Le Rôle de L Analogie en Théologie Dog
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BIBLIOTHEQUE THOMIS
Directeur : PierreXV
MANDONNET, O.P.
SECTION THÉOLOGIQ^E : II
LE RÔLE DE L'ANALOGIl
THÉOLOGIE DOGMATIQUE
PAR
PARIS' ,,
LIBRAIRIE -PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, PLACE DB LA SORDONNE (V*)
1931
LIBRAIRIE J. VRIN, 6, PLACE DE LA SORBONNE, PARIS
BIBLIOTHÈQUE THOMISTE
Directeur: Pierre MANDONNET, 0. P.
VOLUMES PARUS:
A PARAITRE :
P. GLORIEUX. Les premières polémiques thomistes : IL Le Correctorium
Corruptorii « Sciendum ».
Cath. CAPELLE. Autour du décret de 1210 : III. Amaury de Bène.
H. MEYLAN. Philippe le Chancelier.
G. LACOMBE et Marthe DULONG. Etienne Langton.
Ed. BAUER et G. LACOMBE. Prepositini opéra omnia : III. Questiones.
Dom LOTTIN et dom A. BOON. La « Summa » de Godefroid de Poitiers.
J. GUILLET. Essai sur l'activité intellectuelle d'après S. Thomas d'Aquin.
EN THÉOLOGIE DOGMATIQUE
l C.D.
IMPRIMATUR :
XV
SECTION THÉOLOGIQUE : II
LE RÔLE DE L'ANALOGIE
THÉOLOGIE DOGMATIQUE
PAR
C.D.
PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, PLACE DE LA SORBONNE (Ve)
1931
:
A MA MÈRE
ET
CHAPITRE PREMIER
PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES.
SOMMAIRE
I. — NATURE DE L'ANALOGIE.
L'analogie au sens vulgaire du mot; au sens expérimental; au sens
mathématique. L'analogie philosophique comparée aux trois autres; sa
definition provisoire.
(1) La littérature du sujet est très vaste. Citons, comme plus utiles et significatifs :
CAJETAN, De nominum Analogia (ed. de Maria, Rome, 1907), De conceptu entis;
A. D. SERTILLANGES, Agnosticisme ou Anthropomorphisme, Paris, 1908; P. GENTIL,
L'Analogicité de l'être. (Rev. augustin., 1909); G. M. PETAZZI, Univocitâ od analogia J
(Riv. fil. neoscol., 1911-1912); J. BITTREMIEUX, Deanalogica nostra Dei cognitione et
praedicatione, Lovanii, 1913; N. BALTHASAR, L'être et les principes métaphysiques, Lou-
vain, 1914; L'abstraction et l'analogie de l'être (Miscelania tomista, Estudis frances-
cans, 1924); R. GARRIGOU-LAGRANGE, Dieu, Paris, 1914; La première donnée de l'in-
telligence d'après saint Thomas (Mélanges thomistes, Paris, Vrin, 1923); M. DEBAISIEUX,
Analogie et symbolisme, Paris, 1921; F. A. BLANCHE, Sur le sens de quelques locutions
concernant l'analogie dans le langage de saint Thomas d'Aquin (Rev. sc. plul. th. 1921);
La notion d'analogie dans la philosophie de saint Thomas (ib.) ; L'analogie (Rev. dephil.
1923); J- RAMIREZ, De analogia secundum doctrinam aristotelico-thomisticam (La Cienc.
Tomista, 1921-1922); A. VALENSIN, Une théorie de l'analogie (Rev. apolog., 1921);
B. LANDRY, La not1on d'analogie chez saint Bonaventure(Rev.néo-scol., 1922); L'analogie
de proportion chez saint Thomas d'Aquin (,b}., L'analogie de proportionnalité chex
saint Thomas d'Aquin (ib.); M. DE MUNNYNCK, L'analogie métaphysique (ib., 1923);
Intuition et analogie (Atti del 5° congresso intern. difilos. Napoli, 1925); P. DESCOQS,
Institutiones metaphysicee generalis, Parisiis, 1926 (bonne bibliographie p. 180);
LE ROHELLEC, De fundamento metaphysico analogiae (Div. Thom., Plac., 1926-1927);
A. GARDEIL, La structure analogique de l'intellect (Rev. thom., 1927) : K. FECKES,
Die Analogie in unserem Gotterkennen, ihre metaphysische und religiose Bedeutung
(Veroffentlichungen der Albertus-Magnus-Akademie zu Koln, B. II, Heft 3,
Munster, 1928); J. HABBEL, Die Analogie a1rischen Gott und Welt nach Thomas v.
Aquin (Munster, 1928); G. M. MANSER, Die analoge Erkenntnis Gottes (Div. Thom.
Frib., 1928-1929).
NATURE DE L'ANALOGIE 13
même d' « analogie » : le vulgaire ne se soucie point de préci
sion. Essayant de lire dans l'âme d'un mot, tout ce que nous
pouvons induire de l'usage universel, c'est que l'analogie est
une espèce de ressemblance. Car les deux notions ne coïnci
dent point. Si toute analogie repose sur une similitude, il reste
que certaines réalités sont dites semblables et non pas analo
gues. Pourquoi ? — Souvent par caprice de langage. Parfois,
le terme « ressemblance » désignera exclusivement une com
munauté de forme ou de qualité, tandis qu'« analogie»
exprimera des rapprochements d'un autre ordre : fonctions,
relations, etc. : le père et le fils se ressemblent et ne sont pas
analogues; la trompe de l'éléphant et la main de l'homme sont
des organes analogues mais non pas semblables, (DEBAISIEUX,
op. cit. , pp. 27,30, n.). Parfois aussi en parlant de ressemblance
nous faisons abstraction de tout ce qui oppose deux êtres
pour ne voir que ce par quoi ils se rejoignent; en parlant
d'analogie, en revanche, nous penserons explicitement
aux divergences, tout en affirmant, en dépit d'elles, une
parité très réelle.
Ni l'identique ni le disparate, mais le « semblable-
dissemblable », couple mal assorti mais inséparable, réalité
hybride faite de traits communs et de facteurs différentiels :
« in his quae (analogice) dicuntur idem nomen de diversis
praedicatur secundum rationem partim eamdem et partim
diversam » (1).
Notre vie pratique, il est presque superflu de le noter,
repose en grande partie sur ces « analogies vulgaires », car
elles suffisent pour guider nos démarches, en nous permet
tant d'effectuer entre les phénomènes des associations par
ressemblance, et nous servent à déceler des équivalences
entre les choses, — donc au besoin, à remplacer les unes
par les autres, — et partant nous autorisent à opérer des
dénombrements qui nous aideront à classer les êtres empi
riquement, en vue de leur utilisation, (cf. A. CRESSON,
Les réactions intellectuelles élémentaires, Paris, 1922, passim).
Même la connaissance la plus élevée, scientifique ou
(1) Nous avons essayé de le montrer pour un cas particulier dans La méthode
intuitive de M. Bergson, Genève-Paris, 1918, pp. 190, ss.
(2) Ressemblance de quelque ordre que ce soit : forme, place, fonction, etc.
saint Thomas donne, après Aristote, cet exemple de l'équivalence de fonction : • Alius
modus investigandi propter quid est eligere commune secundum analogiam id est
secundum proportionem. Contingit enim accipere analogum quod est idem secundum
speciem vel genus, sicut os sepiarum, quod vocatur sepion et spina piscium et ossa
animalium terrestrium, omnia enim ista conveniunt secundum proportionem quia
eodem modo se habent spinae ad pisces sicut ossa ad terrestria animalia. » // Post.
Anal., 1. 17.
NATURE DE L'ANALOGIE 15
' t ) Cf. les divisions de l'analogie mathématique dans RAMIREZ, op. cit., pp. 30 ss.
NATURE DE L'ANALOGIE 17
Analogie. 2
l8 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(1) II va de soi que cette analogie s'appliquant a des réalités encore inconnues
mais de nature phénoménale, elle est — théoriquement du moins — susceptible de
vérification expérimentale, ce qui n'est jamais le cas de l'analogie métaphysique,
qui se meut dans le plan extra-expérimental.
2O PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
* * *
(1) BLANCHE (La notion d'analogie..., p. 182) cite : III Sent., d. 33, q. 1, a. 1, q. t,
ad 2; // Sent., d. 42, q. 1, a. 3; De Malo, q. 7, a. 1, ad 1; /' P., q. 5, a. 6, ad 3;
/'-//'•, q. 29, a. 2, ad 1.
(2) Ici nous nous bornerons à présenter quelques vues générales; nos prochains
chapitres reprendront l'étude des divers modes d'analogie.
28 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
Analogie.
34 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
Voilà donc que sans théoriser, par une étude toute posi
tive, — simple classement de textes — nous rejoignons les
positions dites « cajétanistes ». Ne nous hâtons pas de triompher
cependant, car dans notre essai d'harmonisation, nous avons
omis un texte important / Sent., d. 19, q. 5, a. 2. De quel
droit lui préférer De Ver., q. 2, a. 1 1 ? Précisément, et comme
il fallait s'y attendre, le P. Descoqs trouve la division des
Sentences « magis universalis et usus immédiate opportu-
nioris ad rem nostram » (p. 211). Mais notre choix n'est
point arbitraire : on ne voit pas, d'abord, pourquoi nous
devrions nous en tenir à la terminologie des Sentences,
alors que saint Thomas ne l'a jamais reprise; c'est à peine
si l'on en retrouve le faible écho dans VII Phys., 1. 8;
au contraire, partout ailleurs on rencontre l'ébauche plus
(i) II suffit pour s'en convaincre de lire l'objection 6°. Cependant il y a cette
nuance qu'ici saint Thomas fait intervenir la notion de • distance déterminée » qui
n'apparaît pas dans nos autres textes. C'est qu'en cette réponse saint Thomas prend
le mot « proportio « au sens propre lequel implique toujours « certa mensura »;
ailleurs au contraire, « secundum quod translatum est ad guamlibet habitudinem
significandam > (/» P.,q. 12, a. i, ad 4; />c Ver., q. 23, a. 7, ad 9, etc.). Notre ad 6m ne
s'oppose pas, comme paraît le croire M. BALTHASAR (L'être et les principes méta
physiques, p. 88) à / C. G., c. 34; De Pot., q. 7, a. 7, mais les complète et insinue une
nouvelle subdivision de l'analogie d'attribution : avec (ad 6) et sans (/ C. G., c. 34)
distance déterminée. De même pour la proportionnalité : talis similitude invenitur
in multum vel parum distantibus (De Ver., q. 2, a. n, ad 4). Nous ne l'avons pas
indiquée, saint Thomas ne la donnant pas expressément comme telle.
36 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
il est juste de tenir que l'être « atteint par analogie est atteint
à travers une conception qui est proprement celle d'un autre »
(1), mais dans la proportionnalité propre, nous commençons
par abstraire des perfections humaines, un concept analo
gique qui est formellement transcendant, par exemple, un
concept de bonté, qui n'exprime immédiatement ni la bonté
humaine, ni la bonté angélique ni la bonté divine (tout
comme le concept d'être n'exprime pas de soi la qualité plutôt
que la quantité mais l'une et l'autre proportionnellement)
et c'est à travers ce concept abstrait (non pas directement à
travers la bonté humaine ce qui serait anthropomorphique),
que nous contemplons la perfection divine (2).
(1) L, c., et l'auteur ajoute : « il ne nous servirait guère de savoir que Dieu est bon,
s'il ne nous était interdit, en nous adressant à lui, de nous le figurer capable d'émotion,
ou plutôt c'est notre science même, qui faute d'appui dans l'expérience deviendrait
verbale et comme irréelle. > Nous ne quittons pas la méthaphore !
(2) II y a encore ceci de faux dans cette théorie qu'elle fonde la similitude propor
tionnelle sur l'univocité (pp. 328 ss.). Or, comme le dit le P. DCSCOQS (p. 284) : « Les
rapports univoques à un terme univoque donnent nécessairement comme résidu un
concept univoque. »
(3) On m'excusera si je ne discute pas davantage les vues du professeur de Jersey:
je n'écris pas ici un traité, mais de simples « praenotanda > à une étude théologique.
Videant philosophi I
DIVISIONS DE L'ANALOGIE 47
(op. cit., pp. 74 ss.; et La Ciencia Tomista, mayo 1923, p. 409).
Je ne puis que dire avec le P. Le Rohellec « plenissime
adhaereo ». Du reste, au point de vue — le seul qui nous
occupe ici — des applications théologiques de l'analogie, cette
question théorique est d'importance moindre.On me permet
tra simplement de rappeler ce que j'écrivais à ce sujet dans le
« Bulletin thomiste » (1926, n. 800, pp. 148-150) : « La nouvelle
théorie procède d'une étude trop empirique des textes de
S. Thomas. Une interprétation exagérément « positive » se
heurte, lorsqu'il s'agit d'analogie, non seulement aux dif
ficultés générales inhérentes à toute exégèse, mais à un
obstacle tout à fait spécial à cette matière: le passage de l'«actus
exercitus » à l' « actus signatus ». C'est qu'en effet l'analogie
ayant pour première propriété d'être elle-même analogique,
il s'ensuit qu'elle ne doit jamais être étudiée d'une manière
univoque (1); il faut donc se garder d'étendre à tous ses modes
ce que l'on aura observé au sujet de l'un ou l'autre d'entre
eux,puisque,précisément,affirmerque l'analogie est analogue,
cela signifie que ses modes doivent être essentiellement variés,
que chacun est formellement divers de l'autre. Or, S.Thomas
n'ayant jamais constitué « ex professo » une doctrine de l'ana
logie, mais s'étant très souvent borné à nous donner, avec
sa sobriété bien connue, les explications nécessaires à des
applications particulières de la méthode, il saute aux yeux
qu'à vouloir tirer, directement, d'une confrontation de textes
une théorie générale, on court risque d'inventer une hypo
thèse étriquée, valable seulement pour certains modes de
l'analogie et ne pouvant en aucune manière se présenter
comme une doctrine de l'analogie en tant que telle. Et la
tâche se compliquera singulièrement, si, dans un cas donné,
deux modes d'analogie interfèrent; on frôle alors ce para
logisme qui consiste à conclure d'une coïncidence matérielle
à une coïncidence formelle, et l'on aboutit à une théorie
Analogie. 4
50 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(1) Notons encore dans ce passage que, parlant d'attribution, saint Thomas emploie
l'expression * prias et posterius » (una intentio refertur ad aliam per prius et posterius) ;
au contraire, parlant proportionnalité, il substitue à la première expression, cette autre
« magis et minus » (differens secundum majorem vel minorem perfectionem) ce qui
insinue l'absence de dépendance de l'un vis-à-vis de l'autre.
(2) Cf. encore le texte tout à fait caractéristique de / Eth., 1. 7 : la bonté se dit des
,choses créées, de trois manières : (a) et (b) analogies d'attribution pure, avec rapporta
au suprême analogué : « in quantum omnia bona dependent ab uno bonitatis principio,
vel in quantum ordinantur ad unum finem >; (c) analogie de proportionnalité sans
dépendance : » VEL etiam dicuntur omnia bona magis secundum analogiam id est
proportionem eamdem, sicut visus est bonum corporis et intellectus est bonum animae.
DIVISIONS DE L'ANALOGIE 51
double aspect : l'être-essence et l'être-existence. (C'est ce
qu'oublie entre autres, J. HABBEL. Die Analogie u. s. w.; cf.
notre recension dans le Bull. Thom., 1929, p. 536). Cette
dualité explique pourquoi saint Thomas affirme tantôt que
le rapport au Créateur n'entre pas dans la définition(essence)
des êtres (/a P., q. 44, a. 1, ad 1) tantôt, au contraire :
« creatura non habet esse nisi secundum quod a primo esse
descendit, unde nec denominatur ens nisi in quantum
primum ens imitatur » (/ Sent., prol. q. 1, a. 2, ad 2).
L'ordre des existences étant éminemment relatif.contingent,
on est obligé de remonter à un premier existant qui est
l'Etre subsistant « omnibus causa essendi » ( // C. G., c. 15).
Le théologien affirme donc, et avec raison (creatio terminatur
ad esse) un terme unique (unum numero) auquel tout se
rapporte dans cette ligne de l'être-existence.
Mais il y a encore l'être-essence du métaphysicien, lequel
se divise en dix catégories. Nous y reconnaissons bien une
analogie d'attribution entre cet accident et sa substance, cet
autre et la sienne,bref,d'une manière générale .entre l'accident
et la substance, celle-ci faisant fonction de terme unique
(cf. / C. G., 32); cependant ce n'est pas tout : la substance et
l'accident se rapportent à l'être, mais de quelle manière?
Est-ce comme à un terme unique, comme tantôt l'être créé au
Premier Existant, et l'accident à la substance ? Non pas,
car l'être convient selon une participation intrinsèque à
l'accident et à la substance ce qui veut dire que la subs
tance est en rapport, non plus avec l'être « unum numero »,
mais avec son être, et l'accident avec le sien : l'être ici n'est
plus strictement un, — terme unique — il est « unum
proportione », l'être de la substance n'étant pas celui de
l'accident (1). Il est significatif que, dans son dernier travail,
voulant prouver que, même dans l'analogie de proportion-
Ideo hune tertium modum praefert, quia accipitur secundum bonitatem inhaerentem
rebus, primi vero secundum bonitatem separatam a qua non ita proprie aliquid
denominatur >. Voici donc deux sortes d'analogies qui coïncident « gratia materiae >,
mais voici également que saint Thomas oppose la dépendance à l'inhérence, l'inégalité
de rapports extrinsèques à l'inégalité de réalisations intrinsèques.
(1) Voici deux textes décisifs : Qd. 2, a. 3 : « Hoc nomen ens secundum quod
importat rem cui competit esse, sic significat essentiam rei et divitur per decem
gênera; non tamen univoce quia non eadem ratione competit omnibus esse, sed
tubstantiae quidem per se, aliis autem aliter ». / Sent., d. 22. q. I, a. 3, ad 2 : « Cum
ens praedicetur analogice de decem generibus dividitur in ea secundum diversos
modos; unde unicuique generi debetur proprius modus prsedicandi. »
52 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(1) Dans un article, d'ailleurs fort habile (Dans Scot métaphysicien, Rev. de pkil.,
juillet 1929), le P. BELMOND essaie encore de défendre cette cause perdue. Vaine
entreprise. Le R. P. prétend que si les thomistes n'arrivent pas à concevoir l'être
comme strictement un, c'est qu'ils n'ont pas une faculté d'abstraction assez puissante
— Nullement. C'est simplement parce que, foncièrement réalistes, ils ont horreur
de jongler avec des entités verbales, de spéculer dans le vide avec un concept d'être
qui, de l'aveu de B., est « désessencié », n'a aucun contenu, « ne représente rien. »
D'autre part, on nous dit 1° que faute d'admettre cette univocité « logique «, nos
syllogismes auraient quatre termes; v. g. quand je dis : le monde existe par Dieu,
donc Dieu existe, si le prédicat n'a pas exactement le même sens ici et là, j'aurai
énoncé un sophisme. — 2° que l'univocité logique n'entraîne pas l'univocité aparté rei.
Affirmations inconciliables. Lorsque je dis : le monde existe, Dieu existe, j'entends
affirmer une existence a parte rei, et non une existence logique. Si donc le prédicat a
exactement le même sens, il faut qu'il corresponde à la même réalité. S'il ne correspond
pas à la même réalité, alors nos preuves de Dieu n'ont aucune valeur métaphysique.
Il nous semble donc qu'avec cette univocité < logique », on ne peut faire que de la...
logique : on reste cantonné parmi les êtres de raison; impossible de descendre sur le
terrain profondément réel de l'ontologie.
(2) Op. cit., p.2i7.n.; p. 288. Cette question de l'univocité purement logique a été
supérieurement traitée par le P. PETAZZI, s. j. (art. cit.) — Du reste, nul n'ignore le
désarroi qui règne parmi les représentants du scotisme : vie, œuvres, doctrine du maître,
tout est remis en question. Poussés sans doute par des tendances apologétiques subcon-
cientes, certains néo-scotistes nous présentent leur docteur sous un jour tout neuf.
Qu'il est différent le Scot des PP. Belmond et Longpré, du Scot de Lychetus et de
Frassen ! Devant ces divergences et la confusion qui s'ensuit, mieux vaut attendre et
s'abstenir... Que si l'on n'a pas cette patiente résignation, on peut consulter : GILSON,
Avicenne et le point de départ de D. Scot (Arch. hist. litt. M. A., II, (1927) pp. 1 15 ss);
MAC DONACH, La notion d'être dans la métaphys. de J. D. S. Rev. néo-scol., 1928-
1929); BELMOND, art. cit.
LA CONNAISSANCE PAR ANALOGIE 6l
actuellement tous les analogues, mais sans déterminer tel ou
tel mode particulier de réalisation. « Ens alio modo se habet
ad ea qua sub ente continentur et alio modo animal vel
quodlibet aliud genus ad species suas. Species enim addit
supra ens, ut homo supra animal, differentiam aliquam
quae est extra essentiam generis... sed ea quae continentur
sub ente non addunt aliquid supra ens quod sit extra essen
tiam ejus. » De Pot., q. 3, a. 16, ad 4. D'un mot, chacun des
modes de l'être est, fort diversement sans doute, mais enfin
il est formellement, et par là ressemble à tous les autres, est
représentable avec les autres, par un concept qui ne signi
fiera point directement l'un d'entre eux, mais eux tous,
confusément, en tant que proportionnels. S'il cessait d'être
confus, ce concept s'évanouirait pour faire place à une mul
tiplicité d'idées exprimant clairement chaque mode avec ses
raisons différentielles. Par conséquent, il nous faut « con
fondre » ces différences, si nous voulons obtenir un seul
concept, imparfait, proportionnel, vague, mais qui nous
rend possible la connaissance analogique.
*
*
(1) « Peccant qui uniformiter in tribus speculativae partibus (sc. physica, mathe-
matica et metaphysica) procedere nituntur. » Boet. Trin.,, q. 6, a. z.
LA CONNAISSANCE PAR ANALOGIE 63
(1) Cet aspect ontologique du problème a été traité en particulier par GAURIGOU-
LAORANGE, La première donnée de l'intelligence d'après saint Thomas ( Mélanges thomistes;
Paris, Vrin, 1923, p. 199-217); cf. BALTHASAR, L'être, etc., pp. 3 ss.
(2) Nous nous bornons, comme il est juste,, à décrire le « théanthropomorphisme >;
mais il est clair que l'anthropomorphisme est une tendance qui se retrouve partout
(v.g.LE DANTEC, Homologieet Analogie. (Rev. philos. mai 1900), dénonce pp. 471 et 476 le
• péché d'anthropomorphisme • en biologie).
(3) THEODOB., III, 73; CLBM. ALEX., Strom. V, no; VII, 27. Cf. Sagesse, xm, 1-9.
64 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(i) Cf. MAÏMONIDE, Guide, 1, ch. 65, p. 228; cf. ch. i, p. 33-34; ch. 45,
p. 130, etc.
(z)IC. G., c. 20; Boet. Trin. q. 6, a. 3; De Pot., q. 3, a. 19; Dit'. Nom., c. 3, 1. i
(Vives, p. 420), c. 7, 1. I (Vives, pp. 516 ss).
Analogie. j
66 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(i) Le malheur est que Bergson a été pris à son propre piège. A force de rapprocher
imagination statique et intelligence, il a fini par les confondre, méconnaissant la
possibilité d'une pensée conceptuelle moins immergée dans les images, plus aérienne.
(z) /// C. G., c. 119; cf. MAIMONIDE, Guide, I, ch. 49, p. 176.» La perception
de ce qui est exempt de matière et entièrement dénué de corporéité est très difficile
pour l'homme — à moins que ce ne soit après un grand exercice — et particulièrement
pour celui qui ne distingue pas entre l'intelligible et l'imaginaire et qui, la plupart du
temps, ne s'appuie que sur la perception de l'imagination... De tels hommes, — et
c'est la majorité de ceux qui étudient, — n'ont jamais une idée exacte d'aucun sujet,
et aucune chose obscure ne s'obscurcit pour eux. » Cf. De Ver., q. 10, a. 1 2.
(3) Boet. Trin., q. 6, a. 2 :... « quia secundum definitivam rationem non abstra-
hunt a qualibet materia, sed solum a sensibili et remotis conditionibus sensibilibus
adhuc remanet aliquid imaginabile, ideo in talibus oportet quod judicium sumatur
secundum id quod demonstrat imaginatio. Hujusmodi autem sunt mathematica. >
LA CONNAISSANCE PAR ANALOGIE 67
(1) Et ceci n'est pas vrai seulement de la pensée anti-scolastique, mais même de
certains commentateurs de saint Thomas. Si quelques-uns d'entre eux ont été
amenés à prendre des positions tout opposées au thomisme, n'est-ce pas parce qu'ils ne
se sont pas suffisamment gardés contre les surprises de l'imagination? Cf.
LE ROHELLEC, Le rôle de l'imagination en métaphysique (Revue Thomiste, avril 1921)
(2) Auc. de Trin., l. X, c. 7, n. 10 : « Sine phantasiis enim corporum quidquid
jussi fuerint cogitare nihil omnimo esse arbitrantur. > ANSELM. Defide Trin., c. 2 :
' in eorum quippe animabus ratio quae princeps et judex omnium debet esse quae
»unt in homine, sic est in imaginationibus corporalibus obvoluta, ut ex eis se non
possit evolvere nee ab ipsis ea quae ipsa sola et pura contemplari debet, valeat discer-
nere. » cf. De Pot., q. 3, a. 19.
(3) « Non mediocri opus est vigilantia ne in univocatione labi contingat >. (CAJET.,
Nom. An., p. 264).
68 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(i) Saint THOMAS a mis en garde contre les abus de la symbolique v. g. IV Sent.,
d. i, q. i, a. i, q. 5, ad 4 : de soi n'impcrte quelle réalité corporelle est apte à signifier
n'importe quelle réalité spirituelle; pour sortir de l'arbitraire, il faut une institution
positive.
(a) Cf. DENZINGER, n. 2079.
(3) Saint Thomas distingue dans l'agnosticisme théologique une double forme :
i° analogie d'attribution pure (Dieu-sage = cause de la sagesse); 2° analogie méta
phorique (Dieu-sage = agit comme un sage) De Ver., g. 2, a. i; cf. I Sent., d. 2, a. 3,
/» P., q. 13, a. 6, c. et ad. 2; etc. = Pour Saiut Thomas, symbole = métaphore;
/ Sent., d. 8, q, 2, a. 3, ad 2; De Ver., q. 2, a. n, etc.
(4) Dogme et critique, p. 147.
70 PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
(1) Esquisse d'une phil. de la relig., pp. 375-400. Dans le même sens : BOUTROUX,
Science et religion, Paris, 1908, pp. 383 sv.
(2) Ib., p. 390 : « La religion parlera nécessairement et toujours en paraboles.
La théorie de la connaissance religieuse s'achève dans une théorie du symbole et du
symbolisme. »
(3) Ib. p. 397 : « Quand tout élément métaphorique en est éliminé nos idées
générales sur l'objet même de la religion deviennent simplement négatives, contra
dictoires, et perdent tout contenu réel. »
LA CONNAISSANCE PAR ANALOGIE "Jl
(i) « La notion analogique peut figurer dans un syllogisme, soit comme terme
moyen, soit comme terme extrême. Dans ce cas, manifestement, elle doit faire abstrac
tion de son mode de réalisation dans tel ou tel analogue. Elle doit être prise née
conjunctim née disjtinctim, suivant l'expression de Cajetan. Dans le syllogisme suivant :
La sagesse est une perfection simple,
Or Dieu possède toutes les perfections simples,
Donc...
le terme extrême, sagesse, doit être pris non dans le sens univoque de la sagesse
humaine, qualité accidentelle, ni dans le sens de sagesse substantielle et partant
infinie, mais dans le sens analogique. L'homme possède la sagesse et Dieu également;
toute proportion gardée. » BALTHASAR, L'être... p. 79; CAJET., De Nom. An., c. 10,
RAMIREZ, p. 70.
LA CONNAISSANCE PAR ANALOGIE 77
SOMMAIRE
I. — VUES ANTHROPOMORPHIQUES
SUR LA NATURE DE DlEU.
Analogie. t>
82 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Souvent, au cours du présent chapitre, nous devons faire usage de ces réduc
tions à l'absurde; c'est la seule démonstration possible, à ces profondeurs.
L'ABOUTISSEMENT DES PREUVES DE DIEU 89
proprement du ressort de la théologie. Or, si, à l'aide de
l'analogie, nous résolvons ces antinomies et nous écartons
ces objections, si nous prouvons qu'on peut soutenir sans
contradiction la valeur spéculative des formules dogma
tiques, alors nous aurons renversé les bases théologiques
des systèmes adverses, puisque nous aurons montré que le
symbolisme ne se justifie point théologiquement, par le fait
même qu'il ne se présente pas comme une doctrine qui
satisfasse à la fois aux exigences de la révélation et à celles de
la raison, ce à quoi le thomisme réussit (i).
Il y a donc dans notre recherche comme un double
mouvement : aux dogmatiques, l'on démontre la valeur
absolue et objective de 1' « analogisme »; aux symbolistes,
l'on fait voir — écartant toute joute purement dialectique
— quelle conception concilie le mieux foi et raison, science et
révélation.
(1) S. Thomas insiste sur le fait que si nous ne pouvons connaître la nature intime
de Dieu, c'est que les créatures sont des effets inadéquats, n'égalent pas la vertu de
leur cause (/ C. G., c. 3;///C. G., c. 49; /» P., q. 12, a. 12, etc.) Pourquoi cela sinon
précisément parce que la Cause première est hors série ?
(2) En effet, si un concept doit s'appliquer tout ensemble à l'Étre-en-devenir
et à l'étre-sans-devenir, il est clair qu'il ne se dira pas de même, mais diversement
de l'un et de l'autre, il sera donc « dissemblablement semblable ». Et la dissemblance
n'est pas accidentelle, elle est radicale, puisque l'un des êtres possède essentiellement
ce que l'autre exclut. Or « aequivocum et univocum dicitur secundum dennitivam
mionem eamdem vel non eamdem » Quod. 3, a. 4.
L'ABOUTISSEMENT DES PREUVES DE DIEU 93
cette démonstration à chacune des « quinque viae ». Choisis
sons cependant la quatrième. Soit la notion de « science ».
J'en ai, au commencement de mes recherches métaphysiques,
un concept parfaitement univoque (CAJET. de Nom. An.,
c. XI, p. 278), que j'applique à tous les hommes indifférem
ment. Cependant, me rendant compte qu'il y a dans cette
science des degrés infinis, j'élargis mon univocité, un peu
étriquée, en analogie d'inégalité. C'est encore de l'univocité,
ne l'oublions pas, mais plus souple. J'arrive ainsi à dresser
une échelle à intensités variées; mais, fondamentalement,
le concept reste le même; ces variations sont accidentelles.
Enfin, je puis imaginer une science qui aille toujours crois
sant; à la limite j'affirme : voici la super-science, la science
divine. S'il en est ainsi, rien n'est expliqué, et il était inutile
de se livrer à un tel effort d'extension, car cette perfection
n'est pas la science subsistante, mais le simple grossissement
de la mienne, et comme la mienne est participée, celle-là
le sera aussi. Ce n'est pas pour retrouver, au bout de mon
raisonnement, la même misère initiale, que je me suis engagé
sur la quatrième voie. Il faut donc quitter la « via augmenti»,
pour la « via essendi », il faut trouver au bout de celle-ci
un « maxime tale » qui ne soit pas univoque, une science
première, c'est-à-dire par essence, imparticipée, raison d'être
des autres : seul ce qui est par essence peut expliquer ce
qui est par participation. Si maintenant je me retourne vers
mon concept initial, je vois qu'il est changé, car, dès cet
instant, il doit se mouler sur deux réalités essentiellement
diverses : dans un cas vous avez une science non-participée,
dans l'autre, une science, qui, quelle que soit sa perfection,
est participée. Cela signifie que Thomas d'Aquin n'est pas
sa science, que l'intelligence humaine du Christ n'est pas
identique à sa science, tandis que Dieu est, par identité, sa
science. Entre être sa science et ne l'être point, la différence
n'est pas de degré, comme entre le superlatif et le comparatif,
c'est une différence d'être : Dieu ne doit point être dit
« sapientissimus », il est « super-sapiens » : « Excessus est
duplex : unus in genere qui significatur per comparativum
vel superlativum; alius extra genus quod significatur
per additionem huius propositionis super » (Div. Nom., c. 4,
l. 5, Vives, p. 411; cf. De Pot. q. 7, a. 7, ad 2-3 ;/a P.,q-4»
a. 3, ad 1). Je commençais donc par affirmer que la science
94 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Cf. MANDONNET, Siger de Brabant, 1«, pp. 16 sa; 32, 33, n. 1; 34 etc.; GILSON,
Etui. phil. midi., pp. 30 ss.; 119 ss.
L'ANALOGIE MÉTAPHORIQUE 99
mais de nous élever jusqu'à l'intelligible (/a P.,q. 1 , a. 9, ad 2);
Maïmonide se chargera de dissiper la perplexité poignante
des victimes du littéralisme, lui qui a dirigé son œuvre contre
l'anthropomorphisme exégétique. Le conflit entre la Bible
et la saine philosophie n'est qu'apparent; c'est en vain que
l'adversaire a voulu se dérober, il faudra bien qu'il soit écrasé
sous le poids des nombreux arguments que saint Thomas
entasse contre les Gentils pour le prouver « quod Deus non
est corpus » et encore moins « materia prima, ut stultissime
posuit David de Dinando » (/a P., q. 3, a. 3 et 8; II Sent.,
d. 17, q. 1, a. 1; / C. G., c. 20, etc.). Augustin fera
rougir l'adepte de l'anthropomorphisme matérialiste, en
déclarant que « cogitatio turpiter vana est quae opinatur
Deum membrorum corporalium lineamentis circumscribi »
(De Trin., l. XII, c. 7). Bien plus, saint Thomas montre que
l'anthropomorphisme psychologique est également intenable
(/ C. G., c. 89 : quod in Deo non sunt passiones affectuum;
cf. /* P., q. 20, a. 1,ad 2), et lui, d'ordinaire si mesuré,
emploie, contre toute forme de cette erreur, les épithètes les
plus méprisantes (1). Cette sévérité se conçoit; peut-on rêver
vanité plus sotte, et outrecuidance plus insupportable, que
celles du pédant qui prétend mesurer le Très-Haut à son
aune ? (2)
La réponse de l'analogie. — Mais l'analogie a autre chose
que des anathèmes à proposer à l'inquiétude des simples.
Elle ne se borne pas à détruire, elle remplace, et même, en
un sens, elle réhabilite l'anthropomorphisme, en lui donnant
une valeur précise, sous le nom d'analogie de « proportion
nalité impropre ».
La légitimité de la métaphore éclate à tous les yeux, et
Maïmonide, mieux que tout autre, l'illustre (3). Si « l'Ecri
ture parle le langage des hommes », c'est qu'elle s'adapte
d'une manière divine à notre psychologie; telle une aïeule
(1) II n'est que juste d'ajouter que plus l'flme progresse, plus sa religion s'épure,
t Ad hoc quod oratio nos faciat (Deo) propinquos tria requiruntur : primo quod
lensualitas sit munda... secundo, ut intellectus noster non obumbretur caligine
phantasmatum quod accidit illis qui spiritualia non supra corporalia capere valent,
ut qui posuerunt Deum effiguratum figura humani corporis. .• Div. Nom., c. 3, 1. I
(Vives, p. 420).
102 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Loc cit., a. 1. Cf. sur les images en théologie : LE ROHELLEC, Le rôle de
l'imagination en métaphysique (Rev. thom., avril 1921) et J. WÉBERT, L'image dans
rouvre de saint Thomas (ibid., sept. 1926).
100 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) En connaissant ces effets, je puis —. toujours en passant par l'être — montrer
que : « oportet quod in eo qui operatur actum scientiae sit aliquid ad rationem scientiae
pertinens... sicut punire Dei est actus justifiae ipsius, nee oportet iram in eo ponere
quia non est par 1e actus irae * (I Sent., d. 35, q, 1. a. 1, ad 2). Impossible de produire
un acte de bonté, si l'on n'est formellement bon, mais ce n'est pas la métaphore qui
nous l'apprend.
(2) Comme tout le monde sait, cette voie a été surtout exploitée par les néo-plato
niciens (PLOTIN, V, 3, 14, 5; 13, etc.); cf. MULLER, Plotinos, Proklos, Ps. Dionysios,
Munster, 1918, pp. 65-71. — Textes des Pères: Dict. th. cath.,l, 1023-1152;
DEBAISIEUX, op. cit., pp. 198 ss. BITTREMIEUX, op. cit., pp. 91 ss. — Notons surtout :
DENYS : £y lîavTÛv àœalpéffet; Div. Nom. c. 8, pp. 3; DAMASCENE, Defid. orth.,.l.
I, c. 4; ERIGÈNE (Deus qui melius nesciendo scitur. cuius ignoratio vera est
sapientia) et MAÏMONIDE (références dans mon art. cité, pp. 161-163).
LA VOIE NÉGATIVE IOQ
(1) « Omnis negatio de re aliqua fundatur super aliquid in re exitens > / Sent.,
d. 35, q. 1, a. 1, ad 2. « Nisi intellectus humanus aliquid de Deo affirmative cognosceret
nil de Deo posset negare » De Pot., q. 7, a. 5; cf. q. 10, a. 5. Que l'on remarque le
vague de cet « aliquid .,
(2) Cf. FERRAR., In I C. G., c. 34, n. V.
LA VOIE NÉGATIVE 113
(1) / C. G., c. 14 : «Si dicamus Deum non esse accidens per hoc ab omnibus
accidentibus distinguitur; deinde si addamus eum non esse corpus, distinguemus
ipsum etiam ab aliquibus substantiis; et sic per ordinem ab «mini eo quod est praeter
ipsum, per negationes huiusmodi distinguetur : et tune de susbtantia ejus erit propria
consideratio cum cognoscetur ut ab omnibus distinctus. Non tamen erit perfecta :
quia non cognoscetur quid in se sit. » Cf. I C. G., c. 33, in fine, et /// C. G., c. 39 :
«per afnrmationes propria cognitione de re habita, scitur quid est res et quomodo ab
aliis separatur; per negationes autem habita propria cognitione de re scitur quod
est ab aliis discreta, tamen quid sit manet ignotum, talis autem est propria cognitio
quae de Deo habetur per demonstrationes. » Cf. Boet. Trin., q. 6, a. 3; /» P., q. 88,
a. 2; /// C. G., c. 49.
(2) / Sent., d. 8, q. i, a. i, ad 4; cf. Div. Nom., c. 9, 1. 3, in fine.
(3) II suffit de se rappeler les textes de Hamilton et Mansel. SIGNORIELLO (art.
cit., p. 181) cite encore : Gùnther (cf. KLEUTGEN, PMI. d. Vorzeit., l, c. 2, p. 3) et
HAURÉAU (HK Phil. Méd., ch. 15, p. 157), selon lequel, toutes nos affirmations théolo
giques d'apparence la plus absolue ne sont que négations larvées.
Analogie. S
114 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(i) D'où nous inférons que la pensée divine ne se distingue pat de l'essence,
qu'elle ne dépend pas des sens, qu'elle ne passe pas de la puissance à l'acte, qu'elle
n'est pas multiple, qu'il n'en émane pas un verbe qui soit un accident, et ainsi du reste.
(De Pot., q. 9, a. 5; Quod. 4, a. 6; De rat.fidei, c. 3; Dit'. N., c. 7, 1. 2, etc.) Donc toujours
et partout la négation nous suit comme l'ombre.
LA VOIE NÉGATIVE 115
(1) Voici un exemple, entre mille, de cette incapacité de tenir le juste milieu,
de dominer des erreurs opposées; op. cit., p. 142 :«Les perfections incréées ne sont pas
comme autant d'asymptotes dont s'approcheraient indéfiniment les diverses lignes
de perfections créées; quelque haut que l'on s'élève dans la hiérarchie des êtres,
l'écart avec Dieu reste toujours infini... on aime à dresser des listes ascendantes telles
que celles-ci: vie de la plante, vie de l'animal, vie de l'homme, viede l'ange, vie de Dieu
et l'on étiquette l'ensemble avec ce seul mot vie, entendu comme désignant une sorte
de fond commun. » — Que voilà l'anthropomorphisme dévoilé avec élégance ! Or,
qu'en conclut notre auteur ? « il faut savoir qu'une liste pareille implique entre ses
deux derniers termes un hiatus infini et qu'elle est donc de ce chef irréparablement
incohérente». Nous sombrons dans l'agnosticisme absolu I — on ne soupçonne même
pas l'existence d'un plan intermédiaire de pensée, clair-obscur certes, mais non pas
totalement ténébreux.
(2) Un autre exemple de cette sorte d'anthropomorphisme imaginatif nous est
fourni par la doctrine de HAMILTON sur le caractère contradictoire de la notion d'infini
(Fragments de philos., pp. 1 8, 40 ss.). En vérité ces arguments ne touchent nullement
l'idée d'infini métaphysique (cf. De Ver., q. 2, ad 5 et 7). MANSBL présente un autre
semblant de preuve qui démontre simplement que nous ne pouvons avoir de l'Infini
une idée adéquate. (Limits... 1. III, pp. 70-77).
120 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) « Oportet ut intelligamus divina secundum hanc unitionem gratiae quasi non
trahendo divina ad ea quae secundum nos sunt, sed magis nos totos statuentes extra
nos in Deum » Div. Nom., c. 7, l. 1, (Vives, 517)
LA VOIE NÉGATIVE 121
(1) Faut-il ajouter que le « modus » nié ne laisse pas un résidu univoque avec
simplement une mesure diverse dans la participation ? La « res » est une réalité
essentiellement analogique.
(2) V. g. : les attributs de Dieu : /» P., q. 13, a. 6; De Pot., q. 1, a. 1; / Sent.
d. 19, q. 4, a. 2, ad 4; d-.?5, q. t, a. 1, ad 2, etc; la génération (d. 19, q. 1, a. 1,
c. et ad 1-4; q.2, a. 1, ad 1); le verbe (d. 27, q. 2, a. 1, ad 1; d. 32, q. 1, a. 2,
ad 1 et a. 3, ad 1,et inexp. litt.; d. 35, q. 1, a. 2, c. et ad 3); la personne (I* P.,
q. 29, a. 3, ad 2-3; De Pot., q. 9, a. 3, ad 1), etc. etc.
(3) / C. G., c. 30; cf. /• P., q. 13, a. 6 : « et sic nomen « bonum » dictum de Deo
clauderet in suo intellectu bonitatem creaturae ».
LA VOIE NÉGATIVE 123
(1) P. e , la science comme connaissance par les causes les plus hautes, abstraction
faite de l'intelligence en laquelle elle subsiste, cf. SALMANTIC., tr. VI, disp. 2, dub. 1,
nn. 19. 22, 24; CAJET., In /;i"', q. 13, a. 3.
124 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
puisqu'elles comportent un mode créé imparfait (/a P.,
q. 13, a. 12, ad 1; De Pot., q. 7, a. 5, ad 2; I Sent., d. 22,
q. 1, a. 2, ad 1).
4° Un autre principe tire sa lumière de la voie négative :
« quantum ad rem significatam per nomen, per prius dicuntur
(Nomina) essentialia de Deo quam de creaturis... sed
quantum ad impositionem nominis, per prius a nobis
imponuntur creaturis... unde et modum significandi habent
quae competit creaturis » (1). En première ligne de Dieu,
parce qu'il y a non seulement analogie de proportion
nalité, mais analogie d'attribution, selon laquelle Dieu est
l'analogué principal, et les créatures les analogués secondaires:
« quia a Deo hujusmodi perfectiones. in creaturas manant ».
En première ligne des créatures, à cause du mode imparfait
que tous nos concepts incluent (/ C. G., c. 30 et c. 34), à
telles enseignes que les noms, qui ne peuvent passer à travers
le laminoir de la négation, on ne peut les dire de Dieu avec
une priorité quelconque. ( /a P., q. 13, a. 6; / Sent., d.
22, q. 1, a. 2).
5° Plus un nom est général, plus il convient à Dieu;
car, plus les noms sont particuliers, plus ils déterminent le
mode humain (/a P., q. 13, a. n et q. 33, a. 1; De Pot.,
q. 7, a. 5; / Sent., d. 8, q. 1, a. 1); aussi bien le nom que
Dieu lui-même s'est donné apparaît comme le plus uni
versel et le plus dégagé des limites créées : — « Celui
qui est » (/a P., q. 13, a. n; De Pot., 1. c. / Sent., 1. c; Cont.
Err. Graec., c. 1). Et pourtant, même ce Nom révélé est
inadéquat, car toute expression est déficiente, lorsqu'il
s'agit d'exprimer l'être divin, aucun mot ne signifiant
quelque chose d'absolument parfait (/ Sent., d. 4, 9. 1, a. 2).
Ainsi les termes abstraits sont absolus, mais ne désignent
point un être subsistant par soi; les concrets, au contraire,
présentent cet avantage, mais ils sont défectueux en ce
qu'ils impliquent une composition (/. c. et d. 33, a. 2; d. 34,
q. 1, a. 1; De Pot., q. 1, a. 1, etc.) qui nécessite à chaque
instant le recours à la négation; même alors, nous n'obtien
drons pas de résultats vraiment satisfaisants, mais c'est déjà
(1) /» P., q. 13, a. 6; / C. G., c. 34. — Ce qui vaut pour les noms essentiels
comme pour les personnels. / ' P., q. 33, a. 2, ad 4; / Sent., d. 34, q. 2, a. 1 et q. 3,
exp. lit.
LE SYMBOLISME ET LA NATURE DE DIEU 125
Analogie. - 9
130 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
cam agens non simile sibi generaret. Ex hac igitur virtute sol calidus dicitur non
solum quia calorem facit sed quia virtus per quam hoc facit est aliquid simile calori ».
Cf. /« P., q. 4, a. 3.
(i) Reste à savoir si cette suréminence ne va pas faire évanouir les perfections
dans le brouillard de l'indéterminé. Nous traiterons ce problème en section II, il faut,
en effet, sérier les questions.
134 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(i) C'est pourquoi.pour prouver que Dieu renferme en soi les perfections de toutes
choses, saint Thomas présente deux arguments : i° Dieu est cause de tout; 2° il est
l'être subsistant (/a P., q. 4, a. 2) — Répétons encore, pour prévenir toute méprise,
que ces voies sont solidaires, qu'attribution et proportionnalité se compénètrent;
l'existence que présuppose la proportionnalité, c'est l'attribution qui la lui livre.
136 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(i) LE Rov, op. cit., pp. 146 ss. : « Une proportion n'est éclairante que si trois de ses
quatre termes sont connus indépendamment d'elle, et il y a ici deux inconnues : Dieu
et son attribut... Ces deux inconnues n'en font qu'une objectivement, puisque Dieu
est tout ce qu'il a... La vraie formule de la proportion, serait donc, p. e. celle-ci :
Dieu est à Dieu ce que la personnalité est à l'homme. Une fois encore, la prétention
de saisir Dieu tel qu'il est en soi conduirait à l'agnosticisme. » Le P. DESCOQS ne craint
pas d'affirmer que Le Roy a raison (Inst. Met. p. 266) : Cajetan serait l'Ancêtre du
modernisme !
138 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Cela se prouve par tout ce que nous avons dit de la « via remotionis » et ce que
nous dirons de la « via eminentiae. »
(2) Cf. GARRIGOU-LAGRANGE, Dieu, n° 29 (pp. 198 ss.).
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 143
on le sait, a la phobie de Cajetan et des « cajétanistes ».
Pourquoi lui en faire un reproche ? J'ai bien connu un
thomiste célèbre qui avait la phobie de Suarez et des
suaréziens (1) ! Donc, pour le R. P., le cardinal de
Gaëte, loin d'être le grand interprète de saint Thomas,
— comme le croyait Léon XIII, et quelques autres avec
lui, — en est le grand corrupteur : avec un zèle pieux,
l'ardent professeur relève, une à une, ces déformations
multiples. En notre matière, le grand méfait de Cajetan
serait l'invention de la proportionnalité. « L'analogie de
proportionnalité ne commencera d'encombrer la scolas-
tique qu'avec Cajetan et son De Nominum Analogia ; or,
comme nous l'avons relevé plus haut, Cajetan ne faisait pas
mystère que sa théorie était une nouveauté » (2). Et contre
cette « innovation » le R. P. se dresse avec véhémence
(cf. Arch. Phil., IV, c. 4, p. 175). Impossible de songer à
répondre à toutes les critiques du P. Descoqs, auteur d'une
abondance toute suarézienne.Unmotsur les deux principales.
(1) Ce qui n'est pas moins inexcusable, c'est le manque absolu de sérénité du R. P.
J'en appelle aux lecteurs des « Institutiones », de « Thomisme et Suarézisme », de « Tho-
nâstru et Scolastique ». Quiconque n'a pas l'heur de partager l'avis de D. « se paie de
mots, accumule les non-sens et les absurdités manifestes, se rit du public », etc, etc.
Cet étrange état d'esprit rend toute discussion non seulement pénible, mais impossible.
Un confrère et un collègue du P. Descoqs, le P. A. BRÉMOND, a écrit cette belle
parole : «Dans la définition et la défense du vrai, la force la plus grande est la sérénité »
(Arch. PM1., IV, c. 4, p. 309).
(2) DESCOQS, Inst. Met. gen., p. 277. Le R. P. fait allusion au passage bien connu du
De Nom. An., c. 5, p. 256 : « Blasphemare fere videtur qui metaphysicales terminos
analagos dicens secundum proportionalitatem communes exponit ». En réalité Cajetan
ne prétendait aucunement innover, mais restituer la théorie aristotélico-thomiste
méconnue de son temps par les nominal istes et les partisans de l'univocité, qui
n'admettaient d'autre analogie que celle d'inégalité; Cajetan le dit expressément au
début de son traité. II ne veut pas innover mais restaurer.
144 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
Analogie. 10
146 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) DESCOQS, op cit.., p. 271 ss; dans le même sens : B. ROMEYER, Arch. phil.,
II, cah. 2, p. 211.
(2) Elle était déjà latente dans la « via causalitatis > (analogie mixte); ici elle est
seule compétente.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 147
le réel et de nous dire que, de fait, l'Etre premier existe.
Une fois le pont jeté — et il serait impossible de le jeter
si nos idées n'étaient pas attribuables à Dieu — alors notre
proportionnalité entre en ligne, selon le schème bien connu :
a x
b~D
Nous maintiendrons donc que la proportionnalité est
première, fondamentale, aux deux sens suivants :
1° dans le créé, les notions d'être, de cause, etc., se réa
lisent selon des modes divers et proportionnels.
2° en théodicée, seule la proportionnalité nous permet
d'écrire le traité des Attributs essentiels.
Le P. Descoqs nous confie (p. 277) que malgré tous ses
efforts il n'a pas réussi à découvrir cette doctrine chez
saint Thomas. Qu'il prenne de meilleures lunettes, ou plus
simplement, qu'il lise un traité « de l'analogie », où les
citations du Maître abondent, — celui du P. Ramirez par
exemple. Lui-même pourtant a découvert la proportionna
lité dans De Ver., q. 2, a. n (ce n'est donc pas avec Cajetan
qu'elle a commencé d'encombrer la scolastique!); et puisque
dans ce passage il n'a rien vu, malgré tout, « qui ressemblât
de loin à cette possession de l'esse que nous suggère le
schème : « Dieu est à son esse, comme » etc., — voici pour le
satisfaire : « Diversa habitudo ad esse impedit univocam
praedicationem entis; Deus autem alio modo se habet ad
esse quam aliqua alia creatura » (De Pot., q. 7, a. 7). Si ce
n'est point là la proportionnalité dans l'être, je n'entends
plus le sens des mots.
(1) Maître ECKART professa une doctrine analogue. DENZINGER, nn. 523 ss.
(2) Guide, I, ch. 51, p. 138; ch. 52, p. 190 et passim : II a pour excuse l'incapacité
de ses adversaires. De son temps le dogmatisme théologique se formulait ainsi : il y a
en Dieu des attributs essentiels, réellement existants et, par suite, réellement distincts
de l'essence à laquelle ils s'ajoutent comme des accidents. Cf. ÂVERROES, XII Met.,
corn. 39.
(3) De Ver.,q. 2, a. 1;cf./C. G., c. 23, in fine;/ Sent., d. 35, q. a. 1,ad2; De Pot.,
q. 3, a. 15, ad 20.
(4) DENZINGER, n. 389.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 151
le même mode attribut divin et attribut créé (1), n'arrivant
pas à saisir que la proportionnalité subsiste même à une dis
tance infinie, — même à travers des réalisations essentielle
ment diverses, il ne peut admettre un attribut formel qui soit
identique à la substance divine, et si un instant il admet
l'hypothèse, c'est pour s'en débarasser comme d'une tauto
logie : « quand l'attribut est l'essence même du sujet, dit-il,
il n'est autre chose qu'unetautologie»(GwîWe,I,ch.51,p.183).
Nouvelle confusion. De ce que les perfections s'identifient
nettement, « quoad se », avec la substance divine, et que nous
les affirmions comme telles, il ne s'ensuit point que, pour
nous, ces concepts aient tous la même signification et soient
tautologiques (2) : « Synonymeitas, écrit Cajetan, non
attenditur penes identitatem rationis formalis rei secundum
se, sed penes identitatem conceptus formalis seu mentalis...
Unde cum veritas et bonitas Dei habeant diversos conceptus
in nobis, non sunt synonyma » (In « De ente et essentia »,
q. XIH, ed. de Maria, p. 180).
(1) /« P., q. 13, «. 5 : « Cum hoc nomen sapiens dicitur de homine significat
aliquam perfectionem distinctam ab essentia hominis... sed cum hoc nomen de Deo
ciicimus non intendimus significare aliquid distinctum ab essentia vel potentia, vel esse
ipsius. >
(2) Dans la théorie maïmonidienne toute science vraiment analytique devient
impossible, puisque dans ce genre de science la mineure du raisonnement est toujours
• essentielle ».
(3) / C. G., c. 35.
152 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) In /«m., q. 13, a. 4. cf. L'op. IX de saint Thomas : « Responsio ad 108 articulas *
q. 1-3; CAPREOL., in I Sent., d. 8, q. 4 (Paban-Pègues, I, pp. 375-415).
(2) Je ne prétends nullement qu'on ne puisse soutenir, sous un autre biais, que
l'anthropomorphisme soit la confusion de la suréminence quantitative avec la
suréminence qualitative, que le symbolisme méconnaisse la voie de rémotion (d'où
l'indissolubilité de ces deux voies), mais je choisis ici le point de vue qui me paraît le
plus fécond.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 155
organique. — Bien plus, l'hypothèse évolutionniste, en
attirant notre attention sur la continuité qui existe entre
les êtres, sur leur compénétration, nous fournit une image
plus nette de cette suréminence. Les limites entre les
« règnes » s'effacent; dans certains cas, on ne sait pas très
bien si tel individu est animal ou plante, dans d'autres cas,
on croit trouver une forme intermédiaire reliant un être
moins parfait à une réalisation plus achevée; bref, les vivants
s'étagent, le supérieur étant, en quelque sorte, l'inférieur,
mais plus parfaitement; le degré suprême contenant, unies,
les qualités qui ailleurs s'éparpillent. La vie, en progressant,
se simplifie et se complique tout à la fois; les fonctions, qui
existaient à l'état séparé en divers animaux, elle les synthé
tise en un seul, plus complexe; — on le voit bien en étudiant
le développement du système nerveux chez les animaux.
L'homme n'est pas un aggrégat, mais une synthèse; il est
« suréminemment » minéral, végétal, et animal (1).
Dans l'ordre de causalité également, nous constatons
cette suréminence, par le fait qu'une cause supérieure ou
« équivoque » produit seule ce qui autrement requerrait
l'intervention de plusieurs agents inférieurs conjugués;
et non seulement elle leur est équivalente, mais elle les
dépasse : « illud quod potest virtus inferior potest etiam
superior, non tamen eodem modo sed nobiliori » (De Ver.,
q. 2, a. 6, ad 4).
Plus une causalité est parfaite, plus elle déploie une
activité polymorphique, correspondante à celle d'une foule
de causes inférieures : « quanto aliqua potentia est superior,
tanto ad plura se extendit » (De Pot., q. 2, a. 6, ad 2). Nous
n'avons, pour nous en convaincre, qu'à considérer l'opéra
tion de notre intelligence : toute qualitative, elle est en même
temps pleinement équivalente à l'action immanente ou
transitive (2). Bien plus, ce que nos autres facultés de connais
sance appréhendent séparément, notre intelligence le voit
mieux parce qu'immatériellement (De Ver., q. 2, a. 6, ad 4)
(1) /« P., iJ. 18, a. 3; IV C. G., c. 1l (les degrés de la vie); Dtv. Nom., c. 4, 1. 5
(comment tout est dans tout); / Sent., d. 3, q. 2, a. 3, ad 1 : « in superiori semper
includitur virtus inferioris, sicut in anima est etiam virtus naturae •; De Ver., q. 20,
a. 4 et 6 (comment toutes choses sont en Dieu); De Anima, a. 8.
(2) Cf. SALMANTICENSES, tr. II, disp. 2, dub. IX, n. 207; tr. VI, dub. I, disp. 2,
n. 59.
156 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) « In virtutibus cognoscitivis, superior vis secundum unum et idem est cognosci
tiva omnium quae ab inferioribus viribus secundum diversa cognoscuntur, omnia enim
quae visus, auditus, et caeteri sensus percipiunt, intellectus una et simplici virtute
dijudicat > Comp. th., c. 22., où saint Thomas donne un autre exemple : les sciences
subalternées cf. / C. G., c. 31.
(z) Cf. MATTIUSSI, In tract, de Deo Uno et Trino adnotationes, Romae, 1913,
p. 82. — Autre exemple (/ Sent., d. 35, q. 1, a. 1, ad 2) : « Patet in simili si ponantur
tres Domines quorum unusquisque secundum suum habitum sciat ea quae pertinent
ad unam scientiam, scilicet naturalia, geometricalia et grammaticalia, et quartus qui
horum omnium per unum habitum scientiam habeat de quo constat quod vere poterit
dici quod est grammaticus, vel grammatica est in eo, et similiter geometria et philoso
phia, quamvis in eo non sit nisi una res, secundum quam omnia haec sibi conve-
niunt... » Cf. de Ente et Essentia, c. 6; MAIMONIDE, Guide, I, ch. 53, p. 209.
(3) Quod. 7, a. 3, : « Intellectus quanto est altior et perspicacior, tanto ex uno
potest plura cognoscere. » Ce qui apparaît en comparant les diverses intelligences
humaines et angéliques (/. c. et I C. G. c. 3; /» P., q. 56, a. 3).
(4) ROUSSELOT, L'intellectualisme de saint Thomas, ch. 1; SERTILLANGES,
Saint Thomas d'Aquin, II, 1. 5, ch. 2 et 4.
(s) De Ver., q. 2, a. 2, cf. // De Cœlo et Mundo, 1. 10 : « Oportet dicere formas seu
qualitates contrarias quae sunt in inferioribus esse aliqualiter in corporibus coelestibus
non quidem univoce, sed sicut in causis universalibus per quamdam similitudinem
ad modum quo formae quae sunt particulariter in materia sensibili sunt universa-
liter in intellectu. »
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 157
exemples une idée métaphysique de la « suréminence » :
c'est une unité synthétique, équivalant à une pluralité réelle,
et la dépassant en perfection; c'est la sublimation de la
multiplicité; c'est la fécondité ramassée en soi-même.
Le meilleur moyen de suggérer à un moderne une
image de la suréminence serait peut-être de faire appel à
l'intuition bergsonienne (i) : vision si simple qu'elle est
inexplicable, si riche qu'elle contient à l'état de « tension »
ce que toute l'œuvre du philosophe déroulera à l'état
d' « extension ». « Le penseur, dit Bergson, part d'un point
simple « infiniment simple, si extraordinairement simple
que le philosophe n'a jamais réussi à l'exprimer. Et c'est
pourquoi il a parlé toute sa vie... Il ne pouvait formuler
ce qu'il avait dans l'esprit, sans se sentir obligé de corriger
sa formule, puis de corriger sa correction... Toute la
complexité de sa doctrine, qui irait à l'infini, n'est donc que
l'incommensurabilité entre son intuition simple et les
moyens dont il disposait pour l'exprimer » (L'intuition
philosophique, Rev. met. morale, 1911, p. 810). Voilà la
Suréminence dans l'ordre psychologique; dans l'ordre
métaphysique, elle est quelque chose d'analogue. Revenons,
après ce détour, au symbolisme, pour éprouver la valeur de
notre arme nouvelle. Le débat en était à ce point où, sous
la menace d'un dilemme, nous avons essayé de nous dégager
en disant : à la pluralité de nos affirmations il y a vraiment
(i) Un autre moyen — mais peut-être moins efficace — serait d'utiliser ce que dit
RAVAISSON du rôle de la synthèse en philosophie. Dans son Essai sur la métaphysique
d'Aristote et son Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle, Ravaisson
distingue deux manières, inégalement fécondes, de philosopher; l'une procède par
analyse, l'autre par synthèse. L'analyse décompose les choses en leurs éléments et, de
décomposition en décomposition, elle tend a «un abîme de vide etdenullité» (Rapport,
p. 258); son terme naturel est le néant — l'exemple du matérialisme comme celui
de l'idéalisme est là pour le prouver : le premier réduit tout aux conditions les plus
élémentaires de l'existence physique,qui ont le minimum de la réalité; le second réduit
tout aux conditions logiques les plus élémentaires, qui sont le minimum de la per
fection. La synthèse au contraire — qui est la philosophie même — monte de com
position en composition, son terme naturel est l'absolu divin. « C'est par une opération
synthétique que, à l'aspect d'un fait, nous ne le rapportons pas simplement à un fait qui
le précède; nous ne le résolvons pas seulement en un fait plus général et plus simple,
mais nous le rapportons à sa véritable cause, c'est-à-dire à l'action d'une perfection
supérieure » (Op. cit., p. 261). Or notre « suréminence » est au bout d'une synthèse
de ce genre. Que l'on compare, pour s'en convaincre, l'être des panthéistes à l'être des
théologiens. L'un est le résidu de ce que Ravaisson nommerait une analyse, c'est
vraiment un « abîme de vide et de nullité », l'indéterminé par défaut; l'autre est un
abîme de fécondité et de richesse, plénitude totale à laquelle nous nous élevons non
pas en diluant notre pensée, mais en la concentrant.
158 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
Analogie. 11
102 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
or, un certain nombre de perfections jouissent d'un privi
lège précieux, c'est que l'être pénètre de part en part leur
concept propre : supposez maintenant cette perfection
portée à l'infini dans sa ligne propre, vous aurez également
d'une façon implicite, l'infini d'être (1). En d'autres termes,
une perfection mixte infinie dans sa ligne (p. e. une quantité
ou une qualité infinies) serait limitée au point de vue onto
logique, puisqu'elle ne serait pas infinie tout court, mais
seulement dans son ordre. Au contraire, une perfection
simple se rattache directement à l'être, elle en est un mode :
il s'ensuit qu'on ne peut l'élever à l'infini dans sa ligne
propre, sans conjointement la porter à l'infini dans l'ordre
d'être : par là même elle enveloppera dans sa notion (impli
citement « quoad nos », par identité « quoad se ») l'essence de
toutes les autres perfections simples; c'est la plénitude
totale.
Ainsi la sagesse infinie n'implique pas seulement un
maximum dans son espèce, mais elle perd les limites, qui lui
étaient propres en tant que telle qualité, pour devenir
substance, bonté, justice, etc., ce qui ne se vérifie pas des
perfections mixtes, car un nombre infini ou une couleur
infinie ne sortiraient pas de leurs catégories respectives, et
par conséquent resteraient limitées ontologiquement.
Ces considérations nous aident peut-être à creuser encore
plus profondément la question des rapports entre la pluralité
des attributs et la simplicité divine. De même que l'idée
analogique d'être contient confusément tous ses modes, qui
pourtant ont chacun leur concept propre, ainsi la divinité,
contient — « quoad se » par identité et formellement, « quoad
nos » confusément et virtuellement — tous les attributs : elle
est donc parfaitement une, quoique son idée en nous ne le
soit pas. Réciproquement comme les notions de substance
et d'accident, de vérité et de bonté, quoique diverses,
s'unissent dans la notion d'être, s'impliquent et se définis
sent mutuellement, ainsi, toutes proportions gardées, la
notion formelle de science et la raison formelle de bonté sont
élevées à une notion formelle d'un ordre supérieur : la notion
propre de la divinité, et ainsi elles deviennent une seule
notion formelle les contenant toutes deux suréminemment, et
cela, non point d'une façon virtuelle mais formellement.
(1) Cf. GARRIGOU - LAGRANGE, Dieu, n° 56.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 163
Nous soupçonnons dès lors que des perfections diverses
ainsi surélevées s'appellent mutuellement etse compénètrent.
Si nous pouvions épuiser la compréhension de l'une d'elles
nous y découvririons toutes les autres;en tout cas, ce que nous
voyons clairement, c'est que tous les attributs doivent
s'identifier entre soi, étant donné qu'entre eux aucune
opposition n'apparaît (cf. / Sent., d. 2, q. 1, a. 5, ad 4).
C'est donc à juste titre que nous attribuions le sym
bolisme de Maïrnonide à une confusion anthropomorphique
entre le mode de concevoir et la chose conçue : de ce que
nos idées de Dieu sont multiples, il concluait que nous
imposons à Dieu l'infirmité de notre pensée (1). Par là le
rabbin espagnol a méconnu la doctrine de la suréminence de
l'être divin. On sait que le même reproche a été fait à Scot,
parce qu'il a posé entre les attributs sa distinction formelle
« ex natura rei ». Cela, dit Cajetan (In /am, q. 39, a. 1) « est
tout à fait contraire à la suréminence formelle de Dieu,
puisque cela la désarticule formellement ». En effet il semble
qu'il y ait là comme un relent d'anthropomorphisme :
cette distinction, qui provient de l'infirmité de la pensée, on
semble la vouloir poser en Dieu, et comme on ne voit pas
clairement comment les attributs s'identifient sans s'entre-
détruire, on paraît confondre la suréminence formelle avec
une agglomération quantitative. Je puis certes imaginer des
perfections qui aillent croissant, dans la même ligne.
A la limite, j'aurai une notion « infinie » dont le concept
sera univoque à celui de la notion finie, pour le simple
motif que cet « infini » est comme plaqué sur la perfection
finie; il ne la modifie pas intrinsèquement. Or, les perfections
finies différant formellement, il n'y a aucune raison, puisque
l'univocité demeure, pour qu'elles s'identifient, lorsqu'elles
se déguisent en notions infinies. On en arriverait à multiplier
les réalités en Dieu, à poser des entités réellement distinctes
de l'essence divine, comme le voulaient les théologiens
arabes et juifs, si vertement tancés par Avicenne, Averroès et
Maïmonide. Ou, si la foi éloigne de cet excès, on se livrera
à un travail de marqueterie théologique; la divinité se
composera d'une série de pièces de rapport. L'idée d'infini
(1) Un exemple frappant nous est fourni par SPINOZA, en son Ethique (I, prop. 17.,
schol.):«Porro(utdeintelIectuetvoluntate, quosDeocommunitertnbuimus.hicetiam
aliquid dicam) si ad aeternam Dei essentiam intellectus scilicet et voluntas pertinent
aliud sane per utrumque hoc attributum intelligcndum est quam quod vulgo volent
hommes. Nam intellectus et voluntas qui Dei essentiam constituerent a nostro intel-
lectu et voluntate toto coelo differe deberent, nee in ulla re praeterquam in nomine,
convenire possent; non aliter scilicet quam interseconveniunt canis signum cœleste, et
canis animal latrans. Quod sic demonstrabo : ... res quae et essentiae et existentiae
alicuius effectus est causa, a tait effectu differe debet tu m ratione essentiae quam
ratione existentiae. Atqui Dei intellectus est et essentiae et existentiae nostri intellectus
causa :,ergo Dei intellectus... a nostro intellectu tam ratione essentiae quam ratione
existentiae differt, nee in ulla re praeterquam in nomine cum eo convenire potest ».
Autrement dit : dès qu'une notion ne se réalise pas univoquement en deux sujets,
il y a équivoque pure.
(2) A. GRUNFELD, Die Lehre vom gôttl. Wille b. d. jûd. Religionsphilosophen
d. Mittelalters, Munster, 1909, p. 76 : « erlosende Lôaung. »
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 167
les difficultés qui harcèlent un peintre de génie, un aveugle
ne les connaîtra jamais. Toutes les fois qu'un texte de
l'Ecriture est gênant, Maïmonide présente sa panacée :
l'allégorisme; toutes les fois qu'une contradiction semble
surgir entre les exigences du dogme et les normes de l'aris-
totélisme, on nous dit en guise de consolation : « Dieu,
c'est X; soyez en paix ! »
En traitant de la science divine, saint Thomas a parfai
tement mis en relief cette déficience du symbolisme : « alii
dixerunt, sicut rabbi Moyses, quod Deus scit perfectissime
singularia. Et omnes rationes quae in contrarium inducuntur
solvit per hoc quod dicit scientiam Dei esse aequivocam
scientiae nostrae, unde per conditiones scientiae nostrae non
possumus aliquid de scientia Dei arguere... Sed istud,
quamvis sit verum, tamen oportet aliquid plus dicere,
videlicet quod quamvis scientia Dei sit alterius modi ac
scientia nostra, tamen per scientiam nostramaliqualiterdeve-
nimus in scientiam Dei et sic scientia nostra non est penitus
aequivoca scientiae Dei sed potius analogica. Et ideo oportet
dicere secundum quid scientia nostra imitatur scientiam Dei,
et in quo deficit, et quare, et ita rationes dissolvere » (1).
Certes, la solution est plus facile, mais je ne sache pas que
la facilité soit, en philosophie, le critère absolu. Plus facile,
sans nul doute, l'attitude de W. JAMES qui, après avoir noirci
des « centaines de feuilles de papier » dans ses efforts pour
résoudre les antinomies, décida un beau matin d'abandonner
la logique, « fairly, squarely, and irrevocably » (2) pour
devenir semblable à un petit enfant; et dès lors — ô miracle !
toutes ses difficultés s'évanouirent; probablement comme
elles s'évanouissent pour le dormeur ou l'aliéné. Plus facile
aussi — combien plus—l'attitude de Mansel qui ne découvrit
les « Limits of Religious thought » que pour jeter la dogma
tique par dessus bord; plus facile enfin l'attitude de nos
modernistes qui disent gaîment adieu àtoute dialectique pour
se confier à je ne sais quelle intuition ou quel instinct.
(1) Textes parallèles :/C. G.,c. 5;c. \4\IIIC. G.,c. 49; De Fer., q. 2, a. i, ad 9;
De Pot., q. 7, a. 5, ad 4; Boet. Trin., q. i, a. 2, ad i;I Sent., d. 8, q. i, a. i, ad 4;
Div. Nom., c. i, L 3. (Vives, p. 392); c. 2, 1. 4 (p. 411); c. 7, 1. 4, in fine; c. 13, 1. 3
(P- 579), etc.
(2) 1 Sent., d. 36, q. i, a. i : «.istud quamvis sit verum tarnen oportet ahquid
plut dicere »...; d. 35, q. i, a. i, ad 2 : « hoc non videtur sttfficiens. »; d. 2, q. I, a. 3,
a. 4 : * quodammodo verum dixerunt et quodammodo non »; De Pot. 9.9,3.7 : « quam
vis hoc non sit usquequaque verum. »; De Ver., q. 2, a. i : « quamvis hoc possit esse
aligna ratio veritatis... non tamen potest esse tota ratio veritatis. »
(3) De Ver., q. 2., a. i, donc au même endroit où le symbolisme est jugé plus
bénignement.
1yO CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(i) i" art., II, p. 172. Sertill. donne comme références deux textes bien connus de
saint Thomas :/ Sent., d. 34, q. 3, ad 2; IV Sent., d. 45, q. i, a. i, ad 2, qui prouvent
simplement que la métaphore est une espèce de proportionnalité, rien de plus. Saint
Thomas a pris soin d'écarter le métaphorisme en termes fort clairs : De Ver., q. 2, a. x,
De Pot., q. 7, a. 5, etc.
L ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THEOLOGIQUE 173
(i) Ce « balancement » est fort bien marqué dans la suite des réponses rapportées
à l'instant, de De Ver., q. 2, a. n. Voici ad 9 : « quidquid intellectus noster de Deo
concipit est deficiens a representatione ejus et ideo quid est ipsius Dei semper nobis
occultum remanet, et haec est summa cognitio quam de ipso in statu viae habere
possumus, ut cognoscamus Deum esse supra omne id quod cogitamus de eo. « On
frôle l'agnosticisme. Mais voici « ad 10 : Deus dicitur omnem intellectus nostri
formam subterfugere non qnin aliqua forma nostri intellectus ipsum aliquo modo
representet, sed quia nulla eum représentât perfecte ».
174 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) L. c., p. 162 ss. Dans sa traduction de la « Somme * (Dieu, II, p. 379), le R. P.
renvoie à son « Agnosticisme ou anthropormophisme », et ajoute : « nous tenons à
avertir que certaines divergences de vue entre thomistes sur cette question sont,
à notre avis, toutes verbales. On s'exprime comme on peut; mais il ne faut pas se hfiter
de croire que le confrère diffère de vous, quand il a pris simplement, peut-être, la
question par un autre biais. » — Que l'on taxe toute ma discussion de « verbalisme »
j'y consens, pourvu qu'on m'accorde qu'en cette matière le pouvoir d'expression de S.
l'a complètement trahi (Cf. GARRIGOU-LAGRANGE, Dieu, p. 520, 568, n.)
(2) Victime de ses préjugés le P. DESCOQS prétend que l'agnosticisme est l'aboutis
sement rigoureux de la conception soi-disant « cajétaniste » de l'analogie ! (Inst. met.-
gen., p. 278, ss.) Pourtant un juge peu suspect le P. CHOSSAT avait déclaré — après
avoir cité Cajetan et Jean de saint Thomas — : « C'est à tort qu'on essaierait de com
promettre l'ancienne école domicaine même bannézienne, et de la présenter comme
favorable à l'agnosticisme « (Dict. apol., I, col. 45).
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 175
que toute apologie, quelle position de juste milieu le grand
docteur sut prendre et maintenir avec une fermeté, mais
aussi avec une souplesse, un sens des transpositions qui nous
déconcertent.
3°. — Ineffabilité et transcendance.
(1) DePot., q. 7, a. 5, obj. 13; I Sent., d. 22, q. 1, a. 1, obj. 2 (ex Augustmo). Cf.
AUGUST., Contra Adamantum, c. n; De Trin., 1. 5, cc. 1, 4, 10; 1. 7, c. 7; 1. n, c. 1.etc.
176 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) CAJET., De Nom. An., c. 10 (p. 276) : «... in analogo diversitatem rationum ins-
picientes, id quod in eo unitatis et identitatis latet non considerant. Rationes entis
analogi... possunt dupliciter accipi. Uno modo secundum se in quantum ab invicem
distinguuntur. . . alio modo in quantum eadem sunt proportionaliter... » et p. 277 :« cum
fit huiusmodi processus : omnis perfectio simpliciter est in Deo; sapientia est per-
fectio simpliciter, ergo; in minore ly sapientia non stat pro hac vel illa ratione
sapientiae, sed pro sapientia una proportionaliter... in quantum sunt ind1visae propoa-
tionaliter et ambae tmam proportionaliter constituunt rationem. »
(2) Ia P., q. 4, a. 3, ad 3;! Sent., d. 24, q. 1, a. 1, ad 4; d. 29, q. 1,a. 2, ad 3.
(3) Evidemment pas dans l'ordre de nature mais dans l'ordre de connaissance.
(4) De Ver., q. 23, a. 7, ad 9 : « Finitum et infinitum quamvis non possint esse
proportionata possunt tamen esse proportionabilia quia sicut innnitum est aequale
infinito, ita finitum finito; et per hune modum est similitudo inter creaturam et
Deum quia sicut se habet Deus ad ea quae ei competunt, ita creatura ad sua propria. »
l8o CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(l) En effet, juger c'est affirmer qu'un sujet et un prédicat s'identifient hors de
l'esprit, dans l'existence, possible ou actuelle.
182 CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Cf. H. MULLER : Dionysi1u, Proklos, Plotinos, Munster, 1918, pp. 62-107;
R. ARNOU, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, Paris, 1921, ch. 5 et 6; Rev.
Asc. et Myst., août 1922, pp. 201 ss; FOURRAT, La spiritualité chrétienne, tome 2, ch. 8.
(2) Cf. W. JAMES, The varieties of Religions experience^ London, 1919, p. 416.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 185
plation émerveillée dépasse infiniment tout ce que l'intel
ligence discursive atteint : « essentia divina quam tenebras
vocat (Dionysius) propter claritatis excessum » (1); d'autres
fois il accumule les paradoxes pour secouer notre torpeur,
et montrer qu'une réalité suréminente enclôt toutes les
perfections, que d'elle tout peut s'affirmer et se nier (/a P.,
q. 4, a. 3, ad 1); parfois encore il se réfugie dans la nuit —
« en la Noche dichosa » — et semble couvrir de mépris
toute activité intellectuelle, mais il entend simplement
exclure le discours ordinaire pour exalter sa connaissance
expérimentale (2). Savoir connaturel selon un mode supra-
humain : c'est cela que le mystique veut dire quand il fait
l'agnostique; sa contemplation n'est nullement une chute
dans le nirvana ; c'est au contraire la suprême opération
de l'esprit, quelque chose d'analogue à l'immobilité divine :
un repos éminemment actif (cf. Ha //ae., q. 179, a. 1, ad 3;
q. 180, a. 6, ad 1).
Enfin il est une dernière source de l' « agnosticisme »
mystique : la vie spirituelle elle-même. La fin de l'homme
c'est la conjonction avec ce principe d'où il a jailli. Sorti,
par la création, du sein de Dieu, il y doit revenir par la
contemplation, et l'amour (3). Mais Dieu est simple, il est
l'Un; pour que cette conjonction devienne possible, il faut
que nous nous ramenions à la simplicité et à l'unité. Hélas!
dispersés et comme répandus en dehors, nous devons nous
intérioriser et nous simplifier (DENYS, Div. N., c. 4, § 9)
pour atteindre cette «Gelassenheit» que les grands mystiques
rhénans prônent à tout instant. Qu'est-ce cette « Gelassen
heit » ? C'est un état de purification et de simplification
extrêmes, dans lequel l'homme, renonçant à tout, et entière-
(1) TAULER, Predigten (lena, 1913) I, n. 9 (2. Dom. Quad.V, n. 15 (Dom. Palm.)
n. 67 (16. Dom. post Trin.). — SEUZE : Exemplar, I Buch, Kap. 47-48; III Buch,
Kap. 1, 7, etc.
(2) DIONYS., Div., Nom. c. 7, §. 3 (S. THOMAS, 1. 4); cf. De Ver., q. 8, a. 15,
ad 3; Boet. Trin., q. 1, a. 2. Cf. S. JEAN DE LA CROIX, Subida, I, c. 4; II, c. 14; III,
c. 1; c. 2 : « aquella noticia confusa, universal, pun, y sencilla. >
(3) GARDEIL, La structure de l'âme et l'expérience mystique, Paris, 1927, II, p. 259.
L'ANALOGIE ET LE SYMBOLISME THÉOLOGIQUE 187
Voilà de l'anti-intellectualisme si l'on veut, mais qui,
loin d'être agnostique, est une aspiration vers la lumière,
vers une connaissance suréminente et translumineuse
(D1ONYS., De Div. Nom., c. 1-2).
L'expérience mystique ne détruit pas la connaissance
analogique, elle la dépasse; mais elle la confirme aussi,
puisqu'elle montre, contre le symbolisme, la possibilité
d'une connaissance vraie et puisque, par son appel aux
négations, elle dévoile l'indigence de l'anthropomorphisme.
De même que le sommet de la contemplation rationnelle
du théologien consiste à voir Dieu comme radicalement
séparé de tout (/// Sent., d. 35, q. 2, a. 2, q. 2), à le connaître
par l'ignorance (In Div. N., c. 7, 1. 4) ainsi, analogiquement,
sur un plan supérieur, l'âme parvenue au sommet de la
contemplation mystique ne peut plus que balbutier le mot
de l'Epouse : Nescivi (Cant., VI, n).
(1) C'est pourquoi saint Thomas affirme constamment que l'Infini et le fini ne
peuvent pas entrer dans le même rapport n'étant pas directement comparables
(De Ver., q. 2, a. 3, ad 4); or c'est à cette comparaison directe que l'on aboutit, en
fin de compte, si le rapport créé définit le rapport divin.
(2) Cf. la note (1) au début de cette « conclusion ».
CONNAISSANCE DE LA NATURE DE DIEU
(1) Le présent ouvrage était déjà à l'impression lorsque nous avons eu connais
sance du livre de M. Edouard Le Roy : Le problème de Dieu, Paris, 1930. La pre
mière partie du volume reproduit des pages anciennes et bien connues (Comment
le pose le problème de Dieu, Rev. de Mét. et de Morale, 1907), la deuxième, nouvelle,
prétend nous montrer « un chemin vers Dieu ». Je dois me borner à présenter quelques
remarques générales. M. Le Roy refuse — toujours et obstinément — de se placer
sur le plan de l'être. Lorsqu'il se sert de son intelligence, il lui interdit de dépasser
le deuxième degré d'abstraction; le plus souvent, du reste, il est dominé par l'image,
il transpose le thomisme en termes d'imagination statique pour lui reprocher le mor-
celage et l'anthropomorphisme, pour le réduire à l'état de « nécropole de concepts où
dorment des idées momies « (Op. cit., p. 287); tandis que lui-même se confie à l'ima
gination dynamique pour élaborer son propre système; nous assistons alors à une
sorte de divinisation de l' « élan vital » (Op. cit., pp. 122 ,205, 282, etc.) Afin de se
couvrir contre les reproches inévitables d'hétérodoxie, l'auteur après s'être essayé
de son mieux à ruiner tout ce que le thomisme a de positif, réclame son patronage,
tâche de s'en couvrir comme d'un manteau (/. c., pp. 287-289). Mais c'est en vain;
cet essai pour transformer saint Thomas en agnostique n'est pas plus heureux que ceux
que nous avons dénoncés plus haut. Il repose en somme sur les mêmes équivoques. —
Tous les problèmes traditionnels se retrouvent dans ces pages, mais complètement
déformés, détournés de leur sens légitime. Rien d'étonnant à cela, le bergsonisme
est- il autre chose qu'une alchimie à rebours, visant à transformer l'or en plomb, je
veux dire la métaphysique en empirisme ?
Analogie. 1*
CHAPITRE TROISIÈME
SOMMAIRE
I. — ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES.
Le parlement thélogique ; dénombrement sommaire des principales
erreurs; équivocité, univocité: leurs retentissements sur la théorie de la
foi et de la grâce. Les pseudo-démonstrateurs de mystères: Richard de
Saint- Victor. Anthropomorphisme de la religion moderniste. Pourquoi la
Trinité est-elle indémontrable? « Intellectus non univoce invenitur in Deo
et in nobis ».
I. ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES.
(i) II va sans dire que, dans ce qui suit, je me place à un point de vue théorique.
Je ne soutiens pas qu'historiquement tous les tenants de l'univocité aient abouti, par
exemple, au panthéisme déclaré (l'homme n'est pas, fort heureusement, un syllogisme
vivant), ou que tous ceux qui confondent raison et foi aient été partisans explicites de
l'univocité. J'indique simplement des connexions logiques entre les diverses thèses.
Les applications historiques ne manquent pas d'ailleurs : cf. sur 1' « univocisme »
des ontologistes, de Rosmini, et ses conséquences : DENZINGER, nn. 1659-1662;
1896-1896; 1915; 1926.
(z) Cf. MANSER, Dos VerhtUtniss v. Glaub. u. Wiss. bei Averroès (Jahrb.f. Phil. u.
tpek. Theol., Bd. XXV) : L. GAUTHIER, La théorie d'Ibn Roschd sur les rapports de la
phil. et de la foi, p. 177 ss. — On trouvera l'analogue de ces théories chez A. Comte
(l'état théologique) et les hégéliens, pour qui la religion est un moment préphiloso
phique de l'évolution de l'idée absolue; les dogmes se résolvent en problèmes méta
physiques; la religion représente (vorstellt) l'Absolu, tandis que la philosophie le
196 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
pense (denkt). — Cf. B. CROCE, Logica*. pp. 303, 309, 314, etc; G. GENTILE, //
modernismo e i rapporti tra religione e filosofia, Bari, 1921; Discorsi di religione,
Firenze, 1923.
(1) MANDONNET, Siger de Brabant ", I, p. 148.
(2) HAURBAU, Hist. phil. scol.. Il, 2, p. 286.
ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES 197
(1) Ainsi un Thierry de Chartres dira que la théologie doit faire appel aux raisons
arithmétiques, musicales, géométriques et astronomiques (HAURÉAU, Notices et extrait!
Paris, 1890, p. 63). R. BACON assure que « mathematica omnino necessaria est sacrae
scientiae » (Opus Majus, pars IV : Mathematicae in divinis utilitas, Bridges, I, p. 175).
(2) O. KEICHER, R. Lullus u. seine Stellung z. Arab. Phil., Munster, 1909, pp. 65 ss.
Gagné par un si beau zèle, l'historien de Lulle s'est transformé en apologiste, mais de
son héros. Il essaie, et parfois avec bonheur, de le disculper du reproche de rationa
lisme, en le replaçant dans son milieu historique, en interprétant « reverenter » les
passages difficiles. Il reste que si L. n'est pas rationaliste au sens moderne du mot, il
n'en a pas moins confondu foi et raison.
(3) ZIGLIARA, Propaedeutica, l. 1, c. 19, n. 2 : « Qui tentat demonstrative probare
veritates ordinis supernaturalis, facto ipso negat huiusmodi veritates esse absolute
supernaturales quia inclusas supponit in virtuali extensione medii creati et naturalis
nostrarum demonstrationum ».
ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES 2OI
Monolog., praef. (P L. t. 158, col. 143); « ...hanc mihi formant! praestiterunt (fratres)
quatenus auctoritate Scripturae pe1ritus nihil in ea persuaderetur, sed quidquid per
singulas investigationes fuies assereret, id ita esse, piano stylo et vulgaribus argumentis
simplicique disputatione et rationis necessitas breviter cogeret, et veritatis claritas
patenter ostenderet « Car Deus homo, I, cp. 25 (P. L. t. 158, col. 400): « ...volo me
perdicas illuc ut rationabili necessitate intelligam esse oportere omnia illa quae fides
catholica de Christo credere praecipit... » A chaque pas, au sujet de la Trinité on ren
contre des expressions comme celles-ci : « irrefragables rationes » (De process. Sp. S.,
cp. 4; P. L. t. 158, col. 291) : « certissimum autem jam consideratae rationes reddide-
rant » ...» liquide cognosci potest » etc. Monolog., cp. 23; P. L. t. 158, col. 209).
Chez les Victorins les textes abondent, encore plus clairs, v. g. HUGO VICTOR., De
Sacram., 1. III, 1l (P. L. 176, col. 220). « Itaque ratio per rationem Deum esse in venir;.
et venit alia ratio que non solum esse Deum sed unum esse et Trinum comprobaret «
RICARO. De Trin., 1. I, cp. 4. (P. L. 196, col. 892). « Erit itaque intentionis nostrae in
hoc opere ad ea que credimus, in quantum Dominus dederit, non modo probabiles,
verum etiam necessarias rationes adducere. .. Credo namque sine dubio, quoniam
ad quorumlibet explanationem quae necesse est esse, non modo probabilia, imo
etiam necessaria argumenta non deesse » etc.
(1) Cf. S. ANSELM., De fide Tria., proem. (P. L., t. 158, col. 260) « ...Quoniam
inter fidem et speciem, intellectum quem in vita capimus, esse medium intelligo,
quanto aliquis ad illum proficit tanto eum propinquare speciei ad quam omnes
anhelamus, existimo ».
(2) J. B. BECKER, Der Satz des M. Anselms « Credo ut intelligam » (Philos. Jahrbuch,
XIX, pp. 115-127) a bien montré que l'axiome anselmien doit s'entendre du croyant,
et n'exclut pas, pour le non croyant, le droit de recherche. A lui c'est « intellige ut
credas » qu'il faut dire (art. cit., pp. 123-127); cf. De fide Trin., cp. 4. (P. L., t. 158,
col. 273).
(3) Cur Deus homo, praef. (P. L., t. 158, col. 361-362) : « Quod (opus) secundum
materiam, de qua editum est, Cur Deus homo, nominavi et in duos libellos distinxi,
quorum prior quidem infidelium... continet objectiones et fidelium rcsponsiones :
ac tandem remoto Christo quasi numquamaliquidfuerit de eo, probat rationibus necessariis
esse impossibile ullum hominem salvari sine illo; in secundo autem libro similiter
quasi nihil sciatur de Christo monstratur non minus aperta ratione et veritate naturam
humanam ad hoc institutam esse ut aliquando, immortalite beata, totus homo, id est
in corpore et in anima frueretur, ac necesse esse, ut hoc fiat de homine propter quod
factus est, sed nonnisi per hominem Deum.atquc ex necessitate omnia quae de Christo
credimus fieri oportere ».
ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES 207
(1) In Ep. ad Rom. 1, 20 (Cousin, II, p. 172) : Int. cd theol. (Ccusin, II, p. ç6.)
Th. chritt. (ib., p. 406).
(2) Cf. KEICHER, op. cit., p. 65. Théorie des preuves négatives reprise par Rosmini
(DENZ., n. 1915J.
(3) On discute beaucoup sur le sens de ces , raisons nécessaires ». Des médiévistes
de valeur, comme Mgr Grabmann et le P. Jacquin, n'y veulent voir que des raisons de
convenance, des probabilités. Pour moi, il y a davantage et il me semble qu'Anselme
a bien voulu démontrer les mystères « post revelationem » et quant à leur « an sit ».
Mais ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans ces discussions.
(4) HEITZ, pp. 82-83 : « La connaissance rationnelle est conditionnée de telle sorte
par l'illumination, qu'un théologien moderne ne saurait trop dire si c'est la connais
sance rationnelle qui est surnaturelle, ou la révélation qui est rabaissée au niveau de
raison ....
(5) Je dis « complète » car la théorie de l'ineffabilité divine, la « théologie négative»
que déjà Scot Erigène connaissait, montrent bien que nos idées ne s'appliquent pas
telles quelles à Dieu. Mais ici encore, manque de précision. Quelles sont les idées
valables, et jusqu'à quel degré ? On confond encore l'ineffabilité de la théodicée avec
celle de la théologie. N'oublions pas, du reste, que l'augustinisme est à tendances
ultra-réalistes, doctrine (Scot Erigène l'a montré) qui va à poser l'univocité de l'être,
à effacer les démarcations entre Dieu et le monde et à nier, par le fait même, le
surnaturel.
(6) Sans doute la raison prochaine de l'attitude de saint Thomas, c'est le rejet de
l'illumination, et son remplacement par la théorie de la connaissance d'Aristote
(Cf. GILSON, Et. phil. méd.,p. no; Pourquoi saint Th. a critiqué S. Augustin, dans
Arch. hist. litt. doctr. M. A., tome I, Paris, 1926), mais en dernière analyse, il faut en
venir à la doctrine de l'analogie, comme nous le verrons.
208 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
occupations habituelles, s'incorporant à notre synthèse
mentale; le surnaturel nous devient naturel. Sans s'en rendre
compte, on oublie le gouffre qui sépare 1' « ens a se » de
1' « ens per participationem » et le Principe premier des
philosophes du Dieu des chrétiens. Notre indigente psycho
logie, on la transpose en Dieu, magnifiée, et les données de
foi se changent en énoncés géométriques que l'on démontre
apodictiquement. Cette mentalité « univociste » éclate chez
Abélard, qui tomba dans l'hérésie pour avoir voulu appli
quer à la Trinité des symboles et comparaisons à peine
dégrossis (i); mais elle se manifeste également à des degrés
divers chez tous les démonstrateurs de mystères. Il serait,
certes, intéressant de refaire l'histoire des preuves de la
Trinité, de leurs modifications et de leurs sorts divers —
depuis les Pères jusqu'à Rosmini, le dernier (2) à ma connais
sance que cette entreprise ait tenté. Que de noms illustres!
Claudien Mamert (3), saint Anselme, Abélard, Thierry de
Chartres (4), Guillaume de Conches (5), les Victorins,
Alex, de Haies (6), Henri de Gand (7), Raymond Lulle,
Gerson (8), Mastrofini (g), Gunther (10), Rosmini (n).
Mais la multiplicité des problèmes qui nous attendent
ne nous permet pas de battre la campagne; il faudra choisir;
aussi bien toutes ces preuves se ramènent à peu de chefs,
toutes celles qui ont quelque apparence de vérité, sont
d'inspiration néo-platonicienne.
Or, notre choix nous est imposé par la tradition même.
Ne retrouve-t-on point toujours — avec une régularité
parfois un peu agaçante — chez tous les scolastiques, à
partir du xme siècle, les preuves de Richard de Saint-Victor ?
C'est que nul ne les a formulées avec autant de force, nul
(1) Les fameuses comparaisons de la cire et de l'image de cire, de l'airain et du
sceau d'airain. Introd. (Cousin, pp. 97-99). In Epist. ad Rom., éd. cit., p. 174; Theolog.
Christ, (éd. cit., p. 532), etc.; cf. KAISER, op. cit., pp. 200 ss., 228 ss.
(2) SCHELL n'a pas tenté de démonstration pioprement dite (JANSSENS, De Deo
trino, pp. 417 ss.)
(3) De statu animae, 1. II, ce. 2, 6, 7, 26, etc.
(4) Curieuse démonstration arithmétique (cf. HEÎTZ, p. 35).
(5) 16-, P. 41-
(6) Siimma, I. q. 42, membr. i, ante sol. (cf. RÉGNON, Et. de théol. posit.,ll,p.3~6).
(7) Quod. VI, q. 2, Confond « appropriata » et ' propria »
(8) Sur Lulle et Gerson, cf. VAZQUEZ (disp. 133, cp. i).
(9) Met. stiblitmor, 1. III. (JANSSENS, pp. 381 ss).
(10) JANSSENS, pp. 385 ss.
(i i) Teosofia, vol. I, p. 158 ss; vol. III, p. 98; cf. DEXZINCER, n.i9i5 ss.; ZIGHARA ,
Propaedeulica, 1. I, c. XII, p. 67.
ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES 2OQ
Analogie. 14
2IO CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
(1) !.. ,. : « Praecipuum videtur in vera caritate alterum velle diligi ut se in mutuo
siquidem amore, multumque fervente, nihil rarius, nil praeclarius, quam ut_,ab eo
quem summe diligis, et a quo summe diligeris.alium aeque diligi velis. Probatio
itaque consummatae caritatis est votiva communio exhibitae sibi dilectionis... vides
ergo quomodo caritatis consummatio personarum Trinitatem requirit, sine qua
omnino in plenitudine suae integritatis subsistere nequit ».
(2) Op. cit., cp. 12.
(3) Op. cit., cp. 13.
(4) Op. cit., cp. 13.
(5) Op. cit., cp. 20; cf. cp. 5; 1. IV, cp. 1, etc.
(6) Op. cit., cp. 6 : « sapientiae deliciae valent et soient hauriri de corde proprio;
intimae autem caritatis deliciae hauriuntur de corde alieno, unde videtur quod pleni
tudo tam potentiae quam sapientiae possideri possit in singularitate personae »...
(/. c., c. 17) « completio autem verae felicitatis et summae nullomodo videtur posse
subsistere aine geminatione personae ...»
212 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
que Dieu est Trine, ou niez que Dieu soit charité (1).
Cependant le Victorin a été dépassé : un théologien
postérieur a avancé des arguments encore plus séduisants
et à première vue 'plus démonstratifs, en faveur de la
Trinité — et c'est nul autre que Thomas d'Aquin. En ce
miraculeux chapitre onzième du quatrième livre contre
les Gentils, s'élevant à travers les hiérarchies créées, parcou
rant les diverses émanations, saint Thomas les montre qui
s'intériorisent de plus en plus : c'est le mouvement méca
nique, la vie, la pensée, et chaque fois les êtres se replient
davantage sur eux-mêmes, et chaque fois la procession
leur devient plus intime. L'on se croirait vraiment — et
M. Durantel s'y est cru — en plein néo-platonisme, avec
ce « retour à Dieu », cette simplification et cette unification
de plus en plus accélérées. Poursuivant la même trajectoire,
voici que notre pensée frémissante se trouve soudain
installée dans l'Un; et le sentiment de la continuité la
pousse à poser en Lui également ces échanges vitaux, cet
épanchement de la pensée vivante, qui s'éparpille ensuite
dans toutes les autres émanations : certes celle-là doit exister,
(1) On a loué chez Richard « cette clairvoyance de cœur plus pénétrante que les
analyses de la raison» (DE RÉGNON, op. cit.,II, p. 325); c'est sans doute pourquoi sa tenta
tive d'escalade du ciel n'a point enthousiasmé les théologiens. La raison n'accepte pas
volontiers les lumières d'emprunt; elle a décrété : « Voluntas est potentia coeca » et les
théologiens, trouvant le syllogisme plus docile à la vérité que les sentiments, ont jugé
ces preuves affectives peu entraînantes. Je ne sais s'ils ont souri, comme le redoutait
Richard (De Trin., l. III, cp.l), toujours est-il qu'au risque d'être rangés parmi les
« mente capti », ils ont déclaré les « trois témoignages • fort touchants, mais nullement
décisifs. C'est qu'en effet le bouillant et mystique prieur de Saint-Victor semble n'avoir
point pris garde à une règle fondamentale de l'analogie théologique, d'après laquelle
les perfections conviennent à Dieu selon un mode incréé impossible à déterminer
directement (De Pot., q. 9, a. s). Or Richard n'impose-t-il point au Créateur les
conditions mêmes de notre amitié humaine : et l'affectivité divine revêt-elle le triple
caractère qu'on veut retrouver dans l'amour créé ? On nous parle de « plénitude ».
mais c'est un accroissement de perfection dans la même ligne, univoquement. Richard
répondrait peut-être qu'en attribuant à Dieu une qualité il faut en retenir tout ce qui
en constitue l'essence. Mais la multiplicité, la triplicité entrent-elles dans l'essence
de l'amour sans limites ? N'est-ce pas au contraire une infirmité, ce besoin de se
répandre au dehors; cette nécessité d'avoir un être vers lequel on s'épanche, n'est-ce
pas une dépendance, une servitude ? (cf. S. Thomas,/a P., q. 32,a. 1,ad21n;DePot.,q. 9,
a. 5, obj. 24; De Ver., q. 10, a. 13; Boet. Trin., q. r , a. 4, ad 5m) Richard au reste
semble avouer cette dépendance en disant que, si la science peut être solitaire, l'amour
ne le peut point; : « nam si in illa vera dignitate sola una persona esset, utique non
haberet cui suum amorem impenderet, nee qui sibi suum amorem rependeret » (De
Trin., I, II, cp. 17). Dès lors l'amour ainsi compris est-il une « perfection pure •?
Aussi les arguments de Richard, même réduits à être de simples explications hypo
thétiques du mystère, nous semblent difficilement acceptables. L'anthropomor
phisme y est trop sous-jacent.
ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES 213
l'intelligence et la volonté qui non seulement sont appropriées (comme toutes les
autres), mais jouissent de plus, d'un privilège particulier en tant que raisons formelles
des processions. Le Fils ne procède pas par voie de justice ou de miséricorde, mais,
exclusivement par voie d'intelligence et de volonté; même, le Fils est le fruit d'une
intellection et non d'une volition, tandis que le contraire se vérifie pour l'Esprit.
Or d'un autre côté, la création est l'œuvre précisément de la science et de la volonté
divines : elle convient donc à la Trinité en vertu d'attributs qui non seulement sont
appropriés mais encore sont les raisons formelles des processions trinitaires : « proces-
siones personarum sunt rationes productionis creaturarum in quantum includunt
essentialia attributa quae sunt scientia et voluntas. » /» P., q. 45, a. 6; cf. / Sent., d. 10,
q. 1, a. 1, etc. Il n'est donc pas absolument exact de ranger, sans autre, les
« images » et les « vestiges » parmi les simples appropriations, ainsi que le fait le P. de
Régnon. Il y a cela et davantage : l'homme est dit image de la Trinité : 1e en
vertu de son intelligence et de sa volonté qui se rattachent causalement aux attri
buts essentiels appropriés; 2e en vertu de ce que ces attributs appropriés sont
justement les voies par lesquelles procèdent les personnes. Cette dernière ressem
blance dépasse l'appropriation commune aux autres perfections créées. Cependant
cette « image » est encore très déficiente. / Sent., d. 12, a. 3, ad 3; /" P., q. 35, a. 2, ad
3;q. 93, a. 1, etc.
(1) /» P., q. 32, a. 1, ad 2 : « ...in astrologia ponitur ratio excentricorum et epicy-
clorumexhocquod, hac positionefacta, possunt safcar1 apparmtia sensûnliacuc* motus
coelestes, non tamen ratio haec est sufficienter probans quia etiam forte alia positione
facta salvari possent... et isto modo se habet ratio quae inducitur ad manifestationem
Trinitate, quia scilicet Trinitate posita, congruunt huiusmodi rationes... »
(2) L. c.; Boet. Trin., q. 1, a. 4 : « Aliquales rationes non necessariae nee multum
probabiles nisi credenti ».
(3) Boet. Trin., q. 2, a. 1, ad 5 : « ...ratio persuasoria. . . » I C. G., c. 8 : « verissi-
militudines >; c. 9 :... « rationes aliquae verissimiles inducendae, ad fidelium quidem
exercitium et solatium, non autem ad adversarios convincendos ». / Sent., d. 3, q. 1,
a. 4, ad 3 : «... magis adaptationes quaedam »... cf. d. 2, a. 4; d. 31, q. 1, a. 2, etc.
Analogie. 15
220 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
qui les fait être telles et non pas autres. En vain donc
l'anthropomorphite dirait : « in Deo est ratio verbi », comme
nous disons « in Deo est ratio intelligents »,ou « ratio intel-
lectionis »; cela n'y changerait rien; toutes ces « raisons »
subsisteraient en lui, et formellement, mais vous n'aboutirez
cependant jamais à une distinction réelle, à une opposition,
à une pluralité de termes, loin de là; le résultat inévitable de
vos efforts dialectiques serait toujours celui-ci : « in Deo
intelligens, intelligere et intentio intellecta sive verbum,
sunt per essentiam unum » (1). Toute la difficulté pour nos
théologiens ne consiste-t-elle pas à faire subsister une
pluralité dans la simplicité, à faire comme éclater l'unité;
résistant ainsi à cette tendance incoercible vers l'un qui nous
étreint, dès là que nous abordons les régions du divin ?
Les auteurs font remarquer enfin, ad hominem, que les
démonstrations de la Trinité aboutissent soit à l'anthro
pomorphisme, soit à la multiplication de termes absolus,
soit tout au plus — nous l'avons déjà dit — à des conve
nances plus ou moins probables, plutôt moins que plus (2).
Loin de nous, certes, la prétention de mettre en doute
la valeur de ces arguments, excellents d'ailleurs. Il semble
cependant qu'on ne montre pas suffisamment quel est
leur fondement dernier, quelle, la raison foncière d'où ils
tirent leur efficace. Et cette lacune est cause que de telles
preuves prennent l'apparence de ces « rationes particulares »,
dont Thomas d'Aquin se débarrasse avec quelque impa
tience, lorsqu'il discute sur l'éternité du monde. L'esprit
n'est pas pleinement satisfait, faute de n'avoir point creusé
assez profond dans les sables jusqu'à rencontrer le roc
inébranlable de l'être (3). On combat le mal sans en attaquer
(1) Par exemple : ALEX HALES, Summa, tr. intr., q. 2, c. 3 (éd. Quaracchi, I,
p. 19); ALB. MAGN., 1.dist. 3,a. 18 (Vives, 25, p. 113); BONAVENTURA, 1, dist. 3, q. 4
(Quaracchi I, p. 75).
(2) /// Sent., d. 24, a. 2, q. 2; De Ver., q. 14, a. 9; /» P., q. a, a. 2, ad 1 ; //» //«e,
q. 1, a. 4-5, etc.
(3) III Sent., d. 24, a. 2, q. 2 : « Quod simpliciter humanum intellectum excedit ad
Deum pertinens nobis divinitus revelatum per se ad fidem pertinet; quod autem
excedit intellectum huius vel illius et non omnis hominis non per se, sed per accidens
ad fidem pertinet. » Cf. DENZ., n. 1816.
(4) Nos apologètes font remarquer souvent que le mystère nous entoure (élec
tricité, radium, ondes hertziennes, etc.); sans cesse nous nous heurtons à l'insoluble,
à l'insondable, nos recherches aboutissent à des points d'interrogation sans réponse.
Pourquoi dès lors refuser sa créance aux mystères de la Religion ? — Sans doute;
mais il y a cette nuance que les « mystères de la science », impénétrés et peut-être
impénétrables de fait, peuvent toujours être dévoilés en absolu. Tandis que les
• mystères de foi » non seulement sont impénétrés, mais par nature ne peuvent ni ne
doivent être compris. Il y a là toute la différence entre le relatif et l'absolu, l'incompris
et l'incompréhensible, les mystères de la philosophie et ceux de la théologie. Les con
fondre serait nier l'ordre strictement surnaturel; cf. SPINOZA, Lettre au néo-catholique
Albert Burgh (éd. Bruder, II, 353): « Desine, inquam, absurdos errores mysteria
appelare nee turpiter confunde illa quae nobis incognita vel nondum reperta sunt
cum iis quae absurda esse demonstrantur uti sunt huius ecclesiae horribilia
secreta quae, quo magis rectae rationi repugnant, eo ipso intellectum transcendere
credis. »
230 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
(1) Ceci est fort nettement marqué dans le texte suivant : « Scientia de intellectu
animae oportet uti ut principio ad omnia quae de substantiis separatis cognoscimus.
Non autem oportet quod si per scientiasspeculativaspossumusperveniread sciendum
de anima quid est, quod possimus ad sciendum quod quid est de substantiis separatis
per huiusmodi scientias pervenire nam intelligere nostrum... multum est remotum
ab intelligentia substantiae separatae. Potest tamen per hoc quod scitur de anima
nostra quid est perveniri ad sciendum aliquod genus remotum substantiarum separata-
rum... ». III C. G., c. 26.
(2) De Pot., q. 8, a. i, ad 12: « Licet ratio naturalis possit pervenire ad ostenden-
dum quod Deus sit intellectus, modtis tamen intelligendi non potest invenire suffi-
cienter. Sicut enim de Deo scire possumus quod est, sed non quid est, ita de Deo
scire possumus quod intelligit, sed non quomodo intelligit. Habere autem conceptionem
rerbi\n intelligendo pertinet ad modum intelligendi unde ratio haecsufficienterprobare
non potest... »
RAISON ET FOI 233
et ideo solo lumine naturali invertir i non possunt >. Sum. th., l. 3, 13, 3, ad obj. 3. —
« Ad dictum R. dicendum est, quod nihil prohibe! ad aliquod creditum rationes esse
necessarias sed illae divinae sunt et nobis ignotae, et ideo inquiri non possunt >
Sum. th.l. 3, 15, 3,zadobj.(GiLSON, op. cit., p. ici). Et à ce même «dictum Richardi.
S. TH. répliquait : « Omnia necessaria in seipsis sunt vel per se nota vel per alia
cognoscibUia : non tamen oportet quod ita sit quoad nos » Boet. 'l'un., q. i, a. 4, ad 7;
»/'., a. 2, c. : f divina sunt ex seipsis maxime cognoscibilia quamvis tecundum suum
non cognoscantur a nobis ->. Cf. MARIN-SOLA, op. cit., n. 516.
(1) BANEZ, In /"m P., q. 32, a. i.
(2) Boet. Trin., q. 2, a. i, ad 5. La distinction entre l'inclusion « quoad se » et
l'inclusion « quoad nos » brise donc l'anthropomorphisme, puisqu'elle maintient
l'indémonstrabilité des dogmes, tout en évitant le symbolisme, puisque, comme noua
le verrons, elle sauvegarde la cognoscibilité des mystères, par voie de révélation.
(3) Dogme et critique, p. 60 s.
(4) Ann. hl il- chrét., sept. 1909, pp. 599-622.
236 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
(1) Bien plus, Dieu est non seulement Etre, mais le Premier intelligible : entre lui
et notre intelligence il n'y a donc pas hétérogénéité absolue, comme entre le matériel
et le sensible, par exemple. /// C. G., c. 54: « Divina substantia non sic est extra
facultatem creati intellectus quasi aliquid omnino extraneum ab ipso sicut est sonus
a visu vel substantia materialis a sensu, nam divina substantia est primum intelli-
gibile et totius intellectualis cognitionis principium; sed est extra facultatem
intellectus creati sicut excedens virtutem ejus, sicut excellentia sensibilium sunt
extra facultatem sensus» .
(2) Qu'il nous suffise de rappeler les énoncés thomistes : a) objectum commune,
seu extensivum intellectus est ens in tota sua latitudine; b) objectum proprium et
immediatum, intellectus humani in presenti statu conjunctionis animae cum corpore
est quidditas materialis a conditionibus individuantibus abstracta. Cf. REMER, t. II,
p. 201; HUGON, t. IV, pp. 114 ss.; ZIGLIARA, Propaedeutica. 1. I, ch. V, n. 4; ch. VI,
n. 3; II, n. 4.
(3) /« P., q. 7, a. 7 : » Intellectus respicit suum objectum secundum communem
rationem entis eo quod intellectus possibilis est quo est omnia fieri >.
RAISON ET FOI 241
(1) C'est que les scolastiques nomment « capacitas obedientialis seu elevabilis ad
cognitionem realitatis quae excedit proprium nostri intellectus objectum, non vero
objectum ejus adaequatum ». GARRIGOU-LAGRANGE, De Revel., I, p. 376.
(2) Le donné révélé et la théologie1*, Paris, 1910, p. 121 ss.; Faculté du divin ou
faculté de l'êtreï (Rev. néo-scol., nov. 1910; : La structure analogique de l'intellect
(Rev. thom., janv. 1927). Cf. GARRIGOU-LAGRANGE, Le sens commun, la philosophie
de l'être et les formules dogmatiques, Paris, 1909; B. ALLO, Foj et systèmes, Paris, 1908;
DE GRANDMAISON, Le dogme chrétien, Paris, 1927.
Analogie. 16
242 CONNAISSANCE DES MYSTERES
(i) Faut-il expliquer encore une fois que, dans la réalité des choses, ces deux
analogies ne sont pas séparées ? Nos preuves de Dieu les emploient conjointement;
sans la proportionnalité, l'attribution n'aurait pas de valeur métaphysique.
244 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
mais ce n'est plus qu'un pis aller, ou, si l'on préfère, une
pierre d'attente, une amorce.
Donc, en théologie, l'analogie ne peut exercer ses
deux premières fonctions; elle-même, notons-le encore,
se récuse à remplir un rôle pour lequel elle n'est point
faite. L'échelle est brisée. Mais le Seigneur y supplée en sa
miséricorde : attraxi te miserons. D'un élan — plus d'ascen
sion pénible comme naguère — nous nous trouvons sur le
sommet de la montagne, et après avoir adoré la gloire
de la Trinité, nous nous retournons vers le monde à la
recherche des « vestiges » et des « images », à la recherche
surtout des « participations de la vie divine » (i). Voici les
deux rôles postérieurs de l'analogie. La pure raison est donc
muette, quand on lui demande si le Verbe et l'Amour
personnels existent en Dieu et y subsistent formellement.
C'est la foi qui doit fournir à l'intelligence la matière sur
laquelle celle-ci s'exercera. Mais ayant lu en saint Jean que
«le Verbe était en Dieu», et que «le Verbe était Dieu», je puis
raisonner à nouveau; l'analogie reprend ses droits. Elle éta
blira une proportion analogue à celle que tout à l'heure nous
rencontrions en théodicée: « le Verbe est à l'intelligence-
acte-pur ce que le concept est à l 'intelligence-potentielle ».
Comme l'autre, cette proportion est certaine, absolue — nous
le montrerons en détail plus avant — parce que la théologie
ne contredit pas les lois de l'être. Il s'ensuit que l'on peut
rigoureusement établir à priori toute une série de propo
sitions hypothétiques. On viendrait dire, par exemple, à un
aristotélicien, qui ignorerait la dogmatique et même le
catéchisme: dans la nature divine subsistent trois Personnes.
Si cela est vrai, répondrait-il, il faut conclure que ces
personnes ne différent pas par quelque chose d'absolu; le
contraire est impensable, donc impossible. De même si on
lui demande : est-ce concevable, une union personnelle entre
Dieu et un homme ?— Ce que je puis affirmer, répondrait-il,
c'est qu'en tout état de cause, cette union ne doit pas être
entendue comme une combinaison chimique, une molécule
divine s'unissant à une molécule humaine, pour former une
nouvelle substance. — De fait, le monophysisme est non
seulement hérétique, mais contradictoire, ce qui n'est point
vrai du nestorianisme.
(i) GARDEH., Le donné..., p. 139.
RAISON ET FOI 245
(1) ANSELM., De fide Trin., c. 2 (P. L., 180, col. 263): DENZINGER, n. 2120.
(2) DENZ., n. 1736 : c ratio fide illustrata... aliquam Deo dante mysteriorum
intelligentiam... consequitur tum ex eorum quae naturaliter cognoscit analogiam, etc».
Notons pourtant que le terme « analogia » n 'a pas dans ce contexte son sens technique,
mais son sens vulgaire.
(3) MARIN-SOLA, op. cit., chap. I et II.
(4) G. RABEAU, Introd. à l'étude de la théologie, Paris, 1926, p. 189.
RAISON ET FOI 247
(1) Et il doit bien en être ainsi j" par ce que la raison dispose de concepts transcen
dants, donc applicables, proportionnellement, au révélé; 2° parce qu'elle ne s'en sert
pas pour opérer des synthèses nouvelles, mais tout uniment pour analyser, c'est-à-dire
dénombrer le contenu des notions de foi, en continuité parfaite avec le donné révélé.
250 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
* *
(1) Cf. J. MARITAIN, Réflexions sur l'intelligence et sur sa vie propre, Paris, 1924,
chapitre III; J. TONQUÉDEC, Immanence, Paris, 1913, troisième partie.
(2) ZIGLIARA, Prop., I, c. IX, n. 4. « Posita univocatione, aut difficilius, aut verius
nul lu modo sustinetur objective existentia ordinis supernaturalis... ens enim univoce
acceptum est quasi genus... continens virtualiter differentias speciei; proindeque
intellectus, virtualitate ejus intellects, quae procul dubio intelligi absolute et objective
loquendo potest, intelligere aeque posset differentias... unde posita univocatione
entis, essentia Dei, sistendo in medio objective et vi huius medii, videri quidditative
posset ab intellecto creato per vires naturales. »
254 CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
CHAPITRE PREMIER
LA TRINITÉ
SOMMAIRE
I. — LA GÉNÉRATION DU VERBE.
Analogie. 17
258 LA TRINITÉ
I. — LA GÉNÉRATION DU VERBE.
1°. — La Procession.
« Respondeo : dicendum quod divina Scriptura in rebus
divinis, nominibus ad processionem pertinentibus utitur.
Hanc autem processionem diversi diversi mode accepe-
runt » (/* P., q. 27, a. 1). Dès la première phrase de son
traité de la Trinité,' saint Thomas d'Aquin nous indique
avec sa précision coutumière notre tâche. Ni démontrer le
mystère, ni même en fournir une explication évidente,
puisqu'il faut partir du donné révélé — divina Scriptura —
mais tout uniment déchiffrer le Livre sacré, déterminer la
signification des mots qui sont le véhicule de la révélation,
et, pour cela, non point entasser les textes comme les
critiques « positifs », mais les entendre, leur donner un
contenu doctrinal. Or, il se trouve que l'Ecriture emploie,
par rapport à la divinité, des termes qui dans la bouche des
hommes désignent une activité productrice — nominibus
ad processionem pertinentibus. — Changent-ils de sens
dans la bouche de l'Homme-Dieu ? Lorsqu'il nous dit :
« Moi, je procède du Père », et dix autres paroles aussi
mystérieuses, qu'entend-il exprimer ?
Question vitale pour toute âme religieuse — notre
croyance et la pratique ultérieure y sont suspendues —
à laquelle l'analogie essaie de répondre. Elle nous apprendra
non pas si Dieu a parlé, mais ce qu'il a voulu nous dire.
Que la Révélation ait un sens quelconque, cela est hors de
doute pour le croyant : si Dieu s'est manifesté, c'est pour
se faire comprendre; il ne s'est pas écarté de l'usage commun
au point de nous induire en une erreur totale. En revanche,
LA GÉNÉRATION DU VERBE 259
(1) Cf. IV C. G., c. 10 : « Quia a creaturarum natura hoc invenitur valde remotum
ut aliqua duo, supposito distinguantur et tamen eonnu sit una essentia, humana ratio
ex creaturarum proprietatibus procedens, multiplicem in hoc secreto divinae gene-
rationis patitur difficultatem. » Suivent 1l diff1cultés. Cf. IV C. G., c. 4 et /a P.,
q. 27, a. 1.
200 . LA TRINITÉ
(1) De Pot., q. 2, a. i : « Ipsa divina natura spiritualis est, unde per exempla spiri-
tualia melius manifestatur. »
(2) 111 C. G., c. 47 : « Quamvis hoc spéculum quod est mens humana, de propin-
quiori Dei similitudinem repraesentet quam inferiores creaturae, tamen cognitio Dei
quae ex mente humana accipi potest non excedit illud genus cognitionis quod ex
sensibilibus sumitur... unde née per hune viam cognosci Deus altiori modo potest
quam sicut causa cognoscitur per effectum. •
264 LA TRINITÉ
Analogie. 18
274 LA TRINITÉ
(1) C'est le titre d'un Opuscule tiré du Commentaire de saint Thomas sur la
prologue de saint Jean.
280 LA TRINITÉ
l. c.). Arriverons-nous à poser en Dieu, un verbe subsistant,
consubstantiel ? Image de notre âme, notre verbe n'est
cependant dit « conçu » que métaphoriquement (De rat.
fidei, c. 3; De Pot., q. 9, a. 5). Parviendrons-nous, en Dieu,
à établir le joint entre l'intellection et la génération ? Il nous
faut, une fois de plus, préciser à l'aide de nouvelles analogies,
nos analogies antérieures.
3°. — La Génération.
Notion analogique de la génération. — Quel est l'équi
valent divin de notre terme « génération » ? La question
est célèbre, envenimée qu'elle fut par les révoltants anthro-
pomorphismes des hérétiques (1). Aux sarcasmes des ariens,
s'ajoutèrent plus tard les protestations des mahomé-
tans (2), ainsi que le « Cantor Antiochenus » en informa
Thomas d'Aquin (3). Le Saint répondit : « Cum cumules
sint, non possunt nisi ea quae sunt carnis et sanguinis
cogitare... Deus autem non est carnalis naturae ut feminam
requirat cui commisceatur ad prolis generationem, sed est
spiritualis naturae... Est ergo accipienda generatio secun-
dum quod convenit intellectuali naturae » (4). Autrement
dit, quittons l'univocité pour l'analogie. La chose est
difficile (5) parce que nous sommes habitués à considérer
la production des choses naturelles (De Pot., q. 3, a. 13) qui
sont essentiellement imparfaites : la yéveinç opposée à la
«6opà implique en son concept générique une potentialité, un
(1) ATHAN., De Decreta Nicaenis, § n; Contra Ar. Orat. 1, f 15; GREG. Nvss.,
Cont. Eunom., 1. 2 et 4; DAMASC., /•'«/. orth., 1. 1, c. 8; cf. DE REGNON, Etud. pont.,
t. 3, p. 273; TIXERONT, Hn dogm., II8, pp. 24, 266. Cf. aussi les plaisanteries de
TYRRELL, Théologisme, p. 510 n., p. 518.
(2) KÔRAN : Sour. 19, v. 91;sour. 25, v. 4; sour. 43, v. 81; sour. 112, etc.; cf.
SCHARASTANI, Gesch. d. relig. u. phil. Sekten b. d. Arabern, Halle, 1850, I, 260;
KAUFMANN, Gesch. d. Attributenlekre i. d. jûd. Religionsph. d. Alittelalt., Gotha, 1877,
p. 38-52; p. 371, n. 13; FRANKL, Ein mu'tazilitischer Kalàm aus d. 10, Jakrh.,
Wien, 1872, p. 28; POCOCKE, Specim. hist. Arabum., Oxonii, 1806, p. 216.
(3) Opusc. 3, De Ration, fidri ad Car.torem Antiochenum, c. 1 : « Irrident enim
Saraceni, ut tu dicis, quod Christum Dei Filium dicimus, cum Deus uxorem non
habeat... »; c. 3 :*... derisibilem esse irrisionem qua nos irrident, quod ponimus
Christum Filium Dei vivi quasi Deus uxorem habuerit ». Cf. IV C. G., c. 10,
initio; De Pot., q. 3, a. 13, etc.
(4) Cf. In 7», n,., c. 1 : « Ideo non dixit * Filius > sed • Verbum » quod importat
intelligibilem processum ut non intelligatur materialem et passibilem generationem
..ll.nn fuisse. Ostendens ergo Filium ex Deo impassibiliter produci, destruit vitiosim
suspicionem per Verbi nuncupationem ».
(5) IV C. G., c. 10.
LA GÉNÉRATION 281
(1) Cette fusion des deux modes de procession est admirablement marquée
dans le commentaire sur saint Jean; « natvraliter seipsum intelligendo, concipit Verbum ».
288 LA TRINITÉ
« processio naturae » et la « processio intellectus »; la deu
xième réponse est tirée de la « similitude », comme dans la
« Somme », avec cette nuance qu'ici c'est la nature qui est
mise en avant et qui sert de point de comparaison — « sicut
n ai lira producit aliquid in similitudinem sui, ita intellectus
tam intra quam extra » — alors que dans la « Somme » la
comparaison est renversée.
Dans ces conditions, la question se pose de savoir
pourquoi chez saint Thomas, la théorie « psychologique » de
la première procession arrive à absorber la théorie « méta
physique » (i) : « Communicatio quae fit per modum intelli-
gibilem est etiam per modum naturae ut generatio dici
potest » (De Pot., q. 2, a. i). Banez écrit : « Asserere quod
Spiritus Sanctus non procedit per modum naturae habet
magnam aequivocationem. Nam si modus naturae accipiatur
ut condistinguitur contra modum liberum, falsissimum est
quod Spiritus Sanctus non procédât per modum naturae.
Est enim naturalissima eius processio, procedit enim ex
naturali inclinatione Dei ad seipsum, ut docet D. Thomas
infra q. 41, a. 7, ad 3. Si autem sit sensus quod Spiritus
Sanctus non procedit per modum naturae secundum quod
dicitur natura a nascendo, quasi nascitura, tune dicere quod
non procedit per modum naturae, et ideo processio eius
non est nativitas seu generatio, est quasi eiusdem per idem
causam reddere ». (cf. SUAREZ, de Trin., 1. i, c. 6, Lugduni,
1607, p. 396; 1. 6, c. 5, p. 569). Cette raison de Bariez n'est
pas dépourvue de valeur, loin de là, pourtant nous ne la
croyons pas décisive. Tout d'abord, les équivoques qu'il
signale peuvent être levées par d'opportunes distinctions (2).
Quant au reproche de tautologie, notons que le Saint-
Esprit est dit non-engendré, dans cette théorie, parce qu'il
procède par voie de volonté et non pas, précisément, parce
qu'il ne procède point par voie de nature. Mais la deuxième
Personne ? Ici, il est vrai, la tautologie ou le cercle sont
plus apparents, cependant on pourrait essayer de se tirer
d'affaire, en disant par exemple que la « processio per modum
(1) Le P. de Régnon a mis en circulation ces qualificatifs pour distinguer la
théorie d'Augustin de celle d'A. de Haies. Je dirai plus loin pourquoi l'opposition
me paraît malheureuse.
(2) V. g. naturaliter, libère; naturaliter, per modum naturae; voluntas ut voluntas,
voluntas ut natura, etc. Cf. De Pot., q. 2, a. 3; q. 3, a. 13; q. 9, a. g, ad 2, sed contra;
q. 10, a. 2, ad 4; /» P., q. 41, a. 2, ad 3, etc.
LA GÉNÉRATION 289
naturae » est moins une explication qu'une constatation :
la Révélation nous dit que la deuxième Personne, c'est le
Fils; nous concluons qu'elle procède par voie de nature
et nous tâchons d'analyser ce que cela implique.
Je crois plutôt que si saint Thomas a changé, c'est qu'il est
devenu, sur ce point, plus augustinien, j'entends par là qu'il
a creusé plus profondément la deuxième trinité du docteur
d'Hippone : memoria, intelligentia, voluntas. En la méditant,
il ne pouvait manquer d'apprécier ce que la théorie « psycho
logique » avait de génial. Il se sera dit que le contraste
« intellectus-voluntas » était plus homogène que l'antithèse
hybride « natura-voluntas », et qu'il fournissait surtout un
principe d'explication hors de pair. L'ayant adopté réso
lument, à mesure qu'il l'a creusé, il a retrouvé dans la
« processio per modum intellectus », tout ce à quoi il avait
semblé renoncer en abandonnant la « processio per modum
naturae »; enfin, il a vu que la notion analogique de génération
proportionnée à l'Esprit Suprême réclamait, ex propriis, la
procession « per modum intellectus » : « generatio in divinis est
intelligibilis verbi conceptio » (IV C. G., c. 13). Mais ceci
demande à être approfondi. v
Uanalogie insinue pourquoi la procession d'amour n'est pas
génération. — La deuxième procession est aussi immanente
que la première, son terme aussi consubstantiel que celui de
l'autre, l'Esprit ressemble à son principe tout autant que
le Fils au sien; pourquoi dès lors réserver le nom de « généra
tion » à la seule émanation par voie d'intelligence ? Problème
célèbre, qui, comme le note Banez, fit le tourment des Pères.
S'ils connaissaient l'analogie, ils n'avaient pas donné à cette
méthode toute la rigueur que réclame un procédé scienti
fique d'investigation; de là les hésitations du génie d'Au
gustin (i). Saint Thomas, au contraire, en possession de cette
(i) Les principaux endroits de saint AUGUSTIN sont, par ordre chronologique : De
fidf et symbolo, c. 9; De Trin., 1. v, c. 14; De Trin., 1. rx, c. 12; Tr. 99 in jfoan; De
Trin., 1. XV, c. 27; Contra Max., I, II, c. 14. Le Ier texte contient l'énoncé de la diffi
culté; le 2e apporte une distinction destinée à faire fortune : « Exiit (Sp. S.) non
quomodo natus sed quomodo datus »; le 4e donne une raison franchement
mauvaise : « Filius nullus est duorum nisi patris et matris. Absit autem ut inter
Deum Patrem et Deurn Filium aliquid taie suspicemur »; le 3e et le 5° indiquent
dans quelle direction il faut chercher la bonne réponse : elle est « psychologique ».
Seulement l'auteur présente des observations, soit inexactes, soit insuffisamment
poussées. Ainsi De Trin., 1. v, c. 14 : l'amour précède la connaissance, car il met en
Analogie. 19
2QO LA TRINITÉ
« clé pour entrer dans les lieux dont les portes sont
fermées » (1) ne semble point avoir eu trop de peine à ouvrir
ces portes, auxquelles tant d'autres avaient frappé en vain.
« De ratione enim filii, dit-il, est quod similitudinem patris
habeat in quacumque natura. Et similiter de ratione verbi
est quod sit similitudo ejus quod verbo exprimitur, cujus-
cumque sit verbum, sed non est de ratione spiritus vel
amoris, quod sit similitudo ejus cujus est in omnibus, sed
hoc in Spiritu Dei verificatur propter divinae essentiae
unitatem et simplicitatem, ex qua oportet quod quidquid
est in Deo sit Deus » (Cont. err. Graec., c. 10).
L'analogie monte, triomphante, au Capitole, car c'est
elle seule qui rend possible cette soudure parfaite entre les
concepts de génération et d'intellection. En effet, si nous
nous bornons à appliquer la notion générique de «procession»
à la deuxième et à la troisième Personne de la Trinité, aucun
motif n'apparaît pour que l'une soit dite Fils plutôt que
l'autre; de là, les perplexités des Saints Pères. Pareillement,
si nous prenons l'idée de génération, elle semble devoir
s'appliquer à l'Esprit tout aussi bien qu'au Verbe : même
origine vivante et même similitude, le terme d'une émanation
étant aussi consubstantiel que celui de l'autre. Au contraire,
si l'on fait appel à l'analogie tirée de la vie de la pensée, on
voit tout aussitôt que la notion analogique de verbe contient
un élément de similitude qui fait défaut à la notion analo
gique d'amour. Le Saint-Esprit est semblable au Père et au
Fils, certes, mais cela, non pas en tant que terme d'une
procession par voie de volonté (2), mais parce que terme d'une
procession divine (3); tandis que le Verbe ressemble au
Père, non seulement comme terme d'une procession divine,
mais, très précisément, par ce fait qu'il est le terme d'une
procession par voie d'intelligence. Or, la génération requiert
branle la pensée, etillasuit.car il se complaît en elle; or l'acte intellectuel étant déjà une
parturition, ce qui le précède ou le suit ne saurait prétendre à ce titre. — DeTrin.,\.vt,
c. 27: tout fils est l'image de son père, or l'amour n'est pas l'image du Verbe. Indi
cation précieuse mais inexploitée par Augustin. Enfin le dernier texte — pos
térieur de 12 ans au « De Trinitate » — n'exprime que le découragement en face de
l'obscurité du problème. Tout s'achève donc sur un aveu d'impuissance. — Dans la
théologie de la Trinité, ce point est peut-être celui sur lequel saint Thomas a le plus
dépassé son maître.
(1) MAÏMONIDE, Guide, I, Introd., p. 32.
(2) « Non ex hoc quod est amor habet quod sit similitudo amantis » De Pot., q. 9,
a. 9, ad 2.
(3) De Pot., q. 2, a. 4, ad 7; /« P., q. 35, a. a.
LA PROCESSION 29 1
Patrcm et Filium in Deo... ergo duo sunt quorum idem est esse divinum... ergo toto
seipso Pater est ad Filium... ergo subsistit ipsa Paternitas... semel lus datis (scilicet
processionibus) quaecumque sit absoluta indistinctio, negare nequit philosophas inde
sequi veri nominis relationem ...» (In tractât, de Deo Uno et Trino adnotationei,
Romae, 1915, pp. 77 ss.).
(1) De Pot., q. 2, a. 4; / Sent., d. 7, q. 2, a. 2, sol. 2. Cette seconde relation de
filiation en effet, ne se distinguerait en rien de la première. Et puis, une relation
constitutive de la personnalité est incommunicable. Cf. la belle dissertâtion de CAFREO-
LUS, I, d. 7, q. 2 (Paban-Pègues, I, 284-300.
(2) C'est dans ce sens que la considère le XV* Concile de Tolède, lorsque,
après avoir rappelé la théorie augustinienne, il ajoute : « Nos autem non secundum
hanc comparationem humanae mentis, née secundum relativumsed secundum essentiam
diximus » (MANS!, t. XII, p. 1 1). De même, saint Thomas dans son exposition de la
300 LA TRINITÉ
exemple, une comparaison à portée purement subjective :
une image facilitant l'intellection. Après l'intervention de
l'analyse métaphysique, c'est une analogie de proportion
nalité propre, pouvant atteindre formellement la réalité
divine.
La différence des points de vue est énorme, et c'est pour
ne pas avoir fait cette distinction que les auteurs minimisent la
portée de la spéculation et méconnaissent la valeur de
l'explication thomiste. Dans un traité de la Trinité, sauf
louables exceptions, on est sûr de trouver pêle-mêle une série
d'images du mystère : la source et le fleuve, le soleil et le
rayon, etc, et égarée parmi ces exemples, la « théorie psycho
logique » nous est présentée comme une « analogie-compa
raison », plus épurée, plus éclairante, et c'est tout (1). Mais
alors, il n'y a pas de doute que la théorie de saint Thomas soit
une simple comparaison, un exemple, une raison de con
venance tirée de notre expérience psychologique, et donc,
fortement teintée d'anthropomorphisme. A considérer|1es
choses sous ce biais, il faut accorder au P. de Régnon tout ce
qu'il demande (2).
Mais s'enfermer dans ce point'de vue, c'est faire preuve
d'un esprit bien superficiel, c'est ne voir de l'analogie que
ce qu'elle a de « matériel » et d'extérieur. Car, au fond,
nous n'avons pas affaire ici à une théorie « psychologique »,
mais à une doctrine métaphysique qui — grâce à l'analogie de
proportionnalité propre — échappe à tout reproche d'anthro
pomorphisme. Lorsque nous disons que Dieu est personnel,
qu'il a une intelligence et une volonté, sommes-nous donc
des anthropomorphites ? Pourtant, ces notions, c'est bien de
Ie Décrétale, après avoir rapporté l'exemple du soleil et de son rayon ajoute : « Potest
etaliud exemplum poni inanimahumanain qua verbum etc, sed hoc exemplum deficit
in duobus, primo quidem quia intellectus humanus non semper fuit, secundo quia
non semper verbum in corde suo actualiter concipit. » II est clair qu'il ne s'agit pas
de l'analogie métaphysique, mais d'un simple exemple.
(1) Ainsi, — mirabile dictu — M. DEBAISIEUX, dans un ouvrage pourtant consacré
à l'analogie (Cf. Analogie et symbolisme, pp. 285-286). — Le P. de Régnon ne connaît
point d'autre analogie que l'analogie-comparaison du vulgaire. Qu'il nous suffise de
citer ce passage (II, p. 219) : « Les explications rationnelles des processions divines
n'atteignent point la réalité même des choses. Elles ne fournissent que des compa
raisons, puisque, ne s'appuyant que sur des images, elles ne procèdent que par voie
d'analogie... » (sicl!)
(2) II faut accorder aussi que, très souvent, saint Augustin se meut à ce niveau ; il se
tient dans le concret, se délecte dans l'introspection, sans songer suffisamment i
assurer à ses analyses une valeur transcendante. La théorie, encore « psychologique >
avec Augustin, devient « métaphysique » avec saint Thomas. C'est la même doctrine,
mais transposée.
VALEUR DE L'ANALOGIE THOMISTE 301
notre expérience personnelle que nous les avons tirées ? De
quel droit les appliquer à Dieu ? — Du droit que nous
confère l'universalité, la transcendance de l'idée d'être (i) :
une fois établie la connexion entre l'être et les notions de
personne, d'intelligence, de volonté, nous pouvons en toute
sécurité, les appliquer à Dieu : nous évitons l'anthro
pomorphisme, parce que, en passant par l'être, nous quittons
l'univocité pour l'analogie. Il en va de même de la théorie
trinitaire. La méthode n'est psychologique que par ses
origines (au reste, si l'aristotélisme ne se meut pas dans les
nuages, c'est parce que ses spéculations reposent toujours sur
une base empirique). Ici, nous ne faisons qu'appliquer la
règle universelle, nous ne transposons pas en Dieu notre
psychisme; nous avons soin d'épurer nos notions, de les faire
passer par l'être transcendant, en sorte que ce que nous
posons en Dieu, ce n'est pas plus le verbe humain que le
verbe angélique, c'est la notion analogique de verbe comme
tel.
De même que nous ne disons pas : « voici en moi l'intel
ligence, donc elle existe en Dieu », mais constatant que c'est
une perfection « pure » accompagnant l'être dès qu'il monte
à un certain degré d'immatérialité, nous affirmons : « Dieu
est au sommet de tout, par conséquent il pense à sa manière »;
— de même ici, nous ne raisonnons pas de cette manière
simpliste : « mon intelligence produit un concept, donc l'intel
ligence divine en engendre un », mais sachant par la foi qu'il
est en Dieu des processions immanentes et que l'une d'elles
aboutit à un verbejè proportionne ces processions et ce verbe
à l'être qui est au sommet des intelligences.
Le procédé n'est pas psychologique — décalque de Dieu
sur les opérations de l'âme humaine — mais métaphysique,—
voire ontologique (2). On évite l'anthropomorphisme parce
qu'on brise l'univocité, parce qu'on ne compare pas directe
ment Dieu à la créature : on proportionne à l'être par essence
des notions analogiques. S'il en est ainsi, la prétention n'est
pas chimérique de vouloir que l'analogie trinitaire exprime
formellement la réalité divine. — Qu'il n'y ait point là une
(1) Et c'est pourquoi les modernes, n'admettant pas la valeur de l'idée d'être,
accusent d'anthropomorphisme, la théodicée traditionnelle.
(2) On voit combien est superficielle l'opposition établie par DE RÉGNON (v. g.
II, p. 277) entre la théorie « psychologique » augustino-thomiste, et les théories
«métaphysiques» des Grecs et... du Victoria (sic!)
302 LA TRINITÉ
(1) Tel est également l'avis très ferme de saint Augustin. Cf. M. SCHMAUS, Dit
psychologische Trinitâtslehre des M. Augustinus, Munster, 1927, p. 413.
(2) On nous oppose, il est vrai, le fameux texte (/» P., q. 32, a. 1, ad 2) dans lequel
saint Thomas aurait remis sa théorie à sa vraie place : pure « raison de convenance
philosophique » (de Régnon). Erreur totale d'interprétation. Comme nous l'avons
montré au chapitre précédent, il s'agit, dans ce passage, non d'explications analogiques,
mais de démonstrations de l'existence du mystère. C'est S.Anselme, c'est R. de saint Victor
qui sont visés. Saint Thomas soutient que leurs « preuves » ne sont que raisons de
convenance :« Trinitate posita congruunt huiusmodi rationes »; et l'analogie psycholo
gique n,aur«it pas plus de valeur, si elle prétendait démontrer qu'il existe en Dieu une
procession intellectuelle et une procession volitive. Mais, simple «convenance» dans ce
cas, elle peut au contraire atteindre des certitudes, lorsqu'elle veut expliquer la nature
des processions, une fois leur existence connue par la foi. Il n'y a là aucun tour de
passe-passe. N'avons-nous pas maintenu constamment qu'une analogie de propor
tionnalité propre ne peut jamais, comme telle, prouver une existence (quod sit), son
seul rôle étant d'explorer une nature (quomodo sit)?
Nous ne faisons qu'appliquer cette doctrine à la Théologie de la Trinité. La
foi fournit la majeure; l'analogie, la mineure; la conclusion ne sera pas pure probabilité
mais certitude théologique.
(3) Précisément S. Thomas fait consister la différence entre l'image et le « vestige »,
en ceci que le « vestige » représente la seule causalité de l'agent et non sa forme, tandis
que 1' « image » représente la cause « quantum ad similitudinem formae ejus ». /» P.,
q. 45, a. 7. De même,7a P., q. 93, a. 6 : « In creatura rationali in qua invenitur processio
verbi secundum intellectum et processio amoris secundum voluntatem potest dici
imago Trinitatis increatae per quamdam representationem speciei. In «liis autem
creaturis non invenitur principium verbi... Sed apparet in eis quoddam vestigium... •
VALEUR DE L'ANALOGIE THOMISTE 303
(1) Pour saint Thomas, nous l'avons vu, la « processio per modum naturae » se
ramène à la « processio per modum intellectus «; c'est pourquoi il n'admet que deux
émanations possibles.
(2) « Alia attributa non habent operationem intrinsecam secundum quam possit
attendi processio divinae personae sicut intellectus et voluntas. » De Pot., q. 9, a. 9,
ad 19; Cf. / Sent., d. 10, a. 5, ad 4.
Analogie. 20
306 LA TRINITÉ
(1) Faute d'avoir fait cette distinction, le P. de Régnon découvre dans le thomisme
des difficultés imaginaires. Ainsi d'après lui, la « théorie psychologique » n'arrive pas
à rendre compte de la distinction des personnes, puisqu'elle veut faire jaillir des
réalités distinctes, au moyen d'opérations qui ne se distinguent pas de la nature. —
Le R. P. semble s'imaginer que saint Thomas veut passer du Traité de Dieu à celui de
la Trinité, à l'aide de l'analogie. Dans ce cas la difficulté serait insurmontable. Mais en
réalité l'analogie ne prétend pas et ne peut prétendre (sous peine de se détruire)
effectuer ce passage : c'est le rôle de la foi; l'analogie se borne à éclairer la prémisse
révélée. Tout ceci est fort bien marqué par saint Thomas dès les premières lignes de son
Traité de la Trinité, — dans la Somme : « divina Scriptura in rebus divinis, nomini-
nibus ad processionem pertinentibus utitur »; voilà la transition effectuée — par la
révélation — entre la nature et les personnes : c'est le mystère; l'analogie ne vient
qu,après, pour nous faire comprendre : • ea quae de Deo dicuntur non sunt
intelligenda » etc. C'est pourquoi S. Thomas qui reconnaît explicitement que « diversi-
tas rationis attributorum non sufficit ad distinctionem realem processionum » (/ Sent.,
d. 28, q. 2, a. 3; cf. De Pot., q. 9, a. 4, ad 15; q. 10, a. 2;IV C. G., c. 24) maintient
néanmoins que « si processio verbi et amoris non sufficit ad distinctionem personalem
insinuandam, nulla poterit esse personalis distinctio in divinis. » (De Pot., q. 9, a. 9,
ad 7; cf. ib., ad 3, sed c., et /a P., q. 27, a. 3, ad 3). Ces textes ne s'opposent pas :
le premier marque la stérilité de l'analogie comme preuve de l' « an sit »; le second sa
valeur souveraine comme théorie du « quomodo sit ». Notons enfin que le P. de Régnon
après avoir exalté la prétendue supériorité de la théologie grecque sur le doctrine
augustino-thomiste est obligé de convenir que, pour les Grecs, les processions étant
inscrutables, il devenait inutile de scruter leur nature (op. cit., III, p. 413). N'est-ce pas
avouer qu'ils refusaient simplement de poser le problème qu'Augustin tente de
résoudre ?
310 LA TRINITÉ
(1) II ne sert de rien d'interpréter Logos comme « parole », car la parole de Dieu
est une métaphore qui n'a de sens que dans l'ordre intellectuel. Ainsi dans l'A. T.
cette parole était conçue « comme une pensée sortie de Dieu en forme de comman
dement. » (LAGRANGE, p. 3.)— LeP. DE RÉGNON (III, p. 432) soutient que le Fils est dit
parole, parce qu'il manifeste le Père — mais ici i le Logos est avec Dieu, est Dieu,
sans aucune allusion aux rapports de Dieu avec ses créatures. Il reste donc que c'est
une parole immanente * (LAGRANGE, l. <•.). Qu'est une parole immanente, sinon une
réalité d'ordre intellectuel ? La parole est-elle autre chose que l'expression d'une
Idée ? (/a P., q. 34, a. 1, ad 1). Cf. l'excellente discussion de VAN DER MEERSCH, De Deo
Uno et Trino, Brugis, 1917, n. 700.
LES RELATIONS SUBSISTANTES 31 1
(1) Cf. TANQUEREY, Synopsis, I14, p. 378; VAN DER MEERSCH, p. 523.
312 LA TRINITÉ
(1) Relationes - realiter quidem sunt ipsa divina essentia, sed secundum rationem
non; et quia salvantur in divinis secundum rationem generis, ideo retinent specialem
modum, qui debetur ipsi generi et non speciei; alia vero ut bonitas;.et sapientia,
quamvis secundum rationem ab essentia differant, quia tamen ratio generis quam
consequitur modus praedicandi in divinis non salvatur, ideo secundum modum prae-
dicandi a substantia non differunt, sed substantialiter praedicantur »I Sent., d. 22,exp.
text. Il y a bien similitude au sein d'une dissemblance; sans doute cette diversité
n'est pas radicale, mais aussi bien sommes-nous au sein de la simplicité essentielle
320 LA TRINITÉ
Analogie. 81
322 LA TRINITÉ
(1) DENZINGER, n 1665; GARRIGOU-LAGRANGE, Le sera commun, etc., pp. 122 ss.
(2) Et il n'y aurait aucun danger de confusion, si l'on ne disait pas « personnalité >
tout court, mais « personnalité psychologique » ou « personnalité métaphysique >.
QUID TRES? 327
avons l'introspection, la connaissance par le dedans; elle
nous livrera le moi empirique, la personnalité psycholo
gique. L'analyse métaphysique, entrant alors en jeu, éla
borera, à partir des données d'expérience, le concept de
personnalité ontologique que nous pourrons enfin transposer
analogiquement en Dieu.
Or, à ce simple exposé de méthode à suivre, ne voit-on
pas s'évanouir le conflit qui opposait, il y a un instant,
psychologues et philosophes ? La querelle est ridicule, parce
que sans objet, la même réalité n'étant pas en cause. On
s'est laissé égarer par une similitude de nom, mais en vérité,
ici et là, non seulement les méthodes diffèrent, mais le but
même de la recherche. La psychologie a pour seule ambi
tion de construire une de ces théories grâce auxquelles,
« possunt salvari apparentia sensibilia » (/a P., q. 32, a. i,
ad 2); le philosophe se place d'emblée sur le terrain de
l'être, des racines dernières des choses. Ce sont là deux
ordres d'études, deux doctrines, dont il ne faut pas dire
que l'une est bonne et l'autre mauvaise, mais qui doivent
coexister et le peuvent fort bien, pourvu que l'une ne se
livre point à des incursions sur le terrain de sa voisine;
ainsi, la physique ne supprime aucunement la cosmologie.
De même, en cette question de la personnalité, psychologues
et métaphysiciens ont, les uns et les autres, raison, parce que
les uns et les autres ne sont pas à la recherche de la même
réalité. L'étude psychologique cherchant à rendre compte
des « apparentia sensibilia » atteindra une personnalité
soumise à l'expérience et à toutes les vicissitudes des choses
empiriques : elle naîtra, se développera, s'altérera et se
désagrégera. La personnalité métaphysique en revanche,
étant une entité métempirique, transcendante, quoique très
réelle, est du ressort de la raison et échappe aux variations
contingentes. C'est à fort bon droit que l'on fait la psycho
logie de notre moi, mais cela n'empêche en aucune façon
le philosophe d'aller plus loin et de chercher le réel profond
par delà les phénomènes. Les deux recherches ne s'entre-
détruisent pas, mais se superposent. Complémentaires,
pourquoi les opposer ? Il faut, au contraire, les fondre en une
synthèse toujours plus adaptée aux exigences du réel comme
à celles de la pensée. Il est plaisant de voir les psychologues
railler la théologie, comme s'ils y comprenaient quelque
328 LA TRINITÉ
chose; mais il est non moins plaisant de voir les théologiens
réfuter les psychologues qui osent parler de « brisure » du
moi, — alors qu'une substance spirituelle est indivisible —
comme s'il s'agissait de substance et non pas d'états empi
riques! En réalité, la personnalité psychologique relève
de l'activité du « sensus communis » des anciens; elle n'est
pas d'ordre ontologique. Visiblement, les adversaires ne
parlent pas la même langue.
Comment donc procéder, pour éviter ces lamentables
confusions ? — De même que saint Thomas, pour ne pas
poursuivre des fictions, part très souvent d'un fait d'expé
rience — « certum est et sensu constat », — pour s'élever
ensuite jusqu'aux spéculations les plus éthérées, de même,
en cette matière, prenons notre point d'appui sur quelques
constatations empiriques, pour nous hausser par l'abstraction
jusqu'à la sphère de la métaphysique (i).
Qu'est-ce donc que la personnalité psychologique ?
Sans refaire ici des analyses mille fois tentées, — et avec
quelle finesse! — surtout depuis Maine de Biran, bornons-
nous à quelques constatations fondamentales. La genèse
de notre moi psychique, peut, en gros, se ramener à trois
stades : indifférenciation primitive, intériorisation progres
sive du moi organique ou physique, et enfin, du moi
psychologique.
« Les psychologues qui ont étudié l'enfance savent bien
que notre représentation commence par être impersonnelle.
C'est peu à peu, à force d'inductions, qu'elle adopte notre
corps pour centre et devient notre représentation » (2).
Perdu dans le torrent des sensations et des images, le petit
être qui se distingue à peine des choses, qui veut manger son
pied et attraper la lune, peu à peu se replie sur soi. Au
milieu de cette indifférenciation sensible, voici que se des
sinent des « centres de perception », autour desquels les
expériences de plus en plus nombreuses viennent s'orga-
(1) Au reste, saint Thomas lui-même nous y invite : la personnalité est la forme la
plus haute de l'individualité, or, le saint Docteur n'insiste-t-il point sur la « materia
signata quantitatc », sur les « hae carnes, haecossa » ? (De Pot., q. 9, a. i, ad 6; I* P.,
q. 29, a. 2, ad 3) comme base de l'individualité ?
(2) BERGSON, Matière et Mémoire, ch. I, p. 36. Ce premier ch. abonde en vues
d'une subtilité aiguisée sur nos origines psychologiques. Dommage que la métaphy
sique n'en soit point aussi pertinente ! — Les observations des psychologues sur la
« psyché » enfantine, ont été bien résumées par J. DE LA VAISSIÈRE, Psychologie
pédagogique, Paris, 1916, (irc partie).
QUID TRES? 329
niser, et petit à petit l'enfant émerge du chaos. Progressi
vement, dans ce brouillard kaléidoscopique, les sens décou
pent le moi; mais le moi, c'est tout d'abord le corps, que le
toucher et la vue isolent du reste du monde où il paraît
occuper une place privilégiée, — puisqu'au moindre
changement de ce centre, tout le reste est bouleversé, il
suffit de fermer les yeux, pour que s'abolisse l'univers —
tandis que le corps représente quelque chose d'un et de
permanent : unité organique, sens vital. Et puis, ces sen
sations agréables ou pénibles qui naissent au contact des
choses : ceci fait mal toujours, cela parfois, en revanche
telles autres expériences sont toujours délectables. La notion
du non-moi se forme; l'enfant s'apparaît comme un individu,
je veux dire, comme une réalité indivise en soi et distincte
de tout le reste; il est un centre d'attribution et un être
indépendant.
Mais voici que l'on commence à percevoir, non plus
seulement des rapports entre le corps et ce qui n'est pas lui,
c'est au dedans même du corps que certains phénomènes
se déroulent. Non seulement la conscience organique
apparaît comme un élément distinct, mais encore tous les
faits de connaissance qui se passent en nous à propos des
objets extérieurs, révèlent un monde existant à l'intime
du sujet. Peu à peu, s'ébauche la personnalité psychique;
les sensations perçues de façon répétée portent toutes une
marque commune, ce signe en vertu duquel je les connais
comme miennes. Dans ma vision, dans ma douleur, dans mon
vouloir, dans ma pensée, toujours, à côté du caractère spéci
fique, apparaît l'aspect générique par lequel les phénomènes
se relient les uns aux autres, se rapportent au même centre, —
mot, — et me donnent ce sentiment de continuité de ma
vie psychique, de son indépendance aussi : elle est mienne
et je suis maître de moi. Or, les notes différentielles s'éli
minent, les semblables, se réunissant en faisceau, se con
fondent; et ainsi les expériences cristallisées dans leur aspect
subjectif, omniprésent, forment le noyau de notre person
nalité empirique. Qu'à la suite de quelque trouble organique
cette synthèse d'éléments subjectifs ne se fasse plus, et voici
que les faits psychiques ne sont pas rapportés au moi, le
sujet a l'impression que ce corps n'est plus à lui, que ce
n'est pas lui qui agit ou qui sent; la conscience de son
330 LA TRINITÉ
Analogie. '-'-
338 LA TRINITÉ
de son sens, — les honneurs divins (De Trin., l. VII, c.4 etô).
Mais à quel prix, et est-ce là une évolution ou bien plutôt
une succession de créations et d'annihilations ? Avant d'en
venir à une telle extrémité, il faudrait examiner si cette
équivocité n'est pas, en réalité, de l'univocité latente. Et de
vrai, un examen plus averti persuade que l'objectant,
oublieux de l'intermédiaire qu'est la notion analogique de
« personnalité comme telle », concluait instantanément d'une
réalisation particulière à une autre, allant en droite ligne
de la personnalité humaine à la personnalité divine, ce qui
constitue le même péché d'univocité que nous avons décelé
chez Le Roy et Tyrrell, péché dont il suffit de prendre
conscience pour se délivrer. On oublie toujours que la
notion commune ne doit pas se réaliser de la même manière
dans chaque analogué; au contraire, une variété profonde
de modalités est essentiellement requise : « ratio simpliciter
diversa, secundum quid eadem » (1). Pour que dans notre
cas l'analogie subsiste, il faut donc qu'au milieu d'une
diversité radicale se maintienne un minimum d'unité (pro
portionnelle) de signification. Ce minimum (2) ici, c'est la
substantialité et l'incommunicabilité : pourvu que ces deux
notions se vérifient dans une nature intellectuelle, il y aura
personnalité. Peu importe le mode — humain, angélique
divin — de réalisation (3). Cela, c'est de l'accidentel (4); la
perfection formelle n'est pas brisée, l'analogie persiste (5).
Au contraire, si «.personne» dans la Trinité signifiait relation
tout court, alors, plus rien de commun, sauf le nom; aussi
L'IDÉE DE CRÉATION
SOMMAIRE
I. — L'ANTHROPOMORPHISME.
Ses diverses formes; les Anciens; la querelle médiévale sur la nouveauté
du monde; erreurs sur la nature, le mode, le moment de la création.
II. — LE SYMBOLISME.
I. — L'ANTHROPOMORPHISME.
* *
II. — LE SYMBOLISME.
(1) Evol. Cr., p. 269. — Renouvier a rompu maintes lances en faveur de la création,
mais il fut égaré par son « finitistne » et il mêla constamment au problème des consi
dérations de durée qui ne sont pas pertinentes.
(2) W. HAMILTON, Fragments de phil., Paris, 1840; H. L. MANSEL, The limits of
religions thought, London, 1858; H. SPENCER, Premiers principes, Paris, 1871, p. 31 sa.
352 L'IDÉE DE CRÉATION
idée destructrice d'elle-même (p. 53). La création ne peut
donc s'entendre que comme le changement de ce qui est
déjà, comme l'évolution de la divinité.
Enfin une production « ex nihilo » ne peut pas davantage
se soutenir si l'on considère l'acte créateur en lui-même. Un
premier phénomène est impossible; comme il ne serait
précédé par rien de temporel, il serait simultanément le
support de deux relations : l'une, à quelque chose d'en
dehors du temps, l'autre, à un phénomène n° 2 posé dans le
temps, ce qui est inintelligible (p. 59).
Quelle est donc la solution symboliste du problème ? —
Toujours un appel à l'équivocité. Kant résolvait les antino
mies qu'il avait imaginées, en distinguant le phénomène de la
chose en soi : la thèse est vraie de celle-ci, l'antithèse, de
celui-là; la contradiction s'évanouit. Ainsi on ne sait si la
liberté existe, mais on doit y croire; de même le théisme
manque de fondement métaphysique, cependant il faut
l'admettre à cause des nécessités morales (i). Et c'est pour
quoi Kant se vantait d'avoir supprimé le savoir pour faire
place à la croyance.
Ce même divorce fut sanctionné par les théologiens
postérieurs, soit fidéistes (Schleiermacher), soit libéraux
(Ritschl), soit modernistes (Sabatier). Mansel, par exemple,
après avoir accumulé les difficultés contre la doctrine de
la création, ne tomba ni dans l'athéisme ni dans le panthéisme:
bien mieux, il considérait ces erreurs comme aussi contra
dictoires que le créationisme. Les difficultés où se débat la
théologie ne prouvent nullement, à ses yeux, que les réalités
de la foi soient inexistantes, elles signifient simplement que
l'analyse métaphysique ne peut être appliquée à ces vérités
(op. cit., p. 89-95). Voilà bien les « limites de la pensée
religieuse »! Il faut séparer soigneusement Raison et Foi
(ib., p. 145-146). Quoique nous ne puissions démontrer
l'existence de Dieu (p. 103), cependant nous savons comme
intuitivement qu'il est, le sens de dépendance que nous
trouvons en nous impliquant l'existence d'un Supérieur,
et le sentiment d'obligation morale exigeant un Législateur
(i) On a relevé avec raison quelques ressemblances (parmi beaucoupdedifférences)
entre ce symbolisme et l'attitude averroïste, cf. G. MICHELET, Dieu et l'agnosticisme
contemporain, pp. 387 ss.; GILSON, Et. phil. méd. pp. 51-76 : La doctrine de la double
vérité.
1
TRIPLE ANALOGIE 353
Analogie. 28
354 L'IDÉE DE CRÉATION
(1) Parmi les néo-thomistes, le P. SERTILLANGES s'est distingué plus que tout
autre, en notre matière, par la chasse impitoyable et fructueuse qu'il a faite aux
anthropomorphismes. Cf. La preuve de l'existence de Dieu et l'éternité du monde (Rev.
Thom., 1897-1898); L'idée de création chez 6". Th. d'A. (Rev. sc. phil. théol., 1907);
saint Thomas d'Aquin, Paris, 1910, t. I, 1. 3, ch. 1; L'idée de création (Annales de l'Inst.
tup. de Phil., Louvain, 1920); La Création (trad. annotée de I" P., q. 44-49), Paris,
1927; Lu Création (Rev. Thom., 1928); Les grandes thèses de la philosophie thomiste,
Paris, 1928, ch. 4.
356 L'IDÉE DE CRÉATION
(i) « Quae enim proport io particularis causaë ad suos effectus, eadem est proportio
universalis causaë ad omnia » (Div. Nom., c. 5, 1. i, in f., Vives, p. 503; cf. ib., \. 2,
TRIPLE ANALOGIE 357
Dans le créé nous nous mouvons toujours parmi les
déterminations de l'être, l'action aboutissant à tel être (alté
ration) ou à cet être (mutation substantielle), en partant
d'un non-être relatif (non-esse tale vel hoc; cf. De Pot.,q.^,
a. 1). Dépassant toute particularisation, l'intelligence en
arrive, quoiqu'en aient les anthropomorphites, à consi
dérer l'émanation de tout l'être, par rapport à la cause
universelle (/a P., q. 45, a. 1). De sorte que la création,
tout en aboutissant, de fait, à un être particulier — le monde
— néanmoins le réalise, non point en tant que tel être,
mais en tant qu'être : son aboutissement est bien l'être comme
tel, et c'est pourquoi la production de la créature même, la
plus infime, requiert la souveraine Puissance de Dieu (1).
Grâce à ces considérations, la deuxième proportion (action
créatrice) se trouve tout éclairée : pour aboutir à un terme
qui est l'être comme tel, l'action ne peut se borner à façonner
un matière amorphe; elle doit se passer de point d'appli
cation et donc de mouvement, de devenir (non est motus
nec mutatio, // C. G., c. 17; /a P., q. 45, a. 3; / Sent., d. 7,
q. 1, a. 1, ad 3).
Complétant cette analogie, nous montrerons tantôt
qu'il n'y a pas, à proprement parler, d'action créatrice; il
suffit pour rendre compte, de l'émanation première, de la
nature divine reliée par une relation de raison, à l'univers
(// C. G., c. n; 7a P., q. 45, a. 2, ad 2; De Pot., q. 3, a. 3).
La proportion concernant l'agent créateur s'établit
facilement :
cause particulière-potentielle cause universelle-acte pur
son effet, son action son effet, son action.
Là où la nécessité s'exerce sur une matière prérequise,
elle s'en trouve naturellement bornée, contractée, de sorte
qu'elle ne peut que faire exister telle nature, en tel individu.
L'action qui devrait s'appuyer sur une matière ou un sujet
préexistant, serait déterminée. Particularisée, elle ne serait
(1) Sur la participation, cf. IaP., q. 4, a. 3 et In Div. Nom., passim (v. g., c. 2,
1. 6; c. 4, 1. 3; c. 5, 1. i, c. n; 1. 4, etc.);£W., 2, a. 3, etc.
(2) Cf. Div. Nom.,c. 2, 1. 3 (Vives p. 406); 1. 6 (p. 418); c. 4, 1. 3 (p-434); De Pot.,
q. 2, a. 5, ad 6; a. 6, ad 3; q. 3, a. 4, ad ç;/ Sent., d. 7, q.i, 3.3; d. 29, q. i, a. 2; —
cf. PINARD, (art. Création, Dict. th., t. 3, col. 2099 et col. 2132). — L'assimilation
de l'absolu transcendant à la créature, éclate en ces lignes de COUSIN : «... La Création.
Ici n'abandonnons pas la méthode que nous avons toujours suivie, qui emprunte à la
conscience humaine ce que, plus tard, par une induction supérieure, elle appliquera
à l'essence divine. Créer est une chose qui n'est pas difficile à concevoir, car c'est
une chose que nous faisons à toutes les minutes; en effet, nous créons toutes les fois
que nous produisons un acte libre... La création est de même nature. » (Intr. à la
Philosophie, 4" éd., pp. 101-102). BERGSON admet le même anthropomorphisme
psychologique. (Kvol. Cr. p. 270).
TRIPLE ANALOGIE 361
(1) Se rappeler que les « quinque viae > nous conduisent à un moteur non mû, à
une cause non-causée etc., c'est-à-dire à un être radicalement divers du nôtre.
(2) Premiers principes, §. n.
(3) « Potentia divina nullo modo passiva est nec etiam vere activa, sed superactiva;
•ctio enim eius non est per modum motus sed per modum operationis... et ideo non
requirit materiam in quam agat, quod non potest esse in actione quae est eu m motu,
et ideo non oportet quod creatio sit ex materia... agens naturale est causa motus, sed
agens divin um est dans esse totum • III Sent., d. 7, q. 1, a. I, ad 3.
364 L'IDÉE DE CRÉATION
témoignent, lorsqu'on veut les étendre à la métaphysique,
d'une radicale impuissance d'abstraction (i). On n'arrive pas
à faire, dans l'activité causale, la dissociation entre ce qui lui
est essentiel et ce qui lui est accidentel, entre telle causalité,
et la causalité pure, simple action réalisatrice; on ne réussit
pas à ne plus considérer uniquement l'origine de tel être,
pour s'élever jusqu'à l'origine de l'être en tant qu'être (2).
Bref, on ne chemine point par l'étroite voie de rémotion,
qui aboutit à l'analogie (3). Au contraire, pour quiconque
sait épurer suffisamment ses idées, la notion de création
n'apparaît pas comme contradictoire; elle s'impose même
à qui a assez d'envergure d'esprit pour ne pas s'hypnotiser
sur les productions partielles, pour monter jusqu'au plan
ontologique, pour étudier : « causam rerum non solum
secundum quod sunt talia, sed secundum quod sunt entia »
(/* P., q. 44,3.2). Dans cette perspective, toute autre produc
tion qu'une production « ex nihilo sui et subiecti » apparaît
comme impensable : si l'on considère l'émanation de l'être en
sa totalité par rapport au principe universel, il devient impos
sible que quoi que ce soit (matière, temps, phénomène
antérieur) se présuppose à cette émanation, car en dehors de
l'être rien n'existe (/' P., q. 45, a. i; // C. G., c. 21).
(i) Peut-on dire que S. Thomas fut, sur ce point, précurseur de Kant ? — A peine,
et la similitude est purement accidentelle. L'attitude du S. Docteur est négative :
on ne peut démontrer ni l'éternité du monde ni sa nouveauté, on n'apporte que des
probabilités. Kant est affirmatif : la raison aboutit, non pas à des probabilités, mais
à une contradiction manifeste. S. Thomas dit que la question est philosophiquement
insoluble, parce qu'elle est « physique > et non < métaphysique *; Kant enseigne que
l'antinomie tient à la nature même de la « raison pure », et il en infère la ruine du
dogmatisme. Une abîme sépare donc les deux penseurs.
366 L'IDÉE DE CRÉATION
(1) Cf.Dfi MuNNYNCK, /..' commencement du monde, (Div. Thomas, Fribourg, 1926).
f -) Anmerkung sur ersten Antinomie, sur Antithesis.
TRIPLE ANALOGIE 369
Analogie. 24
370 L'IDÉE DE CRÉATION
maximum de perfection : effet total, issu du néant, en relation
réelle avec sa cause (1).
Dans la deuxième proportion — tirée de l'action —
nous avons déjà supprimé le devenir et la limitation. Que
reste-t-il d'analogiquement commun ? Rien, pourrait-on
dire, puisque d'une part, en tant que changement, succession,
l'action a été éliminée (il ne faut point la concevoir comme
un fil unissant le créateur et la créature, tel le mouvement qui
court d'un terme à l'autre; De Pot., q. 3,a. 3); d'autre part,
en tant que perfection, elle se confond avec cette activité
suprême qui se nomme nature divine (/a P., q. 45, a. 3, ad 1;
De Pot., q. 3, a. 3, ad 2). Impossible de distinguer un Attribut
spécial qui corresponde à la production de l'être (2). Je
sais bien que nous parlons du «Créateur», mais c'est qu'alors
nous intervertissons la relation qui nous relie à la Source
suprême, pour mettre celle-ci en rapport avec le monde :
relation de raison qui ne pose rien en Dieu. Et ceci nous
amène à parler de notre première proportion, celle qui
considère le principe actif. Dans le créé on trouve : 1° un
agent particulier, 2° passant de l'inertie à l'activité, 3° en
relation réelle avec son effet. Proportionnées à l'être par
essence, ces notes se transforment ainsi : 1° agent universel,
2° toujours en acte, 3° sans relation réelle à l'effet.
Le premier point ne souffre pas de difficulté pour celui
qui a conquis une idée assez épurée de la causalité. Réaliser,
donner l'être, cela n'implique point, de soi, une limitation
du principe actif. En revanche, les symbolistes ne par
viennent pas à concevoir comment l'Immuable peut agir
au dehors sans changer, comment l'Absolu peut causer
sans devenir un relatif; aussi devrons-nous consacrer la
fin de notre chapitre à l'examen de ces deux problèmes.
Dans l'ordre moral, nous comprenons fort bien qu'un
effet puisse arriver à l'existence sans entraîner, pour autant,
une mutation actuelle dans la cause. Ainsi le jour de la
Pentecôte 1917, Benoît XV, promulguant le Code de Droit
(1) Saint Thomas note (De Pot., q. 3, a. 3) que certains niaient que cette relation
fût réelle, ce qui fait rêver.
(2) On voit combien futile est l'objection de Mansel : si créer est une perfection,
il est impossible que Dieu l'ait acquise k un moment de la durée; — ce qui suppose
que créer est une perfection distincte, qui advient accidentellement à l'essence divine,
alors que « voluntas (Dei) uno et eodem actu vult se et alia » / C. G., c. 82.
TRIPLE ANALOGIE 371
Canonique, lui donnait force de loi à partir de la Pentecôte
de l'année suivante. Donc le 19 Mai 1918, toutes les prescrip
tions du nouveau Code commencèrent à entrer en vigueur,
sans que pour cela la volonté du Pontife ait subi, ace moment,
aucune mutation (1). Le changement avait déjà eu lieu,
dira-t-on. Qui le nie ? Mais supposons un précepte éternel :
à un moment de la durée, il pourra faire sentir son efficace,
sans aucune modification dans la Volonté éternelle qui le
signifia : toute la nouveauté se tiendra du côté de cet effet
temporel d'une cause immuable (cf. /a P., q. 19, a. 7).
Transposons ceci dans l'ordre d'être, et nous aurons une
notion analogique de ce que peut être une activité immuable
et déterminée en soi, mais changeante en quelque sorte et
souverainement libre par rapport à son terme (// Sent., d. 25,
q. 1, a. 1, ad 1; P P., q. 19, a. 3, 7, 10; / C. G., c. c. 82, 88;
De Ver., q. 24, a. 3, etc.). Affirmations qui semblent s'exclure,
mais qui en vérité ne se contredisent point : l'immutabilité
et le déterminisme concernant la cause, — le devenir et la
liberté, l'effet. Victime comme toujours de l'anthropo
morphisme, le symboliste n'arrive à concevoir la liberté
suprême que sur le modèle de la nôtre, et il veut lui imposer
alors cette pluralité d'étapes, qu'exige en nous le franc
arbitre.
Nous le disions, le concept analogique de causalité a
pour tout contenu : donner l'être, réaliser; il n'implique
nullement une modification du principe qui donne l'être
et qui réalise, il suffit que dans le patient une transformation
ait lieu qui le mette sous la domination de l'agent : « actio
est in passo ». Supposons un Acte Infini, il pourra avoir
sous sa dépendance une multitude de réalités, simultané
ment (De Pot., q. 7, a. 8, f. c.; cf. I Sent., d. 14, q. 2, a. 1,ad 1);
Eternel, il sera libre de déterminer que ces relations com
menceront à tel ou tel instant de la durée, sans être soi-même
affecté par ce perpétuel devenir où se meuvent ses effets (2).
(1) « Sicut per intellectum determinatur rei factae quaecumque alia conditio, ita
et praescribitur ei tempus : non enim solum ars determinat ut hoc taie sit, sed ut tunc
ait; sicut medicus ut tunc potio detur. Unde, si eius velle per se esset efficax ad effec-
tum producendum, sequeretur de novo eflfectus ab antiqua voluntate, nulla actione
de novo existente », II C. G., c. 35; cf. Cp. theol., c. 97.
(2) • Ex quo quidem operationis genere (actio virtualiter transiens) nulla perfectio
Deo advenire significatur sed magis quod proveniat in creatura perfectio ex perfec-
tione divina > (De Pot., q. 10, a. 1).
372 L'IDÉE DE CRÉATION
En revanche, notre langage déficient semblera à tout
instant introduire en Dieu un devenir. En effet, lorsqu'un
être est en dépendance d'un autre, il suffit que la cause de
cette dépendance varie, pour que le rapport varie propor
tionnellement (De Pot., q. 7, a. 8, ad 5; / Sent., d. 30, q. 1,
a. 1, f. c; cf. d. 9, exp. lit. ad 1-2; d. 15, q. 1, a. 1). D'où il
suit que toute modification dans l'être de la créature fait
surgir en elle une relation nouvelle à son principe. Nous
sommes justifiés par conséquent à dire qu'à chaque moment
une infinité de relations nouvelles relient le monde à Dieu;
non point, encore un coup, que l'Immuable change, mais
parce qu'en son perpétuel présent, qui domine toute durée,
il a déterminé qu'à tel ou tel moment de la durée, quelque
chose en la créature serait modifiée (1) : nouveauté, impli
quant une nouvelle relation à Dieu, et réciproquement une
manière nouvelle de concevoir Dieu par rapport au monde (2).
La Création n'est que la première de ces relations, avec
cette différence qu'alors la production fut TOTALE, et l'uni
vers ne pouvait changer, puisqu'il n'était pas encore : la
dépendance surgit instantanément, ne posant absolument
rien dans le Créateur (3), puisque elle se tient toute du côté
du terme temporel de l'Acte éternel (/ Sent., d. 30, q. 1,
a. 2, De Pot., q. 3, a. 3, ad 1-6). Il y a seulement ceci de neuf
que la même activité divine à un certain moment reçoit le
nom (4) de créatrice, au moment, dis-je, où une réalité
apparaît qui mérite le qualificatif d' « être », par Analogie
d'Attribution. La précédente analyse montre, si je ne
m'abuse, avec combien peu de raison l'antithèse de la
quatrième antinomie soutient que l'Absolu ne pourrait
produire un effet temporel sans entrer lui-même dans la
(1) Soit dit en passant, ad hominen, il est étrange que l'on se montre si difficile
pour le théisme, alors que l'on prêche ouvertement l'identité des contradictoires,
l'absolu qui devient, et mille monstres pareils.
(2) Voici, par exemple, deux passages qui me reviennent en mémoire : « The
only relation which the absolute essentially excludes, is the relation of real dependence
upon anything else. We have no right in reason to define it as the non-related. In fact
it manifests itself as the causal sustaining ground of ail relations. » (The Catholic
Encyclapedia, art. Agnosticism). — « The first cause is of course related to the effect.
A cause out of ail relation to the effect is no cause etc. > BORDES PARKER BOWNE,
Kant and Spencer, London, 1912, p. 236.
374 L'IDÉE DE CREATION
soutenu que les relations subsistantes ne répugnaient pas
à l'Absolu, et ne fîmes-nous pas appel à ce texte de saint Tho
mas : « Substantia prima dicitur absoluta quasi ab alio non
dependens, relativum autem in divinis non excluait abso
lution quod est : ab alio non dependens, sed excludit absolu t n m
quod ad aliud non refertur » (De Pot., q. 9, a. 4, ad
10) ? N'est-ce pas ici une nouvelle application de cette
doctrine ?
Il semble bien que non. Car le cas des relations divines
était privilégié; il s'agissait de rapports surgissant au sein
même de l'Absolu; or, en ce moment, on prétend établir une
relation réelle entre l'Absolu et une réalité qui n'est pas lui;
entreprise contradictoire, l'Absolu ne pouvant pas s'ouvrir
sur le dehors (De Pot., q. 8, a. i, ad 10). Ajoutez que, si la
cause ne dépend pas de l'effet dans l'ordre de l'être, elle
en dépend dans l'ordre d'action et enfin que la création,
dans cette hypothèse, ajouterait à Dieu une relation réelle,
ce qui va à détruire l'immutabilité divine. La seule ressource
qui nous reste, pour échapper au symbolisme, est de retour
ner à notre première analogie, et de voir si la relation réelle
à l'effet est de l'essence de toute causalité.
Les termes créés : agent particulier, passage de la puis
sance à l'acte, relation réelle, étaient proportionnés à
l'être potentiel; supposé au contraire que nous ayons un
être qui soit acte pur, quel changement nous faudra-t-il
faire subir au « numérateur » du deuxième rapport ? — II
faudra éliminer la limitation, le devenir, et la relation
réelle. Passe pour les deux premières rémotions, mais
la troisième laisse-t-elle subsister le concept de causa
lité sous prétexte de l'épurer? N'allons-nous point la faire
évanouir ?
Une considération s'impose : c'est que toutes les relations
consécutives à la quantité, si elles sont réelles, sont aussi
mutuelles, réciproques; mais il n'en va pas de même des
relations qui surgissent dans l'ordre d'action et de passion.
Le patient, l'effet sont toujours en dépendance vis-à-vis
de l'agent, de la cause; la réciproque est également vraie de
toutes les causes « quae mota movent vel agunt vel causant,
nam ex ipso suo motu ordinantur ad effectum producendum »
(De Pot., q. 7, a. 10; /" P., q. 13, a. 7). Mais parfois la cause
est en dehors de l'ordre d'action en vertu de laquelle la rela
TRIPLE ANALOGIE 375
tion surgit. Considérons, pour être plus clair, l'intellection : (1)
cet acte de connaissance met l'intelligence en rapport avec
le réel, mais la chose elle-même ne change en rien, n'est
aucunement ordonnée à l'intelligence : « omnino non attin-
gitur a tali actu, cum actus intellectus non sit transiens in
exteriorem materiam mutandam » (De Pot., q. 7, a. 10).
La pensée est causée par les choses, et pourtant celles-ci
sont d'un autre ordre « res in esse naturali existentes sunt
extra ordinem esse sensibilis et intelligibilis » (/aP., q. 13,a.7).
La relation va de l'intelligence à la réalité, mais non pas
en sens contraire (cf. /// Sent., d. 1, q. 1, a. 1).
Or, Dieu est en dehors et au-dessus de l'ordre créé, et
son action créatrice doit se concevoir plutôt à la manière
de notre acte immanent d'intellection, qu'à la manière
d'un influx physique jaillissant du ciel pour venir embrasser
la terre (2), Action formellement immanente, quoique son
terme soit extrinsèque; action non univoque à l'être de son
effet, (3) comme tantôt l'intellection n'était pas de même
nature que sa cause. Il semble donc qu'on puisse énoncer
l'analogie suivante :
créature connaissable relation de raison
Dieu connu relation réelle.
Sans doute, notre esprit déconcerté n'a de cesse qu'il
n'ait imaginé Dieu comme relié à la créature par son action,
de même que nous suspendons les choses à notre pensée (5),
mais la raison se hâte de corriger les écarts de l'imagination;
en reportant sur la seule créature toute la réalité de la rela
tion. (I Sent., d. 8, q. 4, a. 1, ad 3; d. 14, q. 2, a. 1, ad 3; d. 30,
(1) « Contingit, ut dicit Pltil. 5. Meta., aliquid dici relative non quod ipsum retV-
ratur, sed quia aliquid refertur ad ipsum, sicut est in omnibus quorum unum dependet
ab alio et non e contrario, sicut scibile non est relativum nisi quia scientia refertur ad
ipsum, scibile enim non dependet a scientia sed e converso » / Sent., d. 8, q. 4, a. 1,
ad 3; /«P., q. 16, a. 6, ad 2.
(î) // C. G., c. 31 : « Deus non agit aliqua actione quae sit extra ipsum quasi ab
ipso exiens et in creatura terminat;! , sicut calefactio exit ab igne et terminatur in ligno ».
(cf. De Pot., q. 7, a. 10, c et ad 1; q. 3, a. 15; I Sent., d. 7, q. 1, a. 1, ad 3; d. 14,
q. 1, a. 1, ad 3.; // C. G., c. 9 et 23).
(3) De Pot., q. 7, a. 10 : • Quidquid in (divina actione est) est omnino extra genus
esse creati per quod refertur ad Deum ».
(4) IISent.,d. 1,q. 1,a. 1,ad 1;/«P.,q. 13, a. 7, ad 4; De Pot., q. 7, a. 7, ad 9.
($) 1 Sent., d. 8, q. 4, a. 1, ad 3 : « Intellectus noster non potest accipere relationem
in uno extremorum quin intelligatur in illo ad quod refertur : ideo ponit relationem
quamdam circa ipsum scibile et significat ipsum relative... ita etiam relatio inportata
per hec nomen Deus, vel Creator, cum de Deo dicatur, non ponit aliquid in Deo nisi
secundum intellectum, sed lantum in creatura ». De Pot., q. 1, a. 1, ad 10.
376 L'IDÉE DE CRÉATION
(i) /" P., q. 13, a. 6. — Et si cette « poursuite » n'est pas stérile, ce n'est point du
fait de l'attribution, mais du fait de la proportionnalité latente (analogie mixte).
TRIPLE ANALOGIE 377
(1) /// C. G., c. 97 : « Nam et homo, cum mentis conceptum uno vocali verbo videt
sufficienter exprimi non posse, verba diversimode multiplicat ad exprimendam per
diversa suae mentis conceptionem ».
(2) /••, P., q. 44, a. 1, ad 1 : « Ens per participationem... non potest esse quin sit
causatum, sicut nec homo quin sit risibilis. >
(3) /// Sent., d. H, q. 1, a. •1, ad 7 : « Sicut creatura non habet esse nisi a Deo
ita nee Filius habet esse nisi a Patre, sed in hoc est differentia quod creatura non est
illa relatio secundum quam dicitur esse a Deo, per quam habet esse, et ideo potest
considerari in se sine respectu eius ad Deum, et sic invenitur non habens esse, sed Filius
Dei est ipsa relatio » etc.
(4) /// C. G., c. 97 : « Cum forma sit secundum quam res habet esse, res autem
quaelibet secundum quod habet esse accedat ad similitudinem Dei qui est ipse suum
esse simples, necesse est quod forma nihil sit aliud quam divina similitudo participata
in rebus, similitudo autem ad unum simplex considerata diversificari non potest nisi
secundum quod magis vel minus similitudo est propinqua vel remota. Quanto autem
aliquid propinquius ad divinam similitudinem accedit, perfectius est. Unde in formis
differentia esse non potest nisi secundum quod una perfectior existit quam alia. »
CHAPITRE III
L'UNION HYPOSTATIQUE.
SOMMAIRE
(1) II est bien clair qu'il n'y a là aucun rationalisme : on ne construit pas à priori
un mystère dont la possibilité même est indémontrable, mais on part d'une hypothèse :
supposé que nous soit révélée une union entre nature divine et nature humaine, —
rien de plus — que peut la raison, laissée à ses seules ressources, déterminer au sujet
de cette vérité première?
(2) Les textes abondent sur l'Ineffabilité de l'Incarnation : /// Sent., d. 1, q. 1,
«. 1 : « inerTabili unioni... *;IV C. G., c. 27 : « inter omnia opera divina maxime ratio-
nem excedit... inter omnia mirabilissimum est »; ih., c. 41 : « haec unio ab humilte
perfecte non valet explicari *; Cp. Th., c. 21 1 : « quodam modo incomprehensibili et
ineffabili ». — Div. Nom., c. 2, 1. 4 (Vives, p. 412) : « Compositio qua divinitus Jesus
compositus est... non potest sumcienter cognosci quacumque menti, etiam ipsius
supremi Angeli »; De Un., a. 1: « Unio singularis supra omnes modos unionis nobis
notos -, etc.
380 L'UNION HYPOSTATIQUE
(B), parce que ce sont là les divisions d'un tout logique (totum
universale). Or (B), comme il est juste, ne considère que le
tout réel. En ce qui concerne (a), il correspond au (3°) de (B);
c'est le « totum integrale ». (B) épanouit en ses 2e et 3e
membres, le (2°) de (A); enfin, le (3°) de (A) se retrouve dans
le (1°) de (B) : il s'agit du « totum per accidens ».
Somme toute, (B) représente une simplification par
rapport à (A), simplification que l'on peut pousser plus loin
encore, en substituant à la division tripartite, une autre qui
soit bipartite : union accidentelle (premier membre de B);
union substantielle (2e et 3e membres). Saint Thomas nous
invite lui-même à réaliser cette simplification, puisqu'il
ramène toutes choses, en fin de compte, à cette alternative :
union accidentelle ou substantielle. Et de vrai, la foi nous dit
que l'Incarnation est une union personnelle, or, dans nos
personnalités créées, nous trouvons des réalités qui lui sont
jointes soit substantiellement (unio in hypostasi et secundum
hypostasim), soit accidentellement (unio in hypostasi tantum).
A priori donc, on peut affirmer qu'entre deux essences
quelconques une double conjonction est concevable. Il
s'agira maintenant de préciser ce que deviennent ces deux
possibilités théoriques, lorsque les termes à unir sont
une nature divine et une nature humaine. A prendre les
choses du côté de la créature, l'une et l'autre union sont
pensables : nous ne sommes donc guère avancés dans notre
élimination, signe qu'il faut mener la recherche en partant
d'un autre point, je veux dire, en considérant les choses du
côté de Dieu. Et ainsi l'influx de la rémotion commence à se
faire sentir. Sans doute le Nestorianisme n'est point con
tradictoire; bien mieux il est attrayant.de l'attrait des théories
faciles qui n'exigent aucun effort de compréhension : l'intel
ligence n'a qu'à se laisser aller paresseusement le long
de la « via augmenti »; on conçoit fort bien une union
morale entre Dieu et l'homme par la grâce et l'amour; faisons
croître cette grâce et cet amour; à la limite, nous aurons un
homme divin, indépassable, un Christ étroitement uni au
Père par des dons suréminents, des vertus merveilleuses;
commerce si étroit qu'il peut être dénommé filiation.
Rien de surprenant, dès lors, que la théologie libérale et
moderniste, qui répugne tellement à admettre tout dogme qui
ne soit taillé à notre aune, ait renouvelé, sous des formes
A LA RECHERCHE DU CONCEPT D'UNION HYPOSTATIQUE 383
(1) Comparez à cet égard les ch. 34 et 35 du IV C. G. (cf. aussi les ch. 4 et 28)
et les ch. 203 et 206 du Cp. th.
(2) Saint Thomas dit que la principale perfection de l'union accidentelle consiste
en ceci : qu'il n'en résulte pas un .• tertium quid » Cp. th., c. 211.
Analogie. 25
386 L'UNION HYPOSTATIQUE
(1) Ceci dit pour prévenir une objection : on pourrait soutenir que l'analogie
trinitaire elle aussi n'est que fragmentaire puisque tous les éléments de notre vie
intellectuelle ne se retrouvent pas en Dieu. Mais ces éléments ne touchent pas à
l'essence de l'émanation intellectuelle, tandis qu'il est de l'essence du composé humain
d'être formé de parties incomplètes et imparfaites.
A LA RECHERCHE DU CONCEPT D'UNION HYPOSTATIQUE 389
Verbe substance . ,
(1) On ne dit pas : -. — = — . mais 1 humanité est unie au Verbe
humanité accident
par un accident: la grâce (111 Sent., d. 6, q. i, a. 2). « Gratia per quam homo Deo
unitur per aflectum, aliquod habituait (donc accident) existit in anima... esse autem
personale non est aliquem habitum sed per naturas quarum sunt hypostases • Cp. th.,
c. 214.
(2) Sur la différence entre cette hérésie et la précédente, cf. infra le texte de
/// Sent., d. 6, q. i, a. 2.
A LA RECHERCHE DU CONCEPT D'UNION HYPOSTATIQUE 395
Analogie. 26
402 LES TERMES DE L UNION HYPOSTATIQUE
(1) Ce qui évidemment, n'équivaut pas à affirmer que nous saisissions la possi
bilité positive d'une telle suppléance.
41 6 LES TERMES DE L'UNION HYPOSTATIQUE
TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE
RÉELLE
SOMMAIRE
(1) GIHR ( Sakramente"lehre, I, 354, a. 2) cite ce texte de TOLET (in ///»n,, q. 75,
a. 2) : « Absque dubio, S. Thomas tenet non pusse per quamcumque potentiam
Corpus Christi esse in coelo et in Sacramento nisi per conversionem... quod autem
S. Th. loquatur absolute de divina potentia aperte deducitur ex littera ».
424 TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
(i)IVC. G.,c. 63.—En ce chapitre, il n'est question que de «pain «et de "Corps »,
pour faire bref; il va sans dire que tout ce que j'avance vaut du « vin » et du « Sang ».
430 TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
(i) En ce sens, que l'être est l'effet propre de Dieu; ce qui ne signifie pas que Dieu
ne puisse être l'auteur d'une conversion naturelle dont seul le mode diffère des con
versions créées. IV Sent., d. n, q. i, a. 3, q. 3, ad 3.
432 TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
(1) « Confitetur (infidelis) quod pervirtutem naturae possit una res converti in
aliam quantum ad formam... multo magis ergo virtus omnipotentis Dei quae tota
rei substantiam in esse produxit non solum transmutando secundum formam... potent
hoc totum in illud totum convertere » Op. 3, c. 8.
(2) CAPREOL., In IV Sent., d. n, q. 1, a. 2, p. 2 (VI, 227); BILLOT, p 340 ss.
(3) « In naturalibus conversionibus convertitur totum in totum non autem partes
essentiales... sed hic et totum convertitur in totum et partes etiam convertuntur...»
IV Sent., d. n, q. 1, a. 3, q. 1; cf. ///* P., q. 75, a. 4 et a. 8.
LA CONVERSION PURE 433
Analogie. 28
434 TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
(i) Cf. B. AUGIER, La transsubstantiation d'après saint Thomas d'Aquin ( Rev. se.
phil. th., 1928, p. 455); de même MATTHJSSI, op. cit., p. 124.
438 TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
(1) Tandis que si souvent nous sommes arrêtés en métaphysique par l'excès
d'abstraction, ici, au contraire, ce qui nous cause difficulté c'est cette individualité
qui est convertie immédiatement.
LA PRÉSENCE EUCHARISTIQUE 441
(1) III Sent., d. 1 1, q. 1, a. 1, ad 7 : « Sicut creatura non habet esse nisi a Deo, itt
nec Filius habet esse nisi a Patre; sed in hoc est differentia quod creatura non est
ipsa relatio secundum quam dicitur esse a Deo... sed Filius Dei est ipsa relatio
secundum quam habet esse a Patre et ipsa relatio est ipsum esse ».
LA PRÉSENCE EUCHARISTIQUE 449
-Analogie.
TABLE DES CITATIONS
SAINT AUGUSTIN.
Contra Adamantum. De Trinitate.
C. II • 175. n. i lib. I, c. i . 64; 80. n. i; 100,
n. i; 231
Contra Epist. Manichaei • 175, "• i » C. 2 .... 186
Contra Maximinum. lib. V, c. i, 4 et 10 . I7S, n. i
» c. 9 .... 333, n. i
lib. II, c. 14 . . . 289, n. i > C« 14. 28O jj J
CAJETAN.
Comm. in De ente et ess. 57, n. 2:151; Comm. In Summ. theol.
161, n. i ; 178, n. 2; 187 IIIaP., q. 2, a. 6, ad 3 391, n. 2; 393,
Comm. In Summ. theol. n- 4! 395
I«P., q. 2, a. 3 . . 90, n. i et 2 a a » ad 4 . 392, n. 3
» a a. 6, ad 2 . 389, n. 2 a a a. 7-9 . . 389, n. i
a q. 13, a. 3 121, n. i; 123, n. i » a a. 7 403, n. i ; 404, n. i;
> » a. 4 . . 154; 158, n. 2 4°9. n- 3
» a a. 5 . . . . 89, 160 » a a. 8 ... 382, "• 3
... 268 a a a. IO ... 416, n. 3
> q. 28, a. 2 . . • • • 34° » q. 3, a. i ... 380, n. 3
t q. 34, a. 2 . . 274, n. 2; 311 a a a ad 3 416, n. 3
> q. 39, a. i 158, n. 6; 163; 321, » a a. 3 ... 153, "• i
n. i a q. 4, a. i, ad 2 . . 393, "• i
a a a. 2 410, n. I ; 414, n. i
» q. 45, a. 6 . . •224, n. 5 a q. 17, a. 2 ... 410, n. 2
107 a q. 75, a. i et 2 . . . . 422
III«P., q. i, a. i, ad i 407; 408, n. 3 a » a. 2, ad 3 .. . . 421
a q. 2, a. i, ad 2 . . 391, n. i
a a a ad 3 . . 386, n. i a » a. 4432; 435, n. i; 44t,
» a a. 6 391, n. 3! 393; 393, n. i et 2
n. I et 3; 403 a a a ad 3 . . 428
a a a ad 2 386, n. i; 396, a q. 76, a. i, ad 3 • • 447
n. i » q. 77, a. 2 ... 414, n. i
452 TABLE DES CITATIONS
CAPRÉOLUS
MAÏMONIDE.
Guide des indécis (trad. Munk). Guide des indécis (trad. Munk).
liv. I, Introd. 81, n. 1; 82; 290, n. 1 liv. I, c. 55 . 126, n. a; 127, n. 1
» c. 1 . . 65, n. 1; 83, n. 2; » c. 56 . 55, n. 1: 129, n. 4;
126, n. 2 130, n. 3; 149
c. 20 127, n. 2 > c. 57 . 128, n. 3; 129, n. 1
c. 21 . . 82, n. 3; 129, n. 1 i c. 58 . 128, n. 5; 129, n. 1;
c. 26 . . 83, n. 2; 126, n. 2 131, n. 1 et 2; 140, n. 1
c. 28 S1, n. 1 > c. 59 . 83, n. a; 127, n. a;
c. 33 126, n. 2 129, n. 2 et 5; 131,
c. 34 202, n. 4 n. a; 149
c. 35 55. n. 1 > c. 60 . 127, n. 2; 128. n. 9;
c. 36 126, n. 2 129, n. 4; 130, n. 1.
c. 40 81, n. 1 4, 5 et 6; 131,". 4; 149
c. 45 65, n. 1 > c. 61 . 127, n. 2; 129, n. 1
c. 47 . 121, n. 2; 128, n. 10 » c. 65 65, n. 1
c. 48 82, n. 3 » c. 68 . . . 128, n. 4 et 10
c. 49 66, n. 2 > c.70 S1, n. i
c. 50 . 127, n. 2; 128, n. 8; » c. 71 . . 349, n. 4; 350, n. 1
214, n. 1: 312, n. 2 « c. 73 .... 128, n. 10
c. 51 . 127, n. 2; 128, n. 1, » c. 74 349, n. 4
7 et 10; 150, n. a; 151 « c. 75 127, n. 2
c. 52 . 127, n. 1, 2 et 3; 128, . c. 76 368
n. 1, 2 et 6; 129, n. 1; liv. II, c. 1 128, n. 6
150, n. 2 • c. 13-26 . . . 350, n. 1
c. 53 . 127, n. 2; 128, n. 6 et » c. 30 .... S1, n. 1
10; 129, n. 3; 156, n. 2 liv. III, c. 1-8 et 22, 23 . S1, n. 1
TABLE DES CITATIONS 453
SYLVESTRE DE FERRARE.
Comm. in Contra Gentiles. Comm, in Contra Gentiles.
lib. I, c. 20 64 lib. II, c. 6 353
» c. 34 . . 34, n. 1; 89; 94; lib. IV, c. 35 ..... 381, n. 1
112, n. 2 » c. 37 396, n. 1
» c. 53 ... 268; 274, n. 2 » c. 49 . 395, n. 3: 396, n. 1
y c. 63 422, n. 3
Analogie. 30
466 TABLE DES AUTEURS CITÉS
AVANT-PROPOS
PREMIÈRE PARTIE
Caractère analogique de la connaissance théologique.
CHAPITRE I
PRÉLIMINAIRES PHILOSOPHIQUES
I. — NATURE DE L'ANALOGIE.
L'analogie au sens vulgaire du mot, p. 12; au
sens expérimental, p. 14; au sens mathématique,
p. 16. L'analogie philosophique comparée aux
trois autres, p. 17; sa définition provisoire, p. 26. 11-26
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CONNAISSANCE DES MYSTÈRES
I. — ANTHROPOMORPHITES ET SYMBOLISTES.
Le parlement théologique; dénombrement som
maire des principales erreurs :équivocité, univocité;
leurs retentissements sur la théorie de la foi et de la
grâce, p. 194. Les pseudo-démonstrateurs de
mystères : Richard de Saint-Victor, p. 205. Anthro
pomorphisme de la religion moderniste, p. 214.
474 TABLE DES MATIÈRES
Pourquoi la Trinité est-elle indémontrable : « intel-
lectus non univoce invenitur in Deo et in nobis »,
p. 222 194-233
II. — RAISON ET FOI.
Difficultés contre la théorie thomiste. Attaques
de Laberthonnière. S. Thomas n'est ni agnostique
ni extrinséciste. Rôles comparés de l'analogie en
théodicée et en théologie. Sens spéculatif du dogme
Applications et exemples 233-250
DEUXIÈME PARTIE
Quelques applications théologiques de l'Analogie.
CHAPITRE I
LA TRINITÉ
I. — LA GÉNÉRATION DU VERBE.
1° La procession, pp. 258-267.
Rôle de l'analogie. A la recherche d'une notion
analogique de « procession », p. 258. Le principe
de fond : « Ea quae de Deo dicuntur, sunt intelli-
genda secundum similitudinem supremarum crea-
turarum », p. 262. Contre Durand de S. Pourçain,
p. 263.
2° Le Verbe, pp. 267-280.
La « loi des intellections » est-elle d'élaborer un
verbe ? Verbe essentiel, Verbe personnel. Sept
caractéristiques du verbe humain; ses différences
d'avec le Verbe divin, p. 267.
TABLE DES MATIÈRES 475
CHAPITRE II
L'IDÉE DE CRÉATION
I. — L'ANTHROPOMORPHISME.
Ses diverses formes; les Anciens; la querelle
médiévale sur la nouveauté du monde; erreurs sur
la nature, le mode, la moment de la création 346-350
II. — LE SYMBOLISME.
CHAPITRE III
L'UNION HYPOSTATIQUE
CHAPITRE IV
TRANSSUBSTANTIATION ET PRÉSENCE RÉELLE
Dédicace au T. R. P. Mandonnet.
Ch. H. Beeson : Insular Influence in thé Quaestiones and Locutiones
of Augustine.
V. Grutnel : Le surnaturel dans l'humanité du Christ viateur d'après
Léonce de Byzance.
G. Théry, O. P.: L'entrée du Pseudo-Denys en Occident.
M. L. W. Laistner : Rivipullensis 74 and thé Scholica of Martin of Laon.
P. Fournier : Essai de restitution d'un manuscrit pénitentiel détruit.
M.-D. Roland -Gosselln, O. P. : Sur les relations de l'âme et du corps
d'après Avicenne.
M . A s in Palacios : Un aspecto inexplorado de los origenes de la Teologia
escolastica.
A. -M. Jacquin, O. P. : Les « rationes necessariae » de saint Anselme.
J. de Ghelïlnck, S. J. : Un chapitre dans l'histoire de la définition
des Sacrements au XIIe siècle.
A. Landgraf : Das Sacramentum in voto in der Friihscholastik.
A. Wilmart, O. S. B.: Magister Adam Cartusiensis.
G . Lacombe : La Summa Abendonensis.
M.Dulong: Etienne Langton, versificateur.
A. Masnovo : Guglielmo d'Auvergne e l'Universita di Parigi dal 1229
al 1231
O. Lottin, O. S. B. : La théorie des vertus cardinales de 1230 à 1250.
K . K . Rand : A friend of thé classics in thé times of St Thomas Aquinas.
F. Olivier-Martin : Les chapes de plomb.
H . -D . Simonin , O . P . : La connaissance humaine des singuliers matériels
d'après les Maîtres Franciscains de la fin du XIIIe siècle.
J. Koch: Philosophische und Theologische Irrtumslisten von 1270-1329.
Ein Beitrag zur Entwickelung der theologischen Zensuren.
M. Grabmann : Studien iiber den Averroisten Taddeo da Parma (ça 1320).
Lynn Thorndike : Franciscus Florentimis, or Paduanus, an Inquisitor
of thé fifteenth Century, and his Treatise on Astrology and Divination,
Magic and Popular. Supertition.
A. Walz, O. P. : Zur Lebensgeschichte des Kardinals Nikolaus von
Schônberg, O. P.
A. G. Little : The Friars and thé Foundation of thé Faculty of Theology
in thé University of Cambridge.
G. Lôhr, O.P.: Die Dominikaner an den deutschen Universitâten ara
Ende des Mittelalters.
Bêla Ivânyi : Bilder aus der Vergangenheit der ungarischen Dominika-
nerprovinz unter BenûtzungdesZentralarchivs des Dominikanerordens
in Rom.
i vol. gr. in-8° de 498 pages 75 fr.
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