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Caroline Ollivier-Yaniv
CEDITEC, Université Paris-Est Créteil
Q
ue font les individus des discours et de la communication des institutions et en particulier, des informations, des avertissements, des
recommandations ou des injonctions qui leur sont adressés par des organisations qui fabriquent les normes et leurs modalités d’application ? Le
présupposé de l’influence des dispositifs médiatiques sur les « publics » ou
les « cibles » des « stratégies de communication publique », venu conforter
ceux de la performativité et de l’efficacité des discours institutionnels,
n’est-il pas régulièrement mis à l’épreuve et contredit à bas bruit dans le
monde social ? Les catégories de « non-publics », de « non-recours » mais
encore d’« acceptabilité sociale », constitutives des discours des acteurs
institutionnels, ne sont-elles pas significatives de leur reconnaissance des
obstacles ou des échecs que rencontrent les recommandations institutionnelles ? Telles étaient les questions de départ de ce dossier1, consacré aux
publics institutionnels.
1. Préalablement discutées par les intervenant.e.s de la journée d’études du Céditec
« Appropriation des manières de dire, des consignes et des prescriptions institutionnelles » (3 février 2017).
Que Jean-Baptiste Comby, Marc Glady, Anne Mayère, Cécile Loriato et Coralie Pereira
da Silva en soient particulièrement remerciés.
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Présentation du dossier
Les publics institutionnels
Réception et appropriation des informations
et des recommandations
DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS
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Par « publics », on désigne ici les personnes et les groupes sociaux qui font
l’expérience, dans une posture de réception, des informations et des recommandations émanant d’institutions qui visent à réguler et à normaliser leurs
comportements et leurs discours, plutôt qu’à les contraindre de manière
frontalement autoritaire. Sur le plan notionnel, les publics institutionnels
sont donc dans la continuité des « publics médiatiques » et des « publics
politiques » saisis au travers d’une « pragmatique » des discours et des activités (Céfaï et Pasquier 2003, p. 23) constitutifs de l’expérience d’individus
socialement situés et pris dans des interactions sociales.
Par « publics institutionnels », on signifie également que l’on tient compte
des spécificités des institutions juridiquement inscrites dans l’appareil d’État
(Oger et Ollivier-Yaniv, 2003), et dont les activités sont appréhendées à
partir des discours publics qui les constituent. Une partie des discours
sont juridiquement instituants, performatifs ou à valeur injonctive (textes
de lois, arrêtés, décrets, etc.). D’autres présentent un caractère évaluatif
(rapports, livres blancs, notes) (Née, Oger, Sitri, 2017) : aides à la décision,
ils sont significatifs à la fois du travail institutionnel en train de se faire et
de la nécessité de le faire savoir, par exemple pour tenter de neutraliser des
débats et des controverses (Ollivier-Yaniv, 2017). D’autres discours enfin
présentent un caractère légitimant, au sens ils ne sont ni uniquement, ni
explicitement indexés sur l’autorité juridique de l’institution : ils présentent
de prime abord un caractère informationnel ou incitatif, rarement injonctif, et relèvent largement de pratiques pour et avec les médias (discours ou
interviews politiques institutionnels, conférences de presse, campagnes de
communication publique, etc.). Prendre acte de la matérialité discursive
et médiatique de l’action publique permet de concevoir l’importance des
« politiques symboliques » (Edelman 1971) et plus précisément, des dispositifs et des pratiques relevant de l’information, de la recommandation ou
de l’avertissement des individus en vue de normaliser leurs conduites et
de façonner leurs discours sans recourir aux sanctions, ou du moins en les
passant sous silence. Ainsi les institutions ne se contentent plus de verbaliser
au sens juridique coercitif - dresser un procès-verbal - (Berthelot-Guiet
et Ollivier-Yaniv 2001) : elles déploient des dispositifs symboliques afin
d’informer, d’inciter ou d’avertir les individus et de les amener à rendre
leurs comportements conformes aux normes ainsi fabriquées.
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Définir les publics institutionnels
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L’importance prise par cette verbalisation des responsabilités individuelles, à
la place ou de manière complémentaire à la verbalisation sanction (OllivierYaniv 2009), a été interprétée à juste titre comme significative du « grippage
des mécanismes traditionnels d’assujettissement », selon une définition de
la communication publique au caractère précurseur (de la Haye 1984).
Sur la base de travaux plus récents a été proposé un « modèle intégratif » de
la communication politique et publique, fondé sur la « centralité donnée
aux pratiques, aux discours et aux dispositifs relevant de l’information, de
l’accès aux médias et de la médiation » dans le travail de gouvernement des
conduites des individus (Ollivier-Yaniv, 2013, Aldrin, Hubé, Ollivier-Yaniv
et Utard 2014).
De nombreuses études monographiques ont ainsi souligné l’importance
prise par les responsabilités assignées aux individus, en particulier dans les
politiques publiques dans lesquelles l’État de droit ne peut ni interdire,
ni sanctionner certains comportements, ni astreindre à adopter d’autres
comportements. L’individu devient ainsi « l’échelle d’intervention pertinente » (Comby 2013), en particulier dans la prévention des risques relatifs
à la santé, à la maladie, à l’insécurité, ainsi que dans le développement
de dispositifs institutionnels – en matière de participation ou encore de
dépistage.
Sur le plan sociolinguistique, l’individualisation des responsabilités est caractérisée par l’assignation d’identités prescrites (Glady 2016), qui reposent
sur des conduites considérées comme exemplaires ou collectivement nécessaires – par la santé publique notamment. Elles sont érigées en normes au
moyen d’énoncés qui limitent ou qui contraignent « le discours des sujets
d’énonciation ». Ce phénomène a été défini comme significatif d’un « empêchement de la parole par le discours institutionnel » (Glady et VandeveldeRougale, 2016). En termes de morphologie sociale, d’autres travaux ont
souligné le hiatus entre les conditions de production des dispositifs de
communication et les messages qu’ils génèrent d’une part et les caractéristiques des populations concernées par la politique publique d’autre part
(Comby et Grossetête, 2012). La neutralité ou l’indifférenciation sociale
des « publics » construits par les acteurs de l’institution apparaît ainsi tantôt
impensée, tantôt revendiquée (en vue d’éviter la stigmatisation de groupes
sociaux (Oliveira, 2014)), mais aussi tantôt rationalisée dans la perspective
instrumentale et fonctionnaliste de l’évaluation des politiques publiques
(Ollivier-Yaniv, 2013).
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PRÉSENTATION DU DOSSIER
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Or les publics institutionnels, comme notion, présentent aussi la particularité
d’être distincts des catégories standardisées de « publics » ou de « cibles »,
lesquelles sont construites de manière plus ou moins rationalisée dans la
fabrication des politiques publiques (Gourgues et Mazeaud, 2018) et dans
leurs stratégies de communication. En ce sens, les publics institutionnels ne
peuvent pas être a priori conçus comme étant congruents avec les « publics »
ou les « audiences » des politiques publiques et encore moins être essentialisés. L’ancrage constructiviste de ce dossier n’en est pas moins caractérisé
par la proposition heuristique selon laquelle les catégories préconstruites
pour désigner les « publics », les « cibles », les « bénéficiaires » ou les « usagers »
doivent être saisies comme une composante du phénomène à éclairer, au
même titre que les discours d’incitation, de promotion et de conformation
qui sont fabriqués à leur intention. L’ensemble de ces énoncés constituent
des « actes symboliques », plutôt que des « actes instrumentaux », selon la
distinction proposée par J. Gusfield (2009) pour analyser la construction de
la prévention de l’alcool au volant comme un problème public. On voit ici
à quel point l’analyse dramaturgique et sensible de la production de l’ordre
symbolique, fondée sur la construction d’un « ordre normatif » (lié la capacité
des lois à définir un délit) et d’un « ordre moral » (articulé à la construction
d’une offense) est largement permise par une conception de l’action publique
comme mode opératoire de qualification et de description et pas uniquement
par une autorité et une légitimité préalables dont s’autorisent les juristes, les
scientifiques (ibid., p. 213) et les professionnels de la politique.
Définir les publics institutionnels comme notion invite donc à saisir ensemble
l’institutionnel et l’expérientiel, plutôt que d’en rester à la dialectique entre
coercition et résistances. Dans la continuité du programme de l’ethnographie
institutionnelle, on considère que « les régimes expérientiels versus institutionnel sont constitutifs du lien social dans les sociétés post-industrielles »
(Smith, 2018).
Cela conduit à saisir et à analyser les expériences qu’ont des individus,
parfois des groupes, des catégorisations, des informations, des recommandations et des avertissements, en termes de réception – comme activité
socialement située – ainsi qu’en termes d’« appropriation traduite par l’utilisation que fait l’individu d’un texte, d’un message, pour éclairer sa propre
situation, évaluer son rapport à la réalité, réorienter (ou non) sa pratique »
(Kivits et al., 2014, 157). La notion d’appropriation n’est en aucun cas
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DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS
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synonyme d’évaluation de l’acceptation ni de « l’acceptabilité ». Elle invite
et elle permet d’analyser les formes de négociation du sens, de détournement, d’opposition, de résistance de type « infrapolitique » (Scott, 2008), au
travers de manifestations discrètes, associées à la mise au jour des facteurs
intervenant dans cette construction. En ce sens, l’expérience de réception
des recommandations institutionnelles ne relève pas nécessairement d’un
« devenir public » consubstantiel à un processus de publicisation (Ballarini
et Ségur, 2017), d’une mobilisation ni de la constitution d’un « public
oppositionnel » (Cervulle, 2017) : elle peut se nicher dans du « braconnage »
et des « jeux » (de Certeau, 1990, 38), se manifester au moyen d’un « texte
caché » – hidden transcript – repéré par l’anthropologie politique chez des
groupes sociaux subalternes (Scott, 2008), mais encore par de l’ironie et du
détournement (Berthelot-Guiet et Ollivier-Yaniv, 2001). C’est donc par la
compréhension de la diversité des registres d’expérience de ce qui légitime
le bien commun que l’on propose de concevoir les publics institutionnels.
Saisir les expériences et les appropriations
Alors qu’il ne s’agissait pas d’un prérequis de l’appel à articles, les individus dont il est apparu pertinent d’analyser les expériences de réception et
d’appropriation appartiennent globalement aux classes populaires, à des
groupes sociaux défavorisés – femmes d’origines étrangères dans l’article
de C. Pereira da Silva, habitants de quartiers populaires berlinois dans le
texte de T. Chevallier –, ou encore à des groupes fragilisés – personnes
étrangères et ayant une faible maîtrise de la langue française dans le texte
de C. Gourdeau en particulier.
Sont ainsi mises en évidence les formes multiples de contournement, de
détournement, de simulation de conformisme ou d’adhésion, d’expression
réflexive de la stigmatisation en réaction à l’intégration de la norme (sur le
mode de l’aveu : « je sais que j’ai tort, mais… ») et de résistances discrètes
(ou qui prennent place dans des lieux parallèles) aux recommandations
institutionnelles. Ainsi la mise en avant d’une insuffisante maîtrise de la
langue française peut-elle constituer un atout, voire une tactique, pour
garantir une distance avec les informations délivrées qui reste socialement
acceptable. Est également mis au jour un phénomène de malentendu, au sens
où l’appropriation des consignes peut être signifiée par la méconnaissance
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PRÉSENTATION DU DOSSIER
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et par la confusion entre les institutions et les administrations, ou encore
entre les « problèmes de santé publique » et leurs multiples modalités de
dépistage et de prévention.
La démarche de recherche a donc intérêt à prendre en considération les
circonstances et les interactions locales tout autant que les propriétés sociales
et culturelles des personnes. Elle évitera ainsi de contribuer à la naturalisation
des « non-publics » ou des « publics non-participants » (au dépistage du cancer,
dans l’article de C. Pereira da Silva) produite dans et par les discours institutionnels. Cet écueil est moins exceptionnel qu’il n’y paraît : des enquêtes
mettent ainsi en évidence que le (ou la) chercheur(e) est souvent associé(e),
au moins dans les premiers temps d’une enquête de terrain, aux acteurs
institutionnels avec lesquels il partage souvent bien des propriétés sociales.
Ce phénomène de mises à distance formelles des informations et des recommandations institutionnelles par les publics est comme répliqué dans le
monde des acteurs institutionnels. C’est ce dont rendent compte dans ce
dossier les analyses des catégories et des représentations qui désignent les
populations et qui qualifient l’intervention de l’État en discours. Considérant
l’action du gouvernement français pour réguler la grippe saisonnière de
2009, anticipée comme une « crise sanitaire », J. Ward met ainsi l’accent sur
l’importance de la représentation de l’irrationalité de la population. Celle-ci
semble tout droit sortie de traités de psychologie sociale du xixe siècle tentant
de circonscrire des masses considérées comme dangereuses (Reynié, 1998)
et le contexte de controverse exacerbée ne saurait justifier à lui seul cette
construction, observée dans d’autres travaux sur cette « crise » (Meadel, 2014).
Relevant à la fois de théories comportementales fonctionnalistes, de logiques
de professionnels de la communication et de sens commun des élites politiques et administratives, cette catégorisation généralisante, impersonnelle
et réductrice apparaît significative des différences sociologiques entre les
groupes d’individus responsables de l’action publique et la population, mais
aussi d’une distance sociale rendue manifeste par un discours explicitant le
« bon » comportement ou ses envers.
Au fil des articles est également mise en évidence l’hétérogénéité des
discours institutionnels censés énoncer et outiller la recommandation de
manière cohérente et maîtrisée sous la forme du « lissage » (Oger et OllivierYaniv, 2006). Entre les discours institutionnels développant les principes de
l’action publique et souvent adressés à la population générale, les discours
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DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS
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médiatiques construits pour les journalistes ou au moyen de divers supports
de communication, les discours des agents administratifs ou des agents de
terrain peuvent être observés des continuités mais aussi des distorsions et
des ajustements aux conditions d’énonciation ou aux interactions. Le rôle
structurant de logiques professionnelles différentes et parfois concurrentes
des acteurs institutionnels impliqués – politiques, communicationnels, administratifs, sociaux – contribue à expliquer cette relative hétérogénéité. Les
conditions d’énonciation de chaque discours, mais aussi leur mise à l’épreuve
dans les interactions avec les usagers ont également une importance majeure.
Les médiations dont les acteurs de terrain – travailleurs sociaux, associatifs – sont les agents peuvent ainsi être analysées à l’aune de leur degré de
proximité avec les usagers (dont ils peuvent être les pairs, comme dans le cas
des « mères de quartier » à Berlin), mais aussi à leur engagement. Comme le
montre encore l’article de T. Chevallier, c’est le cas des travailleuses sociales
qui œuvrent plus à l’émancipation des femmes des quartiers populaires qu’à
la promotion des prescriptions officielles en matière de « bonne » parentalité
et d’investissement dans le suivi de la scolarité. Les agents de la médiation
institutionnelle, font eux aussi l’expérience des recommandations.
Sur le plan méthodologique enfin, les articles qui constituent ce dossier
mettent bien en évidence l’intérêt heuristique d’approches qualitatives à
caractère fortement ethnographique, voire en immersion, ou très localisées.
Qu’il s’agisse de saisir les acteurs institutionnels au travail ou de déceler les
contournements et les résistances discrètes, l’observation ainsi que des entretiens approfondis apparaissent nécessaires. Et c’est en particulier la saisie et
l’analyse du langage socialement situé, depuis les discours qui performent
l’institution jusqu’aux paroles des interviewés (Demazière, 2007), qui focalisent ici l’attention des chercheurs.
De telles méthodes livrent ce que les mailles du filet quantitativiste laissent
échapper. Elles limitent le risque inhérent à une généralisation trop rapide ou
formulée a priori : celui de (sur)imposer un ordre à celui par ailleurs performé
et matérialisé par les discours institutionnels (Malbois et Berthélémy, 2018).
Ces manières de faire gagneraient à être mises à l’épreuve du temps long.
La temporalité constitue une variable majeure pour la compréhension de la
réception des recommandations en matière de prévention ou de dépistage
par des individus dont la « carrière » en matière de santé (Darmon, 2008)
évolue avec les changements de situation personnelle (entrée en couple,
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PRÉSENTATION DU DOSSIER
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maternité ou paternité) ou sociale tout au long de la vie. À l’échelle d’une
politique publique, l’analyse en termes de publics institutionnels permettrait
de réaliser un suivi qualitatif et en profondeur des formes et des facteurs
qui déterminent l’appropriation des consignes procédurales et des recommandations, ainsi que de repérer des signaux faibles parce que difficilement
décelables par les enquêtes quantitatives construites dans une perspective
fonctionnaliste ou utilitaire à court terme. Or les formats de la recherche,
que celle-ci soit doctorale ou collective, permettent rarement d’aborder cette
problématique de manière diachronique.
Sans se cantonner au dévoilement des idéologies, ni développer une nouvelle
méthode appliquée, la démarche consistant à penser et à analyser les publics
institutionnels permettrait enfin de dépasser le raisonnement en termes
d’« acceptabilité sociale ». Tout en étant significative de la prise en compte
des contestations ou des résistances sociales (aux innovations et plus généralement désormais à des décisions publiques), cette catégorie (Chaskiel, 2018)
témoigne et d’une surestimation du pouvoir de légitimation des discours
institutionnels et d’une méconnaissance des capacités de contournement et
de réflexivité des gens ordinaires.
Bibliographie
Aldrin P., Hubé N., Ollivier-Yaniv C., Utard J.-M. (dir.), Les mondes
de la communication publique, Presses Universitaires de Rennes, coll. Res
Publica, 2014.
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l’État ? ou la réception des campagnes de communication gouvernementale : appropriation et détournement linguistiques des messages »,
Réseaux, 2001, n° 108.
Bonaccorsi J., « Joseph Gusfield : La culture des problèmes publics. L’alcool
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DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS
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Chaskiel P., « Acceptabilité sociale », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 28 septembre 2018. http://
publictionnaire.huma-num.fr/notice/acceptabilite-sociale/.
Cervulle M., « Exposer le racisme. Exhibit B et le public oppositionnel »,
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Comby J.-B., Grossetête M., « Se montrer prévoyant, une norme diversement appropriée », Sociologie, 2012, n° 3.
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PRÉSENTATION DU DOSSIER
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archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000717
Oliveira J.-P., « Quand les associations coproduisent l’action publique :
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DOSSIER. LES PUBLICS INSTITUTIONNELS