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2011/1 - Tome 99
pages 125 à 133
ISSN 0034-1258
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RECENSIONS
NOTE SUR JEAN-NOËL ALETTI,
Essai sur l’ecclésiologie
des lettres de saint Paul1
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manquer de retenir l’ecclésiologue, qui n’avait pas disposé de syn-
thèse en français sur ce sujet et de cette ampleur2 depuis le livre bien
connu de L. Cerfaux (1942, revu en 1965). C’est donc ici un ecclésiologue
qui, recevant cet ouvrage, est invité à dire en quoi sa propre réflexion peut
en être informée.
Des proto- aux deutéropauliniennes (puisque J.-N. Aletti envisage
l’ensemble des écrits attribués à Paul, à l’exception des Pastorales), on
passe d’un registre à un autre : d’une réalité vécue à une réalité théorisée
(même si, dans Col et Ep aussi, les considérations ecclésiologiques sont
des réponses aux problèmes ecclésiaux concrets d’une communauté don-
née). Investiguer l’ecclésiologie de l’un ou l’autre volet, ce n’est donc pas
envisager exactement la même réalité. J.-N. Aletti suit un ordre chronolo-
gique, épître par épître, et propose des synthèses sur « l’ecclésiologie de
l’apôtre » (p. 194), qui valent pour l’ensemble des lettres. On distinguera
donc l’essentiel de l’ouvrage, où chaque texte est étudié pour lui-même, et
les conclusions, où l’ecclésiologie des deutéropauliniennes a en quelque
sorte le dernier mot, puisqu’elle est infiniment plus explicite et dévelop-
pée : l’interprète a voulu faire droit aussi bien aux évolutions qu’à la cohé-
rence d’ensemble du corpus paulinien.
Il faut d’abord souligner deux grands principes herméneutiques, qui
gouvernent toute l’étude de J.-N. Aletti et valent pour l’ensemble des
épîtres, mais plus encore pour les deutéropauliniennes, qui témoignent
d’une radicalisation, d’une logique poussée à son terme.
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si l’Église, étant le corps du Ressuscité, celui-ci peut en avoir « un autre »
etc.).
Ainsi, avoir accès aux choses humaines – savoir ce qu’est un corps –
dévoile, dans une certaine mesure, ce qui relève de Dieu – l’Église comme
corps. On est dans un ordre fondamentalement symbolique et métapho-
rique, celui du sacrement – dès lors qu’on donne à ces termes le sens
fort qui doit être le leur. Le lecteur est ici invité à reconsidérer en quoi
la réalité chrétienne est symbolique/métaphorique/sacramentelle : que
dit-on de l’Église, quand on la dit sacrement d’une réalité (le salut, le
Royaume…) qui est à la fois autre que l’Église et la même ? Sachant qu’ici
le « même » semble bien l’emporter sur la différence : non pas tant donc
réalité renvoyant à une autre, qu’élément d’une réalité renvoyant au tout.
Avoir accès au symbole, c’est vraiment avoir accès à la réalité symbolisée.
On perçoit les perspectives ainsi ouvertes. On sait aussi à quel point le
recours au symbole peut être délicat : « Que le Paul d’Ep ait eu l’audace,
voire le génie, d’appliquer la thématique du corps à l’épouse, ne protège
pourtant pas ses efforts de l’erreur » (p. 182) : certes, Ep « injecte » de
l’autre (d’origine biblique : le mari aime sa femme) dans le même (le
registre social de l’époque), et contribue ainsi à le subvertir ; mais un rang
social inférieur est justifié – sachant que Paul ne pouvait faire autrement :
le théologien travaille sur les représentations de son temps, sans devoir les
transformer ou en créer de nouvelles.
Notons qu’il s’agit moins de connaître, abstraitement, que d’entrer en
relation avec (l’Église, le Christ) ; de « vivre selon » cette réalité, de la faire
sienne : qui dit symbole dit, on le sait, mise en relation. « Par la métaphore
du corps, plus que de décrire fidèlement le réel ecclésial, Paul donne à
ses lecteurs des images et des moyens pour mieux se connaître, se com-
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C’est ainsi que, dans 1 Co, la structure de la lettre est parlante : avant
d’aborder les questions posées, d’ordre ecclésial, Paul « fait un détour »
par l’événement (fondateur) de la croix (1 Co 1-2 avant 1 Co 3) : « Les
questions ecclésiologiques trouvent leur réponse première dans la chris-
tologie : le langage de la croix détermine les statuts ecclésiaux, leur
hiérarchie et leur évaluation » (p. 25). « L’erreur des Corinthiens, repré-
sentation erronée du ministère apostolique et, en dernière analyse, de
l’Église elle-même, est due selon lui à une erreur bien plus grave, celle de
n’avoir pas compris et vécu le renversement des valeurs opéré par la mort
en croix du Christ » (p. 192) : la christologie est source d’une éthique qui
informe la vie en Église, et donc l’ecclésiologie. De même, la doctrine de
la justification est première pour l’ecclésiologie de Ga et Rm, dont elle
est en quelque sorte le fondement : « En donnant un statut égal à tous
les chrétiens, issus ou non du judaïsme, la justification par la foi seule a
esquissé et posé les fondements de l’ecclésiologie paulinienne » (p. 193).
Pour Col et Ep, le Christ est l’unique nécessaire de l’Église.
La question posée ici sera double : d’une part, comment l’ecclésiolo-
gie peut-elle se référer au « principe unificateur » qu’est le Christ (et son
œuvre) sans tomber – tentation catholique ! – dans une forme de « chris-
tomonisme » ? Et, d’autre part, du point de vue œcuménique, si les chré-
tiens séparés se sont accordés sur la justification, donc l’œuvre de salut
du Christ (Augsbourg, 1999), jusqu’à quel point leurs divisions en ecclé-
siologie sont-elles séparatrices ? Et, si elles le restent, qu’en est-il en fait
des christologies/sotériologies des différentes confessions ? Question sub-
sidiaire, enfin : à quel Christ se réfère-t-on ? En appeler comme 1 Co 10
et 11 au Jésus de l’histoire, celui de la dernière Cène, et, comme Ep, au
Christ « cosmique », n’est sans doute pas du même ordre…
Mais sont-ils pour autant membres du peuple de Dieu, qui peut être qua-
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lifié de « nouveau » peuple de Dieu ? J.-N. Aletti récuse toute trace, chez
Paul, d’une conception qui justifierait la substitution de l’Église à Israël (y
compris dans Ga). On doit tenir que « l’Église ne saurait être identifiée au
peuple d’Israël, qu’elle ne forme pas avec lui un continuum et ne le remplace
pas » (p. 18). Il faut plutôt s’interroger sur le statut de l’Église : historique
ou eschatologique ? S’il est d’abord historique, la question de la substitu-
tion peut en effet se poser. Mais ce statut est eschatologique, et cela dès les
protopauliniennes. « C’est la foi qui nous a engendrés, qui nous donne une
ascendance et, partant, une histoire, celle même des croyants » (p. 106) ;
et cela vaut pour les chrétiens issus du paganisme. Le passé d’Israël est le
leur, celui aussi de la fidélité divine. « Si les membres de l’Église sont ense-
velis avec le Christ, n’en est-il pas logiquement de même pour l’Église ? Paul
considère-t-il cette dernière comme une entité eschatologique, non assimi-
lable à un quelconque groupe historique et mondain, ou comme un groupe
historique, encore soumis aux vicissitudes de l’histoire ? Rm 12,5 ; 1 Co
10,16-17 et 12,13.27 favorisent l’interprétation eschatologique, mais aussi
et surtout des énoncés comme Ga 3,28, où les différences mondaines, faites
de privilèges souvent porteurs de discriminations, sont déclarées exclues du
groupe ecclésial : n’étant plus régi par ces valeurs sociales historiquement et
culturellement déterminées, le groupe Église n’est-il pas déjà structuré par
des relations eschatologiques ? » (p. 108). C’est ce statut eschatologique qui
est ici déterminant. « Cela explique en partie pourquoi l’apôtre ne parle
jamais de relations (directes) entre l’Église et Israël – même élu, ce dernier
garde tous les traits d’une entité historique – et n’insiste pas davantage sur
l’être-peuple-de-Dieu de l’Église » (p. 108).
De même, en Ep, il n’y a pas continuité entre Israël et l’Église : celle-ci
est « une réalité eschatologique, entièrement nouvelle, parce que créée,
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elle doit l’être.
Mais l’ecclésiologue attend l’auteur sur une question qui peut faire débat
dans l’Église catholique : la dimension première de l’Église, pour Paul, est-
elle locale ou universelle ? Le substantif ekklesia a-t-il d’abord désigné une
communauté locale (celle de Jérusalem), pour être étendu aux autres, et
finir par désigner l’ensemble formé par les communautés ? Ou d’abord le
groupe chrétien comme réalité unifiée, puis les diverses communautés ?
Les réponses des exégètes varient (Cerfaux, suivi par des ecclésiologues
contemporains, optant pour la deuxième interprétation). J.-N. Aletti note
avec fermeté que, si en Col et Ep les énoncés visent l’Église universelle,
ekklesia désigne ailleurs surtout (pas uniquement) la communauté locale
(cf. p. 21 s., 119, 128, 183). Mais peut-être en aurait-on attendu un peu
plus sur l’expression « l’Église de Dieu qui est à… », que les ecclésiologues
interprètent en des sens valorisant soit la dimension universelle, soit la
dimension particulière.
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organique, comme unité dans la multitude et complémentarité de ses
membres, mais sa dépendance et son union au Fils ainsi que l’unicité de
ce rapport » (p. 116). Et sans sa tête, l’Église serait un corps mort. L’Église
est, plus que jamais, une réalité eschatologique : si la tête est ressuscitée, le
corps doit l’être. Nous retrouvons ici la dimension eschatologique, dont
on a vu l’importance à propos du peuple dans les protopauliniennes.
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en recourant à la catégorie de mystère. « Le Paul des protopauliniennes
utilise des images et comparaisons non bibliques lorsque cela lui permet
de faire comprendre des relations de type eschatologique, tout comme
Jésus, pour décrire la basileia theou, raconte des paraboles dont les champs
sémantiques sont pour la plupart non bibliques » (p. 185). Les deutéro-
pauliniennes vont plus loin : les métaphores principales ne viennent pas
de l’Écriture ; le mystère constitue « la face jusque-là cachée de l’Évan-
gile » (p. 164) ; en la révélant, l’apôtre peut mettre au jour des catégories
nouvelles et les légitimer. Puisque ce travail d’explicitation est celui de
l’apôtre, il s’ensuit que le mystère a une composante apostolique : l’apos-
tolicité de l’Église, y compris la personne de l’apôtre, fait donc partie du
mystère. Ainsi, en même temps que l’apôtre voit s’accroître son rôle dans
l’élucidation de la réalité chrétienne, il se voit intégré dans l’objet même
du message qui est le sien. C’est (paradoxalement) quand il n’y a plus
d’apôtres que l’Église est perçue comme ayant un fondement apostolique :
de catégorie annonçante, l’apôtre devient catégorie annoncée. Il en va de
même pour l’Église : « L’ecclésiologie d’Ep s’énonce comme mystère. Et
comme ce dernier est identiquement l’Évangile en sa dimension de nou-
veauté, la situation et le rôle de l’Église en viennent à faire partie de l’Évan-
gile. Ep 3 reflète le rôle nouveau que l’Église reconnaît être le sien, celui
d’annoncer l’Évangile mais aussi d’en faire partie » (p. 185-186). Ainsi
donc, alors que l’ecclésiologie paulinienne devient toujours plus christo-
logique, elle devient toujours plus, si l’on peut dire, ecclésiale. Puisqu’il ne
saurait y avoir de message sans messager pour, non seulement l’annoncer,
mais l’interpréter, celui-ci en vient à faire partie du message. L’Église est
donc apostolique de par le message dont elle est constituée dépositaire (le
mystère) et de par ceux qui en sont (par dessein divin) les dépositaires, les
mal à convenir : mais tel est son statut, avec sa part d’altérité, que les termes
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de métaphore ou de symbole (comme de sacrement) visent à honorer, on
l’a rappelé ci-dessus.
L’ecclésiologie des deutéropauliniennes est une ecclésiologie « haute »,
si haute que, R. Brown l’a souligné, le risque qui guette ses tenants est,
concrètement, l’idéalisation et donc la désillusion. Nous sommes (pas com-
plètement, certes) du côté d’une eschatologie « réalisée » ; or, il reste un
avenir à penser : comment ? Le statut eschatologique de l’Église est affirmé.
Mais ses membres restent dans le monde et dans l’histoire : comment le
dire ? « Avec Ep, l’Église devient l’avenir de l’humanité, l’homme nouveau
chargé d’annoncer à tous, y compris aux puissances célestes, que le mystère
qui la constitue est décisif à tous égards » ; il s’agit donc que « nous osions
encore et toujours plus croire que notre Église reste l’avenir de l’humanité »
(p. 195). L’Église, ou (pour avoir recours à un vocabulaire non paulinien)
le Royaume ? Car il s’agit d’échapper au reproche d’ecclésiocentrisme…
J. Ratzinger a rappelé que la mission de l’Église est de « christifier » le
monde et non de l’« ecclésialiser ». Le Paul d’Ep ne séparerait pas, on
l’a compris, les deux perspectives : reste à bien le comprendre, en ayant
aussi recours (règle élémentaire) au reste de l’Écriture… « La christologi-
sation de l’ecclésiologie devient même envahissante en Col/Ep » (p. 193) :
faute d’une compréhension ajustée, il faudrait suggérer la même chose de
l’« ecclésialisation » de leur christologie… Mais admirons ce paradoxe :
une ecclésiologie de plus en plus christologique, et une Église (ecclésiolo-
gie) de plus en plus « institutionnelle »/organisée (les apôtres intégrés à
la définition de l’Église) ; une bonne partie de l’avenir de l’ecclésiologie
catholique est ici anticipée…
Et, de fait, cette ecclésiologie « entièrement christologisée » (p. 172)
conduit aussi à légitimer les ministères. « Si le Christ prend l’initiative de
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Col et Ep ne se présentent pas comme un c’est-à-dire, mais comme une
nouveauté. « Toutefois, en rattachant leurs énoncés ecclésiologiques au
mystère, et par là à l’autorité apostolique qui les formule et les propage
(cf. Ep 3,4-8), les deutéropauliniennes annoncent déjà les énoncés dog-
matiques, qui incluront eux aussi leur principe énonciateur, à savoir l’au-
torité ecclésiale. Elles assurent en quelque sorte le passage entre les écrits
apostoliques et post-apostoliques » (ibid.). On peut donc dire qu’elles légi-
timent une structuration, dans l’Église, du rapport entre un être (aposto-
lique) et un dire (faisant autorité), ce qu’on appellera le « magistère », à la
fois instance et enseignement. Mais si les deutéropauliniennes constituent
comme une transition entre ce qui précède (le temps des apôtres) et ce
qui suit, elles n’en demeurent pas moins du côté de l’Écriture, donc de la
norma non normata ; le statut de ce qui suivra sera différent, et de l’ordre de
la simple explicitation, du « c’est-à-dire » : le magistère est au service de la
Parole (cf. Dei Verbum 10, § 2) ; la pseudépigraphie n’a plus cours…