Namaor: Derrière le voile
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Surmontant les défis de sa jeunesse pour devenir un écrivain passionné, Thomas Marino Vleminckx a puisé dans son imagination pour créer des mondes captivants. Son amour pour l’écriture, soutenu par sa merveilleuse épouse, lui a permis de transformer ses difficultés en sources d’inspiration, offrant ainsi des récits envoûtants à ses lecteurs.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Surmontant les défis de sa jeunesse pour devenir un écrivain passionné, Thomas Marino Vleminckx a puisé dans son imagination pour créer des mondes captivants. Son amour pour l’écriture, soutenu par sa merveilleuse épouse, lui a permis de transformer ses difficultés en sources d’inspiration, offrant ainsi des récits envoûtants à ses lecteurs.
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Aperçu du livre
Namaor - Thomas Marino Vleminckx
Chapitre 1
Le Fomorien
Aux premières lueurs du jour, alors que le soleil est à peine levé, ils courent déjà tous après leur vie, pensa Éric. Comment peut-on d’ailleurs appeler ça une vie ? s’interrogea-t-il. Le jeune homme interrompit sa marche et balaya l’endroit du regard. La gare routière qu’ils traversaient lui et son frère était encore plongée dans une pénombre qui, à cette heure si matinale, donnait un aspect bleuté aux bâtiments et au mobilier urbain. Malgré cela, l’endroit était déjà très fréquenté, il y avait les petites dames en tailleur, l’air pincées, les hommes en tenue d’ouvrier, encore fatigués de leur journée de la veille, ou bien ceux en costumes, dont l’allure pressée faisait paraître maussade et antipathique. Il y avait aussi les plus jeunes, qui attendaient, blasés, que commence une nouvelle journée de cours. Tous avaient l’air las et ressemblaient plus à de tristes épouvantails qu’à des êtres humains. Cette fourmilière, car c’est à cela qu’Éric pensait en voyant toute cette activité, une fourmilière grouillante, était remplie de personnes qui répétaient chaque jour, sans même plus y réfléchir, les mêmes gestes, telles des machines bien programmées : se lever, aller travailler, rentrer pour s’occuper de leurs enfants, faire le repas, pour finir par ne pas profiter des quelques instants de liberté qu’ils ont et aller ensuite se coucher pour recommencer le lendemain. Comme leur vie doit être triste à mourir ! conclut-il, perdu dans ses pensées.
— Hey, tout va bien ? lui demanda une voix claire et moqueuse.
Dans le même temps, une main s’était posée sur son épaule, comme pour attirer son attention et le sortir de ses pensées. Cette voix, ainsi que la main qui l’accompagnait, était celle d’Ivar, son frère jumeau. En se tournant vers lui, il vit qu’il affichait un sourire goguenard, ce même sourire qu’Éric avait vu des milliers de fois sur le visage de son frère, laissant deviner que celui-ci pensait la même chose que lui à propos des gens présents dans la gare routière, mais en des termes moins élogieux.
— Tout va bien ? relança-t-il à nouveau, n’ayant pas eu de réponse à sa première demande.
— Ouais, ça va, finit par dire Éric d’un air pensif et d’une voix bien plus rauque que celle de son frère. C’est juste… tous ces gens… je me dis que je suis content de ne pas avoir leur vie.
Il balaya l’endroit des yeux une dernière fois, d’un air toujours aussi pensif, avant de tourner définitivement son regard vers son frère et de lui rendre son sourire.
— Comme je te comprends, lui répondit Ivar dans un rire. Cela dit, si tu veux qu’on puisse continuer la nôtre de vie, tu ferais mieux d’être un peu plus concentré sur notre problème actuel, plutôt que sur la vie de ces Faeràns.
Le jeune homme, comme à son habitude, avait accompagné ses mots de gestes grandiloquents, pointant d’abord son frère du doigt, avant de montrer d’une manière faussement élégante les gens qui erraient dans la gare.
— Qu’est-ce qu’il y a Ivar, tu as peur ? Si tu le veux, tu peux rentrer, j’irais m’occuper de ça tout seul, rétorqua Éric d’un ton moqueur.
Son sourire s’agrandit au fur et à mesure qu’il prononçait ces mots. Depuis l’enfance, c’était leur jeu préféré, piquer l’autre au vif, lui lancer de cinglantes remarques, et ce, à longueur de temps.
Un jeu qui avait d’ailleurs tendance à rendre fou leur entourage, ce qui les amusait d’autant plus.
— Tu ne peux pas pisser sans en mettre partout sur tes bottes et tu vas t’occuper de ça tout seul ? Qu’est-ce qui t’arrive, Éric, tu en as marre de vivre ? Tu veux qu’on en parle ?
Les deux jeunes hommes s’observèrent quelques secondes, se toisant du regard. Tous les deux étaient grands, plus grands que la plupart des gens d’ailleurs, Éric atteignant pratiquement les deux mètres, Ivar le suivant de peu. Cependant, la taille des deux frères était loin d’être le seul point qui faisait d’eux des gens facilement remarquables au milieu de cette masse fantomatique qui hantait l’endroit.
Éric, plus grand que son frère, était également plus large d’épaules et portait une hache à la ceinture, solidement maintenue par des liens de cuir qui la faisait pendre jusqu’à la moitié de son mollet. De longs cheveux blonds comme les blés, tirés en une tresse, lui descendaient jusqu’au milieu du dos et il arborait également une épaisse barbe broussailleuse, d’une couleur plus sombre que celle de ses cheveux et dans laquelle on pouvait là aussi voir plusieurs tresses retenues par des perles. Son visage carré et son nez droit, bien qu’enfoncé par endroits, signe qu’il avait été cassé, ainsi que ses yeux bleu intense, lui donnaient un air froid et dur qui était à peine chassé par le sourire léger qui lui arrivait parfois d’afficher.
Ivar, le plus fin des deux frères, donc, était pourtant encore plus remarquable, notamment à cause de la lance qu’il tenait dans sa main droite et du grand bouclier rond qu’il portait sur l’épaule gauche. Ses cheveux noirs coupés court, tirés en arrière et légèrement gominés, son regard perçant aux iris vert émeraude et son nez fin en pointe lui donnaient l’aspect d’un corbeau à l’air prétentieux et fier. Quant à son visage, rasé de près, il était tout aussi carré que celui d’Éric et affichait sans cesse un sourire moqueur, celui-là même qui le caractérisait tant. En vérité, rien ne laissait présumer que ces deux-là étaient jumeaux, si ce n’est qu’ils avaient le même éclat dans le regard, celui que peuvent avoir certains animaux sauvages et qui faisait comprendre à quiconque le croisait, qu’aucun des deux ne pourrait être dompté.
Les vêtements qu’ils portaient, comme si leur physique et les armes qu’ils transportaient n’étaient pas suffisamment remarquables, étaient eux aussi très atypiques.
Les deux avaient aux pieds une paire de bottes de cuir marron, leur remontant jusqu’aux genoux et dont le laçage très serré était maintenu par de petites pièces ovales taillées dans de l’os. Chacun portait également un jean, clair et délavé pour Éric, noir pour Ivar, qui avait connu des jours meilleurs. Sur leurs épaules reposait une cape en laine marron, dont le dessus était recouvert de fourrure et qui cachait des tee-shirts à motifs aux couleurs criardes.
— T’es qu’un bel enfoiré, finit par répondre Éric en riant, s’avouant vaincu. Allez en route, c’est par là, lui dit-il ensuite en montrant une rue de l’autre côté de la gare.
Cette fois, Ivar avait gagné, ce qui n’était pas du tout au goût d’Éric, mais ce n’était que partie remise, il ne perdait rien pour attendre, pensa-t-il.
Les deux frères reprirent donc leur marche, avançant comme ils le pouvaient vers la sortie de la gare, zigzaguant entre les personnes présentes sans que celles-ci les remarquent, prenant grand soin de ne bousculer personne. Ce chemin, ils l’avaient déjà fait la nuit précédente, alors qu’ils suivaient des traces de bouillasse odorante au milieu desquelles on pouvait apercevoir des empreintes de pas énormes et constellées par instant de gouttes de sang. Ils les avaient repérées en accourant vers la gare routière alors qu’ils patrouillaient dans la zone, quand un cri strident qui s’était soudain fait entendre au loin, déchirant la nuit malgré le bruit ambiant d’une grande ville tel que Chambéry, les y avait attirés.
Hélas, malgré une réaction rapide et une course effrénée, ils étaient arrivés trop tard, quelqu’un était mort et ils ne pourraient plus rien y faire. D’ailleurs, ce n’était pas la seule mort que la ville avait eu à déplorer depuis plusieurs semaines, même si les autorités locales n’avaient encore retrouvé aucun corps. Pour l’instant, à leurs yeux, ce n’étaient que des disparitions, certes étranges et inquiétantes au vu du nombre, mais de simples disparitions, pour lesquelles ils se refusaient à toutes conclusions hâtives.
Cependant, Éric et Ivar savaient très bien ce qui était arrivé à ces malheureux, ils le comprirent cette nuit-là en découvrant les traces. Elles les avaient menés jusqu’à une plaque d’égout, dans l’une des petites rues adjacentes à la gare. Les traces, ainsi que la fréquence des disparitions et l’absence de corps, n’avaient laissé aucun doute aux deux frères quant à ce qui sévissait dans les environs et qu’ils allaient devoir affronter. Quelque chose s’était installé dans les égouts, une créature brutale et malveillante qui avait fait de la gare routière et des rues adjacentes sa zone de chasse. Les deux frères le savaient, tout comme ils savaient qu’ils étaient les seuls en ville à pouvoir y mettre un terme.
C’est cela qu’ils décidèrent, après avoir fait ces découvertes et en avoir tiré des conclusions, de prendre du repos et de se préparer en conséquence. Ce ne fut qu’au petit matin, alors que le soleil était à peine levé, qu’ils revinrent à la gare routière, bien décidés à traquer et à éliminer ce qui se terrait sous les pieds des dizaines de milliers d’habitants que compte la ville.
Marchant d’un bon pas, ils venaient de sortir de la gare, qui ne cessait de se remplir de voyageur venant attendre les différents bus qui devaient les mener partout dans la région. Ils avaient eu à se faufiler dans cette foule dense et compacte de badauds, qui de surcroît ne pouvait pas les voir, mais heureusement, c’était un exercice auquel ils étaient rompus depuis des années.
— Fais gaffe, hurla Éric, en agrippant le bouclier d’Ivar, qui était sorti en premier.
Il le tira en arrière de justesse, avant qu’un camion de livraison ne manque de peu de lui passer dessus.
— Merde, mais t’es aveugle ? pesta le jeune homme envers son frère.
— Désolé, répondit Ivar penaud, je pensais qu’il m’avait vu.
À ces mots, Éric leva les yeux au ciel et souffla d’agacement.
— Je te rappelle, ô mon frère, qu’ils ne peuvent pas nous voir, dit-il avant de reprendre sa marche. Alors sois mignon et fais attention, je n’ai pas envie de dire à notre clan à quel point ta mort a été ridicule et stupide.
Son sang n’avait fait qu’un tour et sa colère avait explosé aussi subitement qu’était arrivé ce camion. Comment son frère avait-il pu oublier que leurs amulettes étaient actives, s’il n’avait pas été là, pensa-t-il, il serait mort à l’heure qu’il est. Ivar quant à lui ne dit rien, se contentant de jeter un regard noir vers son frère et de se dégager de sa prise. Il savait qu’il avait raison, qu’il aurait dû faire attention, après tout, ce n’était pas la première chasse qu’ils faisaient. Il se sentait idiot, mais malgré cela, on pouvait deviner sur son visage que la manière dont lui avait parlé son frère ne lui avait pas plu. Les deux frères reprirent ensuite leur route, Éric attendant que plus aucune voiture ne passe pour traverser la route d’un pas rapide, Ivar sur ses talons. Sans se dire un mot, sans se jeter un regard, ils arrivèrent de l’autre côté de la rue, sautèrent sur le trottoir et s’engouffrèrent dans une petite rue piétonne, marchant en direction de la plaque d’égout qu’ils avaient repérée la veille.
— Merci, finis par dire Ivar d’une voix beaucoup moins enjouée, brisant enfin le lourd silence qui pesait.
Tous les deux venaient d’arriver au-dessus de la plaque.
— C’est rien, répondit sincèrement Éric, mais fait attention et soit avec moi, parce que le Fomorien ne nous laissera aucune chance lui.
— Je suis avec toi et je suis concentré… je voulais juste être sûre que tu suivais et je me suis retourné au mauvais moment, plaisanta Ivar pour détendre l’atmosphère.
Les deux frères échangèrent un sourire et instantanément, toute tension avait disparu.
Entre eux, les disputes ne duraient jamais bien longtemps.
— Allez, dit finalement Éric sur un ton décidé, on y va, on fait la peau à cet enfoiré et si on se débrouille bien, on devrait être rentré à Ungor-Rinn pour le repas du soir.
— Ouaip, rétorqua Ivar qui imitait son frère et passait un crochet de métal dans l’un des trous de la plaque. D’ailleurs, quand on y sera, tu me feras penser de dire à oncle Urmrick ce que je pense de son travail facile.
Ce fut dans un souffle qu’il dit ces quelques mots, car les deux jeunes hommes venaient de soulever la lourde plaque qui bloquait l’entrée des égouts. Une fois dégagée, elle laissait apparaître une échelle d’acier qui s’enfonçait dans le sol.
— Arrête un peu de te plaindre, dit Éric en esquissant un sourire.
Il venait de poser le pied sur le premier échelon de l’échelle.
— Tu me couvres OK ?
— Ça marche, lui répondit son frère en brandissant sa lance et en faisant basculer son bouclier pour l’empoigner.
Éric entreprit alors de descendre le long de cette échelle rouillée, qui descendait dans les profondeurs obscures de la ville. De l’extérieur l’odeur dégagée par cet égout était forte, pestilentielle même, mais plus il s’enfonçait vers les sous-sols, plus ça empirait.
— Que rien n’attrape mes pieds, que rien n’attrape mes pieds, que rien n’attrape mes pieds, répéta-t-il sans cesse à voix basse pendant qu’il descendait.
Après quelques instants, ses pieds touchèrent enfin le sol, sans que rien ne les ait agrippés. Il poussa intérieurement un soupir de soulagement, sortit sa hache et en dirigea la tête vers la paume de sa main, qu’il entailla. Le fil de l’arme trancha ses chairs comme l’aurait fait un couteau avec du beurre laissé au soleil, ce qui ne fit pas pour autant tressaillir le jeune homme. Plus encore, dès qu’il sentit que son sang, plus chaud que sa peau, coulait le long de son poignet, il passa sa main sous sa cape et son tee-shirt.
— Syn, prononça-t-il à voix basse, en frottant sa main contre son torse.
Il y eut alors une légère lueur blanche, masquée en grande partie par le tissu épais de ses vêtements. Instantanément, les yeux d’Éric, d’un bleu intense, devinrent d’une pâleur surnaturelle et lui permirent de voir comme en plein jour dans un lieu pourtant plongé dans le noir. Rien ne semblait bouger, il n’y avait pas de danger à l’horizon pour l’instant.
— C’est bon, tu peux descendre, chuchota-t-il à son frère après un rapide coup d’œil autour de lui.
Ivar s’exécuta, descendant à son tour après avoir fait glisser l’épaisse plaque de métal pour refermer à nouveau l’entrée des égouts. Plus aucune lumière n’éclairait l’endroit, les deux frères étaient maintenant au cœur de ténèbres épaisses et obscures. Arrivé en bas de l’échelle, Ivar imita son frère, cherchant à tâtons le tranchant de son fer de lance.
Dès qu’il eut terminé, ses yeux vert émeraude devinrent eux aussi très pâles. Ils jetèrent à nouveau des regards dans toutes les directions, pouvant tous deux voir clairement maintenant, mais rien n’avait changé.
Leur arrivée dans les égouts n’avait, semble-t-il, alerté personne. Le sas vertical dans lequel ils se trouvaient était assez grand pour qu’ils tiennent debout tous les deux, en revanche n’était pas assez large pour qu’ils ne soient pas à l’étroit. L’endroit était lugubre, sale et inquiétant, pourtant les deux frères ne se laissaient pas prendre par l’aspect horrifique de leur environnement, ils avaient déjà affronté bien pire. Sans attendre, ils se mirent à observer en détail les lieux et instantanément, ils comprirent que quelque chose n’allait pas. À leur gauche comme à leur droite s’étendaient de longs boyaux horizontaux aux parois de pierres taillées grossièrement, bien plus bas de plafond que le sas, ce qui les forcerait à avancer courbés, presque pliés en deux au vu de leur taille. Progresser dans ces galeries allait être compliqué.
— Comment ce foutu Fomorien peut bien faire pour se déplacer ? chuchota Ivar d’une voix à peine audible. On peut à peine y passer et ces enfoirés font au bas mot quatre mètres de haut.
Il était vraiment dubitatif, il lui semblait impossible qu’une créature de cette taille puisse se mouvoir ici. Peut-être s’étaient-ils trompés sur le monstre qui rôdait dans les environs. Il scruta alors le visage de son frère, espérant y déceler une quelconque trace de certitude sur ce qu’ils allaient avoir à affronter, mais Éric observait les environs, le visage fermer.
— Éric ? répéta-t-il en parlant d’une voix un peu plus forte, t’as une idée, parce que là je…
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase, son frère venait de l’agripper par le fermoir de sa cape et pointait quelque chose du doigt.
— Regarde, là, lui dit Éric en s’avançant vers la droite.
Il s’accroupit, lâchant son frère et pénétrant dans le boyau de quelques pas. Rapidement, tout le bas de son corps fut trempé par une eau croupie, dans laquelle macéraient des déchets de toute sorte. Faisant abstraction, préférant ne pas y penser afin d’éviter de se mettre à identifier certaines formes flottant à la surface de l’eau, il fit encore quelques pas avant de se retourner et de faire signe à Ivar de le rejoindre. Ce dernier, réprimant un haut-le-cœur, acquiesça et se mit en route.
— Regarde ça, dit frénétiquement Éric quand son frère l’eut atteint. Il passait sa main sur de longues et profondes entailles marquant les parois du boyau.
Ces traces ressemblaient, à s’y méprendre, à celles que laisseraient des griffes, de longues griffes, assez puissantes et acérées pour marquer la roche.
— Ce merdeux doit ramper dans les galeries, jusqu’aux bouches qui permettent de sortir. Pour le reste, tout colle, les traces, la fréquence des attaques et la manière de chasser, continua-t-il précipitamment.
Ivar prit quelques secondes pour analyser et réfléchir à ce que lui disait son frère, qui en soi n’avait pas tort, tout collait parfaitement.
— OK, admettons qu’on soit tombé sur un Fomorien un peu moins stupide que les autres et qu’il a le coup pour se faufiler, finit-il par répondre calmement, dans ce cas-là, on a plutôt intérêt à se bouger parce que s’il nous tombe dessus dans ces galeries, on ne va pas être à la fête.
Éric approuva d’un signe de tête avant et se mit à suivre les empreintes de griffes laissées par le monstre, Ivar lui emboîtant le pas. Ils passèrent donc de galerie en galerie et n’ayant aucun repère temporel, ils n’auraient pas su dire combien de temps s’était écoulé depuis leur entrée dans les égouts, mais à leur dos endolori, ils marchaient courbés depuis un long moment. Leur progression se faisait d’ailleurs au prix de lourds efforts, dû à la taille des boyaux d’une part, mais surtout à cause de l’eau stagnante qui leur arrivait au-dessus des mollets et alourdissait leurs vêtements. Cette eau et le clapotis que leurs pas provoquaient, rendaient également vain tout espoir de discrétion. Plus le temps passait, plus la tension montait et les deux frères n’avaient pas besoin d’échanger le moindre mot pour le sentir. À chaque bruit suspect, ils s’arrêtaient, scrutant les alentours, priant leurs ancêtres pour ne pas voir débouler, tout croc et griffe dehors, cette monstruosité qu’était le Fomorien. Par chance, à chaque fois, un lourd silence était tout ce qu’ils pouvaient entendre et des galeries emplies de déchets étaient tout ce qu’ils pouvaient voir. Ils marchèrent ainsi pendant ce qui leur semblait être une éternité, les boyaux s’enchaînant les uns après les autres, se ressemblant tous et présentant, à chaque fois, les mêmes marques de griffes dans la roche. Le temps passant, le sentiment de tourner en rond apparu et la crainte de tomber nez à nez avec le Fomorien se firent encore plus grands dans l’esprit des jumeaux, tout comme l’oppression que représentaient ces boyaux étriqués, enfuis sous la surface. Néanmoins, l’un et l’autre étaient expérimentés, ils savaient très bien comment gérer et supporter ce genre de situation plus qu’angoissante. Ainsi donc, bien que lente, leur progression était constante. À chaque détour, à chaque croisement, ils s’assuraient d’être toujours sur la piste, suivant les traces de griffes et observant méticuleusement chaque boyau qu’ils traversaient pour ne pas les manquer. Ils prenaient également soin de se laisser des marques pour se repérer, l’un assurant les arrières de l’autre, se protégeant mutuellement. C’est de cette manière que, boyau après boyau, les deux frères remontaient patiemment la piste de leur proie, avançant irrémédiablement vers un affrontement ou il n’y aurait que deux issues possibles : la victoire et l’élimination de la créature ou une mort sanglante et brutale. Cette idée, présente dans l’esprit des deux jeunes hommes, ne les inquiétait pas pour autant, pour ces deux guerriers intrépides, la mort faisait partie de la vie.
Finalement, après de longues pérégrinations, ils virent enfin le boyau qu’ils suivaient s’agrandir, devenant une longue et large salle à l’odeur quasi insoutenable. Dans cette salle, le long des murs qui la bordaient, de nombreux autres boyaux débouchaient également.
Chacun d’eux recrachait en un flot régulier un liquide puant rempli de déchets, dans ce qui semblait être une véritable rivière souterraine d’eau souillée. Cette rivière, témoignage vivace de la crasse des villes et de ceux qui y vivent, était ensuite évacuée par une large galerie menant vers l’extérieur. Les murs de ce déversoir, car c’était là le rôle de cette salle, étaient faits des mêmes pierres que le reste des égouts et étaient soutenus, à intervalle régulier, par des poutres d’acier présentes pour supporter la pression des centaines de tonnes de roches et de terres qui pesaient sur la structure. C’est de ces poutres qu’émanait l’odeur abjecte qui flottait dans l’air lourd et humide de cet endroit. Une dizaine de corps déchiquetés, pendant lamentablement, y étaient accrochés.
Éric et Ivar n’eurent pas le temps d’admirer ce funeste spectacle, pas plus qu’ils ne purent soulager leurs courbatures, car du fond de la salle un rugissement bestial se fit entendre, traduisant la colère d’un monstre qui voyait des étrangers entrés dans sa tanière. Les deux frères se tournèrent immédiatement vers l’origine de ce bruit, qui annonçait déjà l’horreur du combat sans pitié qui allait arriver. C’est à cet instant qu’ils le virent, se redressant d’un lit de crasse et d’ossements, la gueule encore sanguinolente du festin de la veille : un Fomorien haut de plus de quatre mètres, dont la silhouette malingre ne laissait pas supposer la force pourtant extraordinaire qu’avait ce gigantesque monstre. Sa peau, violacée et boursouflée comme celle d’un noyé, pendait au niveau de son abdomen et du dessous de ses bras, ce qui créait des clapotis répugnants à chaque mouvement qu’il faisait. Tout son corps, surtout au niveau des articulations, était atrophié par des excroissances similaires à d’énormes verrues crevassées et sa tête, dépourvue de cheveux, était percée de deux petits yeux porcins, pâles comme la mort, d’un nez presque plat ainsi que d’une bouche garnie de dents brunes entre lesquelles pourrissent des morceaux de chair. Lourdement, le Fomorien finit de se relever, sortant des immondices ses mains larges sur lesquelles il s’était appuyé, dévoilant de longues et terribles griffes au bout de ses doigts fins.
Les deux frères, loin d’être impressionnés par l’aspect repoussant de la créature, n’attendirent pas qu’elle soit prête au combat pour entrer complètement dans le déversoir. Se dépêchant, ils rouvrirent les plaies qu’ils s’étaient infligées à l’entrée. Ils ôtèrent également capes et tee-shirts, qui allaient les gêner, dévoilant leur torse couturé de nombreuses cicatrices et couvert de tatouages représentant des runes aux formes complexes.
De sa main gauche ensanglantée, tenant sa hache dans la main droite, Éric se mit à faire de larges gestes dans l’air, chacun de ses