Amérique Du Nord - Mythes Et Rites Amérindiens

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Pierrette Dsy

Spcialiste en histoire et en ethnologie Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

(1999)

Amrique du Nord. Mythes et rites amrindiens.


Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi Courriel: jean-marie_tremblay@uqac.ca Site web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/ Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothque numrique fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

Pierrette Dsy Amrique du Nord. Mythes et rites amrindiens. Textes publis dans Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, sous la direction dYves Bonnefoy, Tome I, pp. 18-31 et pp. 514-520; Tome II, 1999-2003. Paris : Flammarion, diteur, 1999, 1014 pp. Collection : Mille et une pages. [Autorisation formelle accorde par lauteure le 8 septembre 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.] Courriel : desy.pierrette@uqam.ca Polices de caractres utilise : Pour le texte: Times New Roman, 14 points. Pour les citations : Times New Roman, 12 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points. dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11) dition numrique ralise le 7 mai 2008 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

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Pierrette Dsy
Spcialiste en histoire et en ethnologie Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

Amrique du Nord. Mythes et rites amrindiens

Textes publis dans Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, sous la direction dYves Bonnefoy, Tome I, pp. 18-31 et pp. 514-520; Tome II, 1999-2003. Paris : Flammarion, diteur, 1999, 1014 pp. Tome II, pp. 1015-2255. Collection : Mille et une pages.

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Table des matires


1. Amrique du Nord. Mythes et rites amrindiens. (Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, Tome I, pp. 18-31.) Introduction I. II. III. IV. Mythe et socit. Hros culturels et dcepteurs. L'ordre du monde. Problmes de notre temps.

Bibliographie 2. Soleil. Danse du soleil chez les Indiens de lAmrique du Nord. Le renouveau de 1973. (Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, Tome II, pp. 1999-2003.) Bibliographie 3. Cration du monde. Indiens de lAmrique du Nord. (Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, Tome I, pp. 514-520.) I. La femme tombe du ciel. II. La pie sortie de terre. Bibliographie Tableau I. Distribution ethnique des tribus amrindiennes (Canada/Etats-Unis)

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Spcialiste en histoire et en ethnologie Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

I
Amrique du Nord. Mythes et rites amrindiens. (Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, Tome I, pp. 18-31.)

Introduction

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Stith Thompson, minent mythographe, a raison d'insister sur le fait que en dehors de la civilisation occidentale, peu de groupes ethniques ont t autant tudis que les Indiens d'Amrique du Nord (1946, p. 297). D'emble, le chercheur est donc confront une masse de documents dont certains remontent la conqute, et plus tt encore si on ne conteste pas l'authenticit du walam olum, par exemple, qui raconte l'origine du peuple deIaware. (Rafinesque, 1832, et Brinton, vol. V, 1882-1885.) L'tude de la mythologie nord-amricaine constitue un projet d'autant plus ambitieux que les thmes qui le composent sont d'une extrme richesse et d'une diversit prodigieuse. D'ailleurs, il n'est pas inutile de prciser qu'avant Claude Lvi-Strauss, aucun anthropologue n'avait pu russir la synthse magistrale de mythes provenant d'ethnies des deux Amriques, tant la tche paraissait insurmontable. Jusque-l, certains chercheurs s'taient contents de consigner des rcits sans s'attacher une analyse particulire, sinon classique, tandis que d'autres comme Franz Boas, Elsie C. Parsons ou Paul Radin, pour ne citer

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que ceux-l, s'employaient introduire une analyse plus globale propos de groupes spcifiques, en l'occurrence les Kwakiutl, les Pueblos et les Winnebago. Il convient d'ajouter, en outre, que la mythologie nord-amricaine appartient des peuples dont les caractristiques sociologiques (ethnohistoire, langue et culture) sont parfois totalement opposes et en cela disjointes. Prenons au hasard les Naskapi du Labrador, les Pomo de Californie, les Nez-Perc de l'Idaho et les Hopi de l'Arizona ; la limite, les seuls liens qui unissent ces tribus sont la fois d'ordre spatial et temporel, c'est--dire d'une part le continent sur lequel elles vivent depuis la prhistoire, et d'autre part, les faits de conqute qui sont venus transformer, de faon insidieuse et en mme temps brutale, les donnes initiales de base. cet gard, depuis Clark Wissler, des anthropologues se, sont attachs dfinir des aires culturelles et gographiques qui ne tiennent pas ncessairement compte des grandes familles linguistiques. Nanmoins, ces units de type cologique permettent de mieux cerner la ralit ethnographique des peuples qui ont vcu ou qui vivent encore sur ces territoires. On pourrait dfinir ces aires gographiques comme des espaces culturels occups par un ou des groupes indiens (bandes ou tribus) dont les activits et spcialits se ressemblent au point de former une sorte d'homognit ethnique au sens large du terme. Ceci est une dfinition purement formelle, car il arrive que l'on rencontre des diffrences notables au sein d'une mme aire co-culturelle. (Voir tableau et carte : Distribution ethnique des tribus amrindiennes [Canada/tats-Unis] .)

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I. Mythe et socit.

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De mme que certains thmes se retrouvent dans la mythologie universelle, on peut observer des sujets comparables refltant les proccupations communes aux peuples amrindiens. Si on met de ct les mythes qui ont trait des squences propres chaque groupe et qui sont par dfinition originaux, une pense analogue revient constamment, mme si la structure du mythe est pose de manire diffrente. Les rituels qui pourraient y tre ventuellement rattachs prsentent une dramatisation caractristique chaque tribu. Dans cet ordre d'ide, les penseurs amrindiens ont longuement rflchi sur les mythes cosmogoniques, rinventant la cration du monde et l'mergence de l'humanit. Visionnaires, ils intgrent dans l'univers quotidien l'espace cosmique et terrestre. La source originelle des mythes rside dans la tentative d'interprter l'essence mme de la nature et de la socit. Aussi, les mythes mettent-ils en place des schmes qui reprsentent souvent des forces qui s'opposent. D'entre en matire ou au cours de son droulement, il arrive qu'un mythe pose un a priori comme par exemple la division de l'humanit entre nomades et sdentaires, qui est souvent fonde sur une ralit historique. Le mythe d'mergence acoma (pueblo) montre bien la division entre les chasseurs et les agriculteurs. (Sebag, 1971, p. 469.) De mme, dans le walam olum, les Delaware disent que, au dbut, ils ne formaient qu'une seule nation :
Et comme ils voyageaient, il se trouva que certains taient prospres et d'autres vigoureux. Alors, ils se sparrent, les premiers devenant constructeurs de huttes et les seconds chasseurs.

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Les plus forts, les plus unis, les plus purs, furent les chasseurs. (Brinton, 1882-1885, p. 183.)

Ce dualisme entre les hommes peut tre le reflet de ce qui se passe chez les dieux. Ainsi le mythe cosmogonique des Skidi Pawnee dveloppe cet antagonisme au sein mme du cosmos. Cela donne penser que les dieux ressemblent parfois trangement aux hommes. Dans leur version de la cration du monde, une dichotomie est opre entre les hommes et les femmes. Le mythe raconte comment Tirawa, le Crateur, fit les toiles en leur dlguant un grand pouvoir, privilgiant plus particulirement toile-du-Matin. son tour, celui-ci aida son jeune frre Soleil faire la lumire. Tirawa les lut chefs des toiles situes dans le village l'est , tandis que toile-du-Soir et Lune furent nommes chef des toiles situes dans le village l'ouest . l'est taient les hommes, et l'ouest, les femmes. Aprs un certain temps, les toiles de l'est se mirent convoiter celles de l'ouest. Chacun son tour, les hommes-toiles allrent dans le village des femmes-toiles. Ils dirent qu'ils venaient pour se marier. Lune, qui les accueillait, rpondait invariablement chacun d'eux : Fort bien, c'est justement ce que nous dsirons. Viens et suis-moi. Mais elle les attirait dans un traquenard, les poussant dans un prcipice. Finalement, toile-du-Matin servit de mdiateur en pousant toile-du-Soir, tandis que Soleil pousait Lune. Les enfants qui naquirent de l'union de ces astres peuplrent la terre. (Limon, 1922, pp. 3-5.) C'est sur ce mythe que repose le rite sacrificiel de la jeune captive. Cette dernire tait immole en hommage toile-du-Matin. Ce rituel faisait suite la vision d'un guerrier qui devait alors trouver sa victime chez une tribu ennemie. Parmi les Pawnee, seuls les Skidi (Loups) observaient cette pratique. La dernire crmonie prit place vers 1828 (ibid., pp. 5-16).

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II. Hros culturels et dcepteurs.

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Le problme de l'origine et de la cration du monde rsolu, il fallait introduire sur terre des hros qui aient pour mission de guider les hommes. En effet, il n'est jamais facile pour l'humanit de natre aprs des sjours antrieurs dans des lieux chaotiques, comme l'atteste le mythe d'mergence zui, ou de rompre avec l'illusion d'un paradis perdu , comme le laisse penser parfois le mythe d'mergence navajo. Perspicaces, les sages mettent donc en scne le hros, porteur des bienfaits de la civilisation : feu, lumire, eau, plantes, animaux, y compris parfois les hommes, le langage, etc. Le hros est aussi le fondateur de rites et de socits secrtes. En tout tat de cause, il est souvent difficile de le distinguer d'un autre dmiurge, le dcepteur (trickster). Le hros culturel a souvent un frre jumeau cadet (Iroquois, Algonkin, Hopi, Apache, Navajo, Kiowa, Winnebago) avec qui il se querelle mort comme Gluskap et Malsum (Micmac, Passamaquody, Malecite), Silex et Bourgeon (Iroquois), Manabozho et Loup (Algonkin centraux). Cet architecte du monde appartient autant l'ordre naturel qu' l'ordre surnaturel. Il a un corps, il vit, souffre et peut se marier. Manabozho pouse une rate musque, tout comme le Messou des Montagnais qui, aprs avoir rpar le monde dtruit par le dluge, entreprend de repeupler la terre, grce ce mariage (Le Jeune [1634], 1972, p. 16). Le hros peut avoir forme humaine ou animale, tre homme ou femme, jeune ou vieux, selon son dguisement.

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Les jumeaux reprsentent respectivement les forces malfiques et bnfiques (Algonkin, Iroquois). Dans d'autres cas, ce sont des jumeaux guerriers dont la tche commune consiste dbarrasser le monde des ennemis et des monstres avant d'instaurer l'ordre social. Les parents et la grand-mre des jumeaux dmiurges appartiennent le plus souvent l'univers surnaturel. Masewi et Oyoyewi, les jumeaux hopi, sont les fils du soleil. Ils se font face, l'un au nord et l'autre au sud, garants de l'quilibre de la terre. Le Grand Livre des Winnebago a pour pre le vent d'ouest ou du nord, selon le cas. Le hros culturel kiowa, recueilli par la grand-mre araigne aprs la mort de sa mre, descend lui aussi du soleil. On l'appelle Demi-enfant (Half Boy) car il fabrique un double en se coupant le corps en deux au moyen d'un anneau solaire (Momaday, 1974, p. 38 et passim). Chez les Hurons-Iroquois et les Algonkin, la mre est une vierge, morte en couches, et les enfants sont recueillis par la grand-mre pralablement tombe du ciel. Souvent proche parent du hros culturel par affinit lective apparat le dcepteur. C'est un des personnages le plus populaire dans la mythologie nord-amricaine. Peint sous les traits du coyote, du corbeau, du vison, du geai ou de la pie, cet antihros se donne pour mission de parcourir le vaste monde o il connat de multiples aventures, souvent folles et rotiques. C'est avant tout un personnage ambigu. Il est dupe et tricheur, humble et prtentieux, altruiste et cupide, crateur et destructeur. S'il est vrai que les hommes projettent leurs fantasmes sur lui, que penser alors de ce personnage nigmatique qui viole joyeusement les tabous, s'introduit dans les espaces interdits, se travestit en femme ou en homme selon ses apptits ? Toutefois, cet imposteur est doubl d'un philosophe humoristique qui ne s'illusionne gure sur sa condition. Dans un pisode tir d'une de ses extravagantes quipes, le dcepteur (winnebago dans ce cas), se laisse duper par une branche d'arbre qu'il croyait tre le bras d'un homme. Aprs avoir convers long-

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temps avec la branche en question, il ralise sa stupidit et fait cette rflexion : En vrit, c'est bien pour cela que les gens m'appellent wakundkaga, le fol excentrique, et ils ont bien raison. (Radin, 1976, p. 14.) Dans une perspective anthropologique, le dcepteur s'intgre la ralit des socits amrindiennes. En effet, celles-ci avaient souvent des institutions crmonielles qui ne craignaient pas l'intrusion d'un clown pendant les activits les plus srieuses. Prenons le cas du clown navajo qui avait le privilge de tourner en ridicule, de dfier et de parodier les crmonies les plus importantes et les plus sacres, les personnages et les coutumes (Steward, 1930, p. 189). Si nous rapportons cet exemple, c'est uniquement pour montrer que le clown de la citation ci-dessus, n'en est pas moins un dcepteur public qui introduit au cours du rituel les lments dont se sert l'autre, le dmiurge, pour contredire le cours naturel des vnements. Cependant, dans ses grands moments, il arrive au dcepteur d'apporter aide et soutien - c'est le cas en particulier de tous les hros qui portent en eux cette ambivalence comme Manabozho (forts centrales), Iktom, Le Vieux (plaines), le Corbeau (cte nord-ouest) -, en cas de famine, par exemple, bien qu'il soit lui-mme le plus souvent aux prises avec ce problme. Hlas, si le dcepteur est hros magicien, il ne peut rien contre la mort. Il va mme jusqu' se venger sur ceux qui lui demandent l'immortalit en les transformant en statue de pierre. Il est pris son propre pige, lorsqu'aprs avoir vot allgrement pour une mort sans rsurrection, il voit son fils trpasser.

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III. L'ordre du monde.

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Dans un autre ordre d'ide, certaines tribus amrindiennes ont dvelopp la notion d'un crateur suprme dont les fonctions varient considrablement selon les rgions. Des mythes peuvent laisser l'impression que le Crateur qu'ils mettent en scne agit d'une manire assez singulire puisqu'il dlgue la plupart de ses tches des dieux secondaires. Tout se passe comme s'il ne faisait rien ou si, la limite, il tait en train de s'ennuyer prodigieusement dans le vide ternel. Maheo ou Heammawhio, le grand chef d'en haut des Cheyennes, donne un peu cette image : Au dbut, il y avait le nant et Maheo, Esprit d'entre les Esprits, vivait dans le vide. Il n'y avait que Maheo, solitaire, dans l'infini du vide. (Marriott/Rachlin, 1972, p. 22 et Grinnell, 1972, vol. II, p. 88.) Olelbis, le Crateur des Wintun (Californie) vit avec deux femmes qui il dlgue les occupations cratrices. Toutefois, il n'en va pas de mme pour Le Vieux (Old Man), le Crateur des Blackfoot. Le Vieux s'agite beaucoup, il parcourt la terre du nord au sud, discute avec La Vieille : Doit-on donner l'ternit aux hommes ? Il modle et construit, prpare la scne terrestre en ne ngligeant ni de se reposer ni de s'amuser, glissant sur le flanc des collines (Feldmann d., 1971, pp. 74-79). Mais justement Le Vieux est plus qu'un Crateur dbonnaire, il est aussi dcepteur ses heures. On le retrouve avec des variantes chez les Kiowa, les Crow et les Arapaho (Thompson, 1946, p. 319). En dfinitive, cette notion de crateur languissant et hiratique est purement subjective. En effet, tout ce qui existe est porteur d'un potentiel sacral. Soleil et lune, plantes et toiles, ainsi que tous les phnomnes astronomiques qui s'y rattachent (clipses, solstices, qui-

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noxes), bien que l'importance varie selon les tribus, ont toujours inspir les mythologues aborignes. Le contact prolong avec la terre (souvent identifie la mre) au moyen du jene dans une fosse pour provoquer une vision, l'exposition rpte au soleil (souvent identifi au pre), au moyen de la danse ou de la prire, sont autant de faons religieuses de rentrer en relation avec les forces spirituelles dont le Crateur, quel qu'il soit, fait partie intgrante. De mme, vents, pluies, nuages, tonnerres et clairs sont autant de moyens de communication entre les forces terrestres et supraterrestres. Quelques exemples suffiront illustrer ce propos : chez les Oglala Sioux, le tonnerre pouvait dcider de la carrire de l'heyoka (le contraire ). Comme son nom l'indique, celui-ci devait interprter sa pense et ses actes l'envers. L'heyoka allait nu l'hiver dans la plaine, prtendant qu'il faisait chaud ; l't, il se recouvrait d'une peau de bison, prtextant du grand froid. Lorsqu'il faisait la cuisson, il se jetait des gouttes d'eau bouillante sur les jambes, allguant qu'elle tait glace. Il montait cheval en inversant la position normale du cavalier, marchait reculons... bref, il agissait contre toute logique apparente. Chez les Cheyennes, la socit des Contraires (qui n'a rien voir avec l'heyoka), tait compose de femmes et d'hommes gs qui en faisaient partie aprs avoir rv du tonnerre et des clairs. Toujours chez les Oglala, Hehaka Sapa (Black Elk) raconte comment, lors de sa grande vision, deux hommes arms de lances sortirent des nuages (Neihardt, 1961, p. 22). Chez les Omaha, mixuga, c'est--dire la lune (pense comme hermaphrodite dans beaucoup de mythes) dterminait l'avenir sexuel du jeune adolescent qui, instruit par elle, pouvait devenir berdache. Lors de la qute de la vision, il arrivait que l'adolescent voie apparatre la lune tenant d'une main un arc et des flches, et de l'autre, une courroie de panier. Si le garon n'tait pas assez rapide pour saisir l'arc, il devenait alors berdache, c'est--dire homosexuel. De mme que l'heyoka, il tait considr comme un tre sacr par sa tribu (Dsy, 1978).

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Lacs et rivires, montagnes et valles, plantes et animaux sont inscrits au niveau du sacr puisqu'ils font partie de l'univers. Investis d'un pouvoir, il leur est possible d'avoir diffrentes significations de sorte que les hommes, les animaux, les plantes ou les lieux deviennent dans ce cas poha pour les Shoshone, wakan pour les Dakota, xupa pour les Hidatsa, maxp pour les Crow, orenda pour les Iroquois, manitu pour les Algonkin, c'est--dire sacr. Mais ces termes contiennent de plus une connotation qualitative qui les place au niveau de l'exceptionnel. Cela revient dire aussi, pour toutes ces catgories, comme l'crit Marcel Mauss, que si tous les dieux sont des manitous, tous les manitous ne sont pas des dieux (Mauss, 1966, p. 112). Dans une autre perspective, on trouve des motifs de mythes communs aux Amrindiens qui refltent une pense universelle de type orphique ou promthen, par exemple. Une mythologie commune ou partielle tente d'expliquer le dluge, la fin du monde, l'incendie universel, le sjour des morts ou l'existence d'un au-del, exception faite des Navajo qui ne croient gure en une immortalit glorieuse et qui tiennent les morts en horreur. Cela explique facilement pourquoi la danse des Esprits (Ghost Dance) n'a jamais connu de succs chez les Navajo. Rappelons que c'est Wovoka, avec Tavib, un prophte paiute, qui en est l'instigateur. Le principe de ce rituel, qui se rpandit comme une trane de poudre dans tout l'ouest en 1890, est de caractre messianique : Un jour viendra o tous les Indiens, morts et vivants, seront runis sur une terre purifie afin de vivre un bonheur total, librs de la mort, de la maladie et de la misre. (Mooney, 1965, p. 19.) Quant aux Kiowa, ils avaient une conception assez originale de l'aprs-vie (conception rapidement transforme par les missionnaires) : ils croyaient que seules les mes de ceux qui avaient fait le mal sur terre transmigraient chez le hibou ; les autres disparaissaient dans le nant (Marriott/Rachlin, 1972, p. 17).

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Les sages amrindiens ont aussi rflchi des mythes qui disent les dons de la nature. Ceux-ci ont souvent pour corollaires des rites : ainsi la pipe sacre des Sioux et la crmonie qui y est rattache, enseigne par la femme bisonne blanche (Brown, d., 1972, chap. 1). Plus tard, la danse du soleil sera institue pour tayer le rituel de la pipe sacre (ibid., chap. V). Il est d'ailleurs intressant de remarquer que l'acquisition du feu, du mas, du tabac, des techniques de chasse et de pche sont facilement les thmes centraux des mythes. Chez tous les peuples agraires, le mais donne lieu des crmonials labors. Nombreux sont les mythes qui se rfrent Soie-de-Mas, desse de la plante en question. Chez les peuples du Grand Nord, le tabac sert d'offrande propitiatoire. Les Cris, les Montagnais et les Naskapi continuent de dposer des pinces de tabac dans le crne de l'ours afin d'apaiser son esprit qui est grand et bienveillant. On l'appelle d'ailleurs grand-pre ou grandmre. Finalement, les sages amrindiens avaient une dernire tche accomplir afin d'tablir l'ordre du monde : dsigner dans l'espace terrestre les signes symboliques de ce qui s'tait pass dans l'espace cosmogonique. Consacrer le territoire par l'entremise des prtres, des medicine-men ou des chamans. En un mot, faire en sorte que chaque territoire soit le centre du monde. C'est ainsi que dans la perspective des socits archaques, tout ce qui n'est pas notre monde n'est pas encore un monde . On ne fait sien un territoire qu'en le crant de nouveau, c'est--dire en le consacrant (Eliade, 1965, p. 30). Mais au cours des ges, il est arriv que cet espace hirophanique drive. Les anciens savaient l'importance de ce centre et quel point ils l'avaient cherch avant de s'tablir. Le mythe zui de cration nous l'enseigne trs bien. Dans un passage de ce mythe, on voit les chefs de la Pluie s'installer avec leur peuple au village kachina. Mais aprs un certain temps, ils commencent se demander si l'emplacement de leur village est bien au centre du monde. Aussi, ils se runissent chaque

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nuit pour en discuter et dresser l'autel qui leur confirmera la place du centre (Parsons, vol. 1, p. 230 et passim). Dans la crmonie hako des Pawnee, le cercle dessin par le medicine-man reprsente le territoire donn par Tirawa son peuple. De mme que si on monte sur une colline, l'horizon, l o la terre et le ciel se rencontrent, dlimite un cercle dont on est le centre (Alexander, 1916, p. 97). Et c'est dans cette perspective du territoire consacr que nous pouvons interprter la colre et le dchirement des Cris de l'est de la baie de James, lors de la dcision par le gouvernement d'exploiter leurs territoires de chasse ancestraux des fins hydrolectriques. La qute religieuse de ce centre du monde renvoie aussi une autre interprtation : la constance avec laquelle toutes les tribus amrindiennes s'autodnomment les premiers hommes , les tres humains , le vrai peuple ... Hehaka Sapa ne s'y trompait pas, lui qui termine le rcit des rites secrets des Oglala Sioux par cette incantation, encore rcite comme une prire par des Indiens d'aujourd'hui. Il sait que le centre du monde a t profan chez son peuple et que la balle qui symbolise la terre en quelque sorte - est perdue :

En ces tristes temps dans lesquels notre peuple est plong, nous cherchons dsesprment la balle. Certains ne tentent mme plus de l'attraper. Cela me fait pleurer rien que d'y penser. Mais un jour viendra o quelqu'un la saisira, car la fin approche rapidement. Alors seulement, elle sera retourne dans le centre, et notre peuple avec elle. (Brown Ed., 1972, p. 138.)

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IV. Problmes de notre temps.

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Ce serait se mprendre gravement de croire que les mythes et les rites appartiennent un pass rvolu en ce qui concerne les peuples amrindiens. Certes, des nations clbres pour leur complexit sociologique ont disparu : les Natchez ou les Mandan pour ne citer que celles-l. (A la suite des pidmies de variole, les survivants mandan sont alls rejoindre les Hidatsa. Ils vivent aujourd'hui la rserve de Fort Berthold au nord Dakota.) En revanche, d'autres tribus ont su garder jalousement certaines de leurs institutions comme des groupes de Pueblos, de Sioux, d'Iroquois, d'Algonkin, de Kwakiutl ou d'Athapaskan. De plus, le panindianisme de ces dernires annes a permis la reviviscence de rituels pratiqus par des Indiens de tribus diffrentes, comme la cration de petites communauts spirituelles o on met en commun une rudition mythographique. Des medicine-men n'hsitent pas se dplacer sur tout le territoire comme le faisaient autrefois les prophtes ou les visionnaires politiques (Tecumseh [Shawnee], Pontiac [Ottawa], Cornplanter [Seneca]), et tous les inconnus qui se donnaient pour mission d'apporter la bonne parole aux groupes dissmins. C'est pourquoi s'il n'est pas question de prtendre que le savoir mythologique est rest le mme depuis la conqute ou qu'il n'a pas t victime de l'rosion culturelle, on ne peut nier son pouvoir effectif. Tout est possible si on prend en considration le fait que ni les rites, ni les mythes ne sont statiques. Comme l'crivait Franz Boas : On dirait que les univers mythologiques sont destins tre pulvriss peine forms, pour que de nouveaux univers naissent de leurs dbris (in Lvi-Strauss, 1958, p. 227).

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Force est tout de mme de constater que si des peuples ont su prserver jusqu' nos jours des rituels qui pour la plupart du temps se droulent loin des regards indiscrets, on ne peut alors dire qu'ils ont pour fonction de divertir le touriste en produisant du folklore . Certes, ce dernier existe, beaucoup de pow-wow sont l pour nous le rappeler, mais en dehors du fait que rien ne l'empche ventuellement de gagner ses lettres de noblesse, il existe une chelle rduite, preuve d'un savoir-faire qui atteste de la sagesse des anciens. Il faudrait terminer cette analyse trop rapide en se tournant vers les muses qui ont acquis des collections ethnographiques, dont certains objets investis d'une valeur sacrale, depuis des sicles. Don Talayesva raconte dans son livre l'tonnement de visiteurs hopi lors d'une visite dans un muse de Chicago. leur grand effroi, ils dcouvrent, derrire les vitrines, des masques crmoniels rservs au seul usage des officiants lors des ftes dans le pueblo (Simmons, d., 1942). Que dire de ce membre de la socit secrte des Black Eyes cherchant dsesprment dans les muses le masque original qui prsida la fondation de cette socit ? (Parsons, 1939.) Les Iroquois ont galement engag des dmarches pour rentrer en possession de tous les wampum (genre de ceintures qui racontent les faits et gestes de la tribu) dont certains avaient t confis en 1898 l'Universit de l'tat de New York. Plus prs de nous dans le temps, en 1973, aprs les vnements de Wounded Knee, Wallace Black Elk (petits-fils de Hehaka Sapa), gardien de la pipe sacre qui avait appartenu Crazy Horse, cousin de son grand-pre, se la fit voler. Lorsqu'il en parla, il le fit avec une motion indicible, mais il tmoigna aussi beaucoup d'inquitude l'gard du voleur dont la vie lui semblait en danger. La fonction descriptive des muses incite mal l'amateur prendre du recul par rapport des objets qui, privs de leur fonction initiale, ont t transforms en choses . Qu'importe le soin apport leurs

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prsentations, ces objets sont passs irrvocablement dans un autre monde. Hans G. Gadamer crit ce propos : Il faudrait bien qu'on admette que, par exemple, l'image d'une divinit antique, qui n'a pas t expose dans le temple titre d'uvre d'art voue une jouissance rflexive de type esthtique, et qui aujourd'hui se trouve expose dans un muse moderne, contient en soi, sous la forme o cette image nous apparat aujourd'hui, le monde de l'exprience religieuse d'o celle-ci provient. La consquence tirer est importante : ce monde qui est le sien fait mme encore partie du monde qui est le ntre. (1976, p. 11.) Dans ce sens, il s'agit de s'attacher rtablir le lien tnu qui relie ces objets un autre univers culturel et qui sont porteurs de signes cods dans l'espace et dans le temps. Car, en dpit d'un destin musographique, les masques tlingit, les autels mandan, les peintures sur le sable navajo, les pipes sacres crow, les hochets curatifs montagnais font intrinsquement partie d'un devenir mythologique. A leur manire, ces objets portent toujours la charge d'motion spirituelle dont ils taient revtus au temps o ils taient utiliss rituellement. P.D. BIBLIOGRAPHIE

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Pierrette Dsy
Spcialiste en histoire et en ethnologie Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

II
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Les mythes fondateurs de la danse du soleil dmontrent bien que ce rituel a t introduit pour clbrer la cration du inonde ou pour commmorer le renouveau terrestre. (Dorsey 1905, pp. 46-55, Brown, d., 1972, pp. 3-9 et pp. 67-100 ; Lvi-Strauss, 1968, pp. 163-184.) Au fur et mesure de la clbration de cette crmonie, les tribus rajoutrent des aspects squentiels qui en signalaient l'importance d'un point de vue spatio-temporel. Aussi, si la danse du soleil revt une apparence syncrtique et peut tre excute des fins rvolutionnaires 1 , il importe de souligner qu'elle est en mme temps le fait d'une pense rigoureusement mythologique 2 . Tandis que la danse du soleil tait des plus labores chez les Arapaho, les Cheyennes et les Dakota, des tribus comme les Comanches
1

Le medicine-man hunkpapa Sitting Bull eut la vision suivante durant la danse du soleil qui prcda l'attaque de la Little Big Hom : il vit des douzaines de soldats blancs tomber au champ de bataille ; c'tait, en 1876, la fameuse dfaite de Custer. cet gard, on pourrait comparer ce rituel celui du midewiwin des Ojibwa. (Landes, 1968, pp. 71-237.)

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la copirent sur les Kiowa en 1874, et les Ute l'adoptrent aussi tard que vers 1890, moment qui correspond la danse des Esprits (Ghost Dance) d'inspiration messianique qui repose en partie sur le mythe orphique. La danse du soleil porte diffrents noms : ainsi, danse sans boire (Cris) ; crmonie du renouveau de la vie , entre autres (Cheyennes) ; danse sacre ou mystrieuse (Ponca) ; danser en fixant le soleil et parfois le soleil fixe la danse (Dakota). Ce rituel tait pratiqu par une vingtaine de tribus des Plaines : Kiowa, Ute, Wind River Shoshone, Crow, Blackfoot, Sarsi, Gros-Ventre, Arapaho, Cheyennes (Nord et Sud), Oglala, Ponca, Arikara, Hidatsa, Assiniboines, Sisseton, Dakota, Ojibwa et Cris des Plaines. (Spier, 1921, p. 473.) En revanche, les Pawnee, les Wichita, les Omaha, les Mandan et quelques tribus du groupe linguistique siouan ne l'observaient pas. En ce qui concerne les Mandan, ils clbraient l'okipa (Catlin, 1967 et 1973, vol. 1, pp. 155-184), un rite de commmoration du dluge, hautement labor et complexe qui, comme la danse du soleil, durait quatre jours avec son cortge de privations, de jene et de mortifications. Il convient d'ajouter que toutes les tribus ne pratiquaient pas la torture. Parmi celles cites plus haut, les Kiowa, les Shoshone de Wind River et les Cheyennes du Nord ne l'appliquaient pas, ou peu, car les auteurs se contredisent sur cette question. (Spier, 1921, p. 473 ; Mayhall, 1971, p. 150.) Au moment qui correspond l'introduction du cheval dans les Plaines, beaucoup de tribus firent de cet immense territoire leur habitat permanent. Les Cheyennes, les Gros-Ventre ou les groupes sioux qui vivaient plus l'est, dans les rgions limitrophes des prairies, des forts et des Grands Lacs, s'adaptrent trs vite aux Plaines. Les Sioux du Minnesota qui sont alls dans les Dakotas en sont le meilleur exemple.

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Une crmonie comme la danse du soleil ne pouvait manquer de s'enrichir en fonction des nouvelles donnes culturelles et cologiques. De toute faon, le changement progressif de territoire permit ces groupes de dvelopper avec beaucoup plus de prcisions les socits guerrires 3 , et avec elles, s'panouit un crmonial sur lequel devait venir s'inscrire l'histoire immdiate des tribus en question. Au contraire d'autres crmonies rserves des socits spcifiques fminines ou masculines 4 , la danse du soleil tait avant tout de caractre tribal. En effet, toute la tribu - mis part quelques individus impurs - tait invite participer ce grand crmonial qui prenait place en juin ou juillet, et parfois en aot comme de nos jours, aprs que les groupes de chasse collective, qui s'taient disperss pendant l'hiver, se furent regroups dans un grand lieu de rassemblement. Chez les Sioux du Dakota, la danse du soleil revtait un caractre annuel, bien qu'elle pt se drouler la suite d'un vu individuel. C'tait d'ailleurs le cas des Crow qui l'excutaient aprs qu'un guerrier en eut mis le dsir la suite du meurtre d'un parent par une tribu ennemie. Ce qui expliquerait son caractre sporadique. (Lowie, 1963, p. 198.) L'analogie entre la crmonie et les affaires de la guerre tait d'ailleurs clairement tablie, puisque, avant son ouverture, il tait coutume pour les guerriers de venir raconter leurs exploits. Malgr le nom elliptique qu'elle porte - attribu par les observateurs europens -, et le spectacle impressionnant offert par le danseur dans son rapport enivrant avec le soleil, car, en dfinitive, le specta3

L'une des dernires en date (fin XIXe sicle) fut celle des Crazy Dogs des Cheyennes. Cette socit tait forme de quelques guerriers, les chiensfous , qui faisaient serment de mourir la guerre. (Grinnell, vol. II, 1972, p. 48.) L'une de ces socits fminines sioux tait ddicace la Femme cleste ( Holy Woman Above ). On trouvait chez les femmes cheyennes des guerrires qu'on appelait les femmes au cur viril ( Manly Hearted Women ).

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teur ne sait plus trs bien qui, du danseur ou de l'astre, fixe l'autre, la danse du soleil est avant tout une clbration rnovatrice. Certes, le soleil est une composante prestigieuse et haut caractre emblmatique aux yeux de l'excutant, puisque ce dernier danse quatre jours, torse nu, le corps expos au feu solaire. Si on ajoute que, de plus, il le fait sans manger et, en principe, sans boire, le corps supplici se sert du soleil comme d'un instrument de torture, dans le but de toucher celui qu'on appelle le Grand Esprit. Analys sous cet angle, le soleil est surtout un intermdiaire entre Wakan Tanka (Sioux) et le danseur, comme le sont d'ailleurs l'oiseautonnerre - l'excutant souffle presque sans rpit dans un sifflet taill dans l'aile d'un aigle -, le bison qui fait partie des objets de l'autel sacr, le medicine-man et la femme qui danse et symbolise bisonne blanche qui vint apporter la pipe sacre aux Sioux. Ajoutons que la lune fait pendant au soleil, car si la crmonie a lieu au moment de l'anne o il est son apoge, elle correspond aussi la pleine lune des mois de juin et juillet. Cela tant, bien qu'il y ait une relation privilgie entre le danseur guid par l'officiant et ce qui se passe au niveau spirituel, la vision restant l'tape ultime, le droulement de la danse du soleil est une affaire populaire de nature minemment religieuse. Il existe plusieurs descriptions de ce rituel des Indiens des Plaines, descriptions auxquelles nous renvoyons le lecteur soucieux d'en connatre les tapes (Dorsey, 1889-1890) ; Brown, d., 1972 ; Grinnell, vol. II, 1972 ; Jorgensen, 1972 ; Lowie, 1915 et 1919 ; Skinner, 1919 ; Spier, 1921 ; Walker, 1917 ; Wallis, 1919 et Wissler, 1918). En ce qui nous concerne, nous avons pu, exceptionnellement -les Blancs tant exclus du territoire - assister au renouveau de cette crmonie en 1973. La clbration eut lieu alors dans le campement d'un medicine-man rput, Henry Crow Dog, au lieu dit Crow Dog's Paradise , la rserve sioux de Rosebud (Sud-Dakota).

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Nous pouvons attester de la grande atmosphre religieuse qui rgnait dans le campement d'o appareils-photos et enregistreurs avaient t formellement interdits. Beaucoup de personnes extrmement ges, venues de tous les coins du Dakota, ne parvenaient gure cacher leur motion intense. Il en allait de mme pour les chanteurs assis autour du tambour crmoniel l'entre de la tonnelle. Le campement tait svrement gard par de jeunes guerriers (des militants qui, pour la plupart, avaient fait le sige de Wounded Knee) ; ils veillaient aussi au bon ordre chez les spectateurs assis autour de la tonnelle o se droulait la danse. Comme au temps de la grande clbration de fin de printemps, on prpara la crmonie quatre jours l'avance et elle dura quatre jours de suite, le dernier tant rserv l'offrande corporelle. A cette occasion, les officiants introduisirent des chevilles sous les muscles de la poitrine des participants, cheville rattache par une corde au poteau central (dans ce cas le tronc d'un jeune peuplier). Chaque excutant, trente environ, dansa jusqu' ce qu'il ft libr. A la fin du jour, peu avant le coucher du soleil, en mme temps que le sacrifice des danseurs avait lieu, le medicine-man prleva chez ceux des spectateurs qui le dsiraient un morceau de chair sur l'paule ou le bras. De mme qu'il leur fut remis un petit sac symbolisant l'autel sacr appartenant la danse du soleil. Comme autrefois, la tonnelle, recouverte de branchages, qui encerclait l'espace sacr rserv aux danseurs, apportait de la fracheur aux spectateurs, tandis que le soleil dardait ses rayons dans le centre o taient signals les quatre points cardinaux : nord, sud, est, ouest. A l'ouest de cette tonnelle avait t marqu un territoire interdit o on avait rig un tipi crmoniel et la tente de sudation. Un peu plus au sud se trouvait l'aire destine aux ftes profanes et galement un lieu o tous les spectateurs pouvaient s'approvisionner gratuitement en nourriture prpare par un groupe de jeunes femmes.

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Sans aller jusqu' prtendre que, depuis 1904, date laquelle le gouvernement amricain proscrivit la danse du soleil comme immorale et barbare , cette crmonie n'avait jamais t excute dans son intgrit, nous pouvons affirmer que le droulement rituel fut respect comme il l'avait peu t depuis le XIXe sicle. En effet, si son interdiction remonte officiellement 1904 - elle fut nouveau autorise en 1934, anne qui correspond au Indian Reorganization Act , lequel fut introduit afin de corriger la politique gouvernementale qui avait prvalu depuis cent ans -, on sait que, bien avant, les agents au service du Bureau des Affaires indiennes taient chargs sur place de briser la culture religieuse. Dj en 1883, par exemple, les ordres venus de Washington laissaient tout loisir ces agents d'emprisonner les participants. Ainsi, on excuta pour la dernire fois la danse du soleil la rserve sioux de Cheyenne River (Sud-Dakota) en 1883. (Utley, 1972, p. 33.) Mais htons-nous d'ajouter que cette rserve est actuellement un lieu o le rituel est nouveau introduit. Malheureusement, on doit avouer que, bien souvent, la danse du soleil est une ple copie de ce qui pouvait se passer au sicle dernier. Il suffirait pour s'en convaincre de voir un film comme Soleil perdu , une production de l'Office national du Canada qui date de 1961, il est vrai. Ce film, tourn chez les Blood (Blackfoot) en Alberta, loin de donner l'impression d'un document ethnographique, cherche plutt convaincre l'amateur d'un folklore dsuet et moribond. De mme, la description moderne dans certains livres laisse le lecteur dsabus et perplexe. (Par exemple, le chapitre intitul The Defeat of the Rodeo in Shorris, 1972, pp. 137-154.) Il n'est pas inutile de rappeler ces faits pour comprendre que la reviviscence authentique de ce rituel notre poque est beaucoup plus qu'une reprsentation visuelle. La danse du soleil s'inscrit la fois deux niveaux : mythique et rel. D'o la puissance symbolique et expressionniste d'une telle institution. P.D.

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BIBLIOGRAPHIE

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Pierrette Dsy
Spcialiste en histoire et en ethnologie Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

III
Cration du monde. Indiens de lAmrique du Nord. (Dictionnaire des mythologies et des religions des socits traditionnelles et du monde antique, Tome I, pp. 514-520.)

I. La femme tombe du ciel.

Ils recognoissent pour chef de leur Nation vne certaine femme qu'ils appellent Ataentsic, qui leur est disent-ils, tombe du Ciel. Le Jeune, Pre Paul, De la Crance, des Moevrs et Costumes des Hvrons. (1636.)

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Ataentsic 5 vivait heureuse par-dessus les votes du ciel, dans un pays qui ressemble la Terre. Un jour, alors qu'elle cultivait un champ, son chien, qui l'accompagnait, aperut un ours et le poursuivit. Afin d'chapper aux crocs de l'animal, l'ours, accul au bord d'un gouffre, s'y laissa tomber. Le chien se prcipita sa suite et, Ataentsic, pousse par la curiosit et le dsespoir, sauta son tour. Bien qu'elle ft enceinte, sa chute dans l'eau ne lui fit aucun mal.
5

Ataentsic signifie vieille femme . On l'appelle aussi Awehai (Terre fertile) ou Lune. Ataentsic n'est pas entirement dpourvue des caractristiques du dcepteur. Dans certains cas, elle peut se faire jeune ou vieille. Elle est la fois cratrice et sductrice. Dans une autre variante, elle serait sduite par son petit-fils.

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Dans une autre variante, Ataentsic, dsireuse de gurir un poux fort malade, s'employait couper un arbre aux vertus curatives. Mais l'arbre tomba dans un prcipice et Ataentsic s'y jeta aussi. Sa chute, cependant, fut remarque par la tortue qui levant la teste hors de l'eau, l'appereut, et ne sachant quoy se resoudre, estonne qu'elle estoit de ceste merveille, elle appelle les autres animaux aquatiques pour prendre leurs advis. Les voila incontinent assemblez ; elle leur monstre ce qu'elle voyoit, leur demande ce qu'ils jugent propos de faire ; la pluspart s'en rapportent au Castor, lequel par bienseance remet le tout au iugement de la Torte, qui fut donc enfin d'advis qu'ils missent tout promptement la main l'uvre, qu'ils se plongeassent au fond de l'eau, et en apportassent de la terre, et la missent sur son dos. Aussi-tost dit, aussi-tost fait, et la femme tomba fort doucement sur ceste Isle. (Le Jeune [1636], 1972, p. 101.) Bientt Ataentsic accouchait d'une fille laquelle, bien qu'elle ft vierge, ne tarda point donner naissance des jumeaux Taiscaron et Iskeha 6 . Ceux-ci eurent une violente querelle. Tandis que Iskeha s'armait d'un bois de cerf, Taiscaron, persuad qu'un coup de rosier sauvage aurait raison de son frre, portait le premier coup. Mais Iskeha blessa mort son frre et sortit vainqueur du combat (ibid., p. 102.) Grce Iskeha, leur hros culturel, les Hurons ont appris les techniques du feu, de la pche, de la chasse, de la navigation ; ainsi qu' cultiver bl et recueillir le sirop d'rable (ibid., p. 103.) On retrouve ce mythe de faon plus labore chez les Iroquois. La variante seneca raconte comment la fille du Chef du Ciel tomba malade. Son pre la fit porter prs d'un arbre nourricier, le seul que possda

Taiscaron signifie silex (le sang qui s'chappa de sa blessure au flanc se transforma en pierre feu ) ou glac au deuxime degr ou le noir . Iskeha signifie soleil , le bon , le blanc , la chre petite pousse ou le jeune bourgeon (Le Jeune, 1972 [1636], p. 102 et Tooker, 1962, p. 151).

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le peuple cleste. Il ordonna que l'arbre ft dracin. Un homme, fort mcontent de cette dcision, donna la fille un coup de pied qui la prcipita dans un trou. Des oiseaux aquatiques l'ayant aperue lors de sa chute allrent la poser doucement sur le dos de la tortue. Les squences qui suivent ressemblent la variante huron. La poigne de boue rapporte finalement par le crapaud fut tale soigneusement sur la carapace de la tortue et, en se dilatant, finit par former une le. La femme tombe du ciel donna naissance une fille. Plus tard, alors que toutes deux taient occupes cueillir des patates, la fille dsobit sa mre en faisant face au vent d'est. En effet, sa mre l'avait bien instruite ce sujet lui disant que, dans ce cas, elle serait fconde par le vent d'ouest (Feldmann, d., 1971, pp. 56-70). Peu avant d'accoucher, la jeune femme entendit les jumeaux se quereller dans son sein. Alors que le premier projetait de sortir par les voies normales, le second se vantait de natre par l'aisselle de sa mre. Le premier n fut Djuskana (petit bourgeon) et le second Othagwenda (silex). La grand-mre rendit responsable Othagwenda de la mort de sa fille et reporta toute son affection sur Djuskana. On dcouvre dans ces rcits l'essentiel des thmes qui reviennent dans les nations l'est et l'ouest des Grands Lacs. La relation privilgie de la grand-mre avec son petit-fils est une image rpandue en Amrique du Nord (on rencontre la grand-mre araigne dans le sudouest et la grand-mre souris dans les Plaines, par exemple). Le petitfils est le hros culturel. Lorsque la grand-mre tombe du ciel, la terre est toujours recouverte des eaux pr-diluviennes (le dluge survient plus tard cause de la maladresse de quelque dmiurge ou des mfaits d'un monstre marin). C'est aussi la tortue qui sert de support la terre, ide que l'on retrouve aussi chez les Mandan selon lesquels le monde est port par quatre tortues. Les jumeaux qui se disputent dans le sein de leur mre sont une figure courante. Cependant, chez les Ojibwa, le hros Manabozho parle

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aimablement avec son frre Loup. Ils s'aiment au point que Loup s'tant accidentellement noy, Manabozho reste inconsolable. Dans une autre variante, il est si furieux de cette mort qu'il tente de se mesurer avec Manitu. Toutefois, une autre version dit qu'il finit par tuer son frre. En revanche Gluskap, le hros culturel des Micmac, a lui aussi maille partir avec son frre. Tous deux projettent de tuer l'autre. Gluskap (dit le menteur ou le dcepteur [deceiving one]) sort vainqueur d'un combat avec son frre MaIsum en l'liminant de la mme manire que Iskeha tuait Taiscaron (Mechling, 1914, p. 44). Dans cette perspective, il apparat nettement que la lgende de Dekanawida emprunte largement au mythe d'origine de la cration. Ce rcit - dont il existe plusieurs variantes - constitue galement un essai politique pour expliquer les lois et les charges de la nouvelle constitution de la Ligue des Iroquois (on pense qu'elle prit naissance au milieu du XVe sicle, moment qui correspondrait l'clipse totale du soleil de 1451). D'aprs la version Newhouse (Fenton, d., The Constitution of the Five Nations , 1971, p. 14 et passim, p. 65 et passim), le rcit commence en prsentant une femme d'une grande bont qui vivait seule avec sa fille. Or cette dernire se trouva enceinte sans avoir jamais connu d'homme 7 . Aprs la naissance de l'enfant, la grand-mre essaya de s'en dbarrasser plusieurs reprises, mais l'enfant sortit toujours vainqueur de ces preuves. La vieille s'en merveilla et l'adopta. L'enfant fut nomm Dekanawida. Peu de temps aprs, il quitta les deux femmes et entreprit enfin de visiter les peuples environnants qui taient toujours en guerre. Une autre variante dit que Dekanawida entreprit son priple dans une embarcation de pierre blanche. C'est au peuple du silex (les Hurons ou langues fourchues d'aprs les Iroquois) qu'il rserva la premire tape de son voyage. Il y surmonta une preuve - chose trs frquente pour tous les hros culturels - en grim7

Comparer ce rcit avec celui du dmiurge Winnebago le Grand Livre, qui commence exactement de la mme faon. Voir Radin, 1976, p. 63.

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pant au fate d'un arbre, sis au bord d'un ravin, que l'on fit abattre sa base. De cette faon il prouvait au peuple du silex sa loyale intention d'tablir la paix. Il continua son chemin et arriva chez les Ongweowe (les vrais hommes , c'est--dire les Iroquois). Il y surmonta une autre preuve en aidant Ayonwatha (Hiawatha) 8 vaincre Adodaro, sorte de despote cannibale qui avait tendu sa loi mauvaise sur les vrais hommes (Fenton d., 1971, op. cit. ; p. 17). Les rfrences au mythe de la femme tombe du ciel sont assez videntes. Dekanawida, c'est le messie qui se propose de refaire le monde, en le dlivrant du chaos. Comme les hros culturels, il voyage magiquement, surmonte toute une srie d'preuves, combat les monstres. Ces rfrences sont l pour dire que la lgende de Dekanawida sert de support une organisation du XVe sicle (Ligue des Iroquois) et renvoie une ralit historique : les guerres incessantes des tribus entre elles. Le mythe d'origine comme la lgende rappellent que le hros a pour tche de structurer le monde et la socit. C'est bien dans ce sens que les mythes sont le reflet de la socit.

ne pas confondre avec le Hiawatha de Longfellow. L'auteur s'est d'ailleurs inspir des aventures du dmiurge Manabozho (ou Manabush, Chibiabo, Wenobojo).

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II. La pie sortie de terre.


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Mon ami, demanda Masauwu, mais d'o venez-vous ? Sans doute, cherchez-vous quelque chose ? vrai dire, je n'ai jamais entendu parler de vous. Je vis seul ici. - Je suis sortie de terre, rpondit la pie. - Est-ce possible ? - Oui, je suis sortie de terre. - Oh ! j'ai bien entendu dire que des gens vivaient sous terre. - C'est de l que je viens. - Mais que se passe-t-il donc l-dessous ? - Oh ! c'est que nous avons beaucoup de problmes... (Parsons, E.C., Pueblo Indian Religion, vol. 1, 1939, p. 238.)

Dans le premier monde, les Hopi taient comme les fourmis. Dans le deuxime monde, ils se mtamorphosrent en de nouvelles cratures animales. Dans le troisime monde, ils se mirent ressembler un peu plus aux hommes, mais ils taient munis d'une longue queue dont ils avaient grande honte. (Les Zui avaient des corps gluants, des mains palmes, ils se marchaient les uns sur les autres et se crachaient dessus.) Ils agissaient de faon bizarre. Les jeunes hommes faisaient l'amour aux vieilles et les vieux aux jeunes filles. Les femmes ne voulaient pas de leur mari. Ils se battaient, se jetaient des sorts, s'entretuaient. Les gens tombaient malades, d'autres devenaient comme fous. Les chefs se montraient fort mcontents de cette situation impossible. Comme ils voyageaient, ils arrivrent une rivire. Ils dcidrent de se sparer, les femmes d'un ct, les hommes de l'autre. Les unes et les autres plantrent du mas et des melons d'eau. Il semble que les

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hommes russissaient mieux cette tche. Mais le dluge survint. Les femmes construisirent une tour qui s'croula. Les hommes plantrent des roseaux (une autre variante dit que la femme-araigne le fit) qui transpercrent la crote terrestre. Blaireau s'aventura le premier mais il ne put rien apercevoir tant il faisait noir (ailleurs on dit qu'il tait trop fatigu et qu'il renona poursuivre son enqute). Finalement la pie s'envola. Elle aperut au loin une maison et un champ de mas. Un homme, qui lui tournait le dos, ne l'entendit pas venir. Lorsqu'il aperut la pie, il tenta de mettre son masque, mais il tait trop tard. C'tait Masauwu 9 (Parsons, E.C. 1939, vol. I, p. 236 et passim). Chez les Navajo, le monde actuel reprsente le cinquime tage d'une ascension laborieuse. (Il est impossible de donner compltement toutes les squences de ce mythe d'mergence, l'un des plus complets qui existe. Nous renvoyons le lecteur l'tude de Gladys A. Reichard, 1950.) Trois tres se partageaient le premier monde, plong dans l'obscurit : Premier Homme, Premire Femme et Coyote, mais ce lieu tait trop exigu, aussi tous trois se mirent d'accord pour monter. Deux hommes vivaient dans le second inonde, faiblement clair : Soleil et Lune, cependant qu' l'intrieur des quatre points cardinaux (est = noir ; sud = bleu ; ouest = jaune ; nord = blanc) se cachait un personnage. La discorde s'tablit entre les habitants du deuxime monde aprs que Soleil eut tent de sduire Premire Femme. Coyote, bien entendu, qui savait tout, fit intervenir les occupants des points cardinaux. Il fut dcid qu'il fallait encore grimper l'tage suprieur o l'espace serait suffisamment large pour sparer Soleil de Premire Femme.
9

Masauwu dans ce cas est le gardien de l'univers chthonien. C'est galement un dieu agraire. Il tente de mettre son masque afin d'effrayer la pie. S'il avait pu le faire, les gens du troisime monde n'auraient pu merger. Mais n'ayant pas t assez rapide, Masauwu doit cder sa terre et ce qu'il y cultive : mas, melon d'eau, cantaloup et courge.

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Le troisime monde ressemblait la Terre. Il y avait quatre ocans et quatre belles montagnes 10 . Les nouveaux arrivants furent accueillis par les habitants de la montagne qui les prvinrent que tout irait bien, aussi longtemps que le monstre marin serait laiss en paix. Mais Coyote, fort de sa science, passa outre l'avertissement. Ne pouvant rsister la beaut incomparable des deux enfants du monstre, il les enleva. Le monstre marin, furieux, se vengea en dversant les eaux des ocans (ou de la grande mer) dans le troisime monde. Les habitants commencrent empiler les quatre montagnes, mais comme cela ne suffisait pas, ils plantrent un roseau gant. Ils purent ainsi continuer leur ascension dans le quatrime monde. Ce dernier, pourtant plus vaste que le prcdent, n'tait pas encore le bon. Grce Premire Femme et Premier Homme, le peuple (ainsi se nomment les Navajo) put merger sur Terre. Tandis que les Hurons et les Iroquois expliquent la gense de la cration sur un axe ciel-terre, l'autre extrmit, les Pueblos et les Navajo mergent pniblement des entrailles de la terre, aprs avoir subi des transformations sur leurs corps, t chasss par le dluge et travers successivement plusieurs mondes souterrains. Entre l'origine cleste des peuples de l'est et l'origine souterraine des peuples du sud-ouest, les Creek du sud-est, les peuples de la Californie et les Kwakiutl de la cte nord-ouest nous donnent d'autres versions. C'est Esaugetu-Emissi (le matre du souffle ) qui a le pouvoir de cration sur les Creek. Ceux-ci vivaient jadis dans un royaume cleste avant que, purs esprits, ils ne prennent forme humaine. Par ailleurs, on trouve l'ide, assez rpandue chez les peuples californiens,
10 Il est intressant de noter que les Navajo, des Athapaskan qui ont migr du

nord du Canada, identifient les quatre montagnes en question, sises en Arizona, au Nouveau-Mexique et au Colorado : les monts Big Sheep (nord), Taylor (sud), Humphrey (ouest), Pelado ou Sierra Blanca (est). Fait noter : chez les Pueblo, le Grand Canyon du Colorado est souvent prsent comme lieu topographique d'mergence.

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d'un crateur qui modle partir de la boue, ou de l'union de la terre (sur) et du ciel (frre) dans le but de peupler la plante (Spence, 1975, p. 122, p. 348 et passim). En revanche un thme typique chez les Kwakiutl est celui qui raconte l'arrive de l'anctre du Numayma (ou Nemema : habitants de chaque village qui ont cet anctre en commun), sous une apparence soit animale (oiseau), soit humaine. Il peut aussi sortir de l'ocan prenant les traits d'un mammifre aquatique, ou merger du monde souterrain sous la forme d'un esprit. L'anctre se met aussitt la tche en sculptant des figures humaines partir d'un matriau (terre ou bois), ou en ramenant sur le rivage des gens qui errent la drive. Ds qu'il a termin son travail, il crie la ronde pour s'entendre rpondre par un autre anctre tout aussi occup que lui (Boas, 1975, pp. 304-305). Bien qu'il n'existe pas chez les Kwakiutl de mythe de cration proprement dit, le thme de l'anctre-sculpteur propose assez joliment la synthse des sujets qui composent l'mergence de l'humanit et la cration du monde. Il est cependant des peuples qui hsitent entre le haut et le bas et qui optent pour des solutions diffrentes de celles que nous avons considres. Il en est ainsi, par exemple, pour les Mandan, les Hidatsa et les Arikara, toutes trois tribus voisines dans le Haut-Missouri. Comme l'crit Claude Lvi-Strauss : ... les mythes paraissent embarrasss pour choisir entre une origine terrestre ou cleste. Ils conjuguent les deux thses, et les sages hidatsa schmatisent leur systme en traant une sorte d'Y : les deux bras de la fourche reprsentent l'mergence d'une partie des anctres, qui vivaient dans les entrailles de la terre, et la descente du ciel de l'autre partie ; le tronc commun voque les aventures des deux groupes aprs qu'ils se turent rencontrs et associs. (Lvi-Strauss, 1968, p. 378.)

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Dan.- le mythe de cration arikara, Nesaru tait gardien de l'univers. Par une fentre, il pouvait apercevoir un lac o nageaient sans fin deux canards. Survinrent alors Homme-Loup et Homme-Chanceux qui envoyrent les canards chercher de la boue. Grce cette boue, Homme-Loup modela les prairies et Homme-Chanceux dessina les valles et les collines. Puis tous deux firent une incursion sous terre o vivaient deux araignes de sexe fminin et de sexe masculin. Elles taient hideuses et sales. Les deux visiteurs entreprirent de les nettoyer. Ils les instruisirent des choses sexuelles dont elles taient fort ignorantes. Trs vite, elles se mirent procrer. L'araigne de sexe fminin donna naissance des animaux et une race de gants. Nesaru s'en montra trs irrit. Par consquent, il fit pousser le mas dont les grains en pntrant sous terre donnrent naissance une race de gens normaux. Puis il provoqua le dluge qui fit prir les gants tout en pargnant les autres. Les survivants taient malheureux dans ce monde, ils se marchaient les uns sur les autres. Aussi cherchrent-ils une issue vers le haut sans la trouver. Nesaru dlgua la desse Mas sous terre avec mission de les ramener. Les gens s'agglutinrent autour d'elle de sorte qu'elle ne put trouver le chemin du retour. Blaireau commena le forage d'un tunnel, il s'arrta avant d'atteindre la surface cause de la lumire ; la taupe prit la relve mais elle aussi craignait d'tre blouie ; finalement la souris nez long parvint jusqu' la surface, perdant le bout de son museau en contrepartie. Cependant, le tunnel tait toujours trop troit et les gens se bousculaient l'entre. Mais le tonnerre gronda et le tunnel s'agrandit. Tous purent enfin merger (Burland, 1965, pp. 84-86). Nous conclurons sur ce mythe arikara qui permet d'enfiler les derniers maillons qui composent la gense de l'humanit. Pour les Arikara, l'humanit, en dernire analyse, provient des grains de mas. Mais ces recours ultimes des solutions de rechange sont courants. Chez les Mandan (du clan du bison), l'humanit tire son origine de la transformation du chien de prairie (cynomys sp.). C'est que ni l'homme ni

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l'animal - et parfois les plantes - n'ont de raison de se distinguer. Les sages sioux ne discutent-ils pas pour savoir qui, du bison ou de l'homme, devrait manger l'autre ? Ces mythes nous donnent une leon sur la sagesse et aussi sur la hardiesse de la pense amrindienne. Qu'ils appartiennent l'ordre cleste, souterrain ou terrestre, ces mythes gardent toujours une puissance visuelle et une dynamique spectaculaire qui fascinent par la beaut du verbe et de l'image qu'ils suscitent. En tout tat de cause, les mythes de la cration du monde ne manquent pas du sens aigu du drame, de l'humour ou de la passion. P. D. BIBLIOGRAPHIE
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Pierrette Dsy
Spcialiste en histoire et en ethnologie, Professeure retrait du dpartement dhistoire de lUQM.

Tableau I. Distribution ethnique des tribus amrindiennes (Canada/Etats-Unis)


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Aires cologiques 1. Subarctique occidental

Rpartition gopolitique * a) Alaska intrieur, Yukon, Mackenzie b) Colombie britannique, Alberta, Saskatchewan, Manitoba Qubec, Ontario

Principaux groupes ethniques ** Tanana, Kutchin, Tutchone, Hare Kaska, Slave, Dogrib, Yellowknife, Carrier Sekani, Beaver, Sarsi, Chippewyan

Division linguistique *** Athapaskan

2. Subarctique oriental 3. Forts: versant atlantique

Montagnais, Naskapi, Cris, Ojibwa, Algonquin Bcothuk Micmac, Malecite, Abnaki, Penobscot, Pennacook, Mohican, Delaware, Algonquin, Powhatan, Nanticoke, Narragansett

Algonkin

Nouveau-Brunswick, Qubec, Terre-neuve, le-du-PrinceEdouard,Nouvelle-cosse, Maine, New Hampshire, Vermont, Massachusetts, Connecticut, RhodeIsland, New Jersey, Delaware, New York Ontario, Michigan, Indiana, Illinois, Wisconsin, Minnesota, New York

(?) Algonkin

4. Forts: versant des Grands-Lacs

Ottawa, Ojibwa (Chippewa), Potawatomi, Miami, Menominee, Sauk, Fox, Kickapoo, Illinois

Algonkin

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Aires cologiques

Rpartition gopolitique *

Principaux groupes ethniques ** Wyandot (Huron), Susquehannah, Eri, Mohawk, Oneida, Onondaga, Cayuga, Seneca Winnebago

Division linguistique *** Iroquoian

Siouien Muskogian

5. Sud-Est

Floride, Gorgie, Alabama, Missouri, Louisiane, Carolines, Virginies, Kentucky, Tennessee

Creek, Choctaw, Chickasam, Seminol

Natchez Cherokee, Tuscarora Catawba, Biloxi Shawnee 6. Plaines et prairies a) nord: Alberta, Saskatchewan, Montana, Wyoming, Colorado, Dakotas, Nebraska, Kansas Cris, Blackfoot, Cheyenne, Arapaho

Muskogian (?) Iroquoian Siouien Algonkin Algonkin

Yankton, Santee et Teton Sioux, Crow, Hidatsa, Mandan, Osage, Ponca, Omaha b) sud: Oklahoma, Texas Pawnee, Ankara Kiowa, Comanche Mescalero et Lipan Apache KiowaApache Circumpueblo: Chiricuaha et Jicarilla Apache Interpueblo: Navajo Pueblo: Tiwa, Tewa, Towa, Hopi Keres

Siouan

Caddo Tanoan Athapaskan Athapaskan Athapaskan Tanoan Keresan

7. Sud-Ouest

Arizona, Nouveau-Mexique

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Aires cologiques

Rpartition gopolitique *

Principaux groupes ethniques ** Zui Subpueblo : Pima, Papago Yuma Havasupai, Yavapai

Division linguistique *** Zunian Tanoan Yuman (Hokan) Hokan Uto-Tanoan (Shoshosean) Hokan Penutian Hokan Yukian Algonkin Salish-Wakashan

8. Grand-Bassin

Nevada, Utah, Californie, Oregon, Idaho, Wyoming, Colorado

Paiute (sud), Paiute (nord) Shoshone, Bannock, Ute Mohave

9. Californie

Californie

Maidu, Miwok, Yokuts, Wintum, Costanoan Pomo, Yana, Chumash, Shasta Yuki Wiyot Salish, Puget Sound, Okanagan, Shuswap, Thompson, Sanpoil, Kalispel, Coeur d'Alene Flathead, Pend d'Oreille, Klamath, Modoc Nez-Perc Yurok Hupa, Tlingit, Haida, Eyak Chinook

10. Plateau

Colombie britannique, Alberta, Washington, Idaho, Oregon, Montana

Penutian Sahaptin Algonkin Athapaskan Penutian (?)

11. Cte nord-ouest

Alaska, Colombie britannique, Oregon, Washington, Californie

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Aires cologiques

Rpartition gopolitique *

Principaux groupes ethniques ** Niska, Gitskan, Tsimshian Haisla, Heiltsuk, Kwakiutl, Nootka, Bella Bella Bella Coola, Salish, Tillamook

Division linguistique *** Tsimshian (Penutian) Wakashan-Kwakiutl Salish

* **

Comprend une province ou un tat en tout ou en partie. Ce tableau ne rend pas compte des faits suivants: 1) tribus disparues (ex. Natchez, Beothuk, Biloxi, Catawba.) 2) Exil subordonn la politique gouvernementale (ex. Dakota [XIXe s. au Canada], Tuscarora, [XVIIIe s. tat de New York], et Osage, Ponca, Pawnee, Arapaho, Cheyenne, Kickapoo, Delaware, Shawnee, Wichita, Chickasaw, Choctaw, Creek, Cherokee [Oklahoma, XIXe s.] ; on trouve des groupes des trois dernires tribus galement dans le Sud-Est.) *** Ces rfrences sont donnes titre indicatif et ne prtendent pas rgler les discussions ce sujet. Sources : DRIVER, H., Indians of North America, University of Chicago Press, 5e d., Chicago, 1965. DRUCKER, P., Indians of the Northwest Coast, American Museum Science Book, New York, 1963. HEIZER, R.F. et WHIPPLE, M.A., The California Indians, University of California Press, Berkeley, 2e d., 1973. KROEBER, A.L., Cultural and Natured Areas of Native North America, University of California Press, Berkeley, 1963. WISSLER, C., Indians of the United States, Anchor Book, New York, 1967.

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