Fattal Logos
Fattal Logos
Fattal Logos
Fattal Michel. Le logos d'Hraclite : un essai de traduction. In: Revue des tudes Grecques, tome 99, fascicule 470-471,
Janvier-juin 1986. pp. 142-152;
doi : 10.3406/reg.1986.1455
http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1986_num_99_470_1455
Le grand dbat, qui, de nos jours, oppose les partisans de la rationalit et ses
adversaires, peut tre considr, comme une polmique organise autour de la
notion de raison (). Faut-il oui ou non s'attaquer au logocentrisme de
l'Occident , ce monstre de la rationalit qui domine notre vie et qui est
symbolis par le terme de logos ? Cette question qui est cruciale pour un moderne
ne sera pas envisage dans la prsente tude. Notre propos est plutt historique
et smantique puisqu'il projette de penser, avec les Grecs en gnral et Heraclite
en particulier, l'origine d'un mot si controvers.
C'est bien avec Heraclite d'Ephse que, pour la premire fois dans l'histoire
de la philosophie, l'Occident se met rflchir sur la notion centrale de logos.
Avant de signifier la raison (ratio) le logos des origines devait revtir une
multiplicit de significations : l'intelligence, la parole, le discours, le mot, la
renomme, le feu, la guerre, l'harmonie, la mesure, la loi, la sagesse et Dieu sont
pour l'Ephsien autant de manires diffrentes de dire une seule et mme
chose (1).
C'est l'ambigut et la polysmie d'un concept qui n'est pas encore tout
fait un concept (2) que les philosophes, les historiens de la philosophie et les
commentateurs du xixe sicle nos jours se sont heurts. Certains se sont vus
dans l'impossibilit de le dfinir, d'autres ont tent d'en donner un sens prcis
et une traduction adquate.
Mais comment expliquer la difficult qu'il y a traduire logos d'une manire
univoque ? Est-il possible de dpasser l'quivocit du terme pour retrouver un
(1) La traduction de logos par raison semble anachronique chez Heraclite, car
une telle notion s'adapte plutt la philosophie reprsente par Platon, Aristote
et les Stociens et se trouve dveloppe du xvne sicle nos jours.
(2) Comprendre l'antinomie revient localiser Heraclite dans le temps,
situer son entreprise cheval entre la mythologie et la philosophie du concept
inaugure par Socrate. Il est possible de rduire l'apparente contradiction en se
ralliant l'avis de O. Hamelin qui affirme que le conceptualisme des
Prsocratiques est un conceptualisme qui s'ignore, alors que le conceptualisme
socratique est un conceptualisme conscient de poser ses concepts . O. Hamelin,
Les philosophes prsocratiques, Strasbourg, Association des Publications prs les
Universits de Strasbourg, 1978, p. 4.
LE LOGOS D HKKACLITE 143
sens originel et premier ? De telles questions d'ordre smantique prsupposent
une analyse tymologique. La posie d'Homre, cause de son appartenance
aux origines de la pense grecque, constituera la base de notre approche
philologique. L'analyse structurale des fragments d'Heraclite o le logos est cit
permettra, elle, d'avancer une traduction qui ne se veut pas systmatique (I).
I. L'Etymologie
P. Chantraine dans son Dictionnaire tymologique de la langue grecque fait,
rfrence Homre pour parler d'un sens originel du verbe apparent au
substantif . Ce sens originel est rassembler, cueillir, choisir (2) ;
H. Fournier affirme de son ct que n'tait pas originellement un verbe
dclaratif (3) et que de la racine Leg- laquelle il se rattache on relve les sens de
ramasser, recueillir de lat. lgre, legelus celui qui cueille, qui rcolte des
olives , lignum, bois mort (qu'on ramasse) (4). M. Heidegger rejoint
l'interprtation des philologues : , en latin lgre, c'est le mme
mot que notre col-liger (cf. cueillir des cerises, collecte, rcolte); la lecture
n'est qu'une espce de colliger . Ce mot signifie : poser une chose ct
d'une autre, les mettre ensemble, bref, rassembler (5). Le lui-mme est
une collection , une recollection (6) qui, au dbut, n'a rien voir avec
langage , parole et discours (7). Allons voir du ct de chez Homre, si
effectivement, la racine Leg- laquelle se rattache lgein, dsigne originairement
quelque chose qui est plus apparent une activit rationnelle qu' une
opration dclarative.
Homre
a) Valeur rationnelle et distributive de la racine Leg-.
Le rassembler, le recueillir et le ramasser se rattachent bel et bien
la racine Leg-. Dans un passage de l'Iliade, il est question de rassembler
() (8) des jeunes et des vieux, et de rassembler () (9)
des hommes courageux. Dans l'Iliade et l'Odysse on recueille (-
--) (10) des os, et on ramasse (---
) (11) des armes, du bois ou des pierres. Ces verbes qui reprsentent une
(1) Trad. C. Ramnoux, Heraclite ou homme entre les choses et les mots,
Les Belles Lettres, Paris, 1968, p. 314.
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(). Pas de logos si l'on est pas apte saisir la leon du matre, son
instruction.
Le fragment 2, lui aussi, prsente la mme structure :
1 Un logos ( ) et des hommes (ol ).
2 Un cart entre le logos et les hommes. Cet cart ou mme cette opposition
se manifeste dans le balancement entre : Mais, bien que le logos soit commun
tous et la plupart des hommes vivent comme s'ils avaient une intelligence
particulire . Le logos commun () est donc oppos l'intelligence
particulire ().
3 La raison du hiatus logos/hommes est chercher dans la confrontation
entre l'attribut de logos et celui de l'intelligence, de l'universel et du particulier.
Il faut noter le caractre bien part de l'intelligence, elle est prive, parce que
replie sur elle-mme, absente du feu cosmique. Chez les hommes elle est
particulire, chez le matre qui a tout compris, elle est universelle, ouverte au
monde, inhrente au feu cosmique. L'universalit peut donc tre dite du logos
et de la phronesis, ce qui constitue un apport important pour la suite de notre
travail.
Le fragment 72 vient vrifier cette composition :
1 D'un ct on a le logos (), de l'autre les hommes qui s'en cartent
().
2 L'cart est prcis par le verbe qui s'oppose toute la premire
partie du fragment : Ce logos avec lequel ils vivent dans le commerce le plus
constant, /ils s'en cartent (1). On retrouve une deuxime opposition dans la
deuxime partie du fragment : entre les choses que les hommes rencontrent
tous les jours et le fait que ces mmes choses leur semblent trangres. On
remarque trois termes importants ceux de frquenter () / de s'carter
() et d'tranger (). Les hommes frquentent mais s'cartent du
logos. Ce qui est signifi ici, ce n'est pas un rapport de proximit entre les
hommes et le logos, mais bien un rapport d'loignement. Cette relation
d'loignement est ritre dans la deuxime partie du fragment, quand propos
du logos : Choses qu'ils rencontrent tous les jours , est dit des hommes.
3 Le motif de l'cart entre les hommes et le logos rside dans leur loignement
par rapport la chose commune. Qu'est-ce qui fait que les hommes s'loignent
ou se rapprochent de la chose commune ? N'est-ce pas une certaine
prdisposition , une bonne ou mauvaise disposition ou tout simplement une
disposition comme le dira Mlle G. Ramnoux (2) ? N'est-ce pas l'intelligence
( du F 1 et la du F 2), qui rgit un tel mouvement alternatif ?
Alternatif, parce que l'homme s'loigne du logos quand son intelligence est
prive et s'en approche ds qu'elle est commune, ds qu'elle se fait logos. Le
rapport d'loignement et de proximit de l'homme au logos dpend donc de
l'tat dans lequel se trouve l'intelligence.
Le fragment 50 prsente le mme schma que les fragments prcdents :
1 D'un ct nous avons le matre, de l'autre le logos : En coutant non pas
moi, mais le logos . Le rapport du matre au logos, prsuppose celui des hommes
La Phronesis
Le mot est utilis une seule fois et pour la premire fois au
fragment 2. Les fragments 17 et 113 font mention du verbe . Les
fragments 40 et 114 dsignent l'intelligence par le substantif . et
, et , sont synonymes, le fragment 104 permet de l'attester
puisque et sont utiliss pour dsigner la mme chose : Mais quel est
leur esprit (), lour intelligence () ? . D'ailleurs, le du F 113 dit
peu prs la mme chose que le du fragment 114. L'intelligence ()
est commune tous (F 113) ; Ceux qui parlent avec intelligence (),
il leur faut tirer leur force de la chose commune tous (3). et
sont en rapport troit avec ce qui est commun () tout (). Ils sont
la mme chose.
Paralllement ces cinq fragments qui dsignent l'intelligence, il existe
deux utilisations d'un compos de celui de (F 116 et 112).
L'analyse du fragment 112 n'est pas ncessaire dans la mesure o le dire et le
faire de ce fragment nous rappellent les spculations stociennes qui prconisent
de vivre en accord avec la nature. D'un ct, la phronesis est souvent lie une
gnosologie, elle est l'instrument, de la connaissance puisqu'il est dit au