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Les publics institutionnels Politiques de communication 2018 n°

2018, Ollivier-Yaniv

Que font les individus des discours et de la communication des insti- tutions et en particulier, des informations, des avertissements, des recommandations ou des injonctions qui leur sont adressés par des orga- nisations qui fabriquent les normes et leurs modalités d’application? Le présupposé de l’influence des dispositifs médiatiques sur les « publics » ou les « cibles » des « stratégies de communication publique », venu conforter ceux de la performativité et de l’efficacité des discours institutionnels, n’est-il pas régulièrement mis à l’épreuve et contredit à bas bruit dans le monde social? Les catégories de «non-publics», de «non-recours» mais encore d’« acceptabilité sociale », constitutives des discours des acteurs institutionnels, ne sont-elles pas significatives de leur reconnaissance des obstacles ou des échecs que rencontrent les recommandations institution- nelles? Telles étaient les questions de départ de ce dossier1, consacré aux publics institutionnels.

  35‹6(17$7,21'8'266,(5 /HVSXEOLFVLQVWLWXWLRQQHOV5«FHSWLRQHWDSSURSULDWLRQGHVLQIRUPDWLRQVHWGHV UHFRPPDQGDWLRQV Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) 3UHVVHVXQLYHUVLWDLUHVGH*UHQREOH_m3ROLWLTXHVGHFRPPXQLFDWLRQ} 1r_SDJHV¢  ,661; ,6%1 $UWLFOHGLVSRQLEOHHQOLJQH¢O DGUHVVH  KWWSVZZZFDLUQLQIRUHYXHSROLWLTXHVGHFRPPXQLFDWLRQSDJHKWP   'LVWULEXWLRQ«OHFWURQLTXH&DLUQLQIRSRXU3UHVVHVXQLYHUVLWDLUHVGH*UHQREOH k3UHVVHVXQLYHUVLWDLUHVGH*UHQREOH7RXVGURLWVU«VHUY«VSRXUWRXVSD\V  /DUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQGHFHWDUWLFOHQRWDPPHQWSDUSKRWRFRSLHQ HVWDXWRULV«HTXHGDQVOHV OLPLWHVGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVG XWLOLVDWLRQGXVLWHRXOHFDV«FK«DQWGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVGHOD OLFHQFHVRXVFULWHSDUYRWUH«WDEOLVVHPHQW7RXWHDXWUHUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQHQWRXWRXSDUWLH VRXVTXHOTXHIRUPHHWGHTXHOTXHPDQLªUHTXHFHVRLWHVWLQWHUGLWHVDXIDFFRUGSU«DODEOHHW«FULWGH O «GLWHXUHQGHKRUVGHVFDVSU«YXVSDUODO«JLVODWLRQHQYLJXHXUHQ)UDQFH,OHVWSU«FLV«TXHVRQVWRFNDJH GDQVXQHEDVHGHGRQQ«HVHVW«JDOHPHQWLQWHUGLW Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble  &DUROLQH2OOLYLHU<DQLY ● Caroline Ollivier-Yaniv CEDITEC, Université Paris-Est Créteil Q ue font les individus des discours et de la communication des institutions et en particulier, des informations, des avertissements, des recommandations ou des injonctions qui leur sont adressés par des organisations qui fabriquent les normes et leurs modalités d’application ? Le présupposé de l’influence des dispositifs médiatiques sur les « publics » ou les « cibles » des « stratégies de communication publique », venu conforter ceux de la performativité et de l’efficacité des discours institutionnels, n’est-il pas régulièrement mis à l’épreuve et contredit à bas bruit dans le monde social ? Les catégories de « non-publics », de « non-recours » mais encore d’« acceptabilité sociale », constitutives des discours des acteurs institutionnels, ne sont-elles pas significatives de leur reconnaissance des obstacles ou des échecs que rencontrent les recommandations institutionnelles ? Telles étaient les questions de départ de ce dossier1, consacré aux publics institutionnels. 1. Préalablement discutées par les intervenant.e.s de la journée d’études du Céditec « Appropriation des manières de dire, des consignes et des prescriptions institutionnelles » (3 février 2017). Que Jean-Baptiste Comby, Marc Glady, Anne Mayère, Cécile Loriato et Coralie Pereira da Silva en soient particulièrement remerciés. POLITIQUES DE COMMUNICATION N° 11 ● AUTOMNE 2018 5 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Présentation du dossier Les publics institutionnels Réception et appropriation des informations et des recommandations DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Par « publics », on désigne ici les personnes et les groupes sociaux qui font l’expérience, dans une posture de réception, des informations et des recommandations émanant d’institutions qui visent à réguler et à normaliser leurs comportements et leurs discours, plutôt qu’à les contraindre de manière frontalement autoritaire. Sur le plan notionnel, les publics institutionnels sont donc dans la continuité des « publics médiatiques » et des « publics politiques » saisis au travers d’une « pragmatique » des discours et des activités (Céfaï et Pasquier 2003, p. 23) constitutifs de l’expérience d’individus socialement situés et pris dans des interactions sociales. Par « publics institutionnels », on signifie également que l’on tient compte des spécificités des institutions juridiquement inscrites dans l’appareil d’État (Oger et Ollivier-Yaniv, 2003), et dont les activités sont appréhendées à partir des discours publics qui les constituent. Une partie des discours sont juridiquement instituants, performatifs ou à valeur injonctive (textes de lois, arrêtés, décrets, etc.). D’autres présentent un caractère évaluatif (rapports, livres blancs, notes) (Née, Oger, Sitri, 2017) : aides à la décision, ils sont significatifs à la fois du travail institutionnel en train de se faire et de la nécessité de le faire savoir, par exemple pour tenter de neutraliser des débats et des controverses (Ollivier-Yaniv, 2017). D’autres discours enfin présentent un caractère légitimant, au sens ils ne sont ni uniquement, ni explicitement indexés sur l’autorité juridique de l’institution : ils présentent de prime abord un caractère informationnel ou incitatif, rarement injonctif, et relèvent largement de pratiques pour et avec les médias (discours ou interviews politiques institutionnels, conférences de presse, campagnes de communication publique, etc.). Prendre acte de la matérialité discursive et médiatique de l’action publique permet de concevoir l’importance des « politiques symboliques » (Edelman 1971) et plus précisément, des dispositifs et des pratiques relevant de l’information, de la recommandation ou de l’avertissement des individus en vue de normaliser leurs conduites et de façonner leurs discours sans recourir aux sanctions, ou du moins en les passant sous silence. Ainsi les institutions ne se contentent plus de verbaliser au sens juridique coercitif - dresser un procès-verbal - (Berthelot-Guiet et Ollivier-Yaniv 2001) : elles déploient des dispositifs symboliques afin d’informer, d’inciter ou d’avertir les individus et de les amener à rendre leurs comportements conformes aux normes ainsi fabriquées. 6 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Définir les publics institutionnels Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble L’importance prise par cette verbalisation des responsabilités individuelles, à la place ou de manière complémentaire à la verbalisation sanction (OllivierYaniv 2009), a été interprétée à juste titre comme significative du « grippage des mécanismes traditionnels d’assujettissement », selon une définition de la communication publique au caractère précurseur (de la Haye 1984). Sur la base de travaux plus récents a été proposé un « modèle intégratif » de la communication politique et publique, fondé sur la « centralité donnée aux pratiques, aux discours et aux dispositifs relevant de l’information, de l’accès aux médias et de la médiation » dans le travail de gouvernement des conduites des individus (Ollivier-Yaniv, 2013, Aldrin, Hubé, Ollivier-Yaniv et Utard 2014). De nombreuses études monographiques ont ainsi souligné l’importance prise par les responsabilités assignées aux individus, en particulier dans les politiques publiques dans lesquelles l’État de droit ne peut ni interdire, ni sanctionner certains comportements, ni astreindre à adopter d’autres comportements. L’individu devient ainsi « l’échelle d’intervention pertinente » (Comby 2013), en particulier dans la prévention des risques relatifs à la santé, à la maladie, à l’insécurité, ainsi que dans le développement de dispositifs institutionnels – en matière de participation ou encore de dépistage. Sur le plan sociolinguistique, l’individualisation des responsabilités est caractérisée par l’assignation d’identités prescrites (Glady 2016), qui reposent sur des conduites considérées comme exemplaires ou collectivement nécessaires – par la santé publique notamment. Elles sont érigées en normes au moyen d’énoncés qui limitent ou qui contraignent « le discours des sujets d’énonciation ». Ce phénomène a été défini comme significatif d’un « empêchement de la parole par le discours institutionnel » (Glady et VandeveldeRougale, 2016). En termes de morphologie sociale, d’autres travaux ont souligné le hiatus entre les conditions de production des dispositifs de communication et les messages qu’ils génèrent d’une part et les caractéristiques des populations concernées par la politique publique d’autre part (Comby et Grossetête, 2012). La neutralité ou l’indifférenciation sociale des « publics » construits par les acteurs de l’institution apparaît ainsi tantôt impensée, tantôt revendiquée (en vue d’éviter la stigmatisation de groupes sociaux (Oliveira, 2014)), mais aussi tantôt rationalisée dans la perspective instrumentale et fonctionnaliste de l’évaluation des politiques publiques (Ollivier-Yaniv, 2013). POLITIQUES DE COMMUNICATION N° 11 ● AUTOMNE 2018 7 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble PRÉSENTATION DU DOSSIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Or les publics institutionnels, comme notion, présentent aussi la particularité d’être distincts des catégories standardisées de « publics » ou de « cibles », lesquelles sont construites de manière plus ou moins rationalisée dans la fabrication des politiques publiques (Gourgues et Mazeaud, 2018) et dans leurs stratégies de communication. En ce sens, les publics institutionnels ne peuvent pas être a priori conçus comme étant congruents avec les « publics » ou les « audiences » des politiques publiques et encore moins être essentialisés. L’ancrage constructiviste de ce dossier n’en est pas moins caractérisé par la proposition heuristique selon laquelle les catégories préconstruites pour désigner les « publics », les « cibles », les « bénéficiaires » ou les « usagers » doivent être saisies comme une composante du phénomène à éclairer, au même titre que les discours d’incitation, de promotion et de conformation qui sont fabriqués à leur intention. L’ensemble de ces énoncés constituent des « actes symboliques », plutôt que des « actes instrumentaux », selon la distinction proposée par J. Gusfield (2009) pour analyser la construction de la prévention de l’alcool au volant comme un problème public. On voit ici à quel point l’analyse dramaturgique et sensible de la production de l’ordre symbolique, fondée sur la construction d’un « ordre normatif » (lié la capacité des lois à définir un délit) et d’un « ordre moral » (articulé à la construction d’une offense) est largement permise par une conception de l’action publique comme mode opératoire de qualification et de description et pas uniquement par une autorité et une légitimité préalables dont s’autorisent les juristes, les scientifiques (ibid., p. 213) et les professionnels de la politique. Définir les publics institutionnels comme notion invite donc à saisir ensemble l’institutionnel et l’expérientiel, plutôt que d’en rester à la dialectique entre coercition et résistances. Dans la continuité du programme de l’ethnographie institutionnelle, on considère que « les régimes expérientiels versus institutionnel sont constitutifs du lien social dans les sociétés post-industrielles » (Smith, 2018). Cela conduit à saisir et à analyser les expériences qu’ont des individus, parfois des groupes, des catégorisations, des informations, des recommandations et des avertissements, en termes de réception – comme activité socialement située – ainsi qu’en termes d’« appropriation traduite par l’utilisation que fait l’individu d’un texte, d’un message, pour éclairer sa propre situation, évaluer son rapport à la réalité, réorienter (ou non) sa pratique » (Kivits et al., 2014, 157). La notion d’appropriation n’est en aucun cas 8 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble synonyme d’évaluation de l’acceptation ni de « l’acceptabilité ». Elle invite et elle permet d’analyser les formes de négociation du sens, de détournement, d’opposition, de résistance de type « infrapolitique » (Scott, 2008), au travers de manifestations discrètes, associées à la mise au jour des facteurs intervenant dans cette construction. En ce sens, l’expérience de réception des recommandations institutionnelles ne relève pas nécessairement d’un « devenir public » consubstantiel à un processus de publicisation (Ballarini et Ségur, 2017), d’une mobilisation ni de la constitution d’un « public oppositionnel » (Cervulle, 2017) : elle peut se nicher dans du « braconnage » et des « jeux » (de Certeau, 1990, 38), se manifester au moyen d’un « texte caché » – hidden transcript – repéré par l’anthropologie politique chez des groupes sociaux subalternes (Scott, 2008), mais encore par de l’ironie et du détournement (Berthelot-Guiet et Ollivier-Yaniv, 2001). C’est donc par la compréhension de la diversité des registres d’expérience de ce qui légitime le bien commun que l’on propose de concevoir les publics institutionnels. Saisir les expériences et les appropriations Alors qu’il ne s’agissait pas d’un prérequis de l’appel à articles, les individus dont il est apparu pertinent d’analyser les expériences de réception et d’appropriation appartiennent globalement aux classes populaires, à des groupes sociaux défavorisés – femmes d’origines étrangères dans l’article de C. Pereira da Silva, habitants de quartiers populaires berlinois dans le texte de T. Chevallier –, ou encore à des groupes fragilisés – personnes étrangères et ayant une faible maîtrise de la langue française dans le texte de C. Gourdeau en particulier. Sont ainsi mises en évidence les formes multiples de contournement, de détournement, de simulation de conformisme ou d’adhésion, d’expression réflexive de la stigmatisation en réaction à l’intégration de la norme (sur le mode de l’aveu : « je sais que j’ai tort, mais… ») et de résistances discrètes (ou qui prennent place dans des lieux parallèles) aux recommandations institutionnelles. Ainsi la mise en avant d’une insuffisante maîtrise de la langue française peut-elle constituer un atout, voire une tactique, pour garantir une distance avec les informations délivrées qui reste socialement acceptable. Est également mis au jour un phénomène de malentendu, au sens où l’appropriation des consignes peut être signifiée par la méconnaissance POLITIQUES DE COMMUNICATION N° 11 ● AUTOMNE 2018 9 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble PRÉSENTATION DU DOSSIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble et par la confusion entre les institutions et les administrations, ou encore entre les « problèmes de santé publique » et leurs multiples modalités de dépistage et de prévention. La démarche de recherche a donc intérêt à prendre en considération les circonstances et les interactions locales tout autant que les propriétés sociales et culturelles des personnes. Elle évitera ainsi de contribuer à la naturalisation des « non-publics » ou des « publics non-participants » (au dépistage du cancer, dans l’article de C. Pereira da Silva) produite dans et par les discours institutionnels. Cet écueil est moins exceptionnel qu’il n’y paraît : des enquêtes mettent ainsi en évidence que le (ou la) chercheur(e) est souvent associé(e), au moins dans les premiers temps d’une enquête de terrain, aux acteurs institutionnels avec lesquels il partage souvent bien des propriétés sociales. Ce phénomène de mises à distance formelles des informations et des recommandations institutionnelles par les publics est comme répliqué dans le monde des acteurs institutionnels. C’est ce dont rendent compte dans ce dossier les analyses des catégories et des représentations qui désignent les populations et qui qualifient l’intervention de l’État en discours. Considérant l’action du gouvernement français pour réguler la grippe saisonnière de 2009, anticipée comme une « crise sanitaire », J. Ward met ainsi l’accent sur l’importance de la représentation de l’irrationalité de la population. Celle-ci semble tout droit sortie de traités de psychologie sociale du xixe siècle tentant de circonscrire des masses considérées comme dangereuses (Reynié, 1998) et le contexte de controverse exacerbée ne saurait justifier à lui seul cette construction, observée dans d’autres travaux sur cette « crise » (Meadel, 2014). Relevant à la fois de théories comportementales fonctionnalistes, de logiques de professionnels de la communication et de sens commun des élites politiques et administratives, cette catégorisation généralisante, impersonnelle et réductrice apparaît significative des différences sociologiques entre les groupes d’individus responsables de l’action publique et la population, mais aussi d’une distance sociale rendue manifeste par un discours explicitant le « bon » comportement ou ses envers. Au fil des articles est également mise en évidence l’hétérogénéité des discours institutionnels censés énoncer et outiller la recommandation de manière cohérente et maîtrisée sous la forme du « lissage » (Oger et OllivierYaniv, 2006). Entre les discours institutionnels développant les principes de l’action publique et souvent adressés à la population générale, les discours 10 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble médiatiques construits pour les journalistes ou au moyen de divers supports de communication, les discours des agents administratifs ou des agents de terrain peuvent être observés des continuités mais aussi des distorsions et des ajustements aux conditions d’énonciation ou aux interactions. Le rôle structurant de logiques professionnelles différentes et parfois concurrentes des acteurs institutionnels impliqués – politiques, communicationnels, administratifs, sociaux – contribue à expliquer cette relative hétérogénéité. Les conditions d’énonciation de chaque discours, mais aussi leur mise à l’épreuve dans les interactions avec les usagers ont également une importance majeure. Les médiations dont les acteurs de terrain – travailleurs sociaux, associatifs – sont les agents peuvent ainsi être analysées à l’aune de leur degré de proximité avec les usagers (dont ils peuvent être les pairs, comme dans le cas des « mères de quartier » à Berlin), mais aussi à leur engagement. Comme le montre encore l’article de T. Chevallier, c’est le cas des travailleuses sociales qui œuvrent plus à l’émancipation des femmes des quartiers populaires qu’à la promotion des prescriptions officielles en matière de « bonne » parentalité et d’investissement dans le suivi de la scolarité. Les agents de la médiation institutionnelle, font eux aussi l’expérience des recommandations. Sur le plan méthodologique enfin, les articles qui constituent ce dossier mettent bien en évidence l’intérêt heuristique d’approches qualitatives à caractère fortement ethnographique, voire en immersion, ou très localisées. Qu’il s’agisse de saisir les acteurs institutionnels au travail ou de déceler les contournements et les résistances discrètes, l’observation ainsi que des entretiens approfondis apparaissent nécessaires. Et c’est en particulier la saisie et l’analyse du langage socialement situé, depuis les discours qui performent l’institution jusqu’aux paroles des interviewés (Demazière, 2007), qui focalisent ici l’attention des chercheurs. De telles méthodes livrent ce que les mailles du filet quantitativiste laissent échapper. Elles limitent le risque inhérent à une généralisation trop rapide ou formulée a priori : celui de (sur)imposer un ordre à celui par ailleurs performé et matérialisé par les discours institutionnels (Malbois et Berthélémy, 2018). Ces manières de faire gagneraient à être mises à l’épreuve du temps long. La temporalité constitue une variable majeure pour la compréhension de la réception des recommandations en matière de prévention ou de dépistage par des individus dont la « carrière » en matière de santé (Darmon, 2008) évolue avec les changements de situation personnelle (entrée en couple, POLITIQUES DE COMMUNICATION N° 11 ● AUTOMNE 2018 11 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble PRÉSENTATION DU DOSSIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble maternité ou paternité) ou sociale tout au long de la vie. À l’échelle d’une politique publique, l’analyse en termes de publics institutionnels permettrait de réaliser un suivi qualitatif et en profondeur des formes et des facteurs qui déterminent l’appropriation des consignes procédurales et des recommandations, ainsi que de repérer des signaux faibles parce que difficilement décelables par les enquêtes quantitatives construites dans une perspective fonctionnaliste ou utilitaire à court terme. Or les formats de la recherche, que celle-ci soit doctorale ou collective, permettent rarement d’aborder cette problématique de manière diachronique. Sans se cantonner au dévoilement des idéologies, ni développer une nouvelle méthode appliquée, la démarche consistant à penser et à analyser les publics institutionnels permettrait enfin de dépasser le raisonnement en termes d’« acceptabilité sociale ». Tout en étant significative de la prise en compte des contestations ou des résistances sociales (aux innovations et plus généralement désormais à des décisions publiques), cette catégorie (Chaskiel, 2018) témoigne et d’une surestimation du pouvoir de légitimation des discours institutionnels et d’une méconnaissance des capacités de contournement et de réflexivité des gens ordinaires. Bibliographie Aldrin P., Hubé N., Ollivier-Yaniv C., Utard J.-M. (dir.), Les mondes de la communication publique, Presses Universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2014. Ballarini L., Ségur C. (dir.), Devenir public. Modalités et enjeux, Mare et Martin Éditions, coll. Media critic, 2017. Berthelot-Guiet K., Ollivier-Yaniv C., « “Tu t’es vu quand t’écoutes l’État ? ou la réception des campagnes de communication gouvernementale : appropriation et détournement linguistiques des messages », Réseaux, 2001, n° 108. Bonaccorsi J., « Joseph Gusfield : La culture des problèmes publics. 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POLITIQUES DE COMMUNICATION N° 11 ● AUTOMNE 2018 13 Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble PRÉSENTATION DU DOSSIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - UPEC - - 193.48.143.25 - 18/03/2020 11:15 - © Presses universitaires de Grenoble Oger C., Ollivier-Yaniv C., « Du discours de l’institution aux discours institutionnels : vers la constitution de corpus hétérogènes », Xe Colloque bilatéral franco-roumain, SFSIC Université de Bucarest, 2003. https:// archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000717 Oliveira J.-P., « Quand les associations coproduisent l’action publique : enjeux et tensions autour des campagnes grand public de prévention du sida », Les mondes de la communication publique, P. Aldrin, N. Hubé, C. Ollivier-Yaniv, J.-M. Utard (dir.), Presses Universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2014. 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LES PUBLICS INSTITUTIONNELS