Acquisition et interaction en langue
étrangère
8 | 1996
Activité et représentations métalinguistiques dans les
acquisitions des langues
Activités métalinguistiques et acquisition d'une
langue
Jean-Émile Gombert
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/aile/1224
DOI : 10.4000/aile.1224
ISSN : 1778-7432
Éditeur
Association Encrages
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 1996
Pagination : 41-55
ISSN : 1243-969X
Référence électronique
Jean-Émile Gombert, « Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue », Acquisition et
interaction en langue étrangère [En ligne], 8 | 1996, mis en ligne le 05 décembre 2011, consulté le 15
avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/aile/1224 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aile.1224
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
Activités métalinguistiques et
acquisition d'une langue
Jean-Émile Gombert
Introduction
1
Les différentes acceptions du vocable métalinguistique en fonction du champ
disciplinaire dans lequel il est utilisé a fait l’objet de plusieurs discussions théoriques
(en particulier, voir Gombert, 1990).
2
Pour les linguistes, l’adjectif métalinguistique est dérivé du substantif métalangue et
qualifie donc les utilisations de la langue pour référer à elle-même. Pour les
psycholinguistes cognitivistes, les activités métalinguistiques constituent un sousdomaine de la métacognition qui concerne le langage et son utilisation. Il comprend les
activités de réflexion sur le langage ainsi que les activités de contrôle conscient et de
planification intentionnelle par le sujet de ses propres processus de traitement
linguistique (en compréhension ou en production). En d’autres termes, le linguiste
s’intéresse à la part de métalangue dans le langage, le psycholinguiste aux spécificités
du métalinguistique dans le métacognitif.
3
En fait, les choses sont loin d’être aussi tranchées - comme ne sont d’ailleurs pas
étanches, et heureusement, les frontières entre linguistique et psycholinguistique - et
les acceptions des uns se trouvent contaminées par celles des autres. Ainsi, chez la
plupart des linguistes, on trouve une référence - au moins implicite - aux processus de
pensée lorsqu’ils traitent des énoncés métalinguistiques. De façon symétrique, on
trouve un intérêt particulier pour le langage autoréférencié chez le psycholinguiste qui
étudie les comportements métalinguistiques. Les risques d’opacité terminologique sont
donc bien réels et ne peuvent être levés par la simple prise en compte de
l’appartenance disciplinaire des auteurs. L’ambiguïté référentielle constitue d’ailleurs
ici souvent la règle.
4
Toute polysémie n’est pas en soi dommageable. La plupart du temps, elle engendre des
effets de sens qui permettent que chacune des significations dénotées soit connotée par
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
chacune des autres. Ces effets de halo sémantique nuisent toutefois à la rigueur du
discours scientifique et ne sont pas de mise dans la description et les tentatives
d’explication objectivante. Il faut donc légiférer l’usage du terme métalinguistique ou
l’abandonner au langage commun. Nous allons tenter de relever la gageure de la
première solution. Se pose alors la question de l’acception qu’il s’agit de privilégier.
5
Les linguistiques ont, en la matière, une légitimité liée, d’une part à l’ancienneté dans
l’utilisation de la notion et, d’autre part, à l’usage du substantif métalangue qui a
parfois à jouer un rôle prédicatif et qui donc réclame un adjectif qui en soit dérivé. Les
psychologues spécialistes de métacognition ont, quant à eux, une cohérence à
préserver au sein d’un ensemble qui comprend de multiples méta-activités (métamémoire, méta-attention, méta-apprentissage…) dont les activités métalinguistiques ne
sont qu’une composante. Le choix semble donc a priori très difficile.
6
Toutefois, à examiner l’évolution des emplois de la notion par les linguistes euxmêmes, il semble qu’un consensus soit en voie d’être établi pour reconnaître
l’importance de la dimension cognitive dans la description du métalinguistique.
7
En effet, dès les années 60, Benveniste lie la faculté métalinguistique à la « possibilité
que nous avons de nous élever au-dessus de la langue, de nous en abstraire, de la
contempler, tout en l’utilisant dans nos raisonnements et nos observations ».
(Benveniste, 1974). Ainsi, un des plus illustres linguistes utilisateurs du terme
métalinguistique y voit la désignation d’activités cognitives sur la langue et non pas la
simple activité linguistique sur cette langue. De fait, la métalangue peut être considérée
comme un produit particulier d’activités métalinguistiques qui n’ont pas
nécessairement une telle manifestation. En d’autres termes, « métalinguistique » ne
renvoie pas restrictivement à « métalangue » mais à « activité cognitive sur le
langage », la métalangue n’étant qu’un produit possible et un outil privilégié de
l’activité métalinguistique.
8
La polysémie dénoncée plus haut semble donc plus apparente que réelle. Le linguiste,
généralement plus préoccupé par l’analyse des traces que par les mécanismes
psychologiques de leur manipulation, croyait traiter de l’ensemble du métalinguistique
en s’intéressant à la langue sur le langage. En fait, il ne traitait que d’un aspect, certes
privilégié, d’un domaine plus large, celui des activités cognitives sur le langage, dont
bien entendu font partie les activités linguistiques sur le langage. Ainsi, le
métalinguistique du linguiste serait inclus dans celui du psychologue.
9
Cette résolution de la controverse, n’est malheureusement pas totalement satisfaisante
et le risque est grand de tomber dans un travers fréquent chez les psychologues, celui
du recours à un concept pseudo-scientifique qui recouvre exactement l’empan
conceptuel d’une notion plus ancienne. En effet, toute conduite linguistique étant gérée
cognitivement, se pose la question de la différenciation entre activité linguistique et
activité métalinguistique. Pour que la notion conserve quelque utilité, il est donc
nécessaire d’une part de spécifier les activités métacognitives et d’y situer les activités
métalinguistiques, d’autre part, de différencier divers types d’activités cognitives sur le
langage pour y reconnaître des activités non métalinguistiques.
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
La métacognition
10
La plupart des spécialistes de la métacognition s’accorde pour réserver ce terme à la
désignation d’un ensemble de processus impliqués dans le contrôle conscient des
activités cognitives. En 1976, Flavell définit ainsi la métacognition :
La métacognition se réfère aux connaissances du sujet sur ses propres processus et
produits cognitifs ou sur toute chose qui leur est reliée, par exemple, les propriétés
des informations ou des données pertinentes pour leur apprentissage. Par exemple,
je déploie une activité métacognitive (méta-mémoire, méta-apprentissage, métaattention, métalangage, ou autre) si je remarque que j’ai plus de difficultés à
apprendre A que B ; s’il me vient à l’esprit que je dois contrôler deux fois C avant de
l’accepter comme un fait ; s’il me vient à l’idée, dans une situation de tâche à choix
multiples, qu’il est préférable d’examiner chacune des possibilités avant de décider
quelle est la meilleure ; si je pressens qu’il vaut mieux prendre D en note car je
risque de l’oublier (…). Entre autres choses, la métacognition renvoie au contrôle
actif, à la régulation et à l’orchestration de ces processus en relation avec les
données ou objets cognitifs sur lesquels ils portent, normalement en fonction d’un
but ou d’un objectif concret (p. 232, notre traduction).
11
A diverses reprises, Flavell a précisé le champ couvert par la métacognition en
distinguant différents types de phénomènes psychologiques (pour une synthèse en
français, voir Flavell, 1985).
12
Tout d’abord, Flavell distingue les connaissances métacognitives, qui correspondent à
un ensemble d’informations dont l’individu dispose en mémoire à long terme à propos
des activités cognitives, de l’expérience métacognitive constituée de l’ensemble de ce
que l’individu a ressenti à l’occasion d’une activité cognitive quelle qu’elle soit.
13
Une connaissance métacognitive peut concerner :
• la personne elle-même, il s’agit alors d’une connaissance (correcte ou non) de son propre
système de traitement de l’information ;
• la tâche à accomplir, c’est-à-dire la nature des informations à traiter et les opérations à
effectuer ;
• les stratégies qui peuvent être développées pour réaliser une tâche particulière ;
• Enfin, toute interaction entre les précédents objets de connaissance.
14
Les connaissances métacognitives peuvent être déclaratives, mais aussi procédurales
lorsqu’un individu sait comment agir cognitivement en prenant en compte sa propre
connaissance du fonctionnement cognitif.
15
L’expérience métacognitive, quant à elle, constitue en quelque sorte le « vécu cognitif »
du sujet. Elle englobe tout ce que l’individu a ressenti du fait d’activités cognitives, qu’il
s’agisse d’idées clairement identifiables par le sujet (par exemple : « Je connais la
solution du problème »), ou de sentiments à la limite de la conscience (par exemple, le
sentiment de satisfaction qui accompagne la résolution d’un problème).
16
S’appuyant le plus souvent sur l’exemple de la méta-mémoire, Flavell a illustré chacune
de ces sous-catégories des phénomènes de la métacognition. Dans une publication
récente (Gombert, 1993), nous avons tenté de voir si l’activité métalinguistique se
prêtait aussi bien à cette répartition.
17
De cette analyse, il ressort une nécessité de distinguer et d’articuler différentes
activités métalinguistiques en fonction des aspects linguistiques sur lesquels elles
portent. En fait, trois sous-domaines principaux des connaissances métalinguistiques
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doivent être distingués : (1) les connaissances méta-phonologiques (connaissances de la
structure phonologique des items linguistiques) ; (2) les connaissances métasémantiques (connaissances des rapports signifiants/signifiés) ; (3) les connaissances
méta-syntaxiques (connaissances des règles formelles qui déterminent la
grammaticalité).
18
En ce qui concerne les deux derniers sous-domaines (méta-sémantique et métasyntaxe), il est possible d’envisager, d’une part la connaissance des sujets sur ces
aspects (donc les méta-connaissances sur la nature du langage : respectivement sur
l’autonomie relative du matériel linguistique par rapport aux concepts qu’il symbolise
et sur les structures syntaxiques), d’autre part la connaissance qu’ils ont des autres
phénomènes métacognitifs susceptibles d’interagir avec ces aspects.
19
Pour ce dernier type de connaissances, en ce qui concerne les aspects métasémantiques, il s’agit, par exemple, de la connaissance de la façon dont on accède aux
significations verbales, de la connaissance du fait que le degré d’explicité nécessaire des
formulations varie en fonction des caractéristiques de la tâche, ou encore de la
connaissance des stratégies discursives à utiliser pour se faire comprendre ou obtenir
ce que l’on veut. Globalement, on retrouve dans cette énumération le domaine métapragmatique restreint, comme nous l’avons proposé ailleurs (Gombert, 1990), à la
connaissance des relations entre le système linguistique et son contexte non
linguistique d’utilisation.
20
Pour les aspects syntaxiques il s’agit, par exemple, de la connaissance de la façon dont
on traite les marques morphologiques (par exemple les flexions verbales), de la
connaissance du fait qu’au sein de la phrase une simple parataxe est plus facilement
compréhensible que des propositions enchâssées ou encore de la connaissance de
l’agencement syntaxique optimum pour faciliter la compréhension. On retrouve ici des
activités, parfois qualifiées de méta-pragmatiques (voir Brunet et Hickmann, 1983), qui
existent à l’intérieur du système linguistique lui-même. J’ai ailleurs (Gombert, 1990)
regroupé ces aspects sous l’appellation « activités méta-textuelles » 1.
21
Les phénomènes méta-pragmatiques2 peuvent donc être considérés comme le pendant
méta-communicatif des connaissances méta-sémantiques. De même, les phénomènes
méta-textuels sont en quelque sorte le prolongement méta-communicatif des
connaissances méta-syntaxiques. Reste à considérer les connaissances métaphonologiques.
22
Les connaissances méta-phonologiques ont un statut tout à fait original. En effet, elles
ne semblent pas être mobilisées par la communication verbale orale. Ainsi, un
analphabète ne manifeste-t-il que très peu de connaissances méta-phonologiques dans
les tâches expérimentales (voir Gombert, 1994 ; Morais, Cary, Alegria et Bertelson,
1979). En revanche, il suffit qu’un individu soit confronté à l’apprentissage de la lecture
d’une langue alphabétique pour qu’il développe de telles connaissances (pour une
revue, voir Fayol, Gombert, Lecocq, Sprenger-Charolles et Zagar, 1992).
23
L’originalité des connaissances méta-phonologiques tient à ce que les tâches qui les
mobilisent ne sont pas (ou du moins pas nécessairement) des tâches de communication.
Savoir qu’un Japonais a des difficultés à discriminer les phonèmes /r/ et /l/ n’est pas de
l’ordre de la communication, non plus que de savoir qu’il est plus facile de dénombrer
des syllabes que des phones ou encore de connaître la procédure pour oraliser un
logatome écrit. Ces connaissances métacognitives ne sont ni méta-pragmatiques ni
méta-textuelles. Elles concernent des manipulations formelles du langage,
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
exceptionnelles à l’oral mais nécessaires dans la manipulation d’un écrit qui code les
traits phonologiques du langage.
24
Pour synthétiser les développements précédents, on reconnaîtra, au sein du domaine
général des connaissances métalinguistiques, une catégorie centrale qui correspond à
la connaissance de la nature des informations linguistiques. Cette catégorie regroupe
les connaissances méta-phonologiques, les connaissances méta-sémantiques et les
connaissances méta-syntaxiques.
25
Les connaissances méta-pragmatiques sont celles qui concernent : 1) la façon dont les
individus traitent les données sémantiques ; 2) la difficulté du traitement des
significations en production et en compréhension ; 3) les stratégies d’accès ou de
présentation des significations verbales. Elles correspondent donc à la connaissance de
la façon dont les variations dans la nature sémantique des informations manipulées
affectent le traitement, ceci tant au niveau du fonctionnement général de l’appareil
cognitif qu’à ceux des opérations mises en œuvre et des stratégies disponibles.
26
Les connaissance méta-textuelles portent : 1) soit sur la façon dont les individus
traitent la syntaxe et plus largement les relations formelles intralinguistiques ; 2) soit
sur les niveaux de complexité syntaxique ; 3) soit sur les stratégies d’élaboration
syntaxique des textes en vue de permettre plus ou moins les mises en relation internes.
Ici encore, il s’agit d’interactions entre des connaissances sur la nature des
informations à traiter (en l’espèce, leur nature syntaxique) et les autres types de
connaissances métacognitives.
27
Il est enfin possible de considérer qu’il existe un ensemble, à contour flou,
d’expériences métacognitives ayant trait au langage. Il s’agirait alors du fruit de
l’ensemble du vécu métalinguistique de l’individu, constituant ce que l’on pourrait
appeler l’expérience méta-pragmatique, à bien distinguer des connaissances métapragmatiques évoquées plus haut (voir Gombert, 1993).
Les niveaux de contrôle cognitif
28
Il doit être clair que les connaissances métalinguistiques sont des connaissances
mentalisées, ou du moins évocables mentalement. Les activités métalinguistiques, en
tant qu’activités métacognitives portant sur le langage, sont donc limitées aux activités
cognitives appliquées consciemment à la manipulation du langage et ne recouvrent
donc pas l’ensemble des processus cognitifs de contrôle des comportements
linguistiques. Il convient de distinguer trois types de processus cognitifs susceptibles
d’être mobilisés dans la manipulation du langage :
1. Des traitements linguistiques primaires à l’œuvre à un niveau présymbolique. Il s’agit de
cycles qui relient des réponses conditionnées à des stimulations, les unes et/ou les autres
étant objectivement de nature linguistique ;
2. Des traitements cognitifs, à l’œuvre dès que le traitement dépasse le niveau de la simple
réponse associative, contrôlant les processus primaires mais non disponibles pour l’accès
conscient et la gestion intentionnelle ;
3. Des traitements métacognitifs de mentalisation d’opérations effectuées sur le langage.
29
En reprenant et adaptant une distinction opérée par Culioli (1968), nous qualifions le
deuxième type de traitement d’épilinguistique et le troisième de métalinguistique.
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30
Pour ce qui concerne l’originalité des traitements épilinguistiques, il faut prendre en
considération le fait que le contrôle cognitif n’est pas apparent dans tout
comportement. La plupart du temps, le chercheur l’infère du degré de complexité du
traitement supposé être à l’origine de la réponse observée. Une distinction doit donc
être opérée au sein des comportements linguistiques « non méta ». En effet, ce qui
distingue les comportements épilinguistiques des autres comportements nonmétalinguistiques, c’est que le contrôle cognitif y est clairement marqué en surface
(comme c’est le cas, par exemple, dans les activités de correction). Toutefois, cette
particularité apparente ces comportements aux comportements métalinguistiques et
invite donc à ce qu’ils en soient clairement différenciés.
31
Si nous appelons épiprocessus les processus cognitifs qui engendrent les
comportements épilinguistiques, on doit reconnaître qu’ils sont constamment à
l’œuvre dans tout comportement linguistique dont le niveau de contrôle dépasse le
niveau purement associatif qui est celui des premiers traitements présymboliques
(réactions ordonnées à des agencements sonores ou productions systématiques des
mêmes signes pré-verbaux dans les mêmes circonstances). Toutefois, seuls les
comportements épilinguistiques portent en surface la trace de l’intervention de ces
épiprocessus.
32
La métalangue, caractérisée par une autoréférenciation, est un produit linguistique qui
peut être issue de processus cognitifs de différents types. Plus précisément, le langage
sur le langage peut être la manifestation linguistique d’une gestion métacognitive
(donc consciente) du langage, mais il peut également être une conséquence d’un
contrôle infraconscient (épicognitif) de ce langage et relever des manipulations de
significations. Par exemple, sans qu’il soit besoin de réfléchir sur la langue, il est
possible de dénoncer des productions agrammaticales non pas pour y avoir identifier
des violations formelles, mais en raison de difficultés d’accès à leur signification. Ceci
peut aboutir à des commentaires sur la langue déterminés automatiquement par la
non-concordance entre une forme perçue et celles stockées dans la mémoire à long
terme de l’auditeur. En d’autres termes, tout métalangage n’est pas nécessairement
métalinguistique au sens strict.
33
L’activité métalinguistique étant ainsi définie par le niveau de contrôle cognitif qu’elle
suppose, se pose le problème de sa genèse.
Les phases du « développement » métalinguistique
34
En nous situant par rapport au modèle élaboré par Karmiloff-Smith (1986), mais dans
une perspective beaucoup moins maturationniste, nous avons décrit le
« développement » métalinguistique en quatre phases successives (voir Gombert, 1990).
Chaque forme linguistique est concernée par ce « développement », initialement de
façon indépendante des autres formes.
a - L’acquisition des premières habiletés linguistiques
35
Ces premières habiletés de manipulation du langage se constituent, à partir des
modèles présentés par l’adulte, par un processus de renforcement des productions
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
adéquates de l’enfant et de ses réactions comportementales adaptées aux messages qui
lui sont adressés.
36
Ce processus conduit au stockage en mémoire de multiples associations deux à deux qui
relient chaque forme linguistique à chaque contexte dans lequel elle est constamment
renforcée.
37
L’augmentation de la complexité des modèles que l’adulte fournit, ou que l’enfant
prend en compte dans son environnement linguistique, rend caduque ce premier type
d’organisation des connaissances linguistiques en mémoire qui est alors remplacé par
des organisations plus systémiques.
b - L’acquisition des habiletés épilinguistiques
38
Lors de cette phase, les connaissances implicites stockées lors de la première phase
s’organisent entre elles en mémoire.
39
Ainsi se constituent des systèmes de règles d’emploi des formes linguistiques
maîtrisées. Dans la constitution de ces systèmes, l’environnement linguistique joue un
rôle fondamental. Les systèmes de règles linguistiques élaborées par l’enfant, sont
certes contraints par des préprogrammations innées des traitements linguistiques,
mais ne peuvent se constituer que sous l’influence d’une exposition à un
environnement linguistique obéissant lui-même à ces règles.
40
Ces connaissances épilinguistiques, ainsi constituées en mémoire, contrôlent toutes les
actions linguistiques du sujet mais ne transparaissent que dans certains
comportements (les comportements épilinguistiques) comme ceux de correction ou de
surgénéralisation de l’application de certaines règles. Toutefois, ce contrôle se fait à
l’insu de l’individu lui-même qui ignore les règles qu’il applique. Ce n’est qu’après un
processus de prise de conscience de ce qui sous-tend ses propres comportements
linguistiques que l’individu pourra réfléchir et utiliser intentionnellement ses
connaissances sur le langage et ses règles d’usage.
c - L’acquisition de la maîtrise métalinguistique
41
La prise de conscience métalinguistique n’est pas opérée automatiquement. Elle
nécessite d’une part que les connaissances épilinguistiques qu’il s’agit de faire émerger
à la conscience soient effectivement installées, d’autre part, que des contingences
externes se manifestent.
42
En effet, ne seront maîtrisés de façon « méta » (c’est-à-dire consciemment) que les
aspects du langage qui devront l’être pour que de nouvelles tâches linguistiques
demandées au sujet puissent être accomplies.
43
La manipulation du langage écrit nécessite la connaissance consciente et le contrôle
intentionnel de nombreux aspects du langage. Dans nos sociétés, elle constitue sans
doute le facteur prédominant pour favoriser le déclenchement de l’acquisition de la
maîtrise métalinguistique (d’où les échecs des analphabètes à de nombreuses tâches
métalinguistiques).
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
d - L’automatisation des comportements métalinguistiques
44
Le fonctionnement « méta » étant très coûteux en termes d’effort attentionnel,
l’utilisation habile des connaissances métalinguistiques dans les tâches qui les
nécessitent (notamment la lecture) suppose leur automatisation (donc, en quelque
sorte la disparition de leur caractère « méta »). C’est la fréquente répétition des
fonctionnements métalinguistiques efficaces qui assure cette automatisation.
45
En termes piagétiens, il existe un décalage vertical entre les habiletés épilinguistiques
précoces et les capacités métalinguistiques plus tardive. Des comportements
linguistiques similaires sont en effet ici déterminés de façons radicalement différentes.
Ce qui est fonctionnel au niveau épilinguistique devient réflexif au niveau
métalinguistique.
Conclusion : traitement linguistique et expertise sur la
langue
46
Comme le signale très justement Morais (1992), c’est par une simplification abusive que
nous qualifions l’ensemble du processus qui vient d’être décrit de « développement ».
En fait, seules les deux premières phases relèvent du développement (elles dépendent
de facteurs endogènes, ou exogènes, mais quasi-systématiques). Les deux phases
suivantes dépendent d’apprentissages culturels spécifiques.
47
La mise en place du contrôle épilinguistique est un aspect de l’acquisition du langage
oral. Cette acquisition est largement sous la dépendance de préprogrammations innées,
de processus biologiquement déterminés, qui sont automatiquement activés au contact
du langage que le très jeune enfant perçoit dans son environnement. De ce fait, l’enfant
apprend à parler et à comprendre le langage oral sans devoir mentaliser ni les
connaissances qu’il acquiert de la structure formelle de sa langue (phonologique et
syntaxique) ni les règles qu’il applique dans le traitement de cette structure et sans
avoir conscience d’effectuer un travail destiné à l’installation de nouvelles
connaissances. Ce développement, notamment l’installation concomitante des
épiprocessus qui contrôlent les traitements effectués, est une condition nécessaire mais
non suffisante à l’apparition des capacités métalinguistiques.
48
Il en va tout autrement pour l’apparition et l’automatisation des méta-processus qui
semblent dépendre d’apprentissages culturels, notamment dans notre société les
apprentissages scolaires, et en particulier l’apprentissage de la manipulation du
langage écrit.
49
Entre le traitement du langage oral et celui du langage écrit, existent des différences
qui tiennent non seulement aux médias eux-mêmes mais également aux tâches
linguistiques habituellement rencontrées dans chacun de ces médias (voir Gombert,
1991). Certes la situation de lecture diffère de celle de manipulation de l’oral par la
modalité sensorielle qui est mobilisée à l’amorce du traitement de l’information
(exclusivement voies visuelles à l’écrit ; principalement voies auditives à l’oral). De
plus, indépendamment de ces aspects dont les conséquences pour les traitements
cognitifs ne sauraient être négligeables, les tâches elles-mêmes diffèrent : des tâches
linguistiques effectuées généralement à l’écrit sont virtuellement réalisables à l’oral
mais, de fait, ne s’y rencontrent que très rarement.
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50
Ces tâches à l’œuvre dans le traitement du langage écrit requièrent un plus haut niveau
d’abstraction, d’élaboration et de contrôle que les traitements à l’œuvre dans la
manipulation quotidienne du langage oral. Sans pression de l’environnement, il ne se
fait pas l’effort nécessaire à l’adoption de cette attitude de contrôle intentionnel de ses
propres traitements linguistiques ni non plus à la découverte de la structure de l’écrit.
51
En fait, ce qui est vrai pour l’écrit, l’est plus généralement pour toute tâche
d’apprentissage linguistique qui exige un contrôle intentionnel de certaines propriétés
linguistiques formelles. A ce propos, un certain nombre de questions peuvent être
adressées aux spécialistes de l’acquisition d’une langue seconde.
52
1. Un apprenant de L2 lettré en L1 peut-il faire comme s’il ne possédait pas les
connaissances métalinguistiques développées à l’occasion de l’apprentissage de la
manipulation de l’écrit dans sa langue maternelle ? En d’autres termes peut-il, comme
les informateurs analphabètes polyglottes vaï de Scribner et Cole (1981), acquérir des
habiletés linguistiques en L2 sans développer des connaissances métalinguistiques sur
cette langue, et donc sans pouvoir établir de correspondances entre L1 et L2 ?
53
A priori, cela semble difficile. En effet, le niveau de contrôle provoqué par
l’apprentissage de la manipulation écrite en L1 se traduit par une organisation
linguistique en mémoire à long terme et une accessibilité des connaissances
métalinguistiques dont il est douteux qu’elle puisse être réprimée lorsque la situation,
par exemple une confrontation avec L2, invite à un effort de réflexion linguistique.
54
2. Bien souvent, le but de l’apprentissage n’est pas simplement de devenir polyglotte,
mais aussi de devenir « bilettré ». L’apprenant sera alors confronté à l’écrit des deux
langues. Même dans le cas où les principes d’organisation de l’écrit en L1 et L2 sont
proches, il existe toujours des différences. Les connaissances métalinguistiques en L1
n’étant donc pas directement applicables en L2, il se pose alors la question du contrôle
de ces différences. Doit-il se faire par comparaison systématique entre les langues ou
alors, sur la base de connaissances métalinguistiques valables pour les deux langues
(tronc commun qui variera selon la proximité entre L1 et L2), par construction dans L2
d’un système original dont chaque élément n’a pas a priori à être mis en rapport avec
son éventuel correspondant en L1 ?
55
3. Plus généralement, est-il préférable, pour des raisons d’économie des ressources
cognitives, de recourir à des processus méta pour construire L2 à partir de L1 (par
exemple en demandant la signification d’un mot), ou vaut-il mieux développer L2 à
partir de son utilisation symbolique (par exemple en attendant que la multiplicité des
occurrences d’un même mot dans un même contexte donne accès à sa signification) ?
56
En fait, ce type d’interrogations manque sans doute de pragmatisme. L’individu pourvu
de connaissances métalinguistiques les utilisera, qu’on le veuille ou non, dans sa
tentative d’apprentissage d’une seconde langue. La vraie question est donc d’une part
de différencier les individus en fonction de leurs connaissances métalinguistiques
(selon qu’ils sont lettrés ou non dans leur langue première) et en fonction du niveau de
maîtrise souhaité pour L2 (maîtrise ou non de l’écrit), d’autre part, de s’interroger sur
l’éventuelle assistance que procurerait l’utilisation optimum des connaissances
métalinguistiques possédées. Il s’agit là d’une question qui relève de la compétence des
didacticiens de L2.
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NOTES
1. Sous ce terme, nous regroupons également, d’une part, d’autres aspects concernant la
« cohérence » des discours (aspects métacognitifs qui ont trait à la manipulation des concepts
signifiés et dont la nature métalinguistique n’est pas établie), et d’autre part, la maîtrise des
relations intralinguistiques mais interphrases, donc textuelles à proprement parler, qui ne
constituent peut-être qu’un prolongement de la cohésion de la phrase.
2. Dans une acception étroite qui les limite au rapport entre le langage et son contexte non
linguistique d’utilisation.
Acquisition et interaction en langue étrangère, 8 | 1996
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Activités métalinguistiques et acquisition d'une langue
RÉSUMÉS
L’acquisition de la langue maternelle ou seconde, est une combinaison d’installation d’habiletés
linguistiques et d’élaboration de connaissances sur le langage. Il importe donc de distinguer
différents niveaux de compétences linguistiques, de préciser comment ils s’articulent et de
s’interroger sur leur implication dans les acquisitions.
The acquisition of language, L1 or L2, involves both the acquisition of linguistic skills and the
elaboration of knowledge about language. Thus, it is essential to distinguish between different
linguistic competence levels, to specify how these levels are articulated, and to reflect on the way
they are involved in the acquisition processes.
AUTEUR
JEAN-ÉMILE GOMBERT
Université de Bourgogne – LEAD - CNRS
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