Jacques Des Courtils
Arthur Muller
Tony Kozelj
Des Mines d'or à Thasos
In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 106, livraison 1, 1982. pp. 409-417.
περίληψη
Ο πρόσφατες ρευνες στή « χώρα » τς Θάσου δωσαν λαμπρή πιβεβαίωση το κειμένου το 'Ηρόδοτου (VI, 46-47) πού ναφέρονται
στούς μεταλλευτικούς πόρους τς Θάσου. Στν νατολική κτή, νάμεσα στην Ποταμιά καί τά Κοίνυρα πισημάνθηκαν πολλά ρυχεα,
μοιρασμένα σέ τρες τομες στν πλαγιά το βουνο. Ό χρυσός εναι τό μόνο μέταλλο πού μφανίζεται μέσα στά δείγματα το
μεταλλεύματος σέ ποσότητα σημαντική στε νά εναι κμεταλλεύσιμος. Τά λλα μεταλλεα πού μνημονεύονται πό τόν Ηρόδοτο εναι τά
μεταλλεα χρυσο (Λιμένας) ργυρούχου μολύβδου, χαλκο καί σιδήρου (δυτική κτή).
Résumé
Des recherches récentes dans la chôra thasienne ont apporté une éclatante confirmation du texte d'Hérodote (VI, 46-47)
évoquant les ressources minières de Thasos. Sur la côte orientale, entre Potamia et Kinyra, ont été repérées de nombreuses
mines réparties en trois secteurs sur le versant de la montagne. L'or est le seul métal contenu en quantité suffisante pour être
exploitable dans les prélèvements de minerai. Les autres mines évoquées allusivement par Hérodote sont des mines d'or
(Limenas), ou de plomb argentifère, de cuivre et de fer (côté occidental de l'île).
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Des Courtils Jacques, Muller Arthur, Kozelj Tony. Des Mines d'or à Thasos. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume
106, livraison 1, 1982. pp. 409-417.
doi : 10.3406/bch.1982.1921
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_1982_num_106_1_1921
DES MINES
D'OR A THASOS
par les
L'existence
colons grecs
à Thasos
venusde de
mines
Paros,
d'or,estexploitées
« un lieu d'abord
communpardelesl'archéologie
Phéniciens, thapuis
sienne ». Mais si l'analyse précise du texte d'Hérodote (VI, 46-47), « unique caution
de l'opinion commune », justifiait, tout récemment encore, de sérieux doutes sur la
nature du métal extrait de ces mines1, les recherches menées sur le terrain depuis
1978 dans diverses régions de la chôra thasienne2 nous permettent de revenir aujour
d'huisur ce lieu commun, munis des éléments décisifs qui mettent un point final
à la controverse et complètent le témoignage de l'historien. Qu'il soit donc permis de
citer une fois de plus ce texte capital, avant de résumer les principaux résultats obtenus
ces dernières années :
« Ή δε πρόσοδος σφι έγίνετο εκ τε της ηπείρου και άπδ των μετάλλων. Έκ μεν γε τών
εκ Σκαπτής "Τλης των χρυσέων μετάλλων το έπίπαν ογδώκοντα τάλαντα προσήιε, έκ δε τών εν
αύτη Θάσω έλάσσω μεν τούτων (...). ΕΙδον δε και αύτος τα μέταλλα ταΰτα, και μακρω ήν
αυτών θωμασιώτατα τα οί Φοίνικες άνευρον οί μετά Θάσου κτίσαντες την νήσον ταύτην, ήτις νυν
επί του Θάσου τούτου του Φοίνικος το οΰνομα εσχε. Τα δε μέταλλα τα Φοινικικά ταΰτά έστι
τής Θάσου μεταξύ Αινύρων τε χώρου καλεομένου και Κοινύρων, άντίον δε Σαμοθρηίκης, ορός
μέγα άνεστραμμένον εν τη ζητήσι. »
« Ces revenus, les Thasiens les tiraient du continent et des mines : celles de
Scaptè Hylè — les fameuses mines d'or — qui leur procuraient d'ordinaire quatrevingts talents et celles de Thasos même, qui sont d'un moindre rapport (...). J'ai vu
moi-même les mines en question; les plus étonnantes sont de loin celles qui furent
exploitées d'abord par les Phéniciens venus s'établir dans l'île avec Thasos, un
(1) B. Holtzmann, BCH Suppl V (1979) Thasiaca, p. 345-349, à qui sont empruntées nos citations.
On trouvera dans cet article toute la bibliographie antérieure relative à cette question.
(2) Ces recherches sont menées parallèlement par l'École française d'Athènes (cf. A. Muller, BCH
Suppl V [1979] Thasiaca, p. 315-344, et les chroniques des travaux de l'E.F.A., BCH 103 [1979], p. 658,
BCH 104 [1980], p. 716-717 et BCH 105 [1981], p. 960-961), par des géologues de l'Institut de Recherches
géologiques et minières (I.G.M.E.) d'Athènes et des chercheurs du Max Planck Institut de Heidelberg
(cf. G. A. Wagner et alii, Naturwissenschaften 66 [1979]; p. 613 et 68 [1981], p. 263, et les contributions de
G. A. Wagner, N. Gale et alii au XXe Symposium International d'Archéométrie, RArchéométrie 5 [1981]
Suppl, p. 227-239 et 313-323).
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[BCH 106
Phénicien à qui elle doit son nom actuel. Le site de ces mines phéniciennes se trouve
entre les lieux-dits Ainyra et Kinyra, en face de Samothrace; c'est une grande
montagne bouleversée par les travaux d'extraction » (traduction Bernard
Holtzmann).
La région dont parle Hérodote a été identifiée, depuis la découverte d'une borne
indicatrice à Aliki, avec la croupe montagneuse escarpée et boisée, qui sépare les baies
de Potamia — le site d'Ainyra — et de Kinyra, qui a conservé son nom antique3.
L'exploration méthodique du versant oriental — donc face à Samothrace — de
cette montagne appelée Fanos ou plus souvent Klisidhi, a permis de découvrir les
vestiges d'une exploitation minière intense, disséminés sur toute la pente; trois
secteurs ont été l'objet de recherches plus précises : le site de Kalonero, à environ
100 m au-dessus du niveau de la mer, face à l'îlot de Fourni; le secteur de Paliochorio,
village abandonné au siècle dernier, vers 350 m d'altitude; enfin le secteur proche
du sommet du Klisidhi, vers 520 m d'altitude (fig. 1 et 2).
Les nombreux vestiges antiques — murs de terrasse, dépotoirs de potiers,
constructions diverses — du site de Kalonero, en contrebas de la route moderne,
montrent que l'activité humaine en cet endroit ne s'est pas limitée à l'exploitation
minière4. Les traces que celle-ci a laissées sont peu spectaculaires, mais caractéris
tiques
: les très nombreuses failles et crevasses naturelles du marbre dolomitique
ont été vidées de l'argile métallifère qu'elles contenaient, formant ainsi une multitude
de cavernes étroites, aux formes irrégulières; les plus profondes d'entre elles ont été
comblées — naturellement ou artificiellement — depuis l'Antiquité. Il s'agit donc
ici d'une exploitation à ciel ouvert. Mais un certain nombre de galeries a dû être
élargi ou même creusé dans le marbre, comme l'attestent les nombreux éboulis de
roches stériles sur les pentes de la région de Kalonero.
Parmi l'abondant matériel céramique recueilli dans la fouille des dépotoirs de
poterie, signalons deux trouvailles qui sont vraisemblablement à mettre en rapport
avec l'activité minière : d'une part de nombreux fragments de broyeurs à trémie,
qui ont peut-être servi au broyage du minerai avant son lavage5, et d'autre part un
outil de fer (fig. 3)6. Il s'agit d'une masse (dimensions max. : 13 cm χ 9,6 env.) très
dégradée par l'oxydation et présentant un trou destiné à recevoir le manche (diamètre
moyen : 3,2 cm). L'état de conservation de cet objet interdit d'affirmer que sa forme
et ses contours arrondis sont d'origine, ce qui est toutefois vraisemblable. Dans ce cas,
il s'agirait non d'un têtu destiné à attaquer directement la roche, mais d'un marteau
de carrier utilisé pour enfoncer des coins dans le rocher ou pour en faire éclater des
fragments.
Certaines fissures et cavernes du marbre, vidées de leur argile métallifère, sont
comblées par les déblais des ateliers de poterie mentionnés plus haut. La date donnée
(3) F. Salviat et J. Servais, BCH 88 (1964), p. 267-287.
(4) Sur l'activité des ateliers de potiers à cet endroit et la fouille effectuée en 1981, cf. le rapport de
Y. Garlan, à paraître dans la deuxième livraison (chroniques et rapports) de ce BCH 106.
(5) Cf. A. Muller, loc. cit., p. 336-338.
(6) Pour les outils du mineur antique : cf. Ardaillon, Les Mines du Laurion dans V Antiquité (1898),
p. 21-23, et Lauffer, Die Bergleuie von Laureion (1956), p. 20-21.
1982]
DES MINES D OR A THASOS
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Fig. 1. — Le Klisidhi, vu du Sud.
ro Pirgos
Fig. 3. — Masse en fer trouvée à Kalonero.
Fig. 2. — Carte des environs du Klisidhi.
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[BCFI 106
par les timbres amphoriques contenus dans ces remblais — ils appartiennent tous
aux trois derniers quarts du ive siècle7 — peut donc être considérée comme un terminus
ante quem pour l'exploitation de certains puits du secteur de Kalonero.
L'analyse8 d'échantillons du matériau argileux contenu dans les fissures du
marbre a déterminé, par activation neutronique, la présence d'une faible proportion
d'or : 0,02 à 0,05 ppm9.
Dans le secteur de Paliochorio se trouvent des galeries de mine plus profondes.
L'une d'elles10, dont l'entrée basse se trouve au pied d'une paroi de marbre haute
de 5 m, s'enfonce presque horizontalement — avec quelques irrégularités dues aux
failles — sur une soixantaine de mètres; il s'agit d'une caverne en grande partie
naturelle, d'où partent quelques galeries de recherche creusées dans le roc; l'exploita
tion
antique y a laissé les mêmes types de vestiges que ceux décrits dans la mine de
l'Acropole11 : traces d'outils sur les parois, niches pour lampes, piliers de soutènement
et murets construits avec des déblais stériles. Le réseau des galeries — une centaine
de mètres environ — se trouve au contact entre le marbre dolomitique et le gneiss
sous-jacent et s'efforçait apparemment de suivre un fin horizon de matériau beaucoup
plus tendre, de couleur brun-rouge, dont l'extraction a laissé de nombreuses poches
nettement reconnaissables (cf. fig. 9). D'autres mines de ce secteur de Paliochorio
étaient accessibles au moyen de puits verticaux profonds d'environ 3 m, menant
à des cavernes d'où partent des galeries.
L'analyse de résidus de matériaux tendres, prélevés dans les poches d'extraction
antiques a déterminé, par absorption atomique, la présence d'environ 1,5 ppm d'argent
et, par activation neutronique, la présence de 0,2 à 2,5 ppm d'or.
Les mines les plus importantes — du moins par leur taille — se trouvent dans
le secteur le plus élevé, à proximité du sommet du Klisidhi. Nous avons déjà rapide
mentsignalé la découverte de la première d'entre elles, le « trou de l'ascète », dont
le réseau de galeries se développe sur trois niveaux12. Tout comme dans le secteur
(7) Communication d'Y. Garlan, que nous remercions également de nous avoir confié la publication
de l'outil fig. 3, trouvé dans sa fouille.
(8) Toutes les analyses dont il sera fait mention dans la suite de cet article ont été effectuées au Max
Planck Institut fur Kernphysik (Heidelberg). On trouvera Naiurwissenschaften 68 (1981), p. 263, la description
précise des conditions d'analyse et la première publication des résultats.
(9) Ppm = part per million ; 1 ppm = 1 gramme par tonne.
(10) Mine découverte en septembre 1979 (RArchéométrie, p. 313-323), étudiée par l'IGME et le MPI
en mai 1980 et désignée par le sigle TG 80-A. Je remercie G. A. Wagner, qui m'a fait visiter ces galeries en détail.
(A. M.)
(11) Cf. A. Muller, loc. cit., p. 321-330.
(12) BCH 104 (1980), p. 716. Il s'agit sans aucun doute de la mine dont A.-J. Reinach mentionne
l'existence par ouï-dire {Archives de l'E.F.A., C THA 1911-3, feuillet 30 ; cf. B. Holtzmann, loc. cit., p. 348,
n. 7). Guidés par un berger, nous avons localisé cette mine et l'avons explorée en août 1979. Cette même mine
est signalée une nouvelle fois Naturwissenschaften 68 (1981), p. 263 (où elle reçoit le sigle TG 80 E) à la suite
de sa redécouverte par les chercheurs du MPI en mai 1980. Au fond du puits d'accès, à côté de la galerie longue
de 30 m, qui représente le premier niveau de cette mine, se trouve un renfoncement creusé dans le marbre,
large de 1 m et profond de 2,50 m, de section trapézoïdale : il s'agit d'une courte galerie de recherche, qui aurait,
d'après la tradition, servi de cellule à un ermite. La mine tire son nom de cette tradition, bien connue encore
de certains habitants de Potamia.
1982]
DES MINES D'OR À THASOS
Fig. 4. — Entrée de mine E8.
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Fig. 5. — Entrée de mine E9.
i?· 7. — Muret de terrasse vers le sommet
du Klisidhi.
Fig. 6. — Entrées de mine Ε 10 et Ε 10 bis.
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de Paliochorio, les mineurs antiques recherchaient le matériau tendre brun-rouge
contenu dans les fissures du marbre dolomitique. Dans un couloir de cette mine ont été
découverts deux fragments jointifs de céramique à vernis noir appartenant au pied
d'une coupe dont le diamètre d'origine devait être d'environ 8 cm (base du pied).
L'absence de tout décor en rend la datation hasardeuse mais atteste une exploitation
antique de la mine. Dans les environs du puits d'accès de cette mine, sans doute la
plus grande du Klisidhi, nous avons trouvé une série d'autres galeries13.
Leurs entrées s'ouvrent à la surface d'une vaste aire relativement plane, consti
tuant le sommet d'un éperon rocheux qui forme la pointe Nord du Klisidhi (fig. 2).
Le roc est ici presque partout à nu et sillonné de fissures naturelles extrêmement
nombreuses dont la présence rend difficile le repérage des entrées de mines proprement
dites. De fait, les trois ouvertures que nous avons découvertes en 1981 (désignées
par les sigles E8, E9, E10 et 10 bis) ont été ménagées à l'intérieur de fissures naturelles
du sol (fig. 4, 5, 6). 11 s'agit de puits, ou plutôt d'anfractuosités à partir desquelles
s'amorçaient les galeries. Ayant dû en différer l'exploration complète, nous ignorons
si ces ouvertures communiquent entre elles. Quoi qu'il en soit elles sont assez proches
les unes des autres (deux cents mètres d'écart entre les extrêmes) pour indiquer une
exploitation intensive de ce secteur et nourrir l'espoir d'autres découvertes. La pente
en contrebas de ces entrées de mine est jonchée de cailloux de marbre : il s'agit
sans doute des déblais stériles d'abattage. Au bas de l'abrupt, à environ 60 m sous le
niveau du « trou de l'ascète », a été aménagée une suite de terrasses en gradins, larges
chacune de 3 à 4 m; les murs de ces terrasses ont été construits très soigneusement,
au moyen de petites plaques de gneiss, avec un remplissage d'argile dans les inter
stices (fig. 7) ; des ateliers d'enrichissement (broyage et lavage du minerai) ont peut-être
trouvé place à cet endroit14.
L'analyse de résidus du matériau tendre exploité, pendant l'Antiquité, dans
le « trou de l'ascète » a déterminé, par activation neutronique, la présence de 0,4
à 5,6 ppm d'or.
L'image que donne Hérodote d'une « montagne bouleversée par les travaux
d'extraction » est donc tout à fait confirmée. Certes, les traces de l'activité antique
sont devenues bien discrètes aujourd'hui, ce qui explique qu'elles soient pratiquement
passées inaperçues jusqu'à maintenant : la végétation a repris ses droits, recouvrant
les éboulis de déblais d'abattage et masquant les entrées de galeries, dont on sait
maintenant que la plupart restent à découvrir; même à l'intérieur des galeries,
d'épaisses couches de concrétions calcaires recouvrent les parois et les traces d'outils,
transformant en grottes d'apparence naturelle les boyaux creusés de main d'homme.
Enfin, la question controversée de la nature du métal exploité dans ces mines
se trouve résolue par les analyses : l'or est en effet le seul métal exploitable dont la
présence a été décelée dans les divers échantillons de minerai. Certes les teneurs
relevées peuvent paraître bien faibles : de fait, certaines se trouvent en deçà du
(13) Nous avons découvert ces galeries en octobre 1981, au cours d'une exploration où nous accompagnait
Mme Koukouli, Éphore des Antiquités classiques de Kavala (J.d.G. - T.K.).
(14) Certes, il est toujours difficile de distinguer un mur de terrasse antique d'un mur de terrasse moderne.
Mais en l'occurrence, cet appareil relativement soigné n'a jamais été utilisé par les Thasiens modernes.
1982]
DES MINES D OR A THASOS
Fig. 8. — Filon évidé et pilier de soutènement dans la mine de l'Acropole.
Fig. 9. — Poche d'extraction dans la mine de l'Acropole.
Fig. 10. — « Ta Skoridia » : amas de scories antiques.
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seuil de 5 ppm, teneur minimale pour un gîte exploitable15. Cependant, l'examen
de ces chiffres doit être nuancé par deux considérations; d'une part la teneur de 5 ppm
est considérée aujourd'hui comme la limite de la rentabilité : mais il est évident
que les Anciens avaient de celle-ci une idée fort différente de la nôtre, et que de toutes
façons, l'existence d'une main-d'œuvre servile permettait de placer ce seuil bien plus
bas qu'aujourd'hui; d'autre part, les échantillons ne sont en fait que des résidus
prélevés dans des poches d'extraction vidées, c'est-à-dire dont le matériau le plus
riche a été exploité dans l'Antiquité. On peut donc conclure avec certitude que les
mines de la région de Kinyra sont des mines d'or.
Hérodote s'attarde quelque peu sur les mines de la région de Kinyra parce qu'elles
sont, à son avis, les plus étonnantes. Mais son texte laisse bien entendre que ce ne sont
pas les seules d'où les Thasiens tiraient, sur l'île même, leurs revenus. De fait, de
nombreuses autres mines sont désormais repérées, à Liménas même et dans la moitié
occidentale de la chôra thasienne, et les analyses de minerais donnent une image assez
complète des ressources du sous-sol exploitées dans l'Antiquité.
La plus impressionnante de ces mines et la mieux connue est la mine de l'Acropole,
à Liménas même16 : la longueur totale du réseau des galeries explorées jusqu'à présent
est de 600 m environ (fig. 8) ; l'exploitation, commencée à la fin du vie ou au début
du ve siècle, y a duré deux siècles au moins. L'analyse de résidus prélevés dans des
poches d'extraction antiques (fig. 9) a déterminé, par absorption atomique, la présence
de 0,1 à 3,8 % de cuivre et de 1,6 à 20 ppm d'argent, et, par activation neutronique,
de 0,2 à 35 ppm d'or. Les teneurs en cuivre et en argent sont trop faibles pour être
exploitables, tandis que la teneur en or est élevée : la mine de l'Acropole est donc
elle aussi une mine d'or — ce qui explique mieux l'ampleur des travaux — et non
une mine de fer et de cuivre, comme on l'avait cru au vu des premières analyses
réalisées il y a quelques années17.
D'autres mines antiques, très nombreuses, sont disséminées sur tout le côté
occidental de l'île, depuis le cap Pachys au Nord jusqu'au cap Salonikios au Sud18.
Le centre de gravité de cette région minière très étendue se trouvait aux environs de
Kalirachi, où les puits de mine particulièrement nombreux et les amas de scories
très importants19 (fig. 10) témoignent d'une exploitation minière et d'une activité
métallurgique plus intenses qu'ailleurs. Les analyses d'échantillons, tant de minerai
que de scories, ont confirmé que dans cette région la galène argentifère était le principal
minerai exploité dans l'Antiquité — pour le plomb et aussi pour l'argent — , les
minerais de cuivre et de fer ne venant qu'au second rang20. Cette exploitation qui a dû
(15) Chiffre donné par W. Sciiumann, Pierres et Minéraux2 (1976), p. 161.
(16) Cf. A. Muller, loc. cit., p. 315-334 ; BCH 105 (1981), p. 960-961 et Naturwissenschaflen 68 (1981),
p. 263.
(17) A. Muller, loc. cit., p. 318.
(18) Cf. la carte minière provisoire de Thasos, A. Muller, loc. cit., p. 343, fig. 24, et RArchèomélrie,
p. 314, fig. 1.
(19) On évalue l'amas de scories de Ta Skoridia, 1,5 km au Nord-Est de Kalirachi, à 20 000 tonnes,
et celui d'Aermola, 3 km au Nord de Kalirachi, à 30 000 tonnes : RArchéomëlrie, p. 231.
(20) HArchéomélrie, p. 231-236.
1982]
DES MINES D'OR À THASOS
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commencer dès l'époque archaïque — la composition isotopique pour le plomb des
monnaies d'argent thasiennes du VIe siècle est identique à celle de minerais de la région
de Kalirachi21 —- a duré jusque dans l'époque romaine.
Au moment de la visite d'Hérodote, c'est-à-dire au ve siècle avant notre ère, les
Thasiens exploitaient donc, sur leur île, des mines d'or à Limenas et Kinyra, de plomb
argentifère, de fer et de cuivre dans la moitié occidentale de l'île. C'est cette diversité
des ressources qui explique le mouvement de la phrase de l'historien, dont l'analyse
proposée récemment reste entièrement valable22 : il y a effectivement une opposition
entre les mines de Scaptè Hylè, « les fameuses mines d'or », et les mines de Thasos,
dont la nature n'est pas précisée. L'opposition n'est cependant pas entre un gisement
aurifère et des gisements qui ne le seraient pas, mais entre un gisement uniquement
aurifère (Scaptè Hylè) et des gisements recelant plusieurs métaux, dont l'historien
n'a pas jugé utile d'indiquer la nature, peut-être en raison de la faiblesse de leur
revenu global comparé à celui des mines de Scaptè Hylè. Enfin, si dans l'ensemble
des mines thasiennes, celles de Kinyra ont mérité une mention particulière, ce n'est
pas à cause du métal précieux qu'on en extrayait — il y avait d'autres mines d'or
sur l'île — , ni à cause de l'importance de leur revenu — qui pouvait n'avoir rien
d'impressionnant à côté de celui, fabuleux, de Skaptè Hylè23 — , mais à cause de leur
très haute antiquité et de l'histoire de leur exploitation par les Phéniciens qui ont
étonné Hérodote.
Jacques des Gourtils
Tony Kozelj
Arthur Muller.
(21) N. H. Gale, Archaeophysika 10 (1978), p. 194.
(22) B. Holtzmann, loc. cit., p. 347.
(23) Le revenu des mines d'or de la région de Kinyra n'avait sans doute rien de prodigieux, comme
on l'a parfois imaginé (cf. par exemple J. Pouilloux, Entretiens de la fondation Hardi, 10 [1964], p. 16) :
augmenté du revenu de toutes les autres mines de Thasos, il restait inférieur au revenu des seules mines de
Skaptè-Hylè.
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