Academia.eduAcademia.edu

Systèmes partisans compétitifs: quelle divergence entre Duverger et Sartori

Competitive party systems: a real or imagined divergence between Duverger and Sartori? This text refutes the conventional wisdom that Duverger's classification of pluralistic party systems is simplistic because it recognizes only bipartism and multipartism as categories. It indicates that: 1. By 1951, Duverger had already introduced a more sophisticated typology of pluralistic party systems, one which resembled the later one by Sartori; 2. Duverger authored the concept of the «paradox of the centre», that is no less «counter-intuitive» compared to Sartori's concept; 3. Like Sartori, Duverger puts emphasis on the «functioning» of party systems; Sartori, however, dissociated himself from Duverger and tried to propagate the belief that his approach is fundamentally different from Duverger's; 4. It is necessary to revise the simplistic understanding of the development of political science and to recognize Duverger's contribution to the theory of party systems as fundamental.

Systčmes partisans compétitifs: quelle divergence entre Duverger et Sartori? Miroslav Novák Revue française de science politique, 2015/3, (Vol. 65), p. 451-471, ISBN : 9782724634181, DOI : 10.3917/rfsp.653.0451, https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2015-3-page-451.htm Abstract Competitive party systems: a real or imagined divergence between Duverger and Sartori? This text refutes the conventional wisdom that Duverger’s classification of pluralistic party systems is simplistic because it recognizes only bipartism and multipartism as categories. It indicates that: 1. By 1951, Duverger had already introduced a more sophisticated typology of pluralistic party systems, one which resembled the later one by Sartori; 2. Duverger authored the concept of the «paradox of the centre», that is no less «counter-intuitive» compared to Sartori’s concept; 3. Like Sartori, Duverger puts emphasis on the «functioning» of party systems; Sartori, however, dissociated himself from Duverger and tried to propagate the belief that his approach is fundamentally different from Duverger’s; 4. It is necessary to revise the simplistic understanding of the development of political science and to recognize Duverger’s contribution to the theory of party systems as fundamental. Introduction En 1951, Maurice Duverger (1917-2014) a publié son ouvrage fondateur Les partis politiques Paris, A. Michel, 1951a. Pour la dixičme édition (en poche et avec une pagination différente), parue trente ans aprčs la premičre, Duverger a rédigé une préface originale «Un fil d'Ariane» (dans Maurice Duverger, Les partis politiques, Paris, A. Colin, coll. Points, 1981, 10čme éd., p.9-16)., traduit depuis en dix langues Cf. Vincent Hoffmann-Martinot, «A short biography of Maurice Duverger», French Politics, vol. 3, 2005, no 4, p. 307; http://dx.doi.org/10.1057/palgrave.fp.8200084. , dont en anglais (actuellement on prépare une traduction tchčque). Hannah Arendt (1906-1975) a écrit en 1963 que cet ouvrage de Duverger «… supersedes and by far Je souligne ce qui manque dans la traduction française de Michel Chrestien: «… surpasse et dépasse toute étude antérieure sur le sujet» (Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967, p. 462, note 70). excels all former studies on the subject». Hannah Arendt, On Revolution, Harmondsworth, Penguin Books, 1963, p. 326, note 70. Nous avons dű attendre un quart de sičcle un livre qui est ŕ la hauteur de celui de Duverger et qui, de plus, fructifie des travaux publiés sur les partis et les systčmes de partis entre-temps en intégrant leurs apports: je parle de l’excellent ouvrage de Giovanni Sartori (*1924), Parties and Party Systems Giovanni Sartori, Parties and party systems. A framework for analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1976., en traduction française Partis et systčmes de partis Giovanni Sartori, Partis et systčmes de partis. Un cadre d'analyse, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2011. , dans lequel le politologue italien a exposé sa fameuse typologie des systčmes de partis. Comme l'a constaté Vincent Lemieux (1933-2014): «L'ouvrage de Sartori sur les partis et les systčmes partisans est sans doute la contribution la plus importante ŕ l'étude des partis politiques, depuis le livre de Duverger, paru vingt-cinq ans auparavant.» Vincent Lemieux, Systčmes partisans et partis politiques, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 1985; http://classiques.uqac.ca/contemporains/lemieux_vincent/systemes_partisans/systemes_partisans.html, p.25. J'essaierai de comparer la typologie sophistiquée de Sartori avec la typologie de Duverger: non pas avec la classification simple qui lui est d’habitude imputée (parti unique, bipartisme, multipartisme) mais avec une typologie plus perfectionnée dont les premičres amorces apparaissent dans son chapitre synthétique de l’Influence des systčmes électoraux sur la vie politique Paris, A. Michel, 1950, p.11-68. Ce chapitre synthétique de Duverger a paru également séparément: Maurice Duverger, «L'Influence des systčmes électoraux sur la vie politique», Bulletin international des sciences sociales, vol. 3, 1951b, no 2, p.342-383, et en traduction anglaise: M. Duverger, «The Influence of Electoral Systems on Political Life», International Social Science Bulletin, vol. 3, 1951c, no 2, p.314-353. de 1950 et qui est pratiquement achevée dans son chef-d’śuvre datant de l’année suivante. Au-delŕ d’une réfutation du préjugé selon lequel Duverger se contente d’une simple classification des systčmes partisans fondée sur le nombre de partis Ce préjugé tenace est répandu non seulement chez les spécialistes anglo-saxons (cf. p. ex. Peter Mair, Party System Change. Approaches and Interpretations, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 200, 202), mais, étonnamment, tout autant auprčs de leurs collčgues français, comme je le montre plus loin., ce texte mettra en passant en doute une vision simpliste de l’évolution de la science politique dans la seconde moitié du vingtičme sičcle. Je vais d’abord exposer de façon systématique la typologie perfectionnée des systčmes partisans pluralistes de Duverger, ensuite déceler les étapes principales de sa form(ul)ation entre 1950 (l’Influence des systčmes électoraux sur la vie politique) et 1960 («Sociologie des partis politiques») pour la comparer ensuite avec la typologie de Sartori. On sera obligé de faire ressortir les différences dans la terminologie des deux auteurs et on signalera chez Duverger encore d’autres types de systčmes partisans devenus familiers grâce aux politologues comme Jean Blondel (*1929). Typologie perfectionnée des systčmes partisans pluralistes de Maurice Duverger Les principales variables de la typologie des systčmes de partis pluralistes J‘étudierai le «systčme du parti dominant» qui est selon lui «systčme intermédiaire entre le pluralisme et le parti unique» (Maurice Duverger, «Sociologie des partis politiques», dans Georges Gurvitch éd., Traité de sociologie, t. II, Paris, PUF, 1960, p. 22-45, cf. p.44), ŕ l’occasion de l‘examen des critiques que Sartori dirige contre Duverger. selon Duverger sont: le nombre de partis (Sartori préciserait qu’il s’agit du nombre de relevant parties (partis pertinents), s’ils sont disciplinés (rigides) ou indisciplinés (souples), s’ils sont indépendants ou dépendants (les partis dépendants établissent des alliances électorales), s’ils sont orientés de façon pratico-technique (Sartori dit de façon «pragmatique») ou de façon théorico-doctrinaire, c’est-ŕ-dire «métaphysique» (Sartori se sert de termes «idéologique» et «rationaliste») Cela veut dire que pour que le «dualisme des alliances» puisse fonctionner ŕ peu prčs comme le «dualisme des partis», les partis y doivent avoir le caractčre pragmatique. Duverger l’a expliqué déjŕ auparavant, ŕ propos de bipartisme. Il opposa le bipartisme «technique» au bipartisme «métaphysique»: «Il faudrait ainsi distinguer deux types de bipartisme: le bipartisme technique oů l’opposition des deux rivaux porte seulement sur des buts secondaires et des moyens, la philosophie politique générale et les bases fondamentales du régime étant admises de part et d‘autre; et le bipartisme métaphysique, oů la rivalité des partis porte sur la nature męme du régime, sur les conceptions fondamentales de l’existence, et prend l’allure d’une guerre de religion.» (M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., 1951a, p. 244-245), si les systčmes partisans sont «dualistes» (plus tard, Duverger employera le terme «bipolaires») ou non (dans ce cas, le vocable utilisé ultérieurement sera «multipolaires»). Si l‘on se borne aux systčmes partisans pluralistes et si l‘on prend en considération uniquement deux pôles en laissant de côté les types intermédiaires, on obtiendra alors bipartisme ou multipartisme, partis rigides (disciplinés) ou souples (indisciplinés), partis dépendants ou indépendants, systčmes partisans «techniques» ou «métaphysiques» (dčs 1951, Duverger distingue entre «bipartisme technique» et «bipartisme métaphysique» Ibid.), systčmes de partis dualistes (bipolaires) ou non dualistes (multipolaires). C’est d’aprčs Duverger la variable décisive, encore plus importante que le nombre de partis. Dans les années 1950, Duverger ne se sert pas encore de termes «bipolaire» et «multipolaire», il les reprendra plus tard, mais ce rajeunissement du vocabulaire ne changera rien sur le fond. Duverger ainsi discerne, dčs 1951, quatre principaux systčmes partisans pluralistes Cf. M. Duverger, «L'Influence des systčmes électoraux... », op. cit., 1950, p.11-68, cf. p.30; M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.450; M. Duverger, «Sociologie des partis politiques», 1960, op. cit., p.33-38 et M. Duverger, Sociologie politique, Paris, P.U.F., 1966, p. 371-372.: bipartisme véritable (de type britannique, avec des partis rigides, indépendants et techniques), «pseudo-bipartisme» (de type américain, avec des partis souples), multipartisme apparent (dualiste, c’est-ŕ-dire bipolaire Duverger utilise parfois le terme «multipartisme ŕ bipolarisation» (cf. M. Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, vol. I, Paris, 17čme éd., 1988a, p. 141), ce qui pourrait tromper celui qui est habitué au terme «polarisation» dans le sens que lui attribue Sartori. ) avec soit deux alliances suffisamment homogčnes, durables et disciplinés, soit avec un parti «dominant» rigide face ŕ une alliance durable, avec des partis techniques et dépendants, multipartisme véritable (multipolaire) avec des partis indépendants. Le bipartisme véritable (de type britannique) et le multipartisme apparent (bipolaire) ont en commun le caractčre dualiste (bipolaire) et discipliné, et c’est pourquoi Duverger les rapproche. Ils fonctionnent de façon similaire. De męme, le «pseudo-bipartisme» (de type américain) forme avec le «multipartisme véritable» des systčmes multipolaires et Duverger les réunit ensemble. Tableau 1: Principaux systčmes partisans pluralistes selon Duverger Systčmes rigides, bipolaires et techniques Bipartisme véritable (rigide) Multipartisme apparent (dualiste, c-ŕ-d bipolaire) Systčmes multipolaires Pseudo-bipartisme (bipartisme souple) Multipartisme véritable (multipolaire) Duverger associe, de façon schématique, ces systčmes de partis d'une part aux systčmes électoraux correspondants (dans ses fameuses «lois», ou, plus exactement, «régularités tendancielles»), et, d'autre part, aux types de la démocratie. Cf. p.ex. M. Duverger, Sociologie politique, op. cit., p. 124-125 et M. Duverger, La nostalgie de l'impuissance, Paris, A. Michel, 1988b, p. 89-135. Comme l'ont finement remarqué Jan-Erik Lane et Svante Ersson, on peut ainsi découvrir dans le livre Les partis politiques de Duverger l'esquisse d'une grande théorie qui couvre la politique démocratique en général et qu'on peut opposer ŕ la grande théorie d'Arendt Lijphart Cf. Jan-Erik Lane, Svante Ersson, The New Institutional Politics: Performance and Outcomes, London, Routledge, 2000, p.179-206 et J.-E.Lane, S.Ersson, «French Politics: the Virtues of Majoritarian Democracy», French Politics, vol. 1, 2003, no 1, p. 119–134; http://www.palgrave-journals.com/fp/journal/v1/n1/pdf/8200013a.pdf. Cf. également Miroslav Novák, «Les concepts utilisés dans le modčle consensuel de la démocratie: entre Sartori et Lijphart», dans Céline Thiriot, Marianne Marty et Emmanuel Nadal (eds.), Penser la politique comparée. Un état de savoirs théoriques et méthodologiques, Paris, Editions Karthala, 2004, p.143-159. . Les étapes principales de l’élaboration de la typologie améliorée En 1950, Duverger a publié la monographie collective L’influence des systčmes électoraux sur la vie politique dont il était éditeur et auteur d’un chapitre synthétique du męme nom M. Duverger, L’influence..., op. cit., p. 11-68., qui recčle la formulation la plus systématique de ses soi-disant lois En parlant des «lois de Duverger», Sartori cite cette monographie éditée sous la direction de Duverger: «They are formulated first in Duverger et al. (1950)... » (Giovanni Sartori, «The Influence of Electoral Systems: Faulty Laws or Faulty Method?», dans Bernard Grofman, Arend Lijphart (eds.), Electoral Laws and Their Political Consequences, New York, Agathon Press, 1986, p.65, note 1). Malheureusement, dans les références ŕ la fin du livre (p.312), cet ouvrage de 1950 manque! , mais on y découvre en outre esquissé sa typologie plus élaborée des systčmes partisans pluralistes. Les premiers passages concernent l'impact du systčme majoritaire ŕ deux tours sur les alliances: «On peut arriver ainsi au systčme politique stable et régulier qui ressemble un peu au bipartisme: au lieu de deux grands partis unifiés, on trouve face ŕ face deux ‘fédérations de partis’, la force de celles-ci dépendant largement du degré de discipline et d’organisation des partis adhérents.» M. Duverger, L’influence..., op. cit.,1950, p. 30. En décortiquant la liaison entre les divers systčmes électoraux et la sensibilité aux variations de l’opinion, Duverger s’approche encore plus du «multipartisme bipolaire»: «En effet, dans la mesure oů les partis multiples qu'il [systčme majoritaire ŕ deux tours, note de M.N.] engendre se coagulent en deux grandes coalitions, dont la discipline est forte et la séparation médiane bien tranchée, on se rapproche nettement du systčme de deux partis : si l'atténuation des variations d'opinion peut continuer ŕ se manifester ŕ l'intérieur de chaque tendance, la répartition des suffrages entre elles deux est amplifiée par le systčme électoral, comme en régime bipartiste.» Ibid., p. 51, souligné par M.N. Certes, le systčme majoritaire ŕ deux tours favorise selon lui plutôt des partis souples, mais cela importe peu, car l’influence des systčmes électoraux sur la souplesse ou la rigidité de partis n‘est selon Duverger que minime Ibid., p.27.. Grâce ŕ cela, męme sous le systčme électoral majoritaire ŕ deux tours, des alliances assez solides peuvent se former et se maintenir. Ce systčme majoritaire ŕ deux tours pourrait cumuler les avantages des scrutins proportionnel et majoritaire ŕ un tour: «Et le systčme des deux tours présenterait ŕ cet égard un certain avantage, en permettant ŕ la fois, par le jeu des alliances du second tour, de traduire le dualisme de base en męme temps que les oppositions secondaires ŕ l'intérieur de chaque groupe d'opinions. Notons d'ailleurs qu'un systčme bipartiste aboutirait au męme résultat, dans la mesure oů chaque parti conserverait une structure souple, permettant la naissance et la cohabitation de 'fractions diverses'.» Ibid., p.43. Ainsi, Duverger dčs 1950 montre que partant d’un multipartisme «véritable» on peut se rapprocher du multipartisme «apparent» (dualiste, autrement dit bipolaire) en formant le dualisme des alliances (si ces alliances sont suffisamment homogčnes et disciplinées). Pareillement, ŕ partir d’un bipartisme «véritable» (de type britannique avec des partis disciplinés) on peut se rapprocher du multipartisme si les partis deviennent moins disciplinés. Il peut y avoir bien entendu des situations intermédiaires, asssociées par Duverger surtout au systčme électoral majoritaire ŕ deux tours. L’étape suivante - et décisive - dans l’élaboration d’une typologie perfectionnée des systčmes partisans pluralistes de Duverger représente son chef-d’śuvre Les partis politiques de 1951. Lorsqu’il analyse le rapport entre les systčmes électoraux et leur sensibilité aux variations de l’opinion, il arrive ŕ cette conclusion: «Si des coalitions électorales trčs strictes empęchent un jeu de bascule entre droite et gauche suivant les circonscriptions, analogue ŕ celui du Parti radical français, on se rapproche nettement du systčme de deux partis: l'atténuation des variations d'opinion continue ŕ se manifester ŕ l'intérieur de chaque tendance, mais la répartition des suffrages entre elles deux est amplifiée par le systčme électoral, comme en régime bipartisan.» M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p. 352; souligné par M.N. Ce «dualisme des alliances», Duverger l’aborde plus en détail dans le cadre de la localisation géographique des coalitions: «Si deux coalitions rivales de droite et de gauche se constituent, et si leur degré de solidité est suffisant, un régime multipartisan peut ressembler fortement ŕ un systčme dualiste.» Ibid., p. 372. Ce qui suit, vaut aussi le détour: d’un côté, «le dualisme des alliances n’a pas la męme solidité que le dualisme des partis» Ibid., p. 373., mais de l’autre, «tout dépend, en définitive, du degré respectif de cohésion des alliances et des partis» Ibid.. Ensuite, en expliquant le rôle des partis dans les régimes politiques, Duverger écrit: «Un systčme d’alliances étroites et stables peut également transformer les schémas précédents et rapprocher le multipartisme du régime bipartisan: dans la mesure oů s’établit un véritable dualisme des alliances, on se rapproche de la dualité des partis.» Ibid., p. 450. S’il est possible de se rapprocher de la dualité en restant dans le cadre du multipartisme, le contraire est également faisable: «La faible structure interne des partis rapproche ainsi le dualisme du multipartisme.» Ibid., p. 447. Il en est de męme lorsqu’il s’agit du rôle des partis dans l’opposition: «Des coalitions solides et homogčnes peuvent donner ŕ un régime multipartisan une physionomie proche du two-party system, et rendre l’opposition plus cohérente, plus modérée et plus claire. Inversement, un dualisme composé de partis indisciplinés, décentralisés et faiblement organisés connaît un mécanisme d’opposition souvent plus proche du schéma multipartisan que du bipartisme.» Ibid., p. 458. Bref, qu’il s’agisse d’analyser la sensibilité des systčmes électoraux aux variations de l’opinion, les alliances, le rôle des partis dans les régimes politiques ou bien le rôle des partis dans les oppositions, Duverger met toujours en évidence que le dualisme des alliances, si elles sont homogčnes et disciplinées, conduit au systčme qui se rapproche grandement du bipartisme «véritable» de type britannique. De męme, le dualisme des partis indisciplinés, décentralisés et faiblement organisés, conduit selon lui au systčme qui s’apparente fort au multipartisme véritable (non dualiste). De façon plus systématique, Duverger a formulé sa typologie perfectionnée en 1960 dans «Sociologie des partis politiques», l’un de ses deux chapitres du Traité de sociologie, édité sous la direction de Georges Gurvitch (1894-1965). Sartori connaît et cite ce chapitre. Cf. G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 214, note 114; trad. fr. G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p. 284, note 114. Concernant les bipartismes, Duverger y distingue deux catégories principales: «La distinction fondamentale entre les systčmes bipartisans repose sur le degré de discipline des partis. Grande-Bretagne et Etats-Unis fournissent ŕ cet égard les exemples typiques. (...) Le ‚bipartisme souple‘ de type américain est plus proche du multipartisme que du ‚bipartisme rigide‘ de type britannique, au point de vue des conséquences politiques. C’est pourquoi on a proposé de le qualifier de ‚pseudo-bipartisme‘. (…) Au point de vue de la classification des régimes politiques, on a donc tendance aujourd’hui ŕ opposer d’une part les régimes de bipartisme rigide, d’autre part les régimes de multipartisme ou de pseudo-bipartisme. Dans les premiers, les mécanismes parlementaires fonctionnent trčs bien. (…) Dans les systčmes de multipartisme ou de bipartisme souple, le régime parlementaire fonctionne trčs mal, au contraire.» M.Duverger, «Sociologie des partis politiques», op. cit., p.36 et 37. Tout comme on peut opposer – notamment au point de vue des conséquences politiques – le bipartisme rigide de type britannique au pseudo-bipartisme (bipartisme souple) de type américain, on peut pareillement diviser le multipartisme: «Les alliances peuvent modifier totalement la physionomie d’un systčme multipartisan. Si deux grandes coalitions permanentes se forment, qui présentent aux électeurs un programme commun et agissent de concert au Parlement, on est trčs proche des conditions de fonctionnement du bipartisme. Sous l’apparence extérieure d’un multipartisme, on trouve en réalité un dualisme profond. Mais tout dépend évidemment de la solidité des alliances et de la discipline des coalisés.» Ibid., p.34. La conséquence de tout ceci est claire. En dépit de l’importance de la distinction du bipartisme et du multipartisme, elle ne constitue pas le dernier mot de la typologie des systčmes partisans pluralistes: «La distinction du bipartisme et du multipartisme est donc trčs importante. Mais sa portée ne doit pas ętre exagérée. La formation d’alliance stables, allant au combat électoral sur des programmes précis, rédigés en commun, et les appliquant ensuite au gouvernement, rapproche le multipartisme du systčme bipartisan. Inversement, quand chacun des deux partis a une structure souple, quand il n’existe aucune discipline de vote au Parlement, les majorités gouvernementales deviennent incohérentes et instables, et le bipartisme ressemble au multipartisme.» Ibid., p.33-34. Dans ses travaux ultérieurs, par exemple dans sa Sociologie politique de 1966, ou dans son Introduction ŕ la politique de 1964 M.Duverger, Introduction ŕ la politique, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1964., Duverger reprend les formulations employées en 1960, parfois sans y changer une virgule. Cf. M. Duverger, Sociologie politique, op. cit., p.371; Duverger, Introduction ŕ la politique, op. cit., p.193-194. Enfin, dans ses écrits tardifs des années 1980 et 1990, par exemple dans les versions les plus récentes de la premičre partie de son manuel Institutions politiques et droit constitutionnel, la typologie des systčmes partisans reste la męme, si l’on excepte un rajeunissement du vocabulaire (ainsi, l‘adjectif «dualiste» est souvent remplacé par l‘adjectif «bipolaire» etc.). La similarité de la typologie perfectionnée de Duverger avec la fameuse typologie ultérieure de Sartori saute aux yeux, surtout pour ce qui est des systčmes de partis pluralistes. Avant de comparer les deux typologies en détail, faisons une parenthčse sur la catégorie «systčme du parti dominant» de Duverger. Sartori désapprouve Duverger en soulignant que son terme «parti dominant» ne définit aucun systčme partisan, ni quant ŕ la classe, fondée sur le format, ni quant au type, basé sur la mécanique: «Bref, la notion de parti dominant ne permet d’établir ni une classe, ni un type du systčme de partis.» Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p.195; en trad. fr. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.288. Alors que le parti «prédominant», tel que Sartori le définit, détermine de façon univoque un seul systčme de partis, ŕ savoir le «systčme ŕ parti prédominant», le parti dominant de Duverger est, ŕ mon avis, compatible avec trois systčmes partisans de Sartori (si l’on se borne aux «types»): non seulement avec le «systčme ŕ parti prédominant», mais également avec le «pluralisme modéré» et męme avec le «pluralisme polarisé». Il n’est pas judicieux d’introduire d’abord la catégorie de «parti dominant» comme Duverger l’a fait en 1951, et passer ensuite, comme si de rien n'était, au «systčme du parti dominant»: «…parti dominant est une catégorie qui confond parti (pris isolément) et systčme de partis.» G.Sartori, Parties.., op. cit., 1976, p.195; trad. fr. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.288; souligné par Sartori. En 1960 Duverger écrit sur le systčme du parti dominant ceci: «il s’agit d’un systčme intermédiaire entre le pluralisme et le parti unique» M.Duverger, «Sociologie des partis politiques», op. cit., p.44.. Il en distingue deux formes: «Parmi les pays oů fonctionne actuellement le systčme, on distingue ŕ peu prčs deux catégories. D’un côté, l’Inde offre l’image d’une nation oů les partis d’opposition ont une existence réelle, oů ils groupent un nombre de voix important, oů l’on est plus proche du multipartisme que d’un parti unique. Au contraire, certaines Républiques africaines se rapprochent de ce dernier systčme, car l’opposition y est trčs réduite, et le parti dominant y manifeste des tendances autoritaires assez nettes…» Ibid., p.44-45. On remarque sans peine que la premičre catégorie, représentée par l’Inde, est proche du systčme ŕ parti prédominant de Sartori, et que la seconde ressemble au systčme ŕ parti hégémonique Sartori a repris le terme de parti «hégémonique» de Jerzy J. Wiatr (*1931), mais il l'a défini de façon plus précise que ne le pouvait, sous le régime communiste (en 1964), le sociologue polonais. selon Sartori. Avec cette seconde forme du systčme du parti dominant, nous sortons des systčmes partisans pluralistes qui font objet de notre analyse. Signalons seulement que la notion de «systčme du parti dominant» (parfois complétée par tel ou tel adjectif) continue ŕ apparaître fréquemment dans la littérature d'aujourd'hui (particuličrement anglo-saxonne). Pour ce qui est du «parti unique», Sartori distingue trois sous-types: 1. «totalitaire», 2. «autoritaire» et 3. «pragmatique». Duverger, lui aussi, en 1951 souligne: «Il n'y a pas un mais des régimes de parti unique. » (M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.287, souligné par Duverger) Selon lui, «... certains partis uniques ne sont pas réellement totalitaires, ni par leur philosophie, ni par leur structure. Le meilleur exemple est ici fourni par le Parti républicain du peuple, qui a fonctionné en Turquie de 1923 ŕ 1946 comme parti unique. (...) Il n'imposait pas ŕ ses membres une foi ni une mystique: la révolution kémaliste fut essentiellement pragmatique.» (Ibid., p. 308, souligné par M.N.) Est-on si loin de Sartori? Maurice Duverger et la typologie de Jean Blondel D'aprčs la «sagesse conventionnelle», répétée d'un auteur ŕ l'autre - en France c'est particulièrement Jean Charlot (1932-1997), dans la littérature anglo-saxonne, c'est notamment Peter Mair (1951-2011) - Duverger se serait contenté d'une classification banale des systčmes partisans, basée sur le seul nombre de partis, élaborée plusieurs décennies avant lui: dčs lors l'apport de Jean Blondel représenterait un grand pas en avant. Ecoutons Jean Charlot: «Dčs les années 30 la typologie des systčmes de partis selon leur nombre, ainsi que les problčmes de chaque type de systčme sont connus. Arthur N. Holcombe, dans l'Encyclopédie des sciences sociales distingue ainsi le parti unique, le bipartisme et le multipartisme - comme Maurice Duverger, vingt ans plus tard.» Jean Charlot, Les partis politiques, Paris, A. Colin, (1971) 1977, p. 199.. Ultérieurement, Jean et Monique Charlot écrivent: «La typologie classique des systčmes de partis selon leur degré de fractionnement - parti unique, bipartisme, multipartisme (Duverger, 1951) - a été raffinée par Jean Blondel avec la distinction entre bipartismes parfait et imparfait (deux partis et demi, comme en République fédérale d'Allemagne), multipartismes parfait et imparfait (parti dominant, comme en Sučde) (cf. Blondel, 1968; [...]).» Jean & Monique Charlot, «L'interaction des groupes politiques», dans Madeleine Grawitz, Jean Leca (eds.), Traité de science politique, t. 3, Paris, PUF, 1985, p.497-536, cf. p.513. Sans vouloir en rien minimiser la contribution considérable de Blondel, il faut ajouter et reconnaître que Duverger a raffiné, lui aussi, la classification primitive, et cela dčs 1951, longtemps avant Blondel. De plus, ŕ propos de la catégorie blondelienne du «bipartisme imparfait» (ou du «systčme de deux partis et demi»), lisons comment, en 1966 déjŕ, c'est-ŕ-dire un peu avant l'article fondamental de Blondel, Duverger définit, dans sa Sociologie politique, le «systčme para-dualiste»: «On appelle 'para-dualistes', des systčmes oů deux grands partis dominent la vie politique, mais sans pouvoir normalement obtenir l'un ou l'autre la majorité ŕ eux seuls. Il leur faut donc, soit s'allier avec le troisičme parti, soit s'allier entre eux. On ne confondra pas ces systčmes para-dualistes avec le 'pseudo-bipartisme' ou bipartisme souple (...) dont les Etats-Unis sont le modčle: systčme de deux partis sans discipline intérieure, oů la majorité détenue par l'un d'entre eux ne signifie rien, puisque ses membres ne votent presque jamais de la męme façon (...). Ainsi défini, le para-dualisme caractérise l'Allemagne fédérale, la Belgique et l'Autriche.» M. Duverger, Sociologie politique, op. cit., 1966, p. 421-422. Et ce n'est pas tout. Dans son livre La démocratie sans le peuple, rédigé en 1966 et publié en 1967, Duverger explique: «En Grande-Bretagne, fonctionne un bipartisme presque parfait, les libéraux ne récoltant depuis trente ans qu'un nombre minime de suffrages et de sičges, qui ne peut empęcher les travaillistes ou les conservateurs de réunir ŕ eux seuls la majorité aux Communes. En Autriche, en Allemagne fédérale et en Belgique, le parti libéral est suffisamment fort au contraire pour faire pencher souvent la balance entre les deux grands, et les obliger ŕ des alliances, soit avec lui, soit entre eux: c'est un systčme de deux partis et demi.» M. Duverger, La démocratie sans le peuple, Paris, Seuil, 1967, p.19, souligné par M.N.. Blondel a publié l'article «Party Systems and Patterns of Government in Western Democracies» Canadian Journal of Political Science, vol. 1, no 2, p.183-203., oů sa typologie des systčmes de partis est exposée, en 1968, et sa version primitive a été présentée comme rapport multigraphié ŕ Bruxelles, lors du VIIe Congrčs mondial de l'IPSA/AISP, en 1967. Son adaptation française, fournie par Jean Blondel lui-męme, a été éditée par Jean Charlot dčs 1971 Cf. J. Charlot, Les partis politiques, op. cit., p. 229-238.. Comparaison des typologies des systčmes partisans pluralistes de Duverger et de Sartori Pour ce qui est du bipartisme Quant au «systčme ŕ parti prédominant», on l’a abordé en exposant la critique, par Sartori, du concept de parti «dominant» de Duverger., Sartori distingue le «format» (ou la «classe») bipartiste d’un côté, la «mécanique» (et le «type») bipartiste de l’autre côté. J’appliquerai cette distinction de Sartori sur la typologie de Duverger. Ainsi, le bipartisme rigide ou véritable (de type britannique) possčde, en employant la terminologie de Sartori, la «mécanique» bipartiste, il s’agit donc d’un «type» bipartiste, alors que le «pseudo-bipartisme» de type américain avec des partis souples n’a que le «format» bipartiste, il ne s’agit que d’une «classe» bipartiste. Pour la suite, je vais procéder autrement: de façon anti-chronologique, je commencerai par des catégories de Sartori et je chercherai des équivalents approximatifs chez Duverger. On peut procéder ainsi grâce au fait que les deux typologies sont suffisamment proches On ne pouvait pas procéder ainsi avec le «bipartisme véritable» et le «pseudo-bipartisme» de Duverger, car chez Sartori il n'y a qu'un seul «type» bipartiste. Pour cette raison, j'ai appliqué, sur le bipartisme véritable et sur le pseudo-bipartisme, la distinction sartorienne entre «classe» et «type».. Prenons le type de pluralisme modéré de Sartori auquel correspond ŕ peu prčs le multipartisme apparent (dualiste, c’est-ŕ-dire bipolaire) chez Duverger. Et le pluralisme modéré et le multipartisme apparent sont en effet bipolaires (dualistes), non polarisés («techniques» sous le vocable de Duverger) et Duverger met en plus l’accent sur la rigidité (ou la discipline du vote). Certes, Sartori souligne également son rôle, mais sous le régime parlementaire: «Without parliamentary dicipline whether parties are two or more does not make much difference.» G. Sartori, Comparative Constitutional Engineering, London, Macmillan, 1994, p.177 (cf. aussi p.190-191 et p.193). Duverger va ici plus loin que Sartori: il estime que męme sous le présidentialisme, il est important d'avoir des partis disciplinés, mais pour que cela fonctionne convenablement, il faut au préalable synchroniser les élections législatives et présidentielles. Venons-en maintenant au pluralisme polarisé, type de Sartori qui est abondamment discuté dans la littérature. Le multipartisme véritable (multipolaire) de Duverger s’en rapproche considérablement. Aussi bien le pluralisme polarisé que le multipartisme véritable sont polarisés (au sens de Sartori) et multipolaires; Sartori met l’accent particuličrement sur la polarisation, Duverger sur le caractčre non dualiste, multipolaire. Quittons les «types», définis sur la base de la «mécanique», et passons aux «classes» basées sur le «format». On s’aperçoit alors qu’ŕ la classe de multipartisme limité de Sartori correspond dčs 1951 le multipartisme ordonné et limité. Quant ŕ la classe de multipartisme extręme de Sartori, c’est le multipartisme anarchique et désordonné qui lui fait pendant chez Duverger – ŕ nouveau dčs 1951: «La tendance au multipartisme est évidente. Elle paraît prendre deux formes assez différentes. En Suisse et aux Pays-Bas, il s’agit d’un multipartisme ordonné et limité; en Italie, d’un multipartisme anarchique et désordonné ...». M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.271; souligné par M.N. En ce qui concerne le systčme atomisé de Sartori, le terme qui lui correspond ŕ peu prčs chez Duverger est «le polypartisme ou tendance ŕ l’extręme multiplication des partis». Ibid., p.268. Duverger en différencie plusieurs types: polypartisme nationaliste ou ethnique, polypartisme de la droite et polypartisme chez les peuples latins. Du polypartisme il n’y a qu’un pas vers l’absence de partis véritables: «On confond souvent multipartisme et absence de partis. Un pays oů l’opinion se divise en de groupes nombreux, mais instables, éphémčres, fluides, ne correspond pas ŕ la notion véritable de multipartisme: il se situe dans la préhistoire partisane; il se place dans une phase de l’évolution générale oů la distinction du bipartisme et du multipartisme ne s’applique pas encore, parce qu’il n’y pas encore de partis véritables.» Ibid., p. 258. Sartori, lui aussi, estime que «… les concepts qui s’appliquent ŕ des organisations politiques structurées et différenciées ne peuvent pas ętre transposées tels quels ŕ des organisations diffuses et embryonnaires…» G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 45; trad. fr. G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.86.. Les vocables de Duverger et de Sartori Chez Sartori apparaît parfois aussi le terme «polypartisme», mais en d’autres acceptions que chez Duverger. Chez Sartori le terme «polypartisme» ne correspond ni ŕ celui de «systčme atomisé», ni męme au format du «multipartisme extręme». Dans un cas, il est équivalent du multipartisme en général: «To this day, after having counted as far as two, what follows is ‚polypartism‘.» (G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p.131, souligné par M.N.; sans changement en édition de 2005: G. Sartori, Parties and party systems. A framework for analysis, Colchester, ECPR Press, 2005, p.116). En traduction française, il n’y a pas de terme «polypartisme», mais celui de «multipartisme»: «A ce jour, quand nous avons compté jusqu’ŕ deux, ce qui suit est un ‚multipartisme‘.» (G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.194, souligné par M.N.) Le traducteur a raison, mais a-t-on le droit de «corriger» ainsi l’auteur (sans le signaler de surcroît)? Quoi qu’il en soit, la table 30 (et peut-ętre aussi la table 34) de Sartori peut ętre interprétée de façon encore plus large, ŕ savoir que le «polypartisme» est d’aprčs lui tout ce qui diffčre du «monopartisme», de sorte que le bipartisme - et męme le systčme ŕ parti prédominant - en font partie. (Cf. G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 260 pour la table 30 et ibid., p.285 pour la table 34) Ce qui est beaucoup plus gros de conséquences, c’est le terme polarisation : il joue un rôle considérable chez Duverger et męme crucial chez Sartori, mais ce dernier prend ce terme dans un tout autre sens que Duverger. Dans l’ouvrage collectif Political Oppositions in Western Democracies New Haven, Yale University Press, 1966a. Seuls les chapitres de Dahl ont été traduits en français: Robert A. Dahl, L'Avenir de l'opposition dans les démocraties, Paris, S.é.d.é.i.s., coll. Futuribles, 1966b. , dont il est éditeur, Robert A. Dahl (1915-2014), qui nous a quités la męme année que Maurice Duverger et David Easton (ces deux derniers sont nés et morts la męme année: 1917-2014), dissčque de façon éclairante les significations diverses du terme «polarisation». La deuxičme acception du mot chez Dahl est en gros celle de Sartori: «Il contient aussi l'idée d'une distance entre les deux principales catégories. Plus grande est la distance, plus polarisée est la société.» R. A. Dahl, Political Oppositions..., op. cit., 1966a, p.381, trad. fr. R. A. Dahl, L'Avenir de l'opposition..., op. cit., 1966b, p.164. Quant ŕ la polarisation au sens oů l'entend Duverger, on la découvre comme la catégorie 3.c) chez Dahl: «Dans le cas le plus simple, un pays oů tout le monde voterait pour le parti A ou pour le parti B, serait (par définition) dualiste en ce qui touche au vote.» R. A. Dahl, op. cit., 1966a, p. 381-382, trad. fr. R. A. Dahl, op. cit., 1966b, p.164-165. Duverger a introduit ce concept de «polarisation» dčs 1950 (L'Influence des systčmes électoraux sur la vie politique) et l‘a repris en 1951 (Les partis politiques). La polarisation est étroitement liée ŕ son idée du facteur psychologique des systčmes électoraux. Comme il l'explique - sur le cas du systčme majoritaire ŕ un tour - les électeurs se rendent compte que leurs voix se perdent s’ils persistent ŕ les donner au troisičme parti; ils peuvent par conséquent décider de les reporter sur le moins inacceptable des deux grands partis Cf. M. Duverger, Influence..., op. cit., 1950, p.14.. C’est justement le phénomčne de «polarisation» autour deux grands partis suivant Duverger. Pour Sartori, en revanche, le terme «polarisation« désigne une configuration dans laquelle une grande distance (idéologique ou autre) sépare les partis les plus éloignés (ou autres acteurs politiques) qui comptent sur la scčne politique donnée. Quant ŕ la «bipolarisation«, elle n'a au fond chez Sartori aucun sens, mis ŕ part une situation purement hypothétique de la distribution bimodale des opinions politiques. Son pendant est le phénomčne de «sous-répresentation» du troisičme parti qui est la conséquence du facteur mécanique du systčme électoral majoritaire ŕ un tour, tout comme la polarisation (ou la «bipolarisation») est la conséquence du facteur psychologique du męme mode de scrutin. Sartori, lŕ aussi, a fait entrer sa propre terminologie. L’équivalent approximatif du facteur «mécanique» de Duverger est l’effet «réductif» (reductive effect) chez Sartori, l’équivalent approximatif du facteur «psychologique» de Duverger est l’effet «restrictif» (constraining effect) chez Sartori G. Sartori, «The Influence of Electoral Systems: Faulty Laws or Faulty Method?», dans Bernard Grofman, Arend Lijphart (eds.), Electoral Laws and Their Political Consequences, New York, Agathon Press, 1986, p.43-68, cf. p. 58 et suiv. et G. Sartori, Comparative.., op. cit., 1994, p.32.. L’effet réductif agit sur le nombre de partis, l’effet restrictif agit sur les électeurs. En lisant la littérature anglo-saxonne contemporaine, on s’aperçoit que c’est le vocable de Duverger qui est plus souvent employé, car il est plus neutre, alors que la terminologie de Sartori est liée ŕ l’idée – quelque peu critiquable – suivant laquelle la répresentation proportionnelle (R.P., en anglais P.R.) ŕ l’état pur «n’a simplement pas d’effet» (simply has no effect). Ibid., 1994, p.32 et aussi G. Sartori, The Influence..., op. cit., 1986, p.58: «To recapitulate, pure PR is no-effect electoral system.» (souligné par Sartori) Sartori se défend ainsi: «To be sure ‚no effect‘ on the number of parties, which is the dependent variable under consideration. For, surely, P.R. has effects in other domains and, in general, electoral systems always are of consequence on something. » G. Sartori, Comparative..., op. cit., p.52, note 26. Tableau 2: Dictionnaire synthétique Duverger-Sartori des systčmes partisans pluralistes et de leurs facteurs Duverger 1951a Sartori 1976 Bipartisme véritable pseudo-bipartisme type bipartiste classe bipartiste Types multipartisme apparent multipartisme véritable pluralisme modéré pluralisme polarisé Classes multipartisme ordonné et limité multipartisme anarchique et désordonné multipartisme limité multipartisme extręme Catégorie résiduelle Polypartisme systčme atomisé Facteurs ou effets facteur psychologique facteur mécanique [Duverger 1950: 14] effet restrictif (constraining effect) effet réductif (reductive effect) [Sartori 1986: 58 ss.] Faux amis Duverger-Sartori polypartisme multiplication extręme de partis [Duverger 1951a: 268] Equivalent chez Sartori: «systčme atomisé» polypartisme 1. multipartisme en général [Sartori 1976: 131] 2. tout ce qui diffčre du monopartisme [Sartori 1976: 285] polarisation concentration de voix sur deux grands partis [Duverger 1950: 14] polarisation grande distance idéologique [Sartori 1966: 139] Note 1: L'équivalence entre les termes de Duverger et ceux de Sartori n'est qu'approximative. Note 2: On compare principalement les livres de 1951 et de 1976, mais certaines catégories de Duverger ont été élaborées en 1950 et certaines catégories de Sartori ont été conçues dčs les années 1960. Les divergences entre Duverger et Sartori: réelles ou imaginaires? Voici comment Sartori reproche ŕ Duverger son utilisation du terme «polarisation»: «Tandis que je soutiens qu’un systčme politique peut ętre bipolaire et non polarisé, Duverger identifie (ou confond) polarisation et ‚bipolarité‘ (voir Les partis politiques, p. 279).» G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 202, note 10; trad. fr. G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p. 200, note 10. On peut tomber sur une critique similaire, mais plus développée, chez G. Sartori, «European Political Parties: The Case of Polarized Pluralism», dans Joseph LaPalombara, Myron Weiner (eds.), Political Parties and Political Development, Princeton N.J., Princeton University Press, 1966, p.137-176, cf. p.138 (trad. fr. partielle: G. Sartori, «Système de partis et polarité», dans J. Charlot, Les partis politiques, op. cit., p. 251-253, cf. p.252). On peut répondre en deux étapes. Primo, Duverger prend le mot «polarisation» dčs 1950 et 1951 dans un tout autre sens que - beaucoup plus tard - Sartori. Dahl a judicieusement expliqué en 1966 que (non seulement) ces deux acceptions du mot étaient possibles. Et comme Duverger a introduit ce terme en science politique avant Sartori, ce dernier aurait dű de préférence choisir un autre mot pour désigner la «distance idéologique» ou, du moins, il aurait dű signaler qu’il donne ŕ ce terme de polarisation une autre signification que ne lui attribue Duverger. En aucun cas, on ne peut reprocher ŕ Duverger d'avoir pris, dčs 1950 et 1951, le mot de polarisation dans une acception différente que Sartori au cours des années 1960 et 1970. C'était au contraire Sartori qui a causé ainsi une confusion en science politique: on continue jusqu'ŕ nos jours ŕ prendre ce terme de polarisation (et, plus encore, celui du «bipolarisation»), en particulier dans la littérature spécialisée francophone, au sens que lui a pręté Duverger. Cf. entre autres J. & M. Charlot, «L'interaction... », op. cit., p.512; Gérard Grunberg, Florence Haegel, La France vers le bipartisme?, Paris, Presses de la FNSP, 2007, p.16. Secundo, si on quitte le côté purement verbal et si on aborde la substance réelle, on s’aperçoit que Duverger adopte, dčs 1951, pratiquement la męme idée que professe ultérieurement Sartori, ŕ savoir «qu’un systčme politique peut ętre bipolaire et non polarisé», pour parler comme Sartori, sauf qu’au lieu de l‘expression «non polarisé», il écrirait «technique» (et, dans les années 1950, lorsqu’il n’use pas encore du vocable «bipolaire», il dirait «dualiste» En pensant non seulement au dualisme des partis, mais aussi au dualisme des alliances.). Il s’agit ici de la question du «centre» en politique et c’est dans ce cadre que Sartori fustige Duverger. Sartori tente d’expliquer pourquoi, ŕ son avis, les caractéristiques du «pluralisme polarisé», n’ont pas été compris par les spécialistes. «L’une [des deux raisons, note de M.N.] tient ŕ l’usage d’śillčres dualistes, c’est-ŕ-dire ŕ la tendance ŕ expliquer n’importe quel systčme de partis par extrapolation ŕ partir du modčle bipartite. Ces śillčres étaient présentées par Duverger comme une ‚loi‘ presque ‚naturelle‘ de la politique: ‚il n’y a pas toujours le dualisme de partis: mais il y a presque toujours le dualisme de tendances… Cela revient ŕ dire que le centre n’existe pas en politique: il peut y avoir un parti du centre mais non une tendance du centre, une doctrine du centre… Il n’y a de centres véritables que par superpositions des dualismes…‘ M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p. 245. Cette citation de Duverger est commentée par Sartori comme suit: «Je soutiendrai, au contraire, que lorsqu’il n’y a pas de parti du centre, il y a probablement une tendance centriste. Pour le moment, contentons-nous de relever que les śillčres dualistes de Duverger le mčnent - comme les développements subséquents l‘ont abondamment confirmé – ŕ d’étonnantes idées préconçues et fausses, comme lorsqu’il juge que l’Allemagne et l’Italie sont les deux pays qui ‚montrent une tendance assez marquée‘ au ‚bipartisme‘ Sartori renvoie ŕ M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.241 et p.269. Sartori a déjŕ lancé la męme attaque contre Duverger en 1966 dans G.Sartori «European Political Parties: The Case of Polarized Pluralism», op. cit., p.137, note 1..» Les diatribes de Sartori adressées ŕ Duverger ne s’arrętent pas lŕ. A l’appui de ses dires, le grand politologue italien cite Cf. G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p.201, note 1; trad. fr. Partis..., op. cit., 2011, p.193, note 1. avec complaisance la fameuse recension-exécution (de 15 pages!) Cf. Aaron B. Wildawsky, «A Methodological Critique of Duverger’s Political Parties», Journal of Politics, vol. 21, 1959, no 2, p. 303-318. du livre Les partis politiques, de la plume d’Aaron B. Wildawsky (1930-1993), selon laquelle est Duverger – entre bien d’autres déficiences – victime d’une «impression éminemment superstitieuse selon laquelle les phénomčnes adviennent en paires». Concernant les dissemblances entre l‘Allemagne et l‘Italie, Sartori ajoute: «Cette mécompréhension des mécaniques entičrement différentes des deux systčmes s’est maintenue jusqu’ŕ ce jour. Voir en particulier Giorgio Galli, Il Bipartitismo Imperfetto, Bologne, Il Mulino, 1966.» G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 201, note 2; trad. fr. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.194, note 2. J'ai corrigé la mauvaise transcription du titre de l'ouvrage de Galli. Enfin, toujours suivant Sartori: «La thčse de Duverger selon laquelle ‚il n’y a jamais de centre en politique‘ (Les partis politiques, op. cit., p.245) confond les divers aspects du problčme et devrait ętre renversée: une ‚tendance‘ centriste existe toujours; ce qui peut ne pas exister, c’est le parti centriste.» G. Sartori, ibid., 1976, p.202, note 9; trad. fr. G.Sartori, ibid., 2011, p. 199, note 9. Reuven Hazan, qui a en 1995 systématisé ces critiques de Sartori lancées contre Duverger, estime que Duverger est partisan de l’approche «intuitive» suivant laquelle les partis du centre exercent une influence modératrice, alors que Sartori adopte une approche «contre-intuitive» selon laquelle les partis du centre augmentent au contraire la «polarisation» (au sens de Sartori). Cf. Reuven Y. Hazan «Center Parties and Systemic Polarization: An Exploration of Recents Trends in Western Europe», Journal of Theoretical Politics, vol. 7, 1995, no 4, p.421-445, cf. p.424-425. En réalité, Duverger opte depuis toujours pour une conception trčs proche de celle de Sartori. Il distingue gouverner au centre et gouverner par le centre: «On ne peut réellement gouverner au centre qu’en absence de majorités du centre, c’est-ŕ-dire en l’absence de partis, d’alliances et de majorités du centre, c’est-ŕ-dire en l’absence des moyens de gouverner par le centre. Quand le centre est au pouvoir, il est condamné ŕ l’impuissance et il use lentement les fondements du régime. Quand le centre est brisé par la bipolarité, la droite ou la gauche sont obligés d’appliquer une politique modérée, c’est-ŕ-dire orientée vers lui, ŕ moins de perdre les élections suivantes. Tel est le paradoxe du centre: il ne gouverne réellement que quand il n’existe pas.» M. Duverger, La République des citoyens, Paris, Editions Ramsey, 1982, p.282-283 (souligné par Duverger); cf. aussi M.Duverger, La nostalgie de l'impuissance, Paris, A. Michel, 1988b, p.191-202. Duverger expose cette idée déjŕ en 1951, lorsqu'il explique le fonctionnement du bipartisme britannique: «Les deux [aussi bien le Parti conservateur que le Labour, note de M.N.] vont devoir faire des politiques nettement orientées vers le centre, donc profondément ressemblantes: on aboutit ŕ ce paradoxe que le centre influence toute la vie parlementaire dans ce pays oů précisément le systčme électoral empęche la formation d’un parti du centre.» M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.425. Ce qui frappe dans cette question du centre, ce n’est pas la divergence mais la convergence entre Duverger et Sartori. Hazan se fourvoie en croyant opposer l’approche contre-intuitive de Sartori ŕ l’approche intuitive de Duverger: il est indéniable que les deux politologues d'exception soient partisans de l’approche «contre-intuitive». Quand Sartori objecte contre Duverger «une tendance centriste existe toujours; ce qui peut ne pas exister, c’est un parti centriste…» G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p. 202; trad. fr. G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.199., il s’agit, de sa part, d’un malentendu. Duverger a en vue un parti ou une coalition de partis qui n’a pas (ou qui n’ont pas) de «tendence centriste» propre, alors que Sartori a en vue un systčme partisan qui a des «tendences centristes» au sens de «compétition centripčte». Entre la thčse de Duverger et celle de Sartori, il n'y a aucune contradiction réelle: il s'agit d'une contradiction toute verbale. Venons-en ŕ la critique selon laquelle les développements subséquents auraient abondamment confirmé chez Duverger «d’étonnantes idées préconçues et fausses, comme lorsqu’il juge que l’Allemagne et l’Italie sont les deux pays qui ‚montrent une tendance assez marquée‘ au ‚bipartisme‘», et que Duverger – tout comme Galli – n’aurait pas compris que les systčmes partisans allemand et italien (sous la premičre république) avaient des «mécaniques entičrement différentes». A nouveau, les attaques de Sartori sont, sur les deux points, injustifiées. Primo, Duverger ne prétend nullement que l’évolution de l’Allemagne et de l’Italie aboutisse (ou doive aboutir) au bipartisme. Il écrit: «... il y a 6 partis en Allemagne et 8 en Italie, et leur nombre tend ŕ s’augmenter plutôt qu’ŕ se restreindre.» M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.276. En revanche, Duverger a mal évalué l’avenir probable du Canada: «La situation [du Canada, note de M.N.] ressemble un peu ŕ celle de la Grande-Bretagne entre 1910 et 1935, période pendant laquelle régnait un tripartisme provisoire. On peut penser que la situation actuelle canadienne a le męme caractčre de transition. » (Ibid., p.253) Car le mode de scrutin, non seulement dans l'Italie de la premičre république mais également en Allemagne, ne favorise pas, selon Duverger, le bipartisme. Si le systčme électoral allemand est, du point de vue formel, «mixte», il s’agit en réalité d’un «systčme proportionnel de compensation», et il a une «finalité proportionnelle clairement affirmée» Pierre Martin, Les systčmes électoraux et les modes de scrutin, Paris, Monchrestien, 1994, p.105. . Duverger l'a formulé de façon limpide: «Mathématiquement, le systčme électoral est purement proportionnel, bien que la moitié des députés soient désignés d'une façon toute différente.» M. Duverger, La nostalgie de l'impuissance, op. cit., 1988b, p.108. Secundo et surtout, Duverger n’affirme pas que l’Allemagne et l’Italie (de la premičre république) fonctionnent de façon similaire. Il explique qu’on pourrait sans problčme d’établir en Allemagne le systčme électoral majoritaire ŕ un tour pour engendrer ŕ la longue le dualisme des partis. En revanche, si l’on adoptait Au début des années 1950. ce systčme électoral majoritaire ŕ un tour en Italie, le résultat serait d’aprčs Duverger «catastrophique» M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p. 244, cf. aussi p. 258. car l’un des deux partis (parti communiste) était alors totalitaire. Cela conduit Duverger d’un côté, ŕ introduire parmi les «oppositions dualistes» celle entre le parti communiste et un parti «occidental», autrement dit la ligne de démarcation «Occidentaux-Orientaux» Ibid., p.261-262., de l’autre côté, ŕ rappeler sa distinction du bipartisme «technique» qui naîtrait tôt ou tard en Allemagne ŕ la suite de l’introduction du systčme électoral majoritaire ŕ un tour, et du bipartisme «métaphysique» qui serait provoqué ŕ la longue par l’adoption du męme systčme électoral en Italie. «Le premier [bipartisme technique, note de M.N.] seul est viable. Cela revient ŕ dire que le dualisme n’est pas concevable si l’un des deux partis possčde une structure totalitaire. » Ibid., p.245. Duverger était par conséquent au courant des différences profondes entre les «mécaniques» italienne et allemande. Et ce qu’il écrit est conforme avec les thčses que professera postérieurement Sartori, sauf le vocable, et on ne peut pas accuser Duverger de ne pas avoir adopté en 1951 la terminologie employée plus tard par son collčgue italien. L'Arroseur arrosé? D'aprčs Duverger, c'est donc le systčme électoral proportionnel (il est en Allemagne personnalisé mais demeure «fondamentalement proportionnel» Jean-Marie Cotteret, Claude Emeri, Les systčmes électoraux, Paris, PUF, 7čme éd., 1999, p.81. ) qui s'est impitoyablement opposé ŕ la transposition sur le plan des partis d'une «tendance» bipartisane dans l'opinion allemande. Cf. M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p. 276. Duverger conclut: «Quoi qui l’en soit, Allemagne et Italie sont multipartistes, comme tous les pays soumis ŕ la proportionnelle.» Ibid., p.276. Sartori objecte que l’Irlande qui pratique un systčme de vote unique transférable, «ce qui est vraiment un systčme purement proportionnel» G. Sartori, Comparative.., op. cit., p. 39., avait le format bipartisan. «Et il y a d'autres pays qui sont, ou qui étaient, bipartisans avec R.P.: Malte et l'Autriche.» Ibid., p. 39-40. Il est vrai qu'en Irlande, il y a un systčme de vote unique transférable, qui fait partie des systčmes électoraux proportionnels. Mais on y trouve également des petites magnitudes des circonscriptions (entre 3 et 5 sičges d'une circonscription ŕ l'autre), ce qui représente un élément majoritaire majeur. Les spécialistes ont établi que les petites magnitudes produisent des effets majoritaires Cf. Rein Taagepera, Matthew S. Shugart, Seats and votes. The effects and determinants of electoral systems, New Haven, Yale University Press, 1989, p.112 et suiv. . La chambre basse du Parlement irlandais a 166 députés sur 43 circonscriptions électorales, ce qui ne fait męme pas 4 sičges par circonscription (3,86). Je me borne ici ŕ la moyenne arithmétique: Rein Taagepera a certes établi que, pour des besoins scientifiques, mieux vaut une «magnitude effective» (’M’) R. Taagepera, M. S. Shugart, Seats and votes, op. cit., p.126 et suiv., mais il en faut surtout lorsque la magnitude change beaucoup d'une circonscription ŕ l'autre, ce qui n'est pas le cas en Irlande. L'Irlande correspondait entre 1933 et 1989 au «systčme ŕ parti prédominant», aprčs 1989, il passe plutôt vers le «pluralisme modéré». Malte peut ętre assurément considérée comme bipartisane, mais, tout comme l'Irlande, elle a un systčme de vote unique transférable avec des faibles magnitudes. Le Parlement uni-caméral y est composé de 65 sičges pour 13 circonscriptions, toutes ŕ 5 mandats seulement. Rappelons ŕ cet égard comment se plaint Sartori de ses détracteurs quand il défend sa propre reformulation des lois de Duverger: «The authors who deny the reductive effects of plurality systems almost invariably make reference to unstructured party systems, thereby challenging a 'law' in situtions in which the law does not apply.» G. Sartori, Comparative..., op. cit., p.38.. D'accord, mais que fait Sartori lui-męme, au moment oů il prend les contre-exemples de l'Irlande et de Malte? Duverger est pourtant clair sur ce sujet, par exemple lorsqu'il expose, dans la premičre édition de son Droit constitutionnel et institutions politiques Paris, PUF, 1955, 1čre éd. Le titre de ce manuel a changé postérieurement: les «institutions politiques» ont dčs lors précédé le «droit constitutionnel», en accord avec les préférences de Duverger. de 1955, sa premičre «loi»: «1. La représentation proportionnelle tend à la formation de partis multiples et indépendants. - Il s'agit, bien entendu, d'un système de représentation proportionnelle intégrale, avec listes bloquées et répartitions des restes dans le cadre national. Dans la mesure où la R.P. s'applique avec des atténuations, ses conséquences sont parallèlement atténuées.» Ibid., 1955, p.113, souligné par M.N. Le cas autrichien est le plus intéressant. Dans ses travaux du début des années 1950, Duverger laisse l'Autriche de côté. Dans les années 1960, il considčre que l'Autriche n'a pas le bipartisme, mais le systčme «para-dualiste» (1966), autrement dit un «systčme de deux partis et demi» (1967). Le «systčme de deux partis et demi» (bipartisme imparfait) fait partie de la typologie de Blondel. Ce dernier toutefois classe l'Autriche dans une autre catégorie! A peu prčs en męme temps que Duverger, Blondel estime en effet que l'Autriche a un systčme de deux partis (bipartisme «parfait»), enfin Sartori assure que l'Autriche n'a pas de «type» bipartisan, mais seulement un «format» bipartisan. Duverger définit le «systčme de deux partis et demi» différemment que Blondel. Tout comme Sartori, voire męme encore plus que ce dernier, Duverger prend pour base le fonctionnement du systčme: il y a deux grands partis, mais ils sont le plus souvent incapables gagner l'un ou l'autre la majorité absolue de sičges ŕ eux seuls. «Il leur faut donc, soit s'allier avec le troisičme parti, soit s'allier entre eux.» M. Duverger, Sociologie politique, op. cit., 1966, p. 421-422. En revanche, le bipartisme véritable exclut, en principe, les alliances. Ibid., 1966, p.373. Le raisonnement de Sartori est quasiment identique: le bipartisme exige un single-party government, il exclut les gouvernements de coalitions. Rien de tel chez Blondel qui définit opérationnellement le «bipartisme parfait» comme le «systčme oů les deux partis de tęte obtiennent 90% de voix ou plus» Jean Blondel, 1968, «Party Systems and Patterns of Government in Western Democracies», Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 1, 1968, no 2, p. 183-203, cf. p.184. Une adaptation française, fournie par Blondel lui-męme et qui ne traduit pas mot ŕ mot l'original, fut publiée par Jean Charlot dčs 1971: Jean Blondel, «Les systčmes de partis dans les démocraties occidentales», dans J. Charlot, Les partis politiques, op. cit., p.229-238, cf. p.231.. Pour ce qui est du systčme de deux partis et demi (bipartisme imparfait), les deux plus grands partis y obtiennent d'aprčs Blondel entre 75 et 80% de voix. Ibid. Les approches de Duverger et de Sartori me semblent plus pertinentes que celle de Blondel, en dépit des mérites incontestables qu'il faut reconnaître ŕ la typologie blondélienne. J'apprécie chez Blondel qu'il ne se contente pas de la variable classique qu'est le nombre de partis: il la complčte par la variable «puissance (importance, taille) relative», pour ne citer qu'elle Je laisse de côté l'idéologie qui est la troisičme variable dans sa typologie.. De ce point de vue, l'index du «nombre effectif de partis» de Laakso-Taagepera s'avčre opportun. Je ne peux toutefois pas suivre Blondel lorsqu'il prend pour base de calcul le pourcentage de voix au lieu de pourcentage de sičges. Ainsi il fait abstraction de l'effet du systčme électoral, en particulier de l'effet «mécanique» (ou «réductif»). C'est impensable pour Duverger (et pour Sartori). Si l'on opčre avec le «nombre effectif de partis de Laakso-Taagepera», il doit s'agir du nombre effectif de partis parlementaires (législatifs) et non pas du nombre effectif de partis électoraux. L'autre faiblesse de la typologie de Blondel est commune avec d'autres (je ne dis pas avec toutes) démarches quantitativistes. Sartori explique fort bien les problčmes de ces derničres et il conclut: «la voie nominale - malgré toutes ses limites - permet d'avancer bien plus loin sur le plan théorique et prédictif que les voies quantitatives et mathématiques». G. Sartori, Parties..., op. cit., 1976, p.316-317; trad. fr. Partis..., op. cit., 2011, p. 428. On le voit on ne peut plus clairement justement sur le cas qui nous intéresse: c'est Duverger qui a raison contre Blondel, lorsque, dans les années 1960, il avance que l'Autriche n'a pas un systčme bipartisan mais un systčme de deux partis et demi. Le systčme de partis y fonctionnait, męme dans les années 1960, selon une logique extręmement éloignée de la «mécanique» bipartisane. Si on pouvait encore hésiter entre les deux interprétations en 1967, depuis 1986, le doute n'est plus permis. Pour paraphraser Sartori: sur le plan théorique et prédictif, l'approche de Duverger se revčle supérieure ŕ celle de Blondel. En résumé, de trois contre-exemples que Sartori lance ŕ l'encontre de la thčse de Duverger sur la liaison entre la proportionnelle et le multipartisme, deux (Irlande, Malte) sont irrecevables du fait que la représentation proportionnelle y est complétée par un élément nettement majoritaire (faible magnitude), le troisičme (Autriche) n'est męme pas, ŕ juste titre d'ailleurs, considéré par Duverger comme bipartiste. Dualisme et sociologies du conflit Il nous reste ŕ examiner les «śillčres dualistes». En 1950 déjŕ, Duverger écrit: «On peut se demander si l'opinion publique n'a pas une tendance ŕ se diviser en deux grandes fractions rivales, ŕ l'intérieur desquelles on retrouve, certes, de multiples nuances, mais dont les limites extérieures sont assez nettes. Il est curieux de constater ŕ cet égard la convergence des conclusions d'études trčs différentes; certains sociologues proposent de distinguer deux tempéraments politiques fondamentaux (le 'radical' et le 'conservateur'); les marxistes conçoivent la dynamique sociale comme une lutte entre deux grandes classes rivales; et les fondateurs français de la géographie électorale reconnaissent, ŕ travers l'apparente multiplicité des opinions politiques de notre pays, la permanence d'une opposition de base entre la droite et la gauche, l'ordre et le mouvement.» M. Duverger, L'Influence..., op. cit., 1950, p. 42-43. Duverger développe et perfectionne beaucoup plus cet aspect en 1951. Contentons-nous d'un extrait significatif: «... les options politiques se présentent d'ordinaire sous une forme dualiste. (...) Toute politique implique un choix entre deux types de solutions: les solutions dites intermédiaires se rattachent ŕ l'une ou ŕ l'autre.» M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.245. De quoi s'agit-il au juste? Duverger fait partie d'une longue lignée des «sociologues du conflit», alors que Sartori, influencé par le structuro-fonctionnalisme de Gabriel A. Almond (1911-2002), fait plutôt partie des «sociologues du consensus». La sociologie du conflit est logiquement liée au dualisme. Une des derničres grandes figures de cette lignée des sociologues du conflit, Ralf G. Dahrendorf (1929-2009), l'a formulé clairement: «Quelle que soit l'attitude critique qu'exige la théorie de Marx, il est vrai que toute théorie du conflit doit s'articuler sur quelque chose d'analogue ŕ un modčle ŕ deux classes. Il n'y a que deux parties aux prises; c'est ce qu'implique le concept męme de conflit.» Ralf Dahrendorf, Class and class conflict in industrial society, Stanford, CA, Stanford University Press, 1959, p.126; https://archive.org/stream/classclassconfli00dahr/classclassconfli00dahr_djvu.txt (trad. fr. R. Dahrendorf, Classes et conflit de classes dans la société industrielle, Paris - La Haye, Mouton, 1972, p.127). Dahrendorf n'affirme pas que Marx ne voie partout «que» deux classes, mais qu'il n'y a chez lui que deux classes «prépondérantes» (two prevalent classes): «Il faut d'ailleurs signaler que Marx, ŕ l'occasion, se réfčre ŕ un grand nombre de classes (...). Le type général des conditions réelles du conflit qui engendre les changements n'en demeurent pas moins l'opposition entre deux forces dominantes, entre deux classes prépondérantes.» (R. Dahrendorf, Class..., op. cit., 1959, p. 19 et 20; trad. fr. R. Dahrendorf, Classes..., op. cit., 1972, p. 20). De plus, Duverger est, avec son idée de l'entrecroisement (cross cutting) et de la superposition des dualismes Cf. M. Duverger, Les partis politiques, op. cit., p.261-262; M. Novák, Systémy politických stran. Úvod do jejich srovnávacího studia (Systčmes de partis politiques. Introduction ŕ leur étude comparative), Prague, SLON, 1997, p.102-103. , un des précurseurs de la théorie des clivages fondamentaux Daniel-Louis Seiler, «Maurice Duverger et les partis politiques», Revue internationale de politique comparée, vol. 17, 2010, no 1, p. 55-66, no monothématique «Maurice Duverger», cf. p.65. Cf. aussi M.Novák, «Takzvané 'sociologické zákony'... », op. cit., 2015, p.35. , élaborée en 1967 par Stein Rokkan (1921-1979) avec Seymour M. Lipset (1922-2006). Cf. Seymour M. Lipset, Stein Rokkan (eds.), Party Systems and Voters Alignments: Cross national perspectives, New York, Free Press, 1967. En français, on a traduit l'introduction ŕ cet ouvrage: S. M. Lipset, S. Rokkan, Structures de clivages, systčmes de partis et alignement des électeurs: une introduction, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2008. Conclusion D'aprčs la «sagesse conventionnelle», répétée d'un auteur ŕ l'autre, Maurice Duverger se serait contenté d'une classification banale des systčmes partisans, basée sur le seul nombre de partis, élaborée plusieurs décennies avant lui. C'est faux. Duverger a élaboré une typologie plus sophistiquée. Il l'a a en partie esquissée dčs 1950 dans L'Influence des systčmes électoraux sur la vie politique. Dans Les partis politiques de 1951, cette typologie plus raffinée est complčtement formulée, elle est cependant encore dispersée dans divers endroits. C'est en 1960 dans sa «Sociologie des partis politiques» que Duverger l'a exposée pour la premičre fois de façon ordonnée et systématique. Sartori connaît et cite tous ces trois travaux de Duverger (de surcroît en version française). La similarité de la typologie perfectionnée de Duverger avec la fameuse typologie ultérieure de Sartori est frappante, surtout pour ce qui est des systčmes de partis pluralistes. De plus, Duverger a introduit, d'abord sous le vocable du systčme partisan «para-dualiste» en 1966, et ensuite, en 1967, sous celui du «systčme de deux partis et demi», une catégorie similaire ŕ celle de Blondel, proposée par ce dernier dans l'article publié en 1968. La démarche de Duverger est plus proche de Sartori que de Blondel en priviégiant le «fonctionnement», mais Sartori a essayé de se démarquer de Duverger: premičrement en remplaçant presque systématiquement sa terminologie et en introduisant un vocable distinct, et cela męme parfois au prix de confusions regrettables (dans le cas du terme «polarisation»), deuxičmement en assurant que son approche est profondément divergeante de celle de Duverger, ce qui n'est pas le cas. Cette similarité entre Duverger et Sartori est incontestable, mais il ne s'ensuit pas que la typologie des systèmes partisans de Sartori ne soit pas originale. Au contraire, on peut suivre Mair: «... il y a de nombreuses raisons de considérer la typologie de Sartori comme la plus importante qui ait été mise au point à ce jour» (Peter Mair, «Introduction», dans G. Sartori, Partis..., op. cit., 2011, p.9-19, cf. 15; orig.: P. Mair, «Introduction», dans G. Sartori, Parties and party systems. A framework for analysis, Colchester, ECPR Press, 2005, p.XVI). Duverger lui-même, en 1981, trente ans après la première édition de son ouvrage pionnier, fait mention de «l'imposant édifice de Sartori» (M.Duverger, «Un fil d'Ariane», op. cit., 1981, p. 9). Les critiques dirigées par Sartori contre Duverger sont le plus souvent infondées, du moins lorsqu'il s'agit de systčmes partisans pluralistes. Hazan fait fausse route en opposant, sur la question du centre en politique, l'approche «intuitive» de Duverger ŕ l'approche «contre-intuitive» de Sartori. En réalité, Duverger opte dčs 1951 pour une conception du centre politique qui est trčs semblable ŕ celle que professera beaucoup plus tard Sartori. Comme l'a constaté Daniel-Louis Seiler (*1943): «La contribution de Maurice Duverger ŕ l'étude des systčmes de partis s'avčre donc décisive.» D.-L. Seiler, Les partis politiques, Paris, A. Colin, 1993, p.134. Il faut en conséquence revoir nos schémas de l'évolution de la science politique. Duverger est plus proche de nous qu'on ne le croit communément. Ce texte a été rédigé grâce au soutien institutionnel de l'Academia Rerum Civilium (A.R.C.-V.S.P.S.V.) ŕ Kutna Hora (CZ) dans le cadre de son programme de recherche «Métamorphoses des systčmes politiques démocratiques». Je m'appuie sur mes travaux précédents, notamment Miroslav Novák, «Takzvané 'sociologické zákony' Maurice Duvergera: jejich postupné formulování a jejich metodologické aspekty» (The ‘Sociological Laws’ of Maurice Duverger: How They Evolved and Aspects of Methodology), Sociologický časopis/Czech Sociological Review, vol. 51, 2015, no 1, p.3-40; http://sreview.soc.cas.cz/uploads/f6bd8eec2b2821b921f2ac11dab8ec00440fd39e_15-1-01Novak18.indd.pdf) et sur mon rapport «Typology of Party Systems, Duverger and Sartori: Continuation or Rupture?», présenté le 26 septembre 2014 ŕ Prague lors de la conférence internationale Giovanni Sartori: 90 Years of a Political Scientist au Centre culturel italien (http://www.giovannisartori.it/26092014-giovanni-sartori-90-years-of-a-political-scientist-2/). Je remercie chaleureusement Philippe Braud, Jean Leca, Leonardo Morlino et Rein Taagepera pour leurs commentaires détaillés de la version précédente de ce texte. Ils ne sont cependant en rien responsables des opinions exprimées dans mon article. Je tiens également à exprimer ma gratitude à Bertrand Badie, Klaus von Beyme, Philippe Claret, William Ossipow, Pierre Sadran - et particulièrement à Yves Mény - pour leurs encouragements. J'ai aussi apprécié - et exaucé - la suggestion des évaluateurs anonymes de la R.F.S.P. de présenter un tableau synthétique. Last but not least, j'ai l'agréable devoir de remercier Françoise Dreyfus,t Christophe Premat et Jean-Louis Thiébault pour leurs remarques critiques concernant non seulement le style mais aussi le fond. Résumé/Abstract Systèmes partisans compétitifs: divergence réelle ou imaginaire entre Duverger et Sartori? Ce texte réfute la «sagesse conventionnelle» selon laquelle Duverger se contenterait d'une classification banale des systèmes partisans pluralistes (bipartisme - multipartisme). On montre ici, entre autres, que: 1° dès 1951, Duverger propose une typologie plus raffinée des systèmes partisans qui ressemble à la typologie postérieure de Sartori; 2° à l'encontre de ce qu'affirme Hazan, la conception du «paradoxe du centre», formulée par Duverger dès 1951, est tout aussi «contre-intuitive» que la conception de Sartori; 3° à l'instar de Sartori, Duverger met l'accent sur le «fonctionnement" des systèmes partisans, mais Sartori a essayé de se démarquer de Duverger en assurant que son approche est profondément divergeante; 4° il faut revoir nos schémas de l'évolution de la science politique et reconnaître l'apport fondamental de Duverger à la théorie des systèmes partisans. Competitive party systems: a real or imagined divergence between Duverger and Sartori? This text refutes the conventional wisdom that Duverger’s classification of pluralistic party systems is simplistic because it recognizes only bipartism and multipartism as categories. It indicates that: 1. By 1951, Duverger had already introduced a more sophisticated typology of pluralistic party systems, one which resembled the later one by Sartori; 2. Duverger authored the concept of the «paradox of the centre», that is no less «counter-intuitive» compared to Sartori’s concept; 3. Like Sartori, Duverger puts emphasis on the «functioning» of party systems; Sartori, however, dissociated himself from Duverger and tried to propagate the belief that his approach is fundamentally different from Duverger’s; 4. It is necessary to revise the simplistic understanding of the development of political science and to recognize Duverger’s contribution to the theory of party systems as fundamental. Miroslav Novák est Professeur au CEVRO Institut (School of Political Studies) à Prague, dont il a assuré la direction, en tant que Recteur, de 2006 à 2009. De 1990 à 2014, il a enseigné à l'Université Charles de Prague, où il est devenu le premier Professeur ordinaire de science politique. Il est, entre autres, membre du Comité scientifique de la Revue internationale de politique comparée et d'Est-Europa. Revue d'études politiques et constitutionnelles est-européennes. Ses travaux portent, notamment, sur les systèmes partisans, les formes de l'opposition, les théories empiriques de la démocratie, les populismes, les transitions politiques et le concept de totalitarisme. Ils abordent aussi plusieurs figures marquantes de la sociologie politique, comme Aristote ou, plus près de nous, Raymond Aron (sur sa sociologie politique, Novák publie, en 2007, une monographie en tchèque), Maurice Duverger, Arend Lijphart et Giovanni Sartori. Son ouvrage publié en tchèque, Systémy politických stran. Úvod do jejich srovnávacího studia (Systèmes de partis politiques. Introduction à leur étude comparative, Prague, Editions sociologiques SLON, 1997) faisait l'objet en mai  2015, d'après Google Scholar, de 172 citations ; il s’agit, probablement, de l'ouvrage de science politique en langue tchèque le plus cité. Parmi ses nombreuses publications en langue française, on peut mentionner Du Printemps de Prague au Printemps de Moscou. Les formes de l'opposition en URSS et en Tchécoslovaquie de janvier 1968 à janvier 1990 (Genève, Georg, coll. Lug, 1990), «Les concepts utilisés dans le modèle consensuel de la démocratie: entre Sartori et Lijphart», dans Céline Thiriot, Marianne Marty et Emmanuel Nadal (eds.), Penser la politique comparée. Un état de savoirs théoriques et méthodologiques (Paris, Editions Karthala, 2004, p.143-159) et «Les systèmes de partis en Europe du Centre-Est entre stabilisation et désintégration : République tchèque, Pologne et Hongrie», Revue d’études politiques et constitutionnelles est-européennes, 2008, no 1, p.13-39. Dans ses publications en anglais, on citera en particulier «Is There One Best 'Model of Democracy'? Efficiency and Representativeness: 'Theoretical Revolution' or Democratic Dilemma?», Czech Sociological Review, vol. V, 1997, no 2, p.131-157 et «The Czech Party System and Democracy: A Quest for Stability and Functionality», in Key Lawson (ed.), Political Parties and Democracy. Volume 2: Europe, Santa Barbara, CA, Praeger, 2010, p. 207-227. On citera enfin l'ouvrage collectif en langue tchèque Strany, volby a demokracie: Od M. Duvergera k G. Sartorimu a dále (Partis, élections et démocraties: de M. Duverger à G. Sartori et au-delà), dont il est éditeur et auteur de quatre chapitres, actuellement sous presse à Prague aux Editions sociologiques SLON. Coordonnées prof.: CEVRO Institut (School of Political Studies), Jungmannova 17, CZ-110 00 Prague 1, e-mail: novak.miroslav@gmail.com, page web: www.miroslavnovak.cz.