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Commentaire de l'article 18 de la Convention de Vienne
BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, LA ROSA, Anne-Marie, MBENGUE, Makane Moïse
Reference
BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, LA ROSA, Anne-Marie, MBENGUE, Makane Moïse.
Commentaire de l'article 18 de la Convention de Vienne. In: Corten, Olivier.. et al. Les
Conventions de Vienne sur le droit des traités : commentaire article par article.
Bruxelles : Bruylant, 2006. p. 589-640
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12595
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CONVENTION DE VIENNE DE 1969
ARTICLE 18
OBLIGATION DE NE PAS PRIVER UN TRAITÉ
DE SON OBJET ET DE SON BUT
AVANT SON ENTRÉE EN VIGUEUR
« Un Etat doit s'abstenir d'actes qui priveraient un
traité de son objet et de son but:
a) lorsqu'il a signé le traité sous réserve de ratification,
d'acceptation ou d'approbation, tant qu'il n'a pas
manifesté son intention de ne pas devenir partie au
traité;
b) lorsqu'il a exprimé son consentement à être lié par le
traité, dans la période qui précède l'entrée en vigueur
du traité et à condition que celle-ci n'ait pas été indûment retardée.»
Bibliographie: J. BUFFAR.D et K. ZEMANEK, ,The Object and Purpose of ·9o Treaty :
An Enigma. h, A'Uslrian Review of International and European Law , 1998 ,
pp. 311-343 ; Ph. CAHIER, .. L'obligation de ne pag priver un traité de son objet
et de 80n but &vant· son entrée en vigueur., Milangu Fer'nand DeMUJJsf, vol. l ,
Bruxelles, Bruyl&nt, 1979, pp. 31-37; J.-P . COT, , La. bonne foi et la. conclusion
des traités., R.B.D.l ., 1968, pp. 140-159 ; T. HASSAN , cGood Fa.i tb in Tre&ty
Formation_ , VaJIL, 1981, p. 444; J . KLABBERS, .Some Problems Rega.rding the
Object and Purpose of Treatiest , Finnish Yearbook of International Law, 1997 ,
pp. 138· 160; P.V. MeDADE, .The Interim Obligation Between Signature and
Ratification of a. Treaty : Issues Raised by the R ecent Actions of Signatories ta
the Law of the Sea Convention With Respect to the Mioing of the Deep
Seabed., N.l.L.R. , 1985, pp. 5-47; W. MORWAY , .The Obligation o( ft, State Dot
ta FruBtrate the Object of a Treaty Prior to !ta Entry Into Force~,
~a6RV,
1967 , pp. 451·462; J. NISOT, .La force obligatoire des traites signés non encore
ratifiés. , J.D.I., 1930, pp. 878-883; J. NrsoT, .L'article 18 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités., R.B.D.I., 1970, pp. 498·503; M. ROGGOF,
.:International Legal Obligation of Signatories ta an Unratified Treaty., Maine
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590
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. "BENGUE
Law RevW!.w, 1980, pp. 266-290; R.F. TURNER, .Leglll Implicatiollll of Deferring
Ratifica.tion of Salt lIt. VaJIL , 1981, p. 747.
SOMMAIRE
1. -
CARAC'I'ÉRISTIQUES GÉ:NÉRALES
1. - Obj" ,t hui
2. - Statut coutumier: un 8tatut ambigu
II. -
PRoBLÈMES D ' INTERPRBTATJON
1. - Les 1Wtions
et de .buü d'un traité
d'~objeh
a) AGlf!8 visés
h) Portée de l'expres6irm .objet et buh
2. - La notion de signature
3. - Une clarification du régime dt l 'aueptalion tka tratlia
a) La variabilité de l'acceptation
h) us limites ratione temporis de l 'acceptatirm
III. - EFJ1ETS JURlDlQUES DE L'A.RTJCLE 18, AL1NÉA A)
1. - A propos de la réalité de l'obligation
2. - 8andi07l8 du 1um-re"pecl de l'obligation
*
* •
1. -
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES
1. - Objet et but
1. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités
(dénommée ci-après la Convention de Vienne) est un puits sans fond
de réflexion sur la matière des traités internationaux. L'article 18
témoigne de cette nature rebelle et complexe de la Convention de
Vienne, nature tenant aux différentes interactions et interrelations
que les traités font valoir entre le politique et le juridique. Ceci
étant, l'article L8 témoigne aussi de la nature innovatrice de la Convention de Vienne. En effet, il fait partie de ce corpus de normes
qui prouvent qu'à travers l' œuvre de la Commission du droit international (C.D.I.), il ne s'est pas seulement agi de faire du .Traité
des traités. un ,Livre sacré. codificateur de règles ou principes de
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la pratique des traités entre Etats mais aussi une sorte de réceptacle
et de rénovateur de principes pouvant contribuer efficacement au
développement moderne du droit international. L'article 18 de la
Convention de Vienne se trouve à mi-chemin entre ce souci de codification et celui d'innovation juridique. C'est ce trait de caractère
qui fait que lorsqu'on en vient à. disséquer ses éléments de juridicité,
de nombreuses difficultés se posent, bien que ses finalités générales
soient claires. Tout d'abord, l'article 18 de la Convention de Vienne
poursuit l'objectif de sécurité juridique nécessaire à. la stabilité et à.
la viabilité des traités internationaux. De ce rait, les Etats mesurent
mieux toutes les implications juridiques des différentes étapes du
processus de conclusion d' un traité international. Ensuite, est mis
en avant l'objectif de légitimité juridique en vertu duquel il faut
éviter que des actes contraires à un traité international soient posés
alors que celui-ci n a même pas connu un commencement dl application. Un traité multilatéral ou bilatéral devrait traduire les aspirations communes aux Etats ayant pris part à sa négociation. En
retour, un comportement minimal par rapport au traité doit être
exigé des Etats pour garantir un minimum de légitimité au processus de juridicisation de celles-ci.
~
l
.
2. Enfin, un autre objectif général de la disposition commentée ici
réside dans la transparence juridique. L'article 18 offre un réel
champ de réflexion sur les mécanismes à. développer pour promouvoir et garantir une information sur la position des Etats par rapport à un traité international. L'obligation contenue dans cette disposition s'inscrit dans un contexte de transparence , qualité
caractérisant la' bonne foi dans les relations conventionnelles. Pourtant , le droit international ne permet pas d'objectiver de manière
effective et efficace les canaux juridiques par lesquels les Etats peuvent exprimer leur opinion ou déterminer leur attitude officielle par
rapport aux effets que déploiera ou ne déploiera pas uri traité à leur
égard. Toutefois, certains systèmes internationaux offrent des pistes
dans cette direction. Par exemple, dans le cas de l'O.I.T., dont les
dispositions constitutionnelles furent incluses dans le Traité de Paix
de Versailles, il est intéressant de prendre en compte le régime des
rapports qui doivent être fournis par les Etats membres avant
même la ratification des conventions internationales du travail. En
effet, dès le moment ou la Conférence internationale du Travail ,
organe plénier de l'Organisation, adopte une convention, tout Etat
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membre a l'obligation de la soumettre aux autorités compétentes
,en vue de [la] transformer en loi ou de prendre des mesures d'un
autre ordre. (1). Les Etats membres doivent aussi faire rapport au
Directeur général de l'Organisation sur lesdites mesures. Si l'Etat
obtient le consentement en vue de la ratification, il doit communiquer celle-ci au Directeur général et prendre toutes les mesures qui
seront nécessaires pour rendre effectives ses dispositions (2). Dans le
cas où un Etat ne souhaiterait pas être lié par les obligations contenues dans une convention internationale du travail, il demeure
toutefois soumis à une obligation de transparence. Celle-ci consiste
en ce qu'il devra soumettre au Directeur général, à des périodes
appropriées, des informations «sur l'état de sa législation et sur sa
pratique concernant la question qui fait l'objet de la convention, en
précisant dans quelle mesure l'on a donné suite ou l'on se propose
de donner suite à toute disposition de la convention par voie législative, par voie administrative, par voie de contrats collectifs ou par
toute autre voie, et en exposant quelles difficultés empêchent ou
retardent la ratification d'une telle convention. (3).
3. En outre, préciser la réalité de l'obligation prévue à l'article 18
permet, dans la même lancée, de baliser, voire domestiquer la présomption de bonne foi. L'article 18 permet un encadrement juridique de la relation particulière qui lie un Etat à un traité. Autrement dit, se dégage en filigrane l'obligation pour chaque Etat de
rendre public et objectif son comportement futur par rapport à un
traité et non de se prévaloir des chasses gardées de la raison d'Etat.
En d'autres termes, le fait de s'abstenir d'actes qui priveraient un
traité de son objet et de son but s'avère être une manifestation du
principe de la bonne foi. Dans le cas de traités ratifiés, il vient conforter la règle parta sunt servanda. Les parties à un traité s'obligent
à agir de bonne foi dans le cadre de l'accord qu'elles ont conclu.
Cette conception du principe de la bonne foi trouve une formulation
juridique dans l'article 18 alinéa b) de la Convention de Vienne pour
ce qui est de l"Etat qui a exprimé son consentement à être lié et qui
est dès lors partie au traité en question. De façon plus générale, le
principe de la bonne foi est aussi un principe qui s'impose aux Etats
(I)Article 19.5 hl de la Constitution de l'O.I.T., disponible il. l'adresse http://www.ilo.org/
publicffrench/about/iloconst.htm (dernièrement consultée le 1"" juillet 2005).
(2) Ibid., lettre dl.
(3) Ibid., lettre el.
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même s'ils ne sont pas liés au plan conventionnel. Agir de bonne foi
c'est se conformer à
d'esprit de loyauté, de respect du droit, de fidélité aux engagements li et
s'abstenir $de dissimulation , de tromperie, de dol dans les relations avec
autrui. (4).
4. L'effet juridique de la bonne foi comme liant les sujets de droit
international dans toute transaction juridique, notamment avant la
formation du lien conventionnel, trouve une formulation dans l'arti·
cie 18, alinéa a) de la Convention de Vienne qui crée une obligation
pour l' Etat signataire (donc en dehors du lien conventionnel) de
s'abstenir d'actes contraires à l'objet et au but d'un traité tant qu'il
n'a pas manifesté son intention de ne pas être lié par celui·ci. La
prégnance du principe de bonne foi dans l'article 18 de la Convention de Vienne avait ainsi amené la C.D.I. à introduire expressément le principe dans l'article 17 de son projet sur le droit des
traités:
~Tout
Etat qui prend part à. la négociation, à l'élaboration ou à l'adoption
d'un traité ou qui a signé un traité sous réserve de ratification, d'acceptation
ou d'a.pp robation, est tenu, tant qu'il n'a. pas signifié qu'il n'entend pas devenir
partie au traité, de l'obliga.tion de bonne foi de s'abstenir d'actes par l'effet desquels les objets du traité seraient réduits il. néant lorsque celui-ci entrera.it en
vigueur (5) •.
Plus tard, à la Conférence de Vienne sur le droit des traités, certains Etats émirent l'idée de la nécessité d'introduire une référence
explicite au principe de bonne foi dans l'article 18 de la Convention
de Vienne (6). Les Pays·Bas présentèrent un amendement · dans ce
sens:
~ Un Etat est obligé en vertu du principe de la bonne foi de s'abstenir d'a.ctes
tendant à. réduire à néant J'o bjet d'un t.ra.ité (7) •.
En ·bout de course , bien que l'article 18 de la Convention de
Vienne ne comporte pas de référence expresse au principe de bonne
foi, il n'en demeure pas moins que les travaux préparatoires sont
révélateurs du fait que l'on doit y voir une de ses concrétisations.
(4) Dictionnaire de la Terminologie du Droit imernational, Pa.ris, Sirey, 1960, p. 9l.
(5) A.a.D./., 1962, vol. JI, p.193.
(6) Voyez également J'amendement proposé par la délégation suisse visant à. citer expressément l'exigence de bonne foi dalllj la. période de négociation d'un traite: doc. off. AG NU AI
CONF.39/C. I/L.1I2.
(7) Do,. off. AG NU A/CONF.39/C. lfL.134 .
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L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M.. LA ROBA ET M..M.. MBENCUE
2. - Statut coutumier: un statut ambigu
5. Bien que le souci de la C.D.!. dans l'élaboration du projet
d'articles sur le droit des traités fût essentiellement la codification
de la pratique des Etats en matière d 'accords internationaux, il
n'est pas établi que, dans tous les cas , les règles édictées dans ledit
projet constituaient ipso facto des normes du droit international
coutumier (8) . L'article 18 de la Convention de Vierine illustre cette
situation, du moins pour ce qui concerne la question de l'effet de la
signature d'un traité par un Etat (alinéa a)) .
6. La doctrine est, dans l'ensemble, partagée sur l'existence de
cette obligation en droit coutumier . Ainsi , Je Professeur Fernand
Debousse écrivit à ce sujet:
,D' incontestables raisons morales mili tent, évidemment, en faveur d ' une
pareille att.itude de l'Etat dans J' intervalle qui sépare la. signat ure de la ratification. Ma.is il faut souligner que ce sont uniquement des raisons morales: juridiquement, il n'y a pas d'engagement avant la rati fi cation. (9).
D'autres auteurs nient l'existence de cette obligation - fût-elle
morale - , soit en se basant sur Ja liberté de l'Etat de ne pas ratifier (10) , soit parce qu'ils estiment qu'elle ne correspond pas à Ja
pratique internationale (11). Certains sont très prudents dans
l'énoncé de J'obligation. Pour Jones, la question dépend de chaque
cas d'espèce (12); pour Oppenheim et Lauterpacht, le principe existe
probablement (13). Basdevant constata quant à Jui que: .
• La conclu sion d 'un traité comporte en réalité deux opérations distinctes:
J'une est la négociation terminée par la signature, et dont l'obj et est de fixer le
contenu de la volonté des Etats contra.cta.nts, l'autre est la ratification qui seule
\'a créer un lien de droit entre ces Etats ou une règle obligatoire pour eux (14".
(8)Sir 1. SlliCU,JR, TIK Yienwa Convemion on the Law of TrœJie8, 2m1 ed .. , Ma nchester, M.U.P .,
1984, p. 21. Selon cet a uteur, .[i]t. now remains 10 inved·igate whether, and if 80 t.o ",bat extent. the
convention ilM1f m ay generate roles whlch wiU he accepted a nd recognised as culftOmary rules of inte ....
nationalla.w, not.·wit.hstanding that they do not have aIl the charaeteristics ofsueh customary mies...
(9)"F. DRHO US8 E, La ratification des trai'ü, Paris, Sirey, 1935, p. 67 .
( IO)F. Mos corn, La fOf"mazione dei tra"ali, Milano, Giu ffré, 1968 , pp. 240· 250; J. :NYSOT,
t L'artiole 18 de la Convention de Vienne sur le droit de8 traitést, R.B.D.I., 1969, pp. 498-503;
Ph. CAHIER, tL'obligation de ne pas priver un tra.ité de son objet et de lion but a.vant 80n entrée
en vigueur., M élanae6 Fernand Dehou8~J
vol. l, Bruxelles, Bruyla.nt, 1979, p. 31.
(lI) W. M ORW AY , ,The Obligation of a State Not to Frustrate the Object of a Treaty Prior
1.0 Hs Entry ] nto Force., ZaoRY, 1967, pp. 451-462.
(12) J . MERV YN JONES, Full Power~
and Ratification, Ca.mbridge, C.U.P., 1946, pp. 85-86.
(13) L. ÛPP}o; NH EI M (éd. H. LAUTERPACHT), Internatiornd Law, s'me éd., vol. l, T~ond/New
York, Longmans/Green, 1955, p. 909.
(14) J. BASDE\'A.NT, . La conclusion et la rédaction des traités et des instruments ruplomatiques autres que lea tra.itéu, R.G.A.D./., 1926-V, tome 15. p. 574.
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Toutefois, il faut bien le remarquer, pour une large partie de la
doctrine, il existe une obligation de bonne foi dans la période qui
suit la signature du traité et qui précède son entrée en vigueur,
selon laquelle une partie ne peut se mettre dans une position telle
qu' elle ne puisse plus respecter les conditions qui existaient au
moment de la signature (15).
7. L'analyse des traités et de la jurisprudence internationale souligne la nécessité d'un raisonnement nuancé et devant être empreint
de prudence. Les traités internationaux se caractérisent par leur
inaptitude à apporter une réponse probante, et ce malgré le fait que
certaines conventions contiennent une clause en la matière. C'est le
cas de l'article 38 de l'Acte "final de la Conférence de Berl,in de 1885,
relatif à la liberté de navigation sur le fleuve Congo , qui prévoyait
qu'en attendant la ratification:
.[ ... ] les Puissances l:Iignataires du présent Acte général s'obligent à n'adopter aucune mesure qui serait contra.ire aux dispositions . dudit acte; (16) .
Une disposition similaire se retrouve dans le Protocole annexé à
la Convention de 1919 pour le contrôle des armes et des
munitions (17) :
s.
(15) Voyez notamment
CRANDALL, Treatiea, Their Ma.kiny and EnJor~em
en"
2 nd ed.,
Wa.shington, J. Byrne & Company, 1916, p. 343; D. ANZILOT"l'I, Cours de droit international,
Paris, Sirey, ]929, p. 372 ; P. FAUCHILLK, Traité de droit international public, \'01. ] -3, Paris,
Rousseau , 1926, p. 319. En f&it , l'écrllSante ma.jorité de la. doctrine reconnaît l' existen ce d'obligations découlant de la signature d'un tra.ité intema.tional en droit internationlll positir : E. WOLGAST, Volkerreckt, Berlin, St.ilke, 1934, p. 81 1; F . Wn.cox, The RatifieaJW1t. of l-nle,...,wional C07f.venlioll" Londres . 1935, p . 27 ; B. CHENG , General Principles of Law - As Appljed by
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traités., R.B.D.I., 1968, pp. 153 et 9uiv.; T. HAS~
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C.U.P., 1978, pp. 152 et 8uiv. ; D. CARREAU, Droit illter'/l.alional, 3~me
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p. 118; A.PLANTEY, La, ftigociation internationale, Principe6 et méthode6, Paris, C.N.R.S. Editione, 1980, p. 121; M.E. VILLIGER, CU8tomary International Law and Treatie6, Dordrecht/Boston/Lancaster, Martinua Nijborf Publishers, Kluwer, 1985, pp. 321 et suiv.
(16) De MARTENS , Recueil giniral deI Imité&, 2~
série, vol. X, p. 427.
(17) M . HUDSON , ln.ttNtati<mal ugYtatwn, vol. n , Wa.shington, Carnegie eodowment. fo r international peaoo, 193 J, p. 343.
"."
" 1. •
,
1
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L. BOISSON DE OHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
.. At the moment of signing the Convention [... J, the undersigned Plenipotentiaries declare in the name of their respective governments that they would
regard it as contrary ta the intention of the High Contracting Parties and to
the spirit of the Convention, if a Contra.cting Party should &dopt any measure
wruch is cOlltrary to its provisiom.
Cela pourrait conduire à considérer que de telles clauses conventionnelles montrent qu'il n'existait pas de facto et de jure, avant la
Convention de Vienne, une obligation générale déeoulant du droit
international. Ellesseraient sinon inutiles (18).
8_ L'examen de la jurisprudence internationale laisse aussi perplexe sur le statut coutumier de l'obligation contenue dans
l'article 18 alinéa a) de la Convention de Vienne. Dans le sens d'une
reconnaissance, un tribunal arbitral saisi d'un différend entre le
Mexique et les Etats-Unis, déclara en 1871 que les conséquences
d'un traité inhérentes à l'état de paix, notamment en termes de cession de territoires, surgissent dès le moment de la signature du
traité plutôt que de sa ratification (19).
Cette déclaration fut reprise par l'arbitre Lieber dans]' affaire
19naào Torres, rendue la même année, et ayant trait à des dommages causés au plaignant par des troupes américaines après la signature du Traité de paix de Guadeloupe-Hidalgo entre le Mexique et
les Etats-Unis d'Amérique mais avant la ratification (20).
En 1875, dans l'affaire RevUla, issue du même contexte que
l'affaire précédente, l'arbitre saisi estima que
tIn the opinion of the Umpire the claim comes under the 13 th art·icle of the
Convention for the suspension of hostilities [... ]. If the trea-t y ha.d not been ratified and the war had oontinued the Convention might al80 have fallen to the
ground [ ... ] but the ra.tification of the treaty con firmed instead of annulling the
(18) Ph. CAHIER, op.
cit. 8upra note 10, p. 33.
(19) tIf a peace-treaty were signed with a moral certainty of its ratification and one of the
belligerents were, after thÎs, making grants of land in a province which to be ceded, befme the
final ratification, il. would certainly be considered by every honest jurist 8. fraudulent. and invalid
transact.ion.. J.B. MOORE, Hillary a7id Digest of lAt l'Altrrtalio1Wl1 ArbilraliOA8 10 Whic.k the
UflilM Statu H(JIJ &rn a Parly , vol. IV, Waahington, O.P.O., 1898, p. 3801.
(20) Ibid., pp. 3798·3801. L'a.ffaire Taena·Ariea contient des passages similaires. D'apres
l'arbitre dans cette affaire, .it followlJ from what has been !laid that the provisions in question
of the Treaty of Ancon must be regarded as still in effeet unless the course of ChUe in the admin·
istration of Tacna and Arica has been of 8uch a character as to frustrate lobe purposes of these
provisions and hence to deprive them of force [... 1. The Arbitrator finds the conolusion ineBcapable that the territory continued umbject to Chilean law8 and authorityt pending the negotia·
tions for the special protocol. The question is whether this !l.uthority has been uscd in suoh a. way
&1! to frustrate the purpose of the agreement for the plebiscite;, voyez Prolocol of A,bilraHo"/l
b~lwun
OMlt! and Peru, 'Witlt Suppkmenlary Act (TaGfta-Ariea Que81ion (Chilt!/Pertt)) , R.S.A .,
vol. II, pp. 934·935.
1
ARTICLE
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CONVENTION DE
1969
597
provisions of the Convention 38 far as the iotervaJ between the signature and
the ra.tification of the treaty wu concerned . (21).
9. La délicate problématique de l'obligation induite par la signature d'un traité, se posa plus tard, en 1921 dans l'affaire des réparations allemandes. L 'article 260 du Traité de Versailles prévoyait
que l'Allemagne devait céder à la Commission des Réparations certains droi ts et intérêts qu'elle possédait dans un certain nombre de
concessions et entreprises d'utilité publique. Le problème était de
savoir quelle date devait être prise en considération pour déterminer quell es étaient les concessions et entreprises visées par
l'article 260. S'agissait-il de la date de signature, de celle de la ratification ou de l'entrée en vigueur du Traité de Versailles! Pour la
Commission des Réparations, c'étai t la date de la signature car
autrement, le Gouvernement allemand aurait pu, entre la signature
et la mise en vigueur du traité, favoriser la disparition des droits
susceptibles d 'être livrés. La Commission justifiait sa thèse en soutenant que la ratification avait un effet rétroactif. De l'avis du Gouvernement allemand, les obligations découlant du traité ne pouvaient surgir qu'au moment de son entrée en vigueur. L'arbitre , en
se rangeant à cette dernière manière de voir, a toutefois souligné
que:
~[ ... ] le Gouvernement allemand a reconnu que ce serait contraire à la bonne
foi si après la. signature, il avait pris des mesures quelconques pour faire passer
des droits ou intérêts allemands en des mains non allemandes avant la mise en
vigueur du traité. (22).
(21) Ibid., pp. 3805-3806. D'autres exemples sont fournis par la jurisprudence arbitra le. Dans
l' affaire A. Kemeny c. Y'Ugrulatl Slale de 1928, le tribuna.l a.rbitral a considére que . the Hungarian authorities were entitled to grant to the ch.imllnt the mining rights in question. The Armistice Agreement did not have the effect of trans(erring 8O\'ereignty to the Yugoalav Go\rermnent
over the oecupied territorÎel!. The Hungarian authorities in question, i.e. the Department of
Mines in Budapest, continued, until the entry into force of the Treaty, to exercise the relevant.
rights of sovereignty over these terri tories. On the other hand, according t.o a generally fecogn·
isoo mie of intemationallaw, the Yugoslav Government was authorised to replace the Hungar·
ian a.uthorities in the occupied territory by ih own officia.ls, and e<rell to create new organs in
IW far 88 this was necessa.ry for safeguarding public order and the ei:onomic well-being of t-he
territory" in A. D. , vol. 4 (1927/1928), p. 550. Dana l'affaire A1Ulya de 1868, J'arbitre a jugé que
tupon the negociation of a. t-reaty of peace il. is customary te Agree upon a suspension of h06tilities, and even without it the good feeling of the belligenmte would impress them with ~he
expediency of suspending hostilities i but the treaty itaelf, unless it should expressely so dedare it,
does not necessarily and of right involve a suspension of hostilities., in J.B. MOORE, op. c.if. $'I/.pra
note 19, p. 3804. Ces deux affaires sont considerées comme probantes dans le débat-su r la vlI.leur
juridique de la signature par certains auteun (W . MORWAY, op. c.iI. 8l'pra note Il , p. ol56,
note 13 ; L . OPPENH81M, op. û l. ",.pra note 15. p. 1239, note 1).
(22)R.8.A., vol. 1, p. 523.
598
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M. M. MBENGUE
10. Une autre sentence, rendue en 1926 par un tribunal arbitral
mixte saisi d'un différend entre la Grèce et la Turquie et concernant
des actes accomplis par le Gouvernement turc entre la signature et
la ratification du Traité de paix de Lausanne, indiqua que:
t[ ... ] il eet de principe que déjà avec la signature d' un t.raite et avant sa mise
en vigueur, il existe pour les parties contractantes une obliga.tion de ne rien
faire qui puisse nuire au traité en diminuant la portée de ses clauses [... J. Ce
principe - lequel en somme n'est qu'une manifestation de la:bolUle foi qui est
à la. base de toute loi et de toute convention - il reçu un certain nombre
d 'a.pplications dans divers traités [... h (23).
11. Pour sa part, la Cour permanente de Justice internationale,
en 1926, dans l'affaire de OertainIJ intérêts allemands en Haute Silésie polonaise , a eu à se prononcer sur la question. En l'espèce, il
s'agissait de l' aliénation par l'Allemagne de certains biens qui se
trouva.ient SUT un territoire devant passer sous souveraineté polonaise, aliénation qui avait pris place avant l'entrée en vigueur du
Traité de Versailles. Pour le Gouvernement polonais :
.
«[ ... ) à. pa.rtir de la signature du tra.ité, le Gouvernement allemand devait
s' abstenir de tout acte qui devait rendre impossible J' exécution du trait.ê; [ ... ]
par sa signature, il était déjà tenu non pas à transférer les biens immédiatement, mais à. les garder afin de les transmettre aprês la mise en vigueur du
traitéll .
Toujours selon la Pologne, l'Allemagne pouvait exercer des actes
d'administration, mais:
t[ ... ] ne peut plus porter atteinte à la substance même des bi ens cédés ... le
princip e d e la bonne foi, dans l'exécut,ion des obligations s'y oppose
nettement. (24).
La Cour n' a pas adhéré à la thèse polonaise (25) mais a toutefois
déclaré:
.L'Allemagne 8. conservé jusqu'au transfert effectif d e la souveraineté le
droit de disposer de ces biens, et ce n'est qu' un abus de ce droit ou un manquement au principe de la. bonne foi qui pourraient donner à un acte d 'a.liénation le ca.ractère d' une violation du traité, (26).
c. Elal turc, arrêt du 26 juillet 1926, Ru,ueil du décisions de" Iribunaux
(23) Affaire M~Qalid"
arbilraux mixte" in8titué8 par les lraités de paix, vol. VIII, 1928. p. 395.
(24\ C.P.J .I.. 1926, Strie a, nO Il, vol. l, p. 183.
(25) Selon la Cour, il n'existait aucune obligation de ne pEtS aliéner certains biens. ~Dans
ces
conditionilt, Il affirmé la a.p.J.I., .il n'est pas nécessaire pour III. Cour d'u :aminer la question de
savoir ai, et le cas échéant, jusqu'à quel point, les signataires d'un traité ont l'obligation de s'abstenir de tout acte pouvant compromettre son exécution une fois ratifié., C.P.J.I.. Sirie A, ne i,
pp.
38-39.
(26) ibid., p. 30.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
599
Ainsi la Cour permanente de Justice internationale a reconnu en
filigrane, l'existence et la réalité d' une obligation attacbée à la
signature d'un traité (27), Cependant, le seuil de gravité fixé par le
tru cbement des critères d' , abus de droit» ou de ,manquement au
principe de bonne foi . pour matérialiser et prouver le défaut ou la
non-exécution de ladite obligation, a été rehaussé, L'Etat signataire
jouit d'une marge assez large de discrétion dans le respect du traité
en question avant le moment de la ratification, La seule faculté
d'allégation d'une violation du traité signé réside dans le recours à
la théorie de l'abus de droit ou au non-respect du principe de bonne
foi, Ces deux notions font largement appel - notamment l'abus de
droit - à des éléments d 'appréciation in conereto, qui sont appelés
à va.rier d' une situation à l'autre et qui ne sont pas aisés à prouver.
12, Quant à la Cour internationale de J nstice, elle a aussi été confrontée à la problématique de l'effet de la signature d'un traité par
un Etat, dans l'affaire du Plateau continental de la Mer du Nord,
en 1969 (28), En effet, s'est posée accessoirement , en l'espèce , la
question de savoir si la République fédérale d'Allemagne qui avait
signé la Convention de Genève sur le plateau continental , et avait
expressément manifesté son intention de la ratifier, était liée pa r les
dispositions dudit traité, en ce qui concerne notamment le principe
(27 ) Pour R. KOLB . ,[oTeat un tlut;re BSpect de cet arrêt "qui m érite d'être relevé. Suiva nt en
cela l'argument.ation allemande, la Cour a reconnu que des actes etaliques quelconques, y compris les actes ayant influence sur les contenus du t raité signé, restent soumis ft l'interdiction générale de l' abus de droit. On peut déd uire de cet· arrêt que les obliga.t.ions spéciliques de ne paa priver un traité signé de son objet et de son but (s ur lesquelles la. Cour évite de prendre position)
se doublent d'une obligation générale, non proprement préconventionnelle, d'agi r dc bonne foi,
en l'occurrence de ne pas abuller d' un droit ou d'une liberté. Le rapport ent.re.les deux obligations
relève du principe de spéciali té, il n'est pourtant pas ell(J!u qu'elles puissent s'appliquer simultanément afin de se renforcer et de pallier d'éventuelles l acu
n es~
(La bonne foi en droit imernalional
publie- GOll.tribulion à l'ehule de8 p rincipes géni raux de droit, Paris, PUF , 2000, p . 193)_ Voyez
aussi, A.G.D./_, 1966, vol. II , p. 220: .Dans l'affaire relative'" Gertains iw.té,êt.f aUemanda eu
Ha.vU -Sili&ie polonaÎ8e la Cour permanente d e justice intern ationale paraît. certainement. avoir
reconnu que, s'il y a. ratification , J'abus de droit commis par un Etat signataire penda.nt la.
période qui a précédé la ratification peut être assimilé à Ulle . iolation de ses obligations à l'égard
du traite._
(28) Avant cette date, le p roblème de la signatu re a. été soulevé deva.nt la CIJ par les co nseils
des pa.rties dans]' affaire de la Stnltnct arbilrale wtdue pal' ft Roi d'EJJpagne It 23 décembl'e 1906;
.oyez Plaidoirie de P. DE VI8S0HT.R (Honduras), C.T.J., Mémoires, Plaidoiries el DOGuments, 1960,
\'01. TI, pp_ 161-162. La. partie adverse, le Nicaragua, esti mait que . la bonne foi s'oppose à. cc
qu'ent re la. signature d' un traité et 80n entrée en vigueur l'Etat cédant diminue la valeur du bien
cédé ( ... J. Le traitê produit donc dès sa signature eertains effets, encore qu 'on puisse les consiel,
dérer comme affectés d'une COndition auspen8ive ..... i", DuplifJue du Nicaragua, C.l.J., ~ lUmoir
Plaidoi,ie.s et Docutnenl$, 1960, "Ç'a!. 1. p. 793.
600
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
de l'équidistance. La Cour, résumant les positions des parties .
déclara:
.La. République fédérale a. signé la. Convention ruais elle ne l'a. jamais ra·tifiée
et n'y est donc pas pa.rtie. Le Danemark et les Pays·Bss admettent que dans
ces conditions la. Convention ne saurait en tant que telle être obligatoire pour
la République fédérale, c'est-à-dire la lier contractuellement. Ils soutiennent
que la Convention, ou le régime de la. Convent.i on [... ] est néanmoins devenue
obliga.toire pOUf la République fédérale d' une a.utre manièr~
: en raison not·a.mment de son comportement, de ses déclarations publiques et de ses procl amations, la République fédérale aurait assumé unilatéralement les obligations de
la Convention, ou manifesté 80n acceptation du régime conventionnel, ou
recOlUlU ce régime comme généralement applicable en matière de délimitation
du plateau continental •.
Modérant la position exprimée par le Danemark et les Pays-Bas,
la Cour enchaîna:
dl cst clair que la Cour ne serait justifiée à accepter pareilles thèses que
dans le cas où le comportement de la République fédérale aura·i t été absolument net et constant; et même dan s cette hypothèse, c'est-iL-dire si elle avait
eu vraiment l'intention de manifester qu'elle acceptait le régim e conventionnel
ou en reconnaissait l'a.pplicabilité, on devrait se demander pourquoi la République fédérale n'a pas pris la. mesure qui s'imposait, à savoir exprimer sa
volonté en ratifiant purement et simplement la Conventiom.
Et sur la portée générale de la ratification, la Cour fit cette mise
en garde:
.. En principe, lorsque plusieurs Etats, y compris celui dont le comportement
est invoqué et ceux qui l'invoquent, ont conclu UDe convention où il est spécifié
que l' intention d'être lié par le régime conventionnel doit se manifester d 'une
manière déterminée, c'est-à.-dire par l'accomplissement de certaines formalités
presentes (ratifi oation, adhésion), on ne saurait présumer iL la légère qu'un Etat
n'ayant pas accompli ces formalités, alors qu'il était en mesure et en droit de
le fai re , n'en est pas tenu d'une autre façon . D'ailleurS, s' il s'agissait de droits
et non d'obligations, en d'autres termes si un Etat essayait de revendiquer des
droits en vertu d'une convention à laquelle il n'aurait donné ni sa ratification
ni son adhésion alors qu 'il était habilité à. le faire, et s' il alléguait à. cette fin
qu 'il a proclamé sa volonté d'être lié par la convention ou a manifesté par son
comportement 80n acceptation du régime conventionnel, on lui répondrait simplement que, n'étant pas devenu partie à. la. convention il ne peut revendiquer
aucun droit à ce titre tant qu' il n' a pas exprimé sa volonté ou son acceptation
dans les formes prescrites [.. .J. Il est à. peine besoin de souligner les dangers que
présenterait la thèse ainsi soutenue pa.r le D&l1emark et les Pays-Bas si on
devait lui donner une portée générale en droit internationah (29).
(29) Arrêt du 20 feçorier 1969, Affaires du Plaleau conJimntal de la M er du Ntml (Ripubliqru
Fidiraie tl·Allemagne/Danemark: Ripublig-ru Fidirale d'Alkmag1lefPaY6-BMJ, C.I.J., Rec. 1969,
pp. 25-2i, §§27-33.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
601
Dans son opinion dissidente, le juge Morelli a estimé, contrairement à. la Cour, que la signature par l'Allemagne fédérale de la. Convention de 1958 sur le plateau continental traduisait dans une certaine mesure, la reconnaissance du caractère de règles de droit à. ses
dispositions (30).
13. Certaines décisions de juridictions nationales confirment
l'existence, au regard du droit international général, de l'obligation
énoncée dans l'alinéa a) de l'article 18 de la Convention de Vienne.
Dans l'affai re Polish State Trea8ury c. Von Bi8marck de 1923, la
Cour Suprême de Pologne estima que l'aliénation de propriété entre
la signature et la ratification du Traité de Versailles était juridiquement inadm issible . D'après la Cour polonaise:
. The tra,Dsfer of property to the defenda.nt having t&ken place after the
stgning of the Pesee Treaty of Versailles, sueb an action is contra.ry to the stipulations and the spi rit of the ssid Treaty, and the &.et transferring the property W8.8 therefore void. (31).
Cette même Cour eut à. connaître éga.lement d'un problème concernant un traité entre la Pologne et la Tchécoslovaquie réglementant des questions juridiques et financières entre les deux pays.
D'après cette Cour:
dt would not be in accordance with the principlcs of cquity [... ] if & Czech
national in the period during which only the exchange of ratifications IS being
awaitcd were denied the advantage of the valorisation stipulations under the
rules of the Convention [... ] .. (32).
Dans une autre espèce, la Cour Suprême d'Autriche statua, en
1956, sur un différend concernant une directive prise par l'Autorité
du gouvernement soviétique entre la signature et la ratification du
traité austro·soviétique de paix (33). Selon la Cour autrichienne, il
(30) lbid., p. 198. Selon le juge Morelli, .â propos de la Convent.ion, on peut faire remarquer
qu'elle & été signée p",r la. République fédérale. Cela veut dire que la République fédérale a participé à une opération f.e(:hnique qui , dans les limites oû 1& Convent.ion se propose un but de codificat.ion, a consisté à établir le droit international général. Par 8a signature la République fédéraJe 8. exprimé une opinion qui, dans les limites sus-indiquées, peut être qualifiée d'opinio juri8.
Mais il a'agit d'une simple opinion et non pas d'une déolaration de volonté qui ne pourrait. êt.re
faite que pat la ratification. En effet c'est seulement par la ratification que les Etats signataires
d'une convention expriment la volonté soit d'accepter dee: règles nouvelles soit, s'il s'agit d'une
convention de codification, de reconnaître comme obligat.oirea. des règles preexistantes •. Voyez
dans le même 8ens, l'opinion dissidente du juge LACHS, ibid .. pp . 219-240.
(31) A.D., '01. 2 (1923{1924), p. 80.
(32) Schrager c. Workmtn'8 Accidtnt In8urance lnatitute for Moavic and SilelJÎa, in A.V.,
voL4, 1927 - 1928, p. 399.
(33) D'apres les falts de l'affaire, _in July 1955, lIome t.wo months after the conclusion of the
Pesce Treaty with AUBtria.., one G., a. person appointoo. manager of the defendants' business by
,... ...,
.
~;
' . .1 -
602
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
y avait violation du principe de bonne foi et par conséquent invalidité de la directive. L'objet précis du traité de paix était la restauration de l'autonomie de l'Autriche et la fin du pouvoir soviétique. La reconnaissance de la légalité de la directive soviétique dans
la période entre la signature et la ratification aurait été contraire à
l'objet du traité (34).
Une vingtaine d'années plus tard, un tribunal. hollandais a eu
également il se prononcer sur l' effet juridique de la signature à
l'égard d' une autorité publique. En l'espèce, une dame s'était vue
refuser, contrairement à son fiancé , le d roit à être enregistrée
comme demandeuse de logement en vertu d'une loi municipale. Le
président du tribunal, après s'être référé aux Pactes sur les droits
économiques sociaux et sur les droits civils et politiques ) instruments signés mais non ratifiés par les Pays Bas, déclara:
J
tAJtbough t he Netberlands has Dot, as yet, ratified the Covenants, we are of the
opinîon tha.t current legal views in the Netherlands suggest that in establishing
directives implementing statutory regWa.tions, the publie authority may not place
(35).
impedimenta in the way of the citizen on the sole ground of bis or her sex~
A la lecture de cette dernière décision; on pourrait être porté à
croire que naît, à partir de la sign ature et en faveur des destinataires des actes futurs des autorités - qu'ils soient de nature législative, administrative ou judiciaire -, une «expectative rai son
nable
~
(legitimate expeetation) qu'ils seront en conformité avec le traité
signé par l'Etat mais non encore ratifié par lui.
14. Toutefois , toute conclusion, à ce stade, s' avérerait prématurée. Le décodage des travaux préparatoires dans le cadre tant de la
C.D.l. que de la Conférence des plénipotentiaires révèle d'autres pistes pour apprécier le caractère coutumier ou non de l'article 18. Si ,
au début de ses travaux, la C.D.I. a montré quelque host ilité à voir
introduire une telle obligation, elle a par la suite fait preuve de plus
one of the Occupying Powers , Î98UOO a directive, by agreement with t he members of the works'
couDeil of the defendant8, that no peJ'80D in the employment of the defendant8 cou Id henceforth
be dis missed without the consent of t.he works' couDcil. The e fTed. of this directive W88 t hat fo r
ail practical pUrpOse9 t he defendant8 were preduded from terminating a ny contract of employment of thair own accord. Whou the directive w&& issued the defendants' business wa& still subject to the control of the occupation authorities, but it waB weil known that within a very short.
time, within two months from the coming into opera.tion of t.he Peace Treaty with Austria, the
defendanta' business would be freed from control [ ... l', TermlM !ion of EmploymenJ (Austria)
Crue 156, /.L.R., vol. 23 , 1956, pp. 470-471.
(34) 16;0., pp . .,0-471.
(35)X. t; . Mayor aftd Aldtrmen of Haarlem, N.Y.I.L. , J9ï8, p. 474.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
603
de réceptivité. Brierly, premier Rapporteur en la matière, avait, en
1951 , prévu un projet d'article aux termes duquel :
,Under so rne eircum stances [ ... ] good faith may require that pending the
entry into force of the treaty, the State shall, for a reasonable time atrer signature, refrain fro m taking action which would render perform an ce by any party
of the obliga.tions stipulated impossible or more difficult. (36) .
Néanmoins, il avait tenu à préciser qu' il s'agissait beaucoup plus
d'une obligation morale que juridique et qu' il n'était pas nécessaire,
par conséquent, de la mentionner dans une disposition du projet.
Malgré l'opposition de certains membres de la C.D.I. qui estimaient
qu'il s'agissait d'une véritable règle de droit international , la majorité vota en faveur de la suppression de la clause.
15. La suite des travaux relatifs à l'article 18, alinéa al a reflété
un changem ent graduel de position. Dans son projet de 1953, Sir
H . Lauterpacht, deuxième Rapporteur spécial, réintroduisit, dans
des termes un peu différents, la clause supprimée. D'après son projet, l'Etat était obligé
t [.. ,] to refrain, pria r to ratification, frOID a.ny !.Let intended substantially to
impair the value of the undertaking as signed) (37).
Le troisième Rapporteur spécial, Sir G. Fitzmaurice, suivit la
même logique, bien que sa proposition fut énoncée en des termes
plus prudents:
.La. signa.ture peut en attendant une décision défini tive au sujet de la ratifi cation ou durant une période raisonnable, entraîner pour Je gouvernement de
l' Etat signataire, l'obligation de ne prendre aucune mesure visa.nt à contrecarrer ou à entraver les objectifs du traité . (38).
16. Toutefois, c'est seulement à la suite du r apport de Sir
H. Waldock que la C.D.I. va sérieusement étudier le problème. Son
projet d'article disposait :
. L'Etat signataire, ta-nt qu' il n'a pas notifié aux autres Eta.ts interessés sa
~at ion
ou l'accepta.tion du tra.ité ou, à dêfaut de
décision co ncernant la ratif
notification, tant qu' un déla.i raisonnable ne s'est pa.s écoulé, est tenu de s'a-bstenir de bonne foi de ne rien faire dans le desseÎn de contrecarrer les objectifs
du t ra Îté ou d'entra.ver son exécution future » (39).
(36) Deuxième rapport sur le droit des traités, A.C.D.I., 1951. vol. li, p. 73.
(37) Rapport sur le droit des traités, ibid., 1953, vol. Il , pp. 108· 111.
(38) C'est J'article 30, alinéa l, paragraphe cl de son proj et . Voyez Rapport 8ur le droit des
tra.ités, A.C.D./ ., 1956, vol. II, pp. 4-5-46.
(39) C'est l'article 9, alinéa 2, paragraphe cl de 80n p rojet . Voye'l. A.C. D.I., 1962, vol. I,
pp. 99-109 et 235.
604
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
La C.D.I. a été, dans l'ensemble, favorable à cette proposition.
Elle a souligné l'importance de la bonne foi à ce stade de la conclusion du traité. En outre, en réponse à une contre-proposition de
M. Castren selon laquelle la responsabilité de l'Etat n'aurait pu surgir qu'après la ratification du traité, on a fait valoir que l'obligation
d'abstention ne provenait pas du traité lui-même mais du droit
international général qui attribue cet effet juridi.que à la signature
et cela indépendamment de toute ratification (40). De même,' les
observations produites par certains Etats n'ont pas fait montre
d'une réticence réelle à l'égard de l'obligation induite par l'article 18
alinéa a) (41). Au contraire, certains gouvernements, comme celui
des Etats-Unis, sont allés jusqu'à dire dans leurs observations que
le projet de la C.D.1. «reflète les normes généralement admises du
droit international. et même englobe des mormes actuelles» (42). Le
principal point de discordance entre les gouvernements et la Commission a porté sur l'obligation de s'abstenir d'actes susceptibles de
nuire à l'objet d'un traité pendant la négociation.
17. Cette question a ressurgi lors de la Conférence de Vienne. Peu
nombreux ont été les Etats qui ont milité en faveur de la suppression
de cette disposition en son entier (43). La majorité des Etats qui sont
intervenus dans les débats n'ont pas fait mention de l'inapplicabilité
ou de l'inopportunité de l'article 18 en ce qui concerne l'effet juridique et l'opposabilité de la signature d'un traité. Bien au contraire,
nombre d'Etats ont tenu à rappeler, tout comme lors de la discussion
du projet de la C.D.I., soit que cette disposition était en «conformité
avec les règles générales du droit internationah (44), soit qu'elle
«appartient au développement progressif du droit internationah (45),
soit encore qu'elle ,énonce des règles de droit,) (46). Ces formulations,
bien que différentes, reconnaissent un certain caractère opérationnel
(40) Ph. CAHIER, op. dt. rnpra note 10, p. 35.
(4l) Seul le Japon a proposé la. suppression de l'ensemble de l'article 17 du projet de la C.D.I.
(devenu par la suite l'artide 18 de la Convent.ion de Vienne). Voyez Sir Humphrey WALDOCK,
Quatrième rapport sur le droit des traités, A.C.D.I., 1965, vol. II, p. 46.
(42)11 s'agit de l'article 17 du projet de la C.D.T.; ibid., p. 46.
(43) Voyez les interventions de la Turquie, du Liban, de la République de Corée et de l'Iran:
Conférence, première session, 1968, Doc. off, C.R.A., 1"'" sess., 19·m~
S., pp. 109-111. L'amende·
ment présenté par le Royaume-Uni visant la suppression de l'article 18 n'a recueilli que 14 voix
contre 74: doc. off. AG NU AfCONF.39/C.l/L.135, Doc. off., C.R.A., 110 ..., sess., 20èm~s.,
p. 105.
(44) Voyez les observations de la Suisse: Conférence, première session, Doc. off., C.R.A.,
1·..., sess., 1geme s., p. 106.
(45) Voyez les observations de la Grèce: Conférence, première session, ibid., p. 107.
(46) Voyez les observations de l'Italie: Conférence, première session, ibid., p. 108.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
605
et obligatoire il. l'article 18. Les autres observations étaient plus centrées sur des questions d'ordre rédactionnel.
18. Il découle des travaux préparatoires que l'article 18, alinéa a)
de la Convention de Vienne n'est pas entré ex nihilo dans le corpus
du droit des traités. Malgré le fait que la pratique et la jurisprudence
internationales ont souvent confiné son application au domaine particulier des traités d e paix, et que la doctrine n'est pas unanime sur
la portée de cette règle, elle a reçu droit de cité dans la Convention
de Vienne. L 'article L8 ne saurait, dans cet ordre d'idées, être assimilé à une simple règle «dérogatoire au droit commun> (47) , et
encore moins être considéré comme une .erreurl (48) dans la Convention de Vienne. Les travaux préparatoires de la Convention de
Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations
internationa.les ou entre organisations interna.tionales , ta.nt au
niveau de la C.D.I. que de la Conférence des Nations Unies, ont été
caractérisés par l'absence d'observations et même d'examen au fond
de l'article 18. En outre, ce dernier a été adopté sans qu'il soit procédé il. un vote. Cette transposition de la règle de 1969 dans la Convention d e 1986 est une marque de répétition d'une norme. Ainsi ,
bien que la régIe soit reprise dans un nombre limité de conventions
- d'ailleurs quelles dispositions de la Convention de Vienne pourraient se targuer d 'être souvent et expressément citées dans les
accords internationaux 1· un premier élément d e formation de la coutume internationale se fait ressentir a priori.
19. Qu 'en est-il d'une opinio juris en la matière 1 L'absence d'exa·
men au fond et même d'objection de la part des Etats au moment
de la Conférence des Nations Unies apporte l'i ndication d'une
acceptation de l'obligation posée par l'article 18 alinéa a) de la Con·
vention de Vienne comme règle consubstantielle au droit des traités.
20. Le comportement étatique subséquent il. l'adoption et à
l'entrée en vigueur de la Convention de Vienne confirme à bien des
égards la pertinence juridique de l' article 18 alinéa a). En 1977, le
Bureau juridique du Gouvernement du Canada a considéré, en ce
qui concerne l'Accord de Réciprooité sur la P êche du 24 février 1977
signé et non ratifié par les Etats· Unis:
(4i) J . N ISOT, op. cil. ktl.pra note 10, p. 503 .
(48) Ph . CAlURR, op. à t . .wpTa note 10, p. 3'7.
606
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
dt should be remembered that in any case aState which has signed a treaty is
ohliged ta :refrain from acta which would defea.t the abject and purpose of the treaty
uutil it shall have made its intentions dear flot to become party to the treay~
(49).
De même, le Gouvernement néerlandais, répondant à une question écrite de parlementaires à propos de la relation entre la signature et l'approbation parlementaire d'un traité, a soutenu que:
~Considerg
the generally recognised principle of internationallaw, that by
signing an agreement aState undertakes ta refrain from any act contrary ta
it [ ... ] the Government wishes ta assess the consequences of participation
before signing the agreemenh (50).
La direction du droit international public du Gouvernement
suisse, dans la même lancée, a affirmé que:
GLa période qui s'écoule entre la conclusion et l'entrée en vigueur du traité
a une signification juridique en ce sens que l'Etat qui a signé le traité [ ... ] doit
s'abstenir d'actes qui priveraient un traité de son objet et de son but» (51).
D'autres déclarations émanant notamment des Etats-Unis (52) et
de l'ex-U.R.S.S. (53), confirment l'existence d'une obligation du
(49) Ann.Oan.D.I., 1978, p. 366.
(50) N. Y.LL., 1975, pp. 283-284.
(51)A.S.D.I., 1977, pp. 150-151.
(52) Le 4 janvier 1980 le Département d'Etat. publia une déclaration selon laquelle .the U.S.
and the Soviet Union share the view that under international law aState should refrain from
taking action which could defeat the object and the purpose of a treaty it. has signed subject ta
rat.ificatiom, in M. N.o\SH LEICH (ed), Diges! oJ Uni!ed States Practice in International Law, 1980,
Washington, Office of the Legal Adviser, Department of State, 1986, p. 398; voyez la lettre de
Elliot Richardson, Représentant spécial du Président il. la Conférence sur le droit de la mer au
membre du Congrès Gerry Studds et portant sur l''effet juridique potentiel de la signat.ure par
les Etats-Unis de la Convention sur le droit de la mer: .Signature [... ] under cUBtomary internationallaw imposes no obligation other than refraining from acts which would defeat the object
and purpose of the treaty: This very general obligation continues only until such time as it
becomes clear that the State no longer intends to become a party t.o the treaty [... ]» (cité par
P.V. McDADF., tThe Interim Obligation Between Signature and Ratification of a Treaty: Issues
Raised by the Recent Actions of Signatories to the Law of the Sea Convention with Respect t.o
the Mining of the Deep Seabedt, N.l.L.R., 1985, p. 13). Voyez aussi les réponses du Conseiller
juridique du Département d'Etat concernant l'application provisoire des traités: .In the majority of cases the obligation not to defeat the object and purpose of the t.reaty means a dut y to
refrain from taking steps that would render impossible future application of the treaty when ratified [... ] [this is] [... ] a customary international rule, in the Vienna Convention on t.he Law of
Treaties, and in United States Law. (A_J.I.L., 1980, pp. 931-933). Voye1_ encore le mémorandum
du 21 février 1980 de Robert Owen, Conseiller juridique au Département d'Etat, selon lequel:
_[ ... ] Moreover the growing body of case law which regards the Vienna Convent.ion as evidence
of contemporary customary internationallaw makes cleu t.hat whatever doubt may have existed
in the past, the rule expressed in Article 18 of the Vienna Convention has become a legal obligation binding upon ail Staes~
(cité par P. V. McDADE, ibid., p. 13). En ce qui concerne le Traité
sur la Lune du 5 décembre 1979, le Service de recherche du Congrès américain estima:
~Acording
to Article 18 of the Vienna Convention on Treaties, a signatory would be obligated
to refrain from acts which would defeat the object. and purpose of the agreement until it makes
its intention clear not ta become a party to the agreement., in M. NASH LETCH (ed.), ibid., p. 701.
(53) L'ex-U.R.S.S. a fait plusieurs allusions, pendant et après la Conférence de Vienne sur le
droit des traités, au fait que l'article 18 ou son prédécesseur, l'article 15 du projet de la C.D.I.,
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
607
droit international général de s'abstenir d'actes qui priveraient un
traité de son objet et de son but entre la signature et la ratification .
Toutefois , l'attitude concrète des Etats varie souvent au gré des circonstances. Par exemple, la Convention de Montego Bay sur le droit
de la mer, particulièrement en sa Partie XI , offre une illustration
des limites auxquelles peut être confronté l'article 18 de la Convention de Vienne. En effet, certains Etats signataires, notamment la
France, l'ex-U.R.S.S. et le Japon ont adopté des législations sur
l'exploitation des fonds marins qui se rapprochaient beaucoup de
celles d'Etats non signataires à l'époque, en l'occurrence les EtatsUnis (54), le Royaume-Uni et la République fédérale d ' Allemagne (55). Le problème réside dans le fait que ces législations adoptées par des pays signataires allaient partiellement à l'encontre de
l'objet et du but de la Convention de Montego Bayet de sa
Partie XI (56)_ Or, avec la révision en 1994 de la Partie XI de la
Convention de Montego Bay par un accord reflété dans la Résolution 48/263 de l'Assemblée générale des Nations Unies, l'obligation
contenue dans l'article 18 de la Convention de Vienne a été reprise
dans le paragraphe 6 de la Résolution qui demande aux Etats . qui
consentent à l'adoption de l'Accord de s'abstenir d'actes qui le priveraient de son objet et de son but> (57). Ceci étant, la fréquence de
respect ou de non-respect par les Etats signataires de l'obligation
d'abstention contenue dans l'article 18, ne préjuge en rien de la réalité de l'obligation . Sinon que dire de la ratifi cation des traités qui
représentent le droit international coutumier. Diverses déclarations soviétiques en relation avec
le Traité SALT II affirment le caractère coutumier de l'obligati on contenue dans l'a,rticle 18:
voyez à. cet égard , R.F. TUR!-iBR, ( Legal Implications of Deferring Ratifica.tion of Salt nI,
VaJIL, 1981 , pp. 766-767.
(54)Seloo le Sénateur ltluskie intervenant danS le débat lIur la Zone des fondll ma.rios, . [ ... ]
that the affixing of the mere signature of Any executh-e brnnch offieial on the Law of t.he Sea
Treaty or any othe r treaty wîll oot bind this body from taking aoy actions which aoyone c1aims
would defeat the object a.nd purpose of the treaty., in M. NASH LEleH, op. cil. 8upra note 52,
p. 691. La réplique de l'Amba.ssadeur Richardson du 21 décembre 1979 s'opposa il. cette manière
de voir: .I nternational law imposes no obligation upon a. signatory ta a treaty to oomply with
itll terms prior ta entry into fo roo with respect to tha.t lIignatory , other than the obligation in
good faith ta refrain from ~r.s
which oould defeat t·he abject and purpose of the treaty., ibid. ,
p. 692.
(55) ]1 faut préciser que ces Etats ont clairement exprimé leur intention de ne jamais ratifier
la Convention sur le droit de la mer telle qu'adoptée en 1982. Il cet évident qu'en pareil cas,
l'article 18 de la Convention de Vienne ne s'applique pas.
(56) Voyez. pour une ana.Jyse complète de cette situation, P.V. McDADE . op. cil. supra
note 52, pp . 28-47.
(57).VA83emblée Génêrale [ ... ) demande a.ux Etats qui consentent âl'adopt.ion de l'Accord
de s' abstenir d' actes qui le priverait de 80n objet et de son but ...•• doc. off. AG NU AfRESf48f
26.
608
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
ne s'accompagne pas souvent - et même parfois pas du tout - de
l'application desdits traités, et qui pourtant n'altère en rien la réalité de l'obligation juridique qu'elle implique?
21. Il ressort de l'analyse que l'article 18, alinéa a) reflète un
principe de droit international auquel les Etats se considèrent liés
soit au titre d'une obligation découlant de la signature d'une convention ou d'un traité soit d'une obligation qui existe en droit international général indépendamment de toute signature ou ratification
d'un instrument juridique. Il est vrai toutefois que les contours de
ce principe ne sont pas toujours bien définis.
II. -
PROBLÈMES D'INTERPRÉTATION
22. Le contenu de l'article 18 de la Convention de Vienne laisse
apparaître des subtilités relatives aux notions sur la base desquelles
l'architecture normative de cet article est construite. Subtilités en
ce sens que la matrice lexicologique et sémantique de l'article 18 qui
semble prima facie offrir l'image d'une disposition où tous les concepts sont clairs, fait en réalité prévaloir un brouillage du contour
des notions utilisées. C'est vrai pour la notion d'objet et de but d'un
traité (l) comme pour celle de la signature mentionnée dans
l'alinéa a) de l'article 18 (2).
1. - Le8 notion8 d'.objet. et de .but. d'"n traité
23. Les obligations énoncées par l'article 18 de la Convention de
Vienne ont pour domaine d'application ratione materiœ l'objet et le
but d ' un traité. En effet, aux termes de cet article :
tUn Etat doit; s'a.bstenir d'a.ctes qui priveraient un traité de son objet et de
son but;.
Cette obligation d'abstention perdure pendant la période allant
de la signature à la ratification ainsi que celle qui va de la ratification à l'entrée en vigueur dudit traité.
a) Acte8 vi8é8
24. Quels sont les actes auxquels il est fait référence
conorètement 1 Certaines hypothèses d'aotes entrepris avant l'entrée
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
609
en vigueur d'un traité qui affectent ou rendent sans objet le régime
dont il est porteur ont été formulées. Sir Waldock a donné
t[ ... ] l'hypothèse d'un Etat qui , a.u cours de négociations rela.tives â. Ja.limite
des eaux territorial es, engagées en relation aveç J'exploita.tion de ressources
minérales, épuiserait les réserves minérales dont l'ex istence était 8. l'origine des
négociations. (58).
Robert Kolb a proposé d'autres exemples de situations régies par
l' article 18 de la Convention de Vienne:
«Un tra.ité prévoit la démilitarisation , la. dénucléarisation, la non-fortifiea.tian partielles ou d'autre statuts objectifs pour un territoire déterminé à. partir
de son entrée en vigueur. La mesure des obliga.tions doit dépendre du nombre
et de la nature des installat.ions au moment de l'entrée en vigueur du traité.
A vant celle-ci et aux tins de se mettre en meil1eure position, l'Etat dont relèvent ces territoires a.ugmente considérablement ses armements ou fortifications
dans l'aire frappée par l'a.ccord •.
Ou encore:
«Une convention multila.térale prévoit l' exploration et l'exploitation d'une
zone non soumise il. la souveraineté étatique pe.r le biais d'une autorité représentant l'humanité. D e ce fa.it, la convention (ou des résolutions qui l' Q.ceompagnent) exclut toute exploitation unila.térale. Or, a.rguant du régime de liberté
du droit interna.tional général , c'est précisément ce que font une série d'Eta.ts
signataires technologiquement a .... ancés , opposés au régime prévu par la. convention sur ce point. Eventuellement, ils prennent soin d'affirmer le caractère provisoire de leurs démarches qu'ils subordonnent à. l'entrée en vigueu r du traité
en acceptant de les harmoniser avec son régime dès son entrée en vigu euu (59).
A propos du Statut de la Cour pénale internationale, il a été souligné que serait contraire à l'objet et au but du Statut le fait , pour
les Etats signataires, de conclure des accords bilatéraux avec les
Etats-Unis pour éviter que le personnel militaire américain ne soit
poursuivi devant cette juridiction (60) :
«The [European] Commission has concluded tha.t the signatoriea ta the !CC
would violate the treaty if they signed bilateral accorda with Washington
exempting US personnel from being handed over to the court for prosecution
over alleged war orim es. (61).
b) Portée de l 'expression (Objet et bull
25. Les notions d'objet et de but constituent un socle fondamental de la matière du droit des traités. On les retrouve dans plu(58) Conférence, Première SesKion, Doc. off., C.R.A ., 1~"'
sesS., 2tim e S. , p. 113.
(59) R. KOLB , op. cil. &upra note 27, p. 183.
(60) ,EU Tries to Avoid Confli ct With US Over Court., Finamial Times , 29 août 2002. p. 4.
(61) Ibidem.
610
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M. M. MBENGUE
sieurs dispositions de la Convention de Vienne qui traitent notamment des questions de réserve. et de l'interprétation (62). La
jurisprudence internationale s'y réfère aussi en matière d' interprétation des traités conformément - ou du moins de manière compatible - à .l'esprit. (63), ou à .l'objet» et au .but. (64) desdits traités. Il ressort de ces éléments que les notions d'objet et de but
constituent une matrice substantielle , un substratum du droit des
traités. L'obligation posée par l'article 18 de la Convention de
Vienne trouve dans ce contexte tout son sens. En effet, il est logique d'exiger, d'un côté, que la formulation de réserves ou l'interprétation d' un traité soient compatibles avec l'objet et le but d'un
traité et, d ' un autre côté, qu' un Etat ayant signé ou ratifié un
traité ne le prive pas de son objet et de son but. L'article 18 de la
Convention de Vienne intervient essentiellement en amont de la
procédure de mise en œuvre et d'interprétation du traité . Il corres'
pond à une sorte de contrôle a priori du champ, de la nature et
du contenu de l'objet et du but d'un traité (65). Délimiter ainsi
l'objet et le but d'un traité aux fins de l'application de l'article 18
pourrait faciliter a posteriori la détermination du champ de compatibilité ou de validité des réserves (66) et de l'interprétation d ' un
(62)Yoyez les artioles 19 (c), 20 §2, 31 §l, 33 §4, 41 §l, 58 §l, 60 §3 de la Convention de
Vienne. En réalité, l'expres8ion d'whjet et buh trouve son origine dans un Rvis consultatif de
la. a.p.J.!. de 1926 rela.tif à la Compéteme de 1'(ftgatti6at;on internatUmak du Travail pOUf' rif/1er
aca830iremet!t le lmvail per&D'lf-7td de l'employeur (C.P.J .1., 1926, Série B, N° 13, p. 18). Dans cet
a"is, la. Cour parlait de l'tobjet et de la. portée. d' un traité (tthe aim and the 4COpet). Par la suite
d 'autres a.vis consultatifs e mployèrent l'expression mais avec des variations subl·iles: dans l'avis
dt la Conumùnt du 27 nootm/)re J919 entre la Gritt tt la Bulgarit ronurnant
sur l ' Ink1'prilao~
l·imigration. rêciprOfJue (C.P.J.1 ., 1930, Sbie B, N° 17, p. 21), on trouve l'expression de _but et
objeh (cthe aim and the objec/t); dans l'avis lIur l'Interprétation de la Convtntio-n de 1919 concernant le travail dt nuit du femmu (C.P.J.!., 1932, Strie AIB. N° 50, opinion dissidente du juge
ASZILOTTI, pp. 383-389), l'on parle de l' «objet et du but- (dhe 8ubject and ai11l. .I); da.nsl'avis sur
les Minorités en Haule-SUé.tie (C.P.J.T., 1935, Sùie AIB, N° 64, p. 15), l'on trouve ~le
sens et
l'esprit des traités . (uneaning and spirit of Ihe lrealit.u).
(63) Avis relatif il l'lnkrprilalion dM trailis dt paix concl"" avec la Bulgarie, la Hongrie et la
Roumanie. C.I.J., Rec. 19S0, p. 220.
(64) Usine th CM1'UJW. C.P.J.T ., 1927, Série A. nO 9, p. 24; Q«eslion.s du communauté" gricobulgaru, C.P.J.I. , 1928, Série B, nO 17, p. 19.
(65) Voyez l' opinion dissidente de Gavan GRII'FlTII dans Sentence du 2 juillet 2003, Di8pUle
Concerni1lg Article 9 of lM OBPAR Convention (lrlande c. Royaume-UK' ch Grande-Bretagne ft
d 'lrlande du Nord) , Cour Permanente d'Arbitrage, p. 70, §13: 1[ ... ] at the least , Article 18 of
the Vienna Convention applies to require the United Kingdom as a signatory Sta.te to the Aarhus
Convention, to refrain from acts that would defea.t its objects and purposes. Hence, to a limited
extent it may be lIaid that th e Vienna Convention hu the effect that the United Kingdom is
bound by ils abject and purpwe pending ratification •. DiHponible_sur: http://www.pca-cpa.org/
PDF/OSPAR %20Award.pdf
(oo) Cette idée d'un cont.rôle a priori Be ju stifie eu cgard au fait selon lequel une réserve for·
mulee ail moment de la signature d'un traite pourrait être confirmée ou infirmêe a u moment de
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
611
traité (67). Toutefois, la complexité inhérente aux notions d'objet
et de but rend délica·t le contrôle en tant que tel de l'application
conforme de l'article 18 par un Etat. La complémentarité entre
l'article 18 et les règles de la Convention de Vienne relatives aux
réaerves apparaît dès lors fondamentale.
26. Il convient de rappeler que dans le projet de la C.D.I. sur le
droit des traités, la notion de but n'était pas prévue expressément
dans le libellé de l'article 18. L'article 15 (ancienne numérotation de
l'article 18) du projet de la C.D.I. soumis à. la Conférence des
Nations Unies sur le droit des traités prévoyait tout simplement:
.Un Etat est obligé de s'abstenir d'a-e tes tendant à rédu ire à. néant l'objet
d'un traité envisagé. (68).
27. Lors de la Conférence, certains Etats mirent l'accent sur ce
problème d'ordre rédactionnel (69). La formulation exigeait un seuil
jugé trop élevé pour conclure à une violation. L 'expression empruntée au droit anglais (Iacts tending to jrustrate the objech) signifiait,
selon Sir H. Waldock, que:
«le tra.ité, en raison de ces actes, n'a. plus de sens et devient
saDS
objet. (70).
Plusieurs Etats préféraient une formulation qui préviendrait tout
risque d'atteinte, si minime soit-elle à l'objet et au but d' un traité.
Un amendement de la République du Vietnam fut introduit dans
cette perspective. Il se lisait de la manière suivante:
t[ ... ] Jes Etats sont dans l'obligation de ne pas réduire à néant, déna.turer ou
restreindre l' objet d' un tra-ité avant 80n entrée en vigueuu (71) .
l'expression du consentement à ètre lié selon qu'elle 6!t ou non oompa.tible avec l'objet et le but
d' un traité, D' a.iIIeurs, les proj eta de directive de la. Commission du droit international IIUT les
réserves aUI traités prévoie nt cet.te po88ibilité de confirmation/infirlDat io n d' une réserve formulée
au moment de la signature. En effet, le projet de directh'e 2.2. 1 (Confirmation formelle de8 reserves formulées lors de la signature du traité) stipule qu'en cas de confinnation au moment dt)
l'expression du consentement â être lié d'une réserve formulée à la signature, .Ia réserve sera
réputée avoir été faite à la date à laquelle eHe a étf: confirmée,. Voyez Dixième ra-pport 8ur les
ré"ervell auz traités , par Alain :Pellet, Rapporteur lpécial, doc. AJON .41558, 1er juin 2005, § 15, disponible Bur : http://www.un.org/la.wjilc/se88ions/57/57sess.htm#reservations
(67) Voyer. Arrêt. du J6 maT! 2001 , Affaire d e la. Dtfl
i m~ion
maritime et du quutimu feTTitorialu entre Qatar et Bahrel"n (Qatar et Bahrein), C. I.J. , Ru. 2001 , §89 : .La Cou r observe que
les accords signés mais non ra.tifiés peuvent constituer l'expression fidèle des ~'ues
communes dC8
parties à. l'époque de la signature. En l'espèce , la. Cour aboutit à. la. conclusion que la convention
anglo-ottomane établit quelles etaient les vues de la Grande-Bretagne et de l'Empire ottoman en
ce qui concerne l'étendue factu elle de l'autorité du souverain AI-Thani il. Qatar jusqu'cn 193~.
(88) Conférence, Première session, Doc. off., C.R.A. , le... sess., 20''''· 8., p. 106.
(69) Doc. off. AG NU AfCONF.39/C.lfL.129.
~ session, Doc. off., C.R.A .. le... sess. , 2<t me 8. , p. lIa.
(70) Confêre.nce, premi
(71)Doc. off. AG NU AfCONF.39fC. IfL. 124.
612
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
Finalement, la formulation retenue dans l'article 18 est celle selon
laquelle les Etats doivent s'abstenir d'actes qui .priveraient» un
traité de son objet et de son but (72).
28. L'introduction de la notion de but dans l'article 18 n'est donc
pas une simple (,clause de style)) ou une phraséologie destinée à
l'esthétique juridique (73). En plus d'un souci de parallélisme des
formes dans la rédaction de la Convention de Viénne, elle vise principalement à marquer la différence avec la notion d'objet. Différence qui ne doit pas s'interpréter dans le sens d1une autonomie,
d'une indifférence entre les deux notions mais plutôt d'une complémentarité dans l'appréciation du respect de l'obligation posée par
l'article 18 (74). Autrement dit, le terme .eh entre les deux notions
n'est pas superfétatoire (75) et exprime juridiquement l'obligation
pour l'Etat tant de respecter l'objet que le but du traité (76).
(72) Il faut relever en outre qu'un débat a eu lieu lors de la Conférence de Vienne sur le droit
des traités sur le fait de savoir si ,'élément intentionnel devait être pris en compte dans l'appreciation du respect de l'obligation de ne pas priver un traité de son objet et de son but. L'idée
qui fut retenue est que l'appréciation du respect de l'obligation devait se faire exclusivement de
manière objective pour éviter toutes diffi(lUltés. Voyez à cet égard, T. HASS.-\N, op. !!it. supra
note 15, p. 458.
(73) Pourtant selon Mr. Ya.sseen, Président du Comité de rédaction, l'ajout de la notion de but
«in no way affected the substance of the provisions and did not widen the obligation imposed
on States by article 15. It was nothing but a purely drafting change, made in the interests of
clarity •. Voyez doc. off. AG NU A/CONF.39/1I, p. 361.
(74) Un certain nombre d'auteurs considèrent l'expression wbjet et but. comme formant un
lien ombilical entre les deux termes de l'expression. Aussi ces deux termes ne sauraient-ils faire
l'objet de séparation absolue même si un traité peut comporter plusieurs wbjets et buts •. Ils doivent être déterminés l'un par rapport il l'autre. Voyez, par exemple, Sir 1. SINCLAIR, op. cil.
$upra note 8, p. 130. De même, M.E. VILLLGER, op. cil. supra note 15, p. 321; D.W. GRElO,
cReciprocity, Proportionality, and the Law of Treaties., VaJIL, 1994, p. 295.
(75) Il faut préciser que la doctrine anglo-saxonne et la doctrine française n'ont pas la même
idée de la distinction qui doit être faite entre la notion d'objet et celle de but. Par exemple, Jennings utilise l'expression .objet. et «but. comme une expression unique c'est-à-dire sans distinguer entre ses deux termes: Voyez KY. JENNINGS, fTreaties* in M. BEDJAOUI (s.l.d.), lnterna!Îonal Law.- Achievment$ and PTOJJpeets, vol. I, Paris, UNESCO, ]991, p. 145. Par contre, la
doctrine française en général considère l'objet et le but comme deux notions tout à fait distinctes.
O'est le cas de Rousseau qui différencie l'<<objel ou effet dirtcl et immédiat de l'ac/et du .but ou
résultat dt l'effet juridique produit par l'actt.: Ch. ROUSSEAU, Droit inlernational public, vol. 1,
Paris, Sirey, 1970, p. 272. Voyez auBSl, S. SUR, L'interprétation en droit international public, Paris,
L.G.D.J., 1974, pp. 227-231. Toutefois la doctrine française est loin d'être unanime sur ce point:
voyez à ce sujet, P. REUTER, .Solidarité et divisibilité des enga.gements conventionnels., in,
Y. DINSTEIN and M. TABORY (eds.), International Law at a Time of Perplexity_ ES8ays in Honour
of Shahlai Rosenne, Dordrecht, M. Nijhoff, 1989, p. 628; M. GoUNELLE, La nwlivation de6 actes
en droit international public, Paris, Pedone, 1979. pp. 47-49.
(76) La O.I.J. a eu expressément à. distinguer les deux notions dans l'appréciation des obligations qui pesaient sur les Etats parties aux litiges qui lui étaient soumis. Par exemple, dans
l'affaire des Actions armies frontalieres tt tran4rontalièrM - Compétence de la Cour et recevabilité
dt la requête (NicaraguafHondurM), Arrêt du 20 décembre 1988 (O.I.J., Rec. 1988, p. 89, §46),
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ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
613
29. La difficulté réside dans la ce.ractérisation preCIse de ce qUI
constitue chacune de ses notions vu qu'eUes sont souvent confondues. L'expression .objet et but» a été employée par la Cour internationale de Justice dans l'avis relatif aux Réserves à la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide . Selon la
Cour, l'expression semble vouloir signifier:
.[ ... ] ce qui est essentiel aux fins de la convention [ ... ]t, de manière à ce que
si ce but venait à manquer .la Conventi on elle-même so trouverait ébranlée
dans son principe comme dans son applica.tion. (77).
30. De même, il est intéressant de relever l' une des prétentions de
la Guinée·Bissau da ns l' affaire de la Délimitation de la frontière
maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau. Selon cet Etat, dans
l'interprétation de l'Accord franco· portugais de 1886 qui était en
cause, une distinction devait être faite entre l'objet et le but de
l'Accord. Et de préciser que le but de cet Accord était la délimitation et son objet les possessions des deux Etats (78).
31. Malgré son utilité, cette clef de lecture de l'objet et du but ne
permet pas de fixer la substance propre à chacune des notions en
cause. L 'obligation découlant de l'article 18 de la Convention de
Vienne Be trouve de ce rait confrontée à une difficulté d' objectiva·
tion de la notion d'objet et de but (79), laquelle difficulté peut limi·
1& Cour IL dit: . ( ... ] une telle solution !Jerait de fa-çon évidente contra.ire tlLnt li, l'objet qu ' au but
du Pacte •. Cette vision se retrouve dans l'affaire des Plalea-fOf'f7tU pitrolüre.a - E%uplioJU prilim;Miru (République 1 8 lamjq~
d 'Iran G. Etata-Unis d 'A miril'/iU), Arrêt du 12 dëcemhre 1996
(C.I.J., lùc. 1996, p. 810, § 18 et p. 813, §27) da.ns laquelle la Cour exami na séparément les vio·
lations potentielles du but et oelles de l'objet du traité en cause. Dans l'affaire du D,.oit d'aailt
(Colombie/Pérou), Arrêt du 20 novembre 1950 (C.J.J .• ReG. 1950, p . 282), la. Cour a examiné sépa·
rément l'objet de la Conventi on de La. Havane (fLa Convention de La Havane [... ] a. eu pour
objet, comme J'indique son prea.mbule, de fixer les règles que les Etats signataires sont tenus
d'observer pour la concellllioD de l'asile da.ns leurs relations mutuelles.).
(77) Avis relatif aux Rûerve.a à la C07lot:en1Î07lo pott,. la prevvdioll et la ripre88ion du. crime dt.
génocide, R ec. 1951, p. 27.
(78) Délimitation. de la Jrontibe 1naritime f7l.tre la Guinée et la Guinée- Bissau, Sentence du
14 février 1985, 1.L.R., vol. 77 , p . 636. La nature fl exible de la notion a. été expresséme nt recon·
nue pa.r la. C.D.I . lors de la présentation du projet d'articles sur la succession d'Et·ats devant
j' Assembl êe gémirale des N&.tions Unies: «La. Commission entend établir un critère juridique
objectif internat-ional de compatibilité qui , s'il eat a ppliqué de bonne foi , devra.it offrir une règle
ra.isonnable, !tOupie et pratique. L'incompatibilité avec le but et l'objet du traité et le change·
ment radic&1 des conditions de l'application du traité, notions employée8 dans d'autres contextes
par la. Convention de Vienne sur le droit de.a tra.itea, constituent en l'Occurrence [ ...1des c rit è re~
satisfaisa.nts permettllnt de t enir compte des intirêta de tous leI! Etats concernés, de toutes les
situations possibles et de toutes les catégories de traitel,., in, A.C.D./., 1972, vol. Il, pp. 237 et
Buiv. et p . 317.
(79) Lea commentaires de la C.D.T. ne sont d 'a ucun secou rs à ce sujet. Voyez, par exemple,
Sir G. FIT'lMA URICK , Rapport sur le droit des traitê8, A .C.D./., 1956, vol. Il, p. 104, projet. d'Inti·
des 30(1) (c) et 33(2). Voyez aU8si , Si r H. WAL OOCK, Premier rapport Bur le droit des t-raités.
614
L. BOISSON DE CHAZOURNES , A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
ter son effectivité et son efficacité et, par ricochet, exacerber les
contentieux entre Etats signataires (80).
32_ Un éclairage de la théorie générale du droit des obligations
permet d' affiner certains contours de cette définition. D 'après cette
théorie, le but ou la «eause. d' une convention désigne l'objectif ou
la fin poursuivie par ladite convention. Quant à l'objet d'une convention, il est défini comme:
tL'ensemble des droits et des obliga.tions que le contrat [ou la. convention]
est destiné à faire naître. (81) [ou plus précisément] d'opération juridique que
les parties à une oonvention cherchent à. réalisert (82).
33. Il résulte de ces deux définitions que les notions d'objet et de
but font appel à des critères distinctifs. Le but renvoie à un <critère
fonctionne!. en ce sens qu'il met en relief la finalité poursuivie par
un traité. Quant à l'objet, il fait appel à un ,critère matériel» axé
sur le corpus de normes à établir pour réaliser l'objectif poursuivi
par un traité. De ce fait, l'objet et le but d'un traité sont deux éléments complémentaires et interdépendants. Comme l'explique JeanPaul Jacqué:
.L'objet d 'un acte réside dans les droits et obligations auxquels il donne
na.issance. L'objet d'un a.cte c'est donc .la. norme qu'il crée. Lorsque la Cour
veut définir l'objet d 'un traite, elle analyse le contenu de celui -ci, c'est-à-dire
les obligations qu'il crée à la charge des parties et les droits qu'il leur confère.
A.C.D.J., 1962, vol. H , pp. 46-61, projet d'articles 9(3)(b) et 12(3)(b). Pour P. Reuter, il a.urait
éte interel!&ant d' adopter une formule teUe que u ' e.bstenir d'actel! de nature il. porter atteinte à
la légitime attente de ses partenairesl/, da Commit!8îon indiquerait (aillsi] que la question de la
violation de la bonne foi doit être examinée au cas par cas, compte tenu des déelarations qui ont
eté faites , de l' objet du traité et de "ensemble des circonstances. Par exemple, daRI! le cas très
fréquent d'un traité 6conomiqne comprena.nt des engagements en matière douanière, si un Etat
procède à. des importations massÎves ou à des exportatioI18 massives avant ['entrée en vigueur
du traité, de manière à souffrir moins de l' execution de ses engagements, cet a.cte peut être ou
n'être pas contraire il. la bonne foi; cela dépend des circonstances. Une telle formule serait peutètre trop souple, mais elle aurait, semble-t-i1 l'avantage de mieux respecter l'autonomie du principe de la bonne foi, de mieux isoler l'observation de ce principe de l'exécution même du traité ,.
AC.D.I., 1965 , vol. l , p. 101.
(SO) A titre d'illustration. il est intéressant de relever les différentes concept·ions êt.atiques de
la notion d'objet et de but qui apparaissent au gré des circonstances. Voyez par exemple le
Mémoire du Gouvernement des Etats-Unis, COl'UtquencM juridiques pour le, }?/Qù ck la préseRC'Al
continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud -crout africai.n) nmwlulanl la Résolution 216
(J910) du COMât de Sécurité , C.I.J., Mlmoirell. plaidoiries et docu-nunta. 1911, vol. T, pp. 843
et suiv., sp. 863-864. Voyez a.ussi J'affaire concernant l'Accord relatif aux serviCts aériens du
27 mars 1946 entre les Etaf,-Unis et la Ir'raMI!. R.S.A .• vol. 18, pp. 417 et suiv., sp. p. 428. Voyez
enfin l'avis sur la Licéité de l'emploi ou de la menace d'arme8 nucléaires (C.l.J., Rea. 1996) nota.mment les paragraphes 60 et 61 qui témoignent de l'interprêtation divergente des Etats sur l'objet
et le but des traités sur la. limitation ou l'élimination des armes nucléa.ires.
(8I)G. CORNU. Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1987, p. 584.
(82)J. GHEb1'IN , Traite de droit ait.'Ï/. La fo rmation du contrat. Paris , L.G .D .J , 1993, p. 569.
ARTICLE
18
~
CONVENTION DE
1969
615
Si l'objet d'un acte est toujours une norme, chaque acte se caractérise p&r le
conten u de la norme qu 'i] crée. CependfLnt les droits et obligations créés par
l'acte ne constituent pas une fin en e ux-mêmes. Ils ne sont que le moyen
d'atteindre un résultat donné. Et c'est le résultat qui forme. pour le ou les
a.uteurs de J'aote, le but recherché. (83).
34. D 'aucuns ont proposé uue démarche objective (84) afin de
préciser plus en avant l'objet et le but du traité (85). Il s'agit essentiellement d'identifier l'objet et le but dans le préambule du
traité (86), dans son titre (87), dans les travaux préparatoires ainsi
(83) J.-P. JACQUe:, Elémenla pour une théorie de l'acte juridique en droit international public.
Paris, L.G.D.J., HH2, p. 142.
(84) Cette démarche objective pou rra.it consister en une interprêtB.tion t éléologique de la convention internationale concernêe. A ce titre, la. jurisprudence du Tribunal pénal inte rnat ional
pour " ex- Yougosla.vie est intêre88ante: voyez Affaire Dvd:o 'J'adie, cas no TT f94/ l , arrêt relatif
il. l'appel de la. défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence (2 octobre 1995).
Voyez ausai dans IR; même affaire et dans la même perspective, l'opinion séparee du juge AbiSaab.
(85)J. DEHAUSBY et M . SALEM, SOUf'U8 du droit i?iUmali01l4l. Le& traitu. Interpri1ation. Prinûpu, règlu el 71KlMelu applicaUu à l'i1lterprétation, Juris·Classeurs 1995, fascicule 12·6, p. 24.
Selon ces auteurs, la notion d'objet du traité est objective : . Ce sur quoi po rte le traité - c' està-dire la matière (ou les matières) que les parties sont convcnucs de régir - résulte en effet objectivement de l'instrument lui-même [ ... }. De 19." enfin, l'a.ppel l\U but du traité pour déterminer
l'étendue de son objet: ce qui ju stifie la. liaison entre le9 d eu); notions •.
(86. Voyez par exemple l'a .. is s ur les Ri8ert:es à la Convention. /fUT la préventio1J d la repruIlion du crime de ginoeide, op. cit . .'!~p
ra
noto '/4, p. 23. De même, dan9 l'affaire dei Pri.'!'cs
d'eau à la Meuse (C.P.J.J., 1937, Série A , N° 70, p. 13), la. C.P.J.!. s'êta.it basée d'a.bord sur
le préambule d'un traité german o·belge de 1863 pour établir son but. Dans l'avis sur l'Inter(op. dt. &'Upra note 62, p.
prétation de la Convention de 1919 8'Ur le travail d~ nu.it des !~me&
383) , le juge Anzilot.t.i, dans son opi nion di88ident.e, s'est l'iféré en gra.nde partie au preambule
de 1& Partie XlII du Traité de Versailles pour déterminer le ehamp des compétenceB de l'Organisation internationale du Tra"l"a.il. D'autres exemples de recours au préambule pour déte rminer l'objet et le but d'un t.raité 88 trouvent dans l'arrêt de la C.!.J. relatif à l'affaire relative
aux Droits des res&orli.uant.'!' amtiricaina au .Maroc (Frame c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt du
2; août 1952 (C. LJ ., Ree. 19â2, pp . 196-197) et dans l' arrêt de la C.I.J . rela..tif au Differend
territorial enlre la Libye et le Tdw4 , arrêt du 3 février 199-4 (C.T.J ., Ret.. 1994, pp. 25-26, §52).
Voyet également, Pratiqucll &tttvicll pour la préparation du conventions internationale.! du
travail : Manuel de bonne.! pratiq!U8 rédrn;tio1l.ncllc.'!', BTT, Conseil d'administration, 292e ses·
sion, mars 2005 , doc. GB.292jLILSj3.
(87) J. KLABBERS, t Some Problema Regarding The Objoot and Purpose of Trellties., }i'i717ti8h
Yearbook of lnlerMtional Law, 1997, p. 158 : .it is submitt.ed, that· reCOUrBe to the tit.le of a
t.reaty may often offer a convenient. shortcut in t.he process of identifying 8. treaty's .object and
purpose. Especial1y where the preamble and the text of a treaty indicate several possible object
and purposes, recourse to the treatY'9 title ma.y be of sorne he1p. Thus, while one of the objec·
tives of the Chernieal Well.poIl1J Convention, as 1isted in its prea.mble, il! the desire to .promote
free tra.de in chemica)a as weil as international cooperation and exchange of scientific and tech·
niesl information [ ... ) in order to enhance the economie and teehnological developmeot of ail
States parties., it can hardly he ffiaintrunoo that this particular objective should qualify as t.he
abject and purpose of a treaty besring the title Convention on the Prohi\;)ition of the Development, Production, Stockpiling and Use of Chemical Weapons and on their destruction. Of oourse,
the title of a treat.y will only oITer a pre9umpt.ion regarding the treaty' s object and purpose,
which will have 1.0 be substantîated by closer analysis of other factors , but it doeB not appear
to he a presumption which will often be rebutted in practiee. And where it will be rebu tt.ed, the
treaty has been se riou91y misna
ed~.
616
L. BOISSON DE CHAZOURNES , A.-M. LA ROSA ET M.M. ,mENGUE
que dans les dispositions du traité (88). Ces différents éléments
d'appréciation devraient être cumulés pour garantir l'objectivation
la plus parfaite possible desdits objet et but. Comme le démontrent
Isabelle Buffard et Karl Zemanek :
df one wisbes ta escape the vicious cirolo, a two-atage procedure may belp.
ln a firet stage, a prima fade assumption of the abject and purpose of a treaty
must be farmed by having recourae to the tit.1e, preamble a.nq, if available, programmatic articles of the treaty (89). This assumption must then be /ested in a
seoond stage against the text of the treaty and a.1I other a·va.iJable material and,
if neccssary , adjuated in the light of that test (90). The result of that pracess
can thcn be used as a. guideline in the interpretation of other trcaty provisions
or for assessing oompliance with thern . (91).
35. Dans certains domaines du droit international , on peut imaginer une démarche objective de recherche de l'objet et du but
d' un traité par la référence à d'autres textes conventionnels. En
droit international de l'environnement, par exemple, l' une des
techniques utilisées est celle de la négociation de conventionscadres. Ce type de convention a pour but de fixer des principes
directeurs en matière de protection de l'environnement et de créer
des institutions. Les principes sont destinés à être précisés par des
règles plus détaillées dans des protocoles et même parfois dans des
annexes à ces instruments conventionnels (92). Un Etat ayant
(88) Voyez J' affajre des Activités militaires et paramilitaÎ1'1l8 au NicaTagoo d contTt cûui-ci (Nicaf'agualEtQ,t.g · U'ltM) , arrêt du 27 juin 1986, C.I.J., Ru,. 1986, p . 136, §272 : _Selon la Cour, on ne peut
prétendre qu' un acte est de nature i\ priver un tralte de $On objet et de 80n but ou à empêcher la
bonne e:lécution Bi la. possibilitë d' un tel acte était prévue dllnsle traitë lui -même et s' il a été stipulé
que le traité n'y 'fera. pas obstacle', de telle sorte qu'il ne violera. pu leB termea exprè~
du traite •.
li f!Lut rappeler en outre que les juridictions peuvent a ... oir recours Il d ei! textes différenh au
traité e n cause pour a.nalyser 90n objet et lion but ; voyez, pa.r e xemple, l' affaire Golder , dans
laquelle la Cour européenne det! Droit8 de J' Homme s 'e8t référêe au Statut du Com~eil
de l' Europe
pour déterminer le champ d' application de l' artiele 6, § 1 de la Convention e'lropéenne des Droif.!!
de l'Homme (arrêt du 21 fevrier 1975, Série A , nO 18).
(89) Ces auteurs démontrent ootte hypothèse en prenant l'exemple de la Charte des Nations
Unies. Son objet et son but sont definis tant d&Ils le prêambule que dans les articles l, 2 et 55.
V(lyez 1. BUl'l'ARD et K. ZHMANEK, .The Object Md Purpose of a Treaty : An Enigma. h, Au,Jtria" Review 0/ (nt~raio1W
and European Law, 1998, pp. 334 - 335 ,
(90) Ibid., pp. 336-337. Les auteurs donnent ici l'exemple de la Convention de Vienne sur les
relations diplomat.iques. Si le but est clairement prêcisé dans le préambule de la Convention pour
détenniner 80n objet, il faut alors se référer à ses dispositions substa.ntielles dans leur ensemble.
1989 du
(91) Ibid., p. 333. Voyez de même, l'affaire relative à la. SenteMe arbitrale du 31 juil~t
12 novembre 1991 (GuÎnie-BiJJJJau c. Sénégal) (C.I.J., Ru. 1991, p. 72 , §§65-56), dans laquelle la
C.I.J. a utilisé une méthode similaire en refusant de faire primer le préambule de l'acoord d'arbitrage lIur les termes de J'article 2 du même accord pour déterminer l'objet et le but de ce dernier.
(92) Sur ce type d'instruments, voye1_ A, KISS, d.es tn.ités-oadres : Ulle technique juridique
ca.ractéristique du droit international de l'environnement., A.F.D.I ., 1993 , pp. 792-797; voyez
auni , L . B OISSON de C HAZOURNES, ,La gestion de l'intérêt commun à l'épreuve des enjeux eoonomiques - Le protocole de Kyot.o sur Jes changements. c1imatique.n, A./i'.n .l ., 1997, pp. 700-715.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
617
ratifié une convention-cadre s'obligerait en vertu de l' article 18 à
ne pas pri ver de son objet et de son but non seulement ladite convention mais aussi lea protocoles et autres instruments attachés à
la convention. En effet, ceux-ci visent à renforcer ou à garantir la
continuité de l'objet et du but dégagé dans la convention-cadre.
Une telle déduction s'appuie par exemple sur la Convention de
Vienne du 22 mars 1985 pour la protection de la couche d'ozone
aux termes de laquelle:
.Aueun Etat ni aucune orga.nisation d'intégration économique régiona.le ne
peut devenir Partie à. un protocole sans être ou devenir simultanément Partie
à. la Convention. (93).
Il découle de cette disposition que l'expression du consentement
à être lié par un protocole à la Convention de Vienne sur 1.. protection de la couche d'ozone oblige préalablement l'Etat concerné à
être lié également par ladite convention. Si celle-ci n' est pas encore
entrée en vigueur, on devrait considérer que cet Etat ne saurait priver, en vertu de l'article 18 alinéa b) de la Convention de Vienne,
tant la convention-cadre que le protocole additionnel de leur objet
et de leur but du fait que ces différents instruments constituent une
unité juridique.
36. De même, en droit international du travail, l'adoption par
l'O.I.T. de conventions vise, aux termes mêmes de la Constitution, à mettre en place, au sein des Etats IneJDhres des ~régimes
de travail réellement humaino sur lesqueis se fonde la justice
sociale , essentielle à une paix universelle et durable. Pour atteindre un tel objectif, c'est-à-dire la mise en oeuvre de ces conventions au niveau national , le système élaboré empêche les retours
en arrière. Ainsi , la Constitution de l'O.I.T . prévoit qu ' il n 'est
pas permis d ' interpréter le but et l'objet d ' une convention internationale comme autorisant les Etats membres, au moment de
l'adoption de la convention par l'O.I.T. ou de Sa ratifica.tion par
l'Etat, à amoindrir ou affecter des dispositions plus favorables
qui existent déjà au regard de la loi ou de la pratiqne nations-
(93) Article 16. Voyez aussi, J'article 14 du Protocole de Montréal du 16 septembre 1987 relatif
aux substances qui appaunissent la couche d'ozone, aux tennes duquel: .Sauf mention contraire
dans le present Protocole. les dispositions de la Convention relatives à ses protocoles s'appliquent
au présent Protocole.. Pour Je texte des instruments, voyez L. BOISSON de CHAZOURNRS, R. DES-
et C. RoMAN O. Proltclion internationale
quu. Paria, Pocione, 1998, p. 571 et p. 586.
OAONt
;~
.,~'
,.; -
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k~ ~ i "j:
d~
l'environ:rtement. Recueil d'instruments juridi-
618
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENG:UE
les (94). Sur cette disposition, deux observations, au moins, peuvent être formulées. D'abord, il semblerait qu'elle n'oblige pas
les Etats à maintenir un régime de protection qui soit supérieur
à ce que la convention prévoit (95). Toutefois - et c'est le second
point - cette disposition doit être lue à la lumière d'un principe
plus général, «à savoir que les conventions internationales du
travail fixent· des normes minima" et ,les Etats peuvent à tout
moment accorder des conditions plus favorables que celles qui
sont prévues par les conventions qu'ils ont ratifiées» (96). A cet
égard, il a été estimé que, dans le contexte des conventions internationales du travail, (l une fois les mesures prises et un certain
degré de protection [ ... ] atteint, le système existant de protection ne peut être démantelé à moins que cela ne s'accompagne
de l'adoption d'un système alternatif qui accroît plutôt que
diminue la protection fournie. (97).
37. On remarque toutefois dans la pratique que l'identification
des éléments d'appréciation en vue de déterminer objectivement le
but et l'objet d'un traité n'est pas systématiquement suivie. La
C.I.J. elle-même ne précise pas clairement dans ses décisions 'comment elle a procédé pour identifier l'objet et le but des traités en
cause, semblant se baser sur son intuition ou une sorte d'intime
conviction (98). Elle a, même en certaines circonstances, accepté la
possibilité d'une pluralité d'objets et de buts (99).
(94) L'article 19, paragraphe 8 de la Constitution de l'O.I.T. dispose en effet que:
~En
aucun cas, l'adopt.ion d'une convention ou d'une recommandation par la Conférence, ou
la. ratificat.ion d'une convention par un Membre ne devront être considérées comme affectant
toute loi, toute sentence, toute coutume ou tout accord qui assurent des conditions plus favorables aux travailleurs intéressés que celles prévues par la convention ou la recommandation •.
(95) Demande du gouvernement polonais relative à l'article 10 de la Convention (n C 30) sur
la durée du travail (commerce et bureaux), 1930: Bulletin officiel, vol. XVII, n C 1, l~r février
1932, pp. 48-49; demande du gouvernement suédois relative à l'article 20 de la Convention (na 57)
sur la durée du tra.vail à bord et les effectifs: ibid., vol. XXIII, n 1, 10 avril 1938, pp. 34-37.
(96) Voyez les travaux de la Commission de la législation internationale du travail de la Conférence de paix de 1919, qui a rédigé la Constitution de l'O.T.T.: ibid., vol. 1, avril 1919-août
1920, pp. 209-212.
(97) C'est la Commission d'experts de l'O.I.T., organe indépendant chargé de la vérification
de l'application des convent.ions int.ernationales du travail, qui a apporté cett.e précision: Rapport III (partie 4A), CIT, 70èm~
session, 1984, p. 270 (observation de la. Commission adressée au
Canada sur la. convention (no 111) relath.e à la discrimination dans l'emploi et la profession).
(98) Voyez leB a.ffaires relativeB à l'Application de la Convention de 1902 pour régler la tutelle
des mineurs (Pays-Bas c. Suède), Arrêt du 28 novembre 1958 (C.I.J., Rec. 1958, pp. 68-71) et
aux Activités militairtM et paramilitaires au Nicaraf!1Ul- et contre celui-ci (Rec. 1986, pp. 136-138.
§§272-276 et p. 140, §280).
(99) Voyez Aff. des Droits de"res8ortis,sants américain" au Maroc, op. cit. supra note 83,
p.196.
Q
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
619
38. Les difficultés juridiques liées iL l'interprétation de la notion
de signature ne sont pas d'ampleur similaire à celle rencontrées pour
la notion d'objet et de but d'un traité. Cette notion appelle néanmoins également une clarification conceptuelle.
2. - La notion de signature
39. La signature détermine le champ d'application ratione tempori8 de l'article 18 de la Convention de Vienne. En d'autres termes,
l'opération de signature d'un traité désigne le moment premier à
partir duquel l'obligation de s'abstenir d' actes qui priveraient un
traité de son objet et de son but devient en principe opposable à
l'Etat signataire. Il faudrait toutefois préciser que la signature n'est
pas la seule manière pour un Etat de manifester son intention de
devenir partie à un traité. Un échange de notes ou d'instruments
peut également exprimer une telle intention, pour ce qui est des
traités multilatéraux. L 'article 18 a été modifié en ce sens lors de
la Conférence. Il a été prévu que:
',.
fa.) lorsqu' il a. signé le tra.ité ou a. échangé des instruments constitua.nt le
traité sous réserve de ra.tification, d'acceptation ou d'approbation [ ... ]t (l00)
'!
40. La signature telle qu'entendue juridiquement dans l'article 18
de la Convention de Vienne mérite certaines clarifications conceptuelles. Elle apparaît comme un «camaïeu» car elle peut renvoyer à
des mécanismes très proches les uns des autres et parfois difficilement distinguables. Tout d'abord, la signature opère de mal)ière différente lorsqu'il 8' agit de traités multilatéraux ou bilatéraux. Pour
les traités multilatéraux, la signature intervient après que le texte
ait été voté ou adopté par la conférence diplomatique ou l'organe
plénier de l'organisation internationale (101). En revanche, les traités bilatéraux sont ell général arrêtés et authentifiés par un acte
unique: la signature (102).
41. Ensuite, au sens de ]' article 18, la signature se distingue
d'autres modalités prévues par la Convention de Vienne. En effet,
(100) Conféren ce, deuxième session, p. 31. Voy ez notamment l'am endement proposé par la
délégation polonaise: doc. off. AG :NU A/CONJo'.39/L.16, Do c. off., C.R.A., 2emo sess ..
lO " m~séa.nc
e plénière, p. 31.
(101) La signature est parfois remplacée par (a signature du President ct du Secrétaire gênéral
de la Confêrenœ. C'est la procédure suivie a.u sein de 1'0.1.'1'.
(102) NO UYEl'\ Quoc DINH , A , PULET et. P . DAILLlER, Droit international pv.blie. 7 em" éd.,
Paris, 1•. G.D.J., 2002, p. 134, nO H .
620
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
en vertu de l'article 10 de cette Convention, peuvent être utilisés le
'paraphe. et la «signature ad referendum. ou ,signature différée». Le
paraphe consiste dans l'apposition des initiales des négociateurs, et
la signature ad referendum n'est donnée qu'à condition d'être confirmée par les autorités compétentes. Ces deux techniques permettent, elles aussi, l'établissement définitif ne varietur du texte du
traité et son authentification.
42. Le problème est de savoir si l'obligation de s'abstenir d'actes
susceptibles de priver un traité de son objet et de son but est opposable à un Etat qui n'a fait que parapher ou signer ad referendum
ledit traité. En effet, aux termes de l'article 10 de la Convention de
Vienne, les deux techniques ont une valeur provisoire et doivent
faire l'objet d'une confirmation ultérieure. La signature à laquelle
fait référence l'article 18 de la Convention de Vienne est une signature définitive. Le caractère définitif de cette signature est défini
ratione personœ ou selon un critère organique en ce sens qu'elle est
subordonnée à la capacité d'une autorité, d'une personne à engager
son Etat, par le biais des pouvoirs qui lui sont dévolus (103). L'utilité du paraphe et de la signature différée tient justement dans le
fait que le négociateur ou le plénipotentiaire ne sont pas habilités à
signer mais peuvent donner au traité une solennité particulière en
réservant la signature définitive à une autorité politique hiérarchiquement supérieure.
43. Une autre difficulté réside dans le fait qu'actuellement, dans
le cas de bon nombre de conventions internationales multilatérales,
les Etats signent l'acte final et le traité reste ouvert à la signature
et à la ratification pendant une durée déterminée. Ce délai passé, les
Etats peuvent adhérer au traité. Ainsi, un Etat se trouvera soumis
à l'obligation de ne pas priver un traité de son objet et de son but
s'il signe le traité mais non s'il ne le signe pas et se réserve le droit
d'y adhérer ultérieurement (104).
44. Toutefois, dans certaines circonstances, les Etats peuvent être
induits à signer un traité en raison du fait que la signature leur
octroie le droit de participer à d'autres travaux susceptibles
d'influer sur l'objet et le but du traité. C'est le cas, par exemple, du
(103) Sir G. FITZMAURICE, Rapport sur le droit des traités, A.C.D.I., 1956, vol. II, p. 123.
~upra
note 10, p. 36.
(104) Ph. CAHIER, o-p. cit.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
621
Statut de la' Cour pénale internationale adopté à Rome en juillet
1998. Aux termes de l'Acte final de la Conférence ayant donné jour
au Statut, il est prévu que sera créée une commission préparatoire
ayant notamment pour fonction d'élaborer des propositions concrètes concernant les dispositions pratiques à prendre pour que la Cour
puisse être instituée et puisse commencer à fonctionner (105). Ces
mesures comprennent notamment l'élaboration d'un projet de règlement de procédure et de preuve et d'une définition des éléments
constitutifs des crimes relevant de la compétence du Tribunal. Cette
commission préparatoire est notamment composée des représentants des Etats qui ont signé l'Acte final (106). Or, il est évident que
les travaux entrepris par la commission préparatoire sur ces textes
sont susceptibles d'influer, ou à tout le moins de contribuer à préciser, l'objet et le but du Statut et par conséquent, les futurs travaux de la Cour. On pourrait imaginer utiliser cette technique pour,
d'une part, inciter les Eta·t s à signer le traité, leur permettant ainsi
de contribuer à la. configuration du régime et , d'autre part, les
empêcher de poser des actes qui aillent à l'encontre de l'objet et du
but du traité sans engager leur responsabilité internationale
3. - Une clarification du régime
de l'acceptation de8 traité8
a) La variabilité de l'acceptation
45. L'intérêt de l'article 18 de la Convention de Vienne réside
principalement dans le fait qu'il offre aux Etats deux étapes dans
le processus d'acceptation des traités. D'une part, l' alinéa a. de
l'article 18 renvoie à une acceptation provisoire Ou «acceptation
transitoire. (107) par le biais de la signature. Cette derniére ne rend
pas applicable un traité da.ns l' ordre interne ma.is elle présume de la.
volonté de l'Etat signataire d' analyser et d'évaluer objectivement
les conditions dans lesquelles il pourrait s'engager définitivement et
d' a.pprécier s'il dispose des capacités pour le faire. C'est du reste,
ainsi que cela a été exposé plus haut, le système mis en place au
(105) Doc. off. AC NU A/CONF.183/1O, annexe l, résolution F . paragraphe 5.
(106)lbid .• paragraphe 2. D'autres Etats peuvent être invités à. a'y joindre.
(l07) Dana l' affaire rela.tive aux Riserves à la Oon~ti
8ft,.. la prl vention et la répres8ion du
criml!: dl!: gbtOâdl!: (op. cit. 8upra note 74, p. 28), la C.I.J. Il souligne que la signature etablit un
_statut transitoire •.
622
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
sein de l'O.I.T. lorsque les Etats membres sont priés de soumettre
il, leurs autorités compétentes les textes des conventions adoptées en
vue d'un débat national sur l'opportunité de les ra.tifier(108).
L'article 18 alinéa a) de la Convention de Vienne impose il, l'Etat
signataire, dans cet intervalle de réflexion , de s'abstenir d'actes qui
priveraient un traité de son objet et son but. L 'incertitude créée par
cet article porte sur le point de savoir qui peut exiger l'exécution
de cette obligation. Est-ce n'importe quelle partie il, la Convention
de Vienne! S'agit-il des Etats avec lesquels seront ultérieurement
conclus des traités particuliers! Dans cette dernière hypothèse, estce que ce sont les Etats qui, comme eux, auront signé sous réserve
d'acceptation, de ratification ou d'approbation ou les Etats qui ont
déjà ratifié, accepté ou approuvé (109)1 La Convention de Vienne
n'apporte pas de réponses précises à ces questions.
46. D'autre part, l'acceptation prévue par l'article 18, alinéa b) de
la Convention de Vienne consiste en une acceptation définitive découlant de l'expression du consentement à être lié. A partir de ce
moment, l'Etat devient effectivement partie au traité. Il est tenu de
s'abstenir de priver le traité de son objet et son but tant que ledit
traité n'est pas entré en vigueur. Dans le cas de l'acceptation définitive, la situation est toute différente de l'acceptation provisoire puisque l'Etat a donné son consentement. Les traités multilatéraux sont
de plus en plus nombreux il, exiger, pour leur entrée en vigueur, un
certain nombre de ratifications et d'adhésions. Il apparaît donc normal que les Etats qui ont exprimé leur consentement il, être lié par le
traité s'abstiennent d'actes qui pourraient priver le traité de son
objet et de son but avant son entrée en vigueur. Lorsque les membres
de la C.D.I. ont discuté de cette règle, à la. suite du rapport de Sir H.
Waldock selon lequel la ratification rend l'Etat +virtuellem.ent partie
au traité., ils n'ont pas mis en doute l'existence de cette obligation (110). Certains auteurs ont estimé l' hypothèse d'actes contraires
à l'objet et au but d'un traité tellement exceptionnelle dans la
période allant de l'expression dn consentement de l'Etat à l'entrée en
vigueur du traité, qu'ils ont considéré qu'elle ne méritait pas qu'on la
cite dans la Convention de Vienne (Ill). Pourtant, l'œuvre de la Con(108) Voyez $up ra , paragraphe 36.
(109)J . NISOT, op. cit. &upra note 10, p. 501.
(110) A.C.D./., 1965, vol. l , pp. 97-110.
(Il t) Ph . CAHIE R, op. cil. .supra note lO, p. 37.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
623
vention de Vienne dans ce domaine ne semble pas épuisée. En effet,
l'article 18, alinéa b) pose un problème important: il s'agit de la possibilite d'un retrait du consentement. Ce problème se pose particulièrement lorsque le traité prévoit la possibilité de le dénoncer (112).
Comme M. Yasseen, l'a fait remarquer à la C.D .I., si un Etat peut se
retirer après l'entrée en vigueur, a fortiori devrait-il pouvoir le faire
avant. Cependant la C.D.!. ne s'est pas attardée sur ce problème.
Cette situation crée de ce fait un vide juridique à l'actif (ou au passif)
de l'article 18 de la Convention de Vienne.
b) Le;; limites ratione temporis de l'acceptation
!'
.1·
47. L'article 18 de la Convention de Vienne ne fait pas de l'obligation d' abstention une obligation ad infinitum. Le droit de rétractation de l'Etat est expressément prévu tant après la signature
qu' après le consentement à être lié par un traité.
i) Rétraction après la signature
48. Aux termes de l'article 18, alinéa a), l'Etat est tenu de
s'abstenir:
t[ ... ] tant qu'il n'a. pas manifesté son intention de ne pa.s devenir partie au
traité •.
Cette limite posée par la disposition présente un double flou juridique.
49. D' une part, il s'agit du flou résultant d'une thèse que la délégation française a avancée à la Conférence de Vienne pour appuyer
ses inquiétudes sur la formulation de l'article 18, alinéa a) , en faisant valoir que
t[ .. . ) la manière la plus claire pour un Etat de manifester son intention de
ne pas devenir partie au traité est precisement de réduire à néant J'objet du
tra.itê. (11 3).
Or, une telle position semble, a priori, faire abstraction du principe de bonne foi dans les relations internationales (114) et pourrait
s'avérer contraire au principe général du droit ,s elon lequel «nul ne
peut se prévaloir de sa propre turpitude •.
(112) Voyez les observations de la Finlande, A.C.D.I., 196.5, vol . II, p. 4-5, et des Pays-Bas,
A.C.D.J., 1966. l'ol. Il, p. 359.
(l13) Conférence, première session, Doc. off., C.R.A., l ~ " sess., 19tme 8., p. 109.
(Il") Voyet infra, para.graphes 56 et 8uivants.
624
L. BOISSON DE CHAZOURNEB, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
50. Le second élément d'incertitude tient au fait que l'article 18,
alinéa a) ne précise pas la manière par laquelle l'Etat signataire
pourrait manifester son intention de ne pas être lié par le traité.
Faudrait-il une note diplomatique ou une déclaration du ministre
des Affaires étrangères au Parlement suffirait-elle (115)1 En outre,
on a pu affirmer que .des raisons politiques très légitimes peuvent
interdire [à l'Etat] une manifestation d'intention autre que discrète,
lui commander de se borner à garder le silence» (U6) . L'article 18
reste silencieux sur cette question. Ce qui pourrait faire penser que
la manière de ma.nifester l'intention sera déterminée in concreto et
en fonction des circonstances rencontrées par chaque Etat.
51. Dans son opinion dissidente dans les affaires du Plateau Continental de la Mer du Nord, le juge Lacbs - contrairement à. la Cour
qui est restée silencieuse sur ce point - a mis en relief cette condition de la .manifestation de l'intention de ne pas être lié par un
traité, qui, lorsqu'elle n'est pas remplie, implique des obligations
pour l'Etat signataire dudit traité. Selon lui,
. La. République fédéra.le d 'Allemagne a. signe la. Convention su r le plateau
continental [ ... ). Ce fait [ ... ] ne saura.it être 8&08 influence sur les rela.tions entre
cet Etat et la. Convention. Certes, il n'implique pas l'obligation de ratifier la.
Convention et ne suffit pas en soi il obliger la République fédérale â. se conformer à ses dispositions. Toutefois, il implique assurément un lien entre l'Etat en
question et le traité auquel cet Etat n'est pas encore partie [ ... ]. La République
fédérale n'a fa.it iL a.ucun moment de déclara.tion qui puisse être interprétée
comme une répudiat ion de la Convention ou co mme l'abandon de 80n intention
de la ratifier. [ ... ] Tant que cette ra.tification n'a pas eu lieu, la République
fédérale ne peut être cOnBidérée comme une partie à la. Convention. Il se peut
en effet que le gouvernement ait changé d ' ILVis, comme oola arrive aux gouvernements, ou que le Parlement refuse en fin de compte la ratifieation . Toutefois,
l'acte de signa.ture doit être examin é da.ns le contexte d'autres aetes volontaires
et positifs accomplis par la Républiqu e fédérale dans ce domainet (117).
Et le juge Lachs de procéder à une description et à une analyse
d'actes du gouvernement allemand qui, selon lui, expriment une
intention d 'être lié par la Convention sur le plateau continental
après la signature de cette dernière. L'un de ces actes était la proclamation du 22 janvier 1964, par laquelle la République fédérale
d'Allemagne déclarait notamment qu'elle:
(115) Ph. CAHIER, op. ett 8Upra note 10, p. 36.
(1l6)J . NISOT, op. d" ,",pra note 10, p. 502.
(111) Afraires du Plateau ooftlintlltal dt la Mer du Nord, op. cil. 81tpra note 29. pp. 232-233.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
625
t[... ) soumettra prochainement aux corps légÎslatifs un projet de loi d'adhésion à cette convention afin de creer la base constitutionnelle de ratification
[ ... ]. Afin d'éliminer les incertitudes d'ordre juridique qui pourraient surgir
dans la situation a.ctuelle, en attenda-nt l'entrée en vigueur de la Convention de
Genè\'e su r le plateau continental et 8a ratification par la R épublique fédérale
d'Allemagne, le Gouvernement fédéral estime nécessaire de faire dès li. présent
la déolaration suivante: En faisan de l'évolution du droit international général,
teUe qu'elle s'exprime dans la pratique récente des Etats et en particulier dans
la signature de la Convention de Genève sur le plateau continental, le Gouvernement fédéral considère l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles
du lit de 1& mer et du sous-sol des régions sous-marines adjacentes à la côte
allemande, ju!:tqu'à. une profondeur de 200 mètres et - pour autant que la. profondeur des eau x sur-jacentes permet l'exploitation des ressources naturelles même au·delà de cette limite, comme un droit souverain exclusif de la. République fédérale d'Allemagne [ ... ]. (liB).
L'on ne peut qu'adhérer à l'interprétation faite par le juge Lachs
des actes du gouvernement fédéral allemand et de leur portée sur la
valeur juridique de la signature de la Convention sur le plateau
continental:
tLa. proclamation du Gouvernement fédéral du 22 janvier 1964 fait donc état
de l'évolution du droit international général telle qu'elle s'exprime dans la prat·i que récente des Etats et en particulier dans la signature de (a Convention de
Genè\'e sur le plateau continental. Une opinion est ainsi exprimée sur le caractère et la portée du droit sur le plateau continental. Elle constitue en fait un
jugement de valeur sur l'état du droit en la matière. On 19.Îsse même nettement
entendre que la simple signature de cette convention, a. une époque où elle
n' était pas encore entrée en vigueur, montrait que ~el-ci
traduisait le droit
international général. La République fédérale a considéré !:ta. propre signature
comme un élément constitutif de cette preuve, en y attachant done beaucoup
plus d'importance qu'on en attache nonnalement a. la signature d'instruments
soumis à. ratification. Si les mots ont un sens, on ne peut interpréter ceux·là que
comme 19. reoonn8.issance par la République fédérale du fl:\it que la Convention
de Genève éta.it l'expression du droit internationa.l général [... ]. (119) .
Les déclarations pourraient ainsi être une voie parfaite de manifestation de l'intention d'être ou de ne pas être lié par un traité (120)
(118) Ibid., pp. 233 -234.
(119) Ibid., p. 235.
(120) Voyez l'opinion dissidente de Ga.van GRIFFITH da.ns Sentence du 2 juillet 2003, Di8putt
COftc>1Jrning Ar/icl~
9 01 t1l:>1J OSPAR Con~t!i
(lrlandt c. Royaume·Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord), Cour Perma.nente d'Arbitrage, p. 71, §§l7. IS . Pa.r rapport iL la. Convention
d'Aa.rhus sur l'accès iL l'informa.tion, la pa.rticipation du public au proce8llus décisionnel et l'accès
il. la. justioe en matière d'environnement que le Royaume-Uni avait signé ma.is non r&tifié, l'arbi·
tre Griffith Il. considéré que: .United Kingdom has maintained its intention to be bound by, and
to implem en t, the obligations of the Aa.rhus Convention. Most recsntly, in its ProposaI for a
Revi~d
Regime for Public Access 1.0 Environmental Information, the Department of the Envi·
ronment, Food and Ruul Affairs (tDEFRA.) reiterated that d'k t UK i8 committed 10 ra/i/ying
"",
626
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
ou encore permettre de reconnaître des normes qui font non seulement partie du traité mais s'avèrent être également l'expression du
droit international général. Seulement, un Etat qui souhaiterait que
sa déclaration soit acceptée comme exprimant son intention de ne
pas être lié doit a contrario et de bonne foi admettre qu'une déclaration exprimant l'intention d'être lié le soumet dès lors à l'obligation de ne pas priver le traité de son objet et de son but avant la
ratification. La grande force probante qui s'attache à des documents
de cette nature est difficilement contestable. Comme l'a rappelé également le juge Lachs:
dl est évident que les intentions, le comportement et la politique des Etats
peuvent changer, mais la valeur et le crédit des décla.rations faites par les gouvernements seraient sérieusement ébranlés si l'on méconnaissait des jugements
de valeur d'une telle importance ou si l'on considérait qu'ils ne lient pas les
gouvernements qui les ont émis.(121).
Avant lui, la Cour internationale de Justice, dans l'affaire des
Pêcheries, avait considéré que:
«On ne saurait interpréter un tel la.ngage [les déclarations étatiques] que
comme l'expression réfléchie d'une conception juridique [ ... h (122).
52. En aucun cas, l'on ne saurait considérer le silence comme un
signe de rejet du traité en question. L'article 18 fait jouer une présomption d'acceptation d'un traité signé, présomption qui ne peut
être renversée que par une preuve contraire expresse: la déclaration
de l'intention de ne pas ratifier ledit traité. Accepter le silence revient
à créer un flou ratione tempori8. En effet, le temps ne saurait être un
alibi pour un Etat signataire lui permettant de porter atteinte à
l'objet et au but d'un traité. Non seulement, il est difficile d'objectiver la période à partir de laquelle un Etat signataire peut ne plus se
sentir lié par l'obligation contenue dans l'article 18 mais en plus, la
pratique a démontré que parfois un Etat signataire peut attendre très
longtemps avant de procéder à la ratification du traité (123).
the Aarhus Convention M .saon tU po.s.sible» [ ... ] Renee, alt.hough the formaI act of ratification that
would establish on the international plane the consent of the United Kingdom to bebound by
the Aarhus Convention has not yet occurred, the United Kingdom's intention to treat the
Aarhull Convention as a binding instrument is unequivocally confirmed. (italiques danll l'original). Disponible lIur http://www.pca-cpa..org/PDF/OSPAR%20Awa.rd.pdf
(121) Affaires du Plateau continental de la Mer du Nord, op. cit. 8upra note 29, p. 236.
(122) Arrêt du 18 décembre 1951, affaire des Pêcherie6 (Royaume-Uni c. Norvège), C.I.J., Rec.
1951, p. 136.
(123) C'est le cas notamment dell Etats-Unis avec la Convention sur la prévention et la répression
du crime de génocide, que lell Etats·Unis ont signé en 1948 mais qu'illl n'ont ratifiée qu'en 1988.
ARTICLE
18 -
OONVENTiON DE
1969
627
53. Ce point de vue trouve un reflet dans la position prise par les
Etats·Unis à propos du Statut de la Cour pénale internationale. Cet
Etat a annoncé, le 6 mai 2002, son intention de ne pas être lié par ce
Statut qu'il avait pourtant signé le 31 décembre 2000. L'Administration Bush, par la voie de son Sons-Secrétaire d'Etat pour le contrôle
des armes et la sécurité internationale, a envoyé une lettre au Secrétaire général des Nations Unies précisant que les Etats-Unis
n'avaient aucune intention de devenir partie au Statut (124) et qu'ils
(124)Voye~
Je texte de la lettre sur: http://www.state.gov/r/pa/pra{ps/2002/9968.htm (dernièrement consulté le 1er juillet. 2005). Voyez aussi la déclaration du Se<lrétaire il la Défense, Donald
Rumsfeld, sur le sta.tut de la. Cour: cEarlier toda.y, tms administration a.nnounood the President's
decision ta formally notify the United Nations that the United St-a.t.es will not beoome a. party to
the IntemaHonal Criminal Court treaty. The V.S. declarntion, which was delivered to the Secreta.ry
General this morning. efTectively reverses the previous U.s. govemment deeision to beoome a. signatory. The lCC's entry ioto foree 00 July lat means that our men and women in uoiform - 811 weil
as current and future U.S. officiais - cou Id be at riBk of prosecution by the .CC. We inl.end to make
dear, in several waya, t.hat the United States rejects the jurisdictional claims of the ICC. Tbe United
States will regard &s iIIegitimate any attempt by the Court or State parties t.o the treaty to 8I!sert
tbe ]00'11 jurisdiction (wer American citizens. The U.S. has a number of serious objeetions to the ICC
- among them, the lack of adequate checks and balances on powers of t-he IOe prosecutors and
judges ; the dilution of the U.N. Security Council' s authority over international criminal
proseoutions; and the lack of an efTecth'e mechanism ta prevent politicized prollecutions of American
service me mbers and officiais. These flaws would be of cancern at any time, but they are particularly
troubling in the midst of a difficult, dangerouB war on terrorisffi. There is the risk that the ICO could
attempt ta assert jurisdiotion over V.S. service members, as weil as cirilians, involved in counterterroriat and ather military operat.ions - somet.hing we cannot allow. Natwithstanding these objections ta the trcaty, the United States respects the decision of thase nationll that have chosen to join
the TCe. But they, În toUrD, will need ta respect our decision not to join the IOe or toplace our cit·
izens under the jurisdiotion of the Court. Unforlunately, the ICC will nat rCflpect the U.S. decision
to s1:.8.y out orthe treaty. To the contrary, the ICC provisions olaim t.he authority to detain and try
American citizens - U.S. soldien, sailors, airmen and Marines, as weil Ils curreot and future officiaIs
- even though the United States bas not given its coment to be bound by the trea.ty. When t·he
TOC treaty enten! into faree this summer, U.S. citizens will be exposoo to the nsk of prosecution by
a courl tbat is unacoountable to the American people, and that hae no obligation to re:e:pect the constitutional rights of our citizens. Tbe United States understandably finds tbat troubling and unac·
ceptable. Clearly the uiste nce of an International Criminal Court, which attempts to claim jurisdiction over our men and women in unifonn stationed around the world, ,,'ill neeessarily complicate
U.S. military cooperation .,.ith countries that are partiftl to the tOC treaty - because thœe countries
may now incur a treaty obligation to hand m·er U.S. nationals ta the court, et"en ot"er U.S. objec·
tions. The United States would consider any sucb action ta be iIIegitimate. We obviously intend ta
1woid such actions. Fortunately t-here may he mechanisms within the trtaty by which we can work
bilatemlly with fri ends and allies, to the extent t.hey are willing. ta pre\'ent the jurisdiction of the
treaty and thus &\Toid complications in our military cooperation. Obviously, Countries that have not·
ratified the treaty would be under no such obligation to oooperate with t·he court. By putting V.S.
men and women in uniform at risk of politicized prosooutions, the ICC could well creste a powerful
diaincentive for U.S. military engagement in the world. If so , it could be El- recipe for iaolationism 90rnething that would be unforlunate for the würld, glven that our country ie committed to engage·
ment in the world and ta contribut.ing ta a more peaceful and stable world . FOr a atrong deterrent,
it is critieal that. the U.S. be learung fot'ward, not back. We muet be ready to defend our people.
our interestB , and our way of life. We have an obligation ta protect our men and women in unifürrn
from th.is court and to presen'e America's ability ta rtmain engaged in the world. And we intend
to do SO.f (disponible sur http://www.defenselink.millnews[May2002jb05062002_bt233·02.html[dernièrement consulté le I~r juillet 2005]).
628
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
estimaient en conséquence qu'aucune obligation juridique n 'était née
de la signature intervenue plus d'une ,mnée auparavant. Cette déclaration reflète peut-être les craintes de cet Etat que son silence puisse
permettre de lui opposer le fait que certaines des mesures entreprises
par lui, depuis la date de la signature, vont à l'encontre de l'objet et
du but du traité et contreviennent, de ce fait, à l'obligation édictée à
l'article 18, alinéa a) de la Convention de Vienne. .
ii) Rétraction après avoir exprimé le consentement à être lié
54. Pour ce qui est du consentement à être lié par un traité,
l'article 18 alinéa b) stipule que l'Etat doit s'abstenir d'actes susceptibles de priver un traité de son objet et de son but, lorsqu'il a
exprimé son consentement à être lié par le traité
. [ .. . ) da.ns la. période qui précëde l'entrée en vigueur du t.raité et il. condition
que celle-ci ne soit pas indûment retardée ...
Ici , la principale incertitude juridique porte sur la durée de l'obligation d' abstention. C' est pourquoi, durant la Conférence de Vienne,
un amendement conjoint de l'Argentine, de l'Equateur et de l'Uruguay, proposait de fixer un délai de douze mois (125). La C.D.!. avait
quant à elle proposé un délai de dix mois avant de convenir qu'il faudrait laisser s'écouler un «délai raisonnable» avant que ne s'éteigne
l'obligation d'abstention. Certains auteurs ont critiqué vivement le
critère du retard dans l'article 18 alinéa b). Selon M. Nisot:
.n n'est pas extraordinaire que plus d'une année s'écoule entre la clôture des
négooiations dont est issu un traité et son entrée en vigueur. Entre-temps,
l'Eta.t qui ft, ratifié, accepté ou approuvé se trouve , du fait de J'alinéa b) de
J'artiole 18, sous le coup d 'une obliga.tion dont il ne oonna.it ni l'étendue réelle
ni la. durée. 1) pâ.tit de son zèle. (126).
Cette incertitude qui caractérise l'article 18, alinéa b) conduit à
penser que l'appréciation du caractère indu du retard relève en
grande partie de l'appréciation de chaque Etat.
III. -
EFFETS .TURIDIQUES DE L ' ARTICLE
18 ,
ALINÉA A)
55. L'article 18 alinéa b) de la Convention de Vienne semble, aux
yeux de certains, constituer un pléonasme juridique. En effet, per-
(125) Doo. AG NU A/CONF .39/C.l/L. 131.
(126) J. NJSOT, op. cil. &'Upra note 10, p. 502.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
629
sonne n'oserait contester la validité et même le caractère de règle du
droit international coutumier, à l'obligation de ne pas priver un
traité de son objet et de son but une foi s exprimé le consentement
à être lié par ledit traité. Ainsi, certains auteurs ont donc considéré
inutile d'intégrer une telle disposition dans la Convention de
Vienne. Même si cette opinion peut être fortement relativisée si on
prend en compte, comme il a été vu, les problèmes juridiques liés à
la question de l'acceptation définitive d'un traité, il demeure exact
à bien des égards que c'est l'interprétation de l'article 18 alinéa a)
de la Convention qui pose des problèmes. Tant la valeur de l' obligation qui en résulte (1) que les sanctions de la violation de l'article
18 alinéa a) (2) se heurtent à toute t e ntative de systématisation
juridique.
1. - A propos de la réalité de l'obligation
..
1
1
L
56. L'article 18, alinéa a) de la Convention de Vienne n'est pas
une zone ou un champ de non-droit qui tendrait à faire de cet article
une disposition vide de sens. Il est encore moins un terrain de contre-droit qui viendrait perturber ou .s'écarter du droit international
commun> (127) en m atière de traités. Il participe d ' un souci réel:
celui de la bonne assise du principe de bonne foi dans les relations
internationales. L'obligation contenue dans l'article 18, alinéa a) ne
peut être isolée juridiquement du principe de bonne foi. En d'autres
termes, la reconnaissance de la bonne foi comine principe général de
droit entraîne par ricochet la reconnaissance des règles qui .permettent sa· mise en œuvre effective et efficace. L ' article 18 alinéa a) est
l'un des moyens de mettre en œuvre le principe de bonne foi dans
les relations conventionnelles. Son introduction dans la Convention
de Vienne en fait une véritable obligation juridique et non pas une
simple obligation morale (128).
57. Selon la conception ancienne en droit international, le traité
obligeait les parti es dès la signature car la ratification ressortissait
(127)Jbid., p. 503.
(128) Comme l'ont aJfirmê certains, tels que le RaTv{Jrtf, R ~6 eaTch
in Intent/1/ÎOtial Law qui,
dana 80n commentaire de projet de convention sur les traités, estime qu'il ne faut pas voir dans
l'obligation de l'Etat signataire ta legaJ dut Y, e.g., a duty under internationallaw » mail une obli-
gation tef good faith merely, for which there is no JegaJ aMction •. Voyez Supplêment., A.J.l.L.,
vol. 29, nO "" pp. 781 ct 787.
630
L. BOISSON DE CHAZOURNES , A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
d'un devoir et non d'une discrétion (129). Un exemple illustrant la
doctrine ancienne quant à l'effet de la signature est souvent cité:
En 1903, la. Colombie refusait de ra.tifier le Traité Hay-Herran qui accordait
aux Etats-Unis d'Amérique le droit de construire un canal â. travers l' isthme
de Panama faisant alors partie du territoire colombien. Le secrétaire d' Etat
américain Ha.y, écrivant a.u Général Reyes , s'exprimait comme suit: «The
tWQ
Governments, in agrceing ta the trea.ty through their dul)' authorized rep~n
tatives, bind themselves, pending its ratification, not only·not to oppose its
consummation, but 81so to do nothing in contravention of its termSi (130).
58. Cette conception ancienne était représentée par deux théories
dominantes: d'une part, la théorie du mandat calquée sur le droit
privé et postulant une obligation de ratifier (131); d'autre part, la
tbéorie de l'effet rétroactif de la ratification en vertu de laquelle la
signature est une source ordinaire d'obligations dans le sens que «le
traité engageait dès sa signature sous une espèce de condition résolutoire revenant à la ratification. (132).
59. L'article 18 de la Convention de Vi enne opère une distinction
nette entre la pbase de signature et la phase de ratification. De jure
et de facto, la signature est autonome et induit une ou des obligations spécifiques.
60. La signature d ' un traité induit bien une obligation juridique
de comportement aux termes de l'article 18 de la Convention de
Vienne. Il est vrai qu ' à l'échelon des relations internationales, la
portée de l'obligation est plus délicate à préciser. Aux termes de
l'article 18, d'Etat doit s'absteni... Comme l'explique Jean-Pierre
(129) Comme l' explique R. Km,B, fla rat.ifioation n' est qu'un acte subordonné ayant effet
rétroaotif., op. cil. ffUpra 27, p. 185.
(130) Paper" on ,h ~ Forei(Jn Rdationll of the United Statu. vol. 44, 1903, p. 299 cire par
R. KOLR, op. àl. 8Upra not-e 27, p. 185. L' auteur cite, dans la même perspective, le rapport de
]'Atlorney-Oe1Wltal et du Qu~en
'8 Advowle du Royaume-Uni en date du 15 mai l851, rédigé il. propos d'un traité octroyant une constitution aux îles Bay dont la ratifica.tion par le Honduras faisait encore défaut. Solon R. Kolb, ~les
auteurs s'inspirent d'une doctrine d'effet rétroaotif de la
ra.tification: ~Th&t
Altho' the Convention bctween Her Maj esty and the Rcpublic of Honduras
ha.a Ilot yet been ratified , yet the ratifications, when exchllnged , will relate bllck 1.0, and oonfirm
the Convention [ .. . ). No ACt can in the mea.ntime be properly done by H er M.ajesty, whilst the
ratifioation of the Treaty is under consideration, which may a.~ al! affeot any of the stipulations
of the treaty [ ... ]t; ibid., p. 186.
(131) Voyez Harvard Drall, pp. 770 et 8uiv .; voyez également R. KOLB, op. cit. 8upra note 27,
p. 185.
(132) Voye1. J .M. JON.K8. op. cil. 6U.pra note 12, pp. 66 et Buil>" .: .!le rêfèrcr aussi il. la. plaidoirie
de p, DF. VISSCH.ER, affa.ire d e 1& SfltnC~
a1"bitrl~
rendue pa' le Roi d 'E, pagne It 23 dÙ~1Itb,e
1906, op. cil. 8up,a note 28, pp . 161·162.
ARTICLE
18
~
CONVENTION DE
1969
631
Cot, (Ion ne demande pas aux gouvernants une action
positive» (133).
61. Dans l'affaire Iloilo cette obligation d'abstention avait été
mise en exergue. En l'espèce, entre la signature et la ratification du
traité du JO décembre 1898, portant cession des Philippines par
l'Espagne aux Etats·Unis, les insurgés philippins créèrent nombre
d' incidents qui lésèrent des intérêts britanniques. Les troupes amé·
ricaines n'occupèrent Iloilo que bien après l'évacuation des troupes
espagnoles, et ne purent empêcher l'incendie de la bourgade par les
insurgés. A la Grande·Bretagne, qui mettait en cause la négligence
coupable du gouvernement américain , la Commission mixte anglo·
américaine répondit que les Etats·Unis
«n'avaient. aucune obligation d'étendre leur contrôle sur Iloilo , que cc fût en
vertu du traité en instan ce de ratification ou d ' une autre source de droit. (134).
62. C'est cette thèse qui est reprise par l'article 18 de la Conven·
tion de Vienne qui pose seulement une obligation d'abstention. On
peut regretter un tel contenu en ce sens que la bonne foi devrait
parfois obliger les Etats à agir positivement pour préserver l' objet
et le but du traité envisagé.
63. Trois questions majeures relatives aux limites et à la portée
de l'obligation d'abstention se posent. Premièrement, l'obligation
d' abstention est·elle antinomique d'une ,mise en œuvre anticipée ou
provisoire» du traité! Il semble qu'en vertu ·du principe de l'auto·
nomie de la volonté, les parties peuvent décider d'appliquer une
convention avant sa ratifica.tion, aux modalités convenues par
elles (135). La pratique internationale offre des exemples de situa·
tions dans lesquelles un traité signé mais non encore entré en
vigueur a fait l'objet d' une application provisoire afin de préserver
l'objet et le but du traité en question. Ce fut le combat des EtatsUnis à propos de la Convention sur le droit de la mer. Selon la Foreign Affairs Division,
.Three years of prepa.ratory meetings were required before the Conference
could convene , and it may be necessary to hold more than one substantive
(133) J.-P. eûT, op. cil. 8upra note 15, p. 155.
(134) A.D. Mc NAIR, The Law of TreatiM, Oxford , 1961, p. 201.
(135) Sur ce point, consulter le commentaire de l'arti ole 25 de la Convention de Vie nne, au
sein du present ouvrA-ge. Voyez P. PICONE, L'applita:ione in \lia pro!Jvi8oria degli OCCQrdi i1lternazionali, Naples, E. Jovene, 1973 ; D. VIGNE S, . Une notion ambiguë: La mise en appli cation
provisoire des t.raitês., A.F.D .J., 1972, pp . 181 et 8uiv.
632
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
negotiating session before final agreement is reached. Beyond that time, the
process of national ratifications could delay implementation of the treaty even
further. In t,he meantime, the nccd increases for an internationally accepted
system for orderly use of the oceans ... Ethere is a] calI for the establishment of
a new international order in the oceans at the earliest possible date. Accordingly the United States has proposed that the t,reaty articles on the deep seabeds
and fisheries be applied provisionaUy without waiting until complet,ion of the
national ratification process for the ocean treaty as a whole. If the Law of the
Sea Conference produces a treaty that accomodates the Întercsts involved, provisional application eould serve to settle eurrent and ineipient disputes among
nations, enable international law to keep up with deep sea mining t,eehnology,
and alleviate the plight of fishermem (136).
J
La pratique américaine témoigne d'autres exemples d'application
anticipée. Tel a été le cas du GATT ou encore de l'accord relatif à
la Conférence des Nations Unies sur le blé (137).
64. Ces exemples tirés de la pratique conventionnelle internationale démontrent que l'article 18 de la Convention de Vienne pourrait développer une fonction purement préventive qui tendrait à
permettre aux Etats signataires d'une convention internationale,
soit unilatéralement soit ensemble, de mettre en œuvre certaines
dispositions fondamentales de ladite convention en attendant son
entrée en vigueur et cela en vue de préserver son objet et son but.
La mise en œuvre anticipée ou provisoire de ces dispositions empêche qu'il soit porté atteinte à l'objet et au but du traité en question
et oblige l'Etat qui ne veut pas appliquer provisoirement le traité
à manifester clairement son intention de ne pas être lié par le traité.
Loin d'être antagonistes, l'article 18 et l'article 25 de la Convention
de Vienne - ce dernier traitant de la question de l'application provisoire -, sont au contraire complémentaires (138).
(136) l.L.M., 1974 p. 455.
(l37) Ibid" pp. 407·460.
(138) Nous ne partageons pas l'avis du Conseiller juridique adjoint du département d'Etat
américain, Mark B. Feldman qui, en réponse a la quest.ion d'un sénateur qui s'interrogeait sur
les liens entre l'application provisoire et l'obligation pour un Etat de ne pas prendre d'action a
l'encontre de l'objet et du but d'un traité avant la ratification, a considéré qu'il n'y avait pas
de lien direct entre les deux: ~Ther
is no direct relationship between provisional application and
the obligation of treaty partners not to take actions prior to ratification that would defeat the
object and purpose of the treaty. Provisional application meanB that treaty terms are applied
temporarily pending final ratification. The obligation not to defeat the object and pm'pose of the
treaty prior to ratification could, in theory, necessitate pre-ratification application of provisions,
if any, where non-application from the date of signature would defeat the object and purpose
of the treaty. Such provisions are ra.re. In the majority of cases the obligation not to defeat the
object and purposes of the treaty means a. dut y to refrain from taking stepe that would render
impossible future application of the treaty when ratified. Both provisional application of treaties
Fl
~ .
1;
~-
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
633
65. La deuxième question porte sur l'obligation d'abstention. Cette
dernière est-elle compatible avec l'obligation de prendre des mesures
positives en faveur du traité en cause? Selon R. Kolb, .la bonne foi
n' interdit que la mise en échec de la substance d ' un traité. Elle ne
peut commander une action alors qu'on ne sait pas si le traité entrera
jamais en vigueu ... Cette vision rejoint de près la jurisprudence
ancienne qui consacre le caractère .abstentionniste. de l'obligation
contenue dans l' article 18 de la Convention de Vienne. Ainsi , les
Etats ne sont tenus qu'à une obligation de ne pas faire et non il. une
quelconque obligation de faire. C' est ce qui ressort de l'affaire des
Répandions allemandes dans laquelle l'arbitre a approuvé la position
allemande quant il. l'aliénation de certains biens :
.Le Gouvernem ent allemand reconna.ît que ce serait contra.ire à. la. bonne foi
si, après la aigna.ture, il avait pris des mesures quelconques pour faire passer
les droits et intérêts allemands en mains non allemandes. Mais il conteste qu'il
fût obligé de l'empêcher et de saisir, avant l'entrée en \'igueur du Tra.ité ( ... ]
lcs droits et intérêts en question. (139).
La pratique diplomatique s'inscrit dans la même logique comme
le reflète cette affirmation de l'Ambassadeur américain Richardson:
dntemational Law imposes no obligation upon a signatory ta a treaty ta
comply with its tenns priar ta cntry into force with respect to that signatory,
other tha.n the obligation in good fllitb to refra·in From a.cts which would defea.t
the object and purpose of the treatp (l40).
66. Si le principe demeure qu'en vertu de l'article 18, la signature
induit essentiellement une obligation d ' abstention, il se pourrait,
dans certains cas, en droit international, que la signature génère une
obligation de prendre d es mesures positives en faveur du traité en
cause, à tout le moins pour assurer le statu quo par rapport aux conditions prévalant au moment de la négociation (141). La doctrine et
and the obligation not to defest the object and purpose of treaties prior to ratification are recognized in customsry international law , in ~he
Vien na Convention on the La.w of Treaties .,
A.J .I .L., 1980, p. 933.
(139) R.S. A_ , vol. l , p. 522.
(140) M. NASH LEIOIi. op. oit. supra note 52 , p. 692.
(141) M . Lachs avait des inquiêt udes allant dans le même sena : ,[ ... ] il faudrait examiner
l'bypothèse suivante : dix Etats aiguent un traitê de désarmeolent en 1965 et assument une obligation aux termes de l&quelle ils décident de Muire leurs forces armées d'un tiers, le traité
devant entrer en vigueur le 1er janvier 1966. Dans l'intervalle, J'une des parties accroît les effectifs de ses forces années durant les mois restants de l'annêe 1965. Suffit-il de dire que l'Etat doit
s'abstenir de tout acte par l'effet duquel l'objet du t.raitê serait réduit à. nêant ? Ne (a.ut·jl pas
admettre que les Etats Rignataires sont t enus, en J' absenoe d ' une dispoRition expreRse en la.
mlitière, de maintenir Je statu quo de ma.niére à. ne pas rendre nulle la. presomption qui est à. la
base même de J'accord 1[ ... ]" A.C.D.I. , 1965, vol. J, 789· 'M seance, p. 108.
634
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
la pratique jurisprudentielle et diplomatique précitées apparaissent
à cet égard en déphasage avec l'évolution et les nouveaux défis auxquels 'est confronté le droit international, notamment en matière
d'anticipation. Le droit international de l'environnement peut nous
servir à nouveau d'exemple car, dans ce domaine) l'on fait face à
l'irréversibilité. Imaginons, par exemple, un traité de protection des
espèces menacées et de lutte contre le commerce d.e celles-ci comme
la Convention sur le commerce international des espèces de faune et
de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) (142). Un Etat
signataire d'un tel traité serait-il légitimé, au nom de l'obligation
d'abstention, de laisser continuer la capture, la chasse et le commerce de ces espèces menacées sur son territoire nationa11 Nous ne
le pensons pas car, par cette abstention, l'Etat signataire qui n'a
pas encore manifesté son intention de ne pas être lié par le traité,
prive de facto le traité de son objet et de son but qui est la sauvegarde des espèces menacées. Si l' Etat laisse perdurer ces agissements jusqu'à la ratification du traité, certaines espèces peuvent
disparaître et l'entrée en vigueur future du traité ne pourra en
aucun cas restaurer ou faire t1resBusciter:+ les espèces disparues. Le
traité aura alors été largement privé de son objet et de son but au
nom du .droit de s' abstenir>. Le phénomène de l'irréversibilité exige
qu'un Etat signataire d'un traité international anticipe non pas
dans le sens d'une application provisoire du traité - quoique cela
puisse être une solution - mais dans le sens de la mise en œuvre proprement-dite de l'article 18. L'abstention peut commander une
action positive, c'est-à-dire l'adoption de mesures visant à prévenir
que le traité soit dénué de son objet et de son but fondamentaux,
sans toutefois que l'Etat procède à une application stricte et précise
des obligations contenues dans ledit traité.
67. On le saisit, l'article 18, de lege tata comme de lege feranda,
pourrait signifier pour des Etats signataires qu'ils sont tenus' de
prendre des mesures positives en faveur du traité en cause. L'objet
et le but d'un traité donné peuvent insuffler une telle orientation à
la signature.
68. La troisième question porte Sur le fait de savoir si l'obligation
d'abstention peut aller de pair avec celle de soumettre l'instrument
(142) Voy ez texte de la Convention
in L . BQISBOI>' de CHA ZOURNES , R . DESQAONt et
C. ROMANO , op. cil. &upra note 90, p. 170.
j
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
635
signé aux autorités constitutionnellement compétentes en vue de la
ratification (143). Dans cet esprit, d 'après la thèse avancée par
Oppenheim et Lauterpacht, l'obligation qu' énonce l'article 18 obligerait au moins l'Etat signataire à soumettre l'accord aux a utorités
compétentes nationales pour autoriser la ratification (144) . Bieu que
la Constitution de l'O. I.T. soit antérieure à la Convention de Vienne
sur le droit des traités, elle fournit une illustration intéressante en
ce sens, offrant une voie juridique de concrétisation de l'obligation
pour un Etat signataire de ne pas priver un traité de son objet et
de son but. Aux termes de la Constitution de l'O.I.T. , nous l'avons
v u , les Etats membres s'engagent à so umettre, dans un délai
imparti , les conventions adoptées p ar l'Organisation aux autorités
dans la compétence desquelles entre la matière en vue de les transformer en loi ou de prendre des mesures d'un autre ordre (145). La
bonne foi ressort bien de l'article précité de la Constitution de
l' O.I.T., en ce sens que chaque gouvernement membre de l'O.I.T.
est tenu de présenter l' instrument en question aUx organes internes
compétents en vue de sa ratification. En outre, un délai précis est
fixé pour faire part du résultat de cette consultation interne. Aucun
Etat membre ne saurait priver la convention internationale du travail concernée de son objet et de son but tant qu 'il n'a pas manifesté son intention de ne pas être lié. La Constitution de l'O.I.T. va
d'ailleurs plus loin que l'article 18 dans la portée de l'obligation.
Dès l' adoption d'une convention par l'O. I.T. , tous les Etats membres, qu'ils aient voté ou non en faveur de l'adoption de ladite convention) sont tenus de la soumettre à leurs autorités internes compétentes en la m atière. L ' interaction entre la Constitution de
l'O .I.T. et l'article 18 de la Convention de Vienne tient d ans la relation entre l' obligation de ne pas priver une convention internatio(143) Dans le projet d'a rti cles relatif au droit des traités soumis il. la. C.D. 1. en 1953, Sir
H. Lauterpacht ajouta. à. l ' obl i g a~ion
de ne pas priver un t raité de Hon objet et. de son but, l'obljgation de sou mission des inst rumentH signés. L' article 5 (2) (a.) du Projet prévoyait. que la lIigna.ture d' un trAite entraine "obliga.tion de bonne foi _de soumettre l' inlltntment a ux autoritéll cons·
titutionnelles compétentes a.fin qu'elles J'exa.minent en vue de 88. ratification ou de BOn rejet. ( ... ]t,
voyez le Rapport sur le droit des traités par Sir H . LA UTKRP ACHT, A.O. D.I., 1963, vol. Il,
pp. 108 et suiv. Les raisons principales qui ont conduit Lauterpacht à. développer une telle idée
sont qu'mn équilibre équi t,abJe entre les droits et les devoirs issus de la signa.ture appelle l'obli·
gation postulée [ ... ] Puisque la. signature du texte confere certains droits, il est nécessaire qu'il
existe une contrepartie de devoirs. et qu'_( ... ] il ne den ait pas être permis li. un Et.at de se corn·
porter vis"à.-vis d'un traité aigné [ ... ] tas if it had no concern with itl.
(144) L. OPPENHEIM (H . LAUTKRPACHT éd.), op. dt. 8up ra note 13, vol. I, p. 890.
(I45)Article 19.5 bl de la Constitution de l'O. I.T., à l'ad resse: http://,,"ww .ilo.o rgjpublic!
frcneh jabout/iloconst..htm (consulté le jer juillet 2005).
636
L. BOISSON DE CHAZOURNES, A.- M. LA ROSA ET M.M. MBENGUE
nale du travail de son objet et de son but (telle que stipulée par
l'article 18) et l'obligation de manifester son intention de ratifier ou
de ne pas ratifier ladite convention au terme d'une période donnée
(telle qu'exposée par la Constitution de l'O .I .T .). Ainsi, le vide juridique créé par l'article 18 de la Convention de Vienne sur le mode
d'expression de l'intention de ne pas devenir partie au traité et sur
la période pendant laquelle devrait s'exprimer ce.tte intention aux
fins de transparence juridique, est clairement comblé par la Constitution de l'O.I.T. Mais, en sens inverse, la Constitution de l'O.I.T.
dévoile une autre limite de l'article 18 alinéa a) de la Convention de
Vienne : c'est la limitation de son champ d'application aux Etats
signataires ou ayant échangé des instruments constituant un traité.
L'interprétation des termes de l'article 18 alinéa a) laisse penser que
la simple adoption d 'une convention dans le cadre d'une conférence
internationale ne crée pas d'effet juridique opposable à un Etat,
alors que dans le cadre de l'O.I.T., l'adoption d'une convention crée
une obligation minimale pour tous les Etats membres de l' Organisation. Il serait raisonnable de penser de lege feranda que l'application de l'article 18 alinéa a) s'étende également aux Etats qui ont
voté en faveur de l'adoption d' une convention, et non pas seulement aux signataires d 'un traité, cela afin de ne pas exclure du
champ d'application de l'article d'autres modes d'acceptation provisoire notamment un vote positif lors d'une conférence internationale (146). Cela p ermettrait également de consolider le principe de
bonne foi dans les relations internationales. L'idée serait d'aboutir,
(J46) Voyez l'opinion de Sb. ROSKNNE: .[ ••• } Je Ra.pporteur spécia.l "" peut-Hre fai t une erreur
en prenant la signature oomme point de départ pou r fai re jouer l'obligation, car il est Bouvent
prévu dans les conventions multilatérales que les partic8 originaires peuvent. ohoisir entre la
signature suivie de ratification et l'adhésion sallB signature, les deux procédures étant mises sur
le même pied. [... 111 faudrait dire que l'obligation incombe aux Etats qui se sont déclarés ouver·
t ement en faveur de l'adoption du traité. Au CO Urll de la négociation d'une convention multila·
, et ils ne s'en font pal faute, voter contre certaines clauses ou certains
térale, les Eta.ts peu~·nt
articles, mais à. la fin des t ravau x, il est rare que les pa.rticipants votent cont re J'ensemble du
lexte: la pratique la plus courante est de s' 3bstenir ; or, & moins qu' il ne soit procédé â. un ..ote
par appel nominal, il peut n'être pas toujou rs mat ériellement possible de determiner quels Etats
se sont effectivement abstenu s. Vu que la. pratique de l' adhésion sa.ns signature Be repand de plus
en plus, il semble que ri en ne justifierait que l'on fit reposer l'article sur la procédure classique
de la signature suivie de ratification [ ... 1. Un autre inconvénient de la méthode qui consiste à
donner cette importance prééminente à la signatu re et à. ses conséquences tient & ce fait que cer·
tains traités ne sont pas signés, mais authentifiés seulement, comme c'est le cas pour lcs conventions int.ernationales du t ravail , ainsi que de la recente Convention pour le règlement des diffé·
rends relatifs aux invest.isse mellts entre Etats et. nationa.ux d'autres Eta.ts, éla.borée par la
Ba.nque interna.tionale de reco nstruction et de développement ... • , A.C.D.I. , 1965. vol. J,
788im"scssioll, p . 10 1.
ARTICLE
18 -
CONVENTION DE
1969
637
dans le cadre de la rationalisation du droit des traités, à la confirmation d'une obligation de ne pas priver un traité de son objet et
de son but dès la phase de conclusion de la négociation et de paraphe d'un traité, ainsi que de préciser les conditions de forme et de
fond de mise en œuvre de cette obligation. A l'heure actuelle, il ne
g' agirait pas d'un développement impromptu du droit international
mais plutôt d' un développement durable de ce dernier.
2 . - Sanctions du non-respect de l'obligation
énoncée à l'article 18, alinéa a)
69. La violation de l'obligation contenue dans l'article 18,
alinéa a) doit pouvoir, conformément au droit international général,
engager la responsabilité de l'Etat signataire d 'un traité. La frontière entre l'obligation morale - en se plaçant dans l'hypothèse selon
laquelle l'article 18 alinéa a) serait une règle morale - et l'obligation
juridique n'est pas aisée à établir. Toutefois l'introduction d' une
règle morale dans le droit positif interne ou international confère à
cette règle tous les caractères et toutes les conséquences de la juridicité.
70. En réalité, là n'est point le vrai débat. L'un des soucis de la
C.D.I., en plus de la codification, était celui du ,développement progressif du droit international>. L'article 18 participe de cette symbiose entre ,l' existant. et le , souhaitable., la , tradition; et la
,modernisation. en droit des traités, l'objectif étant bien évidemment la consolidation du droit international.
71. Dans la perspective de sanction de la violation de l'article 18,
il peut être difficile d'établir la responsabilité de l' Etat signataire ou
de celui qui a exprimé son consentement à être lié. Faut-il que les
actes tendant à priver un traité de son objet et de son but soient
analysés in concreto , c'est-à-dire qu'ils soient ca·ra·ctérÎsés par un élément subjectif, intention ou mauvaise foi j Ou, au contraire, suffitil de qualifier le résultat objectivement (in abstracto) j
72. L'a.rticle 18 pourrait permettre de battre en brèche des incertitudes juridiques du droit international applicable aux traités. En
effet, on pourrait imaginer se référer expressément - ou même
implicitement - à cette disposition en vue de produire des effets
préventifs, soit en incitant les Etats à signer les traités et, de ce fait ,
638
L.
BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET
MBENGUE
~l.M
à les obliger à ne pas priver ces instruments de leur objet et de leur
but, soit en prévoyant leur application provisoire. En outre, l'on
pourrait certes se fonder sur cet article aux fins d'exiger des Etats
qu'ils prennent des mesures spécifiques entre le moment de la signature et celui de la ratification. Ces mesures pourraient comprendre
notamment la présentation des textes adoptés aux autorités nationales compétentes en vue de susciter un débat d", fond sur l'opportunité de leur ratification et l'obligation de faire rapport sur ces
mesures. L'on baliserait de ce fait l'obligation prévue à l'article 18.
Ces aspects n 'épuisent pas la matière. Il ressort clairement que
l'article 18 peut offrir, dans le contexte du développement progressif du droit international, des voies d'exploration afin d'améliorer
l'effectivité et "efficacité des traités internationaux.
LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES,
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE DROlT
DE L'UNIVERSITt DE GENÈVE,
DIRECTRICE DU DÉPARTEMENT
DE DROIT INTERXATIONAL PUBLIC
ET ORGA.:NIS ATION INTERNATIONALE
ANNE-MARIE LA ROSA
CONSEILLER JURIDIQUE, COMITÉ INTERNATIONAL
DE L.'\ CROiX-ROUGE
(C.Le.R.),
GENÈVE
ET
?1AKANE MoïSE
MBENGUE
ASSI STANT D'ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE
À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE
CONVENTION DE VIENNE DE 1986
ARTICLE 18
OBLIGATION DE NE PAS PRIVER
UN TRAITÉ DE SON OBJET
ET DE SON BUT AVANT SON ENTRÉE
EN VIGUEUR
« Un Etat ou une or~anist
internationale doit s'abstenir d'actes qui priveraient un traité de son objet et de
son but:
a) lorsque cet Etat ou cette organisation a signé le
traité ou a échangé les instruments constituant le
traité sous réserve de ratification, d'un acte de confirmation formelle, d'acceptation ou d'approbation,
tant que cet Etat ou cette organisation n'a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité;
ou
b) lorsque cet Etat ou cette organisation a exprimé
son consentement à être lié par le traité, dans la
période qui précède l'entrée en vigueur du traité et
à condition que celle-ci ne soit pas indûment
retardée. »
L'article 18 de la Convention de Vienne de 1986 reprend de
façon substantielle les t ermes de son homonyme de la Convention
de 1969 en prenant en compte la situation des organisations inter·
640
L.
BOISSON DE CHAZOURNES, A.-M. LA ROSA ET M.M. "BENGUE
nationales comme signataires ou parties potentielles à un traité
international.
LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES,
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVEJU)ITÉ
DE GENÈVE , DIRECTRICB DU DtPARTEMENT DE DROIT
INTERNATIONAL PUBLIC ET ORCANISATION INTERNATIO:SALE
ANNE-MARIE LA ROSA
CONSEILLER JURIDlQUE, CoMITÉ INTERNATIONAL DE LA
CROIX -ROUGE (C.I.O.R.), GENÈVE
ET
MAKANE MOïSE MBENGUE
AssISTANT D'ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE À LA
FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE