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Jules Falquet Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence CR par Sophie Wustefeld, in : Actuel Marx 2018/1 (n° 63) Voici un ouvrage fondamental pour comprendre les ressorts de l'alliance entre néolibéralisme et violences envers les femmes. Recueil de « recherches buissonnières », Pax neoliberalia s'organise autour du concept de « guerre de basse intensité contre les femmes ». Il révèle chapitre après chapitre l'ampleur de l'oxymore que suggère l'ironie orwellienne du titre. La « guerre de basse intensité » est définie dès l'introduction, d'après I. M. Baró, comme l'utilisation systématique de la torture pour terroriser la population civile (par l'OAS au départ, avant de devenir une technique militaire classique). Comparant le fonctionnement de la torture (E. Lira et E. Weinstein) et de la violence domestique, le premier chapitre interroge la possibilité que celle-ci soit une forme de guerre de basse intensité contre les femmes, à partir de récits de violence domestique au Salvador. Le caractère déstabilisant de ce chapitre (pourtant le plus ancien des quatre textes) n'enlève rien à sa pertinence analytique. Le deuxième chapitre reproduit la préface que J. Falquet rédigea pour la traduction du premier ouvrage de P. Selek, Devenir homme en rampant. La production des hommes comme classe (Guillaumin) passe en Turquie par l'imposition temporaire d'une violence physique et psychologique à tous les « porteurs de pénis », quelle que soit par ailleurs leur sexualité ou leur identification de genre, durant le service militaire. Cette violence temporaire a pour double effet de rendre les « hommes » capables d'imposer une violence à toute personne subalterne, et de leur rendre la hiérarchie désirable. Or, le service militaire turc octroie aux hommes des privilèges socio-économiques – par opposition à la classe des « femmes ». Montrant le caractère arbitraire du critère de sélection des « hommes », ce chapitre réfute toute lecture essentialisant les classes sociales homme-femme, tout comme les lectures masculinistes qui suggèrent que les hommes sont les premières « victimes » du patriarcat. Le troisième chapitre explore le contexte socio-économique et politique des féminicides commis à Ciudad Juárez, ville frontalière des États-Unis, entre 1994 et 2000. Falquet y rappelle l'histoire (militante) du concept de féminicide, puis propose une analyse critique de la littérature existante à propos de ces crimes à Ciudad Juárez. Les féminicides sexuels systémiques – dont la violence de la mise en scène est redoublée par une exhibition médiatique incessante – visent une figure charnière des mutations néolibérales en cours : les femmes pauvres, migrantes et racisées, le plus souvent isolées. Ils sont un message (Segato) terrorisant (Fregoso et Berejano) les communautés auxquelles les victimes appartiennent. En réponse, ces communautés inquiètes pour leurs victimes passées et à venir confinent les femmes au foyer, comme lors de l'accumulation primitive (Federici), au lieu de s'organiser collectivement pour améliorer leur vie. Bref, « le prisme de Juárez révèle que certains des États sur lesquels repose l'avancée néolibérale au mieux ferment les yeux sur les violences privées ou semi-privées contre les femmes, au pire utilisent ou renforcent ces violences à leur profit. » (p. 132)

Jules Falquet Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence CR par Sophie Wustefeld, in : Actuel Marx 2018/1 (n° 63) Voici un ouvrage fondamental pour comprendre les ressorts de l’alliance entre néolibéralisme et violences envers les femmes. Recueil de « recherches buissonnières », Pax neoliberalia s’organise autour du concept de « guerre de basse intensité contre les femmes ». Il révèle chapitre après chapitre l’ampleur de l’oxymore que suggère l’ironie orwellienne du titre. La « guerre de basse intensité » est définie dès l’introduction, d’après I. M. Baró, comme l’utilisation systématique de la torture pour terroriser la population civile (par l’OAS au départ, avant de devenir une technique militaire classique). Comparant le fonctionnement de la torture (E. Lira et E. Weinstein) et de la violence domestique, le premier chapitre interroge la possibilité que celle-ci soit une forme de guerre de basse intensité contre les femmes, à partir de récits de violence domestique au Salvador. Le caractère déstabilisant de ce chapitre (pourtant le plus ancien des quatre textes) n’enlève rien à sa pertinence analytique. Le deuxième chapitre reproduit la préface que J. Falquet rédigea pour la traduction du premier ouvrage de P. Selek, Devenir homme en rampant. La production des hommes comme classe (Guillaumin) passe en Turquie par l’imposition temporaire d’une violence physique et psychologique à tous les « porteurs de pénis », quelle que soit par ailleurs leur sexualité ou leur identification de genre, durant le service militaire. Cette violence temporaire a pour double effet de rendre les « hommes » capables d’imposer une violence à toute personne subalterne, et de leur rendre la hiérarchie désirable. Or, le service militaire turc octroie aux hommes des privilèges socio-économiques – par opposition à la classe des « femmes ». Montrant le caractère arbitraire du critère de sélection des « hommes », ce chapitre réfute toute lecture essentialisant les classes sociales homme-femme, tout comme les lectures masculinistes qui suggèrent que les hommes sont les premières « victimes » du patriarcat. Le troisième chapitre explore le contexte socio-économique et politique des féminicides commis à Ciudad Juárez, ville frontalière des États-Unis, entre 1994 et 2000. Falquet y rappelle l’histoire (militante) du concept de féminicide, puis propose une analyse critique de la littérature existante à propos de ces crimes à Ciudad Juárez. Les féminicides sexuels systémiques – dont la violence de la mise en scène est redoublée par une exhibition médiatique incessante – visent une figure charnière des mutations néolibérales en cours : les femmes pauvres, migrantes et racisées, le plus souvent isolées. Ils sont un message (Segato) terrorisant (Fregoso et Berejano) les communautés auxquelles les victimes appartiennent. En réponse, ces communautés inquiètes pour leurs victimes passées et à venir confinent les femmes au foyer, comme lors de l’accumulation primitive (Federici), au lieu de s’organiser collectivement pour améliorer leur vie. Bref, « le prisme de Juárez révèle que certains des États sur lesquels repose l’avancée néolibérale au mieux ferment les yeux sur les violences privées ou semi-privées contre les femmes, au pire utilisent ou renforcent ces violences à leur profit. » (p. 132) Le dernier chapitre s’intéresse aux résistances collectives et aux luttes des femmes indiennes guatémaltèques contre la dictature de Rios Montt, puis contre des projets miniers extractivistes. La colonisation interne permanente au XXe siècle des riches terres du nord du pays a été contrée par la force et l’originalité des mouvements de femmes : Actoras de cambio, Kaqla, Amismaxaj,… Ces derniers ont rompu l’isolement et le silence autour des viols et violences sexuelles massives que les Indiennes subirent lors du génocide de 19821983, témoigné au procès de la dictature, et créé sans cesse des pratiques et des imaginaires pour combattre patriarcat maya, patriarcat colonial et extractivisme néolibéral. Falquet rend un « femmage » étayé aux créatrices de la défense conjointe du « Territoire-Terre » et du « Territoire-Corps ». Au cours de la lecture, on est saisie par le caractère situé du propos, sa précision, et par son souci à situer chaque organisation, chaque personne engagée dans l’histoire ou dans l’analyse des phénomènes décrits – qu’elles soient gouvernementales, économiques, académiques ou militantes. La violence, loin de n’être que symbolique, place les rapports de sexage au centre des enjeux du capitalisme contemporain lorsque ses formes et mutations sont analysées. Sophie WUSTEFELD