder le vase, d'autant plus aisément que : «personne ne semble disposé à prendre le relais ; les offres concrètes de collaboration ou de simple assistance sont aussi rares que les critiques nombreuses. En outre, le vote dont la question concluait une discussion où était mise en cause «la philosophie même de l'organigramme», il a donc été perçu par les soussignés comme un vote de méfiance. La conséquence logique, de notre point de vue, était la remise de notre mandat à la disposition de la prochaine assemblée.»73 Pendant l'année 1986, la crise interne ouverte connaît des soubresauts multiples. 72 Le Soir, 4 avril 1986. 73 Ecolo info, 15 décembre 1985, n° 66. 57 Vers une «opposition constructive écologiste» à la majorité PRL-PSC du gouvernement wallon ? La première assemblée générale de 1986, le 23 février à Louvain-La-Neuve, a été houleuse. Une motion signée par Paul Lannoye, Michel Somville et Philippe Defeyt préconisait la professionnalisation des postes de secrétaires fédéraux. L'assemblée n'a pas suivi cette proposition, la motion est défaite par septante-sept voix (53,8%) contre soixante-six (46,2%). Paul Lannoye parle de «piètre bilan d'une journée.»74 Les délégués de la régionale bruxelloise sont voués aux gémonies. Le poids de la régionales de Bruxelles est en effet très important. Ainsi à l'Assemblée de Louvain-La-Neuve, sur les cent quatre-vingts membres ayant participé à un moment ou à un autre à l'assemblée, un seul venait de la régionale d'Arlon-MarcheBastogne, dix de Charleroi, six de Huy-Waremme, vingt-trois de Namur, sept de Soignies, vingt-deux du Brabant wallon, huit de Dinant-Philippeville, dix-neuf de Liège, quatre de NeufchâteauVirton, sept de Thuin, six d'Eupen-Malmédy, quatre de Mons et cinquante-six de Bruxelles.75 Quelques réactions enregistrées à la suite de cette assemblée attestent de l'ampleur de l'aigreur et du combat interne : — Jean-Paul Chauvin : «Quant au fond, nous regrettons qu'une fois de plus, nous ne sommes pas véritablement parvenus à vider l'ordre du jour. En effet, une fois de plus, nous avons été «piratés» par des interventions parasites, toujours les mêmes :... «Nous-pauvresfemmes-victimes-des-hommes-ces-abominables-machos»... ; le refrain toujours virulent, toujours gauchisant de quelques omniprésents Bruxellois.»76 — François Gérard : «Moi, je crois que, si Ecolo veut éviter l'échec qui finalement serait aussi bien l'échec du mouvement que celui du parti, il est primordial de savoir ce que nous voulons (...). Si le parti doit perdre 40 ou 50 membres, il vaut mieux que cela se fasse très vite. Ces camarades seront toujours des amis, puisque mouvement et parti doivent être intimement liés.»77 74 Ecolo info, n° 69, 8 mars 1986. 75 Ecolo info, numéro spécial, supplément au n° 70, 10 avril 1986. 76 Ecolo info, n° 70, 25 mars 1986, p. 9. 77 Ibid., p. 9. 58 — Georges Dutry : «Eh bien cette assemblée générale s'est révélée particulièrement décevante. (...) En réalité, nous sommes devant des choix décisifs et les participants à cette assemblée générale ont refusé de sauter l'obstacle ! Ne cernaient-ils pas bien les enjeux ? Ou pressentaient-ils trop bien les incidences des orientations à prendre ? Pour ma part et de manière sommaire, je dirais que nous avons à opter . entre un fonctionnement fait de trop de bricolage et un fonctionnement plus professionnel et responsabilisé ; . entre des responsables fédéraux bénévoles et en difficulté d'assurer la gestion politique quotidienne et un secrétariat fédéral rémunéré partiellement, capable de jouer quotidiennement un rôle politique essentiel ; . entre un parti qui n'ose pas dire son nom et un parti «qui fait autrement de la politique» sans renoncer à sa dimension de mouvement et de militants ; . entre une structure qui continue à tourner sur elle-même et une structure qui aujourd'hui se tourne prioritairement vers l'extérieur ; . entre un climat interne de suspicion et de contrôle et un climat interne de confiance et de délégation.»78 — Jean-Louis Fauchet : «Le grand et vrai problème d'Ecolo, ce n'est pas de choisir entre la professionnalisation ou la décentralisation. Mais c'est de définir enfin un projet politique. (...) Paul Lannoye a une explication différente de la crise du mouvement : pour lui, c'est la faute aux communistes. Explication bien commode et bien traditionnelle toujours avancée par les «pères fondateurs» et les «leaders charismatiques» du monde entier lorsque leurs thèses à eux ne sont plus acceptées comme paroles d'évangile. Il est vrai que l'absence du débat convient très bien à Paul Lannoye, car il a ainsi toute liberté de mener son projet stratégique à lui : celui qui, au nom du «réalisme politique», enchaînera Ecolo dans le système politicien traditionnel.»79 Outre les ressentiments que l'assemblée de Louvain-La-Neuve a suscités de part et d'autre, la problématique d'un éventuel accord d’opposition constructive d'Ecolo avec la majorité libérale-socialechrétienne en Wallonie provoque une autre poussée d'adrénaline. 78 Ibid., p. 10. 79 Ibid., p. 10. 59 La configuration de l’assemblée régionale wallonne est tout à fait particulière. Le PSC et le PRL compte soixante des cent-vingt sièges. Le sénateur Volksunie, Antoine Van Overstraeten, apparenté dans l’arrondissement de Nivelles, a été interdit de siéger ramenant le nombre de parlementaires wallons à cent dixneuf. Le parti socialiste compte cinquante-quatre élus et Ecolo cinq. La base de la négociation est simple. Ecolo s’engage à participer aux séances de l’assemblée, court-circuitant de la sorte toute stratégie de paralysie que le parti socialiste menaçait de pratiquer. Pour sa part, le PRL et le PSC feraient avancer un certain nombre de dossiers sur certaines questions environnementales. Le 28 février 1986, le conseil de fédération d'Ecolo est saisi de la question, en débat et précise les axes de la négociation : «Des contacts ont été pris avec la pseudo-majorité PSC-PRL, notre stratégie étant d'essayer de réaliser un accord précis et limité dans le temps. Il s'agit de tenter de faire passer certaines de nos propositions en échange d'une présence lors de votes jugés importants par la pseudo-majorité et «neutres» par nous.»80 Un peu plus de trois semaines plus tard, le conseil de fédération doit prendre position sur l'aboutissement des tractations qui se sont réalisées avec les négociateurs libéraux et sociauxchrétiens. Dès le début de la réunion du 21 mars 1986, les problèmes explosent. D'abord sur les conditions formelles de la discussion. En effet, le point n'est pas inscrit à l'ordre du jour et le projet d'accord est distribué en séance. Intervient donc en préambule un vote pour savoir si le conseil fédéral peut considérer que le point est à l'ordre du jour. Dix-huit membres présents se prononcent favorablement, dix défavorablement et une abstention est enregistrée.81 Une deuxième question préalable rencontre un aval plus large. Elle porte sur le rôle des délégués bruxellois au conseil fédéral dans la discussion et les choix. Dans la mesure où il s'agit d'un projet d'accord portant sur une participation éventuelle «extérieure» à la majorité de la région wallonne, les représentants de la capitale ont-ils la possibilité et le droit de participer à la décision ? Le vote ramène vingt-sept voix pour accorder aux 80 Procès-verbal du conseil de fédération, Ecolo info, n° 70, 25 mars 1986, p. 7. 81 La décision du conseil de fédération du 21 mars 1986 sera d'ailleurs cassée par le comité d'arbitrage car le point ne figurait pas à l'ordre du jour. Ecolo info, n° 73, 5 juin 1986. 60 mandataires bruxellois leur participation au débat et au choix. On ne dénombre que deux voix «contre.» Enfin, il y a une troisième problématique préliminaire à traiter. Compte tenu que le projet d'accord est déposé en séance, le conseil de fédération a-t-il à se prononcer le jour même ou reporter la décision à une séance ultérieure ? Dix-sept délégués se prononcent pour un vote le jour même, neuf souhaitent le rapport de la délibération et deux s'abstiennent. Le principal adversaire à la l’opposition constructive de l'extérieur est le Bruxellois Olivier Deleuze. D'emblée, il a annoncé la mise en balance de son mandat de député en précisant bien qu'il le «remettrait» au mouvement, le cas échéant. Parmi les personnalités wallonnes du mouvement, José Daras est le plus sceptique. Selon ses propres termes son attitude est passée «de la réticence à l’opposition» au moment où la question allait «provoquer un cataclysme interne» : «Au dernier conseil de fédération qui a traité du sujet, j’étais opposé. J’ai dit qu’il fallait arrêter. Car en plus je sentais bien une incompréhension à notre proposition chez les libéraux.»82 Au terme de plusieurs heures de discussions ardues, le principe de l'accord est voté par vingt voix «pour», quatre «contre» et cinq abstentions. La limitation de l'arrangement politique avec le PSC et le PRL à neuf mois est, quant à elle, adoptée à l'unanimité moins deux abstentions. Olivier Deleuze tire immédiatement la conclusion du vote et démissionne de son mandat de député.83 L'annonce de ce vote et la préparation de l'assemblée générale de mai qui doit débattre de la ligne politique et de l'orientation stratégique d'Ecolo vont porter à son paroxysme la 82 Entretien avec les auteurs, 5 février 1996. 83 Il s'en explique publiquement dans La dernière heure du 24 mars 1986 : «Je n'admets pas qu'Ecolo abandonne son rôle de mouvement radical et antiproductiviste au profit d'une alliance avec les forces conservatrices. Le conseil de fédération a en effet adopté, vendredi soir, un projet d'accord avec le PSC et le PRL en vue d'associer le quorum permettant à l'exécutif de la région wallonne d'agir. (...) J'estime qu'Ecolo y perd son âme et, plus tard, son existence, je ne supporte ni humainement, ni politiquement d'être député d'un parti qui fait de la sorte reculer l'écologie politique radicale.» La dernière heure, 24 mars 1986. 61 crise intérieure et provoquer de nombreux départs.84 D’autant qu’au bout du compte cet accord entre Ecolo, le PSC et le PRL capotera. Une nouvelle identité pour Ecolo : la motion de Neufchâteau-Virton Secrétaire fédérale liégeoise, en opposition avec le projet d'un accord avec le PRL et le PSC, Myriam Keenes démissionne. Elle se dit écœurée par ce qu'elle qualifie comme des «manœuvres» de Paul Lannoye et ses amis en vue de l'assemblée fédérale de Neufchâteau-Virton du 11 mai 1986. Cette démission dévoile une acrimonie sans précédent, de part et d'autre, dans le mouvement. Sa lettre se présente comme un véritable réquisitoire à l'endroit de quelques dirigeants historiques d'Ecolo : Martine Dardenne, Philippe Bonhomme, Philippe Defeyt, Paul Lannoye et Jean-Luc Roland.85 La réaction acerbe de Jean-Luc Roland est à la 84 Jean-Marie Pierlot, qui démissionne à la suite du vote 21 mars 1986, résume les ambiguïtés du programme social d'Ecolo qui conduit à sa démarche : «L'humanisme chrétien qui sous-tend l'idéologie sociale d'Ecolo donne à chaque individu la chance de trouver son salut dans l'autonomie. (...) On reconnaîtra sans peine les caractéristiques de l'idéologie dominante, qui prétend parler au nom de l'universel, alors qu'elle représente les intérêts dominants.» 85 Plusieurs en extraits en témoignent : «Depuis leur installation, ces trois secrétaires fédéraux (Frédéric Janssens, Myriam Kennes et Jean-Pierre Viseur, PD et JMD) ont dû subir un isolationnisme systématique, des manœuvres évidentes de division, des propos aussi peu conviviaux que possible, tant à leur égard qu'à l'égard de plusieurs collaborateurs dévoués, écœurés et finalement démissionnaires. Plusieurs militants chevronnés qui avaient jusqu'ici montré beaucoup de bonne volonté et inspiré confiance se sont révélés d'habiles artificiers occupant leur énergie au fins d'activer des luttes fratricides. Paul Lannoye notamment se refusait tout d'abord à venir discuter des négociations au CRW en présence d'Olivier Deleuze et de Jean-François Vaes. (...) Par un Liégeois bien intentionné, m'informant sur le ton de «ma cocotte, vous allez en prendre plein la gueule, à la méthode bruxelloise...», j'apprends que ce réunit à Namur à notamment, dans le secret, à l'initiative de Paul et quelques autres «anciens» un groupe qui s'organise en stratégie parallèle et se charge d'examiner comment réagir aux résultats de l'AG du 23 février et préparer celle du 11 mai. (...) 21 mars. Conseil de fédération funeste que l'on sait. Que représentent encore certains délégués ? L'avis rigoureux de leur régionale ou celui des artificiers de la citadelle ? Alors que nous espérions l'élection des deux secrétaires fédéraux manquants, celle-ci est 62 hauteur de la dénonciation : «Myriam, de son côté, a été tout à fait absente du secrétariat fédéral précédent. Elle a choisi pourtant de se représenter. Elle a été élue et devait donc assurer la transition, ce qu'elle était bien incapable de faire. Toute la hargne qu'elle a pu exprimer à l'égard de Paul Lannoye dans sa lettre de démission, provient du fait qu'elle espérait qu'il fasse cette transition. Mais Paul a refusé, mettant Myriam devant ses responsabilités.»86 Et, Myriam Keenes de répondre une nouvelle fois.87 Outre les démissions, la décision prise par le conseil de fédération du 21 mars 1986 entraîne surtout une levée de boucliers à la régionale de Bruxelles — la plus importante d'Ecolo. Celle-ci vote deux motions qui apparaissent comme autant de menaces. La première résolution adoptée réaffirme l'impérieuse nécessité de rediscuter lors d'une assemblée fédérale tant la forme que le fond des décisions prises lors du conseil de fédération du 21 mars 1986 : «La régionale de Bruxelles demande à l'assemblée fédérale de débattre et de se prononcer sur le projet d'accord Ecolo-PSC-PRL, nonobstant le fait qu'il soit signé ou pas et sur la procédure interne qui a abouti à son adoption au sein d'Ecolo.»88 Cinquante-trois participants de l'assemblée régionale ont voté «pour», un «contre» et douze se sont abstenus. Un deuxième texte est encore plus dur envers la direction du mouvement et surtout encore plus comminatoire : «Au cas où l'assemblée fédérale du 11-5-1986 ne désavoue pas le projet d'accord Ecolo-PSC-PRL et la procédure interne qui a abouti à son adoption au sein d'Ecolo, la régionale de Bruxelles réexaminera sa position à l'égard du mouvement fédéral d'Ecolo. Elle envisagera notamment la possibilité de créer une confédération unissant, sur un pied d'égalité, Agalev-Ecolo Wallonie, Ecolo-Bruxelles.»89 Il importe toutefois de noter que l'approbation de cette résolution s'est avérée nettement moins consensuelle que pour la première reportée parce que les demandes de candidature ne sont parvenues que tardivement avec la grève des postes... Bizarre scrupule quand on sait que les mêmes délégués votent en séance tenante un accord politique de cinq p. qui vient tout juste de leur être distribué, qui provoque des remous et la démission du député Deleuze...» Ecolo info, n° 71, 25 avril 1986. 86 Ecolo info, n° 72, 30 avril 1986. 87 Ecolo info, n° 74, 30 juin 1986. 88 Ecolo info, n° 73, 5 juin 1986. 89 Ecolo info, n° 73, 5 juin 1986. 63 motion. Seuls, vingt-sept participants ont voté «pour», vingt-six l'ont rejetée tandis que douze se sont abstenus. C'est dans ce contexte électrique qu'est appelée à se tenir une assemblée fédérale capitale. La réunion programmée pour le 11 mai 1986 doit en effet doter Ecolo d'une ligne politique et identitaire nouvelle. Quatre motions sont en compétition. La première est présentée sous la houlette de Paul Lannoye. La motion des amis de Paul Lannoye s’articule en douze points. Quels en sont les points clés ? Ecolo y est avant tout présenté comme une force de proposition plutôt que d’opposition : «Ecolo s’imposera comme une force de proposition, animée plus par le souci de montrer la cohérence de son projet que par celui d’exacerber les conflits et les problèmes de toutes sortes.» La motion réaffirme le caractère supposé périmé du débat gauche-droite et refuse la vocation qui pourrait être attribuée aux verts «d’être la bonne conscience de la «gauche».» Signifiant l’importance trop grande consacrée aux débats internes, le texte en appelle à un équilibre «entre la nécessité d’étaler dans le temps un débat interne dans un souci de démocratie et celle d’intervenir dans l’actualité avant qu’il ne soit trop tard» ; interventions qui porteront prioritairement «là où le projet écologiste est le plus clairement illustré.» La motion en appelle à une synergie avec les associations et les groupes de citoyens et non à une concurrence ; critique à peine voilée envers l’initiative des parlementaires écologistes à la base de Florennes. Ecolo doit assurer sa crédibilité et son efficacité dans les institutions et doit donc rejeter les sirènes «basistes» antiinstitutionnelles. Pour Paul Lannoye et ses amis, la conquête du pouvoir est appréhendée comme un objectif valable : «Il est donc acquis qu’une telle participation peut être un objectif valable, fonction des circonstances et du type d’institution concernée.» Rappelant le fondement fédéraliste du parti de même que le principe d la démocratie participative, la motion fait référence à des effets pervers : découragement des initiatives, confusion, blocage des décisions, purisme statutaire... Face aux risques «d’une paralysie croissante», elle en appelle à un fonctionnement basé «à la fois sur la démocratie représentative et la démocratie directe, la part de chacune étant clairement définie» : la démocratie représentative pour les tâches quotidiennes du mouvement et la démocratie directe pour les grandes options prises en assemblées générales. La motion d’opposition à ce texte est signée par Anne Deville, Dominique Istaz, Patrice Deramaix, Edith Piret, Pierre Walhain, Léon Gosselin, Pierre Vandewattyne, Louis Wyckmans, Jean 64 Donneux, Bruno Carton, Marc Hansen Catherine Ronse et Michel Installe. Pour les signataires de ce textes — l’aile gauche de la régionale de Bruxelles —, le travail doit d’abord être œuvre de terrain. L’action dans les institutions n’est pas inutile mais apparaît secondaire. Les signataires du texte renversent aussi la prétention de la motion Lannoye selon laquelle la participation au pouvoir peut être un objectif «valable». Pour eux, «dans les conditions actuelles», participer au pouvoir ne peut être un objectif valable : «Nous refuserons donc tout «pouvoir» — toujours factice dans ces conditions — qui résulterait uniquement de combinaisons politiciennes et toute alliance avec des forces dont le programme est sur des points essentiels contraire au nôtre.» Ecolo est donc avant tout une force d’opposition. Les signataires de cette motion prennent aussi le contre-pied de la motion Lannoye sur la démocratie participative et sur le débat interne. Pour eux, l’approfondissement des discussions intérieures enrichit les actions externes : «Sous peine de paralysie croissante, il faut se montrer lucide quant à la valeur de certains de nos présupposés pour recréer une structure démocratique : en particulier il faut se rendre compte que la richesse du débat politique interne ne diminue pas notre capacité d’intervention vers l’extérieur. Au contraire, le sentiment de progresser dans l’élaboration du projet stratégique écologiste ne peut qu’encourager les militants à participer activement sur le terrain et dans les institutions, à lutter sur les thèmes prioritaires.»90 Entre ceux deux motions, deux autres textes sont présentés. L’un par Henri Simons, l’autre par la régionale de Liège. Au total, deux cent septante-deux délégués prendront part aux travaux. Répartition régionale des délégués présents Arlon-Marche-Bastogne Charleroi Huy-Waremme Namur Soignies Brabant wallon Dinant-Philippeville Liège Neufchâteau-Virton Thuin Bruxelles 90 Délégués 8 15 6 36 7 21 8 45 11 5 71 Ecolo info, n °72, 30 avril 1986, pp. 15-16. En % des délégués 2,94 5,51 2,2 13,23 2,57 7,72 2,94 16,54 4,04 1,83 26,1 65 Eupen Mons Picardie Verviers 6 12 10 11 2,2 4,41 3,67 4,04 Lors de chaque tour de scrutin, le texte qui obtient le moins de suffrages est écarté. Dès le premier tour, on note le très faible écart en voix entre les différentes motions. La première résolution a certes obtenu près de 40,82% des suffrages mais elle semble avoir peu de marges. Le texte de l’aile gauche, qui n'a recueilli que vingt-neuf voix, est donc éliminé. Résultats du vote sur les motions au premier tour Voix motion 1 motion 2 motion 3 motion 4 blancs et nuls Votants 109 53 76 29 1 268 % compte tenu des blancs et nuls 40,67 19,77 28,35 10,82 0,37 % compte non tenu blancs et nuls 40,82 19,85 28,46 10,86 Le deuxième tour départage les deuxième (Simons) et troisième (Liège) textes. La motion d’Henri Simons recueille cinquante-neuf voix pour nonante-trois suffrages au texte de la régionale liégeoise. Résultats du vote sur les motions au deuxième tour Voix motion 1 motion 2 motion 3 blancs et nuls Votants 112 59 93 2 266 % compte tenu des blancs et nuls 42,1 22,18 34,96 0,75 % compte non tenu blancs et nuls 42,42 22,34 35,22 Le dernier tour témoigne de la division du mouvement. La première motion l'emporte avec 50,79% des voix. Encore, convientil de remarquer que sur les deux-cent septante et un suffrages, dixneuf sont des blancs et nuls ce qui fragilise plus encore cette très courte victoire dans la mesure où, en définitive, moins de la moitié (47,23%) des délégués ont positivement voté pour ce texte. 66 Résultats du vote sur les motions au dernier tour Voix motion 1 motion 2 blancs et nuls votants 128 124 19 271 % compte tenu des blancs et nuls 47,23 45,75 7,01 % compte non tenu blancs et nuls 50,79 49,2 Dans la foulée de l'assemblée fédérale, un nouveau secrétariat fédéral est constitué. Il est composé de cinq membres : Daniel Comblin, Martine Dardenne, Paul Lannoye, Jacky Morael et JeanClaude Sadoine. L'assemblée de Neufchâteau-Virton est un moment essentiel de l'existence d'Ecolo. Elle lui a permis de se doter d'un texte de référence quant à sa ligne politique et son orientation stratégique après cinq années d'existence. L'assentiment, même avec une courte majorité, donné au texte rédigé par Paul Lannoye, les assurances que ses promoteurs sauront prodiguer aux opposants «modérés» seront un des éléments qui permettra à Ecolo de rebondir politiquement à partir de 1987. Mais avant de retrouver la sérénité interne, Ecolo devra assumer les conséquences des choix effectués le 11 mai et sera confronté aux derniers avatars d'une lutte fratricide qui finira presque pas l'emporter. Des lendemains qui chantent C'est bien évidemment principalement à la régionale de Bruxelles que les conclusions de l'assemblée de Neufchâteau-Virton apparaissent le moins acceptables ; ce qui était d’ailleurs un des buts de la motion.91 La réaction au vote du 11 mai s'effectue en deux étapes. Dans un premier temps, une majorité de membres de la régionale revendique désormais une «indépendance» accrue sur sa ligne et sur ses actions. Elle proclame sa spécificité mais ne 91 «La clarification de Neufchâteau-Virton visait clairement à mettre en difficulté une série de Bruxellois. C’était très clair. C’est vouloir repriser la stratégie d’Ecolo sur un non alignement par rapport à la gauche qu’eux refusaient. C’était très clair» nous a précisé Paul Lannoye. Entretien avec les auteurs, 5 février 1996. Henri Simons, pour sa part, parle de «coup de force» à propos de Neufchâteau-Virton. Entretien avec les auteurs, 26 janvier 1996. 67 souhaite pas couper les ponts avec le conseil de fédération et le secrétariat fédéral. Tel est le sens de la motion votée, en assemblée régionale, le 28 juin 1986 : «1. La majorité des membres présents de la régionale de Bruxelles confirme ne pas approuver certaines orientations de stratégie politique nouvelle adoptées par la majorité du mouvement qui a soutenu la motion de Neufchâteau-Virton (...). Dans la mesure où l'autonomie des régionales et des divergences de vue sur les orientations politiques doivent être gérées plus positivement, la majorité des membres se prononce pour une négociation à l'intérieur avec les autres composantes du mouvement fédéral (...). La négociation demandée porte au moins sur trois points : . la place des régionales au sein des organes de décision, d'animation et d'information du mouvement-parti Ecolo ; . les moyens de garantir à la régionale de Bruxelles l'autonomie de sa gestion financière ; . la nature des décision qui doivent être prises en accord à la fois par le fédéral et par la régionale de Bruxelles.»92 Trois «négociateurs» sont désignés par la régionale pour tenter de conclure cette médiation avec les instances fédérales : Paul Galand, Henri Simons et Denis Leduc. Cette volonté de temporisation débouchera notamment quelques mois plus tard sur l'élection d'une nouvelle équipe au secrétariat fédéral plus équilibrée d'un point de vue politique et géographique. Le 16 décembre 1986, les cinq secrétaires fédéraux élus sont Henri Simons (Bruxelles), Jacky Morael (Liège), Martine Dardenne (Dinant), Daniel Comblin (Neufchâteau) et Paul Lannoye (Namur). Cette position à la fois ferme et pondérée ne sera pas suivie par l'aile la plus «dure» de la régionale. Nombreux parmi le courant le plus à gauche quittent le parti. Ils démissionnent ou ne reprendront plus leur carte. Quelques-uns créeront une structure partisane concurrente : VEGA (les Verts pour une gauche alternative). VEGA se présente comme une formation écologiste et radicalement à gauche : «Les verts pour une gauche alternative sont un mouvement engagé dans le combat social et écologiste. Tout comme la destruction de la nature, l'asservissement des êtres humains est le produit de sociétés fondées sur la domination de l'argent et du productivisme. A la différence du parti Ecolo, les Verts pour une gauche alternative se placent résolument à gauche, si cela signifie être avec ceux qui sont dominés et dépendants dans 92 Ecolo info, n° 76, 15 septembre 1986. 68 le monde d'aujourd'hui.»93 Les verts pour une gauche alternative ne parviendront jamais ni à agréger les déçus d'Ecolo, ni à rivaliser électoralement avec Ecolo. Son seul «succès» fut obtenu dans la commune d'Uccle lors de l'élection communale de 1988 où, sur la base d'une confusion de sigles94, il parvint à décrocher un conseiller communal. Lors de la première élection régionale bruxelloise, en 1989, Ecolo fera interdire par la justice le dépôt de la liste VEGA sous le sigle VERTS. Elle se présentera sous le logo Vers-GA et recueillera 2558 suffrages, soit 0,6%. Dans le contexte des départs enregistrés à la régionale de Bruxelles et dans d'autres fédérations aussi (voir infra), le suppléant d'Olivier Deleuze à la Chambre, Jacques Preumont tentera de catalyser les mécontents des décisions majoritaires prises lors de l'assemblée de Neufchâteau-Virton. Jacques Preumont est rapidement exclu par Ecolo, en raison notamment du non-respect du contrat de réciprocité qui lie les parlementaires du mouvement au parti.95 Contrairement à Olivier Deleuze, Preumont conservera son mandat — et les rémunérations afférentes. Devant l'échec de sa tentative d'agréger les déçus d'Ecolo, il démissionnera de son mandat de député, en octobre 1987. Le poste échoira à Henri Simons.96 Pour Ecolo, les méandres de la crise interne ne sont pas cependant pas — encore — terminés. Le 12 janvier 1987, épuisé par le rythme et les blocages de la vie politique et par les luttes internes à Ecolo, le député Georges Dutry démissionne de son 93 VEGA, Bulletin de liaison, n° 2, décembre-janvier 1990, p. 1. 94 Ecolo avait, exceptionnellement, ouvert sa liste à des personnalités indépendantes et aux représentants du parti communiste. Cette liste fut déposée sous le label V.E.R.T.S. VEGA, pour sa part, déposa sa liste avec l'étiquette VERTS. Les deux listes furent acceptées telles qu'elles. Chacune recueillit un conseiller communal. 95 Son exclusion est signifiée le 19 septembre 1986. Ecolo le menacera même d'aller en justice : «Le secrétariat fédéral (...) a décidé - de désavouer publiquement Jacques Preumont dans l'exercice de son mandat, celui-ci s'étant personnellement placé en dehors du mouvement. - d'exiger de Jacques Preumont qu'il remette son mandat conformément aux engagements qu'il a souscrits. - de se réserver en outre toute possibilité de faire valoir les droits du mouvement en justice.» Ecolo info, n° 77, 25 octobre 1986. 96 Henri Simons qui avait été élu secrétaire fédéral sera remplacé par Pierre Jonckheer. 69 mandat.97 Deux semaines plus tard, François Roelants du Vivier, unique parlementaire européen d'Ecolo, quitte le parti en conservant son mandat. Il justifie sa démission par ce qu'il considère comme la paralysie d'Ecolo : «Chers amis, je m'étais promis le moment de la mi-législature au Parlement européen pour faire le point de mon expérience comme mandataire politique affilié au parti Ecolo, à la lumière du programme que nous avons adopté en 1984 pour les élections européennes. L'évolution actuelle du mouvement et ses derniers soubresauts liés au départ du député Georges Dutry — deuxième départ volontaire d'un député en un an — ne fait hélas que confirmer mon analyse : Ecolo n'a plus la capacité, ni la volonté, ni l'enthousiasme nécessaires pour répondre aux préoccupations de son électorat. (...) Entre la paralysie et l'action, j'ai résolu de choisir, par respect pour l'électeur. J’ai donc décidé de siéger dorénavant comme écologiste indépendant au Parlement européen.»98 Toutefois, d'autres motivations semblent avoir joué dans cette résiliation. François Roelants du Vivier avait effectivement fait l'objet, le 16 janvier 1987, d'une résolution du comité d'arbitrage sur des questions matérielles : d'une part, sur ses rétrocessions au parti et d'autre part, sur des travaux pour lesquels il aurait été rémunéré comme expert sans signaler à Ecolo cette source de revenu.99 En ce début d'année 1987, après l'année d'existence la plus difficile qu'il ait connue, Ecolo apparaît totalement exsangue. Exsangue, d'abord, dans l'optique militante. Ecolo n’a pas seulement perdu «cinquante à soixante adhérents à Bruxelles», 97 «J'en ai marre de l'action politique et de son petit monde, de son cynisme et de ses mesquineries ; l'esprit, le fonctionnement et les moyens d'Ecolo ont eu raison de mon engagement et de ma pugnacité ; cette profonde insatisfaction me pousse à faire autre chose, de plus concret et qui me rende plus disponible à mes enfants, ma famille, mes amis. Cet engagement est aujourd'hui — à mes yeux et dans mes tripes — en totale contradiction avec les préoccupations écologiques qui m'animent.» Ecolo info, n° 79, 28 février 1987. 98 Ecolo info, n° 79, 28 février 1987, p. 10. 99 Le comité d'arbitrage «invite François Roelants du Vivier à dresser un décompte exact et précis de toutes les sommes qu'il perçoit dans le cadre de son mandat parlementaire» et «qu'il est impératif qu'à bref délai soit négocié entre le secrétariat fédéral et FRV le mode de fixation des frais fixes et extraordinaires de ce dernier.» Ecolo info, n° 79, 28 février 1987, p. 13. 70 mais plusieurs centaines de membres dans toutes les régionales (voir infra). Chargé avec Gaston Robillard et Pierre Van Roye, de réaliser un audit du mouvement, Olivier Bribosia est tout à fait explicite dans son rapport : «Tout est lié. Le manque de moyens financiers est aussi dû aux manques de moyens humains, lui-même dépendant de notre lourdeur. Alors que l'organisation Ecolo est capable de gérer plusieurs milliers de membres, elle a montré qu'elle pouvait surtout en épuiser quelques centaines ! Ainsi seuls 25% des membres inscrits en 1983 l'étaient encore en 1985 ! (...) Quant à l'aspect financier, on peut parler de misérabilisme. Le plus grave est sans aucun doute notre dépendance absolue à l'égard des institutions parlementaires qui est une cause de vulnérabilité : si nous ratons une élection, on risque bien de ne plus parler de nous.»100 Exsangue ensuite d’un point de vue financier. Olivier Bribosia y fait clairement référence dans son exposé. Les résultats mitigés de l'élection législative de 1985 et l’hémorragie d'adhérents sont autant de sources de tracas financiers. Mais bien plus graves sont les problèmes avec le départ de parlementaires. A ce titre, le compte rendu de l'audit, terminé à l’automne 1986, est en fait dépassé. La démission de François Roelants du Vivier et l'exclusion de Jacques Preumont sont des coups très durs pour les finances d'Ecolo. Le parti se voit obligé de geler toutes les dépenses prévues. Au début de l'année 1987, les sondages sont au plus bas.101 On peut croire Ecolo proche de la disparition. Il n'en est rien. Malgré toutes les difficultés qu'ils ont traversées, les écologistes feront la preuve que leur existence comme force et formation politiques n'est pas qu'un épiphénomène conjoncturel rapidement digéré par les partis politiques implantés depuis longtemps sur l'échiquier politique. Ecolo rebondit. Il bénéficiera de deux données circonstancielles importantes qui favoriseront cette «renaissance»102. — La première est le retour à l'avant-plan des questions environnementales. L’explosion de la centrale nucléaire soviétique 100 Ecolo info, numéro spécial, supplément au numéro 77 d'octobre 1986, p. 10. 101 Au plus bas, Ecolo sera pointé à 2,9%. Pourquoi pas ?, 25 juin 1987. 102 Début juillet, De Standard publie une enquête d'opinion dans laquelle Ecolo est pointé à 9,4% en Wallonie. De Standaard, 8 juillet 1987. 71 de Tchernobyl (1986) a révélé au monde «occidental» les risques encourus en cas d'accident nucléaire sur le territoire de la centrale certes mais bien au-delà également. Les «nuages nucléaires» ne distinguent pas les frontières. La prise de conscience environnementale connaît un fort regain. Les enquêtes de l'eurobaromètre en témoignent.103 Attitudes à l'égard des centrales nucléaires dans la Communauté européenne 100% 90% 80% 70% 60% risque acceptable Sans intérêt Risque inacceptable 50% 40% 30% 20% 10% 0% 1978 1982 1984 1986 Dans les centres d'intérêt des Européens, l'environnement devient ou redevient une problématique capitale. Le secrétariat fédéral ne cache d'ailleurs pas cet élément : «L'accident de Tchernobyl nous a permis de revenir sur un de nos dossiers de prédilection et de (re)présenter au public nos oppositions à ce sujet sans doute en termes plus nettement originaux et concrets que par le passé (circonstances obligent !).»104 103 Commission des Communautés européennes, Eurobaromètre, n° 28, décembre 1987, p. 75. 104 Ecolo info, numéro spécial supplément au n° 77, octobre 1986, p. 13. 72 Pourcentage de personnes ayant cité l'environnement comme centre d'intérêt et classement dans les centres d'intérêts évoqués à la fin de l'année 1986105 Belgique Danemark Allemagne France Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Royaume-Uni Grèce Espagne Portugal Communauté européenne 44 42 44 41 27 54 60 48 48 47 42 32 46 2 1 1 2 5 2 1 2 1 2 2 2 — Le deuxième élément est l'éclatement de la crise politique en Belgique. La coalition sociale-chrétienne-libérale éclate sur la problématique fouronnaise. Face à l’impasse qui oppose thèses francophone et flamande — particulièrement dans le monde social chrétien — sur les principes, en matière de connaissances linguistiques, et sur la personne de José Happart, Wilfried Martens présente sa démission au roi le 15 octobre 1987, qui est acceptée quatre jours plus tard.106 Les électeurs devront se rendre aux urnes anticipativement. Dans ces conditions, le départ d'un nouvel élu — le sénateur Edgard Flandre — n'a eu qu'un impact limité. Edgard Flandre s'estime brimé par le secrétariat fédéral, qu'il accuse de dictature : «Ecolo est une belle pomme verte. Mais la pomme est véreuse. Aujourd'hui, le mouvement est paralysé par des hommes qui y ont installé une dictature centrale sous un couvert démocratique.»107 Edgard Flandre s'était signalé par une opposition farouche à la dépénalisation de l'avortement, attitude contraire à la position qu'Ecolo avait adoptée en ce domaine (voir infra). Le résultat d’Ecolo aux élections législatives de 1987 doit s’apprécier au regard de son conflit et de sa situation internes durant l’année 1986. Ecolo ne progresse guère par rapport à 1985. Il perd même ses deux mandats de député dans le Hainaut. Sont réélus, José Daras (Liège) et Xavier Winkel (Bruxelles) tandis 105 Commission des Communautés européennes, Eurobaromètre, n° 26, décembre 1986, p. 41. 106 X. MABILLE, «La crise gouvernementale», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1176, 1987, pp. 1176 et suivantes. 107 La Libre Belgique, 17 septembre 1987. 73 qu’Henri Simons (Bruxelles) est élu pour la première fois. Ecolo conserve ses deux sénateurs élus directement : Jean-François Vaes (Bruxelles) et Denise Nélis (Charleroi-Thuin). Pour sa part, Paul Lannoye (Namur) sera coopté. On ne peut donc parler de succès mais Ecolo a aussi fait la démonstration inverse : il ne s’est pas écroulé ni dans ses résultats, ni dans l’obtention d’élus. C’est à partir de cette «stabilisation» que les verts enregistrer trois progressions spectaculaires : aux élections communales de 1988, à l’élection européenne de 1989 et à l’élection législative de 1991. Deux victoires éclatantes : 1989 et 1991 Pour Ecolo, les élections communales de 1988 seront l’occasion d’un redéploiement politique. Le mouvement étend sa couverture en termes de présence, de résultats électoraux et de conseillers communaux élus (voir infra). Si les verts ont été éjectés de la majorité communale à Liège, ils entrent dans le collège échevinal de Bruxelles-ville en coalition avec le PSC, le CVP, le PS et la Volksunie. Mais Ecolo doit encore manger son pain blanc. Dans l’optique d’une progression généralisée des partis écologistes en Europe (voir infra), Ecolo réalise lors de l’élection européenne de 1989 son meilleur score historique : 371 053 voix. Ce qui lui permet d’atteindre 15,3% dans le Hainaut, 16,3% dans la province de Liège, 13,5% dans celle du Luxembourg et 15,9% dans celle de Namur où il supplante même le PRL. A l’échelle de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, il recueille 10,6%. Grâce à cette progression spectaculaire, Ecolo décroche deux députés européens : Paul Lannoye et Brigitte Ernst. Par ailleurs, le score de la liste Ecolo au premier scrutin direct pour élire les conseillers régionaux bruxellois est à l’avenant : 10,2% et 8 élus : Alain Adriaens, Philippe Debry, Annick de Ville, Michel Duponcelle, André Drouart, Paul Galand, Evelyne Huytebroeck, Marie Nagy. Deux ans plus tard, Ecolo confirme sa progression marquante lors de l’élection législative de novembre 1991. Les verts sont toujours au-dessus du cap des 300 000 suffrages : 312 370 suffrages. Sa moisson en élus est remarquable. Au Sénat, José Daras (Liège), Germain Dufour (Liège), Jacques Liesenborghs (Nivelles), Jan Meesters (Charleroi-Thuin), Jean-Paul Snappe (Tournai-AthMouscron) et Jean-François Vaes (Bruxelles) sont élus directement. Il convient d’y adjoindre Martine Dardenne, Pierre Jonckheer et Denise Nélis comme sénateurs provinciaux. A la Chambre, Ecolo obtient dix députés : José Brisart (Soignies), Marcel Cheron (Nivelles), Philippe Dallons (Charleroi), Philippe Defeyt (Namur), 74 René Dejonckheere (Tournai-Ath-Mouscron), Thierry Detienne (Liège), Jacky Morael (Liège), Henri Simons (Bruxelles), Jean-Pierre Viseur (Mons) et Xavier Winkel (Bruxelles). Au-delà de ses seuls résultats électoraux, Ecolo élargit aussi son audience et sa présence à divers échelons de la société. La présence d'écologistes est désormais acceptée. Le sénateur bruxellois Jean-François Vaes fait, par exemple son entrée, comme coopté, au conseil d'administration de l'Université libre de Bruxelles en janvier 1992. Deux ans plus tard, la tradition est perpétuée avec la cooptation d'Henri Simons, alors député et, depuis les élections communales de 1994, échevin à la ville de Bruxelles. Le temps où Ecolo était présenté comme le «parti des petits oiseaux» et où les écologistes apparaissaient comme de doux rêveurs semble révolu. Lors de la célébration de leur dixième anniversaire en 1990, le co-président du PRL, Daniel Ducarme, égratignait d'ailleurs cette image : «Je peux vous assurer que les premiers élus Ecolo ont bouleversé les habitudes et changé l'ambiance du Parlement. Mais qu'on ne s'y trompe pas : avec leurs airs de petits anges, les Ecolos sont sans doute ceux qui maîtrisent le mieux les règles du jeu parlementaire. Et ils en profitent.»108 Maîtrise des règles du jeu parlementaire ? Certes. Maîtrise des règles du jeu politique de la négociation ? A voir. Ecolo fera en effet preuve d'une naïveté certaine lors de la négociation de la dernière (?) étape de la réforme de l'Etat à laquelle il participa (voir infra). Malgré cette considération nouvelle et en dépit de l'élargissement de son audience et de son assise, Ecolo reste un parti fragile et conscient de cette fragilité. Si son «personnel politique» au niveau fédéral est désormais consistant et encadré, Ecolo a toujours des problèmes de stabilité de ses adhérents et de ses élus communaux. Deux après les élections communales de 1988, plusieurs sièges de conseillers communaux n'étaient plus occupés de fait ou de droit. A Molenbeek, grande commune de la région bruxelloise, il ne reste plus d'élus à la fin décembre 1990 après le déménagement de Denis Leduc. De même, suite à la démission d'Odette Collard à Forest, commune de la région bruxelloise, et au désistement de ses deux suppléants, un des deux sièges n'est plus occupé. A Flémalle, dans la province liégeoise, Ecolo se retrouve 108 Le Soir, 26 septembre 1990. 75 également sans conseillers communaux. Par ailleurs, l'évanescence de certains élus — à Saint-Josse notamment — est blâmée.109 Le problème est bien connu des responsables du mouvement qui tentent d'y remédier. «En fait, nous n'avons pas suffisamment de militants désireux de s'engager. On essaie de prendre ce problème à bras le corps», précise Jacky Morael en septembre 1992.110 Dans une rubrique du journal interne Ecolo-info intitulée La parole aux militants, cette problématique est aussi soulevée par des cadres locaux ou régionaux.111 La participation d'Ecolo à la réforme de l'Etat Après leur succès électoral de 1991 et compte tenu de la nécessité d’obtenir une majorité des deux-tiers pour réaliser la réforme de l’Etat, Ecolo et Agalev sont approchés par les formations socialistes et sociales chrétiennes. Dès le départ, les verts précisent leurs conditions. Nouveau secrétaire fédéral, Vincent Decroly dresse le contexte dans lequel Ecolo pense sa participation : «La majorité gouvernementale a besoin des Ecolos pour atteindre les deux-tiers au Parlement. Au menu des négociations, nous placerons l'éco-fiscalité. Nous exigerons au moins l'augmentation des taxes sur les carburants, avec éventuellement des exceptions pour le mazout de chauffage et le carburant des transports en commun.»112 109 Le Soir, 13 janvier 1991. 110 Le Soir, 19 septembre 1992. 111 Fin 1990, le secrétaire régional de Dinant-Philippeville, Paul Jacques signalait les problèmes de recrutement et de militance : «A titre d'exemple, je pose comme objectif que chacune des communes de Dinant-Philippeville ait au moins un conseiller Ecolo au 1-1-95. Si cette croissance politique ne s'accompagne pas d'un recrutement et d'une formation, nous allons vers une crise des cadres et du militantisme. Cela me paraît être un enjeu dont on parle trop peu et cela m'angoisse.» Ecolo info, n° 7, décembre 1990. Même son de cloche chez Xavier Winkel, responsable de la régionale de Bruxelles : «Tant mieux si les délégués deviennent parlementaires, mais il faut recruter et élargir le mouvement. (...) Le Cf devrait aussi faire des propositions pour augmenter la participation des femmes et des jeunes aussi bien en conseil que dans le mouvement.» Ecolo info, n° 1, février 1991, p. 13. 112 La Cité, 3 mars 1992. 76 Dès le début donc, Ecolo place au centre de ses revendications la problématique de la taxation des produits polluants et des produits non réutilisables. Dans ce cadre, il avance la proposition d'une contribution sur le CO2, qui s’inscrirait dans les obligations que le gouvernement belge avait contractées. Le 29 mai 1991, le Conseil des ministres s'était en effet s'engager à réduire en Belgique les émissions de gaz carbonique à l'horizon de l'an deux mil de cinq pour-cent par rapport aux émanations de 1990.113 Position qu’il avait rappelée lors du «Sommet de la terre» à Rio en 1992. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 1992, un accord («accord de la Saint-Michel») intervient entre les quatre partis membres du gouvernement (PS, SP, PSC et CVP) sur la nouvelle structure fédérale de l'Etat belge. Le projet est alors soumis aux délibérations d'Ecolo, d'Agalev et de la Volksunie, partenaires qui ont accepté le principe d’un soutien de l’extérieur et ont été partie prenant aux délibérations. Le 7 octobre 1992, Ecolo conditionne son vote au caractère réellement effectif de ses demandes originales. En particulier : — le caractère «régional complet» de la région de Bruxellescapitale ; — l'octroi d'un statut équivalent des autres institutions à l'Assemblée de la Communauté germanophone ; — un refinancement «structurel, immédiat, suffisant et lisible du non-marchand, régional et communautaire.»114 C'est dans ce contexte qu'est débattu le volet «financement» de la réforme de l'Etat. Le 31 octobre à l'aube, les deux partis socialistes, les deux formations sociales chrétiennes, Ecolo, Agalev et la Volksunie concluent un accord qui amende la conclusion de la Saint-Michel sur le canevas institutionnel et financier de la réforme de l'Etat : l'accord de la Saint-Quentin. Par ailleurs, le même jour, le parti socialiste, le parti social-chrétien et Ecolo «concluent un accord intrafrancophone relatif au réaménagement des compétences communautaires.»115 Sur le plan institutionnel Ecolo a surtout insisté sur la présence à l'exécutif de la Communauté française d'un ministre n'exerçant aucune responsabilité régionale. Mais c’est 113 B. RIHOUX, «Les écotaxes-produits sur la scène politique belge», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1426, 1994, p. 20. 114 Ecolo info, n° 8, octobre 1992, p. 5. 115 B. RIHOUX, «Les écotaxes, produits sur la scène politique belge. II», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1427-1428, 1994, p. 14. 77 principalement sur la question du refinancement des entités fédérées que les représentants d'Ecolo ont bataillé ferme. Même si le résultat est très en deçà de ses espérances, Ecolo est parvenu à augmenter le refinancement de la Communauté française par le pouvoir fédéral en liant les dotations directement à l'évolution du PNB. L'impact est important dans la période 1993-1999 comme l'atteste la comparaison des financements prévus suivant que l'on se situe dans le canevas «Saint-Michel» ou «Saint-Quentin.» Coût net budgétaire fédéral du lien au PNB (en milliards de FB)116 Saint-Michel 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 Saint-Quentin 1,9 4,1 4,7 5,0 14,1 24,4 35,9 37,8 39,9 41,9 4,5 5,4 6,9 8,8 15,5 23,4 34,6 36,5 38,5 40,6 Si les négociateurs d'Ecolo ont donné leur aval au compromis trouvé, celui-ci est cependant conditionné à la ratification par les instances fédérales du parti. Le vote ne se fera pas sans problème. Dans les jours qui suivent l'accord et qui précèdent le conseil de fédération, trois régionales rejettent la conclusion de la SaintQuentin : Namur, Thuin et Huy-Waremme. D'autres expriment des réserves. La discussion au conseil de fédération du 4 novembre 1992, en présence de plus de deux cents personnes, fut laborieuse. Il fallut plusieurs heures de débats pour qu'un vote majoritaire puisse se dégager. Vingt-sept membres votèrent «pour», sept «contre» et trois s'abstinrent. Mais les scrutins sur les trois volets politiques révélèrent des scores différents : — sur la nouvelle structure institutionnelle : trente et un «oui», trois «non» et quatre abstentions ; — sur la négociation entre francophones : vingt-cinq «oui», six «non» et six abstentions ; — enfin sur le refinancement de la Communauté française tel que stipulé dans l'accord : vingt-trois «oui» et treize abstentions.117 116 Le Soir, 2 novembre 1992. 78 Jusqu'au bout du processus, Ecolo liera son vote au Parlement à l'accord concernant le dossier des écotaxes et à la concrétisation législative du compromis du 16 juillet 1992. Au bout du compte, c'est dans la nuit du 8 au 9 décembre 1992, que la négociation sur le dossier des écotaxes aboutit à un accord. Il «prévoit six catégories de produits à taxer (produits jetables, papier et carton, emballages de boisson, piles, emballages industriels, pesticides à usage privé) et un calendrier de mise en œuvre.»118 L'encre à peine séchée, Ecolo aura à affronter une campagne orchestrée par le monde patronal contre l'établissement des écotaxes. Dans plusieurs cas, certaines sections syndicales emboîteront le pas au monde des entreprises.119 Durant cette période, les phrases, les titres et les actions chocs ne manquent pas à l’encontre des verts : la «dictature de l'écologie» (Spa monopole) ; Le 14 décembre 1992 la direction de Solvay mobilise son personnel pour manifester contre les écotaxes, le 16 janvier 1993, quatre mille personnes manifestent à Bruxelles contre les écotaxes sur le PVC. Comme le rappelle Isabelle Durant, «c’était la première fois qu’Ecolo se posait comme acteur régulateur de l’entreprise. Sur un sujet comme celui-là, c’était hautement périlleux.» Effectivement. Cette campagne refroidira les ardeurs des responsables socialistes et sociaux-chrétiens. Ceux-ci mettront plusieurs bémols au fond de l'accord sur les écotaxes. Néanmoins, le 15 janvier 1993, un terrain d'entente est trouvé entre les sept formations partie prenante à la négociation sur les modalités d'application des écotaxes. Le dossier sur la réforme de l'Etat et toutes les questions afférentes va dès lors son chemin au Parlement pour être adopté. 117 Le Soir, 6 novembre 1992. 118 E. LENTZEN et P. BLAISE, «La mise en œuvre des priorités du gouvernement Dehaene. 1. La réforme des institutions», Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1403-1404, 1993, p. 47. 119 S'il est logique et légitime que les organisations syndicales se préoccupent des répercussions en termes d'emplois, de conditions de travail ou d'acquis sociaux, d'accords politiques,... il est en revanche beaucoup plus curieux que certaines sections syndicales aient cru bon de manifester à l'appel du monde des employeurs, qui le cas échant, n'hésita pas à affréter des moyens de transports spéciaux. Les intérêts communs étaient pour le moins ténus. Surtout en matière d'emplois. Le cas de l'entreprise Solvay est, à cet égard, symbolique et pathétique. 79 Le concours d'Ecolo à la dernière réforme de l'Etat a suscité à la fois de la curiosité et certaines réserves en son sein. Pas dans le principe d'une forme de participation au pouvoir. Ecolo avait déjà accepté cette perspective — en pratique à l'échelle communale et théoriquement dans différentes assemblées fédérales. C'est bien plutôt la problématique qui entraîne les verts dans une négociation «gouvernementale.» S’il est vrai que les écologistes se sont toujours montrés de fidèles défenseurs du fédéralisme (voir infra), ce n'est pas précisément sur cette question qu'Ecolo axe ses priorités dans les années nonante. Pierre Jonckheer n'en fait pas mystère : «Le fait que la première participation politique d'importance des Verts ait été d'ordre institutionnel reste pour beaucoup d'entre nous un sujet d'étonnement !»120 On aurait certainement pu s'attendre à un soutien de «l'extérieur» sur des sujets relatifs à la protection de l'environnement, à la défense des services publics, voire à la protection des acquis sociaux. Néanmoins le fait est là. Ecolo a contribué à clore le processus de fédéralisation de l'Etat belge. Ce faisant, il a concouru à donner une chance à un fédéralisme d'union de se déployer en Belgique. Il a aussi été un des ardents défenseurs du refinancement de la Communauté française — même très incomplet. Enfin, il a tenté d'introduire des formes de dissuasion envers le gaspillage en termes d’emballages, en introduisant la formule des écotaxes sur certains produits non recyclés ou non réutilisés particulièrement nocifs. Ce dernier volet est indiscutablement celui qu'Ecolo a pu mener le moins loin. Les lobbies patronaux ont mis en branle une campagne tout aussi énergique auprès de l'opinion publique qu'efficace à l'égard du monde politique. Aujourd'hui l'essentiel du dossier des écotaxes a été laissé en rade. Faute aussi de mouvement social défendant ce dossier. Jacky Morael souligne cette carence : «Dans le processus de dialogue de Communauté à Communauté, ce qui nous a probablement manqué c’est l’existence d’un mouvement à côté de cette négociation. Ecolo n’a pas réussi à exister à côté de cette négociation.»121 120 P. JONCKHEER, «Fédéralisme, la participation des écologistes», in Confrontations, Luc Pire, Collection politique, 1995, 287 p., p. 205. 121 Entretien avec les auteurs. 80 Sur ce plan, Ecolo a indiscutablement fait preuve d'une certaine naïveté et d'un certain optimisme. Ignorer les rapports de force coûte. Au bout du compte, en dépit de toutes les critiques qu'il a dû affronter et d'une certaine forme de virginité qu'il y a perdue, il n'est pas sûr que l'expérience soit négative pour les verts. Dans tout le processus, Ecolo a fait montre de responsabilité associée à une certaine fermeté. Il a brisé l'image de «parti des «non à tout».»122 Il a mis en lumière l’existence d’alternatives pratiques dans de nombreuses circonstances au gaspillage et à l'utilisation de produits dangereux dans les circuits industriels. Il faut évaluer cette participation de l’extérieur d’un point de vue interne. Malgré l'expression de plusieurs reproches (voir infra et supra), cette expérience fut rarement dénigrée. Au contraire, en dépit des méandres de la participation et du nonaboutissement123 du dossier des écotaxes.124 Elle est le plus souvent jugée relativement positivement ; même si elle a clairement laissé des traces dans le parti et si elle a révélé des problèmes de fonctionnement interne et posé une question de principe : la consultation des citoyens. La participation des citoyens au processus décisionnel est un des leitmotiv des écologistes. Ecolo a-t-il «fait de la politique autrement» en ces circonstances ? Dans l'ouvrage Confrontations, Jacques Bauduin dénonce l'absence de débat démocratique lors de l'adoption de la nouvelle constitution, critiquant implicitement et explicitement l'attitude de la direction d'Ecolo en la circonstance : «La transformation de l'Etat unitaire en Etat fédéral s'est faite en 122 Le Soir, 6 novembre 1992. 123 Dans une interview au Vif-L'Express, Paul Lannoye dans le cadre de trouble internes — critiquait le processus, mais une fois encore plus sur la forme et les étapes de la négociation que sur le fond : «Nous avons fait preuve d'ingénuité en faisant confiance au premier ministre. La politique est changeante : les choses auxquelles ont tient, il faut faire en sorte de les obtenir tout de suite.» Le Vif-L'Express, 17-23 novembre 1995. 124 Outre, les responsables que nous avons déjà cités relevons encore les propos d'Henri Goldman et Alain Adriaens : «Ils (les écologistes) ont significativement influencé l'élaboration de la structure institutionnelle du pays qui est devenue proche de ce qu'ils avaient toujours souhaité et ils ont pu engranger le vote d'une loi sur le écotaxes, ce qui est une grande première et une grande victoire dans la perspective d'une fiscalité favorable à l'environnement.» H. GOLDMAN et A. ADRIAENS, «Belgique : L'écologie politique sans complexes», Ecologie politique, n° 11-12, 1994-1995, p. 30. 81 court-circuitant les populations concernées, appelées tout au plus, lors de scrutins législatifs où ces enjeux étaient noyés, à influer très indirectement sur le cours des choses. Une nouvelle constitution a été adoptée en dehors d'un espace proprement politique ouvert à une délibération des citoyens.»125 Dans la mesure où Ecolo fut partie prenante à cette décision, la faute lui en incombe aussi. D'autant qu'Ecolo a fait de la démocratisation des procédures décisionnelles, de la participation populaire la plus large aux choix accomplis une de ses revendications majeures dont une des modalités était d'ailleurs l'organisation de consultations référendaires (voir infra). Il n'en a rien été ici. Certes les interlocuteurs écologistes de la négociation ont formellement fait la proposition d'organiser un référendum.126 Mais ils ne l'ont pas présentée comme un préalable. Un autre volet des critiques sur les formes du choix concerne la prise de décision interne à l'organisation. Les négociateurs d'Ecolo ont été, à certains moments, confrontés à une logique temporelle et politique contradictoire. D'une part, progresser sur les dossiers débattus. D'autre part, consulter tout à la fois les instances fédérales et locales du mouvement sur l'état d'avancement des discussions, sur ce qui pouvait ou ne pouvait pas être toléré. Situation difficile pour un parti dont les membres sont très sourcilleux sur cette dimension. Sur cet aspect également, la participation à la réforme de l'Etat, au dossier des écotaxes et à celui du refinancement de la Communauté française a servi de catalyseur à une réflexion sur la situation interne d'Ecolo. En particulier sur son fonctionnement. Des structures nouvelles En cette fin d’année 1992, l'organisation interne d'Ecolo semble inadaptée à une évolution de fait. La victoire électorale de 1991 a donné un mouvement des moyens sans précédent : plus de parlementaires aux différents échelons, plus de permanents, plus de moyens, plus d’adhérents. Face à cet accroissement du cadre et 125 J. BAUDUIN, «Vous avez dit post-libéral ?», in Confrontations, Luc Pire, Collection politique, 1995, 287 p., p. 89. 126 Dans Le Soir du 1 décembre 1992, le secrétaire fédéral Daniel Burnotte rappelle la position favorable d'Ecolo en la matière : «Pour les accords de la Saint-Quentin, Ecolo est favorable à une ratification par la population (et à sa demande) dans toutes les Communautés et les Régions, afin que toutes les composantes puissent s'exprimer.» 82 des ressources, le fonctionnement paraît, à certains égards, anachronique. Ce problème n’est d’ailleurs pas nouveau. Une première tentative de réformes statutaires avait échoué lors d'une assemblée fédérale tenue à Tournai le 10 mai 1992. Elle prévoyait, entre autres, de ramener à trois le nombre de secrétaires fédéraux et de les rémunérer. L’assemblée générale n’avait pu dégager une majorité des deux-tiers sur les propositions de modifications statutaires. Une nouvelle équipe de secrétaires fédéraux avait été élue : Anne-Marie Lateur (Namur), Roland Libois (Huy-Waremme), Daniel Burnotte (Brabant wallon), Vincent Decroly (Bruxelles). Elle sera complétée en juin par Gérard Lambert (Bruxelles). Cet échec d'une proposition pas toujours bien expliquée attestait, si besoin en était, de la vigilance forte des militants d'Ecolo contre toute perception d'un accaparement du pouvoir aux mains d'un petit groupe. Les problèmes ont cependant persisté comme l'a montré le processus de discussion de la réforme de l'Etat et comme l'illustrèrent aussi les tensions fortes au secrétariat fédéral. Daniel Burnotte, Vincent Decroly et Gérard Lambert étaient rémunérés. Anne-Marie Begaux-Latteur et Roland Libois étaient, en revanche, bénévoles, ce qui provoquait plusieurs déséquilibres. Face à cette difficulté difficilement résolvable, Roland Libois démissionnera : «C'est une illusion que de croire que quelques bénévoles, toujours en train de courir derrière la charrette puissent garantir quelque démocratie que ce soit.»127 Mais il existe aussi des problèmes de personnes et de choix politiques. Les conflits opposent principalement Gérard Lambert à Vincent Decroly et Daniel Burnotte sur le rôle du secrétariat fédéral dans l'organigramme des compétences d'Ecolo. Vidé des personnalités marquantes du mouvement, suite notamment au départ de Jacky Morael et de Marcel Cheron, le secrétariat fédéral pèse peu face aux groupes parlementaires et à leurs ténors. Elément que souligne d'ailleurs Henri Simons : «Le problème du secrétariat fédéral, c'est que les gens qui ont la «légalité» d'être les co-présidents du parti devraient aussi en avoir la légitimité. Le secrétaire fédéral devrait avoir le même statut que le parlementaire, la même durée de mandat, les mêmes moyens d'action, le même salaire. Des gens d'envergure auront alors envie d'aller au secrétariat fédéral. Aujourd'hui, les cinq secrétaires 127 Le Soir, 7 juin 1993. 83 fédéraux sont suspendus au fil des deux ans de mandat. Cela n'a pas de sens.»128 Cela en a d'autant moins que le secrétariat fédéral est par ailleurs paralysé par des dissensions. Cette situation ne pouvait perdurer. Surtout après les problèmes évoqués dans le processus de participation à la dernière phase de la fédéralisation en Belgique. L'Initiative d’une réflexion interne revient au Namurois Michel Somville. Un processus de réflexion sur la structure interne d’Ecolo est lancé au printemps 1993. Le 19 mai 1993, le conseil de fédération du mouvement lance ainsi un débat intérieur sur les «stratégies, les structures et le fonctionnement» du parti. La mission d'impulsion est naturellement confiée à Michel Somville auquel s’adjoint Pierre Jonckheer. Tous deux accompliront un tour des fédérations et s'entretiendront avec de nombreux adhérents. A l'issue de cette phase de consultations et d'entretiens multiples, Michel Somville et Pierre Jonckheer présentent un rapport préliminaire en septembre 1993. Quels en sont les axes ? La première idée ressortant du document préparatoire est le retard pris par Ecolo en termes idéologiques eu égard à sa dernière grande discussion doctrinale, à savoir celle de Neufchâteau-Virton. Or, comme le soulignent Somville et Jonckheer, le «monde a changé» et Ecolo aussi. Les verts ont depuis enregistré une progression électorale marquante (1987, 1989 et 1991) sans qu'une adaptation parallèle des structures, des buts et des réflexions du mouvement soit opérée. Autant d'éléments qui accentueraient la croissance de dysfonctionnements intérieurs et donc l'impérieux besoin de modifications fonctionnelles : «Ces derniers mois, cette nécessité d'adaptation a refait surface avec acuité. Pour les habitués du secrétariat fédéral du vendredi soir, il était loisible de constater la difficulté pour les secrétaires fédéraux de remplir leurs tâches, de vérifier les dysfonctionnements importants dans l'administration et les services centraux d'Ecolo et, sur un autre plan, de noter pour la centième fois le nombre insuffisant de militants et la faiblesse de certaines régionales et locales, voire leur absence.»129 128 Le Soir, 2 juillet 1993. 129 Ecolo en situation, Ecolo info, n° 8, septembre 1993, p. 15. 84 Ces dysfonctionnements auraient connu leur point d'orgue pendant la période de négociation sur la réforme de l'Etat. Pour les deux rapporteurs, la stratégie d'Ecolo durant cette initiative capitale n'a jamais été véritablement débattue. Ce qui aurait accru un malaise profond dû notamment «à l'absence de direction politique fondée sur des priorités politiques claires et débattues démocratiquement à l'intérieur du parti de telle sorte que chacun puisse comprendre où l'on va et pourquoi.»130 A la suite de cette situation, Pierre Jonckheer et Michel Somville s'inquiètent de la présence importante de forces centrifuges au sein d'Ecolo et des rapports complexes entre le niveau fédéral, les fédérations et les locales. Quels sont, face à ce constat, les lignes dégagées par les deux responsables du rapport ? Cinq axes majeurs sont mis en exergue. — Premièrement, il s’agit d'assumer vraiment la dimension «parti» d'Ecolo. En ce, il serait nécessaire d'accepter le caractère dépassé de certains préceptes du document de Péruwelz131 qui, comme nous l'avons vu, avait spécialement insisté sur la dimension «mouvement» d'Ecolo. — Ensuite, il convient d’organiser régulièrement des forums d'écologistes afin de développer et d'approfondir les débats, les réflexions sur l’actualité de l'écologie en politique. En d'autres termes, d'ouvrir le cadre de la discussion — et peut-être des choix — à l'ensemble de la mouvance écologiste dans et hors Ecolo. — Michel Somville et Pierre Jonckheer appellent aussi Ecolo à préciser ses choix politiques, ses alliances électorales et, le cas échéant, gouvernementales. Rappelant la position de NeufchâteauVirton selon laquelle Ecolo «n'est pas la bonne conscience de la gauche» (voir supra), ils constatent toutefois qu'«il est aujourd'hui difficile de trouver beaucoup d'affinités avec les libéraux»132 et soulignent, par ailleurs, en termes d'évocation au pouvoir, qu'il faut «considérer et accepter que le compromis est une vertu démocratique.»133 Le compromis avec d'autres ; voilà bien une 130 Ibid., p. 16. 131 «Péruwelz cite pêle-mêle pour nommer la mouvance écologiste les associations de protection de l'environnement, les ONG de coopération au développement, les pacifistes, les mouvements communautaires et autogestionnaires, les nouvelles coopératives... Vu de 1993, la description est datée, «belle époque» pour les nostalgiques.» Ibid., p. 21. 132 Ibid., p. 25. 133 Ibid., p. 26. 85 notion difficile pour Ecolo. Lorsqu'il évoque la perspective d'une participation au pouvoir, Jacky Morael souligne toute la difficulté pour un parti comme Ecolo d'intégrer cette dimension : «Depuis 1986 et la crise très grave qui a agité Ecolo, nous nous sommes fait un devoir de ne plus jamais dénoncer quelque chose sans nous obliger à présenter une alternative. (...) Le défi à relever pour ceux qui, demain à Ecolo devront prendre des responsabilités, c'est apprendre à perdre. L'enjeu ne sera pas «que va-t-on pouvoir réaliser ?» mais «que va-t-on devoir abandonner ?».»134 — Pour ce qui a trait au fonctionnement intérieur d'Ecolo, les deux rapporteurs préconisent de nouvelles avancées. Tout particulièrement, l'acceptation d'une «démocratie déléguée» en ce qui concerne la prise de décision conditionnée à l'élargissement maximal à l'ensemble des membres des activités et de la confection des choix et des orientations d'Ecolo. Cette «démocratie déléguée» en matière de décision quotidienne reviendrait au secrétariat fédéral. Celui-ci travaillerait sur la base des positions définies par les assemblées générales et par le conseil de fédération. Dans cette optique, Pierre Jonckheer et Michel Somville proposent de ramener le nombre de secrétaires fédéraux à trois, qui seraient rémunérés par le parti. Leur mandat couvrirait quatre ans et serait renouvelable.135 Parallèlement et en complément du rapport du groupe de travail Somville-Jonckheer, Ecolo a aussi lancé une analyse de l'«état de santé» des groupes locaux d'Ecolo. Réalisé sous la houlette de Jean Thiel et de Bernard Westphael, les conclusions dégagées par l'examen de la vie locale d'Ecolo montrent la persistance de zones importantes de faiblesse en termes d'existence et d'implantation. En effet, sur les deux cent quatre-vingt-cinq communes de la Communauté française, les deux responsables d'Ecolo136 dénombrent: — quarante locales qui fonctionneraient «correctement»137 ; 134 Le Soir, 19 septembre 1992. 135 Ibid., p. 37. 136 Ecolo info, n ° 3, avril 1993, p. 8. 137 C'est-à-dire des groupes qui réunissent au moins cinq membres effectifs, qui sont reconnus par les régionales et qui organisent des activités. 86 — soixante-cinq groupes en gestation, pour lesquels les rapporteurs estiment qu'on peut raisonnablement «espérer un véritable décollage à moyen terme» ; — enfin trente-huit sections qui poseraient «de sérieux problèmes.»138 De ce tableau il importe de noter que les groupes locaux fonctionnant normalement ne représentent que 14,2% des communes de la Communauté française. En outre relevons surtout que dans cent quarante-deux communes (50%), il n'existe alors pas de groupe local d'Ecolo. Au rayon des régionales sans difficultés, on mentionnera surtout celles de Bruxelles, du Brabant wallon, de Liège et de Namur. En revanche, les problèmes d'implantation semblent spécialement aigus dans la province du Luxembourg mais, de manière plus importante encore, dans celle du Hainaut. Charleroi, principale ville de Wallonie, est à cet égard symbolique. La présence d'adhérents d'Ecolo y est marginale. Réalité qui justifie les conclusions peu enthousiasmantes mais lucides des deux rapporteurs : «— Ecolo n'a que très faiblement renforcé son implantation locale depuis 1988 ; — dans certains endroits stratégiques, notre présence est soit nulle, soit inconsistante (Charleroi-ville, première ville de Wallonie, en étant l'exemple le plus frappant) ; — que la croissance de nos membres reste largement insuffisante pour renforcer nos groupes locaux, mais aussi pour renouveler nos «cadres» ; — que nous ne sommes donc pas aujourd'hui, en mesure de répondre correctement aux espoirs qui sont placés en nous au niveau communal ; — que les moyens d'information, de formation à la gestion de la chose publique ont été soit insuffisants, soit inopérants; — que l'encadrement politique des groupes locaux reste considéré par beaucoup comme étant dérisoire ; — que nos mandataires locaux ne se sentent pas suffisamment valorisés dans leur travail au sein d'Ecolo.»139 138 Soit un absentéisme récurrent aux assemblées régionales, soit en raison de conflits internes ou d'une démotivation. 139 Ecolo info, n °3, avril 1993, p. 9. 87 Des modifications notables seront mises en œuvre à la suite des travaux réalisés par ces deux commissions interne. En termes de structures, l'essentiel des suggestions dégagées par Pierre Jonckheer et Michel Somville sera retenu lors de l'assemblée générale de Huy-Burdinne en janvier 1994 (voir infra) au cours de laquelle le secrétariat fédéral est réduit à trois personnalités se présentant en équipe. L'équipe qui se présentera quatre mois plus tard suscitera certaines réticences. Des trois personnes — Isabelle Durant (Bruxelles), Danny Josse (Mons) et Jacky Morael (Liège) —, seul Jacky Morael était connu hors du mouvement, ce qui a fait craindre à d'aucuns une dérive présidentialiste. «Il est inévitable que Jacky va dominer le secrétariat fédéral de façon outrancière» annonce, par exemple, Paul Lannoye.140 Il y aura même un essai — sans suite — de postposer l'élection. L'équipe candidate recueillera 102 voix contre 42 et 23 abstentions. Le vote individuel sur chacun des personnes ramène 129 voix pour Morael, 106 pour Josse et 105 pour Durant. D'autre part, Ecolo préparera soigneusement les élections communales de 1994 afin de consolider et développer le nombre de ses locales et leur «qualité.» Enfin, la direction du parti accroîtra ses efforts de formation, notamment à travers l'organisation des rencontres écologiques d’été. Dans la foulée de la réforme de l'Etat et des réflexions sur les modifications statutaires, les verts du Sud et du Nord du pays renforceront leur coopération. Au bureau de coordination EcoloAgalev, qui avait été créé à la fin de l'année 1989, succédera un bureau fédéral Ecolo-Agalev composé de cinq représentants d'Ecolo141 et de cinq représentants d'Agalev142, élus pour quatre ans. Ecolo et Agalev assignent trois objectifs prioritaires à la nouvelle structure : — premièrement, parfaire, aux échelons fédéral, régionaux et communautaire, toutes les formes de collaboration imaginable entre les parlementaires des deux partis ; 140 Le Soir, 25 avril 1994. 141 Dans les cinq représentants Ecolo, il doit y avoir au moins un Bruxellois, un Germanophone et, au moins, deux Wallons. 142 Dans la délégation d'Agalev, il doit y avoir au moins un Bruxellois et trois représentants de la région flamande. 88 — deuxièmement, améliorer l'information, les aides réciproques et les éventuelles collaborations entre les différents organes d'Ecolo et d'Agalev mais aussi entre leurs deux services de formation ; — troisièmement, tenter d'établir des prises de position communes et, en cas de divergence au niveau fédéral, chercher autant que faire se peut les conciliations possibles.143 Cette consolidation de la collaboration de partis d'une même famille politique au Nord et au Sud du pays, parallèlement au processus de fédéralisation de l'Etat, est un acte symbolique et concret très significatif. La volonté commune de réflexion et d'action débouchera notamment, au printemps 1995, sur la tenue d'assises communes sur les questions relatives à la sécurité sociale. Trois défaites électorales : 1994 et 1995 Si l’élection européenne de 1989 et l’élection législative de 1991 avaient été deux succès éclatants pour Ecolo, il connaîtra en revanche trois désillusions consécutives en ce milieu d’année 1990. A l’occasion de l’élection européenne de 1994, Ecolo ne remporte que 231 052 voix ce qui lui fait perdre un de ses deux sièges de député européen. Ce premier revers est suivi quelque mois plus tard par une piètre performance aux élections communales de septembre 1994. Si Ecolo a étendu la couverture de ses listes, ses résultats stagnent par rapport à 1988 (voir infra). A l’issue du scrutin, il n’est partie prenante que dans huit coalitions municipales. Lors de l’élection législative anticipée de mai 1995, Ecolo a connu une nouvelle défaite. Il fait nettement moins bien qu’en 1991 mais son score est également en retrait par rapport aux élections européennes de juin 1994. Il passe sous la barre des 200 000 suffrages : 194 267. Soulignons toutefois que son pourcentage reste à un degré de crédibilité et que sa «force de frappe» parlementaire demeure non négligeable, en dépit de la non-réélection de Philippe Defeyt dans l’arrondissement de NamurDinant-Philippeville. A la Chambre, Ecolo recense six députés : Philippe Dallons (Charleroi-Thuin), Vincent Decroly (Bruxelles), Olivier Deleuze (Bruxelles), Thierry Detienne (Liège), Martine Schrüttringer (HuyWaremme) et Jean-Pierre Viseur (Mons-Soignies). Au Sénat, Ecolo récolte deux élus directs : Martine Dardenne et Pierre Jonckheer. A la région bruxelloise, Ecolo conserve sept élus : Alain Adriaens, 143 Ecolo info, n° 1 bis, supplément, décembre 1993. 89 Philippe Debry, André Drouart, Paul Galand, Evelyne Huytebroeck, Marie Nagy et Mostafa Ouezekhti. Enfin à la région wallonne Ecolo a obtenu huit députés régionaux wallons : Bernard Baille (Thuin), Marcel Cheron (Nivelles), José Daras (Liège), Xavier Desgain (Charleroi), Daniel Marchant (Namur), Nicole Maréchal (Liège), Danny Smeets (Verviers) et Jean-Pol Snappe (Tournai-AthMouscron). Les explications de ces trois revers sont multiples. Dans les trois cas, nombre de dirigeants d’Ecolo ont, une énième fois, abordé la qualité de la «communication» de leurs campagnes. Eternelle dimension mise à l’avant-plan lors des revers électoraux, ces trois défaites ne peuvent s’expliquer par une communication défaillante. On peut d’ailleurs se demander si la communication lors des élections de 1989 et de 1991 était exceptionnellement meilleure que celle des élections de 1994 et 1995 ? Ecolo a certainement payé sa participation de l’extérieur au processus de réforme de l’Etat. Si en 1989 et en 1991, il avait capté des électeurs d’horizons différents, il semble avoir perdu un électorat de type «protestataire» (voir infra) en 1994 et en 1995. Ses résultats dans la province du Hainaut l’attestent. Il a en outre été doublement perdant dans le dossier des écotaxes. Il a subi une campagne de la part des milieux patronaux sur un dossier qu’il portait et qui n’a pas abouti. Sa crédibilité en a été affectée. Du côté francophone, le thème de la campagne axé sur la sécurité sociale a favorisé une polarisation qui a permis au PS de limiter les dégâts. Les positions adoptées lors du congrès commun Ecolo-Agalev (voir infra) n’ont certainement pas été un atout pour Ecolo. La campagne contre les «conservateurs» (le pilier socialiste) était peu rassurante et certainement pas de nature à s’ouvrir à de nouveaux électeurs de cette mouvance. Le rapport à la nébuleuse des organisations qui ont pour vocation et ambition la protection de l'environnement et l'amélioration de la qualité de la vie est aussi remis en question. Ecolo et Agalev se sont toujours affirmés comme les relais politiques de ces associations. Or, s'il y a parfois des liens privilégiés entre Agalev et Ecolo d'une part, et les mouvements s'occupant de l'environnement, ces derniers refusent le plus souvent la perspective de connivence privilégiée. Cette attitude se comprend d'un double point de vue. 90 Dans la mesure où ces groupements se comportent en groupes de pression sur les choix effectués, leurs interlocuteurs prioritaires ne sauraient être des partis dans l'opposition aux principaux échelons de décision. Infléchir le processus décisionnel suppose de s'adresser aux décideurs politiques et donc en premier lieu, aux responsables et aux partis politiques en charge du pouvoir. Cet élément avait déjà été mis en exergue par la recherche de Pascal Lagassé sur les partis écologistes en Belgique : «Pour les ASBL à préoccupations environnementales, tous les partis politiques doivent être considérés comme égaux, ce qui implique qu'Ecolo et Agalev doivent être perçus comme des partis politiques semblables aux autres, d'autant plus que des partis comme la Volksunie ou le SP semblent aussi très ouverts à l'environnement. Dans l'optique de ces ASBL, il faut donc se démarquer très clairement des partis verts pour leur éviter une identification qui équivaudrait à une marginalisation.»144 Deuxièmement, soulignons que ces associations sont le plus souvent pluralistes. S'il y a bien souvent des adhérents d'Ecolo en Communauté française ou d'Agalev en région flamande, il existe aussi une grande partie de membres et de militants qui sont soit membres d'autres partis politiques, soit sans étiquette particulière. Ces derniers ne conçoivent pas de relais politique privilégié avec qui que se soit. Enfin, Ecolo est aussi confronté à une intégration progressive de certaines questions environnementales par certains politiques des familles traditionnelles, ce qui a rendu ses axes de campagne d’autant plus difficiles. Comment faire la différence ? Il s’agit là d’une question importante pour l’avenir. Les actions et les réactions des autres partis politiques face au développement d'Ecolo Lorsqu'Ecolo avait fait son entrée à la Chambre et au Sénat à la suite de l'élection législative de novembre 1981, les familles politiques établies dans le système politique belge — socialiste, sociale chrétienne et libérale — avaient accueilli ce dernier venu avec condescendance et paternalisme. Beaucoup y voyaient une manifestation conjoncturelle appelée à se résorber rapidement. Cependant, avec la consolidation — lente — d'Ecolo et d'Agalev — plus rapide —, la plupart des partis prendront au sérieux cette 144 P. LAGASSE, Ecolo et Agalev et leur impact sur les partis politiques et les groupes environnementaux, département de science politique de l'Université de Montréal, avril 1989, p. 114. 91 nouvelle famille politique. Ils adopteront à son égard plusieurs stratégies. Analysant les formes d'actions et de réactions des partis «établis» face à l'émergence et à l'installation de nouvelles formations, Guillaume Sainteny a isolé quatre attitudes classiques : — l'exclusion du champ politique et sociétal de la thématique ayant permis à «l'intrus» de pénétrer ou de tenter de pénétrer le système et la vie politiques ; — la récupération du thème porteur145 ; — l'exclusion du champ politique de «l'intrus» ; — la récupération de «l'intrus» une fois qu'il a pénétré dans le champ.146 Ces quatre stratégies seront inégalement mises en œuvre par le PS, le PSC, le PRL et le FDF. Dans la récupération électorale de la thématique environnementale, on assistera en Belgique à la mise en avant de «candidature vitrines.»147 Anne Vincent, présentatrice fétiche de l'émission Le jardin extraordinaire sera pressentie sur les listes du parti socialiste. Edgard Kesteloot, commentateur de la même émission, sera présent sur la liste du PRL dès les élections européennes de 1989. François Roelants du Vivier, ancien député européen Ecolo, est la caution verte du FDF à l'élection européenne de 1989.148 145 Concernant la problématique de l'environnement, Guillaume Sainteny montre que très souvent, cette récupération passe «l'élaboration de programmes en la matière et la nomination d'un responsable chargé de suivre ces question au sein du parti.» G. SAINTENY, «Le parti socialiste face à l'écologisme. De l'exclusion d'un enjeu aux tentatives de subordination d'un intrus», Revue française de science politique, juin 1994, n° 3, p. 430. 146 Ibid., p. 424. 147 Ibid., p. 450. 148 Il est actuellement conseiller régional bruxellois. 92 En Belgique, la récupération de «l'intrus» a pris des formes différentes : — négociations — le plus souvent sans suite — pour la formation de coalition aux niveaux communal, régionaux, communautaire et fédéral ; — récupération de responsables politiques écologistes. Ecolo a été relativement épargné par des débauchages personnels. Si Michel Duponcelle, conseiller régional bruxellois Ecolo sortant était présent sur la liste socialiste en mai 1995, on ne peut pas véritablement évoquer une «récupération» dans le chef d'un individu relativement peu connu et peu mis en avant sur la liste socialiste. Toute autre fut la situation d'Agalev en 1994 et en 1995. En effet, Leo Cox et Paul Staes, deux des personnalités historiques d'Agalev ont rallié les rangs du CVP à l'automne 1994149, rejoint en mars 1995 par le sénateur Alex De Boeck.150 Ludo Dierickx également considéré comme une des figures marquantes d'Agalev a quant à lui rejoint les rangs du SP, en désaccord avec la teneur des conclusions du congrès commun Ecolo-Agalev sur la sécurité sociale.151 Néanmoins, ce «ver(t)nissage» des autres partis s'est heurté à beaucoup d'obstacles. — Dans le cadre d'un système pilarisé, les nouvelles questions et les nouveaux enjeux émergent laborieusement et sont digérés avec difficulté. Elles sont fréquemment contradictoires avec les intérêts d'un certain nombre de groupes sociaux qui ont des relais dans les organisations du pilier. Si l'on perçoit facilement le rejet du monde patronal — PME et grandes entreprises confondues —, les réserves envers les problématiques environnementales — entendues dans leur sens large — dépassent ces seules catégories. Les réticences ont été et sont toujours nombreuses dans le monde syndical. En 1978 déjà, Albert Bastenier soulignait la circonspection qui serait vraisemblablement de mise dans de larges pans des catégories sociales défavorisées : «Il est assez facile d'imaginer que ce ne sont pas ceux qui commencent à entrer dans la consommation de masse et qui ont le sentiment d'enfin sortir de l'exclusion économique qui admettront le plus facilement que l'on critique la «société d'abondance» au moment où ils y entrent. Ces classes-là sont assez naturellement attachées à la continuation de la société 149 M. VOGELS, Sur les remous à Agalev, Le Soir, 31 octobre1 novembre 1994. 150 Le Soir, 16 mars 1995. 151 Le Soir, 5 mars 1995. 93 industrielle, même si elles admettent la nécessité de certains ravalements de façade.»152 La mise en place de ces stratégies par les autres formations at-elle été payante ? Ayant analysé la situation en France, Guillaume Sainteny estime que cette récupération «semble n'aboutir qu'à des effets limités.»153 Ces agissements ont souvent pour effet d'accroître la légitimité de la problématique que l'on essaie de récupérer et donc de l'interlocuteur qui en est le principal porteur : «En mettant l'accent de manière intempestive et précipitée sur l'importance des questions d'environnement, les partis établis, au lieu de récupérer ces thèmes à leur profit, et avec eux, les électeurs qui y sont sensibles, ont pu contribuer à légitimer ces questions puis, indirectement, l'intrus qui les a posées en premier.»154 Au-delà de l'appréhension des réactions mises en œuvre par les partis politiques pour réduire l'impact et la progression d'Ecolo et d'Agalev, observons que la plupart des partis ont réellement nettement mieux pris en compte les problématiques de l'environnement dans leur perception du devenir sociétal.155 Une situation de fait qui, en retour, pose de vrais problèmes aux partis écologistes. Il y est fait explicitement référence après la performance en demi-teinte lors des élections communales de 1994 : «Les partis traditionnels ont désormais digéré — «mais à leur sauce !» — les nombreux thèmes verts. Et paradoxalement, si nous avons atteint l'objectif de «contagion culturelle», ce facteur a brouillé l'image d'Ecolo.»156 Ces derniers visent alors à minimiser l'authenticité et l'ampleur de ces révisions : «Les options politiques n'ont pas encore conduit à remettre en cause des habitudes fondamentales des populations occidentales ou des intérêts économiques solidement établis. Jusqu'à ce jour, les principaux succès obtenus sur le front de la protection de l'environnement 152 A. BASTENIER, «L'heure des mouvements écologistes», La revue nouvelle, n° 10, octobre 1978, p. 316. 153 G. SAINTENY, op. cit., p. 455. 154 Ibid., p. 458. 155 Dans le chef du parti socialiste, notamment. Voir par exemple sa réflexion sur le développement durable, supplément à Socialisme, n° 244, juillet-août 1994, 16 p. et N. GOUZEE, «L’écologie, message de modestie, de diversité ou de pluralisme», in Confrontations, Luc Pire, Collection politique, 1995, 287 p. 156 Interview de J. MORAEL, Le Soir, 28 octobre 1994. 94 (lessives sans phosphates, suppression progressive des CFC,...) l'ont été sur des problèmes bien circonscrits, avec un «agent nocif» clairement identifié, dont les industries protectrices produisent également les principaux substituts connus sans remettre en cause les habitudes quotidiennes et sensibles des électeursconsommateurs.»157 Les écologistes soulignent de la sorte l'importance de la différence du degré d'appréhension et l'urgence de mesures énergiques. Ils insistent en ce sur l'importance des temporalités en matière d'environnement et d'écologie. En effet, celles-ci ont ceci de spécifique que les «processus biophysiques» sont hors de portée du comportement des hommes le long d'une vie humaine.158 La réversibilité d'une dégradation grave à l'environnement peut prendre plusieurs siècles sinon plusieurs millénaires. Or, la généralisation de l'industrialisation à l'échelle planétaire et donc corollairement la dégradation de l'environnement posent des problèmes immenses dont les solutions ne peuvent être pensées en termes de réparations. Une crise maîtrisée Depuis l'échec des élections législatives et régionales du 21 mai 1995, Ecolo est entré dans un processus de remise en cause dans lequel s'est développée une crise interne. Soulignons néanmoins qu'un malaise existait dans le mouvement avant même le mauvais score de 1995. Il en allait d'ailleurs de même au sein d'Agalev. Dans Le grand chantier, José Daras et Henri Simons pour Ecolo, Mieke Vogels et Jos Geysels, pour Agalev, plaidaient pour l'approfondissement des nouvelles problématiques abordées ces dernières années — en particulier le terrain social — mais aussi pour l'ouverture des deux partis à de nouveaux adhérents. En d’autres termes également, pour un fonctionnement interne repensé : «Si les écologistes veulent être le moteur d'une réelle opposition, s'ils veulent être l'alternative au libéralisme et au fascisme, il est urgent qu'ils revoient leur propre structure et qu'ils se débarrassent du cadre étriqué d'une démocratie de base mal comprise. Il également que la soif de pureté de certains, qui les amène parfois à distinguer, sur la base de critères plutôt vagues, les vrais des faux écologistes, ne soit pas un obstacle à l'esprit d'ouverture 157 PH. DEFEYT, «Ecologie et économie : un mariage de raisons», La revue nouvelle, février 1990, n° 2, p. 50. 158 J.-P. DELEAGE, D. HEMERY, «De l'éco-histoire à l'écologie-monde», L'homme et la société, n° 91-92, 1989, pp. 14-15. 95 indispensable pour élargir notre mouvement et lancer une dynamique nouvelle.»159 Au lendemain des élections, dans une première réflexion, le secrétariat fédéral appelait le parti à poursuivre, à développer et à clarifier les choix et les orientations d'Ecolo des dernières années. A savoir une appréhension parallèle des problématiques environnementales et des questions sociales. Isabelle Durant, Danny Josse et Jacky Morael conjuraient la base et les responsables du parti à ne pas procéder à un repli politique par rapport aux avancées accomplies les années précédentes : «Connaissant nos forces et nos faiblesses, l'axe écologique-social, emploienvironnement, est l'une des clés majeures de notre développement comme force politique. Personne ne pouvant prédire quel sera le thème fort des élections de 1999, ni les questions que nous aurons d'ici là à nous imposer, il faut être prêts à tout, pertinents et crédibles sur tout. En d'autres termes, nous devons consacrer ces quatre ans à conforter notre crédibilité sur les dossiers sociaux, et à convaincre qu'il est nécessaire d'apporter une solution commune aux deux (c'est toute une stratégie spécifique qui est ici à mettre en œuvre, tant pour diffuser notre programme auprès de relais avertis que pour vulgariser auprès du grand public). Tout repli sur un soi-disant front «environnemental» serait non seulement une rupture avec toute l'histoire de l'écologie politique, mais constituerait à l'évidence un véritable suicide électoral et politique.»160 A la veille des vacances d’été, Ecolo a lancé un processus de réflexion devant conduire à une définition de son identité et de sa stratégie politiques pour la nouvelle législature : «Ecolo cap 2 000. Les adhérents ont été invités à s’exprimer sur le devenir d’Ecolo, sur son fonctionnement, sur ses priorités. A l’issue de la première étape de ce processus, il est clairement apparu que premières lignes sinon de fracture, à tout le moins de perceptions et d’orientations stratégiques régnaient dans le parti. L’assemblée générale de La Louvière, en octobre 1995, étalera la confrontation interne. Deux visions s’affrontèrent sur la ligne et sur la stratégie politiques. 159 J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, «Manifeste pour une politique écologiste», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 144. 160 Résultats électoraux, 1994-1995. Le rapport du secrétariat fédéral au comité de fédération, Ecolo-Bruxelles, n° 4, juin 1995, p. 7. 96 La première est une remise en cause du positionnement et des axes des travail d’Ecolo des années nonante. Elle s’incarne dans une résolution signée par cent-cinquante adhérents. Les principales personnalités qui la portent sont Paul Lannoye, Philippe Defeyt, Pierre Jonckheer, Martine Dardenne et Roland Libois. Comme le précise le préambule, les signataires proposent un «nouveau départ (...) après une remise en cause sereine de la ligne politique, de la stratégie, des pratiques tant internes qu’externes, de la communication et des choix organisationnels et budgétaires.»161 Bref de tout. Pour les tenants de cette remise en cause, la ligne politique suivie les dernières années «n’a pas permis d’identifier Ecolo comme porteur d’une alternative globale claire et crédible» ; qu’en outre, une «culture de pouvoir» s’est substituée à une «culture de projet» qui aurait fait l’originalité historique d’Ecolo. Dans l’esprit des défenseurs de cette approche, il revient à Ecolo de rappeler la raison d’être «historique» d’Ecolo : la remise en cause fondamentale du «type de développement industrialiste et productiviste qui domine le monde.» Celle-ci passe par une démarche politique prioritaire : la promotion du concept qui identifie ce combat, l’éco-développement. D’un point de vue pratique, cela suppose une réorientation claire. D’abord un bémol aux avancées sur les questions sociales opérées les années précédentes au profit de campagnes basées sur l’éco-développement. Plusieurs propositions concrètes en témoignent : — la programmation de campagnes portant sur des thèmes qui relèvent de la qualité de la vie et mûrement choisis par le conseil de fédération pour leur aptitude à faire comprendre la logique de l’éco-développement.» — la mise sur pied d’un service éco-consommation interne au CEFE qui (...) publierait régulièrement un dossier comparatif relatif à un produit politiquement significatif.» — la création d’un «observatoire du bien-être» publiant un rapport annuel sur le «niveau de vie, les conditions de vie et la qualité de la vie en Belgique, Wallonie et Bruxelles.» 161 Ecolo info, n° 6, septembre 1995, p. 29. 97 A l’échelle du mouvement, les critiques sont parfois dures. La résolution estime indispensable «un changement de ton et de style» tant dans la communication que dans le comportement visant à «restaurer un climat d’écoute à l’égard d’Ecolo et de l’écologie politique.» Surtout, les signataires en appellent à chasser la «violence verbale» qui sévirait dans certaines réunions.162 Enfin, signalons que le débat autour de cette motion visait aussi le personnel politique du secrétariat fédéral. Dans la motion, les critiques sont implicites.163 Lors de l’Assemblée, plusieurs intervenants ont explicité cette remise en cause soulevant notamment la question du devenir des secrétaires fédéraux en cas d’adoption de la motion. Aucune motion n’a été confectionnée par les partisans d’un approfondissement de l’ouverture d’Ecolo à de nouvelles questions. En particulier, tout le terreau social. Seul le Montois, Jean-François Hogne, avait rédigé un texte sur cette problématique. Il y appréhendait le «manque d’ancrage populaire d’Ecolo» et développait surtout son argumentation sur les dimensions «communication» et «implantation sociétale» d’Ecolo. Les discussions de l’Assemblée générale de La Louvière le 29 octobre 1995 s’en trouvèrent clairement déséquilibrées. Le débat tourna très vite entre partisans et opposants de la remise en cause de la ligne politique. De la ligne politique et du secrétariat fédéral, ce qui a polarisé la discussion. Une ligne de partage s’est ainsi installée. Dans cette division, la motion de Jean-François Hogne a fait office de contre-feu à la résolution de Paul Lannoye et consorts. Elle a traversé tout le débat, au corps défendant de certaines intervenants. Les votes intervenus n’ont pas départagé les deux camps. Après un premier vote chahuté sur les différentes motions, la motion de Jean-François Hogne recueillit, celles de Paul Lannoye et consorts, une troisième motion et il y eut 162 Si l’Assemblée de La Louvière a effectivement montré, à certains moments, quelques dérives à ce sujet il convient de remarquer qu’elles émanaient avant tout des tenants de cette motion. 163 Elle en appelle notamment à «restaurer (il n’y en avait donc plus, PD et JMDW) la qualité du débat interne au sein du conseil de fédération et du secrétariat fédéral élargi par l’adoption de règles de fonctionnement garantissant l’information préalable des participants (ce n’était donc pas fait, PD et JMDW) et limitant strictement le recours aux procédures d’urgence. L’autonomie du Bureau du conseil de fédération à l’égard du secrétariat fédéral doit être totale et garantie (elle ne l’était donc pas, PD et JMDW).» 98 abstentions. Le deuxième vote devait départager les deux principales résolutions. Chacune obtint 188 voix. D'aucuns ont évoqué, à propos de ce débat, une réminiscence opposant d'un côté les tenants du «fondamentalisme» et, de l'autre, les partisans du «réalisme.» Cette lecture ne nous paraît pas pertinente. On ne trouve pas dans les signataires et les propos de la motion Lannoye, Dardenne et consorts d’opposants au principe de la participation au pouvoir.164 Il n'y a pas plus d'adeptes de la participation au pouvoir à tous crins parmi les adhérents qui se sont rangés sous la motion de Jean-François Hogne. Les perspectives et les stratégies des deux groupes divergent. Pour Paul Lannoye, Martine Dardenne, Philippe Defeyt et les cosignataires de leur résolution, la voie prise par le parti depuis le début des années nonante s’écarte trop du fondement premier de l’écologie politique. Il s’agit donc d’une position plus environnementale sans que l’on puisse la présenter comme une propension purement environnementaliste. C’est dans ce contexte que doit être comprise la prééminence donnée au projet de l’écodéveloppement dont les contours ne sont d’ailleurs pas d’une limpidité exemplaire. D’un point de vue stratégique, l’ouverture récente du parti à la fois à de nouvelles catégories d’adhérents, à un dialogue plus marqué avec les organisations syndicales doit être sinon arrêtée à tout le moins limitée. L'attaque anti-syndicale de Paul Lannoye constitue aussi une critique envers l'ouverture d'Ecolo au monde syndical depuis deux ans : «Moi, je suis convaincu que les grands appareils ne sont pas des interlocuteurs valables pour Ecolo. Les syndicats, ce sont des compagnies d'assurances. Nous n'avons rien à retirer de contacts privilégiés et réguliers avec eux. Nous allons simplement leur servir d'aiguillon. La FGTB, par exemple, va aller trouver le PS à propos de dossiers concrets et lui dire : «Attention, Ecolo a des idées intéressantes là-dessus ! «En athlétisme, le type qui court les premiers kilomètres avant de passer la main au suivant, tout frais, qui gagnera la course, on l'appelle le «lièvre.» Je ne veux pas jouer ce jeu-là.»165 C’est aussi de ce point de vue crispé à l’égard des ouvertures pensées qu’il faut saisir le rejet fort exprimé dans les motivations de leur résolution de la proposition des Etats généraux de 164 N'est-ce pas Paul Lannoye qui déclarait en novembre 1991 : «Si des gens votent pour nous, c'est parce qu'ils veulent que nous arrivions au pouvoir. Non ?» Le Soir, 13 novembre 1991. 165 Le Vif-L'Express, 17-23 novembre 1995. 99 l’écologie politique présentée comme un projet «incompatible» avec la teneur de la motion Lannoye, Dardenne et consorts. L’horizon des Etats généraux est exhibé comme le cheval de Troie d’une énigmatique «petite gauche» : «L’ouverture vers tous ceux qui tendanciellement s’inscrivent dans une logique d’écodéveloppement est essentielle mais l’entrisme est nocif. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Qui viendrait à des états généraux ? Plus que certainement cette petite gauche habituée à pondre ses œufs dans les nids les plus ouverts, en l’occurrence les structures d’Ecolo.» Mais la disposition négative envers les Etats généraux tenait d’une autre appréhension : la montée d’une nouvelle génération de membres dans le parti et leur volonté d’y prendre des responsabilités. Le conflit de personnes, à peine voilé, qu’a révélé cette crise interne marque aussi un conflit de générations. La percée d’une jeune relève n’est pas appréciée par tout le monde. Un des problèmes nous semble être le manque de référence historique d'Ecolo. Le manque de pensée et d’action interpelle constamment son identité. Il y a peu, Henri Goldman et Alain Adriaens, deux responsables de la régionale bruxelloise d'Ecolo (à l'aile «gauche» du parti) inscrivaient Ecolo «dans la longue histoire de l'émancipation humaine et des luttes contre l'oppression» autorisant les écologistes, selon eux, à se revendiquer à bon droit de l'histoire de la révolution française, des conquêtes sociales, du droit de grève et du suffrage universel.166 Cette position est peutêtre largement partagée mais Ecolo ne porte pas cette histoire. Il n’y fait pas référence. La révolution française n’est pas célébrée ou fêtée. Ecolo ne s’y réfère pas. Et ce manque pose problème dans la définition contemporaine des buts, des fonctions et des perspectives d’Ecolo et plus globalement des partis verts en Europe. L’assemblée de La Louvière a été un moment de polarisation intense dans le parti. Outre les divergences, cette phase d’exacerbation a été le fruit d’une dynamique d’assemblée qui incarnait l’expression aussi d’un ressentiment envers trois défaites électorales. Passée cette circonstance, les tenants des deux thèses se sont vus pour imaginer une motion de synthèse. Le document de synthèse publié par le secrétariat fédéral le 11 décembre 1995 y fait explicitement référence : «Nombreux ont été les participants de l’assemblée générale de La Louvière à exprimer que les deux textes en présence ne devaient pas être incompatibles, ce qui s’est 166 H. GOLDMAN et A. ADRIAENS, op. cit., pp. 24-25. 100 traduit par une quasi-unanimité en fin d’assemblée pour soutenir la tentative d’une synthèse.»167 Pendant deux mois, les principaux responsables s’y sont attelés et y sont parvenus sur l’essentiel. L’assemblée de Louvain-La-Neuve a témoigné de la «réconciliation par consentement mutuel» selon les termes indiqués à l’écran à l’issue du vote sur la résolution générale. Une résolution de synthèse a en effet été adoptée par 303 voix contre 1 et 11 abstentions. La clarification a-t-elle eu lieu ? Contrairement à l’optique qui a prévalu à Neufchâteau-Virton, le texte voté éclaircit peu. Pour Henri Simons, «La motion de Louvain-la-Neuve est une motion qui fait plus de mal que de bien.»168 Seuls, les quelques votes qui devaient départager des positions qui n’avaient pas trouvé de compromis ont montré l’assise de la ligne politique appliquée par le secrétariat fédéral et l’ont conforté. Mais à partir de ce texte, plusieurs interprétations sont possibles. Et donc plusieurs pratiques aussi. Paul Lannoye ne s’y est pas trompé en évoquant une semaine plus tard les risques persistants d’une dérive présidentialiste. Néanmoins, les responsables des deux sensibilités se sont rapprochés. Il y a eu peu de déchirures personnelles. Et le mouvement est sorti rasséréné de ce débat. En témoigne le vote large (204 voix contre 36 et 17 abstentions) pour les Etats généraux de l’écologie politique qui avaient pourtant suscité des réactions très négatives parmi les signataires de la première motion de La Louvière. Ecolo et le positionnement politique Dès sa création, le trait d'identité que les dirigeants écologistes ont voulu conférer à Ecolo est de n'être «ni à gauche, ni à droite.» Cette intention a perduré. Néanmoins, dès le début, ce (non)positionnement a suscité nombre d'interrogations, de discussions et de conflits internes. C'est qu'en effet, Ecolo a très tôt été placé à la gauche du spectre politique. Commentant sa conférence de presse de présentation, le journal Le Soir s'y employait d'emblée : «Il faut en effet y voir la volonté de ce qui n'était jusqu'il y a peu qu'un mouvement disparate de devenir un parti bien structuré prétendre occuper dans la gauche du monde politique de Wallonie et de Bruxelles, une place significative digne 167 I. DURANT, D. JOSSE, J. MORAEL, Cap 2 000 quels clivages, quelle synthèse ?, 11 décembre 1995, p. 4. 168 Entretien avec les auteurs. 101 d'un rameau plein de sève.»169 Le placement à la gauche de l'échiquier politique se fit d'autant plus facilement au départ que l'interview de plusieurs responsables laissent planer le doute sur l'indéterminé «ni gauche, ni droite.» Paul Lannoye parle ainsi d'une proximité avec les socialistes. Et la réponse délivrée aux lecteurs de La Libre Belgique s'inscrit dans cette perspective : «Si la droite, comme le définit le dictionnaire est bien l'incarnation des forces conservatrices, le mouvement Ecolo ne peut en être. Il l'a d'ailleurs toujours affirmé. Si la gauche est vraiment l'incarnation des forces progressistes, nous en sommes (nous soulignons, P.D. et J.-M. D.) même si certains partis utilisent abusivement une étiquette qui ne correspond pas à la réalité de leurs pratiques.»170 Les discussions sur le positionnement gauche-droite ont toujours existé — à tout le moins à l'état latent171 — dans et autour d'Ecolo. Il remonte à la surface occasionnellement dans la cadre des discussions sur l'identité du mouvement et dans les problèmes posé par la question des alliances éventuelles.172. Nous avons pu l'observer dans le cadre des débats du groupe Somville-Jonckheer. La question s'est également posée lors de l'assemblée générale de Huy-Burdinne en janvier 1994 au cours de laquelle Ecolo a tenté de se doter de références historiques. Le débat s'est poursuivi dans le contexte des résultats mitigés obtenus lors des élections européennes, communales (1994) et législatives (1995). Il a récemment été prolongé par les contributions d'Henri Goldman et de Jacky Morael dans la revue Les cahiers marxistes. 169 Le Soir, 24 avril 1980. 170 La Libre Belgique, 26 octobre 1981. 171 Il fallait une bonne dose d'optimisme à José Daras pour considérer, en 1994, que les écologistes belges ressentaient le débat gauchedroite comme «académique et stérile.» J. DARAS, «Le grand chantier», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 80. 172 Dans sa contribution aux cahiers marxistes, Henri Goldman relate la tentative, et son échec, de doter, lors d'une assemblée générale à Huy en janvier 1994, les statuts d'Ecolo d'un préambule où seraient précisés sa généalogie. Des points de référence comme les sociétés pré-industrielles ou encore l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima comme «catastrophe fondatrice» n'ont pu être retenus. H. GOLDMAN, «Nous, écologistes et progressistes. Pour un positionnement stratégique plus clair de l'écologie politique», Cahiers marxistes, mai 1995, n° 198, p. 8. 102 Ancien secrétaire régional bruxellois, Henri Goldman incarne l'aile favorable à un positionnement à gauche. Partant de la constatation, que «dans quasiment tous les cas, les alliances (électorales ou de gouvernement) passées en Europe par les verts le sont au sein de coalitions progressistes»173, que l'identité d'Ecolo couvre à la fois la dénonciation du productivisme de «gauche» et de «droite» mais aussi des valeurs et des combats anti-capitalistes dont la gauche a été porteuse, Goldman en conclut que «sauf circonstances exceptionnelles, la place d'Ecolo est au sein (voire au cœur) d'un pôle progressiste à construire et nulle part ailleurs.»174 La réponse du porte-parole d'Ecolo, Jacky Morael, dans le même numéro des cahiers marxistes retourne le problème de la définition d'identité. Ce ne serait pas tant à Ecolo à se déterminer par rapport à des valeurs de gauche — égalitarisme, changement, interventionnisme d'Etat, internationalisme, pacifisme — ou par rapport à des valeurs de droite — intérêts particuliers, élitisme, conservatisme, laisser-faire, nationalisme, militarisme —, qu' à la gauche contemporaine de ses référer à ses valeurs supposées. Pour Morael, il ne faut pas de doute «qu'à s'en tenir à s'en tenir à cette liste, les attitudes politiques (pas l'identité, P. D., J.-M. D.) rejoignent sans ambiguïté les positions adoptées jadis, par la gauche classique-historique.»175 Mais qu'en est-il de la gauche contemporaine ? Evolution, adaptation ou dérive, s'interroge angéliquement Morael.176 Passant outre à la filiation d'Ecolo ou du PS par rapport aux valeurs de gauche ou de droite «historiques», le secrétaire fédéral met en évidence ce qui lui semble neuf et hors de la problématique gauche-droite. — Une relation à la science et au progrès, qui mettrait en doute «l'illusion d'un progrès continu, linéaire, ininterrompu.»177 173 Tout en soulignant qu'à Ecolo, «personne ne doute que ces alliances soient naturelles et légitimes.» Ibid., p. 10. 174 Ibid., pp. 20-21. 175 J. MORAEL, «Je t'aime, moi non plus... Pour un positionnement plus clair des gauches face à leur société», Cahiers marxistes, mai 1995, n° 198, p. 25. 176 Sa réponse l'est moins. Pour la gauche contemporaine, «les constats en cette matière sont cruels.» 177 Ibid., p. 27. 103 — Une dénonciation du «mythe» de la croissance économique, qui serait porteuse de toutes les vertus, notamment en ce qui concerne l'emploi et le bien-être. — Un rapport nouveau et équilibré à la nature. Celui-ci supposerait une appréhension qui ne la considérerait pas comme inépuisable. — Un rapport à la démocratie dans lequel au volet «représentation» s’adjoindrait un nouveau volet, la dimension «participation.» Considérant tout à la fois les relations aux valeurs historiques de gauche et ce qui est présenté comme neuf dans l'émergence de l'écologie politique, la position originelle d'Ecolo, «ni gauche, ni droite», est confirmée comme trait d'identité original du mouvement, comme une attitude au-delà des clivages historiques.178 Non comme un «positionnement centriste» mais comme la perception écologiste d'une vie politique «multidimensionnelle.» 178 Même si Morael souligne par ailleurs que «la vocation écologiste à la transformation sociale et l'attachement à certaines valeurs centrées sur l'humain placent les verts dans une proximité incontestable avec l'histoire de la gauche.» Ibid., p. 34. 104 105 Chapitre 3 L’autre «Europe verte» 106 107 La croissance d’Ecolo et d’Agalev en Belgique se sont accomplis parallèlement à celui d’autres formations écologistes en Europe (voir infra). Comment expliquer ce développement parallèle ? Post-matérialisme et nouveaux partis R. Inglehart fut l'un des premiers à tenter de théoriser l'émerger des «nouveaux mouvements sociaux» et de nouvelles valeurs au cours de la décennie septante dans son célèbre ouvrage The Silent Revolution.1 Il y proposa, en particulier, une révision profonde de la théorie classique des clivages de proposée par Seymour M. Lispet et Stein Rokkan dans leur fameuse contribution Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignments.2 Inglehart y suggère la percée de valeurs «post-matérialistes» en confrontation aux valeurs «matérialistes.» Au début des années nonante, il redéfinissait d’ailleurs cette hypothèse : «Notre intérêt central ici est l'impact des valeurs matérialistes et postmatérialistes sur les priorités : la tendance à donner la priorité à l'économie et à la sécurité physique (valeurs matérialistes) et la tendance à donner la priorité au développement personnel et à la qualité de la vie (valeurs post-matérialistes). L'hypothèse d'un changement dans les générations des valeurs matérialistes vers les valeurs post-matérialistes est basée sur deux concepts clés. Le premier est que les gens accordent plus de valeur aux choses qui sont relativement rares mais le deuxième est que, dans une large mesure, le canevas de valeurs d'une personne reflète les conditions de sa socialisation et de son éducation avant l'âge adulte.»3 1 R. INGLEHART, The silent revolution : changing values and political styles among Western publics, Princeton University Press, 1977, 482 p. 2 S. M. LIPSET, S. ROKKAN, «Cleavages Structures, Party systems and voter alignments», in S. M. LIPSET, S. ROKKAN (eds), Party systems and voter alignments : corss-national perspectives, Free Press, 1967, 554 p. 3 R. INGLEHART, The silent revolution op. cit., p. 47. 108 Pour sa part, Herbert Kitschelt identifie l'émergence de trois types de nouveaux partis dans la période contemporaine4 : — les partis ethno-linguistiques ; — les partis de la «nouvelle droite» ; — les partis de la «nouvelle gauche», dans lesquels il classe les formations écologistes. En effet, sous cette étiquette, il rassemble «une série de partis de la nouvelle gauche ou partis socialistes de gauche qui ont fait leur apparition en Scandinavie, en France, en Suisse, en Italie et aux Pays-Bas dans les années 1960, mais aussi un groupe de partis plus récents qui ont adopté le label «vert» ou «écologiste» et que l'on peut trouver dans à peu près toutes les démocraties européennes.»5 Quelles sont leurs caractéristiques et conditions de leur succès selon Kitschelt ? — Une propension à un «libertarisme de gauche», supposant une modification anti-autoritaire des conceptions socialistes d'une société égalitaire ; — s'épanouir dans un pays riche, car ce serait les seuls pays où ils peuvent être forts ! Néanmoins, il ne s'agit pas d'une condition suffisante. Les partis écologistes et de la nouvelle gauche ont historiquement pu prendre leur envol dans les pays «riches» où les syndicats et les partis sociaux-démocrates «n'ont pas été sensibles aux idées de la gauche libertaire.»6 A partir de cette appréciation, Kitschelt formule l'hypothèse que les pays dans lesquels les partis de gauche participent régulièrement au pouvoir seront rétifs à l'émergence des revendications de la «nouvelle gauche» et que s'y développement donc ces nouveaux partis. Hypothèse aussi développée par Ferdinand Müller Rommel : les partis socialistes n'auraient pu prendre — suffisamment — en considération les «nouvelles demandes» dans la mesure où, dans le courant des années septante, beaucoup sont au pouvoir notamment dans les pays du nord de l'Europe.7 Confronté à des difficultés économiques montantes et à des pressions importantes des organisations 4 H. KITSCHELT, «La gauche libertaire et les écologistes français», Revue française de science politique, 1990, vol. 40, n° 3, p. 339. 5 Ibid., p. 339. 6 Ibid., p. 344. 7 Sur la ligne de démarcation nord-sud dans le monde socialiste européen, les tendances électorales et les participations au pouvoir, nous renvoyons le lecteur à P. DELWIT, Les partis socialistes et l'intégration européenne (France, Grande-Bretagne, Belgique), Editions de l'Université de Bruxelles, 1995, 304 p. 109 syndicales8, la famille sociale-démocrate européenne aurait été incapable de satisfaire ces nouvelles revendications.9 Kitschelt minimise cependant l'importance de la dimension institutionnelle, notamment les modes de scrutin.10 Or, il s’agit d’une donnée fondamentale non pas à l’émergence des partis écologistes mais à leur stabilisation ou à leur consolidation dans le paysage politique de leur pays. Les Grünen (voir infra), Ecolo et Agalev l’attestent dans le cadre du système proportionnel. Dans l’optique inversée, le parti écologiste britannique et les verts français (voir infra), aussi dans le cadre d’un scrutin majoritaire. Thomas Poguntke, l'un des principaux analystes des partis écologistes européens, rejoindra les «fondamentaux» des hypothèses de Kitschelt. A partir d'une analyse des partis verts européens sur base d'éléments centraux de la «New Politics» — auto-détermination, démocratie directe, féminisme, nouvelle forme d'individualisme, soutien aux pays du tiers-monde, désarmement unilatéral,... —, il établira un tableau d'importance de ces problématiques dans l'identité et la pratique des partis écologistes européens. Tableau dont il déduit des conclusions similaires à Kitschelt. Seuls le VGÖ autrichien et le GPS suisse ne répondraient aux classifications de la «New Politics.»11 L’évolution des valeurs post-matérielles a été associée à un phénomène générationnel. Les promoteurs et porteurs de ses valeurs seraient les enfants de mai 1968. Nonna Mayer et Pascal Perrineau y font explicitement référence en 1992 : Le postmatérialisme est clairement un phénomène générationnel, appelé à se développer dans les années à venir. (...) Les postmatérialistes sont à la fois plus politisés, plus à gauche 8 Voir par exemple F. SCHARPF, La social-démocratie européenne face à la crise, Economica, 1990, 331 p. 9 F. MÜLLER-ROMMEL, «Green Parties and Alternative Lists under Cross National Perspective», in F. MÜLLER-ROMMEL (edited by), New Politics in Western Europe. The rise and success of Green and Alternative Lists, Westview Press, 1989, 230 p., pp. 6-7. 10 Il le souligne expressément : «J'ai négligé ici le rôle des lois électorales comme déterminants de la formation des partis.» Ibid., p. 346. 11 T. POGUNTKE, «The «new politics dimension» in European Green Parties », in F. MÜLLER-ROMMEL (edited by), op. cit., pp. 186-187. 110 Résultats des partis verts en Europe (en pourcentages et en sièges) 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 Allemagne Die Grünen 1,5 5,6 8,3 5,1 0 27 42 6 Autriche VGÖ 1,9 ALÖ 1,9 0 0 Die Grune Alternative 4,8 4,8 8 10 Finlande Vihrevät 1,3 4 6,8 2 4 10 France Verts 1,1 1,2 0,4 0 0 0 Génération Ecologie Irlande Green Party 0,2 0,4 1,5 0 1 Italie Verdi 2,5 13 Luxembourg Alternative verte 4,2 3,7 0 2 Les écologistes pour le Nord 1,1 Gauche verte 3,7 4 2 Pays-Bas Groen Links 4 6 Suède Miljöpartit de Gröna 1,7 1,5 5,5 3,4 0 0 21 0 Suisse Verts Alternative verte 1,8 5 4 9 0,4 2,7 1 1992 111 (autoplacement sur un axe gauche-droite), moins dépendants des partis traditionnels et plus enclins à des formes non conventionnelles d'action politique telles que le boycott, la grève, la manifestation, etc. L'adhésion à ces valeurs est, dans les douze pays de la Communauté européenne, le facteur de loin le plus prédictif de la participation (réelle ou potentielle) aux mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes.»12 Les valeurs post-matérielles étant appelées à se développer et étant associées politiquement aux partis écologistes, des hypothèses d’un développement régulier de ces partis ont circulé à la fin des années quatre-vingt. Hypothèse alors d’autant plus plausible que les partis écologistes ont enregistré une série de victoires électorales marquantes à la charnière des deux décennies. Cette approche est aujourd’hui «revisitée.» La stagnation des résultats électoraux des partis verts, l’ampleur de la crise économique, les succès de formations d’extrême droite contredisent son caractère optimiste et prédictif. Les partis écologistes sont en réflexion sur le devenir ; leurs observateurs aussi. Grünen et verts : des évolutions divergentes Si Ecolo et Agalev ont été les deux premières formations écologistes à recueillir des élus à l’occasion d’un scrutin législatif, leur naissance et leur progression se sont faites dans un contexte d’émergence parallèle d’autres partis écologistes. L’établissement et l’installation de partis verts dans les différents paysages politiques d’Europe recouvrent des réalités très dissemblables. Les exemples des Grünen allemands et des verts français en témoignent. L’émergence de la nébuleuse écologiste en Allemagne embrasse des mouvements très divers : groupements féministes, homosexuels, organisations d’extrême gauche, mouvement de squatters, associations environnementales,... Plus que dans tout autre pays, ce monde d’associations représente un véritable mouvement social, une contre-culture dans le paysage politique allemand. C’est dans la deuxième moitié des années septante que s’opérera l’agrégation des différents mouvements sociaux dans un combat commun qui prendra petit à petit, aussi, la forme de participations aux élections. Les Grünen émergeront de cette structuration. En janvier 1978, la fête du «mouvement de toutes 12 N. MAYER et P. PERRINEAU, Les comportements politiques, Armand Colin, 1992, 157 p., p. 129. 112 les couleurs» à Berlin rassemble plusieurs des mouvements disparates qui seront à leur origine : l'APÖ (opposition extraparlementaire), le Weiberrat (conseil des femmes célibataires), les Uhngemeinschaften (communautés d'habitation) urbaines et rurales, les Kïnderladen (boutiques d'enfants), les groupes homosexuels, des groupes de squatters, le collectif des patients de psychiatrie d'Heidelberg, des groupes de travailleurs sociaux dans les prisons, les tenants du droit à l'avortement et les mouvements féministes, les Bürgerinitiativen (initiatives de citoyens), les opposants au nucléaire (à Whyl, à Brockdorf, à Kalkar et à Gorleben 1979),...13. Beaucoup plus que dans d'autres pays, les verts allemands ont été perçus comme porte-parole semi-officiel des nouveaux mouvements sociaux.14 En ce ils répondent certainement le mieux aux deux critères suggérés par John Galtung pour caractériser les mouvements écologistes : — les mouvements écologistes seraient des organisations «parapluies» d'agrégation d'une multitude de petites associations centrées sur des problèmes différents ; — les mouvements écologistes différeraient des autres mouvements sociaux par leur approche holistique, niant la perspective de résoudre problème après problème mais avançant au contraire l'idée d'une approche globale.15 C'est en 1980, que ces «nouveaux mouvements sociaux» et ces associations de protection de l'environnement se rassemblent en une formation politique, les Grünen. Leur première percée se réalise à l’occasion d’élections régionales, dans les Landër. A l’échelle nationale, les Grünen font une entrée remarquée au Bundestag en réussissant à franchir le seuil des 5% nécessaires pour obtenir des élus lors des élections législatives de 1983, au cours desquelles ils récoltent vingt-huit députés. 13 K. SCLÜPMANN, « KITSCHELT, «La gauche libertaire et les écologistes français», « KITSCHELT, «La gauche libertaire et les écologistes français», «Verdure et nature : l'opposition «verte» en Allemagne fédérale», L'Homme et la société, n° 91-92, 1989, p. 112. 14 F. L. WILSON, op. cit., p. 80. 15 J. GALTUNG, «The Green Movement : A socio-historical exploration», International Sociology, March 1986, Vol 1, n° 1, p. 76. 113 Ce succès est confirmé à l’occasion de l'élection européenne de juin 1984. Les verts allemands obtiennent sept élus. Mais l’importance des Grünen dans le paysage politique allemand prendra une dimension supplémentaire deux ans plus tard. Pour la première fois, ils sont parties prenantes à la gestion d’un land : celui de Hesse, en alliance avec le parti social-démocrate allemand (SPD). La participation au pouvoir, dans son principe et pratiquement, a été l’objet de longues discussions qui opposèrent les «fondamentalistes» et les «réalistes.» Aujourd’hui, la participation à la gestion de länder et de municipalités est devenue régulière et la perspective d’une participation au niveau national est crédible. Participation des Grünen à des gouvernements régionaux16 Land Hesse Hesse Berlin Brandebourg Basse-Saxe Brême Saxe-Anhalt Années Ministres 1985-1987 1 1991-... 2 1989-1990 3 1990-1994 1 1990-1994 2 1991-1995 2 1994-... 1 Partenaires SPD SPD SPD SPD-FDP SPD SPD-FDP SPD Dans leur histoire, les Grünen ont cependant connu une déroute politique électorale lors des «élections de la réunification» en 1990. Hostiles au rythme imposé par le Chancelier Kohl, les verts descendirent sous le seuil des 5 % nécessaires pour l’obtention d’élus. Seul, leur partenaire des nouveaux Länder d’ex-RDA, Bundis 90, eut des députés. Les élections législatives de 1994 ont permis aux Grünen d'effacer cette déconvenue.17 Au-delà de leur performance électorale, la situation dans le contexte du système politique allemand actuel — notamment l’hypothèque qui pèse sur le devenir des libéraux, le FDP — conduit actuellement à des évolutions inimaginables jusqu'alors : une forme de rapprochement avec la CDU. Ce nouveau voisinage politique a, par exemple, débouché en novembre 1994 sur l'élection d'un président du Bundestag vert, 16 D. BOY, V. J. LE SEIGNEUR, A. ROCHE, L'écologie au pouvoir, Presses de sciences po, 1995, 278 p., p. 244. 17 Il y a même une forme de vase communicant puisque les résultats des Grünen dans les cinq nouveaux Länder sont très médiocres. Saxe 4,8% ; Saxe-Anhalt 3,6% ; Brandebourg 2,9% ; Mecklenburg 3,6% ; Thuringe 4,9%. 114 Antje Vollmer, élu avec les voix de la CDU.18 L’avenir semble donc ouvert pour les Grünen. En France, deux associations importantes de protection de l'environnement et de la nature naissent à la fin des années soixante : la fédération française des sociétés de protection de la nature qui est depuis lors devenue France-Nature19 et l'association des journalistes et écrivains pour la protection de la nature.20 Mais c'est principalement dans les années septante que la mouvance écologiste se développe. En 1972, Pierre Fournier fonde La gueule ouverte21 qui deviendra le «journal phare des militants écologistes.»22 Les premiers numéros se seraient vendus à plus de septante mille exemplaires.23 L'écologie politique fait surtout une entrée médiatique importante lors de la campagne présidentielle d'avril 1974 avec la candidature de René Dumont. Celui-ci obtient 337 000 voix au premier tour, soit 1,3%. Il appellera à voter pour François Mitterrand au deuxième tour. Cette percée politique et médiatique retombe vite. René Dumont avait fait campagne avec la volonté «d'écologiser les partis politiques (...) et de politiser les écologistes.»24 La nébuleuse écologiste française refuse une structuration interne sérieuse et le Mouvement écologique25, mis sur pied en 1974 dans le cadre de la campagne de René Dumont, devient vite une coquille vide. En 1978, les candidats écologistes subissent un revers à l'élection 18 M. JESINGHAUSEN, «German Election to the German Bundestag on 16 October 1994 : Green Pragmatists in Conservative Embrace or a new era for German Parliamentary Democracy ?», Environmental Politics, vol. 4, Spring 1995, pp. 112-113. 19 Rassemblant huit cent mille adhérents dans cent septante associations fédérées. 20 J. CHARLIER, «Naissance et avatars de l'écologie politique», Aménagement et nature, n° 116, 1995, p. 86. 21 Dont le sous-titre était : le journal qui annonce la fin du monde. 22 D. SIMONNET, op. cit., p. 96. 23 J.-L. BENNHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., p. 27. 24 C. JOURNES, «Les idées politiques du mouvement écologique», Revue française de science politique, 1979, voL. 9, n° 2, pp. 242243. 25 G. SAINTENY, Les Verts, Presses universitaires de France, 1992, 126 p., p. 15. 115 législative. Echec démontrait, selon Zsussa Hegedus et Alain Touraine, «l'incapacité du courant anti-nucléaire à s'organiser en force politique.»26 «L’incapacité du courant anti-nucléaire à s'organiser en force politique.»27 Il faut dire que les tenants de l’écologie politique s’affrontaient fermes. En 1977, les différents groupes des Amis de la terre s’étaient fédérés et avaient créé le réseau des amis de la terre (RAT, octobre 1977), structure concurrente du mouvement écologique.28 Le RAT ne sera pas partie prenante à la liste des écologistes aux élections européennes de 1979 au nom de l’ambition de «préserver la spécificité d'intervention de l'écologie politique dans la société civile et au niveau des mouvements sociaux.»29 Le Mouvement écologique présente une liste lors des élections européennes de juin 1979. Dirigée par Solange Fernex, la liste Europe-écologie récolte 4,4%. Sans être négligeable, ce sore ne permet pas aux écologistes français d'obtenir d'élus30 et ne pas avoir accès au financement public31, ce qui oblitérera les capacités de propagande du mouvement pendant plusieurs années, contraint de rembourser les dettes contractées. Pourtant dans la foulée de la campagne électorale, une nouvelle tentative de structuration s'esquissa. Les responsables d'Europe-écologie organisent des assises de l'écologie les 24 et 25 novembre 1979. Ils mettent sous les fonds baptismaux le Mouvement d'écologie politique (MEP) dont la création sera condamnée par les Amis de la terre, hostiles à la mise sur pied d'un parti32, ce qui amenuiser la teneur de l’initiative. Il faut attendre l'élection présidentielle de 1981 pour que soit à nouveau posée la question de la structuration d'un parti écologiste français. Le 26 avril 1981, Brice Lalonde, qui provient du réseau des Amis de la terre récolte 3,9% des suffrages. Dans la 26 Z. HEGEDUS, A. TOURAINE, «La lutte anti-nucléaire», in A. TOURAINE, Z. HEGEDUS, F. DUBET, M. WIEVIORKA, op. cit., p. 50. 27 Ibid., p. 50. 28 J.-L. BENNHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., p. 44. 29 C. JOURNES, op. cit., p. 244. 30 Lors des élections européennes en France, un seuil de 5% est nécessaire à atteindre pour obtenir des élus. 31 J.-L. BENNHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., p. 57. 32 G. SAINTENY, Les Verts, Presses universitaires de France, 1992, 126 p., p. 18. 116 foulée le MEP appelle à la création d'une formation politique. De fait, en novembre 1982, le MEP se transforme en parti politique : Les verts-parti écologiste qui deviennent un an plus tard Les verts avant d’agréger, enfin tous les écologistes en janvier 1994 et devenir Les Verts, confédération écologiste-parti écologiste (Les verts-CP). Mais électoralement le poids écologiste apparaît toujours aussi faible. 33 L'établissement d'une formation écologiste ne réglera pas les multiples débats internes au monde de l’écologie politique en France. Les Verts-CP ne parviendront jamais à s'accorder sur une stratégie politique ; en particulier, sur la politique des alliances. Or, celle-ci est capitale en France dans le cadre du scrutin uninominal à deux tours. Lors des élections législatives de 1986, les verts obtiennent un résultat lamentable dans le cadre du seul scrutin proportionnel à un tour sous la cinquième république. L'accession à la tête du parti d'Antoine Waechter à l'issue de l'assemblée générale de novembre 1986 marque une défaite pour les promoteurs d'une alliance — au moins électorale — avec les partis de gauche.34 Avec Antoine Waechter, les Verts se recentrent sur l'environnementalisme et refusent toute alliance.35 C'est sur cette ligne qu'Antoine Waechter se présente à l'élection présidentielle de 1988 et récolte 3,8%. Ce résultat est à peu près identique à celui de Brice Lalonde sept ans plus tôt mais il apparaît néanmoins comme une bonne surprise pour les Verts. Ceux-ci connaîtront une période euphorique entre 1989 et 1992. En effet, lors des élections européennes de juin 1989, ils obtiennent 10,6% et neuf élus. La même année, aux élections municipales, 1 400 conseillers municipaux avec une étiquette écologiste sont élus (six cents sont membres des verts). De 1988 à 1989, les verts passent de 1 700 à 4 400 adhérents.36 Ce succès 33 Lors des élections municipales de 1983, seuls sept cent cinquantesept conseillers écologistes sont élus alors que le nombre de communes en France est extrêmement important. B. PRENDIVILLE, «France : les verts», in F. MÜLLER-ROMMEL (edited by), op. cit., p. 90. 34 La direction sortante (Yves Cochet, Didier Anger, Jean Brière, Guy Marimot) fut désavouée par 68% des mandats. 35 Le titre de sa motion co-signée avec Andrée Buchmann est révélateur : «L'écologie n'est pas à marier.» J.-L. BENNHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., pp. 77-78. 36 P. ALPHANDERY, P. BITOUN et Y. DUPONT, op. cit., pp. 92-93. 117 suscite des convoitises. Il entraîne notamment la mise sur pied d'un parti concurrent Génération écologie piloté par Brice Lalonde, ministre de l'Environnement du gouvernement Rocard. Aussi lors des élections régionales de 1992, deux formations écologistes se disputent une victoire annoncée. Le succès est effectivement au rendez-vous des urnes mais très également partagé entre Les Verts et Génération Ecologie. Il est complété par l'accession à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais, de Marie-Christine Blandin dans le cadre d'une alliance avec le PS et le PCF. Face à ce succès partagé, les directions des deux mouvements tenteront d'établir une stratégie à l'horizon des élections législatives de mars 1993. Après moult discussions, l'Entente des écologistes est mise sur pied pour ces élections. Mais le message des écologistes se brouille et le contexte n’est plus aussi favorable. Les déclarations de Waechter sont aussitôt contredites par celles de Brice Lalonde et inversement. Alors qu'un sondage leur avait prédit jusqu'à 19% — devant le PS —37, Les Verts et Génération Ecologie tombent de haut au soir du scrutin. Cet échec provoqua une énième crise chez les verts lors de l'assemblée générale de novembre 1993. Antoine Waechter fut mis en minorité et ne récolta que 34,7 % des mandats pour 62,3% à la motion portée par Dominique Voynet.38 La situation actuelle est très confuse. Il y a peu, on ne comptait pas moins de quinze formations écologistes39 dont les trois principales étaient le mouvement écologiste indépendant (MEI) dirigé par Antoine Waechter, Les Verts dont la porte-parole est Dominique Voynet et Génération écologie, dirigé par Brice Lalonde. Le piètre résultat de Dominique Voynet aux élections présidentielles de 1995 n’est pas de nature à éclaircir le paysage de l’écologie politique en France. La percée très différenciée des Grünen allemands et des écologistes français a beaucoup d'explications. 37 B. PRENDIVILLE, «The «entente écologiste» and the French Legislative Elections of March 1993», Environmental Politics, Autumn 1993, n° 3, p. 481. 38 A. COLE, «La descente aux enfers ? The French Greens General Assembly in Lille, 11-13 November 1993», Environmental Politics, Summer 1994, n° 2, p. 322. 39 D. BOY, V. J. LE SEIGNEUR, A. ROCHE, op. cit., p. 16. 118 — Les Grünen opèrent dans et face à un Etat relativement faible, dont les pouvoirs sont limités par celui des länder et de la chambre où ils sont représentés, le Bundesrat. En revanche, l'Etat français est fort. Dans le modèle républicain, beaucoup l'identifient à l'Etat neutre au-dessus des conflits, porteur du progrès de la société. Dans cette optique, en dépit de la longue bataille contre l'implantation des centrales nucléaires, l'Etat a pu dans les années septante choisir, sans créer de crise politique majeure, la voie du nucléaire contre mode de production principal de l’électricité en France.40 — La relation des Grünen et des verts à l'identité des partis socialistes de leur pays est très différente. En France, à la fin des années septante et au début des années quatre-vingts, les écologistes se trouvent face à une formation au discours radical («Changer la vie»). Le PS a intégré une partie du discours et des acteurs de mai 1968 et attire des franges importantes des classes moyennes en expansion. Pour les écologistes, l'espace politique apparaît relativement restreint. En Allemagne, la mouvance écologiste des années septante fait face à une coalition socialedémocrate-libérale sous la houlette du Chancelier Helmut Schmidt, classé à l'aile droite du parti. Ce qui ouvre l'espace beaucoup plus qu'en France. Par ailleurs, comme le rappelle Guillaume Sainteny, «la décision du chancelier social-démocrate, Helmut Schmidt, d'autoriser le déploiement de nouveaux missiles intermédiaires américains en RFA fournit une nouvelle question, un nouveau clivage aisément mobilisable par les Grünen.»41 Le changement d'alliance des libéraux en 1982, confirmé après l'élection législative de 1983, ne modifiera pas radicalement cette situation. — Il importe aussi de souligner les différences des systèmes électoraux. En Allemagne, les électeurs possèdent deux voix. Une voix pour la désignation de députés au scrutin uninominal à un tour. Une voix pour choisir des députés au scrutin de liste proportionnel. L’élection des députés du scrutin proportionnel est réalisée sur base des résultats, bien sûr, et dans une optique de «compensation» par rapport au scrutin uninominal à un tour. Toutefois, pour obtenir des élus à la proportionnelle, il faut soit avoir trois élus directs au scrutin uninominal, soit passer le seuil de 5% au scrutin proportionnel. Si l'un de ces obstacles est franchi, le système électoral allemand est l'un des plus justes dans le degré de proportionnalité (rapport du pourcentage obtenu en voix sur le pourcentage obtenu en sièges). Ce type de scrutin est favorable 40 F. L. WILSON, op. cit., p. 81. 41 G. SAINTENY, L'écologisme en Allemagne et en France : deux modes différents de construction d'un nouvel acteur politique, Institut de Ciècies Politiques i Socials, Working Paper n° 78, 1993, 28 p., p. 6. 119 aux partis moyens. En France, par contre, il s'agit d'un mode de scrutin uninominal à deux tours. Si un parti n'a pas remporté la majorité absolue au premier tour dans la circonscription, un deuxième tour est organisé où la majorité relative suffit. Dans ce système, la politique d'alliance est déterminante. Il défavorise clairement les petits partis et les partis moyens. Cependant, certains d'entre eux peuvent en jouir à condition d'établir une politique d'alliance — électorale — cohérente, ce que les verts se sont toujours refusés à faire. Jens Albert souligne cet élément comme une composante importante favorisant l'émergence sur la scène politique des Grünen : «La question est bien sûr de savoir pourquoi les verts sont si forts en Allemagne. Notre hypothèse dans la foulée du travail de Stein Rokkan semble évidente sinon triviale : Au plus bas est le seuil institutionnel de représentation, au plus élevées sont les chances que se forment des partis écologistes.»42 — Autre différence, soulignée par John Galtung, les fortes réactions suscitées en France envers les verts par les indéniables éléments de puritanisme dans le mouvement écologiste. Composante faible en Allemagne.43 Vers une «famille politique» européenne La structuration européenne des partis écologistes s’avérera très laborieuse. Dans les années septante, il y eut certaines rencontres européennes d’organisations écologistes : Strasbourg, juillet 1974 ; Bruxelles, octobre 1974 ;... Dans la phase de préparation des élections européennes de juin 1979, une structure est établie entre différents partis écologistes : la coordination européenne des partis verts et radicaux. Le fait qu’aucune formation écologiste n’ait obtenu d’élus à ce scrutin ne permettra pas on développement. Par ailleurs, les approches envers le contenu politique d’une famille politique écologiste diffèrent sensiblement. Aux Grünen qui souhaitent y associer des partis qui considèrent comme alternatifs — radicaux italiens, Démocratie prolétarienne (Italie), Groen progressief akkord (Pays-Bas)... — s’opposent les tenants d’une famille politique centrée sur des partis écologistes. Dès lors, la coordination est presque inexistante : «Entre 1980 et 1983, elle se réunit au mieux deux par an et ne rassemble que des partis écologistes et radicaux membres de la CEE. Les débats sont 42 J. ALBER, «Modernization, cleavage structure and the rise of green parties and lists in Europe», in F. MÜLLER-ROMMEL(edited by), op. cit., p. 208. 43 J. GALTUNG, op. cit., p. 87. 120 houleux, les radicaux italiens refusent d'adopter des textes globalisants, les Allemands ne sont jamais mandatés. Les Français sont divisés entre leurs représentants membres des amis de la terre et du mouvement d'écologie politique (MEP)»44 rappellent Jean-Luc Bennahmias et Agnès Roche. Une nouvelle étape est franchie à Liège, en mars 1984, lors du premier congrès des verts européens. La conférence de Liège publie une déclaration commune dans la perspective des élections européennes. Neuf formations sont présentes aux assises de Liège : Ecolo, Agalev, les Grünen, les Verts, The Ecology Party (GrandeBretagne), The Green Alliance (Irlande), De Groenen (Pays-Bas), le Miljöpartiet (Suède) et l’Austrian Alternative List.45 Mais ce n'est qu'en novembre 1985, que les statuts de cette coordination des Verts européens seront adoptés.46 A l'échelle du Parlement européen, les choses ne sont pas moins difficiles tant les cultures politiques sont différentes. A l'issue des élections de 1984, les élus écologistes, belges hollandais et allemands étaient à même de former un groupe au Parlement européen. Toutefois, les Grünen souhaitaient l'élargissement du groupe parlementaire à des partis à la gauche des partis socialistes ou aux partis radicaux. C'est dans ces conditions qu'est mis sur les fonts baptismaux le groupe Arc-en-ciel.47 Mais le groupe Arc-en-ciel est constitué de trois entités distinctes. — Le GRAEL (Green-Alternative European Link) composé des sept députés Grünen, des deux membres de Groen Links des Pays-Bas, du député du parti d'extrême gauche italien Democrazia proletaria, du député basque d’Euskadiko Eskerra et du député d'Agalev. — L'alliance libre européenne composée du député Ecolo, des deux députés Volksunie et d'un député du parti sarde.48 44 J-L. BENNAHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., p. 91 45 Ibid., p. 91. 46 S. BOWLER, D. M. FARRELLE, «The Greens at the European level», Environmental Politics, Spring 1992, vol 1, n° 1, p. 135. 47 E. G. FRANKLAND and D. SCHOONMAKER, Between Protest and power. The Germand Green Party in Germany, Westview Press, 1992, 252 p., p. 206. 48 K. H. BUCK, «Europe : The «Greens» and the «Rainbow Group» in the European Parliament», in F. MÜLLER-ROMMEL (edited by), op. cit., p. 169. 121 — Enfin, le troisième sous-groupe était composé des élus danois de liste anti-Communauté européenne. En tant que tel, le groupe Arc-en-ciel n'aura qu'une faible activité commune. La situation s’éclaircira à la suite de l'élection européenne de 1989. La volonté d’élargir aux partis radicaux ou d'extrême gauche s’érode. Y fait progressivement place l'affirmation d’une identité européenne de la famille écologiste. Un groupe des verts européens est formé. Il compte trente membres : huit députés des Grünen, huit parlementaires des verts français, deux élus Ecolo, un élu Agalev, les deux députés de Groen Links (Pays Bas), le député du parti portugais Os Verdes, élu sur une liste d’alliance avec le parti communiste, le député du parti de gauche espagnol Izquierda de Los Pueblos, enfin, sept députés italiens provenant de quatre formations politiques. En juillet 1990, le groupe vert du Parlement européen organise à Strasbourg une rencontre européenne de parlementaires écologistes qui rassemble environ cent-vingt députés des pays membres de la Communauté européenne mais également des nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale.49 Après cinq congrès de la coordination des verts européens (Liège, mars 1984 ; Douvres, mars 1985 ; Stockholm, août 1987 ; Anvers, avril 1988 et Paris, 1989), l’établissement d’une structure supranationale claire des partis écologistes a lieu à Helsinki, le 20 juin 1993. La fédération européenne des partis verts y voit le jour. Vingt-trois partis signent l’acte de naissance : Die Grüne Alternative (Autriche), Agalev, Ecolo, De Gronne (Danemark), Los Verdes (Espagne), Verts estoniens, Vihreä Liitto (Finlande), Les verts (France),Comhaontas Glas (Irlande), De Groenen (Pays-Bas), Federazione dei Liste Verdi (Italie), Déi Gréng Alternative (Luxembourg), Groen Links (Pays-Bas), Os Verdes (Portugal) Alternattiva Demokratika (malte), Die grünen(Allemagne), The Green Party (Grande-Bretagne), Miljöpartiet de Gröna (Suède), le parti écologiste suisse, Georgian Greens, Miljöpartiet de Gronne (Norvège), The Green Party of Bulgaria et Glei (Luxembourg). La dimension «intégration» reste cependant limitée. Trois devoirs et objectifs sont assignés à la fédération : — «assurer une coopération étroite et permanente entre les partis membres afin d’accomplir une politique commune décidée par le congrès, 49 J.-L. BENNAHAMIAS et A. ROCHE, op. cit., p. 97. 122 — stimuler et organiser des activités à l’échelle européenne sous la supervision du Conseil et du Comité, — se consacrer à une approche ouverte, active, constructive et critique du processus d’intégration européenne en cours jusqu’au processus de coopération mondiale.»50 50 Statuts de la fédération européenne des partis verts, 1993, pp. 1-2. 123 Chapitre 4 L'évolution des structures d'un mouvement-parti 124 125 «Le succès d'Ecolo, c'est aussi la recherche (jamais achevée, rarement interrompue) d'un mouvement que le militant peut constamment enrichir, amender, renouveler, dans ses thèmes politiques comme dans ses modes d'action.» C'est en ces termes que Gérard Lambert, Jean-Marie Pierlot et Jean-Luc Roland présentaient, au lendemain de l'élection législative de novembre 1981, le fonctionnement et les ambitions organisationnelles d'une formation politique en construction, encore peu connue de l'opinion.1 Les changements statutaires A l'instar de tous les autres partis écologistes européens, Ecolo a dès ses origines voulu se distinguer des structures partisanes classiques d'Europe occidentale ; en particulier de toutes les formes de délégation de pouvoir à un petit noyau de responsables. Dans le chef des écologistes, il y a toujours eu un rejet des structures lourdes, un combat contre la bureaucratisation du parti, une méfiance envers la professionnalisation d'une petite élite. A l'inverse, les verts ont promu sans relâche le principe de la démocratie directe. Dans cette optique, Ecolo a toujours désiré confier le maximum de pouvoir aux échelons de base, en se fondant, dans une optique fédéraliste, sur le principe de la subsidiarité. Remarquons cependant que plusieurs de ses ambitions en la matière ont dû être revues. Ecolo a dû s'adapter à plusieurs évolutions et à des éléments de fait qu'il avait parfois sous-estimé. — Il a dû gérer sa croissance en termes d'augmentation du nombre de ses adhérents, du total des suffrages qu'il recueille et de l'accroissement de ses élus aux échelons communaux, régionaux, 1 G. LAMBERT, J.-M. PIERLOT et J.-L. ROLAND, «Les écolos voient l'avenir autrement», La revue nouvelle, n° 5-6, mai-juin 1982, p. 546. 126 communautaire, fédéral et européen. Un parti ne fonctionne pas de façon identique avec trois cents ou avec trois mille membres ; avec deux députés et quatre sénateurs ou avec sept députés, trois sénateurs, sept conseillers régionaux wallons, sept conseillers régionaux bruxellois et un député européen. — Ecolo a aussi rapidement éprouvé la difficulté, sinon l'impossibilité, de faire de la politique au jour le jour avec une structure principalement basée sur le bénévolat. — Les verts ont par ailleurs été confrontés à de multiples sollicitations de l'environnement extérieur dès lors qu’ils obtinrent leurs premiers élus. — Enfin, Ecolo a aussi été confronté à de nombreux conflits de compétence. Désaccords entre personnes et tiraillements entre instances : groupes parlementaires, conseil de fédération, secrétariat fédéral, régionales, locales, etc. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les statuts originaux aient été revus pas moins de dix-huit fois. Certes, plusieurs modifications n'ont concerné que des points relativement mineurs ou techniques. De même, plusieurs principes de base, tels le fédéralisme intégral, le non-cumul des mandats ou la volonté d’organiser une rotation des élus ont perduré dans le temps. Il n'empêche, il y a incontestablement des changements substantiels entre le fonctionnement contemporain d'Ecolo et celui qui prévalait dans les dispositions statutaires de 1980. Dans le temps, la structure de base est restée identique : il s'agit de la locale dont le fondement est l'implantation et le travail politique sur le lieu d'habitation. Pour être reconnue par une fédération, une «locale» doit au moins comporter cinq membres et il lui faut adopter un règlement d'ordre intérieur. Le deuxième échelon organisationnel est la régionale. Ecolo en compte quinze. Leur espace de compétence géographique recoupe la division des arrondissements électoraux : Arlon-MarcheBastogne, Brabant wallon, Bruxelles, Charleroi, DinantPhilippeville, Eupen, Huy-Waremme, Liège, Mons, Namur, Neufchâteau-Virton, Picardie, Soignies, Thuin, Verviers. Chaque régionale élit un secrétariat régional. Au niveau des instances fédérales, Ecolo a connu plusieurs remaniements. La dernière révision statutaire importante date de l'assemblée générale de Huy-Burdinne, en janvier 1994. Celle-ci s'est réalisée dans le prolongement des conclusions du groupe de travail animé par Pierre Jonckheer et Michel Somville. Depuis cette 127 date, l'organigramme des compétences d'Ecolo se présente de la manière suivante. 1 - L'organe souverain du mouvement est l'Assemblée générale du parti. Tous les membres du mouvement peuvent y prendre part. L’assemblée générale a pour objet «d'approuver les comptes fédéraux, de donner décharge au secrétariat fédéral de sa gestion, de définir, après étude et discussion dans les groupes de base, les options fondamentales et de les traduire en programme politique, d'élaborer les objectifs et la stratégie du mouvement.»2 Il y a au moins une assemblée générale par an. Mais, une assemblée extraordinaire peut être convoquée à la demande de 10% des adhérents, sur requête de trois régionales, ou sur la sollicitation du conseil de fédération du mouvement. 2 - Le conseil de fédération représente l'organe politique d'Ecolo. Il assure les choix politiques entre la tenue de deux assemblées générales. Le conseil de fédération est composé de représentants des régionales. Chaque groupe régional délègue deux mandataires choisis en son sein. Au surplus, chacune des régionales a droit à un délégué supplémentaire par tranche de de cent adhérents. Outre les délégués régionaux, le conseil de fédération coopte également un certain nombre de membres. Néanmoins, la représentation des cooptés au sein du conseil de fédération ne peut dépasser 25% du nombre de délégués, soit 20% de l'ensemble du conseil. Notons que les parlementaires, qu'ils soient régionaux, communautaires, fédéraux ou européens, ne peuvent siéger au conseil de fédération avec voix délibérative. Enfin, signalons que le secrétariat fédéral assiste aux réunions du conseil de fédération avec voix consultative. Le conseil de fédération élit en son sein un bureau. Il a pour missions essentielles l'animation du conseil, la tenue de son secrétariat, le développement de la circulation des informations internes entre les régionales pour «tout débat utile au conseil.» Il est aussi chargé, en collaboration avec le secrétariat fédéral, de préparer les décisions du conseil et de vérifier leur suivi. Par ailleurs, au moins un des membres du conseil de fédération participe aux réunions du secrétariat fédéral avec voix consultative. 2 Ecolo, Statuts du mouvement Ecolo, dernière révision : 23 avril 1994, 25 p., p. 5. 128 3 - Le secrétariat fédéral est l'organe qui a «une compétence générale d'initiative en matière de politique externe et interne.»3 Il se réunit chaque semaine — dans la pratique, le vendredi soir. Lors de cette réunion hebdomadaire, il aborde les questions d'actualité politique importantes et les décisions qu'il a prises en conséquence. Outre les secrétaires fédéraux et un délégué du conseil de fédération, tous les chefs de groupe parlementaire sont invités à y prendre part.4 Soulignons au demeurant que ses réunions sont ouvertes. Le secrétariat fédéral est composé de trois personnes. Depuis la réforme statutaire de janvier 1994, elles se présentent en équipe. Celle-ci est élue par l'assemblée générale à la majorité absolue. Mais ce vote doit être confirmé pour chacun des membres individuellement. Ceux-ci doivent aussi recueillir une majorité absolue des suffrages. Les secrétaires fédéraux appartiennent nécessairement à trois régionales différentes. Au moins un des trois sera membre de la régionale de Bruxelles et il faut que les deux genres soient représentés. Depuis l'assemblée générale d'avril 1994, les trois secrétaires fédéraux élus sont Isabelle Durant (Bruxelles), Jacky Morael (Liège) et Danny Josse (Mons). Les secrétaires fédéraux sont désormais temps plein et rémunérés. Leur mandat dure quatre ans et est renouvelable une fois. Outre cet organigramme, Ecolo a créé de nombreuses commissions de travail sur des problématiques multiples. Celles-ci alimentent la réflexion et les prises de position politique du parti. A la fin de l'année 1995, Ecolo comptait onze commissions : agriculture, culture-médias, enseignement, environnement, immigration-citoyenneté, Nord-Sud, relations internationales, santé, sécurité-paix-désarmement, socio-économique et transports-déplacements. Ces commissions sont d’ailleurs souvent subdivisées en groupes de travail. 3 Ibid., p. 10. 4 Actuellement : Paul Lannoye (Parlement européen), Pierre Jonckheer (Sénat), Marie Nagy (région bruxelloise), José Daras (région wallonne), Marcel Cheron (Communauté française) et Olivier Deleuze (Chambre). 129 Des moyens accrus D'un point de vue financier, les règles ont relativement peu évolué contrairement... aux moyens. Le temps de l'élection législative de 1981 où Ecolo fonctionnait sur la base du bénévolat en faisant un emprunt d'un million et demi de francs est révolu. Avec l’obtention d'élus, leur augmentation dans le temps et le financement public des partis, Ecolo a enregistré des rentrées nouvelles, qui lui ont ouvert des possibilités inédites en termes de fonctionnement et de service de recherche : le centre d’études et de formation en écologie (CEFE). Pour bien saisir la nature de cette évolution, notons que le budget de 1989 avoisinait trente millions5, que le budget prévisionnel de 1991 était de cinquante millions6, que celui de 1992 se situait aux alentours de nonante-sept millions7 alors que celui de 1993 était de cent et cinq millions.8 Ecolo a, néanmoins, toujours prôné une relative sobriété durant les campagnes électorales. Même dans les «années folles» de la décennie quatre-vingts, les écologistes francophones et néerlandophones ont refusé de pratiquer des campagnes d'affichage massives (notamment par la non-utilisation de panneaux publicitaires de 20m2). Si les moyens d'Ecolo ses sont sensiblement accrus, c'est en raison de deux éléments déterminants : l'évolution du nombre de ses élus et l'augmentation du financement public. Chaque élu signe un contrat de réciprocité avec le parti. Ce contrat prévoit notamment que le mandataire rétrocède une partie de ses indemnités de parlementaire à Ecolo. La croissance sensible du nombre de ses élus, notamment dans la période 1989-1994, lui a ainsi permis d'obtenir des recettes supplémentaires. A contrario, la perte du deuxième député européen à l'élection de juin 1994 et le résultat mitigé de l'élection législative de 1995 oblitéreront les marges qu'Ecolo avait connues jusqu'alors. Depuis le début des années nonante, les subventions publiques aux formations politiques se sont accrues en corollaire de lois de restriction de financement privé des partis politiques. Cette 5 Ecolo info, n° 4, avril 1990. 6 Ecolo info, n° 1, février 1991. 7 Ecolo info, n° 4, juin 1992. 8 Ecolo info, n° 2, mars 1993. 130 élévation du financement public des partis conjuguée à la progression des voix recueillies par Ecolo entre 1987 et 1994 lui a également fourni des rentrées supplémentaires substantielles. Il existe assurément d'autres sources de recettes (cotisations9, dons,...) mais celles-ci apparaissent marginales dans les ressources d'Ecolo par rapport aux deux premières. Voir tableau à titre d’exemple.10 Répartition des rentrées pour l’année 1993 En francs belges Indemnités parlementaires Dotation aux partis Subsides aux groupes parlementaires Aides individuelles Subsides européens Ressources internes (dont cotisations) Ressources externes 20 36 26 6 12 718 726 865 365 055 994 099 394 949 375 880 286 (199 800) 3 923 075 % des recettes 19,3 34,1 24,2 5,7 12,0 0,8 (0,2) 3,6 Grâce à cette augmentation de ses moyens, Ecolo a vu son cadre de permanents croître notablement — élus, assistants parlementaires, secrétaires régionaux rémunérés, secrétaires fédéraux, travailleurs CEFE. Celui-ci atteint aujourd'hui environ quatre-vingts personnes. Cette évolution a (re)mis à l'ordre du jour la problématique de la professionnalisation du parti et derechef une diminution de son caractère démocratique. Récemment, Benoît Rihoux défendait l'hypothèse selon laquelle le processus de professionnalisation s'était «accompagné d'un processus d'oligarchisation de facto tant chez Agalev que chez Ecolo.»11 Nous serions tentés de défendre l'hypothèse inverse. Nombre d'auteurs et d'acteurs, se fondant sur les travaux pionniers de Robert Michiels sur le principe de la «loi d'airain de l'oligarchie»12 assimilent croissance et professionnalisation d'un 9 Ecolo touche, au niveau fédéral, cent francs de cotisation annuelle soit, pour l'année 1994, deux cent quarante mille francs. 10 Ecolo info, n° 6, avril 1994. 11 B. RIHOUX, Emergence et développement des deux partis écologistes belges, Institut e Ciències Politiques i Socials, working paper, n° 77, 1993, 47 p., p. 17. 12 Pour Michels, avec automatiquement un déterminante serait la tête des formations l’organisation et la structuration naît phénomène d’oligarchie, dont la racine nécessité de responsables «techniciens» à la politiques : «Or, abstraction faite de la 131 parti et tendance à l'oligarchie. Les partis de masse — en particulier les partis de type social-démocrate — ont souvent été en point de mire de ces observations. S'il ne fait aucun doute qu'il y existe des phénomènes d'oligarchie, rien ne prouve inversement que cette situation ne prédomine pas dans les autres catégories de partis. Il nous semble, par exemple, difficile de prétendre au fonctionnement démocratique historique et contemporain des partis de cadres. Pour ce qui a trait aux partis écologistes, la prudence s'impose par rapport à des conclusions hâtives qui s'inscrivent parfois dans le dénigrement du rôle des partis, des hommes et des femmes politiques. N'est-ce pas la croissance d'Ecolo en nombre d'adhérents (voir infra), de résultats électoraux et de moyens qui a entraîné le processus de professionnalisation ? A-t-on véritablement observé un processus d'oligarchisation dans Ecolo ? Rien n'est moins sûr. Durant, les cinq premières années d'existence d'Ecolo, les assemblées générales ne rassemblaient que quelques dizaines de personnes. Aujourd’hui, elles en rassemblent plusieurs centaines. Lors de la très importante assemblée de Neufchâteau-Virton, en 1986, deux cent septante-deux adhérents ont pris part aux travaux. A l'occasion des assemblées de la Louvière et de Louvain-la-Neuve, c'est près du double d'adhérents qui ont participé aux travaux et donc aux choix ! De même, peut-on assurer qu'une direction bénévole, dans l'impossibilité humaine et matérielle, d'assumer correctement ses fonctions et des décisions, génère un fonctionnement plus démocratique qu'un secrétariat fédéral rémunéré, ayant les moyens de leurs fonctions mais régulièrement redevable de ses propositions ? Il n'y a pas de réponse aisée et définitive à ces questions tout comme il n'y a pas de solution irrévocable aux questions de fonctionnement démocratique de toute organisation. Les tensions sont fréquentes et logiques, et la recherche de solutions meilleures perpétuelle. Une autre dimension de ce problème est le problème de la rotation. La question n’est pas simple. Les constats se rejoignent : «C’est un des problèmes qu’Ecolo gère très mal» (J. Morael). «Il tendance des chefs à s'organiser et à se coaliser, abstraction faite aussi de leur reconnaissance par les masses immobiles et passives, nous pouvons dire dans cette conclusion que la principale cause des phénomènes oligarchiques se manifestant au sein des partis démocratiques consiste dans ce fait que les chefs sont techniquement indispensables.» R. MICHELS, Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Flammarion, 1971, 309 p., pp. 295296. 132 reste à l’intérieur d’Ecolo à imaginer, et c’est peut-être une des failles à imaginer une mobilité interne plus grande» (J. Liesenborghs). Dans le principe, il est tout à fait salutaire qu’une personne n’entre pas «dans» un mandat pour la vie et puisse se retirer après une ou deux législatures. Pratiquement, ce n’est pas facile à organiser surtout pour une formation qui n’est pas un «parti de gouvernement.» Les reclassements après une carrière politique ne sont pas évidents. Ceux qui sont évoqués à Ecolo sont perçus comme exceptionnels : Jean-François Vaes à l’administration de la région bruxelloise et Jacques Liesenborghs dans l’enseignement. Pour Ecolo, cette question a pris une tournure nouvelle avec les tassements électoraux. En l’espèce, la question de la rotation est dépassée. Se pose le problème en cas de non-réélection ; l’exemple emblématique étant Philippe Defeyt. Le principe de la rotation et la question des reclassements politiques, qui ont quelque peu agité l’assemblée de Louvain-La-Neuve (janvier 1996)13 vont devoir être examinés de front dans les années qui viennent. Il y a en effet une nouvelle génération d’adhérents qui aspirent à prendre des responsabilités et un nombre d’élus qui ont entamé leur deuxième mandat. Autant d’éléments qui nécessiteront une «gestion» humaine complexe. Le cas des élus régionaux bruxellois sera à cet égard révélateur. Des adhérents plus nombreux Ecolo n’a jamais été un parti de «masse» dans le sens classique que la science politique confère à ce terme.14 Toutefois, le temps de la petite centaine de participants à la fondation du parti en mars 1980 est également révolu. Ecolo s’est consolidé lentement, avec certains à-coups. Il a de la sorte pu franchir des étapes en termes d’adhésion. 13 Sur proposition de Vincent Decroly, l’assemblée générale a réaffirmé la «valeur du principe dit «de rotation»» par 159 voix contre 107 et 20 abstentions. 14 C’est Maurice Duverger qui, dans son ouvrage pionnier sur les partis politiques, le premier distingua les «partis de cadre» des «partis de masse.» Outre leur grand nombre d’adhérents, les partis de masse ont pour vocation d’encadrer les membres du parti, remplissant tout à la fois une fonction de socialisation et de contre-société au pouvoir dominant. Les formations sociales-démocrates sont, selon Maurice Duverger, les «exemples types» de ces partis. M. DUVERGER, Les partis politiques, Points seuils essai, 1992, 566 p., p. 44. 133 Les progressions se réalisent principalement en liaison avec la tenue des élections, notamment communales. Dans les premières années Ecolo s’est ouvert grâce à l’élection législative de 1981 et à l’élection communale de 1982. Il connaît ensuite une période de stagnation et même de régression entre 1985 et 1988. Entre ces deux dates, il passe de 959 adhérents à 891, en ayant chuté à 617 en 1987. Ce sévère recul s’explique avant tout par la crise interne dans laquelle Ecolo s’est débattu en 1985 et, plus encore, en 1986. La perte de plus de 35% des effectifs en deux ans confirme que les départs et démissions ont très largement dépassé la seule aile gauchiste de la régionale de Bruxelles, qui n’agrégeait que quelques personnes. Il y a bien eu une clarification, qui était nécessaire. Tous ceux qui ne se sont pas reconnus ont déserté le parti. En retour, elle a le redéploiement du parti sur le plan politique et organisationnel. Ce dont atteste la progression «spectaculaire» entre 1988 et 1989 : plus 500 adhérents, permettant à Ecolo de franchir durablement le cap des 1 000 membres. Ecolo franchira un nouveau seuil dans la foulée de sa victoire électorale de 1991 en approchant en 1992 (1 876) et 1993 (1 934) le cap des 2 000 adhérents. Il l’atteindra en 1994 dans le contexte de la préparation des élections communales en totalisant 2 347 membres ; chiffre qu’il a confirmé en 1995 puisqu’il recensait au 31 décembre 1995, 2 488 inscrits. Evolution du nombre de membres à Ecolo (1984-1995) 2500 2000 1500 1000 500 0 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 134 La progression d’adhérents enregistrée par Ecolo depuis seize ans a bien sûr touché toutes ses régionales. Néanmoins, on peut observer des zones de faiblesse relativement marquées. Comme nous l’avions déjà évoqué sur la base des rapports internes d’Ecolo, l’axe Charleroi-Mons se révèle pauvrement doté en termes de membres. En effet, la régionale de Charleroi qui couvre entre autres la plus grande ville wallonne ne compte, à la fin de l’année 1995, qu’une petite centaine de membres ; celle de Soignies également. Quant à la régionale de Mons-Borinage, elle totalise environ 130 adhérents. Proportionnellement, les 400 membres de la régionale du Brabant wallon font figure de bastion. A travers ces deux exemples, on soulignera les contrastes entre implantation locale et performances électorales. Le Brabant wallon incarne une situation où la bonne pénétration locale est corollaire d’excellents résultats électoraux. En revanche, la situation à Charleroi met en parallèle une présence sur le terrain fugace et des scores électoraux raisonnables. Mais cela met aussi en relief les causes du tassement électoral différencié d’Ecolo aux élections européennes et communales de 1994 (voir infra et supra) et législatives de 1995. Evolution du nombre d’adhérents dans les régionales (1984-1995) 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Arlon-Marche-Bastogne 22 32 25 15 29 36 30 53 57 70 51 91 Brabant wallon 95 91 92 70 83 188 173 176 212 259 339 402 Bruxelles 183 179 188 140 194 268 254 262 325 321 337 417 Charleroi 33 50 43 29 55 70 63 66 95 93 122 97 Dinant-Philippeville 38 44 43 28 35 54 57 113 114 112 123 108 Eupen 27 27 22 23 17 25 33 43 45 46 48 55 Huy-Waremme 16 19 19 9 24 37 23 28 39 82 129 132 137 154 134 94 139 182 181 193 264 231 249 271 Mons-Borinage 39 44 34 15 20 80 64 80 103 108 134 131 Namur 67 75 67 60 67 118 82 107 151 158 207 234 Neufchâteau-Virton 14 85 26 30 36 30 33 19 7 48 42 35 Picardie 53 68 47 15 72 112 25 30 169 134 191 167 Soignies 17 20 22 15 39 70 77 66 88 84 93 104 Thuin 14 18 27 27 14 44 29 33 40 78 122 70 Verviers 53 53 47 47 67 89 88 91 103 110 160 174 Liège En fonction de ces zones de force et de faiblesse et de la population couverte par les régionales, il est intéressant d’examiner la part respective des régionales dans le total des membres et leur évolution. 135 Constatons d’emblée qu’à la seule exception de 1994, Bruxelles a toujours été la première régionale du parti en termes d’adhérents. Elle a rassemblé plus d’un cinquième des adhérents à plusieurs reprises. Durant les premières années de la décennie nonante, son poids s’est érodé. Non à cause d’un tassement de ses effectifs mais en raison d’un élargissement de la couverture militante d’Ecolo. Le phénomène touche d’ailleurs aussi la régionale liégeoise. La régionale du Brabant wallon a enregistré une croissance régulière de son poids. Elle est passée de 11,75% en 1984 à 16,16% en 1995. Evolution comparée du poids des fédérations (en %) 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Arlon-Marche-Bastogne 2,72 3,33 Brabant wallon 11,75 9,48 2,99 2,43 3,25 2,56 11 11,34 9,32 13,4 14,27 12,94 Bruxelles 22,64 18,66 22,49 22,69 21,77 2,47 3,9 3,04 3,62 2,17 3,65 11,3 13,39 14,44 16,16 19,1 20,96 19,26 17,32 16,6 14,36 16,76 Charleroi 4,08 5,21 5,14 4,7 6,17 4,99 5,2 4,85 5,06 4,81 5,2 3,89 Dinant-Philippeville 4,71 4,59 5,14 4,54 3,93 3,84 4,7 8,31 6,08 5,79 5,24 4,34 Eupen 3,34 2,81 2,63 3,72 1,91 1,78 2,72 3,16 2,4 2,38 2,05 2,21 Huy-Waremme 1,98 1,98 2,22 1,45 2,69 2,64 1,89 2,06 2,08 4,24 5,5 5,3 Liège 16,95 16,06 16,03 15,23 15,6 12,97 14,93 14,19 14,07 11,94 10,61 10,89 Mons-Borinage 4,82 4,59 4,07 2,43 2,24 5,7 5,28 5,88 5,49 5,58 5,71 5,26 Namur 8,29 7,82 8,01 9,72 7,52 8,41 6,76 7,86 8,04 8,17 8,82 9,41 Neufchâteau-Virton 1,73 8,86 3,11 4,86 4,04 2,14 2,72 1,4 3,73 2,48 1,79 1,41 Picardie 6,56 7,09 5,62 2,43 8,08 7,98 2,06 2,21 9 6,93 8,14 6,71 Soignies 2,1 2,08 2,63 2,43 4,38 4,99 6,35 4,85 4,69 4,34 3,96 4,18 Thuin 1,73 1,87 3,22 4,38 1,57 3,14 2,39 2,42 2,13 4,03 5,2 2,81 Verviers 6,56 5,53 5,62 7,62 7,52 6,34 7,26 6,69 5,49 5,69 6,82 6,99 Ecolo totalise donc deux mille cinq cents adhérents à l’heure actuelle. Toutes sensibilités confondues, les responsables régionaux et fédéraux du parti sont conscients tout à la fois de l’évolution positive ces huit dernières années mais aussi de l’étroitesse de la base militante d’Ecolo. Plusieurs localités ne connaissent qu’une présence politique épisodique de la section locale sans même parler du nombre non négligeable de communes où les verts n’ont pas de section locale. De nouveaux caps sont ainsi à franchir dans le nombre des adhérents et dans leur fidélisation. La projection de toute augmentation significative se heurte cependant à des limites objectives. Nous songeons notamment à l'évolution sociologique de nos sociétés. Le profil des adhérents — et plus encore des militants — des organisations politiques n'est pas aléatoire. Il l'est encore moins pour un parti qui n'est pas une formation traditionnellement partie prenante au pouvoir. Les militants sont généralement des 136 travailleurs au statut socio-professionnel relativement stable et au niveau socio-culturel plus élevé que la moyenne.15 Or, si le niveau de formation des citoyens de nos sociétés a tendance à s'élever, la stabilité des positions professionnelles a, en revanche, tendance à sérieusement s'effriter. Ce qui, par ricochet, pose des problèmes de constance de militance et de recrutement de nouveaux d'adhérents. Cet enjeu est de taille pour la stabilisation du «personnel politique» d'Ecolo, notamment au niveau des conseils communaux où nous avons pu observer les difficultés rencontrées dans la permanence de la présence et de l'action politiques. Il convient en outre de constater que la «militance» est en crise dans nos sociétés. Le militantisme écologiste est souvent décrit comme spécifique. Dans leur étude sur les motivations des militants des nouveaux mouvements sociaux, Dalton, Kueler et Bürklin mettent en cause les théories d'intérêt individuel et de rétributions matérielles : «Les principes de base de beaucoup d'entre eux concernent le bien collectif — la protection de la qualité de l'environnement, la défense du statut de la femme, la baisse des conflits internationaux —, tout cela est directement contradictoire avec les théories de «choix rationnel» et les logiques d'action auto-intéressées.»16 Pour Inglehart17, cet élément serait d'autant plus important dans l'analyse du militantisme écologiste que la défense de valeurs et d'une idée du bien collectif liée à un comportement politique actif s'accroîtrait avec l'élévation du degré d'éducation. Les études sur le comportement politique confirment cette hypothèse. Mais elles le nuancent à la lumière de la «politisation» des individus, ce qui permet notamment de comprendre le militantisme communiste. Néanmoins, le nombre d'adhésions aux organisations sociales — partis politiques, syndicats, monde associatif — tend à stagner sinon à diminuer. Jacques Liesenborghs le souligne : «On vit dans un contexte social où la militance est en très net recul.»18 15 Dans le cas français, Michel Tozzi relevait ainsi que «la majorité des militants sont des hommes à statut protégé, salaire moyen, horaire autour de 39 heures.» M. TOZZI, Militer autrement, Chronique sociale-Vie ouvrière, 1985, 159 p., p. 147. 16 R. J. DALTON, M. KUELER, W. BÜRKLIN, op. cit., p. 8. 17 R. INGLEHART, «Values, Ideology and Cognitive mobilization in New Social Movements», in R. J. DALTON, M. KUELER, W. BÜRKLIN, op. cit., p. 44. 18 Entretien avec les auteurs, 6 février 1996. 137 Les causes les plus couramment avancées pour expliquer cette évolution sont la crise contemporaine des utopies — sources de vocations militantes —, et la montée du libéralisme dans les sociétés développées. Autant d’éléments affectant les joies de la militance identifiées comme une de ses attractions fortes selon Guillaume Sainteny : «Enfin, il faut inclure dans les rétributions symboliques toutes les satisfactions psychologiques tirées du militantisme : plaisir des discussions, atmosphère de solidarité et de camaraderie, identification à un groupe, univers de références communes, atmosphère de réunions, substitut à l'isolement, rencontres sentimentales, intégration à une micro-société, sentiment d'être un artisan de l'Histoire et/ou d'être en accord avec soi-même, apport d'une justification de l'ordre des choses, de la certitude d'une vérité du parti d'appartenance contre celle de l'adversaire, offre d'un système de représentation qui permet l'espoir d'un avenir différent.»19 De fait, il y a des obstacles au recrutement pour tout groupement sociétal. Cela vaut bien évidemment pour Ecolo aussi. D'autant qu'Ecolo, comme quasiment tous les partis écologistes, a de faibles possibilités en termes de rétributions matérielles.20 Le nombre de permanents est trop étroit pour assurer des promesses à de nombreuses personnes. D'autre part, Ecolo n'est pas capable — si tant est qu'il en eut la volonté — de fournir des «postes dans l’appareil d'Etat» dans la mesure où ses participations au pouvoir sont statistiquement peu probables. Au surplus, dans le cadre de la «pillarisation» belge, l'adhésion à Ecolo se révèle parfois un handicap pour certaines carrières professionnelles, par exemple dans la fonction publique. Un dernier élément doit être souligné dans les limites à l’adhésion aux verts. L'engagement à Ecolo — et le plus généralement dans toute autre formation écologiste — implique un degré minimal de participation. Il existe dans le message politique écologiste une prétention à la participation régulière des citoyens aux choix de société. Message qui vaut mutatis mutandis pour son fonctionnement interne et qui implique un investissement temporel parfois important, perspective qui n'est pas toujours aisée à réaliser ou voulue. 19 G. SAINTENY, «La rétribution du militantisme écologiste», Revue française de sociologie, 1995, vol. 36, n° 3, p. 477. 20 Ibid., p. 482. 138 139 Chapitre 5 Ecolo et les élections 140 141 Les élections communales Au niveau communal, Ecolo a étendu son implantation progressivement. En 1982, la couverture par Ecolo des communes wallonnes et bruxelloises atteint 32,74%. Ecolo recense, à la suite de cette élection 79 conseillers communaux. En 1988, la progression est modeste. Le taux de couverture1 se situe à 37,72%. En revanche, le nombre d’élus communaux se monte à cent-vingttrois. Lors de la dernière élection communale, Ecolo a fait un effort particulier puisque le taux de couverture a dépassé les 50% : 54,45%. A l’issue de cette élection, le nombre de conseillers communaux est de 184 mais en plusieurs endroits, Ecolo a perdu des sièges par rapport à 1988. Ecolo participe désormais au pouvoir dans huit communes : Bruxelles, Ottignies-Louvain-La-Neuve, Rixensart, Ecaussinnes, Oupeye, Schaerbeek, Pont-à-Celles et Welkenraedt. Ces chiffres globaux doivent être analysés à la lumière des diversités locales. Dans la région bruxelloise, Ecolo était déjà à même de se présenter dans seize des dix-neuf communes de la région en 1982. Il obtient alors vingt-huit sièges de conseillers communaux et au moins un dans chaque commune où il était présent. Il recueille par ailleurs plus d’un siège dans dix des seize communes. En 1988, Ecolo est absent de la seule commune d’Evere. Il passe de vingthuit à trente-six élus. Et il a plus d’un siège dans onze communes sur dix-huit. En 1994, enfin, il y a une liste d’Ecolo dans toutes les communes bruxelloises. Le nombre de conseillers communaux passe à quarante-cinq. Il a plus d’un siège dans douze des dix-neuf communes. Soulignons néanmoins qu’il enregistre une perte d’un siège dans trois communes. 1 Nombre de communes où Ecolo dépose une liste sur le nombre total de communes. 142 Résultats d’Ecolo aux élections communales dans la région bruxelloise Anderlecht Auderghem Berchem Bruxelles Etterbeek Evere Forest Ganshoren Ixelles Jette Koekelberg Molenbeek Saint-Gilles Saint-Josse Schaerbeek Uccle Watermael-Boitsfort Woluwe SaintLambert Woluwe Saint-Pierre 1982 1982 1982 Voix % Sièges 3 204 6,3 2 1 171 6,02 1 1988 Voix 4 947 1 173 774 4 454 1 642 2 2 1 3 1 1 647 066 225 527 984 694 983 421 854 745 456 7,16 7,91 9,32 6,32 12,01 5,87 6,45 6,79 8,75 4,21 9,41 2 1 3 2 2 2 1 1 4 1 2 1994 1994 1994 Voix % Sièges 3 563 8,4 4 777 7,0 1 777 7,0 1 4 106 7,6 3 1 617 9,0 2 1 032 6,1 1 1 773 8,4 2 910 7,4 1 3 944 12,9 5 1 544 7,0 2 649 8,3 1 2 151 8,0 3 1 246 9,2 3 468 8,4 2 3 971 9,9 5 3 516 9,2 3 1 638 11,3 3 1 2 1 650 1 518 5,99 7,08 1 2 1 958 1 309 3 735 1 446 5,75 6,32 2 1 1 915 953 2 877 1 592 693 2 050 1 471 7,34 6,65 7,45 6,23 7,85 6,33 8,94 2 1 3 2 1 2 3 1 1 3 1 2 891 2 986 1 589 5,9 6,72 5,32 1 589 1 716 5,32 7,38 1 1988 1988 % Sièges 10,87 5 6,52 1 6,54 1 7,61 3 8,01 2 7,8 6,6 Dans le Brabant wallon, Ecolo a pu déposer une liste dans huit des vingt-sept communes en 1982. Il recueille à cette occasion dix sièges. Il n’a pu obtenir d’élus dans deux localités. En revanche, il gagne plus d’un siège dans trois communes sur huit. En 1988, Ecolo est présent dans onze communes et récolte 16 conseillers communaux. Il n’y a plus qu’une seule entité où il n’a pas d’élu. Dans cinq communes, il recueille plus d’un conseiller communal. En 1994, sa couverture s’étend fortement puisqu’il a déposé une liste dans 21 des 27 communes du Brabant wallon. Son nombre d’élus passe à trente-quatre. Il ne gagne pas de conseillers dans cinq localités. Par contre, il obtient plus d’un siège dans onze communes et il n’en perd aucun par rapport à 1988. Résultats d’Ecolo aux élections communales dans le Brabant wallon Braine-L'Alleud Braine-Le Château Chaumont-Gistoux Court Saint-Etienne Genappe Grez-Doiceau Jodoigne Lasne Mont Saint-Guibert Nivelles Orp-Jauche Ottignies LouvainLN 1982 1982 1982 1988 Voix % Sièges Voix 1 608 8,58 2 2 004 461 391 9,06 1 669 393 8,64 1 511 803 451 7,54 458 767 5,51 1 580 14,82 1988 1988 1994 % Sièges Voix 10,31 2 2 986 9,05 1 670 13,63 2 931 10,86 1 607 10,07 1 782 7,19 1 765 372 437 494 1 181 8,15 1 1 332 411 3 1 372 12,03 2 2 155 1994 1994 % Sièges 14,40 4 12,50 2 16,40 2 12,30 2 9,30 1 11,00 2 5,20 5,80 14,10 2 8,90 2 8,60 1 16,10 4 2 1 143 Perwez Ramilies Rebecq Rixensart Tubize Villers-La Ville Walhain Waterloo Wavre 92 1 187 1 029 9,41 6,53 2,87 2 1 996 15,74 1 1 712 10,09 233 436 473 3 1 987 524 494 356 1 703 2 1 983 5,20 12,90 8,20 15,30 4,50 8,80 9,70 11,20 10,90 1 1 4 1 3 2 Ces résultats ne sont pas aussi brillants dans le Hainaut. En 1982, Ecolo ne fut capable que de déposer une liste dans dix-sept des soixante-neuf communes hennuyères. Il y conquit 9 sièges. Il n’y a pas d’élus dans 12 localités. Seules trois communes ont plus d’un conseiller Ecolo. En 1988, Ecolo est présent dans vingt-huit communes et recense vingt-huit conseillers communaux. Il n’a pas de sièges dans treize d’entre elles. Par contre, il a plus d’un conseiller dans neuf localités. Aux élections communales de 1994, Ecolo a pu déposer 40 listes et obtenir 37 conseillers communaux. Dans 18 communes, il n’a pas d’élus mais dans neuf d’entre elles, il a plus d’un conseiller. Il convient de constater que par rapport au score de 1988, il a perdu sept sièges. Résultats d’Ecolo aux élections communales dans le Hainaut Ath Beloeil Bernissart Frasnes-Lez-Anvaing Charleroi Châtelet Courcelles Fontaine l'Evêque Gerpinnes Les Bons-Villiers Manage Pont à Celles Seneffe Boussu Colfontaine Dour Frameries Hensies Honnelles Lens Mons Quaregnon Quévy Quiévrain Saint-Ghislain Comines-Warneton Mouscron Braine Le Comte Ecaussinnes La Louvière 1982 1982 1982 1988 1988 1988 1994 Voix % Sièges Voix % Sièges Voix 516 3,04 246 2,7 285 3,11 494 436 5,89 363 4,89 595 7047 6,03 2 8500 7,59 3 6833 1826 9,58 2 1407 1224 560 437 5,98 495 420 707 583 5,91 979 9,95 2 866 598 9,87 1 392 1582 662 5,79 435 632 132 3,41 302 106 3,16 181 109 4,3 4455 8,77 3 5242 10,56 4 5034 711 7,02 1 832 345 79 3,61 225 989 7,64 1 859 738 2001 6,31 1 2478 7,83 2 4613 896 8,26 1 883 480 7,49 385 6,18 668 2347 6,09 2 3257 8,64 3 2523 1994 % 7,80 8,10 6,30 7,70 7,60 6,20 6,50 8,00 6,10 8,50 6,10 14,60 1994 Sièges 1 1 2 2 1 1 1 3 4,40 5,00 7,80 5,60 10,10 8,60 6,90 5,70 6,60 8,10 15,10 7,90 10,50 6,70 4 1 1 1 5 1 2 2 144 Lessines Silly Soignies Anderlues Binche Chimay Ham sur Heure-Nalines Lobbes Momignies Morlanwelz Thuin Antoing Estaimpuis Leuze en Hainaut Peruwelz Tournai 594 5,12 533 284 1387 4,77 6,56 9,69 1577 362 667 8,37 5,75 8,27 2 105 3,33 522 5,92 678 429 7,38 8,39 232 420 2252 2,68 4,25 5,34 307 536 2783 3,48 5,32 6,59 1 547 368 1159 434 1394 825 807 124 4,90 7,90 7,90 6,90 7,60 13,50 9,40 3,50 1 619 565 6,70 5,90 2 398 341 437 3386 7,40 3,90 4,40 8,01 2 1 1 1 2 1 1 2 En province de Liège, Ecolo a été présent dans 32 des 84 entités en 1982. Il conquiert à cette occasion vingt-trois sièges. Il n’a pas d’élus dans 21 communes. Mais dans cinq d’entre elles, il a plus d’un conseiller. Sa couverture ne s’est pas étendue en 1988 puisqu’il n’a déposé de listes que dans 33 communes. Il obtient 33 élus mais il n’a pas de conseiller dans seize entités. En revanche, il a plus d’un élu dans dix communes. Lors des dernières élections communales, Ecolo a pu être présent dans quarante-quatre communes et récolter un total de cinquante-sept conseillers communaux. Si par rapport à 1988, il a perdu trois sièges, il a plus d’un siège dans seize localités. Et, il n’y a que quatorze communes où il n’ait pas d’élus. Résultats d’Ecolo aux élections communales dans la province de Liège 1982 Voix Amay Anthisnes Burdinne Engis Ferrières Hamoir Héron Huy Nandrin Verlaine Villers le Bouillet Wanze Ans Aywaille Bassenge Blégny Chaudfontaine Comblain au Pont Esneux Flémalle Fléron 91 1982 1982 % Sièges 1988 Voix 1988 1988 % Sièges 1994 1994 Voix % 955 11,60 242 9,60 76 4,40 959 27,50 256 9,60 1994 Sièges 2 4 4,16 157 2,22 348 307 6,38 5,82 750 5,77 334 10,4 1032 12,91 1 2 453 223 99 3,86 8,11 5,04 436 1731 345 173 408 652 509 1070 1741 5,69 10,79 5,77 3,25 5,53 4,82 15,64 13,16 10,53 133 5,01 848 7,30 384 12,30 2 2 2 2 304 490 1294 565 9,20 6,30 8,20 9,40 426 5,70 706 5,30 291 8,60 1029 12,80 1341 8,70 665 7,30 1 1 1 2 1 1 3 2 1 145 Grace Hollogne Herstal Juprelle Liège Oupeye Saint-Nicolas Seraing Sprimont Trooz Visé Amblève Baelen Dison Eupen La Calamine Lierneux Limbourg Lontzen Malmédy Pepinster Plombières Raeren Saint Vith Spa Stoumont Theux Thimister Clermont Verviers Welkenraedt Faimes Fexhe le haut Clocher Hannut Lincent Saint Georges sur Meuse Waremme 1080 1 594 9,67 8,35 2 2 1354 12,30 1 279 6,90 3 2 6 12 177 1 1 106 11,3 7,73 6 11 119 11,10 1 936 6,60 948 9,50 4 3 049 9,50 1 855 12,30 500 11,01 667 7,01 5 1 2 3 2 1 1 1 378 6,82 219 4,94 13 871 11,66 1027 7,32 1 3 544 10,42 519 8,19 4 1 544 166 5,75 5,27 863 10,46 537 5,35 331 7,37 136 7,18 194 5,45 173 7,74 296 4,39 400 7,07 236 4,87 266 7,48 213 3,8 271 4,33 3 565 10,77 629 9,43 586 2 1 5,99 626 7,72 874 8,26 595 12,59 170 8,56 370 10,59 1 1 2 441 267 7,56 5,39 1 200 3,41 227 12,96 456 7,22 3 558 11,06 330 6,69 78 3,99 230 2,79 419 4,99 4 2 614 8,47 74 3,93 258 443 6,12 5,07 1 1 2 512 660 1 482 539 154 955 23,80 8,10 14,10 11,80 7,20 29,40 3 1 3 2 541 378 9,30 7,60 1 379 5,80 530 8,01 258 8,90 2 021 6,60 523 10,01 235 11,50 379 109 4,40 5,60 532 6,01 C’est dans la province du Luxembourg que la présence des verts est la plus faible. En 1982, Ecolo n’a pu assurer sa participation que dans 5 des 44 communes luxembourgeoises sans obtenir un seul conseiller communal. La situation est à peine meilleure en 1988. Les verts sont présents dans six localités et n’ont pu conquérir qu’un siège à Arlon. En 1994, Ecolo avait des listes dans dix communes du Luxembourg mais sa moisson en élus était toujours aussi faible : un seul. 4 1 2 1 146 Résultats d’Ecolo aux élections communales dans la province du Luxembourg Messancy Bastogne Bertogne Saint Ode Vielsam Durbuy Marche en Famenne Bertrix Saint-Hubert Virton 1982 1982 1982 1988 1988 1988 1994 Voix % Sièges Voix % Sièges Voix 95 2,6 150 2,03 263 76 68 192 4,19 196 4,26 209 175 2,96 389 549 5,79 568 270 5,41 158 3,16 188 334 1994 % 1994 Sièges 3,3 4,3 4,4 4,5 6,3 5,7 4,8 5 Enfin qu’en est-il dans la province de Namur ? En 1982, Ecolo a une liste dans quatorze des trente-huit communes namuroises. Il recueille neuf conseillers communaux. Il n’a pas d’élu dans dix localités et il n’en a plus d’un que dans la seule ville de Namur. En 1988, les verts ne sont présents que dans onze communes, n’obtenant que neuf sièges. Il n’y a toujours qu’à Namur qu’il a plus d’un conseiller. En 1994, Ecolo couvre la moitié des entités (19 sur 38) et gagne 11 sièges. Il n’a toujours pas d’élus dans onze communes et par rapport à 1988, il a perdu deux sièges. Résultats d’Ecolo aux élections communales dans la province de Namur Beauraing Ciney Hamois Rochefort Somme-Leuze Andenne Assesse Eghezée Fernelmont Floreffe Gembloux Jemeppe sur Sambre La Buyère Namur Profondville Sambreville Sombreffe Cerfontaine Couvin Florennes Philippeville Viroinval Walcourt 1982 1982 1982 1988 1988 1988 1994 Voix % Sièges Voix % Sièges Voix 246 4,80 258 721 112 3,16 160 325 4,55 651 8,76 1 557 150 844 6,12 1 831 5,84 1 259 427 241 3,18 478 6,06 673 333 9,16 1 270 6,84 302 7,19 328 867 7,35 1 711 5,81 932 474 4,32 793 7,17 1 597 306 6,69 341 7 578 12,34 6 8 062 12,92 5 6 874 307 5,43 1102 7,02 1 808 268 6,34 83 156 1,87 330 183 144 3,78 306 7,83 257 826 8,23 1 709 1994 1994 % Sièges 4,90 7,80 1 4,00 7,30 1 6,10 8,60 2 11,50 1 8,10 1 7,40 7,10 5,30 7,00 10,70 1 5 5,10 2,90 4,70 3,60 6,80 6,70 1 147 Les élections nationales Dans le temps, on peut diviser le parcours électoral en trois grandes étapes. La phase d’implantation et de stabilisation correspond aux années 1981 à 1987, le moment des victoires marque les succès de 1989 et de 1991. Enfin, le tassement contemporain vise surtout les élections de 1994 et de 1995. Dans ces trois étapes, Ecolo a pris part à cinq élections législatives (1981, 1985, 1987, 1991 et 1995) et trois élections européennes (1984, 1989 et 1994). Le point commun aux trois temps est qu’Ecolo y a systématiquement obtenu de meilleurs résultats à l’occasion des élections européennes qu’au cours des élections législatives. Résultats d’Ecolo en Wallonie et dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde Wallonie Bruxelles-Hal-Vilvorde 16 14 12 10 8 6 4 2 0 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 La phase d’implantation et de stabilisation couvre quatre échéances : les élections législatives de 1981, 1985 et 1987 de même que l’élection européenne de 1984. En 1981, Ecolo se présente dans tous les arrondissements administratifs et réalise ses meilleures performances dans les 148 cantons de Wavre (8,3%), de Mons (6,8%), de Mouscron (8,2%) d’Aywaille (7,5%), de Liège (7,4%), de Spa (7,4%), de Verviers (7,4%), d’Arlon (10,3%) et de Namur (9,8%). Ses scores bruxellois ne sont pas encore probants en raison de la concurrence d’autres listes écologistes. Par ailleurs, sa pénétration dans les cantons hennuyers s’avère plus laborieuse. En 1984, débarrassée de toute autre liste verte, le résultat à Bruxelles a nettement progressé dans le cadre d’un accroissement général qui permet à Ecolo de conquérir un élu européen. Par rapport au score de 1984, les résultats de 1985 et de 1987 sont en régression et se situent légèrement au-dessus des pourcentages obtenus en 1981. On remarque que cette petite augmentation est d’abord liée à une montée des voix écologistes dans le Hainaut. L’élection européenne de 1989 atteste d’une croissance forte. C’est la meilleure élection nationale dans l’histoire des verts. Ecolo atteint 20% et plus dans les cantons de Nivelles (21%), de Wavre (20,6%), de Comines-Warneton (24,1%), de Tournai (20,9%)d’Eupen (22,9%), de Saint-Vith (20,5%) et de Namur (22,0%). Même s’il s’est quelque peu tassé pour l’élection législative de 1991, les scores sont toujours très élevés avec certaines pointes dans le Hainaut : canton de Mons, 18,1% ; canton de La Louvière, 17,1% ; canton de Mouscron, 20% ; canton de Tournai, 16,4%. Les élections européenne de 1994 et législative de 1995, en deux temps, attestent d’un tassement voire d’une chute sérieuse par rapport aux résultats de 1989 et de 1991. Celle-ci se révèle particulièrement forte dans les cantons hennuyers alors que les verts résistent bien dans le Brabant wallon et dans la région bruxelloise. De 1991 à 1995, Ecolo perd 5,7% dans le canton de Charleroi, 6,8% dans le canton de Boussu, 8% dans le canton de Mons, 6,9% dans le canton de Binche, 6,9% dans le canton de Merbes-le-Château, 7,4% dans le canton de Thuin. Dans les cantons liégeois, luxembourgeois et namurois, les dommages sont nettement plus limités. 149 Résultats par arrondissement par canton de 1981 à 1995 Arrondissement de Bruxelles 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 BRUXELLES 2,5 6,8 4,3 4,3 10,6 7,1 8,3 6,5 Bruxelles 3,4 9,0 6,1 6,3 14,6 10,0 11,9 9,3 Anderlecht 2,9 7,8 4,9 5,3 12,5 7,6 10,7 8,5 Asse 0,3 0,7 0,4 0,5 0,9 0,6 1,7 1,1 Hal 1,1 2,8 1,8 1,7 3,9 2,7 4,1 3,1 Ixelles 3,2 9,9 6,4 6,1 15,2 10,9 15,2 13,1 Lennik 0,6 1,3 0,8 0,8 1,9 1,3 1,2 0,7 Meise 1,1 2,7 1,6 1,6 4,0 2,5 2,6 1,9 Molenbeek 2,8 8,4 5,0 5,3 13,1 8,0 10,2 8,1 Saint-Gilles 4,1 11,7 8,6 6,3 14,9 14,1 16,2 14,4 Saint-Josse 2,9 8,2 5,1 5,1 13,9 9,1 13,0 9,4 Schaerbeek 2,8 7,6 4,8 5,2 13,5 9,3 14,1 11,4 Uccle 3,7 9,1 5,8 5,6 13,8 9,9 12,6 10,3 Vilvorde 0,8 1,8 1,4 1,2 2,9 1,9 2,2 1,6 5,2 3,7 Zaventem Arrondissement de Nivelles 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 NIVELLES 7,2 10,9 6,8 7,5 19,6 14,5 15,3 13,1 Genappe 6,1 10,9 6,1 8,1 19,6 14,6 15,6 13,4 Jodoigne 4,8 6,6 4,0 4,5 13,4 9,0 11,3 9,5 Nivelles 7,3 11,1 7,0 7,5 21,0 14,4 14,8 12,0 Perwez 6,4 18,3 6,2 6,6 16,3 12,7 14,7 13,5 Wavre 8,3 12,4 7,6 8,7 20,6 16,8 17,1 15,1 Arrondissement de Charleroi 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 CHARLEROI 4,5 10,0 7,1 6,2 16,1 13,5 13,4 8,1 Charleroi 4,5 10,8 7,8 6,6 16,7 14,1 11,5 8,4 Châtelet 4,3 8,1 5,9 4,9 15,0 12,0 10,1 7,5 Fontaine-l’Evêque 4,8 9,7 7,5 6,6 15,2 12,8 11,5 8,0 Seneffe 4,4 10,3 6,2 6,3 16,7 14,4 12,1 9,5 Arrondissement de Mons 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 MONS 5,4 10,6 7,0 6,2 13,2 15,2 11,2 8,7 Boussu 5,3 9,6 6,5 6,2 13,5 16,2 10,7 9,4 Dour 4,0 8,3 5,1 5,1 13,8 12,4 10,0 6,7 Frameries 4,4 9,4 6,0 4,6 9,6 10,7 8,0 6,1 Lens 4,6 9,1 5,6 5,1 11,9 12,0 11,7 8,9 Mons 6,8 13,3 8,9 7,5 14,0 18,1 13,2 10,1 150 Arrondissement de Soignies 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 SOIGNIES 5,0 9,2 6,5 7,2 15,7 16,0 12,3 8,5 Enghien 5,5 9,5 6,0 8,3 15,8 13,3 12,6 9,7 La Louvière 4,6 9,5 6,8 6,9 14,9 17,1 11,4 7,5 Le Roeulx 3,7 7,1 5,4 6,4 14,1 15,6 11,6 8,1 Lessines 3,9 8,6 6,4 6,7 13,6 16,1 10,8 7,8 Soignies 5,9 9,4 6,5 7,5 17,4 15,3 13,8 9,4 Arrondissement de Thuin 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 THUIN 4,5 8,7 6,7 6,3 14,9 14,1 10,9 7,9 Beaumont 4,0 6,9 5,0 4,4 12,6 9,6 11,2 6,5 Binche 4,0 8,8 7,3 7,0 14,8 14,8 9,4 7,9 Chimay 5,6 7,0 5,0 4,9 16,3 10,1 9,9 6,5 Merbes-Le-Château 3,9 8,7 6,3 5,7 13,4 14,1 10,3 7,2 Thuin 5,5 10,1 7,5 6,9 16,2 16,7 12,5 9,3 Arrondissement de Tournai-Ath-Mouscron 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 TOURNAI-ATH-MOUSCRON 5,2 8,6 5,7 6,1 16,9 14,6 12,9 10,1 Antoing 3,2 5,7 3,7 4,4 16,1 12,7 11,0 8,8 Ath 3,8 7,0 4,5 4,4 12,5 11,3 10,0 8,1 Beloeil 4,2 7,0 4,6 5,1 14,7 13,5 10,1 8,8 Celles 3,9 5,3 4,4 4,4 13,5 11,7 9,7 9,4 Chièvres 3,8 6,2 4,1 4,3 10,0 10,4 8,7 7,4 Comines-Warneton 4,2 9,5 5,2 5,8 24,1 17,0 15,2 11,5 Estaimpuis 4,6 6,9 4,7 4,7 15,2 12,0 14,3 9,1 Flobecq 3,1 7,0 4,0 4,4 11,1 9,0 9,2 6,4 Frasnes-Lez-Anvaing 4,6 8,0 5,0 5,7 12,9 10,4 8,7 11,5 Leuze-en-Hainaut 4,7 7,2 4,6 5,4 15,1 10,9 10,0 6,2 Mouscron 8,2 12,0 8,6 9,1 19,1 20,0 17,5 13,3 Peruwelz 3,9 7,1 4,5 4,5 14,4 12,2 11,1 7,7 Tournai 5,8 10,0 6,7 7,0 20,9 16,4 14,0 11,3 Arrondissement de Huy-Waremme 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 HUY-WAREMME 4,9 6,8 4,7 5,1 11,9 10,0 11,6 10,2 Ferrières 6,5 6,0 5,0 5,2 15,5 11,2 14,5 10,8 Héron 5,3 6,6 4,7 3,7 9,4 7,9 11,1 8,8 Hannut 3,8 5,6 3,2 5,7 9,8 8,8 9,9 7,9 Huy 5,5 7,2 5,9 6,4 12,0 10,6 12,6 11,8 Nandrin 5,8 7,8 5,5 6,5 14,7 13,4 13,3 12,8 Verlaine 4,8 7,1 4,5 4,9 11,3 9,6 11,3 10,8 Waremme 4,3 6,3 3,7 3,4 11,5 8,2 10,3 8,1 151 Arrondissement de Liège 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 LIEGE 6,7 9,3 5,9 6,3 16,7 12,3 12,5 11,2 Aywaille 7,5 9,8 6,2 7,3 17,8 13,7 14,1 12,4 Bassenge 5,8 8,2 5,1 5,3 14,1 10,2 11,1 9,5 Dalhem 5,3 6,8 5,4 5,2 14,9 10,7 11,3 9,1 Fléron 6,6 8,1 5,2 5,6 15,7 10,5 11,8 10,0 Grâce-Hollogne 5,7 8,8 5,1 5,6 15,2 11,7 11,9 10,6 Herstal 6,6 9,6 6,1 6,3 15,4 10,3 10,1 9,1 Liège 7,4 10,1 6,6 7,1 18,2 13,9 14,1 13,0 Saint-Nicolas 6,3 8,5 5,1 5,6 17,2 11,7 11,2 9,6 Seraing 6,4 10,6 6,9 6,6 17,2 13,2 12,1 11,5 Arrondissement de Verviers 1981 1984 VERVIERS 5,9 10,0 5,3 5,9 17,2 13,7 8,4 11,4 Aubel 5,2 8,6 5,0 5,9 11,9 10,4 12,1 10,5 Dison 6,1 8,6 4,4 4,1 13,0 8,7 7,8 7,7 Eupen 5,2 15,4 7,7 9,2 22,9 23,4 15,6 17,8 Herve 5,5 7,3 3,5 4,2 13,8 9,2 10,5 10,1 Limbourg 6,1 9,2 5,0 5,5 15,3 11,5 13,5 12,9 Malmédy 5,3 9,2 4,2 4,9 18,5 11,2 11,6 8,6 Saint-Vith 2,4 11,8 5,9 7,1 20,5 21,9 14,1 12,0 Spa 7,4 8,9 5,4 5,1 16,7 11,5 12,2 10,3 Stavelot 5,4 6,5 4,2 5,9 15,7 10,8 12,4 9,9 Verviers 7,4 9,9 5,3 5,3 16,9 11,5 10,4 10,2 1981 ARLON-MARCHE BASTOGNE 1985 1987 1984 1985 1989 1991 1994 1995 1987 1989 1991 1994 1995 6,5 7,3 4,8 6,3 13,9 12,3 13,0 9,8 10,3 10,4 6,8 9,5 19,4 17,8 17,4 10,4 Bastogne 3,8 3,9 2,7 3,7 8,9 9,1 8,7 7,9 Durbuy 4,6 6,9 4,2 5,4 12,7 12,2 12,4 11,1 Erezée 4,5 6,4 4,0 4,9 10,2 8,6 10,8 8,7 Fauvillers 5,6 5,1 3,9 5,7 11,3 11,5 13,3 7,9 Houffalize 3,0 4,3 2,2 3,3 8,7 7,5 7,9 6,9 La Roche-en-Ardenne 4,9 5,7 3,3 5,1 11,1 9,1 10,9 9,4 Marche-en-Famenne 7,4 7,9 4,9 5,2 13,3 9,7 12,3 10,4 Messancy 7,5 10,3 6,1 8,9 18,6 16,3 16,2 10,8 Nassogne 7,6 6,2 5,0 4,6 11,0 11,2 13,6 13,2 Sainte-Ode 3,6 2,8 2,8 3,5 8,2 7,4 9,1 6,2 Vielsam 3,9 5,8 4,7 5,0 12,2 10,9 11,6 9,6 Arlon 152 Arrondissement de Neufchâteau-Virton 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 NEUFCHATEAU-VIRTON 5,5 7,0 4,8 5,5 13,0 10,6 11,7 8,6 Bouillon 5,3 5,6 4,8 4,3 11,9 7,2 9,6 6,8 Etalle 5,3 9,0 4,1 5,6 13,7 10,7 12,7 10,5 Florenville 6,0 7,0 4,9 5,5 13,4 11,2 12,6 8,3 Neufchâteau 5,7 6,2 4,9 5,7 12,1 9,4 11,4 7,6 Paliseul 6,3 7,4 4,5 4,6 13,4 7,9 10,6 8,2 Saing-Hubert 4,9 5,7 5,4 4,8 9,9 8,5 10,3 8,9 Virton 5,8 7,6 5,2 6,7 16,0 15,5 13,6 9,2 Wellin 4,3 5,4 4,9 5,4 9,3 10,0 9,7 8,2 Arrondissement de Dinant-Philippeville 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 DINANT-PHILIPEVILLE 5,6 7,5 5,4 5,5 12,2 11,5 11,4 10,1 Beauraing 5,2 6,9 5,3 6,0 9,6 11,7 10,4 7,4 Ciney 6,3 8,2 4,6 5,2 12,0 10,7 14,3 11,5 Couvin 5,1 7,1 6,0 4,7 11,3 9,0 8,6 7,6 Dinant 5,2 8,7 5,2 5,5 14,5 12,3 12,9 8,5 Florennes 5,1 7,3 4,7 4,9 11,1 9,8 9,5 8,3 Gedinne 4,5 5,8 4,0 4,3 8,0 8,3 9,5 7,4 Philippeville 5,0 5,7 4,5 4,4 10,3 10,1 8,9 7,5 Rochefort 7,0 6,6 7,5 8,1 13,0 14,8 13,5 10,1 Walcourt 7,0 8,3 7,0 7,2 15,9 16,2 12,6 12,4 1981 1984 1985 1987 1989 1991 1994 1995 NAMUR 7,9 11,7 8,0 8,7 18,1 15,2 14,5 12,7 Andenne 7,2 8,9 6,4 7,3 13,6 13,5 12,7 10,2 Eghezée 6,7 10,0 6,3 6,9 15,1 12,6 13,6 9,9 Fosses-la-Ville 5,9 11,0 7,1 8,1 16,8 13,6 13,8 11,0 Gembloux sur-Orneau 6,5 10,1 7,5 7,4 15,9 14,0 11,9 11,1 Namur 9,8 14,2 9,4 10,4 22,0 17,6 18,0 15,6 L'électorat d'Ecolo Que peut-on dégager des analyses électorales concernant Ecolo ? A l'image de ce qui est observé pour d'autres partis écologistes européens, un des discriminants fondamentaux du vote pour Ecolo est l'âge. Au plus on est jeune, au plus on a tendance à voter Ecolo. Inversement, plus on monte dans les catégories d'âge, moins le vote écologiste est présent. Les croisements réalisés par le point d'appui interuniversitaire d'étude de l'opinion publique du vote et de l'âge en Wallonie lors de l'élection législative de 1991 l'illustrent tout à fait. Ecolo recueille 153 ainsi 26,1% des voix parmi les jeunes de 18 à 24 ans et 23,0% parmi les adultes âgés de 25 à 44 ans. En revanche, ils ne sont plus que 15,4% chez les 45-54 ans, 7,7% chez les 55-64 ans et 9,4% parmi les personnes ayant 65 ans et plus. Croisement de l'âge et du vote déclaré2 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 + 65ans Total PRL 21,5 17,2 16,3 16,3 16,0 15,6 17,1 PSC 21,7 25,7 23,6 27,9 32,6 32,3 26,7 PS 30,6 34,1 36,8 40,4 43,6 42,7 37,6 Ecolo 26,1 23,0 23,3 15,4 7,7 9,4 18,6 157 261 258 208 181 96 1 162 Personnes interrogées Nous l'avons dit, la jeunesse de l'électorat écologiste a été mise en évidence dans d'autres pays. — En Allemagne, la catégorie des jeunes entre dix-huit et trentecinq ans représentait 61% des électeurs des Grünen pour les élections au Bundestag en 1983. Ce total est même grimpé à 69% lors des élections législatives de 1987.3 Aux élections fédérales de 1990, 66% des électeurs écologistes avaient moins de 40 ans et 25,9% étaient âgés entre 40 et 59 ans. Enfin, seuls 8,1% des électeurs avaient 60 ans et plus.4 — Dans ses études du cas français, Guillaume Sainteny relève des conclusions similaires : «Dès les années soixante-dix, l'électorat écologiste se caractérise prioritairement par sa jeunesse, son très haut niveau d'instruction, son appartenance aux couches moyennes (et notamment aux fractions du secteur non directement 2 B. RIHOUX, «Profil, enjeux environnementaux et motivation de vote : analyse comparée de l'électorat Ecolo avec les électorats PRL, PSC et PS en Wallonie», in A.-P. FROGNIER, A.-M. AISH-VAN VAERENBERGH (eds), Elections, la fêlure ? Enquête sur le comportement électoral des Wallons et des Francophones, De Boeck-Université, 1994, p. 100. 3 K. SCHLÜPMANN, «Verdure et nature : l'opposition «verte» en Allemagne fédérale», L'Homme et la société, 1989, n° 91-92, p. 112. 4 E. G. FRANKLAND and D. SCHOONMAKER, Between protest and power. The Green Party in Germany, Westview Press, 1992, 257 p., p. 223. 154 productif : art, enseignement, santé, travail social, étudiants,...) et ses revenus, également moyens, voire aisés.»5 Sociographie comparée et évolution des caractéristiques de l'électorat écologiste en France Hommes femmes 18 25 35 50 65 à 24 ans à 34 ans à 49 ans à 64 ans ans et plus Européennes 1989 législatives 1978 49 48 51 42 15 31 29 17 8 27 25 25 15 7 Agriculteur Artisan, commerçant, industriel Cadre, profession intellectuelle Profession intermédiaire Employé Ouvrier inactif, retraité 2 4 8 18 18 10 37 4 5 12 21 12 9 38 Primaire Secondaire Technique ou commercial Supérieur 22 23 21 34 14 22 30 34 Moins de 3 000f De 3 001 à 5 000 De 5 001 à 7 500 De 7 501 à 10 000 De 10 001 à 15 000 De 15 001 à 20 000 Plus de 20 000 Sans réponse 6 8 19 19 22 9 9 8 Catholique pratiquant régulier Catholique pratiquant occasionnel Catholique non pratiquant Autre religion Sans religion 7 14 56 3 20 Outre sa jeunesse, l'électorat d'Ecolo se caractérise également par une sensibilité relative aux questions de l'environnement 5 G. SAINTENY, Les verts, Presses universitaires de France, 1992, 126 p., p. 82. 155 nettement plus forte que dans l'électorat des autres partis. C'est très marquant à l'examen de la question des cinq domaines politiques les plus importants. Dans l'électorat d'Ecolo, 67,6% des sondés pointent l'environnement, pour 29,9% parmi les électeurs socialistes, 29,7% parmi les électeurs du PSC et 33,3% dans l'électorat libéral. L'environnement cité parmi les cinq domaines politiques les plus importants6 Vote déclaré PS PSC PRL Ecolo NON OUI 70,1 70,3 66,7 32,4 29,9 29,7 33,3 67,6 L'électorat d'Ecolo traverse-t-il statistiquement les trois clivages historiques (laïc-clérical, bourgeois-prolétaire, flamandfrancophone) de la vie politique belge ? Telle est, en tout cas, l'hypothèse retenue par André-Paul Frognier dans ses conclusions sur l'électorat d'Ecolo en Wallonie : «Au terme de cette analyse des positions sociales, on est frappé par la position particulière des électeurs d'Ecolo : en ce qui concerne l'âge et le statut éducatif et social, ils sont plus proches de l'électorat PRL ; en termes de croyance, ils sont plus proches de l'électorat du PS ; pour l'affiliation socio-professionnelle, ils se rapprochent de l'électorat du PSC ! En ce sens, cet électorat apparaît «marginal», ou plutôt «transversal» par rapport aux alignements traditionnels de la politique belge.»7 Le rapport aux classes et catégories sociales est aussi spécifique. Lors de l'élection législative de 1991, la pénétration dans l'électorat ouvrier est proportionnellement faible. En revanche, il y a une sur-représentation des salariés du secteur public et également des chômeurs8 : 6 B. RIHOUX, «Profil, enjeux environnementaux et motivation de vote : analyse comparée de l'électorat Ecolo avec les électorats PRL, PSC et PS en Wallonie», in A.-P. FROGNIER, A.-M. AISH-VAN VAERENBERGH (eds), op. cit., p. 110. 7 A.-P. FROGNIER, «Vote, positions sociales, attitudes et opinions en Wallonie», in A.-P. FROGNIER, A.-M. AISH-VAN VAERENBERGH (eds), op. cit., p. 41. 8 A.-P. FROGNIER, «Groupes et comportements électoraux : vote écologiste et vote d'extrême droite», in F. BALACE, G.BRAIVE, A. COLIGNON, M. CORNWAY, A.-P. FROGNIER, J. GERARD-LIBOIS, J GOTOVITCH, C. JAVEAU, X. MABILLE, R. REZSOHAZY, De l'avant à 156 Positionnement social des électeurs d'Ecolo Classes sociales (Autopositionnement) Classe ouvrière Classes moyennes inférieure Classes moyennes supérieures Classes supérieures Ne sait pas Catégories socio-professionnelles Salariés du secteur privé Salariés du secteur public Indépendants Pensionnés Hommes et femmes au foyer Chômeurs Etudiants Autres 19,6 31,2 35,7 2,5 11,0 28,0 22,1 6,3 11,2 8,1 11,2 10,9 2,2 Au-delà de l'analyse statistique, le département d'études de marché et de l'opinion a publié en 1990 une autre approche de l'analyse de l'électorat écologiste sur la base d'interviews9 d'une centaine d'électeurs10 d'Ecolo.11 Un des apports essentiels de l'étude est de faire ressortir les points communs et mais aussi dissemblables des différentes catégories d'électeurs d'Ecolo. l'après-guerre, L'extrême droite en Belgique francophone, De Boeck Université — Pol-His, 1994, 255 p., p. 231. 9 Trente entretiens ont été effectués en profondeur et il y a eu septante enquêtes semi-qualitatives. 10 Le profil socio-démographique des électeurs sélectionnés est le suivant. Hommes Femmes Classe supérieure Classe moyenne Classe inférieure Bruxelles Brabant wallon Hainaut Namur Liège Luxembourg 11 50 50 35 45 15 20 10 30 10 25 5 18-24 ans 25-34 ans 35-44 ans 45-54 ans 55 ans et plus 20 30 30 10 10 Il s'agit d'électeurs qui ont voté Ecolo soit à l'occasion des élections législatives de 1987, soit à l'occasion des élections européennes de 1994. 157 En termes de ressemblances, on note d'abord, dans le rapport aux trois principaux partis de l'échiquier politique — PS, PRL et PSC — que l'ensemble des électeurs écologistes apparaîtraient comme des «mécontents.» Soulignons toutefois que la forme et l'objet du mécontentement diffèrent suivant les catégories électorales.12 A l'analyse des différences, les auteurs relèvent trois formes de vote en faveur d'Ecolo : le vote inconditionnel, le vote conditionnel et le vote accidentel. — Dans le «vote inconditionnel», les électeurs donnent leur suffrage à Ecolo quelque soient l'enjeu de l'élection, les axes programmatiques mis en avant par le parti ou le type d'élections (communale, législative, régionale ou européenne). — Dans le cas de figure d'un «vote conditionnel», les électeurs votent pour Ecolo en fonction de l'élection ou encore de composantes programmatiques spécifiques mises en avant par Ecolo à un moment particulier. — Enfin, en ce qui concerne le «vote accidentel», il s'agirait en quelque sorte d'un vote par défaut, d'un vote pour Ecolo en raison de l'absence d'une liste ou en raison de l'absence d'un soutien dans les partis «classiques» à une problématique déterminée.13 A partir de cette classification, cinq profils d'électeurs sont envisagés : le type «non impliqué», le type catalisateur, le type protectionniste, le type militant et le type extrémiste. — Dans le type «non impliqué.» Il s'agit avant tout d'électeurs occasionnels d'Ecolo. C'est-à-dire de personnes exprimant un vote écologiste lors d'élections à faibles enjeux. En particulier lors du scrutin européen, où Ecolo réalise toujours des performances supérieures à la moyenne. Ces électeurs sont plus politisés que la moyenne et se recrutent dans les catégories socio-culturelles supérieures. Aussi ne faut-il pas se méprendre sur la caractérisation «non impliqué.» L'implication faible concerne le rapport à Ecolo, mais pas le rapport à la politique qui est au contraire en général élevée. 12 Mode explicatif des comportements de vote — ECOLO, Département d'études de marché et d'opinion, février 1991, p. 21. 13 Ibid., p. 46. 158 — Le type catalyseur. Dans cette catégorie, les électeurs assigneraient à Ecolo la fonction première de «dynamiser la scène politique, (de) secouer les partis politiques traditionnels et (de) les empêcher de «ronronner».»14 Ces électeurs votent moins en raison du type d'élection qu'en fonction des composantes programmatiques. — Le type protectionniste. Ce type concernerait au premier chef des électeurs centrés sur la protection de l'environnement et rassérénés par la présence d'une formation qui place au centre de ses orientations cette problématique. — Le type militant. L'élément dominant de cette catégorie d'électeurs vise les dimensions sociales du programme et de la stratégie d'Ecolo. Se situant à gauche de l'échiquier politique, ils épousent les caractéristiques dominantes de l'électorat Ecolo : beaucoup de femmes et de jeunes. — Le type extrémiste rassemble les électeurs du vote accidentel. Selon les auteurs de l'étude, «son profil est très spécifique : essentiellement masculin, très jeune et en localisation urbaine.»15 Ecolo, le pouvoir et les alliances Nous l'avons déjà observé, la question des rapports au pouvoir a de tous temps été une question difficile à traiter au sein d'Ecolo même si à plusieurs reprises, l'idée qu'Ecolo avait pour ambition d'exercer le pouvoir a été répétée. Récemment, la vocation au pourvoir, en tant que formation politique, a été rappelée lors de l'assemblée générale de Huy-Burdinne en janvier 1994. Dans la mesure où l'hypothèse théorique d'une participation seule au pouvoir n'est pas envisagée, se pose dès lors la question des alliances éventuelles et des partenaires hypothétiques. D'emblée, l'absence de partenaires privilégiés est soulignée. Toutefois, pour de nombreux adhérents, le PS est souvent vécu et pensé comme l'allié prioritaire. Dès janvier 1982, José Daras s'interroge franchement sur cette problématique : «Le problème d'une majorité progressiste en Wallonie nous interpelle continuellement. (...) Nous ne souhaitons pas devenir le fourgon à bagages de l'union de la gauche wallonne. (...) Mais dans certains combats, c'est sur le terrain que la rencontre se fera et alors, qui 14 Ibid., p. 57. 15 Ibid., p. 68. 159 sait, peut-être demain une union des progressistes et des écologistes ?»16 Et la première participation au pouvoir significative, la majorité communale à Liège en 1982, associe écologistes, socialistes, Rassemblement wallon et rassemblement populaire wallon. Pourtant dans la foulée du «ni gauche, ni droite», les dirigeants d'Ecolo rappellent à l'envie qu'il n'y pas de partis privilégiés pour la confection d'éventuelles alliances. C'est à ce titre qu'a, par exemple, été négocié l'éventuel soutien de l'extérieur à une majorité régionale wallonne sociale-chrétiennesocialiste en 1986. Mais nous avons vu les déchirements que cela a occasionnés. Le mot d'ordre reste pourtant identique. Si Michel Somville et Pierre Jonckheer avaient soulevé cette problématique dans leur rapport (voir supra), l'actuelle équipe du secrétariat fédéral (Isabelle Durant, Danny Josse et Jacky Morael) l’a clairement rappelé dans son programme : «Ecolo n'a ni partenaires ni adversaires privilégiés (sauf l'extrême droite).»17 Les expériences d'exercice du pouvoir au niveau communal ont soulevé plusieurs accrocs au sein d'Ecolo. Les complications relevées sont généralement de deux ordres : — un rapport plus lâche avec la locale, notamment dans le temps qui lui est «consacré» ; — surtout, un problème sur les orientations politiques de la majorité communale et sur les compromis passés. Les difficultés et les crises ont été ainsi nombreuses dans les communes où Ecolo est ou était partie prenante à la majorité communale. Durant les premières années, c'est surtout la situation liégeoise qui a focalisé l'attention et plusieurs réserves. Par la suite, l'exemple de Bruxelles-ville sera aussi un révélateur. En 1988, Ecolo forme une coalition communale avec le PS, le PSC, le CVP, la Volksunie et l'élu de la liste BON. Michel Van Roye, tête de liste Ecolo, devient échevin. Rapidement les rapports avec les autres conseillers communaux deviennent difficiles. Au bout du compte, Olivier Paye démissionnera de son mandat de conseiller communal en décembre 1990 en raison de ses désaccords persistants avec Michel Van Roye.18 Cet exemple n'est pas isolé. Il y 16 Cité par P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 36. 17 Ecolo info, n° 6, avril 1994, p. 27. 18 La Libre Belgique, 22 décembre 1990. 160 a eu d'autres problèmes dans les locales où Ecolo avait des échevins.19 De leur point de vue, le problème est souvent délicat. Effectuer convenablement leur travail demande beaucoup du temps. Objectivement, ils sont donc moins disponibles pour expliquer et discuter leurs choix auprès des membres de la locale. On peut d'ailleurs noter des difficultés similaires en France. MarieChristine Blandin, présidente de la région Nord-Pas-de-Calais (alliance Verts, parti socialiste et parti communiste), est souvent interpellée en la matière. De fait, la dynamique est complexe. «Les militants nous accusent de ne pas communiquer, de ne pas rendre des comptes, alors que vraiment on fait ce qu'on peut mais c'est presque une question technique, il faut quelqu'un pour communiquer, il faut une grille, des méthodes et on est bouffé. On est trop peu dans cette institution pour tenir vraiment tout ce qu'on veut tenir. On fonce partout et on oublie un peu la base militante» reconnaît un élu de la région Nord-Pas-de-Calais.20 19 Cette question fut notamment débattue lors de l'Assemblée fédérale d'Ecolo du 11 septembre 1994 de Namur, juste avant les élections communales. 20 D. BOY, V. J. LE SEIGNEUR, A. ROCHE, op. cit., p. 225. 161 Chapitre 6 L'évolution des principaux axes programmatiques d'Ecolo 162 163 La lutte contre le productivisme La remise en cause du productivisme et du «mythe de la croissance» est un des traits d'identité les plus marquants de l'écologie politique. Il était donc logique de retrouver la dénonciation du productivisme comme un axe majeur d'Ecolo : «Le productivisme économique (produire toujours plus, toujours plus vite, toujours moins cher) conduit à une catastrophe écologique : il épuise toutes les ressources disponibles, pollue notre milieu, crée des montagnes de déchets de plus en plus difficiles à gérer, nécessite des techniques lourdes, peu démocratiques, voire non maîtrisables, comme le nucléaire.»1 La condamnation du productivisme dans le système capitaliste et dans les anciens régimes socialistes a été une constante des verts. Faire de la politique autrement Redynamiser la «société civile»2 est l'un des objectifs essentiels que s'est fixés Ecolo. En particulier face à la «légitimité incontestée de figures paternelles et rassurantes régnant sur un corps social infantilisé et déresponsabilisé»3 : les dirigeants politiques, syndicaux et patronaux. Ouvrir l'espace public a toujours été une volonté forte des écologistes. Dès sa création, 1 Découverte, décembre 1994, p. 12. 2 En 1994, José Daras assimilait étrangement le concept de «société civile» à celui de «majorité silencieuse» : «On l'a appelée majorité silencieuse. Quand on la méprise on dit «l'opinion publique» ; poliment, c'est la «société civile», celle qui n'est ni l'Etat, ni l'entreprise, dont la logique n'est ni celle du profit, ni celle du pouvoir, mais simplement de la vie, de la meilleure vie possible, du bien-être. Celle au service de ce qui sont (devraient être ?) l'entreprise et l'Etat.» Si ces trois concepts sont abordés dans les sciences humaines, soulignons qu'ils sont rarement assimilés et, qu'en outre, nombre d'auteurs remettent leur pertinence — comme catégories de l'analyse — en question. J. DARAS, «Le grand chantier», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., pp. 24-25. 3 J. MORAEL, «De L'Etat-providence à l'économie cannibale», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 247. 164 Ecolo a mis en avant le principe de l'instauration du référendum d'initiative populaire et l'établissement, au sein des conseils communaux, de droits d'interpellation des citoyens — inscrits dans les lois communales. En effet, le référendum apparaît comme un des instruments de «politisation» des débats sociétaux et de vitalisation de la démocratie représentative : «L'introduction de procédures référendaires pourrait redonner de la vigueur à l'exercice du suffrage, dynamiser notre système proportionnel, créer des centres communs d'intérêt, des thèmes communs de discussion, redonner à la politique un goût qu'elle a perdu et aux électeurs le sens de leurs responsabilités.»4 Dans la pratique, Ecolo a aussi découvert les limites de certaines de ses propositions en la matière et, parfois, la difficulté de les prôner. Ainsi, le droit d'interpellation a été introduit dans plusieurs conseils communaux — notamment ceux où Ecolo participe à la majorité communale —, mais son usage a été extrêmement limité. De même, l'hypothèse de l'organisation d'un référendum a été avancée lors de la négociation sur la réforme de l’Etat (1992-1993). L’hypothèse de consultation de la population sur les résultats des discussions constitutionnelles fut — timidement — soulevée par Ecolo, mais sans être véritablement défendue devant les partenaires socialistes et sociaux-chrétiens. Nous avons déjà observé les problèmes internes soulevés par l'attitude d'Ecolo en la circonstance. Sans éluder le problème de technique référendaire délicat dans le cas de la Belgique, Jacques Bauduin estime qu'en la circonstance, une occasion fut perdue pour les écologistes «d'apparaître comme les défenseurs d'une conception exigeante de la démocratie et le mauvais procès qui leur fut fait d'avoir échangé la réforme de l'Etat contre les taxes sur des bouteilles en plastique eut été moins aisé à surmonter.»5 Néanmoins, Ecolo a débattu de cette problématique à l’époque. Il a affiné ses positions. Lors d'un conseil de fédération extraordinaire, le 6 février 1993, qui faisait suite à une demande de l'assemblée générale, Ecolo s’est positionné sur cette problématique en votant sur six questions distinctes6 : 4 J. BAUDUIN, «Vous avez dit post-libéral ?» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 117. 5 Ibid., pp. 92-93. 6 Ecolo info, n° 1, février 1993. 165 1 Dans le cadre des accords de la Saint-Michel, Ecolo veut-il que la population se prononce par consultation populaire ? — 16 oui, 10 non et 9 abstentions. 2 La question doit-elle porter sur l'article 1 de la Constitution en rappelant son contenu ? — 25 oui, 0 non et 9 abstentions. 3 Au-delà des accords de la Saint-Michel, Ecolo se prononce-t-il pour le principe du référendum d'initiative populaire aux niveaux provincial, régional, communautaire et fédéral ? — 29 oui, 0 non et 6 abstentions. 4 Le référendum peut-il être abrogatif et constructif ? — 22 oui, 14 non et 1 abstention. 5 La participation est-elle obligatoire ? — 29 oui, 4 non et 1 abstention. 6 Faut-il exclure certaines matières des référendums ? a les matières éthiques — 6 oui, 22 non et 6 abstentions. b les droits de l'homme — 30 oui, 0 non et 3 abstentions. c les matières fiscales — 26 oui, 4 non et 3 abstentions. Les problèmes relatifs aux droits de l'homme et les questions relatives à la fiscalité sont ainsi exclus du champ référendaire pour éviter toute démagogie qui «risquerait de faire des ravages.»7 Plus étrange est la demande de vote obligatoire en cas d’initiative référendaire. Celle-ci atténue le caractère participatif dans la mesure où il ne s’agirait plus d’une démarche volontaire. D’un point de vue interne, faire de la politique autrement a surtout consisté pour Ecolo à tenter de pratiquer le «fédéralisme intégral» en son sein. C'est-à-dire principalement l'application d'une décentralisation aussi poussée que possible dans la prise de décision. En outre, comme nous l’avons vu, chaque adhérent a la possibilité de prendre part aux assemblées générales, qui fixent la ligne de conduite politique du mouvement (voir supra). 7 Vos questions à Jacky Morael, La Libre Belgique, 8 mai 1995. 166 L'économie au service de la société Une des critiques fondamentales d'Ecolo à l'encontre des trois principales familles politiques en Belgique — socialiste, socialechrétienne et libérale — est la soumission des choix politiques à l'économie de marché. Ce qui entraîne et constitue un abandon des pouvoirs politiques au détriment des orientations économiques et financières dominantes : le marché à tout va. Pour les écologistes, il s'agit au contraire de «remettre l'économie à sa place ; en soumettant l'économie au politique» et en se fixant comme objectif «d’orienter l'activité économique vers la production de bien-être et de partager équitablement celui-ci.»8 Pour Ecolo, dans le cadre des budgets ajustants, il convient aussi de modifier les choix et les investissements publics : «En privilégiant les investissements légers et décentralisés en transports publics, en utilisation rationnelle de l'énergie, en rénovation du logement et en valorisation des ressources renouvelables (dont les effets sont positifs sur la création d'emplois), on va lentement mais sûrement vers une diminution des charges financières des pouvoirs publics et des particuliers.»9 En matière d'aide aux investissements privés, Ecolo prône un soutien prioritaire à huit créneaux : — la reconversion à l'agro-biologie ; — l'initiative en matière de diversification dans les cultures ; — la reconversion de l'industrie d'armement ; — la rénovation de l'habitat ; — les technologies propres et peu «énergivores» ; — la filière du bois ; — le recyclage ; — les technologies de l'information. Dans son programme pour les élections législatives de 1995, Ecolo approfondit cette logique de revalorisation des services publics en l'assortissant d'une nécessité de révision profonde de la logique sous-tendant les décisions politiques et économiques. En particulier le modèle sur lequel se fonde ces choix, à savoir le triangle «compétitivité-libéralisation-privatisation.» Mais une révision importante est également nécessaire à l'échelle de 8 PH. DEFEYT, «Le temps de vivre : une sorte de crise basée sur l'aménagement et la réduction du temps de travail» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 15. 9 Ecolo, Elections législatives de 1991. Le programme d'Ecolo, p. 16. 167 l'ensemble des administrations dont une tâche devrait viser à «mieux assurer (leur) mission d'intérêt général.»10 Le temps de travail La remise en cause du «travail», de la valeur «travail» est au cœur de l'écologie politique. Très tôt, André Gorz pointe cet élément déterminant et capital de la pensée écologiste : «Le travail n'est plus le principal ciment social, ni le principal facteur de socialisation, ni l'occupation principale de chacun, ni la principale source de richesse et de bien-être, ni le sens et le centre de nos vies.»11 «Le temps — son utilisation, son contenu et sa disponibilité — semble donc bien être au cœur des processus de crise» 12. Si la question du travail est au centre de la crise de société, selon les écologistes, elle est également au cœur du programme des verts depuis leur naissance. Pour Ecolo comme pour les autres formations écologistes européennes, la primauté du travail dans la société doit être remise en cause. Le rejet de cette prédominance est à rattacher à la mise en cause du productivisme. En 1984, Ecolo proposa même de substituer en termes d'objectifs le BRN (bien-être régional net) au PNB (produit national brut).13 Le progrès est parfois assimilé au cheminement de tout ce qui est du ressort du non-matériel : «Il s'agit de mettre en valeur les rapports de réciprocité, les facultés de création, de tendresse, d'amour de la vie, d'œuvrer à la libération de la sensibilité et de 10 Ecolo, Elections législatives de 1995. Il n'y a pas de fatalité. Ecolo présente ses objectifs et les moyens d'y parvenir, 26 avril 1995, p. 12. 11 A. GORZ, Capitalisme, socialisme, écologie. Désorientations, orientations, Galilée, 1991, 234 p., p. 52. 12 PH. DEFEYT, «Le temps de vivre : une sorte de crise basée sur l'aménagement et la réduction du temps de travail» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 13. 13 «A la conception étroitement matérialiste de la vie véhiculée par l'ensemble des forces politiques traditionnelles et qui se traduit par le culte du PNB et du pouvoir d'achat, les écologistes substituent une conception holistique où sont valorisées les composantes spirituelles et qualitatives. L'objectif n'est plus d'accroître le PNB mais le BRN (Bien-être régional net) ; le pouvoir de vivre remplace le pouvoir d'achat comme priorité de pensée.» Ecolo, Pour la mutation écologiste, 1er mai 1984, p. 9. 168 l'émotion, de rendre son équilibre à la société en réhabilitant toutes les valeurs traditionnelles qualifiées de féminisme» soutient ainsi Paul Lannoye quelques jours avant l'élection d'octobre 1985.14 La remise en cause de l'importance du travail sera effectuée à travers la proposition d'allocation universelle. Son principe est discuté à la suite de la publication d'une première suggestion du philosophe Philippe Van Parijs dans Ecolo-infos de février 1983. Il relève cinq avantages essentiels au principe d'une allocation universelle : — l'éclatement du statut du chômeur ; — la promotion importante de ce qu'il appelle «l'emploi alternatif» ; — la réalisation d'une technique douce de partage du travail ; — une revalorisation du travail domestique ; — enfin, une protection du travailleur, compatible avec une détermination équitable des différences de salaire. Quatre difficultés sont néanmoins aussi mises en exergue : — la question de savoir si les non-Belges pourraient y accéder. Dans l'affirmative, la Belgique encourrait une immigration massive risquant de mettre fin à l'expérience ; — le fait que l'allocation soit indiscriminante. En ce, elle ignorerait les besoins. Tout le monde y aurait automatiquement droit ; — le danger d'une allocation suboptimale des ressources au facteur travail : «En raison de son impact présumé sur le niveau des salaires, l'allocation universelle ne revient-elle pas à subsidier systématiquement le facteur travail avec tout ce que cela implique comme distorsions dommageables du point de vue d'une allocation optimale des ressources»15 ; — enfin, le risque d'un encouragement à la paresse. Deux années plus tard, la proposition est affinée. Elle a été discutée et amendée par un groupe constitué pour l'occasion : le collectif Charles Fourrier.16 L'allocation universelle est alors présentée comme une proposition révolutionnaire d'appréhension du travail et... du non-travail. En la matière, le préambule de la proposition est radical : «Supprimez les indemnités de chômage, les 14 P. LANNOYE, Choisir le progrès, Le Soir, 1 octobre 1985. 15 Ecolo info, n° 16, février 1983. 16 Le Collectif Charles Fourrier est composé de Paul-Marie Boulanger, Isabelle Cassiers, Marie-Christine Closon, Philippe Defeyt, Philippe de Villé, Laurent d'Ursel, Jean-Robert Dussart, Michel Hubert, Luc Moens, Pierre Reman, Didier van den Hove, Béatriche, Van Haeperen et Philippe Van Parijs. 169 pensions légales, le minimex, les allocations familiales, les abattements et crédits d'impôts pour personnes à charge, les bourses d'études, les cadres spéciaux temporaires et les troisièmes circuits de travail, l'aide de l'Etat aux entreprises en difficulté. Mais versez chaque mois à chaque citoyen une somme suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d'un individu vivant seul. Versezla lui qu'il travaille ou qu'il ne travaille pas, qu'il soit pauvre ou qu'il soit riche, qu'il habite seul, avec sa famille, en concubinage ou en communauté, qu'il ait ou non travaillé dans le passé. Ne modulez le montant versé qu'en fonction de l'âge et du degré (éventuel) d'invalidité. Et financez l'ensemble par un impôt progressif sur les autres revenus de chaque individu. Parallèlement, dérégulez le marché du travail. Abolissez toute législation imposant un salaire minimum ou une durée maximum de travail. Eliminez tous les obstacles administratifs au travail à temps partiel. Abaissez l'âge auquel prend fin la scolarité obligatoire. Supprimez l'obligation de prendre sa retraite à un âge déterminé. Faites tout cela. Et puis observez tout ce qui se passe (sic). Demandez-vous, en particulier, ce qu'il advient du travail, de son contenu et de ses techniques, des relations humaines qui l'encadrent.»17 On le voit, ce canevas s'inscrit tout droit dans l'histoire de la pensée libérale en économie. Les avantages annoncés restent dans la logique de ceux suggérés en 1983 : réduction drastique des multiples démarches administratives (Ecolo parlera ainsi de l'intérêt de l'allocation universelle comme moyen de «diminuer le champ d'intervention de la bureaucratie dans la vie sociale»)18, faible coût psychologique pour les individus, fin de la notion même de chômage, valorisation du travail à temps partiel par le «partage» de l'emploi, «choix» de travailler ou non, réévaluation des travaux pénibles19, redistribution du temps libre,... En revanche, les problèmes que soulèverait l'introduction de l’allocation universelle ne sont plus esquissés. Seule la conclusion nuance l’optimisme des rédacteurs mais pas leur prétention : «Pas plus que le suffrage universel, 17 Collectif Charles Fourier, «L'allocation universelle», La revue nouvelle, n° 4, avril 1985, p. 345. 18 Ecolo info, n° 50, 15 janvier 1985, p. 6. 19 En effet, selon le collectif Charles Fourier, les implications de l'allocation universelle pour les travaux pénibles seront doubles : «les emplois, les plus ingrats, les plus ennuyeux, les plus dangereux, les plus pénibles, les moins enrichissants, ne peuvent plus trouver d'occupants qu'à un salaire plus élevé (...). L'incitation est forte à automatiser toutes les tâches ingrates qui peuvent l'être et à améliorer la qualité de celles qui ne le peuvent pas.» Ibid., p. 347. 170 l'allocation universelle ne constitue une panacée. Mais, comme lui, elle constitue un acquis irréversible, qui ne nous quittera plus.»20 Philippe Van Parijs projettera d'ailleurs l'allocation universelle comme l'élément clé d'une nouvelle utopie. L'utopie qui se substituerait à l'utopie socialiste des XIXe et XXe siècles. Dans cette construction, la classe sociale porteuse du projet — et donc la base électorale d'Ecolo — serait la «classe des chômeurs» : «De même, selon cette deuxième interprétation, le développement du mouvement écologiste est étroitement lié à l'émergence d'une classe et à la formulation du projet qui sont au capitalisme-Etatprovidence dans lequel nous vivons aujourd'hui en Europe occidentale ce que la classe ouvrière et le projet socialiste ont été au capitalisme sauvage. Mais quelle est donc cette classe sociale, et quel est ce projet ? La classe sociale qui émerge aujourd'hui, selon cette interprétation, ce ne sont pas les chercheurs ni les informaticiens, ni d'autres héros de la société post-industrielle. Mais ce sont tout simplement les chômeurs.»21 En pratique, l'hypothèse envisagée est d'octroyer une allocation d'environ 12 000 francs pour un adulte, somme qui serait modulée en fonction des critères d'âge et de capacité au travail.22 Au sein d'Ecolo, il existe des réserves et des réticences à cette proposition. Il y a même quelques opposants farouches (principalement l'aile gauche du parti). Ceux-ci présentent l'idée d'allocation universelle comme un «gadget séduisant mais complètement étranger à la réalité économique» et au surplus «comme une menace pour les salaires et les conditions de travail.»23 Son principe sera néanmoins adopté par 66 voix contre 25 et 11 abstentions lors l'Assemblée générale de Floreffe, le 12 mai 1985. De fait, l'allocation universelle n'allait pas sans poser de nombreux problèmes, notamment par rapport à la problématique du partage du temps de travail disponible. Les deux propositions 20 Ibid., p. 351. 21 P. VAN PARIJS, «L'avenir des écologistes : deux interprétations», La revue nouvelle, n° 1, janvier 1986, p. 40. 22 Ainsi à un pôle, les enfants gagneraient plus ou moins 6 000 francs tandis qu'à l'autre pôle, les personnes âgées et les handicapés bénéficieraient d'une allocation de l'ordre de 18 000 francs. Ecolo info, n° 50, 15 janvier 1985. 23 Vers l'Avenir, 13 mai 1985. 171 étaient-elles compatibles ? L'allocation universelle pouvait-elle être suffisante en soi ? Dans une carte blanche au Soir, la secrétaire fédérale Cécile Delbascourt effleure ces questions : «Il faut attribuer à chacun un revenu indépendant de sa situation familiale et du fait qu'il ait ou non un emploi : une allocation universelle. Mais il n'est pas plus acceptable de marginaliser dans le non-emploi une part toujours plus grande de la population. Le travail disponible doit donc être partagé. C'est seulement à cette condition que l'allocution universelle sera autre chose qu'un minimex amélioré.»24 Le résultat mitigé de l'élection d'octobre 1985, les doutes de plusieurs responsables et les critiques des milieux syndicaux envers l'allocation universelle conduiront Ecolo à faire un choix entre la réduction du temps de travail ou la valorisation de l'allocation universelle comme axe programmatique premier sur les questions de l'emploi et du chômage. Après un long et sérieux débat interne, Ecolo tranche en 1986. Le principe de l'allocation universelle cède le relais25 à celui du trois-quarts temps, qui devient la mesure principale avancée par les écologistes. L'allocation universelle n'est pourtant pas abandonnée.26 Philippe Van Parijs, qui a porté et porte toujours le débat sur cette question dans et hors Ecolo, voit même dans le «découplage entre revenu et travail» l'axe de l'identité discriminante des partis écologistes après la récupération des problématiques de l'environnement par d'autres formations 24 Le Soir, 17 juin 1985. 25 En 1994, Philippe Defeyt estimait que les deux thèses coexist(ai)ent plus ou moins harmonieusement.» En réalité, outre que le trois quarts temps est la proposition d'actualité mise en avant par Ecolo, l'allocation universelle suscite dans les rangs d'Ecolo beaucoup d'interrogations, comme l'a démontré le débat qui portait sur cette problématique aux rencontres écologiques d'état à Borzée en août 1995. PH. DEFEYT, «L'éco-développement comme projet de société ou la «sortie de la crise» vue par les écologistes», Critique régionale, n° 20, p. 20. 26 Dans Confrontations, Jacky Morael y fait explicitement référence dans la défense d'une autre logique du revenu : «Les écologistes avancent une tout autre conception de ce droit au revenu, de cette part de la richesse nationale. L'allocation universelle figure au programme d'Ecolo comme une proposition «à long terme» qui doit préserver les droits acquis et être octroyée sans condition à tout un chacun.» J. MORAEL, «De L'Etat-providence à l'économie cannibale» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 263. 172 politiques.27 C'est toute la promotion de ce que les écologistes appellent la «troisième sphère», la «sphère autonome» : «Mais parce que c'est au cœur même de la vision écologiste de l'économie, il y a la mise en valeur d'une troisième sphère d'activités, irréductible tant à la sphère du marché qu'à celle de l'Etat. C'est le domaine des activités dites autonomes : la production non rémunérée de «biens» et de «services» pour soimême, pour sa famille, pour sa communauté, qu'il s'agisse par exemple de mettre au monde un enfant, de cultiver son potager, d'aider sa grande tante à déménager ou de siéger au conseil communal.»28 Néanmoins, l'allocation universelle est pensée comme un projet à moyen et à long terme dans le programme d'Ecolo. Et quand il arrive que les écologistes en (re)débattent, comme ce fut le cas aux rencontres écologistes de Borzée en août 1995, les questions et les problèmes concrets soulevés par le principe dominent largement les discussions. La proposition du trois-quarts temps de travail constitue maintenant l'axe central des positions d'Ecolo. Que recouvre la proposition ? — Une prime de six mille francs serait allouée à tout travailleur qui passerait volontairement d'un temps plein à un trois-quarts temps. — La perte salariale serait progressive à partir d'un revenu égal ou supérieur à 70 000 francs bruts. Ecolo refuse le principe d'une diminution proportionnelle du salaire à celui du temps de travail presté. Jacky Morael dénoncera les suggestions avancées dans la poussée de fièvre pré-électorale de 1995 : «Il se confirme en plus 27 «A mesure que le premier objectif, la défense de l'environnement, se divulgue et se diffuse parmi tous ceux et celles qui disposent du moindre bon sens, il perd sa capacité à fournir au mouvement écologiste sa spécificité, sa place propre dans l'espace politique. D'autres objectifs peuvent-ils fournir cette spécificité d'une manière moins précaire, rassemblant ceux qui ont intérêt à sa réalisation tout en pouvant être défendu au nom de l'équité ? J'en vois un et un seul : précisément celui qui a été décrit tout au long de cet article comme la promotion de la sphère autonome et le découplage entre revenu et travail qui en est le moyen. S'il n'est pas fortuit, le lien entre cet objectif et la problématique «verte» n'en est pas moins circonstanciel. Trop circonstanciel pour justifier le label d'écologie politique ?» P. VAN PARIJS, «Impasses et promesses de l'écologie politique», La revue nouvelle, février 1990, n° 2, p. 92. 28 Ecolo, Les élections législatives de 1991. Le programme d'Ecolo, p. 18. 173 aujourd'hui qu'on a affaire à d'éventuelles formules de redistribution du temps de travail qui sont complètement cadenassées et qui obligent ceux qui en seraient partisans à accepter des réductions proportionnelles du salaire. Ce qui est évidemment pour nous inacceptable, on a toujours privilégié des formules volontaires de réduction du temps de travail, mais avec des correctifs salariaux.»29 — L'employeur obtiendrait une réduction de trois mille francs de cotisations patronales par travailleurs qui passe aux trois-quarts temps. — L'embauche compensatoire d'une unité serait obligatoire dès lors que trois travailleurs auraient choisi le trois-quarts temps. Pour éviter des démarches perverses, Ecolo assortit sa proposition de garde-fou. Un travailleur passé aux trois-quarts temps qui serait licencié verrait son allocation de chômage calculée sur la base de son salaire brut antérieur. Selon les écologistes, le coût du passage optionnel au troisquarts temps de travail est marginal et sans risque. Si la formule ne fonctionne pas, son prix est nul. Dans le cas contraire, la mesure s’élèverait, en moyenne, à deux cent cinquante mille francs par travailleur et par an, somme à mettre en perspective par rapport au coût du chômage en Belgique. Un des problèmes de la mesure et de la position écologiste est sans peut-être le caractère «volontaire» escompté des travailleurs. C'est cet aspect volontaire qui créerait d'ailleurs l'effet dynamique : «L'essentiel d'ailleurs, du point de vue des écologistes, n'est pas de recueillir une adhésion même majoritaire ; il suffit qu'il y ait un nombre suffisant de «volontaires» pour enclencher une dynamique.»30 Mais le volontariat est-il effectivement possible ? Ne risque-t-on pas d'assister à une multiplication de démarches «volontaires» en réalité contraintes, notamment dans le chef du personnel féminin ? N'y a-t-il pas, en l'espèce, sousestimation, de la dimension conflictuelle — et donc de tous les rapports de force afférents — de la société ? Dans la logique de l'opposition au productivisme, (re)créer de l’emploi ne passe pas, pour les écologistes, par le «dogme de la croissance.» Outre une réorientation des choix politiques et 29 Le Soir, 8 février 1995. 30 PH. DEFEYT, «Le temps de vivre : une sorte de crise basée sur l'aménagement et la réduction du temps de travail» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 25. 174 budgétaires, Ecolo préconise aujourd'hui une «réduction sélective des cotisations sociales, en fonction de la nature des activités», notamment dans les secteurs qui ont une forte intensité de travail (la construction en particulier) et dans le domaine de l'activité aux personnes 31. Ecolo se prononce aussi pour un élargissement de la diminution des cotisations patronales qui serait compensé par une taxe sur les énergies renouvelables. Ecolo prône également l'extension de la formule de l'interruption de carrière, la généralisation du droit au congé sabbatique32, le développement d'une formule de congé parental. Une autre piste écologiste pour stimuler l'emploi sans pénaliser l'initiative est de garantir aux personnes s'engageant dans un travail indépendant ou de coopérative de pouvoir, en cas d'échec, conserver le droit aux allocations de chômage. La défense des catégories sociales les plus défavorisées Si à l'origine, les préoccupations d'Ecolo visaient principalement les questions environnementales et à vitaliser la démocratie — sans jamais être exclusives —, les verts francophones ont de plus en plus intégré dans leur discours, leur programme et leur problématique une attention forte aux dimensions sociales. Notamment à l'égard du monde très large des «sans emplois» : chômeurs, minimexés, sans domicile fixe,... Cette combinaison des questions environnementales et sociales a été exemplifiée par Jacky Morael : «La question écologique et la question sociale n'ont été détachées l'une de l'autre que du fait des limites de la pensée cartésienne et analytique. On ne peut construire un paradis écologique sur un désert social, c'est là une évidence. A-t-on demandé aux populations d'Ukraine si elles croyaient désormais possible de construire un paradis social sur des territoires contaminés à long terme par l'accident de Tchernobyl ?»33 Cette intégration plus marquée des questions sociales dans le programme et les préoccupations d'Ecolo s'est opérée dans la deuxième moitié des années quatre-vingts. Elle a, par exemple, 31 Ibid., p. 18. 32 Sur la base qu'après six ans de carrière, le travailleur aurait le droit de demander un congé sabbatique en recevant une indemnité de 20 000 francs par mois (indexée). Congé sabbatique qui entraîne un remplacement à son poste par un demandeur d'emploi. 33 J. MORAEL, «Je t'aime, moi non plus... Pour un positionnement plus clair des gauches face à leur société», Cahiers marxistes, mai 1995, n° 198, p. 29. 175 été éloquente dans la très dure campagne que les écologistes ont menée contre la réforme fiscale et du précompte mobilier du gouvernement Dehaene-Moureaux.34 Elle a conduit Ecolo à lier défense de l'environnement et lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale : «Si l'économique est rétif à intégrer spontanément dans ses choix des considérations d'environnement, il l'est moins lorsqu'il s'agit de sécréter l'exclusion sociale.»35 Une des propositions clés des verts pour «éviter les pièges de la pauvreté»36 est d'individualiser complètement le droit aux prestations sociales, notamment en ce qui concerne les allocations de chômage. Cette suggestion s'inscrit dans les réflexions qu'Ecolo a menées sur la réforme de la sécurité sociale. En mars 1995, Ecolo a mené un congrès commun avec son homologue flamand, Agalev, au cours duquel les deux partis écologistes de Belgique ont dégagé un certain nombre de points de rapprochements. Cinq résolutions37 contenant vingt et une propositions concrètes y ont été votées. Retenons en particulier l’appel à la collaboration entre entités fédérées et l’Etat fédéral pour influer sur la diminution des dépenses de santé : «Agalev et Ecolo recommandent aux régions et aux communautés, dans le cadre de leurs compétences et dans les domaines où leur politique peut influencer les dépenses de santé, d’ouvrir des discussions avec l’Etat fédéral et de conclure un accord avec celui-ci, et sous le contrôle des assemblées démocratiquement élues, accord où seraient précisés des objectifs précis et mesurables.»38 Cette proposition n’a pas été sans susciter des remous à un moment où des pans significatifs du monde 34 Lors de l'assemblée fédérale d'Ecolo à Louvain La Neuve d'avril 1990, Ecolo soulignait ainsi que les «revenus du travail étaient désormais cinq fois plus taxés que les revenus de la propriété.» La Wallonie, 1er mai 1990. 35 Ecolo, Elections législatives de 1995. Il n'y a pas de fatalité. Ecolo présente ses objectifs et les moyens d'y parvenir, 26 avril 1995, p. 4. 36 Ibid., pp. 50-51. 37 Les thèmes des cinq résolutions sont les suivants : 1 Pour une réforme sociale fédérale, générale et obligatoire basée sur la solidarité ; 2 Renforcer et individualiser les droits à la protection sociale ; 3 Rencontrer des besoins sociaux ; 4 Pour une réforme écologique des soins de santé ; 5 Pour un refinancement socialement plus juste et économiquement plus efficace de la sécurité sociale. 38 Ecolo info, n° 3, avril-mai 1995, p. 10. 176 politique flamand envisagent certaines formes de fédéralisation de la sécurité sociale. Ecolo et Agalev rappellent leur soutien à l’individualisation des droits et préconisent une démarche volontariste en matière de politiques de prévention. Les verts songent en particulier à des campagnes de sensibilisation et d’information, à des «mécanismes de remboursement incitant à la prévention», à la lutte contre les accidents de la route, aux bonnes conditions de travail,... En ce qui concerne la sphère de l’emploi, outre la réduction du temps de travail, Agalev et Ecolo prônent une réduction générale des cotisations patronales «dans les secteurs à forte intensité de travail et où sévit le travail au noir», mesure qui s’accompagnerait «d’une lutte déterminée contre la fraude fiscale.»39 La défense des services publics et de l'interventionnisme étatique Historiquement, Ecolo et les écologistes ont été extrêmement méfiants envers l'institution étatique. A telle enseigne que dans leur premier canevas institutionnel, Ecolo avait purement et simplement ignoré l'Etat national comme un des cinq niveaux de leur structure, le présentant uniquement comme un lieu de coordination. En 1982, Pierre Gillis et Michel Godard40 avaient épinglé l'anti-étatisme écologiste et montré ses filiations avec la doctrine libérale : «L’anti-étatisme des écolos a ceci de commun avec celui de la droite que l'Etat est apprécié comme une entité autonome, dont le développement est réglé par des mécanismes tout à fait spécifiques.»41 Si des expressions d'anti-étatisme sont encore perceptibles dans la littérature des écologistes, on note cependant une inversion. Ecolo est passé à la défense de certaines prérogatives étatiques notamment en matière économique. C'est dans ce contexte que sont dénoncées les privatisations : «A l'heure actuelle, «dégraisser l'Etat» signifie réduire le niveau des allocations et des prestations sociales dont bénéfice le citoyen. (...) La théorie du «dégraissage de l'Etat» ne peut donc être appliquée qu'au prix d'une catastrophe écologique encore plus 39 Ibid., p. 14. 40 Tous deux candidats d'ouverture sur les listes d'Ecolo aux élections communales de 1994. 41 P. GILLIS, M. GODARD, «Le programme Ecolo : ni à gauche, ni à droite», Cahiers marxistes, n° 105, juin 1982, p. 16. 177 dramatique. (...) C'est pourquoi l'objectif des écologistes n'est pas le dégraissage de l'Etat, mais celui du marché.»42 L'Europe et le monde Fondamentalement, Ecolo a toujours remis en cause les orientations dominantes de la Communauté européenne et des organisations internationales économiques et financières telles le GATT puis l’OMC, le FMI, la Banque mondiale ou l'OCDE accusées de contribuer à l'accélération de la dégradation de l'environnement, à la détérioration des conditions de vie et de travail dans les pays développés et à l'asservissement des pays du tiers-monde. Depuis plusieurs années, en matière européenne, ce sont les «piliers» des critères de convergence du traité de Maastricht auxquels Ecolo s'attaque.43 Durant la période de négociation du nouveau traité, Ecolo et Agalev avaient posé des conditions quant au calendrier de l'union économique et monétaire. En particulier, quant à la rigueur du passage à la troisième phase de l'UEM. En outre, les écologistes belges appelaient à la construction parallèle de l'union économique et monétaire et d'une Europe fiscale plus intégrée et plus juste socialement.44 Faute de réponses et de 42 J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, «Manifeste pour une politique écologiste», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., pp. 132-133. 43 L'acceptation par l'Etat belge du calendrier de Maastricht est un des exemples d'abandon du «politique» face à «l'économique» : «L'Etat s'impose ses propres tabous. une série de contraintes qui limitent l'espace de décision politique sont, elles aussi, le fruit de décisions politiques. L'exemple entre tous est certainement le calendrier et les critères de l'Union économique et monétaire «imposés» par le traité de Maastricht. La Belgique l'a négocié et accepté alors même qu'elle savait que, pour atteindre les bénéfices très relatifs d'une monnaie unique, elle se condamnait à enfiler une camisole d'austérité qui la paralyserait devant l'extension du chômage et la montée des besoins sociaux.» J. MORAEL, «De L'Etat-providence à l'économie cannibale» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 252. 44 Dans un communiqué commun avec Agalev, Ecolo propose la signature du traité de l'UEM à trois conditions : «1 Les paramètres du passage à la troisième phase de l'UEM ne peuvent être appliqués à la lettre 2 Une définition précise du solde net à financer doit être donnée 3 Des garanties suffisantes doivent être données à la Belgique pour que soit mis fin à toute forme de compétition fiscale.» 178 répondants au Conseil européen de Maastricht en décembre 1991, Ecolo rejeta la philosophie du traité : «Le traité de Maastricht, accepté et défendu par les socialistes et les démocrates-chrétiens, est la reconnaissance définitive de ce fait accompli. Ce traité fait de l'économie de marché d'inspiration libérale, la base de toute action politique : on ne peut la contester, ni même la discuter.»45 En juillet 1992 à la Chambre et en novembre de la même année au Sénat, les parlementaires écologistes votent contre la ratification du traité instituant l'Union européenne. Au nom de sa logique libérale, sinon néo-libérale. Au nom aussi de la perpétuation du «déficit démocratique.» Si les verts rejettent ainsi le résultat de la négociation de Maastricht, on ne peut certainement pas parler pas d'un vote antieuropéen de nature nationaliste. Au contraire, il s'agirait plutôt d'un vote contre le «trop peu d'Europe» et contre le cours européen contemporain. Au demeurant, certains députés socialistes qui décrièrent à l’époque l'attitude d'Ecolo «découvrent» aujourd'hui l'iniquité sociale du traité de Maastricht.46 Malgré certains aspects qu’ils considèrent comme constructifs, les verts critiqueront aussi le deuxième livre blanc de Jacques Delors, dont la plupart des propositions sont toujours, selon eux, engoncées dans une version libérale de la construction européenne : «Ceci ne signifie pas que le livre blanc ne comprenne pas certaines propositions intéressantes, mais globalement si l'on considère les activités de production considérées comme prioritaires, le rôle des pouvoirs publics, la question de l'emploi et de l'Europe sociale, force est de constater que la vision néolibérale de l'Europe reste au cœur du livre blanc.»47 Lors de la quatrième élection européenne de juin 1994, Ecolo soulignera l'indispensable réorientation des choix communautaires. Il propose de restreindre le poids du critère relatif à la stabilité des Ecolo, Conférence intergouvernementale de Maastricht. Point de vue Ecolo-Agalev sur le projet de traité, 1er décembre 1991. 45 J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, «Manifeste pour une politique écologiste» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 124. 46 Nous songeons par exemple à Anne-Marie Lizin. Voir P. DELWIT, Les partis socialistes t l'intégration européenne (France, GrandeBretagne, Belgique), Editions de l'Université de Bruxelles, 1995, 304 p., p. 234. 47 P. JONCKHEER, « Le «livre blanc» de l'Union européenne et la rupture du «contrat social»», Cahiers marxistes, n° 196, décembre 1994, p. 125. 179 prix dans les décisions de politique économique et sociale. Surtout, il prône une action volontariste contre les mouvements financiers spéculatifs sur les marchés monétaires. Dans les matières fiscales, Ecolo préconise une harmonisation de l'impôt des sociétés et du précompte mobilier. Enfin, Ecolo propose d'adjoindre aux critères de convergence édictés pour accéder à l'union économique et monétaire d'autres normes : «Plus que de créer de nouvelles institutions monétaires, il s'agit avant tout pour l'Europe de parvenir à une convergence réelle des économies au sein de l'Union européenne : des indicateurs comme le revenu par habitant, le taux d'exclusion sociale et la dette écologique sont à cet égard significatifs.»48 Est-ce à dire qu'Ecolo se présente sur l'échiquier politique comme une formation anti-européenne ? Répétons-le : sans aucun doute, non. Ce n'est pas le principe de la construction européenne qui est en jeu dans les dénonciations écologistes mais bien son contenu.49 Ecolo s'est toujours affirmé comme un chaud partisan de la fédération de l'Europe : «Tout conduit au renforcement d'une politique européenne qui se construit à l'écart du citoyen. Les écologistes se veulent porteurs d'une Europe démocratique et fédérale dotée d'un véritable parlement et capable d'amorcer une mutation du productivisme vers un éco-développement, et ouverte sur le monde dans la richesse de sa diversité.»50 Dans leur plate-forme commune, les partis écologistes européens prônaient d'ailleurs en 1994 l'émergence d'une Constitution européenne sur la base d'un travail commun du Parlement européen et des parlements nationaux. Ils y fixent comme but premier de l'Union européenne, l'éco-développement.51 A ce titre, les partis écologistes de l'Union européenne exigent le 48 Le programme des écologistes. Plate-forme commune des partis verts de l'Union européenne. Elections européennes du 12 juin 1994, p. 30. 49 Pierre Jonckheer le spécifie dans l'article cité : «Mais il faut voir que notre critique ne porte pas sur la nécessité d'une politique européenne; au contraire, nous en sommes de farouches défenseurs. Elle met bien plus en cause l'incapacité des forces sociales-démocrates à impulser une autre orientation aux politiques européennes.» P. JONCKHEER, op. cit., p. 128. 50 Découverte, décembre 1994, p. 15. 51 Le programme des écologistes. Plate-forme commune des partis verts de l'Union européenne. Elections européennes du 12 juin 1994, p. 4. 180 traitement des dix problèmes environnementaux qui doivent être résolus en priorité : la préservation de la biodiversité, la question des changements climatiques, la prohibition des déchets toxiques, l'élimination des déchets, la fin du gaspillage des ressources naturelles, l'élimination des pluies acides, la préservation de la couche d'ozone, le combat contre les nuisances sonores, la lutte contre la prolifération des algues et la disparition du smog.52 Outre l'établissement d'une Constitution européenne, Ecolo prône dans le domaine institutionnel une réforme profonde. Le Parlement européen incarnerait, avec le Conseil, l'autorité législative et budgétaire de l'Union européenne.53 Il aurait ainsi un droit d'initiative en matière législative de même que l'exercice d'un contrôle politique envers la Commission. Son mode d'élection serait uniformisé sur la base d'un système de type proportionnel. D'autre part, le comité des régions institué par le traité de Maastricht serait composé de mandataires des régions, démocratiquement élus.54 Sur le plan international, Ecolo a sévèrement critiqué la conclusion de l'accord sur le GATT et la conception de la nouvelle organisation mondiale du commerce (OMC). Face à la promotion de l'ouverture maximale de tous les marchés, les verts veulent l'introduction ou la réintroduction de certains droits de douane. Ceux-ci auraient pour particularité d'essayer de «tenir compte de différences dans les régulations sociales et environnementales»55 et d'être redistribués aux pays extérieurs. En ce qui concerne les organisations internationales politiques et de défense, Ecolo a toujours prôné le dialogue, le soutien au pays en voie de développement et la désescalade de la course aux armements. Dès 1983, il demande la dissolution simultanée de l’organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et du pacte de Varsovie.56 Il assumera cette position pacifiste lors de la guerre du Golfe fin 1990-début 1991. Secrétaire fédéral du mouvement, 52 Ibid., p. 22. 53 Pour les modifications de traité, l'admission de nouveaux Etats membres, l'élargissement de la Compétence de l'Union et l'approbation de l'éventuelle Constitution, une majorité qualifiée serait requise tant au Parlement européen qu'au Conseil. 54 Ibid., p. 38. 55 PH. DEFEYT, «Le temps de vivre : une sorte de crise basée sur l'aménagement et la réduction du temps de travail» in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 19. 56 Ecolo info, septembre 1983, numéro spécial. 181 Marcel Cheron précisera le contenu de la position d'Ecolo : «Le caractère répugnant du régime de Saddam Hussein ne fait aucun doute. C'est probablement ce qui explique qu'une partie de l'opinion publique occidentale accepte, apparemment, sa destruction militaire. (...) Quant à nous, il nous appartient de dire avec fermeté aux dirigeants américains que la force n'est pas une méthode de gouvernement.»57 La dette cachée Un des leitmotivs des écologistes dans le domaine de la gestion est la dette cachée des choix effectués, particulièrement dans les questions ayant des implications environnementales. Les options ne tenant pas compte de la problématique environnementale entraîneraient immanquablement des coûts de réfection et de restauration très importants ; incomparablement plus graves que ceux d’une politique de prévention : «L'accumulation des différents phénomènes conduira immanquablement à une augmentation continue des dépenses publiques de «réparation» qui risquent de devenir insupportables d'ici quelques années. Une analyse sérieuse de l'évolution de la dette publique se doit d’anticiper sur l'impact prévisible de réparation.»58 Chaque décision ignorant l’impact sur l'environnement crée une «dette», qu’il faudra honorer un jour. La politique de l'«externalisation» de certains coûts des entreprises est aussi décriée. L'énergie nucléaire apparaît à ce titre symptomatique : «En fait, une réelle prise en compte des coûts de gestion des déchets à long terme et l'obligation, pour les installations nucléaires, d'assurer pleinement et de manière illimitée leur responsabilité civile à l'égard des biens, de l'environnement et des personnes disqualifieraient totalement et définitivement le nucléaire comme technique de production d'électricité.»59 L'exemple emblématique en Belgique, qui fait la chronique des années nonante, est celui des décharges, notamment celle de Mellery. Cette problématique de la dette cachée prend une ampleur supplémentaire dans la mesure où, le pouvoir compétent sur les principaux sujets concernés — eau, décharge,... — est, dans la plupart des cas, devenu la région dont l'équilibre budgétaire est 57 M. CHERON, «Golfe persique, la force ne résout rien», Ecolo info, n° 1, février 1991, p. 3. 58 Ecolo, Elections législative de 1991. Le programme d'Ecolo, p. 2. 59 P. LANNOYE, «Ecologie : révolution de la pensée et mutation politique», in J. DARAS, J. GEYSELS, H. SIMONS, M. VOGELS, op. cit., p. 165. 182 déjà précaire. Selon Ecolo, les régions seront à court terme saisies d'importantes demandes de «réparation.»60 La dette belge La dette publique en Belgique est présentée comme la contrainte la plus importante dans les propositions et les décisions des pouvoirs publics. Chaque formation politique doit se positionner sur cette charge incontournable. Quelles sont les mesures suggérées par les écologistes ? En premier lieu, les verts envisagent une conversion progressive des emprunts réalisés par les pouvoirs publics en emprunt indexés. Qu'est-ce à dire ? D'après les calculs effectués par les experts d'Ecolo, le taux d'intérêt sur les placements en obligations d'Etat et autres types de placements est établi en tenant compte de trois éléments : — une rémunération réelle ; — une couverture contre l'inflation ; — une prime de risque d’»incertitude.» L'idée d'Ecolo vise à supprimer la «prime de risque» en «convertissant les obligations d'Etat actuelles progressivement en obligations indexées sur l'inflation.»61 A partir de cette hypothèse, il convient ensuite d'abaisser le taux d'intérêt sur la dette publique de 1,5%.62 Ecolo préconise aussi un rééquilibrage au niveau de la ponction fiscale. Il s'opérerait entre les revenus mobiliers et immobiliers d'une part, et les revenus du travail, de l'autre. Aux yeux des verts, la part des revenus du travail dans la fiscalité est trop importante. Enfin, une lutte accrue contre la fraude fiscale permettrait de récupérer, à court terme, 0,1% du produit intérieur 60 «Pour ce qui concerne plus particulièrement la «dette cachée», celle-ci est constituée des pensions et investissements à consentir obligatoirement demain pour réparer les dégâts du passé (pollution, délabrement du logement social...) Ces charges ont, il est vrai, été largement transférées aux régions. Elles sont liées à la nécessité de faire face aux dégâts déjà causés, mais dont la réparation n'a pas encore lieu ou ne fait que débuter.» Ecolo, Elections législatives de 1995. Il n'y a pas de fatalité. Ecolo présente ses objectifs et les moyens d'y parvenir, 26 avril 1995, p. 25. 61 Ibid., p. 43. 62 Partant de l'hypothèse que la rémunération réelle représente 3,5%, la couverture contre l'inflation 2% et la prime de risque 1,5%. 183 brut (PIB) par an ; l'objectif étant d'arriver à recouvrer 0,5% par an à moyen terme. Dans le cadre d'une conjoncture économique moins défavorable qu'en 1992 et surtout qu'en 1993, ces trois initiatives seraient à même de dégager de 72 milliards de francs en 1996 à 328 milliards de francs en l'an 2 000. Elles ramèneraient le déficit public à 3,1% du PIB dès 1996. Le poids de la dette publique dans l'économie belge diminuerait. Le scénario budgétaire d'Ecolo d'ici à l'an 2 000 (en %) Déficit des pouvoirs publics Effet de la conjoncture Mesures discrétionnaires Indexation des emprunts publics Mesures d'équité fiscale Lutte contre la fraude Marges de manœuvre créées Marges affectées à des dépenses Déficit budgétaire final 1996 4 1997 4 0,5 1998 4 1 1999 4 1 2000 4 1 0,4 0,4 0,1 0,9 0,3 3,4 0,8 0,5 0,2 2 0,7 2,7 1,2 0,5 0,3 3 1 2 1,6 0,5 0,4 3,5 1,2 1,7 2,1 0,5 0,5 4,1 1,4 1,3 Les populations étrangères de Belgique et les Belges d'origine immigrée En ce qui concerne la problématique large de l'immigration, des première, deuxième et troisième générations, Ecolo se place dans une double perspective d'ouverture. D'une part, il se montre favorable à un accès facile à la naturalisation qui, à ses yeux, ne doit pas être une condition de l'intégration. Les étrangers résidant depuis cinq années en Belgique pourraient accéder, s'ils le souhaitent, à la citoyenneté belge. D'autre part, Ecolo est favorable à une extension des droits politiques pour les immigrés désirant conserver leur nationalité. Pour ce faire, il préconise le droit de vote et d'éligibilité aux élections communales pour les étrangers séjournant depuis plus de cinq ans en Belgique. Il est aujourd’hui63 la seule formation politique ayant des parlementaires à retenir cette hypothèse. Ecolo et les questions de société 63 Jusqu'en 1985, date de leur éviction de la Chambre et du Sénat, les parlementaires communistes défendaient le droit de vote et d'éligibilité aux élections communales pour les étrangers résidant depuis cinq ans dans une commune. 184 Contrairement à d'autres partis écologistes (Groen Links aux Pays-Bas et surtout les Grünen en Allemagne), Ecolo s'est caractérisé par une relative prudence sur les questions de société : avortement, féminisme64, dépénalisation de la drogue,... Lors de sa première campagne électorale en 1981, le mouvement avait ainsi laissé, en âme et conscience, le choix à ses candidats de se positionner sur la question de la dépénalisation de l'avortement : «Au stade actuel, le mouvement Ecolo considère que le débat sur ce problème délicat n'a pas été mené suffisamment en son sein. C'est pourquoi il entend aboutir dans un délai très court à une position claire, entre-temps, il laisse ses candidats et groupes régionaux libres de défendre la position qu'ils estiment la plus juste.»65 Seule la régionale de Bruxelles se prononcera clairement pour la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse. Dans le groupe parlementaire Ecolo, Simone Jortay-Lemaire, militante du planning familial, sera une avocate de la dépénalisation de l'avortement. Elle est d'ailleurs épaulée dans ce combat par Olivier Deleuze. Le député bruxellois soutiendra aussi M. Morissens, enseignante suspendue pour avoir proclamé son homosexualité à la télévision.66 Ce n'est toutefois qu'en 1983 qu'Ecolo se déterminera sur la question de l'avortement et de la dépénalisation : «Ecolo estime que l'avortement est un moyen brutal de contrôler les naissances, qui n'est certainement pas recommandable. Cependant, en cas d'échec ou d'ignorance de la contraception, il peut être l'ultime recours.»67 Ecolo et les institutions Nous l'avons vu, la philosophie qui prévaut en matière de dévolution des compétences est celle du fédéralisme intégral. Thème ancien puisqu'on le retrouvait déjà dans le manifeste des Amis de la terre, c'est à l'occasion des assemblées générales d'avril et de septembre 1983, qu'Ecolo détermine sa doctrine en la matière de fédéralisme intégral. 64 Soulignons que sur base d'une enquête auprès des cadres et des élus d’Ecolo, Benoît Rihoux pointe aussi cet élément. B. RIHOUX, «Ecolo en de nieuwse sociale bewegingen in Franstalige België, bloedbroeders of verre verwanten ?», in S. HELLEMANS en M. HOOGHE (eds), op. cit. 65 La Libre Belgique, 26 octobre 1981. 66 Il sera même interpellé et molesté à la manifestation de soutien. Le Soir, 15 février 1982. 67 Ecolo info, n° 18, 11 mars 1983, p. 15. 185 Pour François Collette, un des rapporteurs du débat, «le fédéralisme est écologique. Ces deux mouvements partagent intégralement les deux principes de l'autogestion qui reconnaît à chacun le droit de comprendre, maîtriser et forger ses propres conditions de vie, et de l'autonomie qui permet aux communautés et aux collectivités réelles de s'assumer elles-mêmes.»68 L'idée de base est d'inverser la logique voulant que la société fonctionne du «haut vers le bas» et qu'ainsi les décisions parviennent aux citoyens ramenés à des sujets sans concertation. Au contraire, la communauté doit se construire et se consolider à partir de la base vers les «sommets.» Pour contribuer à ce processus, Ecolo prône le principe de subsidiarité : «Aucune autorité supérieure n'a à intervenir dans la sphère d'action d'une autorité inférieure tant que celle-ci demeure efficace et tout abandon de compétence en faveur d'une collectivité englobante est décidée par la collectivité concernée et non l'inverse.»69 Jusqu'à la deuxième phase majeure de la réforme de l'Etat, la structure institutionnelle idéale selon Ecolo se présentait comme suit : — On trouve en premier lieu le quartier ou le village qui sont les entités à l'échelle de laquelle la participation est à la fois la plus praticable et la plus porteuse. Ecolo suggère l'élection de conseils de quartiers.70 Et pour que cette participation ne soit pas factice, les quartiers et les villages bénéficieraient de moyens financiers adéquats. La répartition de ces moyens serait déterminée suivant une clé de pondération qui prendrait en compte tout à la fois les attributions, la superficie et la population.71 — Le deuxième échelon institutionnel est formé de la commune. La commune est composée de plusieurs quartiers ou de plusieurs villages. Aux yeux des écologistes, les communes ont perdu 68 F. COLLETTE, Le fédéralisme ou la redistribution fédéraliste des pouvoirs, 26 août 1983, p. 5. 69 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 39. 70 «Le quartier ou le village constituent «l'éco-système de base du citoyen où des relations personnelles peuvent s'établir. C'est le lieu où peuvent s'exercer des libertés concrètes et se nouer des solidarités réelles. C'est dans cette entité, la plus proche possible du citoyen, que peuvent se forger des moyens de réelle participation. Le quartier ou le village sont reconnus ipso facto. (...) Chaque quartier (ou chaque village) défini élit un Conseil de quartier.» Texte général pour les élections communal d'octobre 1982, Ecolo info, n° 5, avril 1982, p. 6. 71 Ibid., p. 6. 186 beaucoup de leur pouvoir du fait de l'altération des finances communales et de la non-utilisation de compétences par les conseils communaux. Or, pour Ecolo, il s'agit du niveau de pouvoir qui aurait toutes les attributions à la seule exception de celles qui lui seraient expressément interdites. A l'échelle de la commune, Ecolo se prononce pour la suppression du système Imperiali, mode de scrutin qui défavorise les petites listes au détriment des grandes. — L’échelon suivant est la contrée. La contrée est une agglomération ou une fédération de communes. Elle est amenée à remplacer les provinces. Avant les élections communales de 1988, Ecolo proposait l'établissement de douze contrées72 dont les conseillers seraient élus directement pour une législature de quatre ans dans le cadre d'un système proportionnel.73 — Le quatrième niveau institutionnel évoqué est la région. De manière cohérente, la région est une fédération de contrées ayant des caractéristiques homogènes du point de vue historique, géographique, culturel, économique, social et politique.74 — Enfin, le dernier étage institutionnel est celui de l'Europe. Pour les verts, l'échelle européenne apparaît nettement plus appropriée que l'échelon national pour «établir un nouvel ordre économique axé sur quatre options à long terme» : . la démocratie dans l'entreprise ; . une taille adaptée aux enjeux ; . l'utilisation de technologies respectueuses de l'environnement ; . enfin, des régions autonomes.75 Comme nous l'avons vu, si Ecolo soutient l'Europe comme cinquième niveau, il ne s'agit pas de n'importe quelle Europe : l'Europe des Etats y ferait notamment place à l'Europe des régions. Dans cette optique, Ecolo mettra à son programme des élections européennes de 1984, la transformation du Parlement européen en une «assemblée parlementaire des régions d'Europe.»76 72 Du côté francophone, les contrées auraient été le pays de Verviers, les Ardennes, le pays de Liège, le pays de Namur, le pays de Charleroi et le pays de Hainaut. Dans cette proposition, Bruxelles aurait eu à la fois le statut de contrée et de région. Ecolo info, numéro spécial, avril 1988, p. 26. 73 Ecolo info, numéro spécial, avril 1988, p. 12. 74 La Libre Belgique, 12 septembre 1983. 75 Ecolo, L'Europe des écologistes, juin 1984, 87 p., pp. 15-16. 76 Ibid., p. 9. 187 Dans la réflexion écologiste, l'Etat central était appelé à l'évanescence.77 En Belgique, l'Etat ne deviendrait plus qu'un organe de concertation et de coordination privilégié. Cette position «dure» fut néanmoins adoucie dans le temps. Dès 1988, les Verts évoquent l'Etat central comme échelon institutionnel à part entière, mais avec des pouvoirs restreints. Ceux-ci ne nécessiteraient que treize ministres.78 Historiquement, Ecolo prônait donc le remplacement des provinces par les contrées. Néanmoins, la réforme institutionnelle de l'Etat en 1988 a rendu caduque cette perspective. Ecolo en prendra acte en admettant alors «l'existence des provinces, à titre transitoire»79 pour autant que des modifications substantielles soient apportées quant à leur nombre, leurs limites et leurs rapports avec les autres niveaux de pouvoir. Les principales réformes avancées sont : — l'organisation d'un scrutin «vraiment démocratique» ; — le fait que le conseil provincial devienne l'organe souverain ; — que l'exécutif, constitué de membres élus à la majorité par le conseil provincial, désigne en son sein son président et qu'il remplace la députation permanente ; — que le gouverneur de la province soit nommé par le conseil régional. Avant la troisième phase de réforme de l'Etat, Ecolo prônait le schéma suivant : — la suppression du double mandat échelle fédérale —échelle régionale/communautaire ; — une Chambre des représentants ramenée à cent cinquante élus ; — l'organisation de l'élection pour les représentants sur la base d'une circonscription nationale pourvoyant trente sièges et des listes par province80 ; — un Sénat comportant cent et deux membres, dont cinquantedeux élus directs et cinquante, de manière indirecte.81 77 Dans une interview à La Libre Belgique en 1983, Paul Lannoye, alors secrétaire fédéral, déclarera qu'il «n'y est pas particulièrement attaché.» La Libre Belgique, 30 mars 1983. 78 Ecolo info, numéro spécial, avril 1988, p. 13. 79 Ecolo, Elections législatives de 1991. Le programme d'Ecolo, p. I 7. 80 La province du Brabant étant scindée. 81 Vingt-cinq par le Vlaams Raad et la commission communautaire flamande d Bruxelles, six par la commission communautaire de Bruxelles et dix-neuf par le conseil régional wallon. 188 A l'échelle régionale et communautaire, Ecolo était favorable au maintien des compétences en matière de culture, d'enseignement et d'audiovisuel pour la Communauté française, le reste étant transféré vers les régions. 189 Chapitre 7 «Planète verte» : Le profil sociologique et la culture politique des adhérents d’Ecolo 190 191 Savoir qui adhère et qui milite à Ecolo est une question qui a suscité quelques polémiques, plusieurs interrogations et de nombreuses interprétations. Les thèmes du positionnement politique — en particulier gauche-droite —, des attitudes philosophiques — notamment les rapports éventuels à la croyance — ou encore de la démocratie paritaire — le nombre de femmes dans le mouvement et à des postes de responsabilité — reviennent avec récurrence dans et hors les rangs d’Ecolo. Enquête sur le profil sociologique Et la culture politique des adhérents Or, très curieusement, aucune enquête statistiquement significative n’est, jusqu’à présent, venue étayer ou infirmer des idées reçues, des présupposés ou des hypothèses avancées. L’enquête que nous avons réalisée comble cette lacune. Grâce à la remarquable collaboration des membres d’Ecolo, on peut aujourd’hui dresser un portrait du monde des adhérents des verts francophones. Cette connaissance de la base sociologique du parti est capitale dans une autre dimension. Elle nous permet de mieux comprendre les choix politiques ou organisationnels, les questions problématiques, les rapports aux différentes organisations sociales et aux autres formations politiques en Belgique. S’il est en effet vrai que l’on peut appréhender la nature de l’adhésion d’un parti à son programme, la proposition peut aussi être renversée. Connaître l’origine et le parcours des membres permet de saisir et de comprendre le programme du parti. Cette approche est particulièrement instructive dans le cas d’Ecolo dans la mesure où il s’agit d’un jeune parti et qu’il est donc possible de réaliser un portrait de l’évolution des adhérents en parallèle avec celle du mouvement. 192 Trois remarques préalables s’imposent. — 1. La première est le remarquable taux de réponse à notre enquête. Sur les 2 400 questionnaires envoyés, nous avons reçu 1 459 réponses ; soit un taux de réponse de 60,8% tout à fait extraordinaire pour ce type d’enquête. — 2. A ce très fort taux de réponse, il convient d’ajouter qu’il n’y a ni sur-représentation, ni sous-représentation géographiques des répondants. Le poids des régionales dans le total des réponses est à peu de choses près identique à ce qu’il est dans la réalité. Poids des régionales dans les réponses au questionnaire et dans la réalité Régionales Arlon-Marche-Bastogne Charleroi Huy-Waremme Namur Soignies Brabant wallon Dinant-Philippeville Liège Neufchâteau-Virton Thuin Bruxelles Eupen Mons Picardie Verviers Enquête 4,0 4,1 4,9 9,1 4,4 15,9 4,4 12,9 2,2 3,1 15,2 1,4 5,2 5,9 7,2 total des adhérents 3,7 3,9 5,3 9,4 4,2 16,2 4,3 10,9 1,4 2,8 16,8 2,2 5,3 6,7 7,0 Bien sûr, des distorsions sont envisageables à d’autres niveaux bien connus des sondeurs : capital scolaire et culturel ou statut socio-économique. Mais les croisements effectués et l’ampleur du taux de réponse nous autorisent à penser que ces éventuelles distorsions seraient statistiquement peu significatives. — 3. Pour la présentation des résultats, nous avons systématiquement reproduit les résultats «bruts», c’est-à-dire en tenant compte des «sans réponse» sauf lorsque le total des «sans réponse» était induit par une question précédente, et les résultats nets — sans les «sans réponse.» Dans les tableaux, la lettre N fait référence au nombre de réponses sur la base desquelles sont calculés les pourcentages. Répartition hommes-femmes 193 La répartition entre hommes et femmes parmi les membres d’Ecolo laisse apparaître une situation assez peu dissemblable des autres grands partis politiques. Seul, un tiers (33,4%) des adhérents sont des femmes. Ce qui situe Ecolo dans une fourchette moyenne par rapport à d’autres partis en Belgique. Allan Ware évoque les chiffres de 33% pour le PRL, 43% pour le PSC, 30% pour le VLD et 30% pour la Volksunie.82 Sexe des adhérents (en %) Sans réponse Homme Femme 1,8 65,5 32,8 N=1459 66,6 33,4 N=1433 Dans quelle mesure peut-on observer une diminution croissante des femmes aux postes de responsabilités ? En ce qui concerne les mandats internes à Ecolo, on note certes une surreprésentation des hommes (74,7%) et de manière corollaire une sous-représentation des femmes (25,3%), mais celle-ci est nettement moins significative que dans d’autres organisations. Pour les mandats politiques, notons d’abord une faible surreprésentation des femmes parmi les adhérents qui n’ont pas de mandat politique (34,9% de femmes pour 65,1% d’hommes). Mais parmi les niveaux de mandat politique, il existe des différences. Ainsi, le pourcentage des hommes pour les mandats de conseiller de CPAS, de conseiller communal et de conseiller provincial est-il supérieur à la proportion d’hommes dans le parti, de l’ordre de 5 à 7%. Par contre, pour les députés régionaux bruxellois, remarquons que le pourcentage de femmes est supérieur à leur proportion dans le parti de 9,5% et que pour cette importante catégorie de mandats, Ecolo n’est pas très éloigné d’une représentation paritaire. Pour les parlementaires fédéraux, régionaux wallons et européen, il n’en est rien. Il n’y a aucune femme. Cette distorsion importante entre les conseillers régionaux bruxellois et les parlementaires fédéraux, wallons et européen s’explique par plusieurs raisons. D’abord en raison du scrutin. L’élection régionale bruxelloise est la seule à un niveau supra-communal où une seule circonscription pourvoit tant de sièges (75), ce qui permet une représentation facilitée des femmes. On observe d’ailleurs le même phénomène dans d’autres partis. Pour les élections 82 A. WARE, Political Parties and Party Systems, Oxford University Press, 1996, p. 82. 194 fédérales — et maintenant régionales wallonnes —, Ecolo ne peut espérer décrocher qu’un ou deux élus par arrondissement, ce qui rend beaucoup plus complexe l’élection de femmes. En mai 1995, Martine Dardenne a été élue parlementaire fédérale (sénatrice), Nicole Maréchal, députée régional wallon et Martine Schüttringer, députée fédérale. Au surplus, il n’est pas toujours possible pour les régionales petites ou moyennes, de trouver des candidates qui accepteraient de siéger. Certaines interventions à l’assemblée générale de Louvain-La-Neuve, en janvier 1996, dans le débat sur la démocratie paritaire ont rappelé cet état de fait. Répartition différenciée pour les mandats internes (en %) Conseiller CPAS Conseiller communal Conseiller provincial Député régional bruxellois Parlementaire fédéral ou européen Hommes 70,3 72,8 72,9 57,1 100 Femmes 29,7 27,2 27,1 42,9 0 Un parti de «diplômés» Le niveau d’études des membres d’Ecolo atteste d’une très nette sur-représentation des personnes ayant obtenu un diplôme d’enseignement supérieur ; qu’il soit de niveau universitaire (35,3%) ou non-universitaire (34,8%). 70,6% des membres d’Ecolo possèdent ainsi un diplôme d’études supérieur ! Dernier diplôme obtenu (En %) Sans réponse Primaire Secondaire inférieur Secondaire supérieur Supérieur non universitaire Supérieur universitaire 0,5 2,9 9,5 17,5 34,6 35,1 N=1459 2,9 9,5 17,6 34,8 35,3 N=1452 195 Les individus n’ayant terminé «que» leurs études primaires sont presque marginaux. Et ceux ne possédant «que» le diplôme d’études secondaires inférieures ne représentent que 9,5% du total. Dans ce tableau, il existe des disparitions régionales. Ainsi, la fréquentation de l’enseignement supérieur atteint 82,6% pour les membres de la régionale de Bruxelles. La moitié y a accompli des études universitaires. A contrario, dans la régionale de Neufchâteau-Virton, «seuls» 13,3% des adhérents ont réalisé des études universitaires. Disparités régionales Supérieur universitaire Bruxelles Namur Thuin Brabant wallon Mons Liège Dinant-Philippeville Huy-Waremme Eupen Verviers Soignies Picardie Charleroi Arlon-Marche-Bastogne Neufchâteau-Virton 0 10 20 30 40 50 60 Dans la régionale de Picardie, un adhérent sur deux a effectué des études supérieures non universitaires ; total auquel il faut ajouter 22,8% d’universitaires. Remarquons que les chiffres de diplômés supérieurs sont très élevés pour les trois régionales les plus nombreuses : Bruxelles (82,6%), le Brabant wallon (75,8%), Liège (70,8%). 196 Disparités régionales Supérieur nonuniversitaire Picardie Neufchâteau-Virton Arlon-Marche-Bastogne Verviers Mons Liège Brabant wallon Charleroi Thuin Bruxelles Huy-Waremme Dinant-Philippeville Soignies Namur Eupen 0 10 20 30 40 50 60 Comme nous l’avons annoncé, il faut sans doute corriger quelque peu ces chiffres. Par expérience, on sait que moins le diplôme est élevé plus la propension à ne pas répondre à ce type de questionnaire est grande. Il est donc possible que les «moins» diplômés soient plus nombreux parmi les adhérents qui n’ont pas répondu. Il n’en demeure pas moins que le niveau scolaire atteint par les membres d’Ecolo est impressionnant. L’«image» d’un parti d’intellectuels et de diplômés se confirme sans aucun doute possible. Un parti de jeunes ? Par contre, l’examen de l’âge des adhérents doit conduire à tempérer ou relativiser la perception qui veut qu’Ecolo soit un parti de jeunes. On ne relève en effet que 6,5% de membres qui ont moins de trente ans. Et si on élargit la fourchette aux moins de 35 ans, on n’est jamais «qu’à» 17,2% des effectifs. En comparaison avec d’autres partis, cette proportion reste élevée voire très élevée.83 Mais elle semble en deçà de la situation qui prévalait au 83 Pour le parti socialiste, voir P. DELWIT, «Le pragmatisme du socialisme belge», in M. LAZAR (sous la direction de), La gauche en 197 milieu des années quatre-vingts. Dans leur courrier hebdomadaire du CRISP en 1984, Jean Moden et Philippe Mahoux avaient dégagé une conclusion nuancée pour les premières années d'existence d'Ecolo : «Si l'on procède à des classifications en fonction de l'âge, il en ressort que, sur plus de 300 personnes à propos desquelles le renseignement a pu être obtenu, la grande majorité (72%) se situe dans la tranche 30-40 ans. A cet égard Ecolo apparaît comme un parti de jeunes.»84 A travers cette observation, relevons que la «vague» d’adhésions qu’Ecolo a connue dans les années nonante (voir supra) a concerné des personnes qui n’étaient pas au sortir de leur adolescence. Pour les verts, ce n’est pas spécialement une mauvaise nouvelle. Nous avons pointé les difficultés qu’ils ont subies avec l’instabilité de certains de leurs mandataires communaux. Les déménagements sont plus fréquents parmi les jeunes ; de même que les engagements politiques sont tendanciellement plus éphémères. Les classes d’âge les mieux représentées sont les 30 à 39 ans et les 40 à 49 ans. Elles constituent respectivement 31,1% et 35,7% du total. Pour leur part, les adhérents âgés de 60 ans et plus représentent 11,4%. Ecolo agrège donc essentiellement des adhérents actifs professionnellement. Ce que confirme d’ailleurs, leur statut socio-professionnel (voir infra). Age des adhérents (en %) Sans réponse 1,6 15-19 ans 0,3 0,3 20-24 ans 1,3 1,3 25-29 ans 4,8 4,9 30-34 ans 10,5 10,7 35-39 ans 20,1 20,4 40-44 ans 19,4 19,7 45-49 ans 15,7 16,0 50-54 ans 8,7 8,8 55-59 ans 6,4 6,5 60-64 ans 4,1 4,2 65-69 ans 3,4 3,4 70 ans et plus 3,7 3,8 N=1459 N=1435 Europe depuis 1945. Invariants et mutations des partis socialistes, PUF, 1996, pp. 215 et suivantes. 84 P. MAHOUX et J. MODEN, op. cit., p. 31. 198 Il est aussi significatif de remarquer qu’il n’existe pas de différences fondamentales dans les strates d’âges entre les adhérents et les adhérentes. Si la proportion de femmes est plus importante parmi les 30-34 ans (11,3% contre 10,3%) et les 35-39 ans (22,2% contre 19,2%), il en va autrement pour les 25-29 ans (4,1% contre 5,1%) et les 40-44 ans (18,1% contre 20,8%). Mais ces disparités ne sont pas très importantes. Courbe de l’âge des adhérents chez les hommes et chez les femmes Femmes Hommes 25 20 15 10 5 70 ans et plus 65-69 ans 60-64 ans 55-59 ans 50-54 ans 45-49 ans 40-44 ans 35-39 ans 30-34 ans 25-29 ans 20-24 ans 15-19 ans 0 Notons certaines inclinations à l’échelle des quatre fédérations les plus importantes. Ainsi si l’on recense 10% de moins de 30 ans à Bruxelles et 9,5% à Namur, ils ne sont que 4,7% dans le Brabant wallon et 4,1% à Liège. La catégorie des 30-34 ans est la mieux représentée à Namur (20,5%) devant Bruxelles (12,1%), le Brabant wallon (10,1%) et Liège 8,9%. En revanche, la régionale liégeoise arrive en tête pour les 35-39 ans (25,3%) devant le Brabant wallon (21,8%), Bruxelles (18,8%) et Namur (16,7%). Au sein des 40-44 ans, la régionale bruxelloise (23,2%) devance les régionales liégeoise (16,9%), namuroise (16,7%) et du Brabant wallon (13,8%). 199 Pyramide des âges dans les quatre principales régionales 70 ans et plus 65-69 ans 60-64 ans 55-59 ans 50-54 ans 45-49 ans Brabant wallon 40-44 ans Namur 35-39 ans 30-34 ans 25-29 ans 20-24 ans 15-19 ans 0 5 10 15 20 25 70 ans et plus 65-69 ans 60-64 ans 55-59 ans 50-54 ans Liège 45-49 ans Bruxelles 40-44 ans 35-39 ans 30-34 ans 25-29 ans 20-24 ans 15-19 ans 0 5 10 15 20 25 30 La nationalité Ecolo est un parti de Belges. 98,1% de ses membres ont la nationalité belge. Cette remarque pourrait sembler triviale pour l’étude d’un parti en... Belgique. En vérité, elle ne l’est pas du tout. La Belgique a une population immigrée d’origine européenne et extra-européenne significative. De plus, les prises de position du parti sur les questions de l’immigration le situent comme la plus formation la plus audacieuse et la plus «ouverte» en matière 200 d’intégration des immigrés. Rappelons, par exemple, qu’Ecolo est favorable au droit de vote et d’éligibilité aux élections communales pour les étrangers résidant depuis cinq ans en Belgique. En outre, Ecolo n’a pas hésité à placer sur ses listes bruxelloises, aux élections communales et régionales, des Belges d’origine étrangère, dont plusieurs ont été élus. Nationalité des adhérents (en %) Belge Français Allemand Italien Espagnol Autre 98,1 0,9 0,3 0,1 0,1 0,3 N=1457 L’absence d’étrangers est particulièrement marquante dans les grandes villes et pose la question de la nature du travail local dans celles-ci. Surtout à l’aune du poids électoral non négligeable des enfants issus de l’immigration. Soulignons par ailleurs que les adhérents dont le père n’est pas Belge sont également très peu nombreux au sein d’Ecolo. 91,2 % ont un père de nationalité belge, 2,5% de nationalité française et seulement 1,4% des membres ont un père de nationalité italienne, 0,4% de nationalité espagnole et 0,3% de nationalité marocaine. Nationalité du père (en %) Sans réponse Belge Français Allemand Italien Espagnol Marocain Autre 0,5 91,6 2,5 0,5 1,4 0,4 0,3 2,8 N=1459 92,1 2,5 0,5 1,4 0,4 0,3 2,8 N=1451 A Bruxelles, la faible pénétration parmi les immigrés d’origine maghrébine ou parmi les Belges dans la deuxième génération peut partiellement s’expliquer par une implication politique faible de cette immigration. Plus significative nous semble être l’insigne présence d’Italiens ou de Belges de parents italiens notamment dans les régionales de Soignies, de Charleroi et de Mons, localités 201 dans lesquelles la «communauté italienne» pourcentage important de la population. représente un Nationalité des adhérents pour cinq régionales (en %) Charleroi Soignies Mons Bruxelles Liège Belge Français Italien Espagnol 98,3 1,7 96,8 1,6 97,3 1,4 1,4 97,7 1,4 98,9 0,6 Marocain Autre 1,6 0,9 0,6 Nationalité du père des adhérents pour cinq régionales (en %) Belge Charleroi Soignies Mons Bruxelles Liège 93,1 85,5 95,6 90,6 89,5 Français Italien Espagnol Marocain Autre 3,4 1,7 1,8 4,8 3,2 1,6 4,9 1,5 1,5 1,5 3,8 0,9 1,9 2,8 0,6 4,4 0,6 4,9 Pour expliquer cette situation, il faut tenir compte de plusieurs éléments. — Les critères qui caractérisent sociologiquement la grande majorité des membres d’Ecolo correspondent peu aux groupes sociaux auxquels appartiennent la majorité des membres de l’immigration maghrébine ou issue de celle-ci. Le niveau d’étude est à cet égard symptomatique. — Il est vraisemblable qu’une partie de l’immigration — notamment d’origine italienne et espagnole — est, pour différentes raisons, restée très liée aux organisations de la «pilarisation» de la société belge, soit au «monde socialiste», soit au «monde chrétien.» Au demeurant les associations et partis d’encadrement de la «communauté italienne» ont leur correspondant au niveau des piliers belges. — La faible implantation au sein des Italiens de Belgique ou des enfants de l’immigration italienne corrobore aussi l’implantation déficiente d’Ecolo, en termes d’adhérents, et sa consolidation très difficile dans le Hainaut (voir supra), surtout dans l’axe CharleroiMons. Un clivage traversé L’influence catholique ou chrétienne au sein d’Ecolo est indéniablement un des stéréotypes les plus prégnants en Belgique. 202 En particulier dans les milieux laïques. Encore faut-il pouvoir le vérifier et étudier l’ampleur du phénomène ; ce qui, jusqu’à présent, tenait plus de l’impressionnisme que de l’analyse. De plus, l’influence catholique dans Ecolo peut recouvrir des réalités très différentes. Il est évidemment impossible d’appréhender cette problématique par une seule question tant l’appartenance éventuelle au monde chrétien peut recouvrir des significations diverses. Il peut en effet s’agir de convictions philosophiques personnelles (croyant/non croyant), d’une pratique religieuse plus ou moins importante, d’éléments d’histoire individuelle (fréquentation de l’enseignement confessionnel, par exemple), de positions actuelles des personnes (fréquentation des différents réseaux par les enfants des membres), etc. Qu’en est-il donc ? 55,2% des adhérents se définissent comme «croyant», 41,1% comme «non-croyant» tandis que 3,8% des membres n’ont pas répondu à cette question. En chiffres nets, on trouve donc un rapport croyants-non croyants de 57,3%-42,7%. Croyance des membres d’Ecolo (en %) Sans réponse Oui Non 3,8 55,2 41,1 N=1459 57,3 42,7 N=1404 Parmi les croyants, la religion catholique est hégémonique : 93,2% sont catholiques, 1,6% sont protestants, 0,3% sont musulmans et 0,3% sont israélites. 4,6% déclarent appartenir à une «religion.» Religion parmi les croyants (en %) Catholique Protestant Musulman Israélites Autre 93,2 1,6 0,3 0,3 4,6 N=754 Il existe de grandes disparités régionales dans le rapport croyants-non croyants. Au rang des régionales qui comptent le plus grand nombre de croyants figurent dans les deux entités de la province du Luxembourg, les régionales de Neufchâteau-Virton (77,4%) et d’Arlon-Marche-Bastogne (77,4%), suivies par les 203 régionales de Picardie (68,3%) et de Verviers (65,3%). Parmi les régionales les plus agnostiques, la régionale de Bruxelles arrive en tête. Elle est la seule à comporter une minorité de croyants (43,8%). Liège n’est pas loin de la parité (52,6%), de même que Huy-Waremme (53,7%) et Charleroi (54,6%). Croyants-non-croyants dans les régionales 100 90 80 70 60 Non 50 Oui 40 30 20 10 Bruxelles Liège Huy-Waremme Charleroi Brabant wallon Dinant-Philippeville Mons Namur Eupen Thuin Soignies Verviers Picardie Arlon-MarcheBastogne Neufchâteau-Virton 0 La notion de «croyant» étant particulièrement floue, nous avons essayé de la préciser. De fortes nuances existent entre les membres qui se définissent comme croyant. En particulier dans le degré de pratique : si 16,5% des croyants vont à la messe85 au moins une fois par semaine et 10,5% au moins une fois par mois, il faut aussi souligner que 12% n’y vont jamais et 28,4% exceptionnellement. En vérité, la catégorie la plus représentée est constituée des membres se rendant dans leur lieu de culte 85 Exceptionnellement, il peut s’agir du temps, de la mosquée ou de la synagogue. 204 occasionnellement : 32,6%. Il n’y a pas d’unicité parmi les croyants. En tout état de cause, les pratiquants réguliers sont très minoritaires (27%). Degré de pratique parmi les croyants (en %)86 Au moins une fois par semaine Au moins une fois par mois Occasionnellement Exceptionnellement Jamais 16,5 10,5 32,6 28,4 12 N=944 A ce niveau aussi, la diversité dans les régionales prévaut fortement. C’est parmi les croyants Ecolo de Picardie (29%), de Dinant-Philippeville (28,9%), d’Arlon-Marche-Bastogne (22,2%) et de Liège (20,8%) que se situent les scores les plus importants dans la pratique la plus forte (au moins une fois par semaine). Inversement, les degrés de pratique les plus faibles (exceptionnellement et jamais) parmi les croyants se situent dans les régionales de Bruxelles (53,8%), de Neufchâteau-Virton (52,6%), de Huy-Waremme (48,9%) et de Namur (42,3%). Degrés de pratique différenciés (En %) Neufchâteau-Virton Arlon-Marche-Bastogne Thuin Picardie Verviers Soignies Eupen Namur Mons Dinant-Philippeville Brabant wallon Charleroi Huy-Waremme Liège Bruxelles 86 Au moins une fois par semaine 5,3 22,2 11,1 29,0 24,0 11,6 13,3 14,6 28,9 8,4 13,9 2,2 20,8 19,7 Au moins une fois par mois 5,3 8,9 3,7 9,7 13,3 9,3 20,0 6,0 8,3 9,1 13,3 5,6 15,6 12,3 9,4 Occasionnellement 36,8 31,1 51,9 38,7 24,0 46,5 46,7 38,5 35,4 21,2 39,2 38,9 33,3 29,3 17,1 Exceptionnellement 42,1 24,4 22,2 14,5 26,7 23,3 13,3 30,1 33,3 30,8 28,0 36,1 31,1 28,3 37,6 Le nombre de répondants est supérieur à celui de ceux qui se sont affirmés «croyant.» Il y a donc vraisemblablement une petite surreprésentation des «occasionnellement», «exceptionnellement» et «jamais.» Jamais 10,5 13,3 11,1 8,1 12,0 9,3 20,0 12,1 8,3 9,6 11,2 5,6 17,8 9,4 16,2 205 Il convient d’ailleurs de noter les différences sensibles de position sur les grandes questions de société entre les pratiquants réguliers et les non-pratiquants parmi les croyants. Disparités qui atténuent voire gomment le clivage croyants/non croyants sur ces problématiques. Pour lutter contre le Sida, il faut distribuer des préservatifs dans les écoles (en %) Non croyants Au moins une fois par semaine Au moins une fois par mois Occasionnellement Exceptionnellement Jamais Tout à fait Plutôt Plutôt Tout à fait Je ne sais contre pas d’accord d'accord contre 41,6 38,0 8,6 3,3 8,4 12,9 23,7 29,0 33,3 34,9 26,5 37,1 34,7 41,3 43,2 35,5 22,7 22,7 14,0 8,3 18,7 13,4 6,0 5,3 1,8 6,5 3,1 7,7 6,1 11,8 Il faut interdire l’avortement (en %) Non croyants Au moins une fois par semaine Au moins une fois par mois Occasionnellement Exceptionnellement Jamais Tout à fait Plutôt Plutôt Tout à fait Je ne sais d’accord d'accord contre contre pas 0,4 1,4 14,6 81,7 2,0 11,8 5,2 3,9 3,1 3,6 28,9 15,6 8,2 4,2 3,6 29,5 29,9 31,5 25,6 17,9 25,2 38,7 51,5 64,5 73,2 4,5 10,4 4,9 2,7 1,8 Pour avoir des enfants, il faut se marier (en %) Non croyants Au moins une fois par semaine Au moins une fois par mois Occasionnellement Exceptionnellement Jamais Tout à fait Plutôt Plutôt Tout à fait Je ne sais d’accord d'accord contre contre pas 2,6 14,5 23,9 50,1 8,9 27,0 11,3 8,0 6,2 3,6 43,4 41,2 31,1 26,5 18,8 12,5 22,7 27,8 19,6 17,0 11,2 15,5 21,4 37,3 50,0 En Belgique, la fréquentation des réseaux d’enseignement est rarement le fruit du hasard. Dans ce cadre, il était intéressant d’examiner quel(s) réseau(x) d’enseignement ont fréquenté(s) les 5,8 9,3 11,7 10,4 10,7 206 membres afin de mieux cerner les choix familiaux et le monde «philosophique» dont les adhérents sont issus. Constatons que 48,9% des membres d’Ecolo ont fréquenté l’enseignement libre confessionnel alors que 37,4% sont issus de l’enseignement officiel. Enfin, 11% ont fréquenté plusieurs réseaux. Fréquentation des réseaux d’enseignement (en %) Sans réponse Officiel Libre confessionnel Libre non confessionnel Plusieurs réseaux 1,7 36,7 48,9 1,9 10,8 N=1459 37,4 49,9 2,0 11,0 N=1434 Il est particulièrement stimulant de mettre en parallèle ces chiffres avec ceux des réseaux scolaires fréquentés par les enfants des membres. Précisons d’emblée que 81,1% des adhérents ont des enfants. Que donne la comparaison ? Observons que parmi les enfants, la fréquentation de l’enseignement officiel est majoritaire : 43,6%. Notons aussi une pratique plus forte dans le changement de réseaux : 18,1%. On remarque en parallèle une diminution significative du pourcentage de fréquentation du libre confessionnel : 34,5%. Fréquentation des réseaux d’enseignement par les enfants des adhérents (en %) Officiel Libre confessionnel Libre non confessionnel Plusieurs réseaux 43,6 34,5 3,7 18,1 N=1124 Si l’on croise le(s) réseau(x) qu’ont fréquentés les parents et celui des enfants, on remarque qu’une grande majorité des adhérents ayant été à l’école officielle envoie leurs enfants dans l’enseignement officiel : 65% pour 18,3% au libre confessionnel, 3% au libre non confessionnel et 13,7% de fréquentation de plusieurs réseaux. Les transferts sont plus importants pour les parents ayant été dans des établissements du réseau libre confessionnel. En effet, moins de la moitié des enfants côtoient le même réseau (48,2%), tandis que 31,9% se rendent dans l’enseignement officiel, 3,2% dans le libre non confessionnel et 16,8% dans plusieurs réseaux. Il y a donc un détachement culturel par rapport à la mouvance chrétienne dans le domaine le plus sensible du clivage laïque/catholique : l’enseignement et le monde de la formation. 207 Croisement des réseaux d’enseignement fréquentés par les membres et par leurs enfants (en %) Parents/enfants LibreLibre non Plusieurs confessionnel confessionnel réseaux Officiel Officiel 65,2 18,3 3,0 13,7 Libre confessionnel 31,9 Libre non confessionnel 16,7 48,2 3,2 16,8 22,2 50,0 11,1 Plusieurs réseaux 26,8 26,8 1,9 44,6 D’autres critères enrichissent et complètent ce panorama. Ainsi, très peu de membres (voir infra) lisent régulièrement La Libre Belgique, le quotidien du «monde catholique» traditionnel. De même, constatons qu’au sein des membres qui ont précédemment appartenu à un autre parti, les anciens membres du PS sont plus nombreux que ceux qui ont transité par le PSC (voir infra) même si évidemment il faut nuancer ce critères compte tenu des effectifs et du poids proportionnellement beaucoup plus importants du parti socialiste dans la Communauté française. Notons aussi la sur-représentation parmi, les syndiqués d’Ecolo, de la CSC par rapport aux membres de la FGTB, pourtant nettement majoritaire en Communauté française. Enfin, nous avons testé l’hypothèse d’une laïcisation plus marquée dans les nouvelles générations d’adhérents à Ecolo. A travers deux variables, on peut relever la complexité des positions en la matière. En effet, si l’on s’en tient à l’élément «croyance», l’hypothèse de la laïcisation est totalement infirmée pour les nouvelles générations de membres dans la mesure où pour les adhérents des années 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994, la proportion de croyants est chaque fois supérieure à la moyenne de l’ensemble des membres d’Ecolo (57,3%). Générations d’adhérents et croyances (en %) Oui 1969-79 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 Non 46,2 67,9 52,1 54,2 67,5 60,6 60,0 52,5 48,3 56,3 58,5 53,8 32,1 47,9 45,8 32,5 39,4 40,0 47,5 51,7 43,7 41,5 208 1990 1991 1992 1993 1994 49,5 59,5 60,9 56,2 60,7 50,5 40,5 30,1 33,8 39,3 Toutefois, cette première constatation est nuancée par une autre variable. Si l’on examine le réseau d’enseignement fréquenté par les enfants des membres, on note que pour les années 1992, 1993 et 1994, la proportion d’enfants dans l’enseignement officiel est supérieure à la moyenne des adhérents (43,6%). S’il n’y a donc pas une laïcisation générationnelle dans les adhésions, on peut avancer l’hypothèse d’un détachement plus fort à l’égard d’une des composantes culturelles déterminantes du clivage laïquescatholiques : celle de l’enseignement et de la formation. Ce qui est fondamental dans le positionnement sociétal des individus. Génération d’adhérents et fréquentation des réseaux d’enseignement des enfants (en %) 1969-79 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 Libre non Plusieurs Libre Officiel confessionnel confessionnel réseaux 37,5 29,2 4,2 29,2 45,6 38,0 1,3 15,2 43,3 29,9 4,5 22,4 41,2 29,4 4,7 24,7 44,4 37,0 3,7 14,8 38,2 41,2 5,9 14,7 40,0 40,0 0,0 20,0 48,6 31,4 5,7 14,3 42,2 42,2 2,2 13,3 41,0 42,2 2,4 14,5 57,7 21,2 7,7 13,5 38,6 41,0 3,6 16,9 39,8 38,7 3,2 18,3 43,9 34,6 5,6 15,9 56,2 21,9 2,9 19,1 44,8 31,2 4,0 20,0 Que conclure ? — Si l’importance des membres originaires, à un titre ou l’autre, de la famille chrétienne forme une réalité difficilement contestable au sein d’Ecolo, il n’en demeure pas moins qu’Ecolo ne peut se résumer à cette réalité. Il transcende la division philosophique et donc les piliers traditionnels de la vie politique belge. Sur cette question, il s’agit d’un parti transversal. 209 — S’il y a une influence évidente de personnes issues du monde chrétien, il importe de relever que nombre d’entre elles se trouvent souvent en rupture claire avec celui-ci ; soit au niveau des valeurs philosophiques, soit à celui du monde social et culturel fréquenté. — Il ne faut donc ni sous-estimer ni exagérer le poids catholique parmi les verts. — D’autres sensibilités philosophiques existent par ailleurs dans Ecolo. Une petite centaine d’adhérents sont membres d’une association laïque ou de libre-pensée, ce qui n’est pas négligeable. — Enfin, comme le montrent les résultats sur les générations d’adhérents, ces influences diverses et ces provenances multiples se croisent et s’entremêlent souvent de façon complexe et contradictoire. Une présence importante dans le secteur non-marchand Les professions des adhérents d’Ecolo fournissent également de précieux renseignements. Notons d’abord que le parti comporte en son sein 78,7% d’actifs pour 21,3 d’inactifs. Parmi les actifs, les employés forment la catégorie la plus nombreuse : 26,4%. Mais il importe surtout de relever l’ampleur considérable des enseignants du primaire et du secondaire qui représentent pas moins de 22,2% des adhérents actifs d’Ecolo. Ce total s’élève même à 26,8% si nous y ajoutons les professeurs et les chercheurs de l’enseignement supérieur. Plus d’un membre actif sur quatre est de la sorte professionnellement lié au monde de l’enseignement. A ces catégories du secteur non-marchand, il importe aussi d’additionner les travailleurs du monde de la santé (médical et paramédical) et du travail social, soit 10,9 % des membres. En revanche, on remarquera avec intérêt la relative faiblesse de la représentation des professions libérales (3,8%), des cadres moyens (1,9%) ou supérieurs (0,4%), de même que celle plus importante des commerçants (0,6%), des ouvriers (4,5%) et des agriculteurs (0,3%). 210 Professions des actifs (en %) Professions libérales Cadres moyens Cadres supérieurs Enseignement supérieur et recherche Enseignement primaire et secondaire Santé et travail social Employé Commerçant Ouvrier Agriculteur Militaire Fonctionnaire Indéterminé 3,8 1,9 0,4 4,8 22,2 10,9 26,4 0,6 4,5 0,3 0,2 13,9 0,4 N=1170 Il est aussi significatif de constater que parmi l’ensemble des membres d’Ecolo, seuls 5,4% sont chômeurs et 4% des femmes ou des hommes au foyer. Répartition professionnelle des hommes et des femmes Hommes Femmes Indéterminé Fonctionnaire Militaire Agriculteur Ouvrier Commerçant Employé Santé et travail social Enseignement primaire et secondaire Enseignement supérieur et recherche Cadres supérieurs Cadres moyens Professions libérales 0 5 10 15 20 25 30 211 La distinction professionnelle entre hommes et femmes est étonnamment peu marquante. Il y a certes une présence des hommes plus marquée au sein des professions libérales et des cadres moyens, cette différence est statistiquement peu représentative. La seule distorsion frappante concerne les travailleurs du secteur de la santé et du travail social dans lequel les femmes (18,4%) sont deux fois et demie plus nombreuses que les hommes (7,4%), ce qui n’est que le reflet d’une situation sociale. En revanche, le pourcentage des catégories parmi les inactifs est lui très différent chez les femmes et chez les hommes. Parmi les inactifs, les femmes au foyer (40,5%) sont dix fois plus nombreuses que les hommes au foyer (4,9%). On retrouve une reproduction sociologique classique de notre société. Rappelons cependant que la proportion d’hommes et de femmes au foyer est, dans l’absolu, faible. Statut des inactifs chez les hommes et chez les femmes (en %) Homme ou femme au foyer (Pré)pensionné Etudiant Chômeur Autre Hommes Femmes 4,9 40,5 51,9 32,3 7,7 0,8 28,7 19 6,6 9,9 La profession des parents fournis des informations utiles sur l’origine sociale et culturelle des adhérents Ecolo. A cet égard, on constate une diversité certaine. Aucune catégorie ne ressort particulièrement. 20,3% des adhérents actuels ont eu ou ont un père ouvrier, 15,3% un père employé, 13,6% un père commerçant, 13,4% un père cadre moyen, 11,1% un père fonctionnaire, 7,6% un père enseignant, 5,4% un père agriculteur et 2,1% un père cadre supérieur. La situation est plus typique pour la situation professionnelle des mères. Si on additionne les «sans réponse» signifiant sans doute dans la majorité des cas «femme au foyer» et les «femmes au foyer», on totalise 63,7% des réponses ! Les adhérents écologistes ont donc eu une enfance avec leur mère au foyer. Dans ce contexte, les autres catégories sont faiblement représentées : enseignantes, 8,0% ; employées, 7,5% et ouvrières, 3,5%. Remarquons toutefois que si l’on ramène ces chiffres au total des femmes ayant (eu) une profession, la place occupée par l’enseignement est très forte. 212 De ce rapide tour d’horizon, il ressort que si les milieux sociaux d’origine des membres Ecolo sont divers, ils se concentrent plutôt dans les classes moyennes. De même les milieux aisés comme les professions libérales (6,4% pour les pères et 0,7% pour les mères) et les cadres supérieurs (2,1% pour les pères et 0,1% pour les mères) sont peu représentés. Ce que gagnent et ce que lisent les adhérents Que gagnent les écologistes francophones chaque mois ?87 Ecolo se compose d’une très large franche de membres appartenant aux classes moyennes-supérieures en termes de ressources puisque 48,3% gagnent entre 50 000 et 100 000 francs net par mois et 4,2% entre 100 000 et 250 000 francs, alors que 38,8% perçoivent entre 25 000 et 50 000 francs et 8,5% moins de 25 000 francs. Le niveau des diplômes, la faible présence des jeunes de moins de trente ans ainsi que la sous-représentation des chômeurs expliquent sans doute ces chiffres. Remarquons néanmoins que malgré un pourcentage de non-actifs de 21,3%, plus de 52% des membres gagne plus de 50 000 francs par mois. En tout état de cause, il existe donc une sous-représentation des couches défavorisées, en termes de rétributions, de la population. Même si cette sous-représentation existe dans tous les partis. Gains nets par mois des membres d’Ecolo (en francs belges) Sans réponse Moins de 25 000 FB Entre 25 000 et 50 000 FB Entre 50 000 et 100 000 Entre 100 000 et 250 000 FB Plus de 250 000 FB 4,7 8,1 37,0 46,0 4,0 0,2 N=1459 8,5 38,8 48,3 4,2 0,2 N=1390 A cette échelle, on constate des aussi des différences régionales. 14,3% des membres de la régionale d’Arlon-Marche Bastogne, 12,3% de ceux de la régionale de Dinant-Philippeville et 11,1% de ceux de Charleroi gagnent moins de 25 000 francs par mois pour 5,8% des adhérents de la régionale de Liège et 6,7% de ceux de la régionale bruxelloise. En revanche, 62,5% des adhérents 87 Il est a remarqué mais cela ne constitue pas une surprise que le taux de non réponse à cette question atteint 5,7% ce qui est nettement plus élevé que pour les autres questions de ce type. 213 de la régionale de Soignies et 61,6% de ceux du Brabant wallon perçoivent plus de 50 000 francs par mois pour 31% des membres de la régionale de Neufchâteau-Virton et 40,8% de ceux de la régionale de Charleroi. Répartition différenciée des gains nets par mois (en %) - de 25 000 Neufchâteau-Virton Arlon-MarcheBastogne Entre 25 000 et 50 000 Entre 50 000 et 100 000 Entre 100 000 et 250 000 + de 250 000 6,9 62,1 31,0 0,0 0,0 14,3 28,6 50,0 7,1 0,0 Thuin 7,0 41,9 51,2 0,0 0,0 Picardie 7,4 37,0 50,6 4,9 0,0 Verviers 9,5 46,3 42,1 2,1 0,0 Soignies 8,9 28,6 58,9 3,6 0,0 Eupen 10,0 40,0 50,0 0,0 0,0 Namur 8,3 42,1 44,6 4,0 0,8 Mons 7,1 35,7 52,8 4,3 0,0 12,3 40,7 41,5 5,5 0,0 Dinant-Philippeville Brabant wallon 8,0 31,5 55,4 4,7 0,5 11,1 48,2 38,9 1,9 0,0 Huy-Waremme 8,4 37,9 51,7 1,9 0,0 Liège 5,8 43,4 46,8 4,1 0,0 Bruxelles 6,7 38,4 49,2 5,3 0,5 Charleroi Les membres d’Ecolo apparaissent comme des lecteurs quotidiens assidus d’au moins un journal belge puisque 80,6% d’entre eux déclarent lire «régulièrement» un journal. Dans les publications quotidiennes, Le Soir occupe une position hégémonique. Il est cité par 65,9% des adhérents. Vers l’avenir occupe la seconde place avec 5,2% devant La Libre Belgique (4,9%) et La Meuse (3,4%). Il n’est pas sans intérêt de relever les 3,5% obtenus par l’ancien hebdomadaire démocrate-chrétien La Cité compte tenu de son audience limitée. Premier journal cité parmi les lecteurs assidus de la presse belge (en %) Le Soir 65,9 Vers l'Avenir 5,2 La Libre Belgique 4,9 La Cité 3,5 La Meuse 3,4 Le Ligueur 1,9 Le Jour 1,5 Le Courrier de l'Escaut 1,2 Autres 12,5 N=1177 214 Une quantité non négligeable de membres lisent aussi habituellement un journal ou un périodique étrangers. Parmi ceuxci, le journal Le Monde arrive en tête avec (40%) suivi par Le Monde diplomatique (20,1%). Premier journal cité parmi les lecteurs assidus de la presse étrangère (en %) Le Monde Le Monde diplomatique Libération Le Nouvel observateur Le Canard enchaîné Time Magazine Autres 40,0 20,1 9,7 4,4 3,5 2,3 20,0 N=433 Des générations nouvelles La date d’adhésion des membres Ecolo est aussi riche en indications. Ecolo a connu un processus de renouvellement de ses membres puisque 33,5% de ses adhérents l’ont rejoint au cours des années 1992, 1993 et 1994. Les derniers succès électoraux, d’une part, et l’impact du mouvement des enseignants ainsi que l’importance générale donnée aux non marchands, d’autre part, expliquent sans doute ce mouvement. Il faut y ajouter l’intérêt accru d’Ecolo pour les problématiques sociales. Constatons aussi que 6,9% des répondants sont parties prenantes depuis l’origine (1980)88. 19,4% ont adhéré au mouvement pendant ses trois premières années d’existence. Les autres périodes sont nettement moins significatives. Surtout les années 1983 (2,4%), 1984 (2,9%) 1985 (3,6%) et 1986 (2,9%). Le total des adhérents pendant ces quatre années est moindre que celui des personnes ayant pris leur carte en 1994, année électorale il est vrai. 88 1,9% des membres se trompent manifestement sur leur année d’adhésion la situant avant 1980 ! Il faut sans doute en partie les additionner à ceux qui ont leur carte depuis 1980. 215 Année d’adhésion des adhérents d’Ecolo (en %) Sans réponse Avant 1980 1980 1981 1982 1983 1980 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 3,3 1,8 6,6 5,2 6,9 2,3 2,8 3,5 2,8 4,0 7,4 4,7 7,3 8,2 10,8 10,3 11,9 N=1459 1,9 6,9 5,4 7,1 2,4 2,9 3,6 2,9 4,1 7,7 4,9 7,5 8,5 11,2 10,7 12,3 N=1411 Nous pouvons donc émettre l’hypothèse de l’existence de deux générations au sein d’Ecolo. La première rassemblerait les fondateurs du mouvement. La deuxième agrégerait les membres plus récents, mais fatalement de plus en plus nombreux et, en général, plus mobilisés sur les questions sociales qu’environnementales. Il ne faut néanmoins pas avoir une vue rigide de ces deux groupes. Plusieurs personnes fondatrices du mouvement ont pu évoluer et s’ouvrir à d’autres problématiques. De même, des adhérents récents ont pu intégrer plus fortement l’importance des questions environnementales. La participation des membres Les taux de participation des membres aux diverses réunions d’Ecolo sont révélateurs d’une partie du fonctionnement du parti et de l’importance accordée par les membres aux divers échelons de pouvoir. C’est d’autant plus capital qu’Ecolo fonctionne sur les principes de la démocratie directe. Toutes les assemblées sont ouvertes, chacun peut y prendre la parole et y voter. Mais quelle proportion de membres profite réellement de ces possibilités ? 216 Participation différenciée aux assemblées régionales (en %) Très souvent Souvent Souvent De temps en temps Rarement Jamais 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Sans mandat Conseiller CPAS Conseiller communal Conseiller provincial Parlementaire fédéral ou européen Député régional Participation différenciée aux assemblées fédérales (en %) Très souvent Souvent Souvent De temps en temps Rarement Jamais 70 60 50 40 30 20 10 0 Sans mandat Conseiller CPAS Conseiller communal Conseiller provincial Parlementaire fédéral ou européen Député régional 217 — Les réunions des locales semblent relativement bien suivies puisque 60,3% des membres disent y participer «très souvent» ou «souvent» contre 28,7% qui n’y assistent que «rarement» ou «jamais.» — A l’échelon régional, la tendance s’inverse nettement. En effet, 56,2% admettent ne «jamais» aller ou «rarement» aux assemblées régionales contre 26,6% qui s’y déplacent «très souvent» (15,6%) ou «souvent» (11%). — En ce qui concerne les assemblées générales, ce n’est pas moins de 77,2% des adhérents qui répondent ne «jamais» ou «rarement» s’y rendre. Seuls 11,9% y vont «souvent» et 6,5% «très souvent.» Ces chiffres posent sans détour la question de l’effectivité de la démocratie directe au sein d’Ecolo. Non dans la forme mais dans les faits. Même si elles sont souvent politiquement essentielles, il est compréhensible que la participation aux assemblées générales soit souvent difficile. Elles mobilisent une voire deux journées pendant les week-end. Les déplacements occasionnés sont parfois longs et les problèmes pratiques (familiaux notamment) nombreux. En revanche, ces problèmes sont moins prégnants au niveau régional. Pourtant la participation y est très moyenne. Quelle est dès lors la représentativité des assemblées générale s’il n’y a pas de mécanisme de délégation des pouvoirs ? Compte tenu du nombre réduit d’adhérents à Ecolo, le total des participants à la plus haute instance du mouvement ne regroupe jamais, à Ecolo aussi, qu’une infime minorité des membres. Mentionnons néanmoins que pour les assemblées les plus fondamentales, la participation s’accroît. Ainsi à l’assemblée de La Louvière (octobre 1995), il y a eu environ 450 présents (un sixième des adhérents), tandis qu’à l’assemblée de Louvain-La-Neuve (janvier 1996), ils étaient environ 420. Cette évanescence de la participation aux assemblées régionales et générales doit, au surplus, être mise en perspective avec la détention ou non d’un mandat politique. En effet, si nous croisons les taux de participation avec cet élément, deux éléments marquants doivent être mis en exergue : — il existe une distinction forte dans les comportements selon que l’on détient ou non un mandat politique. Les premiers ne participent que peu aux assemblées régionales et qu’exceptionnellement aux assemblées générales. Dès lors que l’on possède un mandat politique, les taux de fréquentation des assemblées régionales et générales augmentent. 218 — Parmi les personnes ayant un mandat politique, on constate que le taux de participation aux assemblées régionales et fédérales augmente au fur et à mesure que s’élève l’importante du mandat : conseiller du CPAS, conseiller communal, conseiller provincial, conseiller régional bruxellois, parlementaire fédéral et européen. La participation relativement faible aux réunions politiquement les plus sensibles peut partiellement s’expliquer par le peu de temps qu’une moitié des membres d’Ecolo consacrent aux activités militantes : 45,8% d’entre eux vouent moins d’une heure par semaine à leurs activités militantes. A contrario, l’investissement des autres adhérents est éloquent : 28,7% passent entre une et trois heures par semaine à leurs activités militantes ; 12% entre trois et cinq heures, ce qui signifie déjà un engagement considérable. Mais que penser du dévouement des 7,9 % des adhérents qui passent entre cinq et dix heures hebdomadaires au militantisme et les 5,7% qui lui donnent plus de dix heures par semaine ? Temps hebdomadaire consacré à la militance (en %) Sans réponse Moins d'une heure Entre 1 et 3 heures Entre 3 et 5 heures Entre 5 et 10 heures Plus de 10 heures 5,8 43,1 27,1 11,3 7,4 5,3 N=1459 45,8 28,7 12 7,9 5,7 N=1375 Nous l'avons vu, la réduction du temps de travail est un des axes programmatiques fondamentaux d'Ecolo. A un double point de vue. Comme piste pour réduire sensiblement le chômage. Et comme mode de vie pour accroître ses possibilités dans la «sphère autonome», un des leitmotivs d'Ecolo : «Plus vaste sera cette sphère autonome, plus grande sera la part faite à des relations humaines qui échappent à la logique du marché comme à celles de l'Etat et peuvent donc être directement axées sur les valeurs d'usage, sur la satisfaction directe des besoins."89 Ce n'est donc pas le moindre des paradoxes de voir le temps de travail extrêmement important consacré par de nombreux militants, élus et 89 Ecolo, Déclaration de Peruwelz-Louvain-La-Neuve exprimant les principes fondamentaux du mouvement Ecolo rendue publique le 1er juillet 1985, 18 p., p. 12. 219 responsables d'Ecolo.90 Dans son livre sur la militance, Michel Tozzi souligne à plusieurs reprises les contradictions et les difficultés du militantisme. Trop de «travail» pour trop peu de personnes conduisant à l'effet pervers de l'hésitation à la participation aux activités. Course perpétuelle pour être à jour : «Le présent est vécu comme tâche et activité, jamais vide ou flânerie. Il y a toujours quelque chose à faire et un retard à rattraper, par exemple l'information qui s'accumule : il faut lutter quotidiennement pour être à jour, sinon il est difficile de remonter le courant. Le temps militant glisse entre les doigts.»91 Manque de temps pour prendre du recul, pour réfléchir, pour sa famille, pour ses amis,... Plusieurs interlocuteurs nous ont signalé cette tension récurrente. Etant donné la structure souple d’Ecolo, le nombre de permanents et d’élus influe peu sur ces chiffres. Bien sûr, comme le montre le tableau suivant, les mandataires politiques consacrent, proportionnellement, plus de temps à des activités militantes que les non-mandataires. Néanmoins, une moitié des adhérents sans mandat a une activité militante qui dépasse, en tout état de cause, une heure par semaine. Temps hebdomadaire différencié consacré à la militance (en %) Moins d'une heure Entre 1 et 3 heures Entre 3 et 5 Entre 5 et heures 10 heures Sans mandat 53,9 29,7 8,9 4,5 Conseiller CPAS Plus de 10 heures 3,0 21,6 35,1 27,0 16,2 0,0 Conseiller Communal 5,2 24,8 28,8 26,8 14,4 Conseiller provincial Député régional bruxellois 3,9 19,2 30,8 26,9 19,2 0,0 28,6 0,0 28,6 42,9 Parlementaire 0,0 0,0 11,8 5,9 82,4 La part des adhérents sans mandat par rapport à l’ensemble des mandataires politiques dans les cinq catégories proposées 90 La même constatation revient dans le cas français : «Souvent, je travaille la nuit. Il arrive que je me couche à minuit pour me relever à quatre heures afin de me mettre à jour dans mon travail de cordonnier. Ce n'est pas toujours facile» raconte ainsi un élu régional de Basse Normandie. D. BOY, V. J. LE SEIGNEUR, A. ROCHE, op. cit., p. 121. 91 M. TOZZI, Militer autrement, Chronique sociale-Vie ouvrière, 1985, 159 pages, p. 43. 220 montre pour une partie d’entre eux une implication significative, voire très forte. Temps consacré aux activités militantes pour les adhérents sans mandat et pour les mandataires Moins d'une Entre 1 et heure 3 heures Sans mandat Mandataires politiques Entre 3 et 5 heures Entre 5 et 10 heures Plus de 10 heures 97,3 85,3 61,2 47,2 43,6 2,7 14,7 38,8 52,8 56,4 Ecolo semble donc coupé en deux composantes assez égales. D’un côté, les membres qui s’y investissent très peu sinon pas du tout. De l’autre, les adhérents qui paraissent consacrer un temps parfois considérable pour le mouvement. Une affirmation forte Dans la culture politique des membres d’Ecolo, nous avons voulu éprouver la force de «l’attachement» à Ecolo sur le plan des valeurs et sur le plan du parti. Dans un premier temps, le rapport aux autres partis a été analysé sous différents angles. Combien de membres ont-ils appartenu à une autre formation politique ? Près d’un quart (23,5%) des adhérents actuels d’Ecolo ont précédemment transité par un autre parti. Parmi ces membres, plus de la moitié sont passés par le parti socialiste (29,3%) et le parti social-chrétien (22%). Seuls 5,5% ont un jour rejoint le PRL et 2,9% le FDF ce qui marque une claire sousreprésentation de ces deux partis. Par contre, les anciens membres du parti communiste (5,5%) et du Rassemblement wallon (6,7%) sont sur-représentés. Partis fréquentés par les membres ayant appartenu à une autre formation (en %) PS PSC PCB PRL FDF RW Autre 29,3 22,0 5,2 5,5 2,9 6,7 28,4 N=345 221 Nous avons aussi sondé les adhérents sur leur rapport aux autres formations d’un point de vue électoral à travers la question : «Pour quel parti voteraient-ils si Ecolo ne se présentait pas aux élections ?» Une première remarque s’impose d’évidence : si l’on additionne les «sans réponse» (24,8%) et les réponses «aucun» (19,9%), on relève que 44,7% des adhérents n’émettent aucun avis «positif» clair à cette question. Il est difficile d’imaginer et d’interpréter l’attitude des «sans réponse» le jour de l’élection. Soulignons qu’à tout le moins aucun parti ne s’impose d’évidence pour près d’un quart des membres Ecolo et que pour un cinquième d’entre eux, c’est Ecolo ou rien. On peut donc déceler un degré «d’adhésion» fort à Ecolo dans cette réponse. Dans les motivations de l’adhésion, nous avons aussi relevé le sentiment récurrent considérant qu’Ecolo incarnerait seul contre tous l’honnêteté, la probité,... (voir infra). La présence de cette culture politique pourrait avoir un impact sur les questions de participation éventuelle au pouvoir. En effet, la thématique du compromis est ici en cause.92 Une deuxième constatation s’impose : les partis de gauche sont crédités de scores qui dépassent — de très loin — leurs scores nationaux. C’est surtout vrai pour les formations se classant politiquement à la gauche du PS. A tel point qu’un nombre significatif de sondés ont répondu d’initiative «un parti de gauche mais pas le PS.» Alors que cette question était ouverte — le nom des partis n’était pas indiqué —, 9% des adhérents indiquent gauches unies, 2,1% le PTB, 3% un «parti de gauche» et 1,5% le parti communiste ; soit un total de 15,6%. Le PS recueille, quant à lui 19,3% et le PSC 10,8% seulement ce qui constitue un indicateur intéressant sur les relations actuelles entre les adhérents Ecolo et le représentant politique du pilier catholique. Pour sa part, le PRL n’obtient que 3,2% et le FDF 1,5%. Notons aussi l’évanescence de l’extrême-droite (0,7%). Afin d’affiner notre étude, nous avons aussi approché cette problématique à travers une question renversée : «Y-a-t-il (et lesquels) des partis pour le(s)quel(s) vous ne voteriez en aucune circonstance ?» 92 Question qu’avaient déjà soulevée Pierre Jonckheer et Michel Somville dans leur «audit» interne (voir supra). 222 La réponse positive est massive : 96,3%. Seuls 0,8% répondent «non» et 2,9% ne répondent pas. Quels sont dès lors les partis les plus et les moins cités ? Il est significatif de noter que 93,8% des adhérents Ecolo ne voteraient «en aucune circonstance» pour un parti d’extrême droite. Ce total combiné avec les éléments de la première question témoignent que si des expressions poujadistes sont décelables chez certains membres d’Ecolo, il n’y a aucune passerelle avec des formes d’expression de type protestataire qui pourrait déboucher sur un vote d’extrême droite. Le rejet du PRL est également confirmé. Mentionné par 64,3% des membres, le parti libéral apparaît aux antipodes des axes programmatiques d’Ecolo. La suspicion envers le PRL dépasse largement le score de l’extrême gauche : 48%. Un tiers (33,7%) des répondants ne voteraient jamais pour le PSC. Enfin, le parti socialiste est le moins souvent cité : 20,5%, ce qui donne certaines indications pour les personnes n’ayant pas répondu à la première question. La différence d’attitude politique envers le PS et le PSC montrent bien les nuances importantes à apporter sur l’influence catholique au sein d’Ecolo. Si, comme nous l’avons montré, de nombreux membres proviennent de la «nébuleuse catholique», de manière générale, l’ensemble des adhérents d’Ecolo se sent plus proche du PS que du PSC. Une autre conclusion peut être prudemment tirée de ces scores. Au-delà des discours et des positions officielles du parti sur l’absence de partenaires privilégiés, il existe bel et bien une plus grande proximité politique et idéologique — même résignée — avec le PS, le PSC ou certains autres mouvements appartenant clairement à la gauche qu’avec le PRL. La question est alors de savoir s’il est crédible de continuer à affirmer qu’il n’y a aucun interlocuteur préféré pour la formation hypothétique d’alliances aux niveaux fédéral, communautaire ou régionaux. De même on peut et on doit s’interroger sur le célèbre positionnement politique «ni à gauche, ni à droite» d’Ecolo. Nous avons déjà largement abordé la problématique et montré le rôle de consensus interne de ce (non)positionnement. Si le discours «certifié» présente ce clivage comme historiquement dépassé et incapable d’exprimer la situation et les enjeux contemporains, force est de remarquer qu’aux yeux des membres d’Ecolo, cette affirmation n’a pas force de loi. A ce sujet, les éléments mis en 223 exergue sur les rapports — électoraux — aux autres partis sont corroborés par le positionnement politique des membres. Nous avons en effet demandé aux adhérents de se situer politiquement et de faire de même pour Ecolo. Remarquons d’emblée qu’il n’y a que 2,4% de membres qui n’ont pas répondu. Ensuite, que seul un cinquième des membres (20,7%) reprend à son compte le mot d’ordre «ni à gauche, ni à droite.» En revanche, 54,4% se classent «à gauche» et 9,4% «très à gauche», soit un total de 63,8% de localisation à la gauche de l’échiquier politique. 13,8% se positionnent «au centre», attitude non assimilable à «ni gauche, ni droite.» Les totaux pour la droite sont marginaux : 1,3% des adhérents se situent «à droite» et 0,5% «très à droite.» Positionnement politique des membres d’Ecolo (en %) Sans réponse Très à gauche A gauche Au centre A droite Très à droite Ni à gauche, ni à droite 2,4 9,2 53,1 13,4 1,2 0,5 20,2 N=1459 9,4 54,4 13,8 1,3 0,5 20,7 N=1424 A l’image du profil sociologique, des sensibilités régionales prédominent manifestement. Les régionales de Thuin (30,9%), de Charleroi (25,5%), d’Eupen (25,0) et de Verviers (22,8%) rassemblent les proportions de membres qui se positionnent le plus sur la ligne du parti contre 14,1% dans la régionale de Mons et 15,2% à Bruxelles. En revanche, le positionnement «à gauche» et «très à gauche» rallie les proportions les plus nombreuses dans les régionales de Bruxelles (74,9%), d’Eupen (70%), de Charleroi (69,1%) contre 50% dans la régionale d’Arlon-Marche-Bastogne et 51,9% dans celle de Neufchâteau-Virton. 224 Positionnement politique différencié des membres d’Ecolo (en %) Très à gauche Neufchâteau-Virton Arlon-MarcheBastogne A gauche Au centre A droite Très à droite Ni à gauche, ni à droite 7,1 44,8 24,1 0,0 3,5 17,2 12,5 46,4 21,4 3,6 0,0 16,1 9,5 40,5 14,3 4,8 0,0 30,9 Picardie 10,6 56,5 11,8 1,2 0,0 20,0 Verviers 7,9 57,4 10,9 1,0 0,0 22,8 Soignies 4,9 62,3 14,8 6,6 0,0 11,5 Eupen 0,0 70,0 5,0 0,0 0,0 25,0 Namur 7,9 55,6 15,1 0,8 0,0 20,6 Thuin Mons 5,6 54,9 21,1 1,4 2,8 14,1 13,5 45,9 16,2 1,3 0,0 23,0 Brabant wallon 9,3 50,9 16,2 1,4 0,9 21,3 Charleroi 7,3 61,8 3,6 0,0 1,8 25,5 Dinant-Philippeville Huy-Waremme 7,4 54,4 16,2 1,5 0,0 20,6 Liège 13,0 51,4 10,7 0,0 0,0 24,9 Bruxelles 11,9 63,0 9,9 0,0 0,0 15,2 Positionnement politique différencié suivant le lieu d’habitat Très à gauche A gauche Au centre A droite Très à droite Ni à gauche, ni à droite Plus de 50.000 habitants Entre 30.000 et 50.000 habitants Entre 5000 et 30.000 habitants Entre 1000 et 5000 habitants Moins de 1000 habitants 0% 20% 40% 60% 80% 100% 225 Un des paramètres majeurs qui éclaircit les raisons de ces distorsions dans le positionnement politique dans les régionales est le lieu d’habitation. En effet, il est possible de relever un lien inversement proportionnel entre le positionnement à gauche et la taille de la commune de résidence. Tendanciellement, les membres habitant dans des communes rurales ou semi-urbaines se placent politiquement nettement moins à gauche et beaucoup plus sous l’étiquette «Ni à gauche, ni à droite.» En revanche, ceux qui habitent dans les grandes villes se situent tendanciellement largement plus à gauche et sensiblement moins sous l’expression «Ni à gauche, ni à droite.» On comprend dès lors les disparités régionales, sans que cette constatation recouvre la forme de «lois» immuables. Enfin, nous avons aussi, sur cette problématique, testé l’hypothèse d’évolutions générationnelles d’adhésion. Qu’en est-il ? Il nous semble difficile de déceler des dissemblances très marquantes. Observons néanmoins une sur-représentation du positionnement «au centre» pour les adhérents des années 1990 (22,1%), 1991 (19,8%), 1992 (13,6%), 1993 (14,1%) et 1994 (18,5%) et une sous-représentation pour le placement «Ni à gauche, ni à droite» pour ces mêmes années à l’exception de 1994. Mais, répétons-le, ces distorsions ne sont pas très significatives. On ne peut plaider de phénomène générationnel en termes d’adhésion dans le positionnement politique des membres d’Ecolo. Positionnement politique différencié suivant l’année d’adhésion (en %) Très à gauche 1969-79 A gauche Au centre A droite Très à droite Ni à gauche, ni à droite 11,1 48,1 18,5 0 0 18,5 1980 8,6 49,5 17,2 0 0 24,5 1981 8,3 55,6 6,9 0 0 29,1 1982 4,0 61,0 8,0 0 0 27,0 1983 14,7 47,1 5,9 0 0 32,4 1984 4,9 75,6 9,8 0 0 9,8 1985 5,9 56,9 9,8 0 1 25,5 1986 10,0 47,5 10,0 0 0 32,5 1987 14,0 63,2 5,3 0,0 0 17,5 1988 10,4 58,5 13,2 2,0 0 16,0 1989 11,8 54,4 11,8 1,5 0 20,6 1990 12,5 50,0 22,1 1,9 0 13,5 1991 10,3 55,2 19,8 1,7 0,1 12,1 1992 9,7 55,2 13,6 0,6 1,3 19,5 1993 8,1 54,4 14,1 4,0 1,3 18,1 1994 11,3 45,8 18,5 2,4 0 22,0 226 Les résultats du positionnement d’Ecolo par ses membres confirment les tendances lourdes sur l’autopositionnement. Seul un petit quart (24%) des adhérents classent Ecolo comme n’étant «ni à gauche, ni à droite», soit une progression de 3,3%, alors que 60,4% le situent «à gauche», 3% «très à gauche», 11,4% «au centre», 1% «à droite» et 0,2% «très à droite.» Il n’y a donc un écart sensible entre auto-positionnement et classement d’Ecolo qu’à un seul niveau : la catégorie «très à gauche» qui passe de 9,4% à 3% (6,4%). S’il est peu vraisemblable, comme l’a encore confirmé l’assemblée générale de Louvain-La-Neuve en janvier 1996, qu’Ecolo accepte d’être et de se classer à gauche, il faut s’interroger sur la pérennité de cet autopositionnement négatif (ni à gauche, ni à droite), sur la discordance — qui n’est peut-être pas ressentie fortement — entre ce qu’Ecolo affirme être (ou pour être exact ne pas être) et ce que ses membres prétendent être. L’affirmation forte des adhérents écologistes, de même que leur profil de gauche sont confirmés par leur positionnement envers une série de problématiques d’ordre socio-économique ou sociétal. Dans les réponses aux questions auxquelles ont été soumis les membres d’Ecolo, la conformité du positionnement des adhérents aux positions programmatiques est frappante. Qu’il s’agisse de combat contre la fraude fiscale, du refus de privatiser la sécurité sociale ou de l’importance des pouvoirs publics dans la vie économique et sociale, les verts affichent massivement des dispositions identiques à celles de leurs cadres et aux axes de leur parti. Réponse des adhérents Ecolo à douze propositions d’ordre économique et social (en %) Tout à Plutôt fait d'accord d'accord Il faut privatiser la sécurité sociale Plutôt contre Tout à fait contre Je ne sais pas 2,0 7,8 21,4 61,6 7,2 N=1437 Il faut restaurer la compétitivité des entreprises 12,9 45,1 21,7 7,8 12,5 N=1403 Il faut combattre la fraude fiscale 76,8 20,5 1,6 0,4 0,8 N=1445 Il faut diminuer le poids des syndicats 8,2 18,0 40,3 26,9 6,6 N=1419 Il faut réduire la durée du temps de travail 62,8 28,2 4,9 1,8 2,4 N=1444 Il faut augmenter la flexibilité du travail 40,2 34,2 16,4 5,8 3,3 N=1439 L'Etat doit taxer les grandes entreprises 40,1 39,3 8,8 1,7 10,1 N=1423 Le gouvernement doit privatiser les entreprises 3,6 11,5 40,3 38,5 6,2 N=1430 Il faut diminuer les écarts entre les revenus 57,6 34,6 4,3 0,9 2,6 N=1439 Il faut diminuer les cotisations patronales Chaque citoyen doit pouvoir choisir individuellement son degré de protection sociale 10,8 35,6 30,3 11,0 12,3 N=1428 8,1 18,5 34,8 32,5 6,1 N=1435 Au moins l'Etat intervient, au mieux se porte l'économie 3,9 15,2 39,6 27,7 13,7 N=1421 227 La même appréciation s’impose pour leurs attitudes envers les problèmes de société. Qu’il s’agisse de l’application de la peine de mort, de la place des femmes dans nos la vie sociale ou du droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections communales, les membres d’Ecolo sont massivement sur les positions du parti. Il y a indiscutablement large communion entre ce que pensent les adhérents et ce que propose le parti. On peut y déceler l’existence d’une véritable culture politique. Réponse des adhérents Ecolo à sept propositions qui concernent des questions de société (en %) Tout à fait Plutôt Plutôt d'accord d'accord contre La peine de mort devrait être rétablie Les étrangers résidant depuis cinq ans devraient avoir le droit de vote aux élections communales Il faut interdire l'avortement Le père et la mère d'un enfant devraient pouvoir se partager le congé de maternité Pour lutter contre l'insécurité, il faut beaucoup plus de policiers Pour combattre le sida, des préservatifs devraient être distribués régulièrement dans toutes les écoles Si on veut des enfants, il faut se marier Tout à fait contre Je ne sais pas 5,5 6,1 14,2 72,3 1,9 N=1450 71,3 17,6 5,7 3,8 1,6 N=1445 3,4 7,4 23,1 62,6 3,6 N=1436 60,6 30,5 4,0 3,0 1,9 N=1451 6,3 15,3 42,7 29,6 6,1 N=1435 32,7 37,0 16,4 6,5 7,5 N=1436 7,7 25,5 22,1 35,1 9,6 N=1417 Les membres d’Ecolo et les associations Les relations d’Ecolo avec les organisations syndicales et ses rapports au syndicalisme constituent également un sujet controversé. Il était dès lors original de l’approcher à travers la présence des verts dans les organisations syndicales. Constatons d’abord le taux de syndicalisation relativement faible des écologistes : 44,2% des adhérents sont syndicalisés. Il faut prendre ce chiffre avec prudence puisqu’il s’agit d’un pourcentage sur un total absolu et non sur un total de syndicalisables. Le taux de syndicalisation est donc en réalité plus élevé. Néanmoins la faible représentation des moins de 24 ans et des hommes et des femmes au foyer permet de conclure à une présence proportionnellement moindre des membres Ecolo dans les organisations syndicales que la moyenne. Relevons aussi, et cela permet d’enrichir à nouveau le débat sur le clivage laïc/croyant au sein d’Ecolo, que 52,8% des syndiqués sont à la CSC, 37% à la FGTB et 2,7% à la CGSLB. 228 Répartition par syndicat parmi les membres syndiqués et sur le total des membres (en %) CSC FGTB CGSLB Autre 52,8 37,0 2,7 7,5 N=629 22,8 16,0 1,2 3,2 N=1459 En ce qui concerne les centrales syndicales d’appartenance, il n’est par contre guère surprenant de retrouver 21,3% des membres Ecolo syndicalisés à la centrale nationale des employés (CNE), 17,8% à la centrale générale des services publics et 14% au SETCa. Centrales d’appartenance chez les syndiqués Ecolo (en %) CNE CGSP SETCa Centrale de l'enseignement moyen et normal libre Centrale chrétienne du personnel de l'enseignement technique Centrale chrétienne des métallurgistes Centrale générale Autre 21,3 17,8 14,0 5,7 4,8 2,0 1,5 32,9 N=544 Ajoutons aussi que 22,7% des syndiqués exercent un mandat syndical, ce qui est important. Cela veut entre autres dire qu’un adhérent sur dix (9,6%) a un mandat syndical. Pourcentage des membres exerçant un mandat syndical par rapport aux adhérents syndiqués et au total des membres (En %) Oui Non 22,7 77,3 N=616 9,6 90,4 N=1459 Une fois encore, les stéréotypes résistent avec difficulté à la réalité. Il n’y a pas de conclusions univoques de ces résultats. Si le taux de syndicalisation apparaît plutôt moyen, le nombre de syndiqués avec un mandat est fort. Les chiffres de syndicalisation sont peut-être plus parlants si on les compare à certains taux d’adhésion à d’autres organisations de nature éminemment différentes : 43,2% des adhérents sont 229 membres de Greenpeace et 56,8% de la Ligue des familles (pour les membres qui ont des enfants). D’autre part, 19% des adhérents sont membres des «Amis de la terre», 20,8% d’un comité de quartier et 12,3% d’une société de protection des animaux alors qu’un membre sur trois (33,3%) fait partie d’une organisation d’aide au tiers-monde. Connaissant les difficultés de ce secteur dans notre pays, ce chiffre est remarquablement élevé. Il est d’ailleurs intéressant et instructif de le comparer à celui atteint par les adhésions aux «Amis de la terre», par exemple. Présence des adhérents d’Ecolo dans un certain nombre d’associations (en %) Oui Greenpeace Comité de quartier Amis de la terre Ligue des familles Amnesty International Société protectrice des Animaux Association d’aide au tiers-monde Non 43,2 20,8 19,0 56,8 28,2 12,3 33,3 56,8 79,2 81,0 43,2 71,8 87,7 66,7 Ecolo, futur parti de gouvernement ? Pendant plusieurs années, la question de la vocation à participer au pouvoir a été controversée dans les rangs des écologistes francophones. Notre enquête montre, à tout le moins au niveau des principes, qu’il s’agit d’un débat dépassé. En effet, les membres des verts estiment massivement que leur parti a vocation normale à prendre part à l’exercice au pouvoir aux niveaux communaux, régionaux, provinciaux, communautaire et fédéral. A l’échelle communale, 88,2% des répondants sont tout à fait d’accord avec la proposition qu’Ecolo a une «vocation naturelle» au pouvoir, 9,2% sont plutôt d’accord, soit un total de 97,5% d’adhérents estimant normale cette disposition. On pourrait objecter que ces chiffres s’expliquent par la présence effective d’Ecolo au pouvoir dans un certain nombre de communes. Mais ils sont corroborés pour les autres niveaux. 230 Ecolo a vocation à participer au pouvoir au niveau communal (en %) Sans réponse Tout à fait d'accord Plutôt d'accord Plutôt contre Tout à fait contre Je ne sais pas 1,6 86,7 9,2 1,6 0,3 0,5 N=1459 88,2 9,3 1,6 0,3 0,5 N=1435 A l’échelon régional, 90,4% des membres sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord avec la perspective d’une participation gouvernementale. Au niveau fédéral, le total atteint 90,4% et est encore plus élevé pour la Communauté française : 91,2%. La réticence la plus marquée concerne l’échelon provincial où 7,7% des répondants sont plutôt contre ou totalement contre ; ce qui peut s’expliquer par deux raisons. D’une part, le manque de lisibilité des institutions provinciales dans le paysage politique belge. D’autre part, les réserves d’Ecolo envers cette institution aux rôles pas toujours évidents et au fonctionnement peu transparent. Ecolo a vocation à participer au pouvoir au niveau fédéral (en %) Sans réponse Tout à fait d'accord Plutôt d'accord Plutôt contre Tout à fait contre Je ne sais pas 2,3 73,6 14,7 5,2 1,3 2,9 N=1459 75,4 15,0 5,3 1,3 3,0 N=1425 La culture politique des verts a donc connu une évolution importante en la matière. L’image d’Ecolo enfermé dans son opposition, refusant de se «salir les mains» et de se compromettre au contact du pouvoir, appartient au passé. Le cas échéant, il faudra évidemment vérifier ces attitudes concrètement, sur le terrain. Car la question n’envisageait — et ne pouvait le faire — des dimensions fondamentales comme les conditions de la participation ou les alliés potentiels. En tout cas, il ne semble plus exister un courant de pensée ou une inclination au sein d’Ecolo qui limiterait «par principe» l’action politique du mouvement à la simple opposition protestataire ou constructive. 231 Chapitre 8 Les choix d’une militance 232 233 Les motivations fournies par les membres d’Ecolo pour expliquer leur adhésion sont aussi multiples et diverses que les membres eux-mêmes. Chaque adhésion est le fruit d’une histoire, d’un parcours, d’une rencontre, d’une réflexion différente et originale. Il serait donc vain de vouloir les enfermer dans de «grandes catégories» ou des «tiroirs» prédéfinis. L’exercice se révélerait d’autant plus périlleux que, d’une part, chaque membre donne plusieurs motifs qui ont justifié son choix sans pouvoir, le plus souvent, les hiérarchiser. D’autre part, la nature même des réponses diffère beaucoup : certaines personnes répondent par trois mots reprenant trois valeurs ou idées forces qui ont été ou sont décisives dans son adhésion. En revanche, d’autres, plus nombreux, motivent — parfois assez longuement — leur choix. Une précaution méthodologique doit également être établie. A l’exception des nouveaux membres, les réponses souffrent d’un «décalage historique.» Les explications sont fournies aujourd’hui pour une adhésion qui date parfois de plusieurs années. Il s’agit donc des raisons invoquées, «convoquées» maintenant pour justifier une décision passée. Rien ne garantit une concordance entre les motivations au moment de l’adhésion et les explications données a posteriori. Un phénomène inévitable de «reconstruction historique» doit être pris en compte dans l’analyse effectuée. Nous ne tenterons donc pas de construire une «typologie des motivations d’adhésion» ou une impossible quantification. Nous essaierons de mettre en exergue les thématiques les plus présentes qui traversent les réponses. Sans les hiérarchiser mais en montrant, par petites touches, la cohérence du discours. En rassemblant certaines réponses et en les reproduisant telle quelles, nous voulons aussi montrer la grande diversité des motivations des membres. A l’intérieur même des thématiques dégagées, nous constatons une pluralité de réponses qui se recoupent, s’entrecroisent, se répètent dans des ordres et avec des accents différents. 234 Les motivations sont plurielles. Pour les uns, telle donnée spécifique explique leur adhésion. Pour d’autres, on a à faire à un ensemble diffus. Enfin, certains citent une série de raisons d’ordre et de nature très diverses : politique mais aussi sociale, philosophique, personnelle, etc. Nous avons tenu à laisser le plus possible en l’état ces explications afin de laisser la parole aux membres d’Ecolo. Il convient de noter le soin mis à répondre à cette question «ouverte», c’est-à-dire plus complexe, moins balisée, demandant en conséquence plus de temps et d’investissement personnel. Or, il n’y a qu’une petite quarantaine de «sans réponse», ce qui est un chiffre remarquablement faible. Une autre caractéristique transparaît à la lecture des réponses : la volonté de bien s’expliquer, de se faire comprendre. Le souci pédagogique est manifeste. Parmi les grandes thématiques, retenons d’abord que les préoccupations purement et strictement environnementales et de défense de la nature sont rarement invoquées comme seules et uniques raisons justifiant l’adhésion à Ecolo. Rares sont les réponses telles que : — «Pour mieux combattre la pollution et essayer de sauver notre planète et pour essayer de sauver les animaux et surtout les oiseaux car il n’y en a plus beaucoup» (Q 815). — «La protection de la nature» (Q 1267). — «Mon respect pour notre mère : la terre» (Q 1259). — «La mauvaise gestion de l’environnement par les partis traditionnels. Ou trouver de l’eau pure, de l’air pur ? Plus moyen de nager dans nos rivières, de pratiquer les sentiers de promenades communaux» (Q 97). — «La protection de la nature est pour moi devenu une question de survie pour la planète. Ces dernières années, il y a eu une augmentation catastrophique de la pollution de l’air, de l‘eau, de la terre. Aucun parti traditionnel n’a fait de la lutte contre la pollution une priorité. Seul le parti Ecolo en tient compte. Voilà pourquoi j’ai adhéré à ce parti» (Q 1065). — «C’est le parti qui se préoccupe le plus de la survie de la planète et de la pollution» (Q 372). 235 En réalité, l’écrasante majorité des adhérents font référence à la protection de l’environnement. Mais le plus souvent dans un sens très large et en intégrant cette dimension dans une série d’autres considérations ; en la replaçant dans un cadre plus global et fréquemment plus politique. Quelques exemples en témoignent. — «Sensibilité particulière aux problèmes de l’environnement. Ecolo est la seule formation politique qui intègre les problèmes environnementaux dans une vision globale et à long terme de la société ; Ecolo prend en compte l’aspect qualitatif de la vie et ne raisonne pas uniquement en termes quantitatifs de profit bassement matériel» (Q 104). — «Ma préoccupation pour l’environnement fut la principale raison ainsi que la façon neuve qu’a Ecolo pour aborder les problèmes, le nouveau regard et la recherche de solutions à long terme» (Q 279). — «Protection de l’environnement (physique, humain et culturel). Participation active dans un parti démocratique à la vie politique du pays (...)» (Q 103). — «Protection de l’environnement au sens large. Partage du temps de travail» (Q 264). — ««La politique autrement», le souci d’une société solidaire. L’importance de la sauvegarde de l’environnement pour les générations futures» (Q 400). — «Accent mis sur l’environnement, l’économie au service des gens, la démocratisation» (Q 442). — «La lutte pour la sauvegarde de l’environnement. Interdiction du cumul des mandats politiques. Partage du temps de travail» (Q76). — «Les options environnementales et sociales. L’homme dans la nature, sur terre» (Q 655). — «La conception globale d’une société démocratique ou le souci de protéger l’environnement naturel est indissociable de la justice sociale, économique, culturelle» (Q 1153). — «La préservation de la planète, une autre façon de considérer les problèmes d’environnement, sociaux, économiques, rapport Nord/Sud, etc.» (Q 1190). 236 — «Ecolo a une vision globale et planétaire des problèmes de notre temps. Globale. Tout se tient : l’économique, le social, le culturel, l’environnemental, le monétaire, le politique. Planétaire. On ne se sauvera plus tout seul. Ni une commune, ni une région, ni un pays, ni un continent. Nous sommes condamnés «à vivre ensemble comme des frères, sous peine de périr ensemble comme des imbéciles.» Tous mêmes habitants d’un même «villageterre»» (Q 1195). — «Lutte pour l’environnement, contre la pollution... Très bonnes propositions socio-économiques... Se penchent pour résoudre les problèmes marginaux... Partage du travail, des richesses...Programme adéquat à mon optique chrétienne... Défense des droits de l’homme, du quart-monde, tiers-monde (...)» (Q 1216). — «Sa vision unifiant l’environnement, la production, la place respectable des humains. Son sens du «monde» des liens évidents Nord-Sud, sa transparence, son désintéressement matériel, son pluralisme, sa séparation nette vis-à-vis des nationalismes francophones et flamands» (Q 1274). — «Recherche sans a priori rigides aux différents problèmes de société. Respect égal de l’humain et de son environnement» (Q 1294). — «Enfin, la prise de conscience de l’urgence de décisions politiques s’inscrivant dans des objectifs à plus long terme de sauvegarde de l’avenir humain face à des applications des sciences et des techniques, développés dans un souci de compétitivité économique ou militaire prévalant sur les dégradations irréversibles de l’environnement et des relations humaines qu’elles entraînent» (Q 1327). — «Parti le plus démocratique, l’approche éco-développement à soutenir. L’approche sociale la plus juste. Moralité politique de haut niveau» (Q 1415). — «L’idée de défendre un environnement tant au niveau international, national que local. Une politique à long terme de vie en société dans le respect des différences et de ce qui nous entoure (...)» (Q 1417). Plusieurs adhérents ont connu l’évolution du mouvement et en retracent le parcours. Ils font de l’environnement la raison principale qui a été la clé de leur adhésion. Mais ils soulignent que leur horizon, dans le cadre des développements d’Ecolo, s’est 237 élargi à de nouvelles problématiques. Notamment les questions économiques et les problèmes sociaux. — «Dans un premier temps, pour les aspects environnementaux défendus par ce parti dont la philosophie générale m’a conquise. Aménagement du territoire, enjeux de société,... par la suite» (Q 280). — «Essentiellement au départ le souci de protection de l’environnement. Ensuite, le besoin de justice sociale ou autre (Nord-Sud...) et le désir de voir disparaître la corruption à tous les niveaux (surtout politique), aussi pour lutter contre la société de consommation» (Q 370). — «Celles qui m’ont fait adhérer (1975 !) : contre le nucléaire et les pesticides. A présent l’entièreté du programme» (Q 536). — «Au départ : purement environnementaliste. Evolution parallèle au mouvement vers plus de préoccupations socioéconomiques» (Q 591). — «Eléments déclenchants : problèmes environnementaux dans la commune et manque de communication avec les autorités communales. Ensuite, par intérêt de la politique communale et afin d’essayer de la rendre plus proche du citoyen» (Q 382). — «Au départ des raisons exclusivement environnementales. Ensuite, la plupart des autres options prises par le mouvement depuis 1980, sociales, culturelles, démocratiques (...)» (Q 1132). Les questions environnementales ne recouvrent donc qu’une part des motivations qui doivent être englobées dans un ensemble plus général. Ce canevas général a trait au projet global de société qu’incarne et que et défend, aux yeux de nombreux membres, Ecolo. A lire l’ensemble des réponses reçues, l’adhésion à ce «projet global de société» est clairement une des raisons les plus souvent citées pour justifier les adhésions à Ecolo ; même si les tenants et les aboutissants du projet évoqué ne se rejoignent pas toujours. Le slogan de la mouvance écologiste «Penser globalement, agir localement» est de la sorte avancé par de nombreux membres. Explicitement, parfois. Implicitement, souvent. Le rapport à l’«universel», l’idée que tout est lié, que «tout est dans tout» sont manifestement des traits marquants de la culture politique des écologistes. Notons au surplus que la «globalisation» — vécue ici comme un aspect positif — porte tant sur les solutions (projet de société) que sur l’analyse des problèmes de notre univers. Univers, tant la 238 dimension planétaire revient de manière récurrente. On a déjà pu le relever dans plusieurs exemples précédents, la sensibilité des adhérents d’Ecolo aux questions et aux problèmes du tiers-monde est forte. La thématique des relations Nord-Sud est citée avec une régularité presque déconcertante par rapport au repli individualiste souligné dans notre société. Cette sensibilité aux questions Nord-Sud corrobore au demeurant d’autres indications de notre questionnaire. En particulier la présence significative de membres d’Ecolo dans des associations d’aide au tiers-monde (voir supra). — «Vision globale. Solidarité. Critique de la société capitaliste. Antimilitarisme» (Q 59). — «Action sur le terrain (dans la locale). J’y trouve un projet de société solide que j’ai envie de mettre en avant et de faire connaître» (Q 154). — «Envisager les problèmes de la planète de façon globale : les aspects sociaux et environnementaux sont interdépendants, le Nord et le Sud aussi» (Q 173). — «Parce que Ecolo présente un projet politique nouveau, contrant les idées traditionnelles (culte de la compétitivité, privatisations, mondialisation de l’économie...) Le projet politique d’Ecolo est rigoureux et cohérent, avec une vision globale des problèmes» (Q 175). — «Vision globale de la société intégrant un projet cohérent visant l’harmonisation des rapports entre les hommes, les groupes sociaux et le milieu naturel» (Q 298). — «Il s’agit d’un parti qui propose un projet de société qui rend à la personne humaine la place centrale qui lui revient : le développement économique doit être au service de l’homme et non l’inverse (...)» (Q 345). — «C’est un parti qui envisage les problèmes globalement, tout en proposant des solutions applicables individuellement (de l’ordre de possible)» (Q 349). — «Parti porteur d’un projet de société tout a fait novateur, humain et réaliste» (Q 1206). — «C’est le seul parti qui propose un autre projet de société et qui s’attaque à la base des problèmes et pas seulement à leurs conséquences» (Q 181). 239 — «Ce parti défend mes idées ; il est le seul à avoir une vision globale de la société et une prospective des choses ; c’est un parti pour lequel la politique garde encore son sens noble (...). Il pense globalement tout en agissant localement très concrètement» (Q 160). — «Le seul parti politique qui présente un projet de société. Les autres se contentent d’appliquer de vieilles recettes» (Q 611). — «Ecolo est la seule force politique affichant une approche globale de la société. (...) Au niveau agricole, Ecolo est le seul à donner un place aux agriculteurs dans le présent et dans l’avenir et pas seulement dans le passé (nostalgie)» (Q 130). — «Ecolo est le seul parti qui ait un projet de société plus juste, plus égalitaire, plus solidaire. Les autres partis ne font pas de la politique mais de la gestion : on équilibre dépenses et rentrées. Il n’y a pas de projets, pas de priorités (...)» (Q 132) Au soutien que les membres d’Ecolo apportent à un projet global de société, s’ajoute la dimension temporelle. Aux yeux de beaucoup d’entre eux, celle-ci est tout-à-fait déterminante dans leur adhésion. On rejoint ainsi Ecolo parce qu’il présente non seulement un projet de société mais aussi parce que ses analyses, ses réflexions et ses propositions s’inscrivent dans la durée, dans le long terme. Ecolo ne se contenterait pas d’appliquer une emplâtre sur un jambe de bois en matière environnementale, en matière sociale, en matière culturelle. Il penserait et agirait en termes de perspectives. Il s’agit là d’un des thèmes discriminants par rapport aux autres familles et partis politiques. Et il est aussi vécu comme tel. En effet, et cela déplace très largement les dimensions du court ou du long terme, une très grande majorité des réponses font référence au caractère «unique» de la pensée ou de l’action d’Ecolo. Les verts sont ainsi décrits comme étant les «seuls» à réfléchir, à proposer et à agir dans un sens déterminé. Il y a d’un côté Ecolo, et de l’autre, le reste. Dans les exemples déjà cités, cet aspect était déjà très présent. On peut s’apercevoir dans les exemples qui suivent que cela constitue véritablement un trait d’identité marquant des adhérents écologistes. — «C’est le seul parti qui ne pense pas à ses intérêts à court terme et s’inquiète réellement de l’avenir et de celui de nos enfants, dans une société qui n’envisage que le profit à court terme, et 240 hypothèque ainsi son avenir (...). C’est le seul parti qui propose une vision globale et cohérente de la société. (...)» (Q 74). — «Seul courant politique à tout traiter à long terme» (Q 421). — «Le seul parti qui prend les problèmes à la base et ayant vision à long terme. Le seul parti qui parle plus de prévention de «guérison.» L’air de transparence qui domine le parti, fonctionnement interne semble démocratique. Le seul parti s’occupe vraiment des problèmes d’environnement» (Q 437). une que son qui — «Ecolo est le seul parti actuel qui voit plus loin que le bout de son nez. Il ne pense pas qu’au court terme. Ecolo a des idées originales, non traditionnelles et ose imaginer des scénarios nouveaux (...)» (Q 410). — «C’est le seul parti ayant une vision à long terme prenant en compte à la fois le bien-être social et le respect de environnement à l’échelle planétaire. Contre l’exploitation systématique du tiersmonde mais pour une juste coopération avec celui-ci. Le seul parti ayant pris les mesures nécessaires contre les cumuls et l’enrichissement de ses élus» (Q 57). — «Seul parti alternatif qui propose un projet de société avec des buts à long et à moyen terme» (Q 232). — «Cette politique privilégie le long terme, la prise en compte de tous les facteurs, la démocratie interne, l’universalité dans le temps (une terre pour nos enfants), l’universalité dans l’espace» (Q 88). — «Projet de société soucieux de l’avenir de la plante et des personnes refusant les slogans démagogiques, soucieux d’une éthique exigeante» (Q 11). Dans le cadre du projet global, Ecolo est aussi vécu, pour certains, comme la formation politique, le «seul» parti — une fois encore — porteur d’un changement de société profond, porteur d’une utopie régénérante sinon révolutionnaire. Pour ces adhérents, le désir de changement est profond et Ecolo, à l’époque de la «pensée unique», incarne la formation à même de porter ces mutations sociétales fondamentales. — «La volonté de changer le système dans lequel on vit que ce soit l’économie, le social, l’enseignement, les valeurs démocratiques, les informations, il faut préserver, lutter pour améliorer toutes ces valeurs et ne pas perdre de vue les notions simples qui mènent à l’épanouissement complet de l’être humain» (Q 375). 241 — «Changer la société. Engagements sociaux antérieurs. Goût de la politique» (Q 378). — «Le sentiment qu’un changement de société est devenu indispensable sur tous les plans, changement qui ne peut être promu avec suffisamment de rapidité par les partis traditionnels trop fossilisés» (Q 720). — «Parce qu’Ecolo (porte ?) l’espérance d’un changement fondamental de la société (plus de démocratie, de justice, de solidarité, de culture, de dignité — moins de matérialisme, de surconsommation crétine, de saccage de gaspillage éhonté, de conformisme, de corruption)» (Q 734). — «Mon espoir de voir des changements profonds dans la société se construire à partir d’une vision globale (...)» (Q 887). Si ce changement de société espéré, attendu, vécu concerne le plus souvent les questions matérielles, «visibles» telles un nouveau rapport à la nature, des relations économiques et sociales plus justes avec le tiers-monde, plus de justice sociale, il porte aussi pour beaucoup sur l’«immatériel» : les relations avec les gens, la convivialité — dimension historique de l’écologie —, sur des questions cruciales de notre mode de vie : l’amour, la solitude. Le sens de la vie tout simplement. — «J’ai un esprit optimiste et désire changer le monde. Je veux combattre les injustices. Je veux sauver la terre tant qu’il est encore temps. Je veux mettre de la vie. Je veux faire fleurir le monde. Je veux donner aux gens l’occasion de vivre dans une société où l’on écoute» (Q 1086). Les différentes thématiques déjà mises en évidence ne forment pas, loin s’en faut, des catégories fermées, bien définies. Elles ne se contredisent pas. Au contraire elles, s’additionnent, se complètent, s’articulent ou se combinent. De multiples raisons jouent un rôle plus ou moins important selon la personne, selon son parcours politique, selon ses expériences, etc. Les motivations de l’adhésion à Ecolo font parfois aussi référence à des problématiques temporelles moins générales et plus concrètes. C’est ainsi que s’expriment, en nombre remarquablement élevé, des soucis, des peurs, des angoisses pour l’avenir des générations futures en général. Le (non)futur des enfants et des petits-enfants est évoqué avec une récurrence forte. Dans les préoccupations, l’appréhension environnementaliste 242 domine — «Nous n’avons qu’une seule terre qu’il faut sauvegarder pour nos enfants.» Le thème de l’épuisement des ressources naturelles est présent en filigrane ou clairement dans de nombreux commentaires. L’ampleur de la pollution, posant les questions de la vie et de la survie de l’humanité, est maintes fois soulignée De nombreux membres élargissent toutefois la problématique. Quel emploi, quelle société connaîtront les jeunes d’aujourd’hui ? — «La nature est en train de mourir, les exemples qui le démontrent se multiplient. Quel sera l’avenir de nos têtes blondes, plus communément appelées enfants ?» (Q 9). — «Pour une société plus juste et obligatoirement solidaire. Parce que nous n’avons qu’une seule terre et qu’il faut la laisser en bon état, agréable et vivable pour nos enfants. Tous les problèmes sont liés et interfèrent les uns avec les autres. Pour le bonheur collectif et pas la réussite individuelle dans et par la «loi de la jungle.» C’est le seul parti qui a une vision planétaire à long terme» (Q 51). — «Ecologie parce que je pense aux générations futures. Ecolo a une façon plus démocratique de faire de la politique» (Q 316). — «J’ai été séduit par les thèses de l’éco-développement qui s’opposent au profit immédiat, à la gabegie des ressources naturelles, aux déséquilibres Nord-Sud. Je voudrais pouvoir dire que j’ai laissé derrière moi une planète propre et vivable pour les générations futures» (Q 326). — «La politique «autrement.» Le souci d’une société solidaire. L’importance de la sauvegarde de l’environnement pour les générations futures» (Q 400). — «Il faut préparer l’avenir pour les générations futures. Combattre l’injustice, la pauvreté, le chômage et la destruction de notre planète» (Q 502). — «Défendre le droit des générations futures à un environnement convenable. Lutter pour le respect des lois équitables, la modification de celles qui ne le sont pas. Utopiste ? Pour changer les mœurs politique» (Q 508). — «Défense des valeurs sociales et de l’environnement. Je veux que notre terre soit toujours accueillante pour nos enfants. Lutter contre les pots de vin, le cumul des fonctions» (Q 649). — «Défendre l’avenir l‘humanité» (Q 672). de mes (des) enfants, de 243 — «La qualité de la vie, la justice sociale, la protection de l’environnement, le rétablissement d’une éthique politique décente, en résumé, la pérennité de notre espèce sur cette belle planète. Ma fille mérite bien que je prépare son univers» (Q 676). — «(...) L’idée force que le destin de la planète est entre nos mains à tous, que nous pouvons le construire autrement. Nous ne sommes que colocataires de la terre avec les générations futures. Dommage qu’il manque un projet de société plus immédiat, plus identifiable pour y arriver» (Q 680). — «L’avenir de mes gosses. Je considère Ecolo, pour le vivre de l’intérieur, comme une alternative à la politique politicienne» (Q801). — «L’héritage que nous laisserons à nos enfants» (Q 813). — «Laisser une terre la plus propre possible à nos enfants» (Q 930). — «Le désir de faire quelque chose pour lutter contre les injustices. Le souci de laisser aux générations futures une terre habitable» (Q 1115). — «L’influence de mon mari. Leurs idées ne me laissent pas indifférente. Préserver l’avenir de mes enfants» (Q 1176). — «Au départ : responsabilité civique par rapport au développement durable, pour nous comme pour les générations futures» (Q 1282). — «Si nous voulons que nos enfants aient une terre habitable, il est grand temps de se réveiller. (...)» (Q 1318). — «La sauvegarde de notre planète pour les générations à venir est le seul but synthétique valable que les formations politiques devraient se proposer et qui est celui d’Ecolo» (Q 1325). — «Préparer pour mes enfants un monde viable. Les priorités de solidarité et de responsabilité que le parti prône (...)» (Q 1375). — «Les futurs habitants de la terre (nos enfants, nos petitsenfants, nos arrières petits-enfants) ont le droit d’hériter d’une planète sur laquelle il soit encore possible de vivre. Il faut aussi assurer la protection des espèces animales ou végétales. (...)» (Q 1376). La défense d’un projet global à long terme qui intègre la protection de l’environnement, la justice sociale en Belgique et dans les relations internationales, et la préparation de l’avenir des 244 générations futures forme pour l’essentiel les thématiques pointées jusqu’ici. Mais des préoccupations plus directement politiques sont aussi souvent citées. La participation et la démocratie constituent deux piliers incontournables de l’identité écologiste tant par rapport au fonctionnement interne du mouvement que pour le fonctionnement d’ensemble de la société. Le désir de jouer pleinement son rôle de citoyen actif et informé, d’être partie prenante aux débats de la cité et aux prises de décision, de s’investir localement, d’ouvrir de nouveaux espaces démocratiques, forme certainement un ensemble que l’on pourrait qualifier de «participation citoyenne», souvent invoquée dans les motivations d’adhésion des membres d’Ecolo. Il s’agit ici de l’expression d’un refus de subir les orientations de la vie économique ou politique, sans y avoir pris part, sans avoir pu faire connaître ses opinions, son opposition ou ses propositions éventuelles. Le slogan selon lequel «si tu n’occupes pas de la politique, la politique s’occupe de toi» prend certainement tout son sens pour nombre d’adhérents d’Ecolo. — «Participer (aux responsabilités) à la vie sociale : si on ne s’occupe pas de politique, la politique s’occupe de vous...» (Q 43). — «La volonté d’être acteur dans une période ou l’on cherche d’autres voies à l’aube du XXIe siècle. La terre ne va pas très bien, il faut retrousser nos manches et trouver des solutions respectueuses de ce qui nous entoure. (...)» (Q 291). — «Vision globale des problèmes et des solutions à apporter. Nécessité de la solidarité. Devoir de citoyenneté : participer à la «chose publique» (Q 330). — «Concrétiser mon devoir de citoyenne de participer au jeu démocratique. C’est le seul parti qui consulte sa base pour les grandes options» (Q 337). — «Le plaisir des valeurs et actions partagées. L’attachement au territoire. Le civisme «participatif»» (Q 396). — «L’envie de ne plus «subir» la politique et d’avoir la possibilité de jouer dans la vie de proximité (la commune), ne plus râler sans bouger. Outre l’a priori que les politiciens sont tous pourris, l’envie de faire ma propre opinion sur la question et de comprendre les mécanismes de gestion publique. Plutôt chez Ecolo qu’ailleurs parce que le système me paraissait plus sain et plus transparent» (Q 447). — «Essayer de participer à la vie publique» (Q 503). 245 — «D’être en quelque sorte un citoyen responsable dans la mesure de mes possibilités. La structure de fonctionnement d’Ecolo me séduit, ainsi que les projets, les idées, les alternatives» (Q 602). — «Prendre ma place de citoyenne et jouer ce rôle en m’engageant avec d’autres qui partagent plus ou moins le même idéal de société au point de vue local, régional et mondial» (Q 603). Dans une grande série de réponses, on relève la portée de «l’agir localement.» Le niveau de base (voir supra), essentiel dans la démarche fédéraliste des écologistes, est très fréquemment abordé comme terrain d’action possible et concret dans le cadre d’une démarche citoyenne. — «Le désir d’agir au niveau de la commune où nous avons décidé d’habiter. Ecolo nous semblait le seul parti au niveau communal où nous puissions réellement faire entendre notre voix. Le fait d’avoir des enfants, donc d’être responsable de ce qu’on leur laisse comme avenir a aussi joué dans mon intérêt actuel pour la politique» (Q 951). — «(...) Au niveau local réellement participer et faire participer au processus décisionnel. Au niveau provincial et régional certitude du processus vraiment démocratique dans le travail des mandataires» (Q 510). — «Etre citoyenne (je suis conseillère communale sortante). Défendre des idéaux : permettre une place à chaque humain» (Q 722). — «En tant que citoyen, il est important de s’intéresser à la politique. Au niveau local, Ecolo m’a permis de m’investir dans ma commune, de réfléchir en groupe de manière démocratique» (Q 851). — «La volonté de me positionner dans la société civile en accord avec certains principes, certaines sensibilités et un choix sans complaisance de société. La citoyenneté doit se mériter et si je ne participe pas beaucoup actuellement à la chose publique, je souhaite poser des actes et refléter et exposer mes aspirations» (Q 879) — «Si l’on veut un changement de société, il faut commencer quelque part et engager plutôt que d’attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes ! Ecolo n’est pas encore en voie de devenir un parti traditionnel usé par une certaine lourdeur et inertie» (Q 1262). 246 Si la participation à la vie politique est importante la démocratisation de notre société est aussi invoquée, parfois mise en parallèle avec le mode de fonctionnement démocratique du parti. — «Le désir de rendre notre société plus démocratique, de veiller à la protection de l’environnement, d’améliorer la qualité de notre vie» (Q 620). — «Il n’y a rien de démocratique dans notre système politique. «Si voter permettait de changer les choses, il y a longtemps que ce serait interdit» (...)» (Q 629). — «Rénovation de la démocratie. Protection de l’environnement. Réflexion à long terme sur l’économie (...)» (Q 662). — «Faire quelque chose pour que la politique devienne un instrument politique efficace et réellement démocratique. Empêcher les hommes politiques actuels de politiser en rond» (Q 704). — «C’est la seule politique possible pour faire progresser la démocratie ainsi que le bien être sans détruire toute la planète. Après la chute du communisme, le capitalisme sauvage est en train de s’autodétruire. La population ainsi que l’environnement payeront les pots cassé» (Q 713). — «Seule perspective démocratique d’un avenir viable» (Q 824). — «A court terme : rétablir une démocratie directe tant la gestion que l’information d’une commune. A long terme : transmettre à nos enfants des stratégies nouvelles qui permettent de concilier développement économique et respect de l’environnement» (Q 866). — «Envie au départ société» (Q 1282). d’être une actrice active dans la Cet idéal de participation et de démocratie s’étend au fonctionnement d’Ecolo. Celui-ci est un des arguments le plus souvent avancé dans l’explication de l’adhésion. Ecolo fait de la «politique autrement.» Selon la grande majorité des membres, la structure du parti et son processus décisionnel sont des exemples de démocratie, de transparence et de participation. De la sorte, Ecolo s’applique à lui-même les principes qu’il promeut pour l’ensemble de la société. Il y a correspondance entre le discours et la réalité sur le plan interne. La jeunesse du parti, son honnêteté, le refus du cumul des mandats sont cités avec une fréquence 247 remarquable. Le sentiment et la possibilité de pouvoir participer à la décision sont des composantes marquantes de multiples réflexions. — «Parce que j’adhère au projet de société d’Ecolo. Ce dernier n’est pas figé et évolue sous l’influence des membres d’Ecolo» (Q 353). — «J’aime bien le système démocratique qui règne au sein du parti Ecolo, sa transparence pour les comptes, la façon de gérer le groupe. Je suis pour les petits partis qui mènent une action constructive dans mon village par exemple. (...)» (Q 37). — «La transparence, l’aspect démocratique, la recherche et la réflexion politique du parti» (Q 44). — «Ecolo fait de la politique autrement : nous faisons de la politique pour défendre nos idées et non pour avoir le pouvoir» (Q 45). — «Je trouve à Ecolo tout ce que je ne trouve pas dans d’autres partis. La politique pour la démocratie, pas pour l’argent ou les honneurs, permettre au peuple l’intervention à tous les stades de pouvoirs (...)» (Q 48). — «Leur apparente honnêteté, leur courage, leur réalisme du point de vue de la nature» (Q 252). — «Parce que c’était faire de la «politique autrement» (Q 254). — «Honnêteté du parti et envie de changer les choses dans ma commune» (Q 256). — «Ecolo représente pour moi une autre façon de faire de la politique parce que ses membres font bloc pas pour une carrière nombriliste et égoïste mais pour faire passer leur sensibilité au niveau social et environnemental en formant un bloc homogène, soudé, tolérant, honnête et franc. Sans écologie, pas d’avenir pour nos enfants à part l’égoïsme et le repli sur soi (...)» (Q 294). — «Jusqu’à preuve du contraire, Ecolo est le seul lieu politique que j’ai rencontré ou malgré tout il y a une réelle volonté de fonctionner de manière démocratique. Au-delà des idées écologistes (auxquels je peux adhérer) c’est surtout cette «révolution» là qui m’a décidé à franchir le pas de l’engagement» (Q 359). — «Ecolo essaie de faire de la politique autrement, plus démocratiquement. J’apprécie les lois internes du parti (un seul mandat pendant un maximum de 12 ans). Ceci permet d’avoir plus 248 de personnes motivées pour défendre les idées du parti et non des intérêts personnels» (Q 836). — «C’est pour moi le seul parti qui pratique la transparence et dont les membres sont désintéressés. Il ne faudrait pas que cela change...! (...)» (Q 1026). — «Parti neuf non-corrompu. Vraie démocratie interne. Refus des cumuls. Dépolitisation de la fonction publique. Seul parti réellement de gauche. Solidarité, transparence, utopie» (Q 1156). — «Ecolo est un parti démocratique qui respecte sa base et est intègre (...)» (Q 1200). Si on relève de nombreuse raisons «positives» dans l’adhésion à Ecolo, force est aussi de reconnaître le poids considérable des réponses qui font référence au rejet sinon au ras-le-bol du «jeu politique» traditionnel, au dégoût de la politique, des «magouilles», des «tricheries», au conservatisme supposé de l’ensemble du monde politique. A l’exception d’Ecolo, incarnation de la jeunesse, de la morale et de l’éthique, tous les autres partis sont déconsidérés sinon dénigrés. On retrouve à nouveau la thématique du «seul», de l’«unique.» Ecolo serait le «seul» parti «sain», le «seul» parti «propre.» On le constatera néanmoins — y compris parmi les réponses qui font référence au rejet de la «politique politicienne» — de nombreuses sensibilités et nuances s’expriment dans l’approche de cette problématique. Mais des accents populistes et/ou poujadistes ressortent clairement de certaines réponses.1 — «Au départ par dégoût des autres formations politiques, ensuite par réel souci de sauvegarder notre environnement et découverte qu’Ecolo rencontrait mes aspirations de vivre la politique autrement surtout avec la participation du citoyen à tous les niveaux de la transparence et parce que Ecolo a un programme réaliste pour notre société» (Q 28). — «Action des partis traditionnels. La démocratie est bafouée ; notre régime actuel a de fortes tendances, par la particratie, à devenir une oligarchie (...)» (Q 32). — «Ecolo est un parti jeune et pas (encore) corrompu. (...)» (Q 82). 1 Nous avons également relevé des discours poujadistes dans certaines assemblées d’Ecolo. En particulier lors de la très tendue assemblée de novembre 1995. Certaines interventions n’ont d’ailleurs pas manqué d’inquiéter plusieurs de nos interlocuteurs. 249 — «Parti politique «propre.» Respect et importance de chacun chez Ecolo. Le suivi du militant (formation, rencontre,...). La réflexion sur le long terme par la pensée (...). La cohérence de la «nécessité écologique»» (Q 145). — «J’ai rejoint Ecolo parce que je pense qu’actuellement c’est le moins mauvais choix. Il n’y a pas de «combines» chez Ecolo, il y a de la fraîcheur politique (...)» (Q 151). — «Le ras-le-bol des parti (...)» (Q 198). partis présents et l’espoir pour ce — «L’honnêteté et la transparence du mouvement, son refus de participer à la politisation de la fonction publique et aux autres «magouilles» plus ou moins officielles devenues tellement courantes que les autres partis les trouvent banales et mêmes normales. Je suis également d’accord avec le projet de société du mouvement (aspects environnementaux, économiques et sociaux)» (Q 213). — «Un mouvement neuf qui n’est pas encore encroûté dans la routine» (Q 221). — «Ecolo est un parti où il y a moins de voleurs. On devrait reprendre l’argent à tous ceux qui ont détourné de l’argent qu’ils soient n’importe qui et reverser cet argent à l’Etat» (Q 237). — «Ce parti donne une image d’honnêteté qui n’est guère celle des autres partis traditionnels» (Q 306). — «Déception des partis traditionnels» (Q 313). — «Ecolo est un parti «propre.» J’apprécie les valeurs de «qualité» de vie dans ses différents aspects qu’il véhicule. J’aime bien sa dimension humaine» (Q 381). — «Parti honnête. Pas de politique politicienne. Pose des questions de fond : environnement, relations Nord-Sud, problèmes sociaux» (Q 457). — «Immobilisme des partis traditionnels. Démocratie réelle au sein d’Ecolo (...)» (Q 538). — «Seul mouvement actuel encore «frais» et non corrompu, susceptible d’intégrer des idées neuves en politique. Seul mouvement à parler «vrai» aux gens : pas de faux fuyants» (Q 627). 250 — «Ma déception de partis traditionnels. La bonne volonté qui semble s‘en dégager. Moins d’intérêts «personnels et individuels»» (Q 762). — «Dégoûté de la politique traditionnelle (déjà à vingt ans). Je souhaite qu’Ecolo prouve que la gestion d’une société peut se faire de façon propre dans l’intérêt du plus grand nombre, avec un esprit incessant d’ouverture, de curiosité et de générosité (...)» (Q 821). — «Un parti politique pas encore pourri qui, je l’espère, donnera un héritage sain à nos descendants. (...)» (Q 1268). — «Le manque de sérieux, de responsabilité, d’honnêteté, de rigueur dont font preuve les partis traditionnels, dans tous les domaines et à tous les niveaux (...)» (Q 1301). — «Magouille de certains hommes (femmes) politiques tant à droite qu’à gauche» (Q 1303). — «Vous ne voudriez quand même pas que je vote pour V.D.B., Vanderbiest, Mathot, Coëme, Spitaels ou Gol !!» (Q 1348). — «La seule politique «propre», la plus propre qui existe en tout cas» (Q 1418). Si le rejet de la «politique politicienne» joue un rôle non négligeable dans les adhésions à Ecolo, certains membres expriment une déception envers des partis politiques précis dont ils condamnent le fonctionnement ou la ligne politiques, les pratiques ou les évolutions. Si le parti socialiste est, à cet égard, le plus souvent nommé, le parti social-chrétien est évoqué plusieurs fois. — «Adhésion à un parti : volonté de participation politique, via une organisation ayant un projet de société global, ayant vocation à la participation au pouvoir. Adhésion à Ecolo : au vu du programme novateur : urbain (projet de reconstruction de la ville) et non-productiviste, progressiste. Constat des blocages structurels et idéologiques au PS et impossibilité de rejoindre ce parti ; c’est devenu un parti nationaliste wallon ou la fédération bruxelloise n’a plus sa place ; incapable de se libérer de l’idéal productiviste» (Q 180). — «Profonde déception du parti socialiste pour sa xénophobie, le manque de démocratie dans le parti, le peur de pouvoir du militant et l’acceptation au sein du parti et même à des fonctions dirigeantes d’hommes peu socialistes et peu fiables (...). Ce que j’apprécie à Ecolo, c’est sa démocratie, l’interdiction des cumuls, son programme social et son ouverture envers les étrangers» (Q 895). 251 — «Manque de démocratie à l’intérieur du PS et clientélisme. Lutte d’Ecolo en faveur de la qualité de la vie» (Q 855). — «Manque de démocratie au sein du PSC (message velléitaire). Générosité-Modernité-Dynamisme des thèses écologistes. Le fait qu’Ecolo me semble le seul parti à proposer des solutions réelles à certains problèmes (chômage, pollution, etc.)» (Q 160) — «Ex-membre du PSC : dégoût profond. Choix d’Ecolo : car ce sont des gens honnêtes, tournés vers l’avenir, idéalistes» (Q 1193). D’autres, en revanche, regrettent la disparition de certaines formations. Ici, on songe tout particulièrement au mouvement Solidarité et Participation (SeP) qui avait vu le jour en 1985 sans pouvoir opérer une percée comme parti politique du mouvement ouvrier chrétien (voir supra). — «Le parti qui correspondait vraiment à mes aspirations, c’était le SeP. A défaut de SeP, je me suis tourné vers Ecolo mais je suis très déçue par le groupe local» (Q 350). — «Dans le contexte politique actuel, je ne vois pas d’autre possibilité de vote Ecolo. Tout en sachant que le parti ne répond pas nécessairement à mes attentes. Le coté social de SeP manque fortement à Ecolo mais des modifications vers le social se présentent aujourd’hui. Les partis traditionnels sont salis par nombre d’affaires à caractère mafieux, c’est pourquoi, je choisis la propreté (...)» (Q 310). — «Seul parti proche du programme de SeP» (Q 558). — «Ayant fait connaissance de quelques militants Ecolo lors des négociations entre SeP et Ecolo, je suis allé chez Ecolo après la disparition de SeP en 1988» (Q 1204). Le dernier ordre de motivations qui a provoqué le ralliement à Ecolo est de moindre importance que les précédents. Mais, à la lecture des justifications, on ne pourrait le négliger. Il s’agit d’adhésions dues à des raisons de «terrain», à des luttes précises ou ponctuelles, à des combats politiques concrets dans lesquels les militants d’Ecolo se sont révélés les plus attentifs et les plus actifs ou dans lesquels le programme d’Ecolo s’est révélé le plus proche des convictions des individus, suscitant de la sorte un effet d’entraînement. Sans doute la moindre importance quantitative dans les réponses recouvre une réalité connue : le nombre limité de membres d’Ecolo et la difficulté concomitante de s’investir pleinement sur les différents terrains de luttes locaux ou associatifs. Le type de «terrain» ou de problèmes qui ont engendré l’adhésion à Ecolo mérite aussi l’attention. Il y a d’une part quelques références au mouvement enseignant à la charnière des 252 années 1990-1991 et, d’autre part, les luttes locales relatives à la défense de l’environnement ; à l’aménagement du territoire en particulier. — «Lors des grèves des enseignants de l’automne 1990, j’ai beaucoup analysé les attitudes des partis. J’ai été déçu par ce que proposaient le PSC/PS/PRL et séduit par Ecolo qui proposait un projet de société réaliste voire réalisable, projet qu’on ne pouvait taxer d’opportunisme car il était antérieur à ces grèves. Le respect du secteur non-marchand était évident (...)» (Q 187). — «A l’origine les positions Ecolo lors de la grève des enseignants. De manière générale, les positions d’Ecolo (plus à gauche que celles du PS) : repenser le rôle des pouvoirs publics, diminution du temps de travail, critique de la croissance à tous prix» (Q 483). — «Suite aux grèves dans l’enseignement et au forum de l’enseignement, j’ai découvert un parti proche des gens, soucieux du bien-être de tous. (...)» (Q 863). — «Au départ, c’est dans le cadre d’un comité de défense du village contre les velléités d’agrandissement d’un camping, situé à 1,5 km du village, racheté par deux Néerlandais. Un groupe de personnes, dont moi, ont continué par la suite à se revoir pour être attentif aux problèmes liés à l’environnement de la commune... sous l’étiquette Ecolo !» (Q 263). — «Nous habitons une commune où on projetait la construction d’un centre d’incinération. Ecolo a défendu ce dossier. Ecolo ne défend pas des causes individualistes mais des causes de société : environnement, urbanisme, choix de société plus audacieux» (Q 606). — «Etant membre de amis de la terre, j’ai trouvé normal de militer à Ecolo au départ contre le programme nucléaire, pour la protection de l’environnement, puis évoluant sur le plan économique et social (chômage, exclusion, immigration)» (Q 686). — «J’adhère à Ecolo pour la première raison, c’est que je ne suis pas d’accord avec le travail que la majorité socialiste de ma commune a effectué ces six dernières années tel que construction d’une nouvelle maison communale après la démolition de l’ancienne, complet désintéressement du bourgmestre des avis émis par la population et l’opposition» (Q 850). — «La menace d’un élevage industriel de porc dans mon quartier a provoqué l’émergence d’une section locale Ecolo dont les thèses en faveur de la protection de l’environnement m’ont toujours séduit» (Q 911). 253 Chapitre 9 Aujourd’hui : Paroles d’acteurs 254 255 Mars 1980-mars 1996, Ecolo a seize ans. Comment a-t-il évolué ? Qu’a-t-il apporté ? Quels sont les bilans interne et externe de ces seize années ? Comment est appelé à se situer le parti ? Quelles sont ses perspectives ? Peut-il encore vivre le même laps de temps sans participation au pouvoir ? Autant de questions que nous avons soumises à dix personnalités qui ont une position clé dans le parti. Pour la facilité de la compréhension et de la lecture, nous avons rassemblé leurs sentiments, leurs analyses et leurs prospectives dans quatre chapitres : le bilan externe d’Ecolo, son bilan interne, la question de la participation au pouvoir et son positionnement politique. Historien de formation, Marcel Cheron est issu du sérail de Solidarité et participation (SeP). Après l’échec de 1985, il milite pour un rapprochement avec Ecolo qui ne débouche pas. Avec d’autres, il rejoint Ecolo où il occupe rapidement les fonctions de secrétaire fédéral. En 1991, il est élu député. Député régional wallon depuis 1995, il est chef de groupe à la Communauté française. Professeur de géographie, José Daras milite aux Amis de la terre dans les années septante. Il participe aux congrès de fondation d’Ecolo et est tête de liste à la Chambre à Liège aux élections de 1981. Elu député, il est réélu en 1985 et 1987. En 1991, il rejoint les rangs du Sénat. Nommé ministre d’Etat, il vient d’être élu député régional wallon. Elu député dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde aux élections législatives de 1981, Olivier Deleuze est une figure historique du mouvement. Après avoir été réélu en 1985, il démissionne de son mandat en 1986 en désaccord avec la proposition d’opposition constructive envers la majorité PSC-PRL à la région wallonne. Après avoir travaillé dans un bureau d’étude dépendant de la banque Paribas, il devient en 1989 responsable de Greenpeace-Belgique. Il revient à ses premiers amours lors des élections législatives de 1995 au cours desquelles il mène la liste d’Ecolo à la Chambre dans l’arrondissement de Bruxelles-HalVilvorde. 256 Membre fondateur d’Ecolo, principal animateur de sa commission économique, ancien co-directeur de l’IRES-service de conjoncture (UCL), secrétaire fédéral dans les années quatrevingts, Philippe Defeyt est élu député en 1991, après avoir été conseiller économique du groupe des Verts au Parlement européen. Figure de proue dans le dossier des écotaxes, il rate de peu sa réélection en mai 1995. Compagnon de route d’Ecolo pendant les années quatrevingts, éducatrice, militante de l’associatif, professeur dans l’enseignement technique, Isabelle Durant devient attachée du groupe des élus régionaux bruxellois d’Ecolo en 1991. Elle accède au secrétariat fédéral en avril 1994. Pierre Jonckheer adhère à Ecolo en 1986. Sénateur coopté en 1991, il conduit la liste au Sénat lors des élections législatives de mai 1995. Tête pensante de la mouvance écologiste dans les années septante, un des pères fondateurs d’Ecolo, docteur en sciences, Paul Lannoye a été tour à tour secrétaire fédéral et parlementaire. Il a été élu député européen en juin 1994. Enseignant, actif dans le milieu associatif, Jacques Liesenborghs adhère à Ecolo en 1990. Figure en vue du mouvement des enseignants en 1990-1991, il est élu sénateur en 1991. Quatre ans plus tard, il décide de ne pas poursuivre son mandat et de retourner dans l’enseignement. Licencié en journalisme, Jacky Morael rejoint Ecolo peu après sa fondation. Secrétaire parlementaire de José Daras, il sera tour à tour secrétaire local, régional avant d’accéder au secrétariat fédéral. En 1991, il est élu député ; poste qu’il abandonne moins de trois ans plus tard pour redevenir secrétaire fédéral et porteparole d’Ecolo en avril 1994. Animateur d’une maison de jeunes, à Ganshoren, Henri Simons rejoint Ecolo en 1982. Secrétaire parlementaire de JeanFrançois Vaes, assistant social au MRAX, il remplace Jacques Preumont à la Chambre en 1987. Réélu, il devient chef de groupe à la Communauté française. A la suite des élections communales de 1994, il occupe le poste d’échevin de l’Urbanisme à la ville de Bruxelles. 257 Le temps d’un bilan : Ecolo et la société Certaines des réponses de nos interlocuteurs sont abordées sous deux angles. D’une part, ce qu’Ecolo a pu contribuer à faire et à changer depuis son existence. D’autre part, ce qu’il a empêché de réaliser ou les processus qu’il a ralentis. Il convient aussi de signaler que beaucoup des interviewés soulignent la difficulté d’isoler l’action et les contributions d’Ecolo de celles de la «nébuleuse écologiste» ou, le cas échéant, d’une évolution d’une conjoncture politique : — «Il est difficile d’isoler vraiment le bilan d’Ecolo du bilan de l’ensemble des associations, des groupements, des mouvements qui s’occupent d’écologie» (P. Defeyt). — «Je ne crois qu’on puisse détacher l’apport d’Ecolo de l’ensemble de la mouvance écologiste et des partis verts, qui se sont institutionnalisés au début des années quatrevingts» (P. Lannoye). Au registre des réalisations, on note d’abord l’idée d’un nouveau rapport à la politique. Cette autre relation est évoquée en termes multiples : comportements, morale politique, vivification de la démocratie. — La dimension morale est fréquemment citée : «Ecolo a réussi à initier une sorte de moralité en politique qui peut redonner confiance à la participation. Du côté francophone, cette nouvelle culture politique a une seule base : Ecolo» (H. Simons). La notion même de moralité est cependant appréhendée avec une certaine prudence. Jacky Morael n’est, par exemple, pas sûr qu’il s’agisse d’un acquis «totalement positif», mais identifie cet aspect comme une des sources de l’écologie politique : «Ce n’est pas un hasard si les prémisses de l’écologie ont porté des noms comme «démocratie nouvelle.» Il y avait dès l’émergence des prémisses écologistes une volonté de secouer le cocotier, d’aérer les processus politiques.» — Les comportements politiques nouveaux, tels le non-cumul des mandats, la rotation facilitée, la démocratie participative apparaissent comme des éléments marquants : «On a apporté en termes de pratiques politiques : la rotation, le comportement visà-vis de l’argent,...» (P. Lannoye). Jacques Liesenborghs pointe aussi cette composante : «Ce qui m’a frappé et séduit à Ecolo, c’est une pratique de la politique différente. Il y a un apport fort qui est de questionner les pratiques politiques traditionnelles. Ecolo a donné la preuve qu’il y avait moyen de faire et de progresser autrement.» 258 Un des aspects qui fait l’unanimité parmi nos interlocuteurs, seize ans plus tard, est d’avoir mis à l’agenda politique des questions jusqu’alors ignorées ; d’avoir sur ces problématiques concouru à la «contagion culturelle» : «Il y a manifestement des acquis culturels : des notions comme le long terme, les générations futures, l’environnement ou la protection de la nature ont aujourd’hui droit de cité dans le débat politique» (J. Morael). Le premier thème mentionné est bien évidemment tout ce qui est du ressort des questions environnementales. — «On a pesé essentiellement sur ce qu’on nous reconnaît, c’est-àdire les thèmes d’environnement» (M. Cheron). — «C’est évident que les problématiques de protection de l’environnement ont beaucoup avancé en termes de contagion culturelle : une prise de conscience s’est faite sur une série de terrains de cette nature» (I. Durant). — «Ecolo a tenté et partiellement réussi à faire passer dans le débat politique un certain nombre de débats politiques qui n’avaient pas lieu. Que l’on songe à la politique énergétique, par exemple.» (P. Lannoye). Au-delà des questions environnementales, Ecolo aurait aussi contribué à interpeller sur la philosophie de nos sociétés, sur son fonctionnement, sur ses logiques : «Nous avons contribué avec d’autres à alimenter le questionnement sur la croissance, sur le modèle de société pour le vingt et unième siècle» (J. Liesenborghs). Le problème de la croissance et de l’emploi sont aussi rappelés par José Daras : «On a été les premiers à dire que la croissance, même retrouvée, ne rétablira jamais le plein emploi. Et on a posé le problème de la répartition de l’emploi. Aujourd’hui, c’est une idée acceptée.» Mais si tous relèvent la dimension «contagion culturelle», beaucoup en signalent les limites et différencient leur impact : «Les politiques «vertes» des autres partis sont le résultat de la poussée d’Ecolo» (J. Liesenborghs). C’est en quelque sorte, comme le souligne Philippe Defeyt, un rôle d’aiguillon que jouerait Ecolo : «Dans les fait, nous sommes un aiguillon.» Dans la vie et le monde politique belge francophone, le parti socialiste est le plus souvent sollicité comme récepteur premier des idées portées par Ecolo. Parfois au corps défendant d’Ecolo et sous des angles différents. 259 — «Une des vieilles peurs d’Ecolo, c’est d’être l’aiguillon de la gauche. Peut-être que paradoxalement, cela a été notre rôle le plus évident» (M. Cheron). — «Le poids politique qu’on a pu avoir sur des structures comme le PS, c’est qu’à l’intérieur de ce parti, des gens qui pensaient comme nous ont eu un autre poids. On n’a pas été seul. Peut-être leur fait-on peur politiquement» (H. Simons). Les limites pointées à cette «contamination» sont de plusieurs ordres. — Une déformation des thèmes et des projets portés par Ecolo, à l’image des écotaxes sabordées au profit de la proposition patronale Fost plus, est répétée avec récurrence. — Il existe souvent un décalage important dans le temps entre les suggestions d’Ecolo et le moment où elles sont abordées pratiquement. Outre qu’elles seraient souvent déformées, elles seraient aussi récupérées : «On nous reconnaît bien souvent, a posteriori ou dans des conversations privées, des bonnes idées mais on en tire peu de profit électoral» (P. Defeyt). Il y aurait un obstacle ou, plus exactement, un seuil à franchir qu’Ecolo n’aurait pas encore atteint : «On a acquis une crédibilité interne, au sein du monde politique en général, mais sans avoir pu transformer l’essai» (P. Jonckheer). — Il y a aussi les frontières sociétales à la contagion culturelle. Pour Pierre Jonckheer, il n’y a pas de mouvement social fort porteur des problématiques d’Ecolo : «Ce qui m’a toujours beaucoup frappé en Belgique, surtout du côté francophone, c’est que les mouvements écologistes n’ont jamais réussi à constituer un «mouvement culturel», un «mouvement social» (coopératives, banque alternative,...) qu’on pourrait qualifier d’un phénomène de contre-culture à l’instar de la situation en Allemagne. Dans cette optique, la présence et l’installation d’Ecolo sont un acquis important.» Acquis mis en exergue, dans une même optique, par Olivier Deleuze. Ecolo serait un pôle d’alternatives dont la teneur et les formes auraient d’ailleurs évolué dans le temps : «A mon avis, c’est une autre façon de penser. Les trois partis traditionnels disent à peu de choses près la même chose. Et c’est peut-être plus spectaculaire maintenant. Dans les années quatre-vingts, c’était surtout une autre manière d’être.» — Une autre réserve tient aux bornes des domaines de la propagation culturelle. Si les pratiques politiques ou les thèmes de l’environnement sont fréquemment portés au crédit d’Ecolo, plusieurs personnes soulignent l’obstacle de la crédibilité sur les questions socio-économiques : «On a eu beaucoup de mal à s’imposer sur des thèmes socio-économiques. En la matière, notre crédibilité n’est pas encore reconnue. Nous souffrons entre autres 260 de la discrétion compréhensible dont s’entourent certains acteurs socio-économiques, en ce qu’elle les empêche de dire publiquement le bien qu’ils pensent des propositions d’Ecolo» (P. Defeyt). «C’est inutile que je revienne sur la réforme de l’Etat parce que cela fait partie des évidences. Il y a d’ailleurs des choses qu’on a oubliées au-delà de la réforme de l’Etat et du dossier des écotaxes, tels le congé politique par exemple qu’on a fait avancer, la possibilité pour les régions de donner la qualité de d’officier de police judiciaire à leurs agents,....» Le caractère d’évidence que confère José Daras à la réforme de le l’Etat n’a pas lieu d’être. D’initiative, six des dix personnes interrogées ne l’ont pas nommée : Jacky Morael, Jacques Liesenborghs, Paul Lannoye, Philippe Defeyt, Olivier Deleuze et Henri Simons. Lorsque la réforme de l’Etat est mentionnée, c’est principalement le volet concernant le refinancement de la Communauté française qui est mis en avant : — «Dans l’opposition constructive, on a beaucoup pesé, mais sans que cela soit reconnu, ni même respecté. Mais on a vraiment pesé sur la société. Quand je prends le dossier du financement de la Communauté française, je me demande sincèrement ce que serait cette institution aujourd’hui, s’il n’y avait pas eu la Saint-Michel et la Saint-Quentin. Elle serait en faillite» (M. Cheron). — «Je songe en particulier à son volet «refinancement de la communauté française» et son volet «fédéraliste» qui était finalement très proche de celui d’Ecolo» (I. Durant). Pour certains, la participation à la réforme de l’Etat a été vécue comme la recherche légitime d’une respectabilité et d’une crédibilité. Pour Pierre Jonckheer, par exemple, l’objectif recherché par Ecolo «était un objectif d’opportunité politique, de reconnaissance par les autres acteurs. Il faut ajouter le fait que les propositions qui étaient sur la table étaient des propositions qu’on avait en matières institutionnelles auquel il faut ajouter le volet «refinancement partiel de la Communauté française».» Cet élément, qui n’est pas remis en cause, a eu son prix : «La volonté d’aboutir à tout prix à un accord a surdéterminé l’ensemble du processus.» 261 Ajoutons que l’évolution du dossier «écotaxes», la campagne que les verts ont dû subir du monde patronal, l’attitude des partis de la majorité ont fortement marqué les esprits (voir infra). «C’est vraiment le lobby industriel qui n’a pas supporté que le politique lui impose sa loi» soutient José Daras, qui ajoute : «On a fait taire à la FEB les entreprises qui étaient favorables au projet.» La contribution au fonctionnement de la démocratie représentative est une réponse fréquente de nos interlocuteurs, inquiets, interloqués et parfois désabusés par l’évanescence de l’institution parlementaire : «J’ai réalisé que le Parlement est une institution qui ne fonctionne pas. Et je suis inquiet de la faiblesse idéologique et culturelle des débats» (P. Jonckheer). Jacques Liesenborghs confirme de diagnostic : «Nous avons très largement contribué à ce que le travail parlementaire existe encore. L’absentéisme parlementaire est presque aussi grand en commission qu’en séance publique. La plupart des parlementaires de la majorité sont réduits à un rôle de presse-bouton.» Comme le confirme Pierre Jonckheer, en matière d’acquis législatifs, la moisson apparaît négligeable : «Si on voit le bilan en termes de production légistique, c’est extrêmement mince.» Jacky Morael cite le «demi-moratoire» sur le nucléaire signé par la Belgique. «Grâce à Henri Simons on a fait adopter une loi sur la protection de l’Antarctique» rappelle aussi José Daras. A la région wallonne, plusieurs évoquent la législation sur les études d’incidence (1985) votée sur l’initiative de José Daras qui souligne que la région wallonne a été une des premières à appliquer cela en Europe ou, plus justement, à pouvoir l’appliquer. Philippe Defeyt remémore le décret sur l’aide aux entreprises : «Sur quelques éléments ponctuels, on a contribué à infléchir des textes de manière significative. Par exemple le décret sur l’aide aux entreprises voté à la région wallonne en juin 1992 où nous avons introduit des amendements qui ont été acceptés. Ils portaient notamment sur la possibilité d’aider de manière plus significative les entreprises répondant à un certain nombre de critères en matière d’environnement : consommation d’énergie,....» Les lois sur le financement des partis sont aussi mentionnées mais tous précisent le contexte spécifique dans lequel elles ont été adoptées. 262 Nous l’avons dit, une des fonctions qu’Ecolo aurait aussi jouée aux yeux de plusieurs cadres du parti est d’empêcher ce qu’on pourrait qualifier, dans la logique des écologistes, le «pire du mauvais» à une échelle générale ou très souvent au niveau communal. «Quand on voit l’immense proximité des trois familles traditionnelles gestionnaires (le PS, le PSC et le PRL), si les verts n’étaient pas là probablement qu’une série de choses seraient faites avec plus d’ampleur. On a représenté une forme de vigilance critique» soutient Jacky Morael qui mentionne le combat contre la dérive des travaux et des sous-statuts précaires, notamment au moment du lancement des agences locales pour l’emploi. José Daras pointe la même dimension pour l’échelle locale : «Ca peut être aussi le machin dégueulasse qu’on a empêché de se réaliser en actionnant toutes les possibilités de recours.» Les aléas d’un mouvement-parti A l’évocation du bilan interne d’Ecolo, le premier commentaire qui viennent à l’esprit des responsables interviewés est l’institutionnalisation du parti : «Je crois que le fait majeur, c’est l’institutionnalisation d’Ecolo» atteste Paul Lannoye. La dimension d’Ecolo liée à sa fraîcheur politique, à sa naïveté aussi, disparaît. Henri Simons le souligne : «Il y a aujourd’hui une notabilité de l’écologie politique. Pour ceux qui ont moins de trente ans, Ecolo a toujours été là. Il est évident qu’il y a, de fait, quatre présidents de parti qui viennent débattre en période électorale. On n’a plus la même juvénilité.» A époque différente, fonctions et exigences différentes. Olivier Deleuze en fait état : «Ecolo est plus fort techniquement. Il est obligé car c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui. A l’époque quand on me demandait où on trouverait les vingt milliards qui manquaient au budget de l’Etat. C’était simple. On disait «vingt milliards, cela fait vingt kilomètres d’autoroutes. On construit vingt kilomètres d’autoroutes en moins.» Aujourd’hui, on ne peut plus faire cela. Il faut chercher sérieusement. Et Ecolo sait le faire maintenant. Je ne crois pas qu’il soit pour autant perçu comme crédible. Il y a d’autres domaines où on a beaucoup changé, où on s’est beaucoup bonifié. Par exemple dans les prises de positions en politique étrangère.» Jacky Morael relève aussi le niveau plus élevé d’exigence : «L’exigence vis-à-vis de nos interventions est devenue plus grande. Aujourd’hui l’à peu près est dangereux et ne donne pas de résultats.» 263 En s’institutionnalisant, Ecolo a aussi étoffé son programme et ses axes d’intervention, notamment dans les domaines économiques et sociaux. «Ecolo est plus social qu’avant. On a des positions maintenant sur l’emploi, sur la sécurité sociale qu’on n'avait pas avant. Cela ne nous intéressait pas» précise Olivier Deleuze. Ecolo a aussi acquis un caractère généraliste. Le fait qu’Ecolo ait pu améliorer son programme dans plusieurs champs contribue, selon Henri Simons, à montrer, que «l’écologie politique n’est pas que de l’environnement.» Si la structure et le fond des réponses à l’apport externe sont relativement identiques, s’il y a observation commune sur l’institutionnalisation du parti, il existe des appréciations diverses sur l’évolution du fonctionnement interne. Quelques intervenants soulignent une évolution dans la continuité. Permanence dans la démocratie participative et ses principes originels (non-cumul, fédéralisme,...) et amélioration dans ses modalités d’application. «Ce qui m’émerveille, c’est que la rigueur interne d’honnêteté qui donne une force à notre notion de moralité extérieure est restée la même. De même, il n’y a toujours pas de cumuls à Ecolo» souligne ainsi Henri Simons. «On doit en partie conclure à une structuration progressive du mouvement. Les structures sont mieux définies et mieux précisées qu’elles ne l’étaient au début des années quatre-vingts. On a mieux huilé les mécanismes de démocratie interne» avance Jacky Morael. «Il n’y a pas eu de remise en cause des principes de départ. En ce qui concerne le fonctionnement, l’évolution a été positive. On ne peut pas continuer à garder les mêmes règles de gestion quand les choses changent et évoluent. Ecolo est plus fort parce qu’il a une meilleure assise dans la population, un meilleur pourcentage, parce qu’il plus de moyens matériels et parce que les gens travaillent bien» renchérit José Daras. Olivier Deleuze confirme : «D’un point de vue interne, c’est mieux organisé. C’est plus près des faits et de la réalité.» Si Philippe Defeyt partage ces appréciations positives, il arrête cette évolution au début des années nonante. Mobilisé par la réforme de l’Etat et les échéances électorales de 1994 et 1995, le fonctionnement interne en aurait pâti : «Si je devais donner une appréciation globale, je crois que la côte suivrait la courbe des résultats électoraux. Donc, avec un sommet à la fin des années quatre-vingts. Mais aussi un recul au cours des dernières années. 1990 marque le pas. Une partie de l’explication tient dans le fait qu’une série de personnes-moteur a été absorbée par la vie parlementaire et, en plus, très fortement 264 absorbée par les discussions sur la réforme de l’Etat. L’interne a été un peu négligé.» La structuration et l’adaptation dans les faits ne sont pas perçues aussi clairement par tous. Pour Jacques Liesenborghs, «si les statuts et les structures sont très claires, j’ai parfois le sentiment qu’il y a une difficulté à les réinventer, à les réadapter en permanence.» Dans ce tableau de considérations sur la démocratie participative et son application interne, Marcel Cheron est le plus dubitatif sur les acquis et la valeur de la démocratie directe : «On a voulu instaurer une vraie démocratie interne reposant sur la transparence, sur les débats à tous les niveaux, tout le temps et sur tout. Cela vient d’une demande d’une partie de la société. Qu’en est-il en termes de réalité et d’efficacité ? Je suis assez négatif. Permettre d’intervenir tout le temps et sur tout, quoi que l’on fasse, pose problème. Les gens qui portent des projets, qui assument des responsabilités ont à affronter des pressions et des critiques un peu à tort et à travers. Cela mine des velléités de prise de responsabilité et on perd une énergie folle. Au surplus, c’est un fonctionnement qui confond parfois poujadisme, démagogie et véritable démocratie.» D’un tout autre point de vue, Philippe Defeyt s’interroge sur la pertinence du mode de fonctionnement des assemblées générales, et sur le fait que vienne qui veut : «J’ai à deux reprises vainement proposé que certaines assemblées générales d’Ecolo soient transformées en équivalent d’assemblées parlementaires. C’est-à-dire avec des désignations. Le fait de désigner se ferait au niveau régional ou local. Cela présenterait deux avantages : il y aurait un débat préalable et il y aurait la récolte d’avis auprès des gens qui ne viennent pas aux assemblées générales.» Nous avons en effet observé la faible présence aux assemblées générales. Cette suggestion relève aussi d’un débat contemporain dans Ecolo : le rôle et le poids des permanents dans les instances décisionnelles. Philippe Defeyt n’en fait pas mystère : «L’accumulation de moyens a, qu’on le veuille ou non, un peu bureaucratisé ou alourdi notre fonctionnement interne.» Sujet délicat s’il en est. Dans sa chronologie du mouvement, Paul Lannoye pointe cette évolution et ses menaces actuelles : «L’étape suivante a été la fin des années quatre-vingts avec le financement public des partis et les deux victoires électorales. On passe de dix à cent permanents. C’est un autre changement qui peut être dangereux : celui de la bureaucratisation du parti. Ce n’est pas un mal en soi si 265 on gère cette situation. Mais pour le moment, on ne le gère pas très bien. Nos mécanismes démocratiques du début s’érodent. La distance entre permanents et non-permanents s’accroît. On doit absolument maintenir une différence de statuts entre permanents et non-permanents.» Cette question est fréquemment évoquée ; dans des sens divers. Consciente des différences de fait entre les deux catégories de membres, Isabelle Durant plaide la nécessaire association des non-permanents aux décisions : «Il y a un problème d’écart entre permanents et non-permanents. Le mariage entre les deux reste un exercice très difficile. Il y aura toujours un fossé entre les deux mais il faut qu’il soit sur le détail et non sur le fond.» Démarche difficile, éreintante mais incontournable pour la secrétaire fédérale : «La volonté de formation, de discussion et de débat est exceptionnelle à Ecolo. J’en ai fait l’expérience pour le débat sur la sécurité sociale et celui sur «Ecolo cap 2 000.» C’est aussi quelque chose que je vis comme extrêmement fatigant. Le nombre de réunions auxquelles on participe est très important mais c’est totalement indispensable. On est très exigeant pour les cadres et les militants à Ecolo. Il faut vraiment y croire.» Pour parvenir à cet objectif, la formation est présentée comme un point capital. Malgré les difficultés, les appréciations à ce sujet sont unanimes. La transformation, ces cinq dernières années, est perçue comme très positive. — «Ce qui est difficile aussi, c’est la formation des membres. Il y avait une grosse demande. Il y a de gros efforts qui ont été faits. Mais c’est difficile» (J. Daras). — «En cinq ans, l’aspect formation des militants a fait un bond considérable. On y a consacré des moyens importants et des personnes» (J. Liesenborghs). L’implantation et le recrutement sont au centre de préoccupations et d’interrogations. Le nombre restreint d’adhérents fait l’objet de constats regrettés. «On n’a jamais fonctionné sur la logique des piliers. Donc, on a toujours eu des difficultés à élargir notre base. Le problème, c’est que nous n’apportons aucun intérêt direct aux gens dans la durée. La hausse de nos adhérents est très lente et très difficile. D’où parfois des difficultés d’implantation au niveau communal» commente José Daras. La continuité et le fonctionnement au niveau local en souffrent. «Si notre implantation est correcte au niveau régional, elle est plus nuancée au niveau local» avance pudiquement Jacky Morael. Jacques Liesenborghs confirme : «Les groupes locaux sont très difficiles. Car s’il existe un volontarisme, il y a une difficulté 266 de permanence dans la durée. Parfois un très grand irréalisme ou une très grande difficulté à concrétiser. Parfois l’absence de formation à la conduite de réunions.» Ces éléments amènent certains responsables à s’interroger sur le recrutement par le seul niveau local. Dans ce questionnement, Isabelle Durant est la plus explicite : «Je crois que l’engagement local est un moyen de recrutement intéressant mais ce n’est pas suffisant. D’abord parce que la mobilité, surtout des jeunes, est importante. Ensuite, parce que les affaires locales n’intéressent pas tout le monde. Il faut réfléchir sur un engagement à partir de thématiques sans que l’on crée pour autant des logiques corporatistes ou sectorielles dans Ecolo. Au contraire, l’idée est d’insérer les compétences dans une vision globale.» Une nouvelle étape : le pouvoir ? Nous l’avons vu, le principe même de la participation au pouvoir est, aujourd’hui, une donnée intégrée dans Ecolo. Il n’y a plus guère de sensibilités politiques régionales défiantes envers cette perspective. D’autant que l’opposition constructive ou la participation sans y être, selon les interprétations, à la réforme de l’Etat a frappé les imaginations. — «Cette participation a déjà eu lieu lors de la réforme de l’Etat. Ce n’est pas du tout à négliger» (J. Liesenborghs). — «L’opposition constructive, je n’y crois pas. On est dans l’opposition ou dans la majorité. La réforme de l’Etat l’a montré. Les chèvres ne peuvent pas être dans la même barque que celle des loups» (O. Deleuze). — «L’opposition constructive est un avatar de la participation qui ne nous a sans doute pas été profitable et qui est peut-être un chose à ne plus refaire» (M. Cheron). — «Pour mettre en application ses options, Ecolo devrait participer au pouvoir. Les écotaxes l’ont montré. On ne peut faire appliquer par d’autres ses options» (J. Morael). 267 Cette période et cette expérience ont frappé à telle enseigne que d’aucuns s’interrogent sur une occasion manquée d’une vraie participation au pouvoir. — «Après coup, on peut se demander si ce n’est pas quelque chose que nous aurions dû négocier en même temps que la réforme de l’Etat : la mise en œuvre de ce qu’on votait. En tout cas aux exécutifs régionaux et communautaire» (P. Defeyt). — «Après coup, je me dis qu’en 1991-1992, on aurait dû aller au pouvoir. En tout cas on aurait dû poser le problème de façon plus claire» (P. Lannoye). La problématique de la participation au pouvoir comme étape nouvelle, comme saut qualitatif indispensable pour le futur voire la survie d’Ecolo, fait en revanche l’objet d’avis contrastés. Si tous nos interlocuteurs reconnaissent l’intérêt de participer au pouvoir et partagent le rejet du pouvoir pour le pouvoir, les opinions divergent sur sa nécessité comme perspective. Pour Olivier Deleuze, la réponse positive ne fait pas de doutes, d’un double point de vue : «Je pense qu’Ecolo a besoin de participer au pouvoir. D’un point de vue interne et externe. Au plan interne, parce qu’il est important de confronter ses idées avec la réalité. La pensée doit se heurter aux faits. D’un point de vue externe, la crédibilité vient aussi de faire quelque chose et pas simplement de s’opposer.» Double approche qu’évoque aussi Marcel Cheron : «la participation au pouvoir est à la fois un objectif louable et nécessaire. C’est un cap à franchir d’un point de vue interne et externe. On a besoin de cette espèce traversée de la forêt. On ne peut se complaire dans l’opposition. Il faut se confronter aux réalités. On doit traduire notre projet politique. Selon moi, c’est aussi une réflexion sur l’extérieur qui peut amener une survie à l’intérieur.» Isabelle Durant place sa réponse affirmative sous un autre angle, les limites de la contagion culturelle : «Je ne crois pas qu’Ecolo puisse encore vivre quinze ans sans participer au pouvoir. Il me semble qu’on est au bout des limites de la contagion culturelle. Ceci dit, il faut prendre une éventuelle participation au pouvoir comme une série de leviers. Tout sera dans la capacité de négocier un accord convenable et de se créer des marges de manœuvres. Ce n’est pas le pouvoir pour le pouvoir.» Pour José Daras, c’est dans la logique des choses pour un parti politique : «Bien sûr. Parce qu’aussi non cela voudrait dire qu’Ecolo n’est pas totalement un parti démocratique. Quand on fait de la 268 politique dans un système démocratique, il est sain qu’un parti qui souhaite changer la société veuille aller au pouvoir.» Henri Simons est plus sceptique : «Ce n’est pas une étape (aujourd’hui) indispensable.» Tandis que Jacky Morael affirme qu’«Ecolo peut encore vivre quinze ans sans participation au pouvoir.» Il ne mourra pas de l’opposition. Entre ces deux perceptions, les jugements sont nuancés. Philippe Defeyt souligne ainsi les limites de l’étape envisagée : «Participer au pouvoir est un élément fondamental pour assurer la permanence d’un parti. Pourrons-nous garder des résultats électoraux et une capacité créatrice jusqu’au moment où l’occasion se présentera ? Mais attention, sur ce point-là, il ne faut pas négliger l’analyse historique par rapport au FDF et aux partis communautaires. Participer à un exécutif ne suffit pas. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante.» Paul Lannoye est sceptique envers l’idée de phase obligée : «Je ne crois plus que la crédibilité s’installe sur une participation au pouvoir. Sauf si on y va dans des conditions qui permettent d’impulser un changement d’orientation très fort.» Mais il reconnaît les risques de l’opposition continue : «Ceci dit, je crois que si on reste tout le temps dans l’opposition, il y a un risque d’essoufflement.» La possible lassitude de l’opposition est également mise en exergue par Pierre Jonckheer : «J’ai le sentiment que l’opposition use. En particulier pour les membres Ecolo qui sont là depuis longtemps que ce soit au niveau communal ou régional.» De fait, nombreux sont ceux qui ont noté, dans la préparation des élections communales de 1994, la volonté des locales d’être partie prenante à la future majorité pour pouvoir faire des choses, pour porter des projets. — «J’étais frappé dans les formations pour les élections communales combien les gens souhaitaient pouvoir participer au pouvoir communal» (J. Daras). — «J’ai été frappé par le nombre de groupes locaux qui affichaient franchement : notre objectif, c’est d’être dans la coalition. Il était même au cœur de la stratégie locale» (J. Morael). 269 Depuis 1994, Ecolo est dans huit majorités communales. Ces participations sont-elles visibles, doivent-elles l’être et peuventelles l’être ? Ces questions sur la visibilité ne sont pas simples. Dans le principe, beaucoup répondent positivement mais fixent aussi les difficultés et les frontières de cette visibilité. D’abord, le fait qu’Ecolo est ou serait dans une coalition. Que donc des compromis sont indispensables. Pierre Jonckheer le rappelle : «J’aurais tendance à dire que cela doit être très visible. On doit pouvoir dire : «Ecolo a pris ses responsabilités dans un exécutif. Dès lors, sur tel et tel point prioritaire, on a avancé.» Mais il ne faut jamais oublier qu’on est dans des systèmes de coalitions.» Ensuite, la visibilité ne doit pas se faire au détriment du caractère «normal» de la participation d’Ecolo à une majorité : «Oui, il faut que les majorités où Ecolo participe au pouvoir aient un caractère exemplatif. La présence d’Ecolo dans une commune doit montrer que cette commune ne fait pas ce qu’elle s’est contenté de faire jusqu’alors. Il faut un plus. Mais il faut être prudent dans «l’expérimentation.» Les gens ont besoin d’être rassurés. Il faut aussi comprendre que l’arrivée d’Ecolo dans une coalition n’est pas une révolution» (J. Morael). A partir d’une même philosophie, Marcel Cheron en appelle au «principe de réalité» : «Je récuse cette notion de visibilité. Parce qu’on est dans une majorité communale, cela devrait forcément être hypervisible. Dans ces conditions, on se condamne d’office à rater. Parce que la réalité est différente. Il y aura évidemment une spécificité Ecolo. Mais il faut être raisonnable. On est une des branches de la majorité. Et clairement pas la plus importante. Je suis sensible à la stratégie des petits pas. Nous devons banaliser la participation d’Ecolo dans les communes. Cela doit être quelque chose de normal. Et l’objectif, cela doit aussi d’être aux niveaux régionaux, communautaire et fédéral.» Les obstacles temporels sont souvent mis en évidence. Faire progresser des dossiers est lent. «La difficulté c’est de travailler sur des tableaux simultanés : à la fois de la visibilité à court terme et en même temps, il faut avoir un travail de fond dans les compétences que l’on a. En particulier sur la concertation, sur les projets élaborés à partir des demandes du terrain. Et tout cela est lent» stipule Isabelle Durant. A cette contrainte, s’ajoute celle de l’effectivité de l’autonomie communale en termes de moyens. «C’est très difficile parce que le pouvoir communal est beaucoup plus limité qu’on ne le croit. Il y a plein de contraintes et de tutelles» rappelle José Daras. Pour Jacky Morael, une présence 270 d’Ecolo à l’échelle régionale changerait, dans cette optique, les perspectives au niveau communal :»Mais il faut prendre en compte le caractère de plus en plus fictif de l’autonomie communale. Aujourd’hui un bon gestionnaire communal, c’est quelqu’un qui va pomper des subsides. Donc la participation éventuelle d’Ecolo au niveau régional est de nature, en termes de leviers, à avoir d’énormes conséquences sur les politiques communales. Le cadre des conditions pour les subventions change complètement.» Actuellement, la présence d’Ecolo dans la majorité communale de Bruxelles-ville fait manifestement office de référence et de vitrine pour les verts. De par la personnalité d’Henri Simons, de par l’envergure des compétences de son échevinat, de par la médiatisation dont jouit, en tant que telle, la ville de Bruxelles. Ecolo est-il prêt, fonctionnellement, à aller au pouvoir ? Henri Simons se pose la question. Notamment en termes de confection éventuelle de cabinets : «Je ne suis pas demandeur d’une vitesse extrême. Il faut former des cadres capables d’assumer ce pouvoir. Ce n’est pas si évident.» Pour Jacky Morael, même si le vivier est moins important que pour les partis classiques, ces craintes n’ont pas vraiment lieu d’être : «Je n’ai pas beaucoup d’inquiétudes à ce sujet. Il y a autour de nous suffisamment d’hommes et de femmes très compétents, qui tant qu’Ecolo n’est pas au pouvoir ne feront jamais le pas parce qu’ils n’en ressentent pas vraiment le besoin mais qui, le jour où nous devrons constituer des cabinets, répondront présents.» Hypothèse partagée par Isabelle Durant qui cite le cas de... Bruxelles-ville : «Il y a une expertise accumulée qui permettrait cette participation. On a des possibilités dans nos ressources et dans celles qu’on pourrait mobiliser à l’extérieur. L’exemple de Bruxelles-ville le montre.» Au-delà de la rhétorique bien connue qui veut qu’Ecolo n’ait aucun partenaire privilégié pour une éventuelle participation au pouvoir, à l’exception de l’extrême droite, qu’en est-il pour les cadres interrogés ? Tous partagent le discours officiel, avec quelques nuances à l’instar de Jacques Liesenborghs : «Non il n’y a pas de partenaires privilégiés, mais je dis cela avec un léger sourire. Je crois qu’avec certains, ce serait vraiment très difficile. Ceci dit, je ne généralise pas.» 271 De fait, chaque interviewé montre les complications programmatiques qu’aurait une majorité avec le PRL mais rappellent tout aussitôt la complexité forte d’une majorité avec le PS et le PSC. Sous d’autres plans. Au demeurant, les trois partis historiques belges se présentent aux écologistes sous des positions tellement proches qu’aucune porte ne doit être fermée. — «On a beaucoup de difficultés naturelles avec le PRL sur les programmes. Mais paradoxalement, je constate qu’on peut parfois faire un certain nombre d’avancées avec la famille libérale sur des thématiques : le fonctionnement des institutions, la dépolitisation d’un certain nombre d’outils importants,... A priori, on nous imagine plutôt dans un front des progressistes. Mais où sont-ils ces «progressistes» ? Est-ce qu’il y a sérieusement une énorme différence entre une «consolidation stratégique» et une privatisation ? Qui remet en question les critères de Maastricht ? Il n’y a pas de partenaires privilégiés. Il ne faut rien exclure» (M. Cheron). — «A priori, il n’y a pas de partenaires privilégiés. Dans les faits parfois. Mais on ne les choisit pas au préalable. Surtout quand on est dans une région où la famille politique suspectée d’être la plus proche est une famille hyper-dominante : les socialistes qui, comme toute famille dominante, ont un comportement souvent totalitaire» (P. Lannoye). — «En termes de partage de pouvoir, ce serait plus facile avec les libéraux. Fondamentalement, cela le serait sûrement plus avec le PS. Il y a des difficultés avec tous les partenaires» (J. Daras). — «Si l’on considère que fondamentalement, les trois principaux partis sont proches, il n’y a pas de raisons d’en privilégier un plutôt qu’un autre. Mais peut-être qu’il y a des moins pires que d’autres» (J. Morael). Au surplus tactiquement, et c’est un élément déterminant dans les propos déjà évoqués, les verts ne veulent pas se faire piéger. Ce qu’explique prosaïquement Jacky Morael : «Si on dit que X est notre partenaire privilégié, on met toutes les cartes dans les mains de X. On n’est pas fou à ce point !» 272 Ni à gauche, ni à droite. Ailleurs ? Les questions relatives au positionnement politique d’Ecolo sont celles qui provoquent le plus de réponses évasives. Le refus de se situer par rapport à l’axe gauche-droite est quasi généralisé mais avec certaines nuances. Seul Henri Simons se présente clairement sur cet axe : «Moi, je suis de gauche et je le dis. Dans les valeurs, je pense qu’on est de gauche.» Ce qui n’empêche pas certains répondants de concevoir la faiblesse de la formule «ni à gauche, ni à droite.» — «C’est vrai que le «ni, ni», ce n’est pas beau. On a l’impression d’avoir à faire à des gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent.» (J. Morael). Pas beau peut-être, mais salutaire sur le plan électoral selon Pierre Jonckheer : «Je crois que cela a permis, sur le plan électoral, de rassembler des gens qui précédemment votaient sans doute de façon très diversifiée.» En termes de positionnement politique, plusieurs dimensions sont à l’œuvre dans les réponses des cadres d’Ecolo. La première fait référence à un stade et un clivage dépassés, qui serait aujourd’hui inintéressant : — «Se situer par rapport à la gauche ne m’intéresse pas. Elle a fait son temps. Je ne ressens pas du tout l’importance de se positionner à gauche ou à droite» (O. Deleuze). — «Personnellement, je ne trouve pas la question intéressante. Elle nous est posée par l’extérieur. Elle est un frein à bien préciser notre alternative» (J. Liesenborghs). — «Le clivage gauche-droite, c’est le clivage de la société industrielle. Nous voulons en sortir» (M. Cheron). — «Ce sont de vieilles étiquettes» (J. Morael). — «Ce sont de vieux placards. Se profiler à gauche ou à droite, cela ne veut plus rien dire» (J. Daras). — «Le clivage droite-gauche est un clivage hyper-réducteur qui, en soi, a perdu beaucoup de sa signification et de sa pertinence» (P. Jonckheer). Ces réponses se heurtent toutefois à une représentation caricaturée de la gauche : le parti socialiste en Wallonie ou parfois, plus largement, les partis sociaux-démocrates, une des incarnations du productivisme aux yeux des écologistes. Si les répondants dépassent cette vision caricaturale de la gauche, en faisant notamment référence aux valeurs, la filiation avec l’histoire de la gauche est admise. 273 — «Si on veut analyser Ecolo par rapport à un certain nombre d’enjeux qui généralement distinguent la gauche de la droite, on est clairement à gauche. Cela ne fait aucun doute. Mais si on réduit les enjeux politiques à ces enjeux, alors je ne suis plus d’accord. Si on dit : «on est de gauche», automatiquement on est réduit à moins que ce que l’on est» (P. Lannoye). — «Notre projet de société est beaucoup plus proche d’une philosophie fondamentale d’une vraie gauche que du libéralisme» (J. Liesenborghs). — «On peut constater une très grande proximité avec ce que la gauche défendait comme valeurs au XIXe siècle» (J. Morael). — «En termes de valeurs, les gens qui font de l’écologie politique en Belgique sont souvent des gens de proximité «gauche classique.» Mais il y a d’autres niveaux. Celui des propositions politiques comme telles où les nôtres sont originales par rapport au PS ou au PRL. Il y a aussi des différences concernant le comportement politique des gens. Il y a enfin le positionnement tactique : nous n’avons aucun intérêt à nous situer par rapport à l’un ou l’autre pour éviter toute situation de dépendance» (P. Jonckheer). La fin du propos de Pierre Jonckheer est sans conteste la composante déterminante dans le (non)positionnement politique des écologistes francophones : le refus d’être situé par rapport au parti socialiste. — «Je crois que le véritable problème, c’est la peur d’être associé à l’expression dominante de la gauche aujourd’hui, les partis sociaux-démocrates. C’est-à-dire en Belgique un parti gestionnaire sans souffle et des pratiques qui ne sont pas vraiment de gauche. Ce n’est évidemment pas par rapport aux valeurs, ni par refus d’un héritage. Ceci dit, il y a des valeurs importantes du libéralisme dans Ecolo : la liberté d’entreprise et la décentralisation, par exemple» (P. Defeyt). — «Si on dit qu’on est à gauche, on dira : «Ils sont avec les socialistes et les communistes»» (P. Lannoye). — «La vie politique est une vie piégée et les mots sont des mots piégés. C’est une bataille de communication. Ce sont des rapports de force continus. Il est impossible de faire la distinction entre les concepts de fond et la communication. Si tu le fais, tu meurs. Si on nous pose la question : êtes-vous à gauche ou à droite, une autre façon de la poser est «par qui voulez-vous être mangé ?» A cette question, je réponds : «Par personne !»» (O. Deleuze). — «Cette question me paraît à la fois pertinente mais aussi très réductrice parce qu’elle conduit à poser la question de ce qui vient après les élections. Si on dit qu’on est de gauche, on suppose qu’il y a une alliance naturelle avec le «grand frère» que serait le PS. 274 Or, ce n’est pas le cas. En plus cela supposerait que le PS soit de gauche» (M. Cheron). Mais le piège est parfois perçu de façon inversée. Telle est l’optique de Jacques Liesenborghs : «On s’est mis dans un piège avec ce positionnement (ni gauche, ni droite) dans un contexte où la gauche était assimilée au parti socialiste. Je crois qu’on prend distance par rapport à ce positionnement. On se positionne de plus en plus comme le parti porteur d’un projet alternatif.» D’un autre angle, c’est également l’approche d’Henri Simons : «Je pense que répondre «oui, on est de gauche» casserait ce piège une fois pour toutes.» Les réponses des membres à notre questionnaire troublent quelque peu cet ordonnancement. Elles laissent nos interlocuteurs plutôt silencieux. Certains ramènent ces positionnements à des proximités de valeurs sans préciser pour autant quelles valeurs différentes du positionnement «très à gauche» ou «gauche» recouvre le positionnement «ni à gauche-ni à droite» choisi par 20% des adhérents. Jacky Morael soumet l’hypothèse suivante : «Ecolo est composé d’un mouvement de gens qui, individuellement, se sentent à gauche mais pas collectivement.» S’il existe une croyance certaine en l’effectivité du dépassement du clivage gauche-droite, la question du positionnement politique reste pour l’essentiel associée à des considérations tactiques et stratégiques. Partant de ce constat, il est peu plausible, comme nous l’avons déjà souligné, de prophétiser des évolutions sensibles à Ecolo sur cette problématique. 275 Chapitre 10 Quelques conclusions 276 277 Jeune formation, Ecolo a su passer le cap difficile pour tout nouveau parti, celui de la confirmation après une première percée. Son implantation s’est effectuée lentement mais Ecolo a réussi à s’installer durablement dans le paysage politique francophone et belge. Son apport fondamental est d’avoir mis à l’agenda politique des questions jusqu’alors peu ou pas débattues dans les enceintes parlementaires et dans la société. Nous songeons, en tout premier lieu, aux problématiques relatives à l’environnement. Les questions énergétiques à l’aube des années quatre-vingts, les problèmes spécifiques tels celui de l’eau ou des déchets, l’idée d’une dette écologique à prendre en compte ont aujourd’hui droit de cité dans le débat. Bien plus, les autres partis ont pris en compte une partie de ces questions et les pouvoirs publics ont initié de nouvelles politiques sur ces sujets. Mais Ecolo a aussi amené des réflexions nouvelles sur de multiples problèmes de société au-delà des questions spécifiques de l’environnement : valeurs et état de la société de consommation, diminution du temps de travail comme perspective au chômage et comme projection du bien-être, rapport du travail à la société,... Plus récemment, Ecolo a donné plus d’épaisseur encore à l’écologie politique et aux thèmes dominants de ses débuts. Il s’est ainsi fait le gardien vigilant des prérogatives du «politique» dans la société contre la logique du marché et du dessaisissement des attributs des institutions de la démocratie représentative. Ecolo s’est en particulier fait le défenseur du secteur non-marchand et des services publics, à contre-courant de la logique dominante. Cette évolution dans l’appréhension des écologistes est, à certains égards, paradoxale. Il y a, en effet, aux sources de l’écologie politique dans les années septante, une méfiance et une critique profondes envers l’institution étatique. La confrontation aux réalités a modifié cette perception. Ecolo joue de la sorte un rôle d’aiguillon auprès d’une série d’acteurs de la société : les autres partis politiques, quelques composantes des organisations syndicales et du mouvement associatif. 278 Une autre dimension importante de l’approche d’Ecolo est sa détermination de proposer un projet global dans une perspective à moyen et à long terme. Dans cette optique, les verts s’affichent comme une alternative à l’organisation économique, politique et sociale dominante. Ils concourent ainsi à la structuration du débat sociétal. Mais cette ambition s’est parfois révélée être un handicap. Faute de répondant, les propos des verts tombent souvent à plat. Ecolo s’est voulu et a été le porteur de nouvelles pratiques politiques. Il y a indubitablement dans le chef des verts une tentative de faire de la politique autrement. Quelques éléments exemplifient cette démarche : le non-cumul des mandats qui perdure depuis la création du parti, la rotation facilitée des mandataires politiques et des cadres du mouvement, l’application du principe de la démocratie directe dans les assemblées locales, régionales et générales. Nous l’avons vu, ces principes et leur application n’ont pas été sans poser des problèmes mais ils ont constitué une approche régénérante dans un système politique où le débat et la transparence n’ont pas dominé durant les années quatre-vingts. Ecolo a réussi à maintenir un difficile équilibre entre la dénonciation de comportements condamnables en politique tout en valorisant la dimension «politique» d’un parti. Ce faisant, il a tenu un discours positif sur une situation politique qu’il dénonçait. De ce point de vue, il a participé à la réconciliation entre la «politique» et la société. Ecolo s’est fait et se fait le messager des valeurs de l’exigence de démocratie mais aussi de l’honnêteté en politique. En termes de pratique politique, Ecolo a aussi modifié l’appréhension de la société en ayant une approche transversale face aux clivages historiques de la Belgique et à la pilarisation qui en est née. Il sort clairement des clivages et des piliers traditionnels et constitue, à ce titre, une décrispation pour certains milieux qui refusent de s’enfermer dans cette logique. De même, Ecolo s’est toujours opposé à une quelconque surenchère sur les questions linguistiques. Les relations avec Agalev sont bonnes même si occasionnellement les deux formations ne sont pas d’accord. Elles ont fondé un groupe commun au parlement fédéral et réussi le tour de force de tenir un congrès commun sur la question extrêmement sensible de la sécurité sociale. Cette transversalité est source de force et de faiblesse. Malgré une dénonciation régulière du fonctionnement en «mondes», Ecolo les sous-estime à beaucoup d’égards. L’indifférence, feinte et réelle, envers le clivage gauche-droite et envers le clivage philosophique 279 freine aussi son développement éventuel et sa pénétration dans certains milieux. On n’est nouveau qu’un temps. Ecolo a grandi et vieilli. Il s’est institutionnalisé. Le parti a connu une professionnalisation importante : plus de parlementaires, plus d’attachés parlementaires, un personnel politique rémunéré (secrétariat fédéral, CEFE,...). Cette mutation est encore en cours. Elle fait l’objet de débats, d’interrogations et parfois de critiques. Le défi est, il est vrai, de taille : conserver le principe de la démocratie participative tout en acceptant la professionnalisation et maintenir un rapport étroit entre les adhérents et les cadres. L’enjeu est d’autant plus fondamental que, contrairement aux trois familles politiques traditionnelles, Ecolo n’est pas un parti de masse. Son taux d’adhésion est faible. Si Ecolo a attiré à lui des électeurs de tous les partis au début des années quatre-vingts, il se pose aujourd’hui comme un concurrent électoral direct du parti socialiste. Le vivier des électeurs potentiels se trouve à gauche. Cette situation n’est d’ailleurs pas originale. Les élections récentes en Europe montrent que les transferts de voix parmi les partis écologistes concernent surtout les partis de gauche, et plus particulièrement les formations sociales-démocrates. Les rapports au parti socialiste ne s’arrêtent pas à cette observation. Ecolo se présente pour le PS dans une option stratégique inédite. D’une part, existe pour le parti socialiste, pour la première fois depuis longtemps, la perspective d’une alliance différente que la coalition rouge-romaine (PS-PSC) ou la coalition laïque (PS-PRL). Un axe majoritaire PS-Ecolo est en tout cas plausible à l’échelle régionale wallonne et à celle de la Communauté française. Cette situation se présente plutôt comme un atout pour le PS dans ses négociations avec ses partenaires traditionnels. Inversement, l’existence et l’approche stratégique d’Ecolo pose aussi l’hypothèse d’une majorité alternative au PS à la région wallonne et à la Communauté française. Certes, une coalition PSC-PRL-Ecolo apparaît plutôt théorique, mais elle n’est pas exclue. Même si des évolutions sensibles se sont produites depuis lors, les discussions de 1986 avec la majorité PSC-PRL ont témoigné d’un espace de délibération ouvert à ce point de vue. 280 Sur le plan interne, notre enquête a mis en lumière le profil socio-culturel très marqué des adhérents du parti. Ecolo est un parti de membres diplômés, culturellement ouverts et surtout associés au monde professionnel du secteur non-marchand. En retour, cette observation montre aussi sa faible présence dans le «monde de l’entreprise», dans le secteur marchand et parmi les personnes sans emploi. Ce qui explique largement sa faiblesse structurelle en termes de présence et d’impact culturels dans le Hainaut. D’autre part, nous avons relevé son inexistence parmi les différentes immigrations qu’a connues la Belgique ; tout spécialement parmi les communautés maghrébine, italienne ou espagnole. Compte tenu de son mode d’organisation fondé sur l’action politique dans la commune, sa présence sur le terrain est très inégale. Elle est très dépendante de l’activité et de la continuité du travail des locales, de la présence au conseil communal et des personnes porteuses dans chaque locale. Si la situation s’est clairement améliorée dans la permanence et dans le nombre de locales régulièrement actives, beaucoup de problèmes subsistent comme l’a, par exemple, relevé l’état des locales réalisé en 19921993. La structure centrée sur le travail communal laisse, en outre, en friche d’énormes champs d’action et de présences politiques, dont le plus manifeste est celui relatif au «monde du travail», en particulier dans le secteur marchand. Parti avec peu d’adhérents, Ecolo est confronté à ces difficultés dans son recrutement. Mais il en existe d’autres. Les rétributions militantes sont négligeables pour les membres et les cadres du parti. Les incertitudes professionnelles pour les différentes catégories de permanents sont importantes. L’opposition lasse d’autant que les gratifications sont plutôt exceptionnelles. Dans cette optique, les résistances claires à l’initiation non pas d’un pilier écologiste mais d’une nébuleuse écologiste ne contribuent pas à élargir la base militante et à rassurer des individus qui pourraient être tentés par de la politique active mais retenus par la fragilité de la situation. Soulignons toutefois, que la dimension «communauté» ou «famille politique» s’affirme de plus en plus. Les rencontres écologiques d’été l’attestent. Sur un plan électoral, Ecolo a réussi à se constituer un «socle» d’un électorat d’adhésion qui vote de manière récurrente pour les verts. Celui-ci avoisine 7 à 8%. Qu’en est-il de l’élargissement à un électorat potentiel ? Les enquêtes d’opinion montrent son existence. Mais à l’exception des élections européennes de 1989 et 281 législatives de 1991, Ecolo n’a pas encore su rallier cette partie de la population qui lui est sympathique. Cette question est d’autant plus importante que le parti est, financièrement, étroitement dépendant de ses performances électorales. Le financement public des partis et les moyens octroyés aux élus représentent l’essentiel de ses ressources. La perte du député européen lors des élections européennes de juin 1994 a par exemple représenté une diminution matérielle importante. Ecolo est donc à la merci d’un revers cinglant. Celui-ci est peu plausible mais pas inimaginable dans une situation politique exceptionnelle. En Allemagne, les Grünen en ont fait la dure expérience lors des élections législatives de 1990. La participation au pouvoir n’est peut-être pas «la» question de la continuité ou de la survie d’Ecolo mais elle s'érige en problème incontournable qui marquera l’identité d’Ecolo et sa stratégie pour le déploiement de sa base militante et électorale. Nous l’avons vu, les risques et les espoirs d’une participation au pouvoir à une échelle supracommunale sont nombreux. Outre les leviers que permettrait un concours à une coalition gouvernementale, le rapport d’Ecolo au monde associatif et aux organisations sociales en serait certainement modifié. Responsable des métallurgistes FGTB, José Verdin l'énonçait explicitement aux rencontres écologiques d’été en 1995 : «Le monde syndical n'accorde qu’une attention mineure aux partis qui ne représentent pas réellement le pouvoir.»2 Cette double dimension — intérêt pour le programme mais rapports spécifiques au (non)pouvoir — a été aussi été soulignée par le nouveau président de la FGTB, Michel Nollet.3 Le champ du positionnement politique est une question très ouverte chez les verts. La pertinence du clivage gauche-droite est, sinon remise en cause, très fortement dépréciée à Ecolo. Pourtant, nous l’avons vu, 65% des membres se classent «à gauche» ou «très à gauche» et 60% situent Ecolo de la même manière. Il y a plusieurs interprétations à ce paradoxe. La première reprend l’idée d’une proximité des valeurs historiques de la gauche sans que l’on doive en déduire un positionnement sur l’axe gauche-droite. La deuxième, suggérée par le porte-parole du parti qui s’inscrit partiellement dans la foulée de la première, est qu’au niveau personnel une majorité d’adhérents écologistes se sentirait de 2 Le Soir, 25 août 1995. 3 «Je suis très sensible aux programmes d'Ecolo et d'Agalev. Mais je voudrais voir comment ils se comporteraient s'ils avaient l'occasion de passer aux actes dans un exécutif.» Le Soir, 15 septembre 1995. 282 gauche mais que collectivement il en irait autrement. Ces versions sont peu satisfaisantes et cadrent mal avec le positionnement que les membres d’Ecolo font de leur propre parti. Ils perçoivent le «collectif» Ecolo comme «à gauche.» Les explications sont, selon nous, d’une autre nature. L’absence de positionnement sur l’axe gauche-droite répond à deux volontés : conserver un consensus interne sur la ligne politique du parti et ne pas s’enfermer dans une relation projetée avec le PS. En outre, le propos à l’endroit du concept de «gauche» fait d’abord référence — négative — au parti socialiste en Wallonie dont les choix et les comportements sont constamment décriés. Il y a là une vue caricaturale de la gauche. Le pluralisme historique dans «la gauche» est, à cet égard, complètement ignoré : gauches socialiste, sociale-démocrate, communiste, trotskiste, démocrate-chrétienne,... Il en va d’ailleurs de même en ce qui concerne les sources théoriques. Cette ignorance n’est pas le fruit du hasard. La filiation et la rhétorique historiques de l’écologie politique ne sont pas abordées dans les textes. Si Ivan Illich ou André Gorz ont pu, un moment, faire office d’auteurs de référence, il n’y a plus aujourd’hui de penseur(s) attitré(s) de l’écologie politique. Une idée revient pourtant de façon implicite et parfois explicite chez les responsables écologistes dans la perception du dépassement du clivage gauche-droite : l’écologie politique sera au XXIe siècle, ce que la gauche aurait été au vingtième. Pour les écologistes, la ligne de frontière traverserait plutôt les tenants du productivisme et ceux du non-productivisme. S’agitil bien d’un clivage ? Aux dires et aux écrits du parti et de plusieurs responsables, nous entrerions dans l’ère post-productiviste qui se confond régulièrement avec l’idée d’ère post-industrielle. Ecolo serait de la sorte un parti post-productiviste. Qu’est-ce à dire ? La description de l’hypothétique logique ou philosophie de cette étape reste pour le moins floue à l’image du concept de «post.» Elle fait en tout état de cause l’impasse d’un clivage historique : le conflit entre dominants et dominés. L’idée même de relations de domination n’est quasiment jamais évoquée dans la littérature d’Ecolo. Parmi les valeurs de la gauche qu’ont évoquées les cadres d’Ecolo interrogés, l’égalité n’a jamais été citée. Non que les écologistes ne soient pas pour l’égalité. Au contraire. Mais parce qu’elle pose les rapports de force dans notre société. Qu’advient-il dans le post-productivisme des conflits entre dominants et dominés ? Les rapports de domination persistent-ils ou non ? Comment sont-ils appréhendés ? Autant de questions sans réponse. L’évanescence d’Ecolo dans le secteur marchand se comprend mieux dans ce cadre et explique en même temps les difficultés d’appréhension des rapports de force par Ecolo. On peut aussi se 283 demander si Ecolo n’a pas sous-estimé le poids et les fonctions remplies par les organisations syndicales en Belgique à cette lumière. Ces dernières années, il a lancé des ponts vers ces dernières.4 L’exemple du dossier des écotaxes est, en la matière, peut être révélateur. Ecolo a sous-estimé le poids du monde patronal dans les (non)régulations de nos sociétés. De même, il ne suffit pas qu’une loi soit votée pour qu’elle soit mise en application. Les leçons de ces expériences conduiront peut-être à des évolutions dans l’appréhension des rapports de domination et des rapports de force qui s’établissent dans nos sociétés. La crédibilité de sa force politique en dépend certainement. Ecolo aura enfin à affronter un défi difficile : montrer sa capacité à être un parti d’alternative et non un parti d’alternance. La tension entre le projet global de société que propose Ecolo et le nécessaire compromis politique sera mise à rude épreuve. Mais Ecolo a déjà affronté plusieurs obstacles et relevé plusieurs défis. Sans dénaturation de ses principes et de sa vocation, il a sauté plusieurs murs et le parti s’est consolidé. Rien n’est exclu, rien n’est promis. Pour Ecolo, comme l’affirme son slogan, «l’avenir est ouvert.» 4 En 1994, Jacky Morael traçait la perspective et reconnaissait les «difficultés» d'approche mutuelle : «C'est un travail pour les mois à venir : organiser des rencontres entre le milieu écologiste et syndical, pour faire en sorte que ces gens-là ne se regardent plus en chiens de faïence.» Le Soir, 2 septembre 1994. 284 285 Bibliographie Ouvrages P. Alphandéry, P. Bitoun et Y. Dupont, L'équivoque écologique, La découverte/essais, 1991, 277 pages. J.-L. Bennahmias et Agnès Roche, Des verts de toutes les couleurs. Histoire et sociologie du mouvement Ecolo, Albin Michel, 1992, 209 pages. D. Boy, V. J. Le Seigneur, A. Roche, L'écologie au pouvoir, presses de sciences po, 1995, 278 pages. Commission mondiale sur le développement et l’environnement, Notre avenir à tous, un monde : aperçu de la commission mondiale sur le développement et l’environnement, édition du Fleuve Montréal, 1989, 432 pages. R. J. Dalton, M. Kueler, W. 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De l’écologie à l’écologie politique 7 La politisation des questions de l’environnement L’émergence des nouveaux mouvements sociaux Une synthèse difficile La naissance des partis écologistes Chapitre 2. Les étapes d’Ecolo Aux origines Le frère flamand : la naissance d’Agalev Une consolidation Une progression arrêtée «Vers une opposition constructive écologiste» à la majorité PRL-PSC du gouvernement wallon Une nouvelle identité pour Ecolo : la motion de Neufchâteau-Virton Des lendemains qui chantent Deux victoires éclatantes : 1989 et 1991 La participation d’Ecolo à la réforme de l’Etat Trois défaites électorales : 1994 et 1995 Les actions et réactions des autres partis Face au développement d’Ecolo Une crise maîtrisée Ecolo et le positionnement politique 10 21 24 27 29 31 42 45 51 57 61 66 73 75 88 90 94 100 292 Chapitre 3. L’autre «Europe verte» Post-matérialisme et nouveaux partis Grünen et verts : des évolutions divergentes Vers une «famille politique» européenne 107 111 119 Chapitre 4. L’évolution des structures d’un mouvement-parti 123 Les changements statutaires Des moyens accrus Des adhérents plus nombreux 125 129 132 Chapitre 5. Ecolo et les élections 139 Les élections communales Les élections nationales L’électorat d’Ecolo Ecolo, le pouvoir et les alliances Chapitre 6. L’évolution des principaux axes programmatiques La lutte contre le productivisme Faire de la politique autrement L’économique au service de la société Le temps de travail La défense des catégories sociales les plus défavorisées La défense des services public et de l’interventionnisme étatique L’Europe et le monde La dette cachée La dette belge Les populations étrangères de Belgique et les Belges d’origine immigrée Ecolo et les questions de société Ecolo et les institutions 141 147 152 158 161 163 163 166 167 174 176 177 181 182 183 183 184 293 Chapitre 7. « Planète verte » : les adhérents d’Ecolo Enquête sur le profil sociologique et la culture politique de adhérents Répartition hommes-femmes Un parti de «diplômés» Un parti de jeunes La nationalité Un clivage traversé Une présence importante dans le secteur non-marchand Ce que gagnent et ce que lisent les adhérents Des générations nouvelles La participation des membres Une affirmation forte Les membres d’Ecolo et les associations 189 191 193 194 196 199 201 209 212 214 215 220 227 Chapitre 8. Les choix d’une militance 231 Chapitre 9. Aujourd’hui : paroles d’acteurs 253 Le temps d’un bilan : Ecolo et la société Les aléas d’un mouvement-parti Une nouvelle étape : le pouvoir ? Ni à gauche, ni à droite. Ailleurs 257 262 266 272 Chapitre 10. Quelques conclusions 275 Bibliographie 285 Table des matières 291