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Bondy, Egon (1930-2007)

2021, Delsol, Ch., Nowicki, J. ( eds.), La vie de l’esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945. Dictionnaire encyclopédique. Paris: Les Éditions du CERF, 2021, s. 566–568.

Vie_esprit_Europe_U9_21042 - 19.4.2021 - 15:36:55 - page 566 566 BONDY, EGON (1930-2007) Le cheminement de Lucian Boia vers l’histoire de l’imaginaire est à l’origine de ses premiers livres publiés à l’étranger dans les années 1980, début d’un parcours qui fera de lui un des auteurs roumains les plus présents dans le monde de l’édition française. Paradoxalement, Boia reste encore peu connu du grand public de son pays. Le caractère autarcique de l’historiographie roumaine et son étroite surveillance par les autorités communiste rend très difficile la publication par les chercheurs roumains d’ouvrages susceptibles de relativiser les perspectives historiographiques traditionnelles. Dans les années 1990, il choisit de publier toujours en France Pour une histoire de l’imaginaire (1998) où il expose la vision selon laquelle l’imaginaire est une force dynamique de l’histoire, créatrice des mythologies variées qui posent leur marque sur les différents systèmes politiques, religieux ou même scientifiques. L’analyse de ces ensembles de perceptions, opinions, sensibilités et de leurs moyens d’expression offre selon lui une grille de lecture générale pour l’interprétation de l’histoire. Cette vision historiographique a des implications directes dans sa manière d’approcher les grands thèmes de l’histoire nationale qu’il recommence à analyser pendant cette période. Les implications politiques des idées de Lucian Boia au miroir d’une historiographie traversée par des sensibilités et des thèmes nationalistes qui enjambent la période d’avant et d’après 1989 apparaissent clairement dans son ouvrage Jocul cu trecutul (Jouer avec le passé, 1998), parue à Bucarest. Les deux ouvrages publiés en 1998 offrent un cadre théorique à mettre en rapport avec un ouvrage que Lucian Boia avait publié un an plus tôt, en 1997 : Istorie și mit în conștiința românească (Histoire et mythe dans la conscience roumaine) dont la parution marque un moment essentiel dans la relation du grand public roumain à l’histoire et aux historiens dans la Roumanie post-communiste. C’est la première fois qu’un historien professionnel et universitaire de surcroît soumettait à un examen critique les axiomes d’un discours historiographique qui ont participé, parfois depuis deux siècles, aux fondements de l’identité nationale. Les réactions à cette démarche décapante sont polarisées et très souvent véhémentes. D’une part, le livre a provoqué de véritables charges menées par des nationalistes du champ politique et intellectuel mais aussi par des tenants d’une historiographie plus conservatrice dans ses objets de recherches. D’autre part, Istorie si mit... est devenue l’ouvrage historiographique le plus influent dans le monde intellectuel roumain de la fin du XXe siècle en assurant à son auteur une reconnaissance et une notoriété qui, renforcées par la publication de nouveaux livres, ont fini par faire de Boia une célébrité. BIBLIOGRAPHIE Pour une histoire de l’imaginaire, Paris, Les Belles Lettres, 1998. La Mythologie scientifique du communisme, Paris, Les Belles Lettres, 2000. L’Occident. Une interprétation historique, Paris, Les Belles Lettres, 2007. BONDY, EGON (1930-2007) par Petr Kužel, traduction Lara Bonneau Egon Bondy (pseudonyme de Zbyněk Fišer) compte dès le début des années 1950 parmi les personnalités majeures de la littéra- ture tchécoslovaque non-officielle. En 1947, il quitte le lycée et pendant dix ans vit en marge et sans emploi fixe. En 1957, il passe son Vie_esprit_Europe_U9_21042 - 19.4.2021 - 15:36:55 - page 567 BONDY, EGON (1930-2007) baccalauréat puis fait des études de philosophie et de psychologie à l’Université Charles de Prague. Il travaille alors comme gardien de nuit au Musée National puis au département bibliographique de la bibliothèque d’État (de 1962 à 1967). À partir de 1967 il obtient une pension d’invalidité complète. Jusqu’en 1990, Egon Bondy ne publie ses textes pratiquement que sous la forme de samizdat ou des éditions en exil à une courte exception près, dans les années 1960, où il publie un certain nombre de textes dans des revues spécialisées et trois livres. En 1967 un premier livre, consacré à une problématique à la fois ontologique et axiologique : Questions de l’être et de l’existence (1967), La Consolation de l’ontologie. Modèle substantiel et non-substantiel dans l’ontologie (1967) ; une monographie (Bouddha-1968), analyse des aspects philosophiques du bouddhisme des premiers temps. Cette même année il fonde le Groupe d’opinion de la gauche (Názorové sdružení levice), organisation indépendante radicalement influencée par le marxisme autogestionnaire, qu’il anime entre autres avec Petr Uhl. Ce groupe met un terme à ses activités en septembre 1968 un mois après l’invasion de la Tchécoslovaquie et Egon Bondy est de nouveau touché par l’interdiction de publier officiellement. L’apport théorique principal de Bondy est philosophique. Il n’a de cesse de préciser les différents aspects de son ontologie nonsubstantielle en l’enrichissant de concepts et catégories, notamment dans Les Questions de Julie (1970), Considération sur l’eschatologie (1979), L’athéisme non-substantiel et le théisme non-substantiel (1981), Ontologie sans détermination (1991), tous repris dans Œuvre philosophique T. II, Histoire de l’histoire (posthume, 2009), repris ibidem T. III. Pendant la normalisation Egon Bondy est l’une des personnalités-phares de l’underground tchécoslovaque, dont il était l’un des inventeurs. Il publia également régulièrement dans les périodiques samizdat (Vokno, Revolver Revue) et dans ceux édités en exil 567 (Svědectví, Proměny), donna des cours dans le cadre des « universités d’appartement », ses poèmes furent mis en musique et joués par les groupes de rock The Plastic People of the Universe, Garáž, etc. Après novembre 1989, il est l’un des critiques les plus virulents de l’évolution du pays. Il développe sa critique du capitalisme, de la mondialisation et de l’oligarchie financière dans un petit livre intitulé Sur la globalisation (2005). En 1993, il s’installe en Slovaquie à Bratislava où il enseigne jusqu’à 1995 la philosophie à l’université Comenius. C’est dans cette ville qu’il meurt en 2007 à l’âge de 77 ans. Très influencés par le surréalisme, les prémices de création littéraire de Bondy remontent à la fin des années 1940. En 1949, il publie avec Jana Krejcarová (fille de Milena Jesenská disparue au camp de Ravensbrück) en édition samizdat un recueil de textes intitulé Noms juifs. Un an plus tard, il fonde avec Ivo Vodsed’álek la toute première édition samizdat tchécoslovaque de l’après-guerre, l’édition Půlnoc (« Minuit », en référence aux éditions françaises), qui a compté 49 titres : poésie, romans, essais théoriques et collages. À partir de 1950, Bondy bifurque vers le « réalisme total » (voir le recueil du même nom), où il anticipe à bien des égards sur les positions de l’hyperréalisme et du pop art. Sous l’influence de Záviš Kalandra, il se tourne vers le trotskisme et adopte une posture ouvertement opposée au régime dès 1948. Il est soupçonné en raison de ses activités trotskistes, interpelé pour avoir passé illégalement la frontière, et pour ses rapports avec Kalandra (exécuté après un procès politique en 1950). Il connaît la prison brièvement mais à de nombreuses reprises. Ses convictions politiques se reflétent naturellement dans ses analyses politiques du système de l’époque. A la charnière de 1949 et 1950, il qualifie le régime de « fasciste » dans un essai de politologie intitulé La Dictature du prolétariat. Cependant, il ne fournit une ana- Vie_esprit_Europe_U9_21042 - 19.4.2021 - 15:36:55 - page 568 568 BOROWSKI, TADEUSZ (1922-1951) lyse plus détaillée du système soviétique, de son fonctionnement et des causes historiques de sa dégénérescence que beaucoup plus tard dans un texte intitulé Analyse de travail (1969). C’est à cette thèse que s’articule librement le livre Monologue désordonné (1984). À partir des années 70, l’œuvre littéraire de Bondy, essentiellement poétique, s’enrichit d’une dimension prosaïque restée jusqu’alors sporadique. Parmi ses textes en prose les plus connus, il convient de souligner l’autoconfession Le Travail de la cave (19721973) et Frères et sœurs infirmes (1974), pour lesquels le prix Egon Hostovský lui a été attribué, les nouvelles 677 (1977) et La Sans-Nom (1986), dans lesquelles, adoptant une position radicale de gauche il critique la conduite de la Charte 77 (bien qu’il l’ait luimême signée, sa signature n’étant pas encore rendue publique à ce moment-là), enfin le roman Chamane (1976), dans lequel il met en perspective sa collaboration avec la Sécurité d’État (StB), le roman cyberpunk Cybercomics (1995) et une série d’autres textes. Au total, Egon Bondy a écrit 58 recueils poétiques, près de 30 textes en prose, 11 pièces de théâtre, un livret d’opéra, des traductions (Ch. Morgenstern, E. Fromm, et en collaboration avec des sinologues Lao Tse et Mao Zedong), ainsi qu’une série de livres et d’essais philosophiques. Il est également l’auteur d’une histoire de la philosophie en six volumes, allant de ses débuts à la fin du XVIIIe siècle, dans laquelle il fait place non seulement à la philosophie européenne mais aussi aux philosophies chinoise, indienne, arabe et juive (il figure dans le dictionnaire des orientalistes tchèques). BIBLIOGRAPHIE The Consolation of Ontology : on the Substantial and Nonsubstantial Models, Lanham : Md, Lexington Books, 2001. Journal de la fille qui cherche Egon Bondy, Villeurbanne, Urdla, 2004. Réalisme total, Paris, Black Herald Press, 2017. BOROWSKI, TADEUSZ (1922-1951) par Andrzej Werner Tadeusz Borowski, né le 12 novembre 1922. Jytomyr, sa ville natale, se trouva au terme de la Grande Guerre en Ukraine soviétique. Son père, Stanisław Borowski, fut comptable dans une coopérative horticole. En 1926, par ordre des autorités soviétiques, il fut arrêté et emprisonné dans un camp de travail de construction du Canal de la mer Blanche. Quatre ans plus tard, la mère de Tadeusz, Teofila Borowska, fut déportée en Sibérie. Ces faits sont essentiels pour comprendre l’origine du constat de Tadeusz que le monde des camps de concentration ne commence, ni ne finit avec le Troisième Reich. Stanisław regagna sa liberté en 1932. Tadeusz, accompagné de son frère, de quatre ans son ainé, entreprit alors un long périple, passant par Kiev et Moscou pour rejoindre leur père à la frontière polonaise. Ils purent alors rentrer à Varsovie. Leur mère revint deux ans plus tard, grâce à une intervention de la Croix-Rouge. Tadeusz fréquenta un lycée renommé ; il obtint son baccalauréat dans la clandestinité pendant la guerre, au printemps 1940. En automne 1940, il commença ses études des lettres à l’université de Varsovie dans la clandestinité. Les cours furent assurés par un groupe de professeurs hors du commun ; parmi les étudiants se trouvèrent plusieurs jeunes gens déjà bien connus dans le monde culturel varsovien. C’est ici qu’il fit connais-