Schreber
Schreber
Schreber
[Avant-propos]
[Avant-propos]
remplacer la connaissance personnelle du malade. Cest pourquoi je trouve
lgitime de rattacher des interprtations analytiques lhistoire de la maladie d'un
paranoaque (Dementia paranoides1) que je nai jamais vu, mais qui a crit et
publi lui-mme son cas.
Il sagit de lex-prsident (Senatsprsident) de la Cour dAppel de Saxe, du
docteur en droit Daniel-Paul Schreber, dont les Denkwrdigkeiten eines
Nervenkranken (Mmoires dun nvropathe) parus sous forme de livre en 1903,
si je suis bien inform, ont veill un assez grand intrt chez les psychiatres. Il
est possible que le Dr Schreber vive encore ce jour et ait abandonn le systme
dlirant dont il stait fait, en 1903, lavocat, au point dtre froiss par mes
observations sur son livre. Mais, dans la mesure o lidentit de sa personnalit
dalors et daujourdhui sest maintenue, je puis en appeler ses propres
arguments, aux arguments que cet homme dun niveau intellectuel si lev,
possdant une acuit desprit et un don dobservation peu ordinaires 2 avait
opposs ceux qui sefforaient de le dtourner de la publication de son livre :
Je ne me suis pas dissimul les scrupules qui semblent sopposer une
publication ; il sagit en effet des gards dus certaines personnes encore
vivantes. Dun autre ct, je suis davis quil pourrait tre important pour la
science, et pour la reconnaissance des vrits religieuses que, de mon vivant
encore, soient rendues possibles des observations sur mon corps et sur tout ce qui
mest arriv, et que ces observations soient faites par des hommes comptents. Au
regard de ces considrations, tout scrupule dordre personnel doit se taire 3. Dans
un autre passage, il dclare stre rsolu ne pas renoncer cette publication,
1
Freud emploie ici ces termes pour dsigner un cas que la clinique psychiatrique franaise
rangerait parmi les dlires hallucinatoires systmatiss ou bien les psychoses paranodes de
Claude. (N. d. T)
Ce portrait de Schreber par lui-mme, qui est loin dtre inexact, se trouve la page 35 de son
livre.
[Avant-propos]
mme si son mdecin, le Dr Flechsig, de Leipzig, devait lassigner, ce sujet, en
justice. Il prte alors Flechsig les mmes sentiments que je suppose aujourdhui
devoir tre ceux de Schreber : Jespre, dit-il, que chez le Professeur Flechsig,
lintrt scientifique port mes Mmoires saura tenir en chec les susceptibilits
personnelles ventuelles.
Bien que, dans les pages qui suivent, je rapporte textuellement tous les
passages des Mmoires qui tayent mes interprtations, je prie cependant mes
lecteurs de se familiariser auparavant avec le livre de Schreber en le lisant au
moins une fois.
I. Histoire de la Maladie
Schreber crit4 : Jai t deux fois malade des nerfs, chaque fois la suite
dun surmenage intellectuel ; la premire (tant prsident du Tribunal de premire
instance5, Chemnitz), loccasion dune candidature au Reichstag ; la seconde,
la suite du travail crasant et extraordinaire que je dus fournir en entrant dans mes
nouvelles fonctions de prsident de la Cour dAppel de Dresde6.
La premire maladie se dclara l'automne de 1884 et, la fin de 1885, avait
compltement guri. Flechsig, dans la clinique duquel le malade passa alors six
mois, qualifiait cet tat daccs dhypocondrie grave, dans une expertise quil fit
ultrieurement. Schreber assure que cette maladie-l se droula sans que
survienne aucun incident touchant la sphre du surnaturel 7.
Ni les crits du malade, ni les expertises des mdecins qui y sont adjointes ne
donnent de renseignements suffisants sur les antcdents personnels ou sur les
circonstances de la vie du malade. Je ne serais pas mme en tat de prciser son
ge au moment o il tomba malade, bien que la situation o il tait parvenu dans
la carrire judiciaire, avant sa seconde maladie, tablisse une certaine limite dge
au-dessous de laquelle on ne peut descendre. Nous apprenons que Schreber, au
4
Mmoires, p. 34.
Landesgerichtsdirektor.
Mmoires, p. 35.
I. Histoire de la Maladie
temps de son hypocondrie , tait mari depuis longtemps dj. Il crit :
Presque plus profonde encore tait la reconnaissance de ma femme qui vnrait
en le Professeur Flechsig celui qui lui avait rendu son mari, et cest pourquoi,
pendant des annes, elle eut sur sa table le portrait de ce dernier. (Page 36). Et
encore : Aprs la gurison de ma premire maladie, je vcus avec ma femme
huit annes, annes en somme trs heureuses, o je fus en outre combl
dhonneurs. Ces annes ne furent obscurcies, diverses reprises, que par la
dception renouvele de notre espoir davoir des enfants.
Au mois de juin 1893, on annona, Schreber sa prochaine nomination la
prsidence de la Cour dAppel ; il entra en fonction le 1er octobre de la mme
anne. Entre ces deux dates8, il eut quelques rves auxquels il ne fut amen que
plus tard attribuer de limportance. plusieurs reprises, il rva quil tait de
nouveau malade, ce dont il tait aussi malheureux en rve quheureux au rveil
lorsquil constatait que ce ntait l quun rve. Il eut de plus, un matin, dans un
tat intermdiaire entre le sommeil et la veille, lide que ce serait trs beau
dtre une femme subissant laccouplement (p. 36), ide que, sil avait eu sa
pleine conscience, il aurait repousse avec la plus grande indignation.
La deuxime maladie dbuta fin octobre 1893, par une insomnie des plus
pnibles, ce qui amena le malade entrer de nouveau la clinique de Flechsig.
Mais l son tat empira rapidement. Lvolution de cette maladie est dcrite dans
une expertise ultrieure par le directeur de la maison de sant Sonnenstein (p.
380) : Au dbut de son sjour l-bas9, il manifestait plutt des ides
hypocondriaques, se plaignait de ramollissement du cerveau, disait quil allait
bientt mourir, etc..., mais dj des ides de perscution se mlaient au tableau
clinique, bases sur des illusions sensorielles qui au dbut, la vrit, semblaient
8
I. Histoire de la Maladie
apparatre assez sporadiquement, tandis quen mme temps saffirmait une
hyperesthsie excessive, une grande sensibilit la lumire et au bruit.
Ultrieurement, les illusions de la vue et de loue se multiplirent et, en liaison
avec des troubles cnesthsiques, en vinrent dominer toute sa manire de sentir
et de penser. Il se croyait mort et dcompos, il pensait avoir la peste, il supposait
que son corps tait lobjet de toutes sortes de rpugnantes manipulations et il
souffrit, comme il le dclare encore prsent, des choses plus pouvantables
quon ne le peut imaginer, et cela pour une cause sacre. Les sensations morbides
accaparaient tel point lattention du malade quil restait assis des heures entires
entirement rigide et immobile, inaccessible toute autre impression (stupeur
hallucinatoire)10. Dautre part, ces manifestations le tourmentaient au point de lui
faire souhaiter la mort ; il tenta plusieurs reprises de se noyer dans sa baignoire,
il rclamait le cyanure de potassium qui lui tait destin. Peu peu, les ides
dlirantes prirent un caractre mystique, religieux ; il tait en rapport direct avec
Dieu, le diable se jouait de lui, il voyait des apparitions miraculeuses, il entendait
de la sainte musique, et en vint enfin croire quil habitait un autre monde.
Ajoutons quil injuriait diverses personnes qui, daprs lui, le perscutaient et
lui portaient prjudice, en particulier son ancien mdecin Flechsig, quil appelait
assassin dmes , et il lui arrivait de crier un nombre incalculable de fois
petit Flechsig , en accentuant fortement le premier de ces mots (p. 383).
Il arriva de Leipzig, aprs un court sjour dans un autre asile, la maison de
sant Sonnenstein, prs de Pirna, en juin 1894, et il y resta jusqu ce que son tat
et revtu sa forme dfinitive. Au cours des annes suivantes, le tableau clinique
se modifia dans un sens que nous dcrirons au mieux en citant les paroles du
mdecin directeur de cet tablissement, le Dr Weber.
10 Halluzinatorischer Stupor.
I. Histoire de la Maladie
Sans entrer plus avant dans les dtails de lvolution de la maladie,
jaimerais seulement indiquer la manire dont, par la suite, le tableau clinique de
la paranoa que nous avons prsent devant nous se dgagea, se cristallisant pour
ainsi dire hors la psychose aigu du dbut, psychose qui embrassait lensemble de
la vie psychique du malade, et laquelle convenait le nom de psychose
hallucinatoire (p. 385). Il avait en effet dune part construit un systme dlirant
ingnieux, qui a le plus grand droit notre intrt, dautre part sa personnalit
stait rdifie, et il stait montr la hauteur des devoirs de la vie, part
quelques troubles isols.
Le Dr Weber, dans son expertise de 1899, parle de Schreber en ces termes :
Ainsi le Prsident Schreber, en dehors des symptmes psychomoteurs dont
le caractre morbide simpose mme un observateur superficiel, ne semble
actuellement prsenter ni confusion, ni inhibition psychique, ni diminution notable
de lintelligence, il est raisonnable, sa mmoire est excellente, il dispose dun
grand nombre de connaissances, non seulement en matire juridique, mais encore
dans beaucoup dautres domaines, et il est capable de les exposer dans un ordre
parfait ; il sintresse la politique, la science, lart, etc., et soccupe
continuellement de ces sujets... ; et, en ce qui touche ces matires, un observateur
non prvenu de ltat gnral du malade ne remarquerait rien de particulier.
Cependant, le patient est rempli dides morbides, qui se sont constitues en un
systme complet, qui se sont plus ou moins fixes et ne semblent pas susceptibles
dtre corriges par une valuation objective des circonstances relles. (p. 386).
Le malade, dont ltat stait ainsi modifi, se considrait lui-mme comme
capable de mener une vie indpendante ; il entreprit les dmarches ncessaires la
leve de son interdiction et propres le faire sortir de la maison de sant. Le Dr
Weber sopposa ces dsirs et fit une expertise en sens contraire, mais cependant
il ne peut sempcher, dans une expertise date de 1900, dapprcier le caractre
I. Histoire de la Maladie
et le comportement du patient de la faon suivante : Le soussign a eu
amplement loccasion de sentretenir avec le Prsident Schreber des sujets les plus
varis, pendant les neuf mois o celui-ci a pris quotidiennement ses repas sa
table familiale. Quel que ft le sujet abord [bien entendu les ides dlirantes
mises part, quil ft question dadministration, de droit, de politique, dart ou
de littrature, de la vie mondaine, bref, sur tous les sujets, M. Schreber tmoignait
dun vif intrt, de connaissances approfondies, dune bonne mmoire et dun
jugement sain, et, dans le domaine thique, de conceptions auxquelles on ne
pouvait quadhrer. De mme, en causant avec les dames prsentes, il se montrait
aimable et gentil, et, lorsquil faisait des plaisanteries, il restait toujours dcent et
plein de tact ; jamais, au cours de ces anodines conversations de table, il naborda
des sujets qui eussent mieux convenu une consultation mdicale. (p. 397). De
plus, une question daffaires stant prsente, qui touchait aux intrts de sa
famille, il y intervint dune faon comptente et efficace (pp. 401 et 510).
Dans ses requtes rptes, adresses au Tribunal, requtes ou Schreber luttait
pour sa libration, il ne dmentait nullement son dlire et ne dissimulait nullement
son intention de publier ses Mmoires . Il soulignait bien plutt la valeur de ses
ides pour la vie religieuse et leur irrductibilit de par la science actuelle ; en
mme temps, il faisait appel l'innocuit absolue (p. 430) de toutes les actions
auxquelles il se savait contraint par ce quimpliquait son dlire. Lacuit
intellectuelle et la sret logique de celui qui tait cependant un paranoaque avr
lui valurent le succs. En juillet 1902, linterdiction de Schreber fut leve ; lanne
suivante parurent les Mmoires dun nvropathe , il est vrai, censurs et
mutils de maints passages importants.
Le jugement qui rendit la libert Schreber contient le rsum, de son systme
dlirant dans le passage suivant : Il se considrait comme appel faire le salut
10
I. Histoire de la Maladie
du monde et lui rendre la flicit perdue. Mais il ne le pourrait quaprs avoir t
transform en femme. (p. 475).
Un expos circonstanci du dlire, sous sa forme dfinitive, est donn par le
mdecin de lasile, le Dr Weber, dans son expertise de 1899 : Le point culminant
du systme dlirant du malade est de se croire appel faire le salut du monde et
rendre lhumanit la flicit perdue. Il a t, prtend-il, vou cette mission par
une inspiration divine directe, ainsi quil est dit des prophtes : des nerfs, excits
comme le furent les siens pendant longtemps, auraient en effet justement la facult
dexercer sur Dieu une attraction, mais il sagirait l de choses qui ne se laissent
pas exprimer en langage humain, ou bien difficilement, parce quelles sont situes
au del de toute exprience humaine et nauraient t rvles qu lui. Lessentiel
de sa mission salvatrice consisterait en ceci quil lui faudrait dabord tre chang
en femme. Non pas quil veuille tre chang en femme, il sagirait l bien plutt
dune ncessit fonde sur lordre universel, laquelle il ne peut tout simplement
pas chapper, bien quil lui et t personnellement bien plus agrable de
conserver sa situation dhomme, ce qui est tellement plus digne. Mais ni luimme, ni le restant de lhumanit ne pourront regagner limmortalit, moins que
lui, Schreber, ne soit chang en femme (opration qui ne sera peut-tre accomplie
quaprs de nombreuses annes, ou mme de dcennies), et ceci au moyen de
miracles divins. Il serait lui-mme il en est sur lobjet exclusif de miracles
divins, et partant lhomme le plus extraordinaire ayant jamais vcu sur terre.
Depuis des annes, toute heure, toute minute, il ressentirait ces miracles dans
son propre corps ; ils lui seraient confirms par des voix qui parleraient avec lui.
Dans les premires annes de sa maladie, certains organes de son corps auraient
t dtruits au point que de telles destructions auraient infailliblement tu tout
autre homme. Il aurait longtemps vcu sans estomac, sans intestins, presque sans
poumons, lsophage dchir, sans vessie, les ctes broyes, il aurait parfois
mang en partie son propre larynx, et ainsi de suite. Mais les miracles divins (les
11
I. Histoire de la Maladie
rayons) auraient toujours nouveau rgnr ce qui avait t dtruit, et cest
pourquoi, tant quil restera homme, il ne sera en rien mortel. prsent, ces
phnomnes menaants auraient disparu depuis longtemps, par contre sa fminit
serait maintenant au premier plan ; il sagirait l dun processus volutif qui
ncessitera probablement pour saccomplir des dcades, sinon des sicles, et il
nest gure probable quaucun homme vivant lheure actuelle en voit la fin. Il
aurait le sentiment quune masse de nerfs femelles lui auraient dj pass dans le
corps, nerfs dont la fcondation divine immdiate engendrerait de nouveaux
humains. Ce nest qualors quil pourrait mourir dune mort naturelle, et retrouver
ainsi que tous les autres hommes la flicit ternelle. En attendant, non seulement
le soleil lui parlerait, mais encore les arbres et les oiseaux qui seraient quelque
chose comme des vestiges enchants danciennes mes humaines ; ils lui
parleraient avec des accents humains, et de toute part autour de lui
saccompliraient des choses miraculeuses. (p. 386).
Lintrt que porte le psychiatre praticien des ides dlirantes de cette sorte
est en gnral puis quand il a constat les effets du dlire et valu son influence
sur le comportement gnral du malade ; ltonnement du mdecin, en prsence
de ces phnomnes nest pas chez lui le point de dpart de leur comprhension. Le
psychanalyste, par contre, au jour de sa connaissance des psychonvroses, aborde
ces phnomnes arm de lhypothse que mme des manifestations de lesprit si
singulires, si loignes de la pense habituelle des hommes, sont drives des
processus les plus gnraux et les plus naturels de la vie psychique, et il voudrait
apprendre connatre les mobiles comme les voies de cette transformation. Cest
dans cette intention quil se mettra tudier et lvolution et les dtails de ce
dlire.
a) Lexpertise mdicale souligne le rle rdempteur et la transformation en
femme, comme en tant les deux points principaux. Le dlire de rdemption est un
12
I. Histoire de la Maladie
fantasme qui nous est familier, il constitue des plus frquemment le noyau de la
paranoa religieuse. Ce facteur additionnel : que la rdemption doive saccomplir
par la transformation dun homme en femme est en soi peu ordinaire et a de quoi
surprendre, car il sloigne du mythe historique que limagination du malade veut
reproduire. Il semblerait naturel dadmettre, avec lexpertise mdicale, que
lambition de jouer au rdempteur soit le promoteur de cet ensemble dides
dlirantes et que l'masculation ne soit, elle, quun moyen datteindre ce but.
Bien que tel puisse tre le cas dans la forme dfinitive du dlire, ltude des
Mmoires nous impose nanmoins une conception tout autre. Ils nous
apprennent que la transformation en femme (lmasculation) constituait le dlire
primaire, quelle tait ressentie dabord comme une perscution et une injure
grave, et que ce nest que secondairement quelle entra en rapport avec le rle de
rdempteur. De mme, il est indubitable que l'masculation ne devait, au dbut,
avoir lieu que dans un but dabus sexuel, et nullement dans une intention plus
leve. Pour le dire dune faon plus formelle, un dlire de perscution sexuel
sest transform par la suite chez le patient en une mgalomanie mystique. Le
perscuteur tait dabord le mdecin traitant, le Professeur Flechsig, plus tard
Dieu lui-mme prit sa place.
Je cite ici in extenso les passages significatifs des Mmoires : Ainsi
sourdit un complot contre moi ( peu prs en mars ou avril 1894), complot ayant
pour but, ma maladie nerveuse tant reconnue ou considre comme incurable, de
me livrer un homme de telle sorte que mon me lui soit abandonne, cependant
que mon corps, grce une conception errone de la tendance prcite,
tendance qui est la base de lordre de lunivers, que mon corps, dis-je, chang
en un corps de femme, soit alors livr un homme 11 en vue dabus sexuels et soit
11 Il drive du contexte de ce passage et d'autres que lhomme qui devait exercer ces abus ntait
autre que Flechsig (voir plus bas).
13
I. Histoire de la Maladie
ensuite laiss en plan, cest--dire, sans aucun doute, abandonn la
putrfaction (p. 56).
En outre, il tait parfaitement naturel, du point de vue humain, qui alors me
dominait de prfrence, que je regardasse le Professeur Flechsig ou son me
comme mon vritable ennemi (plus tard sy adjoignit lme de Weber dont je
parlerai plus loin). Il allait galement de soi que je considrasse la toute-puissance
divine comme mon allie naturelle ; je la supposais seulement comme tant en
grande dtresse par rapport Flechsig, et cest pourquoi je croyais devoir la
soutenir contre lui par tous les moyens imaginables, duss-je aller jusquau
sacrifice de moi-mme. Que Dieu lui-mme ait t le complice, sinon linstigateur
du plan daprs lequel on devait assassiner mon me et livrer mon corps, tel celui
dune femme, la prostitution, voil une pense qui ne simposa moi que
beaucoup plus tard, et je puis dire ne m'est devenue clairement consciente que
pendant que jcrivais le prsent mmoire. (p. 59).
Toutes les tentatives dassassiner mon me, de mmasculer dans des buts
contraires lordre de lunivers (cest--dire afin de satisfaire la concupiscence
dun homme) et plus tard celles de dtruire ma raison ont chou. De ce combat
apparemment ingal entre un homme faible et isol et Dieu lui-mme, je sortis
vainqueur, bien quaprs avoir subi maintes souffrances et privations, et ceci
prouve que lordre de lunivers tait de mon ct. (p. 61).
Dans la note 34, Schreber annonce quelle sera la transformation ultrieure du
dlire dmasculation et des rapports avec Dieu : Je montrerai plus tard quune
masculation, dans un autre but, dans un but conforme lordre de lunivers, est
possible et contient mme peut-tre la solution probable du conflit.
Ces paroles sont dune importance dcisive pour la comprhension du dlire
dmasculation et partant pour la comprhension du cas tout entier. Ajoutons que
les voix entendues par le malade ne traitaient jamais sa transformation en
14
I. Histoire de la Maladie
femme que comme une honte sexuelle, ce qui leur donnait le droit de se moquer
de lui. Vu lmasculation imminente que je devais, prtendait-on, subir, les
rayons de Dieu12 se croyaient souvent en droit de mappeler ironiquement Miss
Schreber. Et a prtend avoir t prsident de Tribunal, et a se laisse f..... 13
Navez-vous donc pas honte devant Madame votre pouse ?
La reprsentation mentionne au dbut, et que Schreber avait eue dans un
tat de demi-veille, savoir quil devait tre beau dtre une femme subissant
laccouplement, tmoigne aussi de la nature primaire du fantasme dmasculation
et de son indpendance, au dbut, de lide de rdemption (p. 36). Ce fantasme
tait devenu conscient avant mme linfluence du surmenage Dresde, pendant la
priode dincubation de la maladie.
Schreber lui-mme indique le mois de novembre 1895 comme tant la date o
stablit le rapport entre le fantasme dmasculation et lide de rdemption, ce
qui commena le rconcilier avec ce fantasme. Ds lors, crit-il, il me devint
indubitablement conscient que lordre de lunivers exigeait imprieusement mon
masculation, que celle-ci me convnt personnellement ou non, et que par suite il
ne me restait raisonnablement rien dautre faire que de me rsigner lide
dtre chang en femme. En tant que consquence de lmasculation, ne pouvait
naturellement entrer en ligne de compte quune fcondation par les rayons divins,
en vue de la procration dhommes nouveaux. (p. 177).
La transformation en femme avait t le trait saillant, le premier germe du
systme dlirant. Elle se rvla encore comme en tant la seule partie qui survct
12 Les rayons de Dieu sont identiques, comme on va le voir, aux voix parlant la langue
fondamentale.
13 Cette omission ainsi que toutes les autres particularits de style, je les emprunte aux
Mmoires . Je ne verrais moi-mme aucune raison dtre tellement pudibond dans un
domaine aussi grave.
15
I. Histoire de la Maladie
au rtablissement du malade, la seule qui st garder sa place dans lactivit
pratique du malade aprs sa gurison.
La seule chose qui, aux yeux des autres, peut sembler quelque peu
draisonnable est ce fait, cit galement par MM. les experts, quon me trouve
parfois install devant un miroir ou ailleurs, le torse demi-nu, et par comme une
femme de rubans, de colliers faux, etc... Ceci na dailleurs lieu que lorsque je suis
seul, jamais, du moins, autant que je puis lviter, en prsence dautres
personnes. (p. 429). Le Prsident Schreber avoue se livrer ces jeux une
poque (juillet 1901) o il caractrise trs exactement en ces termes sa sant
pratiquement recouvre : prsent, je sais depuis longtemps que les personnes
que je vois devant moi ne sont pas des ombres dhommes bcls la six-quatredeux14, mais de vrais hommes, et que, par suite, je dois me comporter envers eux
comme un homme raisonnable a coutume de le faire en frquentant ses
semblables. (p. 409). En contraste avec cette mise en action du fantasme
dmasculation, le malade na jamais entrepris rien dautre, pour faire reconnatre
sa mission de rdempteur, que la publication de ses Mmoires .
h) Les rapports de notre malade Dieu sont si singuliers et si pleins de
contradictions internes quil faut tre bien optimiste pour persister dans
lesprance de trouver en sa folie de la mthode . Nous devrons prsent
chercher y voir plus clair, grce lexpos du systme thologico-psychologique
que M. Schreber nous fait dans ses Mmoires ; et nous allons avoir expliquer
ses conceptions relatives aux nerfs, la batitude, la hirarchie divine et aux
qualits de Dieu, telles quelles se prsentent dans son systme dlirant. Partout
dans ce systme nous serons frapps par un singulier mlange de platitude et
desprit, dlments emprunts et dlments originaux.
16
I. Histoire de la Maladie
Lme humaine est contenue dans les nerfs du corps, quil faut se reprsenter
comme tant dune extraordinaire tnuit, comparables aux fils les plus fins. Une
partie de ces nerfs ne peuvent servir qu la perception des impressions
sensorielles, dautres (les nerfs de l'intellect) accomplissent tout ce qui est
psychique, et ceci de la faon suivante : chaque nerf de lintellect reprsente
lindividualit spirituelle totale de lhomme, et le plus ou moins grand nombre des
nerfs de lintellect na dinfluence que sur la dure pendant laquelle les
impressions peuvent se conserver15.
Les hommes sont constitus de corps et de nerfs, tandis que Dieu nest par
essence que nerf. Cependant, les nerfs de Dieu ne sont pas, comme ceux du corps
humain, limits en nombre, mais infinis ou ternels. Ils possdent toutes les
qualits des nerfs humains, mais dans une mesure immensment accrue. En tant
que dous de la facult de crer, cest--dire de se mtamorphoser en toutes sortes
dobjets de la cration, ils sappellent rayons . Entre Dieu et le ciel toil, ou le
soleil, il y a une relation intime16.
Son uvre cratrice accomplie, Dieu se retira dans un immense loignement
(pp. 11 et 252), et abandonna le monde en gnral ses propres lois. Il se limita
15 ces passages souligns par lui-mme Schreber adjoint une note dans laquelle il avance
quon pourrait utiliser cette thorie pour expliquer lhrdit. Le sperme viril contient un nerf
du pre et sunit un nerf pris au corps de la mre pour constituer une unit nouvelle (p. 7).
Ainsi il transfre aux nerfs un caractre que nous attribuons aux spermatozodes et ceci rend
vraisemblable que les nerfs de Schreber soient drivs du domaine des reprsentations
sexuelles. Il nest pas rare dans les Mmoires quune remarque incidente faite propos
dune thorie dlirante contienne l'indication voulue relative la gense et par l la
signification du dlire.
16Au sujet de cette relation voir plus bas ce qui touche au soleil.
Lquivalence ou plutt la condensation des nerfs et des rayons pourrait avoir
comme trait commun leur forme linaire. Les nerfs-rayons sont d'ailleurs tout
aussi crateurs que les nerfs-spermatozodes.
17
I. Histoire de la Maladie
tirer soi les mes des dfunts. Ce nest que dans des cas exceptionnels quil se
mettait en rapport avec quelques hommes hautement dous17, ou bien quil
intervenait par un miracle dans lhistoire de lunivers. Un commerce rgulier de
Dieu avec les mes humaines na lieu, daprs lordre de lunivers, quaprs la
mort18. Quand un homme vient mourir, ses parties spirituelles (les nerfs) sont
soumises un processus de purification en vue dtre finalement rannexes
Dieu en tant que vestibules du ciel . Ainsi il arrive que toutes choses se
meuvent en un cercle ternel, lequel se trouve la base de lordre de lunivers.
Dieu, en crant, se dpouille dune partie de lui-mme, confre une partie de ses
nerfs une forme nouvelle. La perte apparente qui en rsulte pour Dieu est
compense lorsque, aprs des sicles et des milliers dannes, les bienheureux
nerfs des dfunts se rincorporent Dieu, sous la forme de vestibules du ciel .
Les mes, aprs avoir pass par ce processus de purification, se trouvent jouir
de la batitude 19. Entre temps, le sentiment de la personnalit de ces mes
sest attnu, et elles se sont fondues avec dautres mes en des entits plus
leves. Des mes remarquables, telles que celles de Goethe, de Bismarck et
dautres, doivent peut-tre conserver la conscience de leur identit pendant des
sicles, avant darriver se fondre en des complexes dmes plus leves (tels les
rayons de Jhovah chez les Hbreux, ou les rayons de Zoroastre chez les Perses).
Au cours de leur purification, les mes apprennent le langage parl par Dieu luimme, la langue fondamentale, un allemand quelque peu archaque, mais quand
mme vigoureux, qui se distingue surtout par une grande richesse en
euphmismes20. (p. 13).
17 Ceci s'appelle dans la langue fondamentale prendre avec eux contact de nerfs .
18 Nous verrons plus loin quels reproches Dieu se rattachent ceci.
19 La batitude consiste essentiellement en un sentiment de volupt (voir plus bas).
20 Il fut accord une seule fois au patient, au cours de sa maladie, de contempler en esprit la
toute-puissance de Dieu dans son entire puret. Dieu pronona alors ce mot tout fait courant
dans la langue fondamentale, vigoureux mais peu aimable : Charogne ! (p. 136).
18
I. Histoire de la Maladie
Dieu lui-mme nest pas un tre simple. Au-dessus des vestibules du ciel
flottait Dieu lui-mme, qui, en opposition avec ces empires divins antrieurs, a
reu encore lappellation dempires divins postrieurs. Les empires divins
postrieurs subissaient (et subissent encore) une bipartition particulire, daprs
laquelle furent distingus un Dieu infrieur (Ahriman) et un Dieu suprieur
(Ormuzd). (p. 19). Sur la signification plus prcise de cette bipartition, Schreber
ne sait dire que ceci : le dieu infrieur prfre les peuples aux cheveux bruns (les
Smites) et le dieu suprieur prfre les peuples cheveux blonds (les Aryens).
Toutefois, on ne saurait exiger davantage de la comprhension de lhomme dans
un domaine aussi sublime. Nous apprenons cependant encore, bien quil faille,
sous un certain rapport, concevoir la toute-puissance de Dieu comme tant une,
que le dieu suprieur et le dieu infrieur doivent tre envisags comme deux tres
distincts : chacun deux aurait, et ceci mme par rapport lautre, son gosme
particulier et son instinct de conservation spcial, et par suite chacun essaye tour
tour de se mettre en avant (p. 140). Aussi ces deux tres divins se comportaientils, pendant le stade aigu de sa maladie, de faon tout fait oppose envers le
malheureux Schreber21.
M. Schreber avait t, avant sa maladie, un sceptique en matire religieuse
(pp. 29 et 64) ; il navait pas pu parvenir croire lexistence dun dieu
personnel. De ce fait mme il tire un argument susceptible dtayer la pleine
ralit de son dlire22. Mais, lorsquon apprendra connatre les caractristiques
21 Une note de la page 20 permet de deviner quun passage du Manfred de Byron fut ce qui
dcida Schreber choisir ces noms de dieux perses. Nous retrouverons ailleurs encore
linfluence de ce pome sur le dlire de Schreber.
22 Il me semble, ds labord, psychologiquement insoutenable quil se soit agi chez moi de
simples illusions des sens. Car ces illusions des sens, qui consistent se croire en commerce
avec Dieu et avec les mes des dfunts, ne peuvent raisonnablement surgir que chez ceux qui
avaient une foi solide en Dieu et en limmortalit de lme avant de tomber dans leur tat
nerveux morbide. Daprs ce qui a t dit au dbut de ce chapitre, tel ntait nullement mon
19
I. Histoire de la Maladie
du dieu de Schreber que nous allons exposer, on devra avouer que la
mtamorphose accomplie par la paranoa navait point t radicale, et que le
rdempteur Schreber avait gard beaucoup des traits du sceptique dantan.
Lordre universel comporte en effet une lacune qui fait que lexistence mme
de Dieu semble compromise. En vertu dun certain tat de choses impossible
lucider, les nerfs des hommes vivants, cest--dire de ceux qui se trouvent dans
un tat dexcitation extrme, exercent sur les nerfs de Dieu une attraction telle que
Dieu ne peut plus se librer deux, partant est menac dans sa propre existence (p.
11). Ce cas extraordinairement rare se ralisait prsent pour Schreber et avait
pour lui les consquences les plus pnibles. Linstinct de conservation de Dieu
sen mut (p. 30), et on vit par l que Dieu est loin de possder la perfection que
les religions lui attribuent. On retrouve, du commencement la fin du livre de
Schreber, cette accusation amre : Dieu, accoutum au seul commerce avec les
dfunts, ne comprend pas les vivants.
Il rgne cependant un malentendu fondamental qui depuis lors s'tend sur
toute ma vie, malentendu qui repose sur ce fait que Dieu, daprs l'ordre de
lunivers, ne connaissait au fond pas l'homme vivant, et navait pas besoin de le
connatre. Mais, daprs lordre de lunivers, il navait frquenter que des
cadavres. (p. 55).
Ce qui..., daprs moi, doit encore tre rapport an fait que Dieu ne savait
pour ainsi dire pas frayer avec des hommes vivants, mais ntait habitu quau
commerce des cadavres, ou tout au moins des hommes endormis et rvants. (p.
141).
Incredibile scriptu, serais-je tent dajouter, mais cependant tout ceci est
absolument vrai, quelque difficult que dautres puissent avoir concevoir lide
dune aussi totale incapacit de Dieu vraiment comprendre lhomme vivant, et
cas. (p. 79).
20
I. Histoire de la Maladie
quelque temps quil mait fallu moi-mme pour maccoutumer cette pense,
malgr les innombrables observations que javais faites l-dessus. (p. 246).
Ce nest quen vertu de cette incomprhension de Dieu en ce qui touche
lhomme vivant quil put advenir que Dieu lui-mme se fit linstigateur du
complot ourdi contre Schreber, le traita en imbcile et lui infligea les preuves les
plus dures (p. 264). Schreber se soumit une compulsion penser des plus
pnibles, afin dchapper cette condamnation (p. 206) : Toutes les fois que ma
pense vient sarrter, Dieu juge teintes mes facults spirituelles. II considre
que la destruction de ma raison, limbcillit attendue par lui, est survenue, et que
de ce fait la possibilit de la retraite lui est donne.
Dieu soulve, chez Schreber, une indignation particulire par son
comportement en ce qui concerne le besoin dvacuer ou de ch... Ce passage est si
caractristique que je le cite intgralement. Pour quil puisse tre bien compris, je
commencerai par dire que les miracles aussi bien que les voix manent de Dieu,
cest--dire des rayons divins.
Vu la signification caractristique de la question sus-mentionne : Pourquoi
ne chi...-vous donc pas ?, je dois lui consacrer encore quelques remarques,
quelquindcent que soit le thme que je suis par l oblig daborder. Comme tout
ce qui est de mon corps, le besoin dvacuer les matires est en effet provoqu par
des miracles. Cela a lieu de la sorte : les matires sont pousses en avant, parfois
aussi en arrire, dans lintestin, et lorsquil nen reste plus assez lvacuation
tant acheve lorifice anal est barbouill avec le peu qui demeure du contenu
intestinal. Il sagit ici dun miracle du dieu suprieur, miracle qui se rpte
plusieurs douzaines de fois par jour. ceci se rattache lide, presque
inconcevable pour lhomme, ide dcoulant de lincomprhension totale qua
Dieu de lhomme vivant en tant quorganisme, que chi... est pour ainsi dire la
chose ultime, cest--dire que, en miraculant le besoin de chi..., lobjectif de la
21
I. Histoire de la Maladie
destruction de la raison est atteint et donne la possibilit dune retraite dfinitive
des rayons divins. Ainsi quil me parat, il faut, pour comprendre fond lorigine
de cette ide, songer lexistence dun malentendu relatif la signification
symbolique de lacte de lvacuation des matires : celui qui est parvenu se
mettre en un rapport tel que le mien avec les rayons divins a pour ainsi dire le
droit de chi... sur le monde entier. (p. 225).
Toute la perfidie23 de la politique dirige contre moi clate l-dedans.
Presque chaque fois o le besoin dvacuer mest miracul, on envoie, en excitant
les nerfs de la personne en question, une personne de mon entourage au cabinet,
afin de mempcher de dfquer ; ceci est un phnomne que jai observ, depuis
des annes, un si incalculable nombre (des milliers) de fois, et si rgulirement,
que toute ide de hasard est exclue. moi-mme il est rpondu la question :
Pourquoi ne ch...-vous donc pas ? par la fameuse rponse : Parce que je suis bte
ou quelque chose comme a. La plume se refuse transcrire cette formidable
stupidit, savoir que Dieu, dans son aveuglement, bas sur sa mconnaissance de
la nature humaine, puisse rellement aller jusqu admettre quil existe un homme
incapable dune chose que nimporte quel animal sait faire : un homme, par btise,
incapable de ch...
Si jarrive, quand jprouve un besoin, dfquer rellement et je me sers
pour cela gnralement dun seau, trouvant le cabinet presque toujours occup
cette dfcation est chaque fois accompagne dune closion extrmement intense
de la volupt d'me. La dlivrance de la pression quexercent les matires sur
lintestin cause en effet un plaisir intense aux nerfs de volupt : la mme chose se
produit aussi lorsque je pisse. Cest la raison pour laquelle, et ceci toujours sans
exception, au moment de la dfcation ou de la miction, tous les rayons ont t
runis ; et cest pour la mme raison que, toutes les fois o je mapprte
23 Une note sefforce ici dattnuer la duret du mot de perfidie : Schreber y renvoie une des
justifications de Dieu que nous mentionnerons plus bas.
22
I. Histoire de la Maladie
accomplir ces fonctions naturelles, lon cherche, bien que le plus souvent en vain,
me dmiraculer le besoin de dfquer et de pisser24.
Ltrange Dieu de Schreber nest pas non plus capable de tirer des leons de
lexprience (p. 186) : Tirer une leon pour lavenir de lexprience ainsi
acquise semble, grce quelque particularit inhrente lessence de Dieu,
impossible. Dieu peut par suite reproduire pendant des annes les mmes types
dpreuves pnibles, les mme miracles et les mmes manifestations par des voix,
sans aucun changement, ceci jusqu devenir un objet de rise pour le perscut.
Cest pourquoi, dans presque tout ce qui marrive les miracles ayant
prsent perdu la plus grande partie de leur terrible effet Dieu me parat surtout
ridicule et enfantin. Ceci a pour effet que je suis souvent oblig, en lgitime
dfense, de blasphmer tout haut25. (p. 333).
Cette critique de Dieu, cette rvolte contre Dieu se heurte cependant, chez
Schreber, un courant contraire qui se fait jour dans plusieurs passages : Je ferai
cependant observer de la faon la plus formelle quil ne sagit l que dun pisode,
lequel, je lespre, sachvera au plus tard avec ma mort. Le droit de se moquer de
Dieu nappartient par consquent qu moi, et non pas dautres hommes. Pour
les autres humains, Dieu demeure le tout-puissant crateur du ciel et de la terre, la
cause premire de toutes choses et leur salut dans lavenir. lui sont dus
ladoration et le respect le plus profonds, de quelques mises au point quaient
besoin certaines dentre les conceptions religieuses. (p. 333).
24 Cet aveu du plaisir li aux excrtions, plaisir que nous avons trouv tre une des composantes
autorotiques de la sexualit infantile, est rapprocher de ce que dit le petit Hans dans :
l' Analyse dune phobie chez un petit garon de cinq ans . (Traduction franaise par Marie
Bonaparte, Revue franaise de Psychanalyse, 1928, tome II, fasc. 3, p. 495.)
25 Dans la langue fondamentale , Dieu lui-mme ntait pas non plus toujours celui qui
invectivait, parfois il tait celui a qui sadressait linvective, par exemple : Ah ! maldiction,
a nest pas facile dire que le Bon Dieu se fait f... (p. 194).
23
I. Histoire de la Maladie
Cest pourquoi Schreber, diverses reprises, essaie de justifier le
comportement de Dieu envers lui. Cette justification, tout aussi subtile que toutes
les thodices, sappuie tantt sur la nature des mes en gnral, tantt sur la
ncessit o Dieu se trouve de pourvoir sa conservation, ou bien encore sur
linfluence nfaste de lme de Flechsig (pp. 60 et suiv. ; p. 160). En somme,
Schreber conoit sa maladie comme une lutte de lhomme Schreber contre
Dieu, lutte de laquelle lhomme faible sort vainqueur, du fait quil a lordre de
lunivers de son ct (p. 61).
Daprs les expertises mdicales, on aurait t tent de conclure quon se
trouvait en prsence, chez Schreber, de la forme commune du dlire de
rdemption . Le malade serait le fils de Dieu, destin tirer lunivers de sa
misre, ou bien le sauver de sa fin prochaine, etc... Aussi nai-je pas nglig
dexposer les particularits des relations de Schreber Dieu ; limportance pour le
reste de lhumanit dvolue ces relations nest mentionne que rarement dans les
Mmoires , et cela uniquement vers la fin de lexpos du systme dlirant.
Cette importance rside en ceci : aucun dfunt ne peut atteindre la batitude, tant
que la personne de Schreber absorbe, grce sa force dattraction, le plus grand
nombre des rayons divins (p. 32). De mme, lidentification manifeste avec JsusChrist ne se manifeste que fort tard (pp. 338 et 431).
Aucune tentative dexplication du cas Schreber ne pourra esprer tomber juste,
tant quelle ne tiendra pas compte de ces particularits de lide que Schreber se
fait de Dieu, de ce mlange dadoration et de rvolte. Nous allons prsent
aborder un autre thme, thme intimement en rapport avec lide de Dieu : le
thme de la batitude.
Pour Schreber aussi, la batitude est la vie de lau-del vers laquelle lme
humaine slve par la purification qui suit la mort. II la dcrit comme un tat de
jouissance ininterrompue, accompagne de la contemplation de Dieu. Ceci serait
24
I. Histoire de la Maladie
peu original ; par contre, nous sommes surpris de la distinction que fait Schreber
entre une batitude mle et une batitude femelle (p. 18) : La batitude mle
tait dun ordre plus lev que la batitude femelle ; cette dernire paraissait
principalement consister en une sensation de volupt ininterrompue26.
Dans dautres passages, la concordance de la batitude et de la volupt
sexprime plus nettement, ceci indpendamment de la diffrence des sexes. De
mme, Schreber ne traite plus de cette partie de la batitude qui consiste en la
contemplation de Dieu. Par exemple : Grce la nature des nerfs de Dieu, la
batitude... devient, sinon exclusivement, du moins de faon prdominante, une
sensation de volupt des plus aigus. (p. 51). La volupt peut tre considre
comme une part de batitude concde pour ainsi dire davance aux hommes et
aux autres tres vivants. (p. 281).
Ainsi la batitude doit tre comprise comme consistant essentiellement en une
exaltation et une continuation de la jouissance sensuelle dici-bas !
Cette conception de la batitude nappartient en rien aux conceptions, datant
des premiers stades de sa maladie, que Schreber a ensuite limines de son dlire,
les jugeant incompatibles avec lensemble de celui-ci. Dans son pourvoi en appel
de juillet 1901, le malade met en avant, comme tant une de ses grandes
rvlations, que la volupt est ainsi en un troit rapport avec la batitude des
mes des dfunts, rapport jusqualors demeur invisible aux autres hommes27 .
26 Il serait plutt conforme la ralisation du dsir, dans la vie de l'au-del, qu'on y soit enfin
dlivr de la diffrence des sexes.
Und jene himmlischen Gestalten
Sie fragen nicht nach Mann und Weib.
(Chanson de Mignon, dans Wilhelm Meister de Goethe, liv VIII, chap II.)
(En ces figures clestes
Ne demandent pas si l'on est homme ou femme.)
27 Voir plus bas quel sens profond pourrait avoir cette dcouverte de Schreber.
25
I. Histoire de la Maladie
Nous apprendrons plus loin que ce rapport troit est la pierre angulaire sur
laquelle le malade difie un espoir de rconciliation finale avec Dieu et de
cessation de ses maux. Les rayons de Dieu perdent leur tendance hostile ds quils
sont srs de se fondre en une volupt dme dans le corps de Schreber (p. 133) ;
Dieu lui-mme exige de trouver de la volupt chez Schreber (p. 283), et il menace
de retirer ses rayons si celui-ci nglige les soins de la volupt et ne peut offrir
Dieu ce quil demande (p. 320).
Cette surprenante sexualisation de la batitude cleste nous suggre que le
concept schrbrien de la batitude drive dune condensation des deux sens
principaux qua, en allemand, le mot selig : dfunt ou feu et sensuellement
bienheureux28. Et cette sexualisation nous fournira de plus loccasion dtudier
lattitude de notre patient envers l'rotisme en gnral et envers la question de la
jouissance sexuelle. Car, nous autres psychanalystes, nous avons jusquici soutenu
que les racines de toute maladie nerveuse ou psychique se trouvent par excellence
dans la vie sexuelle ; les uns lont dit en se basant uniquement sur lexprience,
dautres encore en vertu de considrations thoriques.
Les chantillons que nous avons donns jusqu prsent du dlire schrbrien
nous permettent dcarter sans plus lide que cette affection paranode pourrait
justement tre le cas ngatif recherch depuis si longtemps : celui o la
sexualit ne jouerait quun rle minime. Schreber lui-mme sexprime maintes
reprises tout comme sil partageait nos prjugs. Il parle sans cesse, et dune seule
28 Nous citerons comme exemples extrmes de ces deux sens : Mein seliger Vater , Feu mon
pre , et lair de Don Juan :
Ja, dein zu sein auf ewig
Wie selig werdich seinm
Oui, tre tienne jamais
Me rendra bienheureuse.
Mais le fait que la langue allemande use du mme terme pour rendre deux situations aussi
diffrentes ne saurait lui-mme tre dnu de signification.
26
I. Histoire de la Maladie
haleine, de nervosit et de manquement dordre rotique, tout comme si ces
deux choses taient insparables29.
Avant quil ne tombt malade, le Prsident Schreber avait t un homme dune
haute moralit : Il est peu dhommes , dclare-t-il et je ne vois aucune
raison de ne pas le croire qui aient t levs dans des principes moraux aussi
svres que je lai t, et qui, toute leur vie, se soient impos au degr o je puis
affirmer lavoir fait une retenue conforme ces principes, en particulier en
matire sexuelle. (p. 281).
la suite du grave conflit psychique dont la manifestation extrieure fut la
maladie, lattitude de Schreber envers lrotisme se modifia. Il en vint
comprendre
que
cultiver
la
volupt
tait
pour
lui
un
devoir
dont
laccomplissement tait seul apte mettre fin au grave conflit qui avait clat en
lui, ou comme il pensait -cause de lui.
La volupt ainsi ses voix le lui assuraient tait devenue emplie de la
crainte de Dieu (p. 285), et il regrette seulement de ntre pas en tat de pouvoir
se consacrer au culte de la volupt tout le long du jour30 (p. 285).
29 Ainsi s'exprime Schreber, quand il pense, daprs les histoires bibliques de Sodome et
Gomorrhe, du Dluge, etc... que le monde pourrait bien tre prs de la catastrophe finale :
Quand la corruption morale (cest--dire des excs voluptueux) ou bien peut-tre encore la
nervosit se sont saisies de la sorte de toute la population dune plante... (p. 52).
Il crit par ailleurs : ... sem la peur et lpouvante parmi les hommes, dtruit les fondements de
la religion et caus la dissmination dune nervosit et dune immoralit gnrales, en
consquence desquelles des flaux dvastateurs se sont abattus sur lhumanit. (p. 91).
Et encore : Ainsi, par Prince de l'Enfer, les mes entendaient sans doute cette force mystrieuse
qui avait pu se dvelopper dans un sens hostile Dieu, en raison de la dpravation morale des
hommes ou bien de la surexcitation nerveuse due une surcivilisation. (p. 163).
30 Le passage suivant fait voir comment cette ide rentrait dans l'ensemble du dlire : Cette
attraction perdait nanmoins ses terreurs pour les nerfs en question, au moment o, et dans la
mesure o, en pntrant dans mon corps. ils rencontraient la sensation de la volupt dme,
27
I. Histoire de la Maladie
Tel tait le rsultat des changements effectus en Schreber par la maladie,
ainsi quil apparaissait dans les deux directions prises par son dlire. Il avait t
auparavant enclin lasctisme sexuel, il avait t un douteur de Dieu ; la suite
de sa maladie, il tait devenu croyant et sadonnait la volupt. Mais, de mme
que la foi en Dieu quil avait retrouve tait dune nature part, de mme la partie
de la jouissance sexuelle quil avait reconquise prsentait un caractre tout fait
insolite. Ce ntait plus la libert sexuelle dun homme, mais la sensibilit
sexuelle dune femme : il avait adopt lgard de Dieu une attitude fminine, il
se sentait la femme de Dieu31.
Aucune autre partie de son dlire nest traite par le malade avec autant de
dtails, on pourrait dire avec autant dinsistance, que la transformation en femme
quil prtend avoir subie. Les nerfs quil a absorbs ont pris dans son corps le
caractre de nerfs de volupt fminins, et ont donn son corps un caractre plus
ou moins fminin, sa peau en particulier la douceur particulire au sexe fminin
(p. 87). Sil exerce une lgre pression de la main sur un point quelconque de son
corps, il sent, sous la surface de la peau, ces nerfs, tels une trame faite de fils ou
de petites ficelles ; on les rencontre particulirement sur la poitrine, l o se
trouvent chez la femme les seins. En appuyant sur cette trame, je suis mme,
sensation laquelle, de leur ct, ils prenaient part. Alors, en change de la batitude cleste
quils avaient perdue (et qui consistait sans doute en une jouissance voluptueuse analogue), ils
retrouvaient dans mon corps un quivalent absolu ou du moins approchant de cette batitude
(p. 179).
31 Quelque chose danalogue la conception de Jsus-Christ par une vierge immacule, cest-dire par une femme qui navait jamais eu de rapports avec un homme quelque chose
danalogue s'est pass dans mon propre corps. Par deux fois dj (et ceci lorsque jtais encore
dans rtablissement de Flechsig) jai eu des organes gnitaux fminins et prouv dans mon
corps des mouvements sautillants, pareils aux premires agitations d"un embryon humain. Des
nerfs de Dieu, correspondants du sperme mle, avaient t, par un miracle divin, projets
dans mon corps, et une fcondation stait ainsi produite (Note de la p. 4 de lavant-propos).
28
I. Histoire de la Maladie
surtout si je pense en mme temps quelque chose de fminin, de me procurer
une sensation voluptueuse correspondant celle dune femme. (p. 277). Il le sait
de faon certaine : cette trame, daprs son origine, nest rien dautre que de cidevants nerfs de Dieu, lesquels ont peine d perdre de leur qualit de nerfs par le
passage dans son propre corps (p. 279). Au moyen de ce quil appelle dessiner
(se reprsenter visuellement les choses), il est en tat de se donner limpression,
lui-mme comme aux rayons, que son corps est pourvu de seins et dorganes
fminins. Jai tellement pris lhabitude de dessiner un derrire fminin mon
corps honni soit qui mal y pense32 que, chaque fois o je me penche, je le
fais presque involontairement. (p. 233). Il est assez hardi pour laffirmer :
quiconque me verrait le haut du tronc nu devant une glace surtout si jaide
lillusion en portant quelque parure fminine aurait lindubitable impression de
voir un buste fminin (p. 280). Il rclame un examen mdical, afin quon
tablisse que tout son corps, de la tte aux pieds, est parcouru de nerfs de
volupts, ce qui, daprs lui, nest le cas que du corps fminin, tandis que, chez
lhomme, autant quil sache, on ne trouve de nerfs de volupt que dans les organes
gnitaux et leur voisinage immdiat (p. 274). La volupt dme qui sest
dveloppe, grce cette accumulation de nerfs, dans son corps, est si intense
quil lui suffit, en particulier lorsquil est couch dans son lit, du moindre effort de
limagination pour se procurer un bien-tre sensuel donnant un avant-got assez
net de la jouissance sensuelle de la femme pendant laccouplement (p. 269).
Si nous nous rappelons le rve quavait eu le patient pendant lincubation de
sa maladie, avant son installation Dresde, il devient tout fait vident que lide
dlirante dtre chang en femme nest que la ralisation de ce rve. Il stait alors
insurg contre ce rve avec une indignation toute virile, de mme il commena par
se dfendre contre sa ralisation pendant la maladie ; il considrait la
transformation en femme comme une honte, un opprobre qui devait lui tre inflig
32 En franais dans de texte (N. d. T.)
29
I. Histoire de la Maladie
dans une intention hostile. Mais il vint un temps (novembre 1895) o il commena
se rconcilier avec cette transformation et la rapporta aux dessins suprmes de
Dieu. Depuis lors, et en pleine conscience de ce que je faisais, jai inscrit sur
mes drapeaux le culte de la fminit. (pp. 177 et 178).
Il acquit alors la ferme conviction que ctait Dieu lui-mme qui, pour sa
propre satisfaction, rclamait de lui la fminit.
Mais, ds que je suis si je peux mexprimer ainsi seul avec Dieu, me
voil dans la ncessit demployer tous les moyens imaginables, comme aussi de
concentrer toutes les forces de ma raison, en particulier la force de mon
imagination, en vue datteindre ce but : que les rayons divins aient limpression
aussi continue que possible ou bien, ceci tant simplement impossible
lhomme, aient du moins certains moments de la journe limpression que je
suis une femme enivre de sensations voluptueuses. (p. 281).
Dautre part. Dieu rclame un tat constant de jouissance comme tant en
harmonie avec les conditions dexistence imposes aux mes par lordre de
lunivers ; cest alors mon devoir de lui offrir cette jouissance..., sous la forme du
plus grand dveloppement possible de la volupt dme. Et si, ce faisant, un peu
de jouissance sensuelle vient mchoir, je me sens justifi laccepter, au titre
dun lger ddommagement lexcs de souffrances et de privations qui ont t
mon lot depuis tant dannes... (p. 283).
...je crois, mme daprs les impressions que jai reues, pouvoir exprimer
cette opinion : Dieu nentreprendrait jamais de se retirer de moi ce qui chaque
fois commence par porter un prjudice notable mon bien-tre corporel mais il
cderait tout au contraire sans aucune rsistance et dune faon continue
lattraction qui le pousse vers moi sil mtait possible dassumer sans cesse le
rle dune femme que jtreindrais moi-mme sexuellement, si je pouvais sans
30
I. Histoire de la Maladie
cesse reposer mes yeux sur des formes fminines, regarder sans cesse des images
de femmes, et ainsi de suite (p. 284).
Les deux lments principaux du dlire systmatis de Schreber : sa
transformation en femme et sa situation de favori de Dieu, se relient entre eux au
moyen de lattitude fminine de Schreber envers Dieu. Nous aurons tablir
ncessairement une relation gntique entre ces deux lments. Nous nous
trouverions sans cela, avec toutes nos tentatives d'lucidation du dlire de
Schreber, dans la position ridicule dcrite par Kant dans sa fameuse mtaphore
(Critique de la raison pure) : celle de lhomme qui tient un tamis sous un bouc
quun autre est en train de traire.
31
Nous allons maintenant tenter de pntrer le sens de cette histoire dun malade
paranode et dy dcouvrir les complexes et les forces instinctives de la vie
psychique nous connus. Nous pouvons aborder ce problme par deux faces : en
partant soit des manifestations dlirantes du patient lui-mme, soit des
circonstances qui occasionnrent sa maladie.
La premire de ces voies semble sduisante depuis que C.-G. Jung nous en a
donn un brillant exemple en interprtant, grce cette mthode, un cas
incomparablement plus grave de dmence prcoce, dont les symptmes
scartaient infiniment de la normale 33. En outre, la grande intelligence de notre
patient, et le fait quil ft si communicatif, semblent devoir nous faciliter la
solution du problme si nous labordons de ce ct. Lui-mme nous donne assez
souvent la cl du mystre, en ajoutant incidemment une proposition dlirante un
commentaire, une citation ou un exemple, ou bien encore en opposant une
ngation expresse un parallle qui lui est venu lesprit. II suffit alors, dans ce
dernier cas, de suivre notre technique psychanalytique habituelle, cest--dire de
laisser tomber ce revtement ngatif, de prendre lexemple cit pour la chose ellemme, de regarder la citation ou la confirmation comme tant la source originelle,
et nous nous trouvons alors en possession de ce que nous cherchions : la
33 C.-G. Jung : Ueber die Psychologie der Dementia praecox (De la psychologie de la Dmence
prcoce), 1907.
32
34 Ptomanes.
35 Santiago ou Cartilage
Chinoiserie ou Jsus-Christ
Coucher de soleil ou dyspne
Ahriman ou laboureur.
(N. d. T.)
33
34
35
36
39 Daprs une autre version trs significative, mais bientt abandonne, Flechsig se serait tir
une balle dans la tte soit Wissembourg en Alsace, soit au poste de police de Leipzig. Le
patient vit passer son enterrement, mais le cortge ne suivait pas le chemin quon aurait d
sattendre lui voir prendre vu les emplacements respectifs de la Clinique de lUniversit et
du cimetire. Flechsig lui apparut encore dautres fois en compagnie dun agent de police ou
en train de parler avec sa propre femme. Schreber fut tmoin de cet entretien par le moyen des
connexions nerveuses et cest au cours de cette conversation que Flechsig se qualifia devant sa
femme de Dieu Flechsig, ce qui inclina celle-ci le croire fou (p. 82).
37
38
41 Il me faut daprs cela admettre comme possible que tout ce que j'ai crit dans les premiers
chapitres de mes Mmoires sur des processus se trouvant en liaison avec le nom de Flechsig
ne se rapporte qu lme de Flechsig, qu'il convient de distinguer de lhomme vivant. Que
cette me ait une existence indpendante, voil qui est certain, bien quimpossible expliquer
par des moyens naturels (p. 342).
42 Comp. K. Abraham : Die psychosexuellen Differenzen der Hystrie und der Dementia
prcox ( Les diffrences psycho-sexuelles entre lhystrie et la dmence prcoce),
Zentralblatt fr Nervenh. und Psychiatrie, juillet 1908. Dans ce travail, le scrupuleux auteur,
se rfrant une correspondance change-entre nous, m'attribue une influence sur l'volution
de ses ides.
39
40
Der
psychische
Hermaphroditismus
im
Leben
und
in
der
Neurose
41
42
43
44
45
46
47
48
49
51 Les Mmoires d'un nvropathe ne nous fournissent aucun claircissement sur ce point.
50
51
54 Traumdeutung, 1re dition, p. 295. Science des Rves, tr. Meyerson, Alcan, p. 378 et suiv.
55 Cest probablement une revanche de cette sorte qui inspira lobservation suivante note par
Schreber : Toute tentative dexercer sur lui une influence ducative doit tre abandonne
comme tant sans espoir (p. 188). Ce personnage inducable, cest Dieu.
52
53
54
55
56
65 Que telle ait t la fin poursuivie, voil ce qui, auparavant, tait avou ouvertement dans
cette phrase que jai entendu profrer dinnombrables foi par le dieu suprieur : Nous
voulons vous dtruire la raison (p. 206).
66 Je ne veux pas laisser passer loccasion de faire observer ici que je ne saurais tenir pour
valable aucune thorie de la paranoa qui nimpliquerait pas les symptmes hypocondriaques
presque toujours concomitants de cette psychose. Il me parat que la relation de lhypocondrie
la paranoa est la mme que celle de la nvrose dangoisse lhystrie.
67 C'est pourquoi lon essayait de me pomper la moelle pinire, ce qui avait lieu par
lintermdiaire de petits hommes que lon me mettait dans les pieds. Je parlerai encore
plus loin de ces petits hommes, qui offrent quelque parent avec le phnomne dont jai dj
parl dans le chapitre VI ; gnralement ils taient deux : un petit Flechsig et un petit von
W. ; je percevais leurs voix dans mes pieds (p. 154). Von W. est ce mme personnage qui
aurait accus Schreber de se livrer lonanisme. Les petits hommes semblent Schreber luimme tre un des phnomnes les plus curieux et certains points de vue les plus
nigmatiques de sa maladie (p. 157). Ils paraissent rsulter dune condensation entre enfants et
spermatozodes.
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71 Cf. ce que jai dit de relatif la manire de reprsenter la descendance du pre et sur la
naissance de Pallas Athn dans l'analyse de l' Homme aux rats .
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74 J. Sadger : Ein Fall von multipler Perversion mit hysterischen Absenzen ( Un cas de
perversion multiple avec absences hystriques ) Jahrbuch fr psychoanalyt. und psychopath.
Forschungen, vol. II, 1910). Freud : Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci ,
1510 ( Un souvenir denfance de Lonard de Vinci , trad. Marie Bonaparte, Paris,
Gallimard, 1927).
75 Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie 1905 ( Trois essais sur la thorie de la Sexualit ),
traduction Reverchon, Paris, Gallimard. 1922.
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anim. Schreber hurle au soleil des injures et des menaces ; il assure encore que
ses rayons plissent devant lui quand, tourn vers le soleil, il lui parle haute
voix. Aprs sa gurison , il se vante de pouvoir en tout repos fixer le soleil et
de nen tre que modrment bloui, ce qui ne lui tait bien entendu pas possible
auparavant87.
Cest ce privilge dlirant dtre capable de fixer le soleil sans en tre bloui
qui prsente un intrt mythologique. Salomon Reinach 88 dit, en effet, que les
naturalistes de lantiquit ne concdaient ce pouvoir qu laigle seul, lequel, en
tant quhabitant des couches les plus hautes de latmosphre, leur semblait en
rapport particulirement intime avec le ciel, le soleil et lclair 89. Nous apprenons
aux mmes sources que laigle soumet une preuve ses aiglons avant de les
reconnatre pour ses fils lgitimes. Sils ne peuvent regarder le soleil sans cligner
des paupires, ils sont jets hors de laire.
Le sens quil convient dattribuer ce mythe ne saurait souffrir aucun doute.
On y attribue lanimal une coutume consacre par la religion, propre lhomme.
Ce que laigle fait en effet subir ses aiglons, cest une ordalie, une preuve
relative la paternit. Nous savons que de telles preuves taient en usage chez
les peuples les plus divers de lantiquit. Ainsi, les Celtes riverains du Rhin
avaient coutume de confier leurs nouveau-ns aux flots du fleuve, afin de se
convaincre quils taient vraiment de leur sang. La tribu des Psylles, qui occupait
l'emplacement de la Tripoli actuelle, et qui se vantait davoir pour anctres des
serpents, exposait ses enfants au contact de ces mmes serpents : les enfants
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vraiment issus deux ntaient pas mordus ou bien se remettaient bien vite des
suites de leurs morsures90.
Si nous voulons comprendre sur quoi se fondent de telles preuves, il nous
faut approfondir le mode de penser totmique des peuples primitifs. Le totem
lanimal ou bien la force de la nature conue sur le mode animiste, et que la tribu
regarde comme son anctre pargne les membres de cette tribu parce quils
sont ses enfants ; lui-mme est vnr par eux et ventuellement par eux pargn.
Nous touchons l une matire qui me semble autoriser lesprance darriver
une comprhension psychanalytique des origines de la religion.
Laigle, quand il fait regarder ses aiglons le soleil et exige quils ne soient
point blouis par son clat, se comporte ainsi comme un descendant du soleil qui
soumettrait ses enfants lpreuve de lanctre. Et lorsque Schreber se vante de
pouvoir impunment et sans en tre bloui fixer le soleil, il a retrouv l une
vieille expression mythologique de sa relation filiale au soleil et nous confirme
nouveau notre interprtation du soleil, symbole du pre. Souvenons-nous par
ailleurs que Schreber, au cours de sa maladie, exprime ouvertement son orgueil
familial : Les Schreber appartiennent la plus haute noblesse du ciel 91, que de
plus, nous lavons vu, son absence dhritiers dut constituer une des raisons bien
humaines qui causrent sa maladie loccasion dun fantasme de dsir fminin.
Nous saisirons alors avec nettet quel lien relie son privilge dlirant de pouvoir
fixer le soleil aux bases mmes sur lesquelles sdifia sa maladie.
Ce petit post-scriptum lanalyse dune paranoa nous fait voir combien Jung
a raison lorsquil affirme que les forces dificatrices des mythes de lhumanit ne
sont pas puises, mais aujourdhui encore, dans les nvroses, engendrent les
mmes productions psychiques quaux temps les plus reculs. Je rpterai ici ce
90 Les rfrences se trouvent dans Reinach, loc. c., Tome III et Tome Ier, p. 74.
91 Die Schrebers gehren dem hchsten himmlischen Adel an, Addel (noblesse) rappelle Adler
(aigle), littralement, en allemand, oiseau noble.
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que jai dit ailleurs92 : il en est de mme des forces dificatrices des religions. Et je
crois que le moment sera bientt venu dtendre encore un principe que nous,
psychanalystes, avons depuis longtemps nonc, et dajouter ce quil impliquait
dindividuel, dontognique, une amplification anthropologique, phylognique.
Nous disions : dans le rve et dans la nvrose se retrouve lenfant avec toutes les
particularits qui caractrisent son mode de penser et sa vie affective. Nous
ajouterons aujourdhui : et nous y retrouvons encore lhomme primitif, sauvage,
tel quil nous apparat la lumire des recherches archologiques et
ethnographiques.
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