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Corent : cinq villes sur un plateau

Oppidum de Corent, quartiers Ouest. Caves et puits d'époque romaine. Enduits peints polychromes in situ. Habitats et cave d'époque gauloise. Lac du Puy, source et fouille.

DOSSIER Corent : cinq villes sur un plateau par Matthieu Poux, Audrey Pranyies, Florian Couderc, Pierre-Yves Milcent À l’abandon depuis la fin de l’Antiquité, son couvert de friches et de terres agricoles offrait l’opportunité rare d’explorer les quartiers centraux d’une ville gauloise, préservée intacte à quelques centimètres seulement de la surface des labours E n juillet 2001, les premiers coups Parc archéologique de Corent, de pelle mécanique résonnaient à sanctuaire, théâtre et place. Corent, plateau volcanique localisé une quinzaine de kilomètres au sud de Clermont-Ferrand. Des sondages, ouverts quelques années plus tôt, avaient déjà révélé le fort potentiel de ce site majeur de la Basse Limagne d’Auvergne, idéalement situé en surplomb du cours de l’Allier et occupé à ce titre durant plusieurs millénaires, du Néolithique à l’époque romaine. Un oppidum majeur, identifié au cheflieu de la cité arverne à la veille de la conquête romaine, dont témoignaient déjà depuis longtemps des milliers de monnaies, de fragments d’amphores à vin et d’objets divers, disséminés à la surface des champs à chaque épisode de Quartiers labours. D’abord consacrées aux vestiges ouest, des grands banquets pratiqués par l’élite bâtiments arverne, tels que décrits par les auteurs superposés grecs, les recherches se sont rapidement d’époque étendues au sanctuaire tout entier, puis gauloise et à son environnement urbain, exploré sur romaine. 2 une superficie globale de près de six hectares. Les résultats de ces premières années de fouille ont fourni matière à plusieurs ouvrages, articles, expositions et documentaires grand public, qui décrivent dans le détail l’organisation de la cité et ses différents pôles fonctionnels : sanctuaire, hémicycle d’assemblée, complexe artisanal et commercial, entrepôt à vin, système de voirie, équipements hydrauliques… réunis autour d’une grande place publique, dont le plan rappelle celui de l’agora grecque et des premiers forums romains, mais s’en distingue aussi par certaines spécificités. La fouille de ces édifices, corrélée à l’étude des dizaines de milliers d’objets qui jonchaient leur sol, ont fourni des clés pour une meilleure compréhension des modalités de fonctionnement de la société gauloise L’ ARCHÉOLOGUE no 156 | décembre 2020 janvier-févier 2021 DOSSIER dans sa dimension politique, religieuse ou économique. Des plans de bâtiments, comparables à celui du sanctuaire et de l’hémicycle d’assemblée de Corent, ont récemment fait leur apparition : de Bibracte, chef-lieu des Éduens, à la célèbre résidence aristocratique de Paule dans les côtes d’Armor, en passant par l’oppidum de Moulay, en Mayenne, et plusieurs lieux Cave et puits d’époque de culte contemporains, ils caractérisent romaine, quartiers Ouest. Les traces d’autres bâtiments romains l’espace public à la fin de l’indépendance épierrés et arasés par les travaux agricoles, Cave romaine, quartiers Ouest. gauloise. qui affleurent un peu partout sur la partie basse du plateau, dessinent les contours Un oppidum d’époque romaine d’une petite agglomération d’une vingLes fouilles se sont poursuivies, ces dix taine d’hectares, voire bien davantage, si dernières années, dans des secteurs plus l’on se fie au résultat de prospections pépériphériques localisés aux abords de la destres réalisées en 2015 par B. Dousteysgrande place qui entourait le sanctuaire. sier (MSH Clermont-Ferrand). Succédant À l’ouest, c’est tout un quartier de la ville à l’oppidum gaulois, elle s’organisait protohistorique et antique qui a surgi de comme à l’époque autour du sanctuaire terre. Installé sur les premières terrasses et son théâtre, reconstruits à plusieurs du cône d’éruption, en surplomb de l’esreprises au début de l’époque romaine. pace public, il aligne une quinzaine de bâCet « oppidum gallo-romain » s’est dévetiments. Les plus anciens remontent à la fin e siècle, à l’ombre loppé jusqu’à la fin du II de l’âge du Bronze, les plus récents ont été du nouveau chef-lieu Augustonemetum. construits à la fin de l’âge du Fer, puis reUne agglomération secondaire dont les construits après la conquête romaine. Ces ateliers de potiers et les installations artibâtiments romains se présentent sous la sanales installés sur les berges de l’Allier, forme de solides maisons en construction aux Martres-de-Veyre, ne constituaient maçonnée, ornées de fresques murales et probablement que le faubourg portuaire dotées de grandes caves servant d’espaces Enduits peints polychromes comme c’était déjà le cas à l’époque gaude stockage comme de lieux de vie. Ces in situ, époque romaine, quar- loise. caractéristiques et les objets retrouvés les tiers Ouest. Deux autres secteurs du plateau ont été désignent comme le lieu de résidence de concernés par ces recherches récentes. Le populations relativement aisées, dont la premier correspond au « Lac du Puy », prospérité reposait principalement sur vaste dépression naturelle qui occupe l’artisanat céramique et le commerce sur l’extrémité nord-est du plateau et au le cours de l’Allier. En témoigne un moule centre de laquelle s’écoule, aujourd’hui de fabrication de poterie sigillée, retrouvé encore, une source d’eau pérenne. Les dans l’une des cours de bâtiments et attrirecherches menées en 2015 par le laborabuée à un potier (Drusus I) actif au début e toire Géolab de Clermont-Ferrand (projet du 2 siècle de notre ère dans l’atelier voiAYPONA) ont montré que la cuvette a sin des Martres-de-Veyre, situé au pied du été asséchée bien avant l’âge du Bronze plateau. et qu’elle a accueilli, au cours de l’âge du À l’est, c’est un atelier de potier au comFer, plusieurs centaines de silos destinés plet qui a été préservé des destructions Cave gauloise, quartiers Ouest. à la conservation des céréales dans le sol liées aux travaux agricoles, avec son four d’argile qui en tapisse le fond. Une fouille et ses installations servant au stockage ou à la préparation de l’argile : cave, puits, bassins de foulage… En activité dans les premières décennies de l’Empire romain, il a produit des services de vaisselle romaine et gauloise à l’instar des sites voisins de Gondole et du Lot, en contrebas du plateau. Lac du Puy, source et fouille. L’ ARCHÉOLOGUE no 156 | décembre 2020 janvier-févier 2021 3 DOSSIER ouverte en 2018 dans le même secteur a Lac du Puy, Amphores à vin montré qu’à la fin de l’époque gauloise, les italiques remployées en vide quartiers d’habitat de l’oppidum s’éten- sanitaire. daient jusqu’aux abords de la source. Ils en étaient séparés par un large fossé, doublé au début de l’époque romaine par une fondation de mur massive en pierre sèche, large de 2 m. Elle forme l’angle d’un vaste enclos dont le tracé, repéré grâce aux prospections géophysiques, dessine un carré d’une cinquantaine de mètres de côté. Cette construction, fouillée très partiellement, est centrée sur la source qu’elle semble délimiter ou protéger, par souci d’hygiène ou pour des motifs religieux. À la recherche du rempart Au niveau de la bordure nord du plateau, d’autres équipes ont été lancées à la recherche du rempart de l’oppidum, dont l’existence n’avait jamais été démontrée — malgré l’existence d’une anomalie du relief encore bien visible sur tout le pourtour du puy, déjà signalée sur un plan cadastral de 1777 comme « le mur d’enceinte du Puy de Corent ». Cet objectif n’a été que partiellement atteint, au terme de deux campagnes de fouille réalisées en 2018 et en 2019. Leur principal résultat réside dans la découverte de plusieurs carrières d’extraction du basalte qui affleure à cet endroit. Au nombre de trois ou quatre, elles ont servi Fouille du à extraire de grandes dalles utilisées sur rempart, pareplace pour l’aménagement d’une intri- ment arrière de gante construction en pierre sèche. Dresl’ouvrage en sées sur la tranche, à la manière d’orthospierre sèche, tates, elles sont disposées de sorte à imiter formé de un parement en grand appareil de blocs grosses dalles de basalte massifs. L’orientation des faces montre disposées de qu’il retenait une construction plus impo- sante encore, en pierre et ou en terre, qui se développait en aval au niveau de la rupture de pente et dont le parement de façade, très arasé, semble encore conservé par endroits. Cet ouvrage a été construit au plus tard à la fin de l’âge du Fer comme en témoignent les niveaux de sol recouvrant son parement et le comblement des carrières, jonchés de mobiliers d’époque gauloise (céramiques, amphores, fibules, fémur humain). Ces vestiges permettent de supposer, sans la démontrer avec certitude, l’existence d’une construction en terre ou en pierre qui surplombait la pente, dont le caractère défensif ne peut être que présumé. En grande partie écroulé dans la pente, il a probablement aussi été épierré pour la construction de l’église et du hameau de Soulasse, fondés au Moyen-âge une centaine de mètres en contrebas. Il a cédé la place, au 18e siècle, aux murets en pierre sèche (murets, cabanes de vignerons) supportant les terrasses viticoles qui occupent les flancs du Puy de Corent et où se déployait, au siècle suivant, l’un des plus grands vignobles du pays. Trois agglomérations aux origines du site En d’autres points du plateau, les fouilles récentes ont révélé l’importance insoupçonnée des occupations qui ont précédé l’oppidum gaulois et l’agglomération romaine. Les espaces de cour ou de voirie non bâtis qui entourent leurs constructions en ont préservé de nombreux vestiges, principalement matérialisés par des épandages de tessons céramiques associés à des calages de poteaux, à de la faune et à divers objets. Les fouilles conduites au début des années 2000 dans l’enceinte du sanctuaire chant. 4 L’ ARCHÉOLOGUE no 141 | mars-avril-mai 2017 et à ses abords avaient déjà mis au jour des séries de trous de poteaux encadrant des sols jonchés de nombreux vases écrasés en place, caractéristiques du Hallstatt D1. Les alignements dessinent le plan de plusieurs maisons constitutives d’un petit hameau installé sur le plateau au premier âge du Fer, au tournant des 7e et 6e siècles av. J.-C. Incendié dans des circonstances inconnues, il est abandonné à peine Amas de vases écrasés en quelques décennies plus tard. place, âge du Bronze final. L’agglomération la plus étendue et la mieux conservée date de l’âge du Bronze final, plus précisément de sa phase terminale (Bronze final, 10e-9e s. av. J.-C.). Partout où la fouille a pu être menée à son terme entre les constructions d’époque gauloise ou romaine, ses vestiges affleurent sous la forme de fondations de foyers et d’épandages de tessons très denses, délimités par des trous de poteau. Ces derniers soutiennent la charpente de grands bâtiments allongés à plan absidial, auxquels sont parfois associés des annexes artisanales. À proximité ou à l’aplomb des foyers, la fouille des sols livre presque systématiquement des dépôts métalliques ou des objets isolés à fort statut socio-économique : parure, armement, couteaux, outillage, pièces de char... La richesse et la récurrence des découvertes dans tous les secteurs du plateau fouillés à ce jour, sans exception, y trahit l’existence d’une véritable cité qui s’étendait sur une plus d’une cinquantaine d’hectares à en juger par les prospections pédestres. Au nord du sanctuaire, la fouille partielle d’un grand enclos circulaire repéré par photographie aérienne a livré une autre surprise de taille. Bien visible sur les clichés et interprété dans un premier temps comme une sépulture tumulaire d’époque protohistorique, il s’est avéré en 2018 correspondre à tout autre chose. Une fenêtre de fouille ouverte dans son quart nord-est a permis de reconnaître un édifice circulaire monumental de 20 m de diamètre, délimité par un fossé de palissade, ouvert à l’est et subdivisé par une tranchée de refend. Une datation radiocarbone (4336-4076 cal BC) et le mobilier recueilli permettent d’attribuer sa construction à la fin du Néolithique moyen 1. Bâtiment circulaire cloisonné d’époque Néolithique. L’ ARCHÉOLOGUE no 156 | décembre 2020 janvier-févier 2021 Si ce plan renvoie à une série bien connue dans le bassin Parisien et ses marges occidentales, il est nouveau pour la région et peut être associé à d’autres vestiges, découverts quelques années plus tôt. Au sud et à l’emplacement du sanctuaire gaulois, des alignements de trois ou quatre tranchées parallèles ont été reconnus sur une soixantaine de mètres de longueur. Ils formaient un dispositif d’enceinte palissadée à levée de terre et palissades jointives, comme on en connaît de nombreux exemples dans le Bassin Parisien et le Centre-Est de la France. Cette association, tout à fait inédite pour le Massif central, esquisse les contours d’une agglomération fortifiée de plusieurs dizaines d’hectares, qui se distinguait déjà par une certaine monumentalité et la présence, en surface des niveaux, de nombreux objets de prestige (plus de 200 haches polies, disques en schiste, lames de poignard…). Au total, ce ne sont pas moins de cinq agglomérations successives qui ont été mises en évidence sur le plateau. Si elles ne présentent pas toutes la même étendue ni la même configuration, elles se distinguent pour la majorité d’entre elles par la qualité des bâtiments et la richesse du mobilier, emblématiques de populations à très fort statut socio-économique. La situation exceptionnelle du site, naturellement défendu et pourvu d’une source d’eau potable permanente qui lui assuraient le contrôle du cours de l’Allier, n’a pas peu contribué à leur développement. Tout aussi intéressantes à comprendre sont les phases d’abandon qui ont séparé ces expériences urbaines, reflet de choix ou de contraintes qui nous échappent encore en grande partie. n