Academia.eduAcademia.edu

Analyses d’ouvrages

2014, Cahiers Agricultures

Analyses d'ouvrages & Au banquet de la nature Alimentation, agriculture et politiques Joseph Garnotel Éditions Quæ, 2014 192 p. 29,50 euros (version imprimée) 19,99 euros (version téléchargeable aux formats pdf, epub, epub kindle) L’ouvrage Au banquet de la nature. Alimentation, agriculture et politiques se propose d’approfondir l’analyse de l’impact de l’acte alimentaire sur les sociétés et les économies. Dans un premier chapitre, l’auteur revient sur les évolutions récentes de la question alimentaire à l’échelle de la planète. Il évoque les parts contrastées du budget réservé à l’alimentation, entre pays avancés et pays en développement. Il mentionne aussi les évolutions récentes des régimes alimentaires au niveau mondial, avec les aspirations légitimes de populations entières à des produits nobles, notamment les protéines animales. En outre, prévient-il, l’agrobusiness mondialisé pourrait être à l’origine de désastres, si le style alimentaire qu’il véhicule venait à être adopté par tous les humains. Par conséquent, l’auteur énonce qu’il ne suffit pas que les plus nantis deviennent plus frugaux pour améliorer le sort des démunis, mais il convient de favoriser l’émergence d’une conscience mondiale qui doit déboucher sur des actes concrets : adopter des innovations pour se nourrir différemment et infléchir le modèle dominant, qui n’est pas durable. Dans le deuxième chapitre, l’accent est mis sur la diversité de cette formidable entreprise humaine qui a traversé près de douze millénaires : l’agriculture. Diverse dans ses déclinaisons spatiales, mais aussi par ses rythmes de croissance différenciés. L’auteur dresse d’ailleurs un parallèle remarquable entre l’augmentation de la surface cultivée et encore plus des rendements agricoles avec la disponibilité de capitaux ; fait avéré dans les pays occidentaux depuis le Moyen Âge. En doi: 10.1684/agr.2014.0730 revanche, dans de nombreux pays non occidentaux, notamment en Inde et en Chine, avec chacun plus d’un milliard d’habitants, les rendements n’ont pas autant augmenté et les exploitations agricoles continuent d’employer un nombre élevé de paysans, qui s’adonnent encore à des cultures très peu mécanisées. Outre l’évolution de la production agricole, les échanges de produits alimentaires ont connu des augmentations marquées. Toutefois, l’auteur insiste sur les désordres qui affectent les marchés mondiaux des denrées agricoles et dont les répercussions sont surtout ressenties par les pays pauvres. Le chapitre se clôt par les défis immenses qui demeurent, en relation à la question de l’agriculture mondiale : pauvreté rurale, atteintes aux écosystèmes, entraves d’accès au foncier, etc. L’auteur rappelle d’ailleurs que si la communauté internationale s’est fixée comme objectif universel le droit à l’alimentation, ce dernier est largement bafoué, surtout dans les pays du Sud, mais aussi dans des poches de pauvreté dans les pays développés. Le troisième chapitre est consacré à l’agriculture en France. L’auteur y revient sur les caractéristiques édapho-climatiques de l’Hexagone, à ses climats qui se prêtent à une agriculture intensifiée. Il insiste sur l’essor de l’agriculture française à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, suite aux deux conflits mondiaux. Toutefois, les premières critiques du productivisme ont commencé à émerger avec l’affirmation du lobby agricole. Il s’en est suivi de timides tentatives de régulation assorties de la promotion de l’innovation pour faire valoir des modes de production plus vertueux. Les évolutions récentes ont ainsi fait apparaı̂tre une spécialisation poussée des exploitations agricoles qui les fragilise, eu égard à la volatilité des prix des produits, ainsi que la diminution marquée de leurs effectifs. Le niveau de formation des agriculteurs est cependant en nette hausse, comme la stabilisation des revenus et des emplois. Le quatrième chapitre est consacré à la relation complexe qui lie l’agriculture aux politiques publiques. Évoquant ce Cah Agric, vol. 23, n8 6, novembre-décembre 2014 403 qu’il appelle « l’exception agricole », l’auteur insiste sur la nécessité de règles claires par rapport à la question vitale de la sécurité alimentaire de la planète. Toutefois, la légitimité des politiques publiques ne doit pas juste considérer la fourniture d’une alimentation saine et équilibrée, mais aussi la durabilité des agricultures, ce qui renvoie à une gestion rationnelle des ressources naturelles et un développement territorial harmonieux. Pour atteindre ces objectifs, les politiques publiques se doivent d’être dotées d’instruments adéquats. Après l’ère des aides directes aux producteurs, dont les résultats ont été décevants, il est temps de considérer des instruments adaptés à la volatilité persistante des prix agricoles et alimentaires, dont les premières victimes ne sont autres que les consommateurs. L’auteur insiste sur les dangers que représentent les spéculations sur les denrées agricoles, et il préconise de ne pas se contenter de s’en accommoder, mais plutôt d’essayer de les éradiquer. Il cite, à cet égard, des travaux récents d’économistes qui plaident pour : – L’entière intégration des marchés des produits agricoles dans la dynamique générale de la régulation financière mondiale ; – La régulation internationale des marchés physiques, avec à la clé une politique mondiale des stocks de denrées vivrières de base. Ces instruments de contrôle à l’échelle planétaire supposent la mise en place d’instances internationales de gouvernance, ce qui conforte l’idée d’une réforme de l’architecture actuelle de l’Organisation des Nations unies et de ses institutions en charge des questions agricoles (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture - FAO) et commerciales (Organisation mondiale du commerce - OMC). Dans le cinquième chapitre intitulé « Nourrir le monde et tout le monde », l’auteur revient sur la faim, véritable révélateur des désordres du monde moderne. En effet, si, à l’ère des indépendances, la dualité pays développés/pays du Tiers-monde permettait de distinguer aisément une Analyses d'ouvrages situation d’opulence agricole et alimentaire par rapport à une autre de précarité, ce tableau semble s’être modifié. Tout simplement car au sein du « Tiers-monde » des vitesses de croissance agricole différenciées ont été notées entre pays. Toutefois, au sein des pays communément reconnus comme les moins avancés (PMA), les retards de développement agricole sont encore flagrants. Cependant, de manière générale, l’agriculture n’a pas bénéficié de l’attention qui devrait lui revenir comme puissant vecteur de développement humain et d’éradication de la pauvreté, aussi bien de la part des gouvernements locaux que des organismes internationaux. Ces constats intiment d’accorder à l’avenir un intérêt croissant aux questions agricoles et alimentaires aussi bien au plan local qu’international. En outre, la gouvernance mondiale devra encore progresser pour que le droit à une alimentation suffisante et équilibrée soit assuré pour tous. Dans une conclusion générale, l’auteur rappelle l’importance du fait alimentaire, qui se rapporte à la société entière, avec une dimension planétaire. Par conséquent, la question agricole renvoie à des questions d’éthique et même d’équité. Satisfaire les besoins alimentaires des hommes au quotidien mobilise ainsi des efforts significatifs de l’humanité entière. Cela intime de comprendre ces efforts et de les canaliser à bon escient, ce qui s’éloigne du simplisme de certains dogmes. Parmi les approches constructives permettant de résoudre le dilemme alimentaire mondial, il y a sûrement la réhabilitation des savoirs paysans locaux ou encore des choix de consommation plus modérés qui amèneraient les individus à infléchir le système mondial vers plus de vertu. Au final, l’auteur se plaı̂t à réitérer l’urgence de faire progresser la production agricole enregistrée en 2005 de près de 70 %, pour satisfaire les besoins alimentaires qui seront exprimés en 2050. Et de conclure qu’il reste à espérer que cet accroissement soit équitablement réparti pour effectivement soulager ceux qui souffrent de la faim. Écrit dans un style clair, illustré comme il se doit par de nombreuses figures ainsi que par d’explicites encadrés, cet ouvrage tombe à point nommé pour renseigner la complexité de la question alimentaire à l’échelle mondiale et ses évolutions à venir. À ce titre, il constitue une référence précieuse pour tout intéressé par ces questions et devrait, par conséquent, drainer un large lectorat, du fait de l’actualité de cette thématique et de ses répercussions vitales. Mohamed Taher Sraı̈ri <mt.srairi@iav.ac.ma> & Agricultures familiales et mondes à venir Éditeur scientifique : Jean Michel Sourisseau Éditions Quæ, 2014 Collection « Agricultures et Défis du Monde » 360 p. 26 euros (version imprimée) 17,99 euros (version téléchargeable au format pdf) L’ouvrage Agricultures familiales et mondes à venir est paru à l’occasion de la déclaration des Nations unies, qui a proclamé 2014 Année internationale de l’agriculture familiale. Le livre fait le point sur les travaux de chercheurs du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) sur la question, et ce, à travers diverses expériences de terrain dans le monde tropical. L’ouvrage est structuré en quatre parties distinctes, dont les objectifs sont : – Définir et comprendre les agricultures familiales ; – Contribuer à nourrir le monde et à faire vivre les territoires ; – Relever les défis du futur ; – La recherche et les défis des agricultures familiales. Dans la première partie, les auteurs rappellent le rôle central des agricultures familiales dans l’histoire du monde. Ils évoquent aussi la multiplicité des formes que recouvrent ces agricultures et leurs formidables facultés de résilience face aux chocs. Le facteur travail est présenté comme 404 indissociable de l’avenir de ces exploitations, à un moment où sa pénibilité et ses rémunérations, souvent limitées, risquent de ne plus le rendre attrayant pour de nombreux membres des familles paysannes. En outre, les agricultures familiales développent sur tous les territoires des relations complexes avec d’autres formes d’agricultures, notamment capitalistes. Les compétitions d’accès aux ressources, surtout foncières et hydriques, déterminent la nature des liens qui s’établissent. Au final, les évolutions de ces relations sont avant tout dues à l’histoire agraire et encore plus aux choix actuels de société, inhérents aux politiques mises en œuvre dans différents pays. La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à démontrer les contributions des agricultures familiales pour nourrir le monde et entretenir les territoires. Singulièrement, cette partie aborde, en premier lieu, les apports des agricultures familiales aux systèmes écologiques et sociaux. Les auteurs y rappellent les rôles primordiaux d’entretien des paysages, mentionnant au passage la contribution marquée des animaux d’élevage dans ces processus. Les agricultures familiales participent aussi aux dynamiques territoriales par leur intervention dans des zones marginales et même dans des fronts pionniers. En outre, elles peuvent aussi être investies de rôles multifonctionnels, ne se contentant pas seulement de produire des biens alimentaires, mais assumant des responsabilités dans les tissus sociaux, ou prodiguant des services environnementaux et récréatifs. Par ailleurs, l’importance des exploitations familiales en termes d’effectifs et d’emprise territoriale à l’échelle de toute la planète se manifeste d’abord dans une contribution majeure à la fourniture de denrées alimentaires et de matières premières agricoles. Ainsi, pour des produits emblématiques des zones tropicales, tels que le riz, le coton ou la banane plantain, les estimations des auteurs démontrent que la part des agricultures familiales est supérieure à 80 % de la production totale. Il en va de même pour le café ou le cacao, ce qui Cah Agric, vol. 23, n8 6, novembre-décembre 2014 Analyses d'ouvrages concourt à démontrer l’importance des agricultures familiales dans l’approvisionnement des marchés internationaux. Au final, elles sont aussi responsables, dans tous les contextes, d’une participation claire à l’innovation, aux politiques et à la démocratie locale. Cela se traduit d’abord par des formes diverses d’action collective, le plus souvent assumée par des organisations paysannes et rurales (coopératives, associations, syndicats, etc.). La troisième partie de l’ouvrage est dédiée aux défis à relever dans le futur. Les premiers sont relatifs à la pauvreté, à l’emploi et à la sécurité alimentaire. Les auteurs reviennent sur les objectifs du millénaire en termes de baisse de la pauvreté, avec des réalisations certaines mais aussi l’accroissement des disparités à l’échelle mondiale. L’autre problématique qui a un impact prononcé sur l’avenir des agricultures familiales est en relation à l’emploi des membres des exploitations familiales et à leur alimentation. Les réponses adoptées face à ces défis sont aussi présentées, telles que les interventions des pouvoirs publics ou l’ouverture économique. Le deuxième grand groupe de défis est lié à l’accès à l’énergie. Pour les agricultures familiales, cela constitue à la fois une menace et une opportunité. Elles peuvent ainsi devenir impliquées dans le marché mondial des agrocarburants. De même, elles sont amenées à participer à la fourniture des villes en bois-énergie, et ce, de manière durable. En outre, elles sont potentiellement sollicitées pour produire de la biomasse agricole, destinée à satisfaire les demandes énergétiques de populations locales. En aval de l’agriculture familiale, la valorisation de ses produits par des processus industriels économes en énergie est aussi capable de contribuer à relever le défi énergétique mondial. Sans omettre que les coproduits des récoltes (fanes, pailles, etc.) constituent une source alternative à l’usage d’énergies fossiles, étant donné leur renchérissement actuel. Un autre type de défis à relever par les agricultures familiales est d’ordre sanitaire. En effet, les logiques de la mondialisation ont accentué les échanges de matériel génétique, amplifiant les menaces aussi bien pour les cultures que pour les animaux d’élevage. Cela peut compromettre l’insertion de ces agricultures dans les marchés mondiaux. Toutefois, par leur usage intensif de variétés et races rustiques, les agricultures familiales disposent d’atouts pour s’adapter aux menaces sanitaires. Il serait cependant salutaire que cela soit renforcé par un rôle accru des pouvoirs publics qui se doivent de mettre en œuvre des programmes nationaux de surveillance des risques. Le dernier type de défis que doit relever les agricultures familiales est directement en prise avec une gestion durable des ressources naturelles. Parmi celles-ci, la perte de biodiversité constitue désormais un enjeu planétaire. S’y rajoute la compétition pour l’eau et le foncier, dont la gestion intelligente relève avant tout de choix politiques en faveur (ou non) de l’équité d’accès à ces ressources. Au final, les rédacteurs de ce chapitre appellent à une mobilisation de moyens conséquents de soutien des agricultures familiales en vue de protéger les ressources naturelles. La dernière partie de cet opus est consacrée aux recherches dédiées aux agricultures familiales et aux voies pour en relever les défis : y sont développés des exemples de coconstruction de l’innovation, de recherche-action, de services de conseil aux exploitations dans un contexte mondial de désengagement des services étatiques traditionnels d’appui aux producteurs, d’accompagnement pour la prévention des risques sanitaires ou encore de gestion en partenariat avec des paysans de la biodiversité agricole et de production de semences. Ces exemples se basent sur des recherches menées dans diverses parties du monde tropical (Asie du Sud, Afrique subsaharienne, Amériques centrale et du Sud), et dont certaines aboutissent à des succès concluants. Enfin, cette dernière partie se clôt par un chapitre dédié à l’adoption de l’intensification écologique en agricultures familiales. Dans la conclusion générale, les réalités extrêmement diverses des agricultures familiales sont rappelées. Les auteurs insistent sur la nécessité Cah Agric, vol. 23, n8 6, novembre-décembre 2014 405 d’appréhender les enjeux futurs de l’agriculture mondiale, en priorité à l’aune des réalités de ces types d’exploitations. Au final, il est impératif de considérer ces agricultures comme un projet d’émancipation sociale, mais avec des modèles de développement qui restent à définir selon les spécificités locales. Pour les chercheurs, il est sûr que les agricultures familiales vont davantage s’affirmer comme un objet d’études fédérateur, source d’innovations dans les sciences agronomiques au sens le plus large du terme. Écrit dans un style clair et précis, illustré par plus de 60 encadrés spécifiques à des situations d’agricultures familiales disséminées à travers le monde, et citant une abondante bibliographie récente, l’ouvrage vient à point nommé rappeler les défis multiples qui guettent l’approvisionnement alimentaire d’une population humaine mondiale, dont les effectifs vont atteindre 9 milliards d’individus à l’horizon 2050. Il met en exergue les atouts des agricultures familiales pour parvenir à atteindre cet objectif, tout en étant réaliste sur leurs limites et sur les moyens à mettre en œuvre pour leur permettre d’évoluer sereinement. Il constitue, de fait, un vibrant plaidoyer pour accompagner l’essor de ce type d’agricultures et contribue, si ce n’est que pour ses lecteurs de différents horizons (chercheurs, enseignants, étudiants, large public intéressé par les questions agricole et alimentaire), à faire de 2014, une année effectivement dédiée aux agricultures familiales. Mohamed Taher Sraı̈ri <mt.srairi@iav.ac.ma> & Hydrologie 1 Une science de la nature Une gestion sociétale André Musy, Christophe Higy, Emmanuel Reynard Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 Collection « Science et ingénierie de l'environnement » 516 p. 57 euros Analyses d'ouvrages Cet ouvrage universitaire suisse représente un somme de près de 500 pages sur l’eau et sa gestion, qui s’adresse à un public d’étudiants et de professionnels. L’hydrologie elle-même constitue bien sûr l’essentiel de cet ouvrage de référence : cycle de l’eau, bassinversant, précipitations, écoulements, stockage, mesures hydrologiques. Mais, l’ouvrage fait également une large part à la gestion de l’eau, à ses différents usages, aux risques, et à l’impact du changement climatique, dans sa seconde partie. Si les milieux montagneux sont bien représentés dans les exemples, les milieux méditerranéens et tropicaux ne sont pas non plus oubliés, comme en témoigne le maraı̂cher burkinabé qui figure en couverture aux côtés d’un glacier alpin, ou l’étude de cas sur l’aquifère du Sahara septentrional. Différents exemples de gestion intégrée, en France, en Suisse et au Maroc, sont analysés. La partie sur les usages aborde largement la question de l’irrigation, avec là aussi des exemples européens, asiatiques et africains, en analysant des exemples problématiques comme l’irrigation en amont de la mer d’Aral ou les transferts interbassins en Chine et en Espagne. Bien illustré de schémas très pédagogiques, cet ouvrage s’appuie sur de nombreuses sources actualisées, regroupées dans une bibliographie qui ne représente pas moins d’une quinzaine de pages. Le lecteur intéressé par une question particulière, par différents points de vue, ou par un exemple précis, trouvera donc facilement toutes les informations bibliographiques qui lui permettront d’approfondir ses connaissances. En résumé, un ouvrage de référence, pédagogique et très complet, destiné en priorité à un public professionnel et universitaire. Jean-Yves Jamin <jean-yves.jamin@cirad.fr> & Eau, sciences et technologies Quelles innovations pour une gestion durable de l’eau ? La revue du Forum des Idées Neuves sur l'Eau Les Cahiers de l'eau n° 2 (novembre 2013) Édité par la Lyonnaise des Eaux 150 p. http://www.lyonnaise-des-eaux.com/var/lde/storage/ cahier-de-l-eau-n-2/files/assets/basic-html/page1.html> Couverture kitsch à souhait, titres un peu pompeux (« La science, nouveau paradigme de l’eau »), édition par Suez et la Lyonnaise des Eaux, encensement du « modèle français » de gestion de l’eau en introduction. . . Il faut passer par-dessus ces abords qui pourraient inciter à la méfiance pour entrer dans le contenu de cet ouvrage qui relève plus de l’exercice de communication bien maı̂trisé que de la publication scientifique (très peu de références sont citées). Les initiateurs des « Forums des Idées Neuves sur l’Eau », dont ces Cahiers se font l’écho, ont mis le paquet : présidence par les très médiatiques Erik Orsenna, Martin Hirsch, ou Luc Ferry, mobilisation de « pointures » scientifiques comme Bernard Chevassus-auLouis, Bernard Itier, Jean Jouzel, Christian Lévêque, ou une vingtaine d’autres présidents ou directeurs d’organismes scientifiques ou techniques, publics ou privés, venus de divers horizons professionnels et disciplinaires. Le lecteur aura intérêt à parcourir vite les premières contributions, tout à la gloire de l’entreprise marraine, à moins qu’il n’aime se délecter de formules comme « le ré-engineering de Dame nature ». Plus intéressante est l’analyse de l’état de l’opinion sur les sujets environnementaux faite par le fondateur d’un institut de sondage. Elle montre en particulier que l’agriculture reste perçue comme un secteur 406 « naturel », beaucoup moins polluant que l’industrie, même si, paradoxalement vu le sujet, aucune question spécifique ne semble avoir été posée sur les liens entre l’eau et l’agriculture. La contribution de l’expert du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) apporte aussi, en quelques pages, une vision synthétique intéressante des liens entre climat et ressources en eau et entre climat et agriculture, en France. Pour les lecteurs des Cahiers Agricultures, les vingt pages les plus intéressantes sont celles baptisées « L’eau – Au cœur des futures révolutions agricoles ». La « réussite globale du modèle agricole français » y est certes mise en avant, mais sans cacher ses impacts sur l’eau, tant en termes de prélèvement au moment le plus sensible, l’étiage, qu’en termes de pollution par les nitrates et les pesticides. Avec de fortes disparités géographiques dans les deux cas, que les changements climatiques pourraient accentuer pour les étiages. Les solutions proposées ne sont cependant peut-être pas toutes aussi novatrices que ne l’annonce l’ouvrage, la principale étant. . . de construire de nouvelles retenues. . . solution qui a fait la une de l’actualité il y a peu avec le barrage controversé de Sivens. Plus innovante, la réalimentation des nappes présente plus d’avantages environnementaux. La proposition de mobilisation des biotechnologies présentée comme une solution pour rendre les plantes plus résistantes à la sécheresse évite quant à elle soigneusement de prononcer le mot d’OGM. . . Au final, un ouvrage intéressant s’il est lu avec un esprit critique, qui amène à se poser des questions au-delà des solutions proposées par une communauté choisie sur mesure et parfois trop consensuelle. Jean-Yves Jamin <jean-yves.jamin@cirad.fr> & Cah Agric, vol. 23, n8 6, novembre-décembre 2014