295 Cahiers Du Cinema
295 Cahiers Du Cinema
295 Cahiers Du Cinema
DU
CINEMA 295
SOMMAIRE/REVUE MENSUELLE/DÉCEMBRE 1978
AVEC CE NUMÉRO
COMMENCE NOTRE CAMPAGNE D'ABONNEMENTS 1979
OFFRE SPÉCIALE DE POSTERS DE CINÉMA (format 50 X 60 cm), choisis parmi les plus
belles photos de la photothèque des Cahiers du Cinéma.
Voir notre sélection de quatre posters et nos conditions d'abonnement dans notre encart situé
au milieu de la revue.
3
SECRETARIAT DE REDACTION L'Hom m e de marbre (Andrzej Wajda), par Jean-Paul Fargier et Serge Daney p. 4 0
Serge Daney
Serge Toubiana L ’A rbre aux sabots (Ermanno Olmi), par Nathalie Heinich p. 44
F.I.S.T. (Norman Jewison), par Thérèse Giraud p. 46
MAQUETTE
Daniel et Co Scenic Route (Marc Rappaport), par Louis Skorecki p. 47
MISE EN PAGE
Judith Therpauve (Patrice Chéreau), par Jean-Claude Biette p. 47
Serge Daney Sonate d'automne (Ingmar Bergman), par Bernard Boland et Serge Daney p. 48
Jean Narboni
La Chanson de Roland (Frank Cassenti), par Jean-Pierre Oudart p. 50
ADMINISTRATION
Clotilde Arnaud LES FILMS A LA TÉLÉVISION__________________________________________________________
GERANT
Serge Toubiana
Ce journal contient un encart-abonnement (numéroté de I à IV) au milieu du numéro.
Les m anuscrits ne sont pas
rendus.
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C opyright by Les Editions de
l'Etoile.
CAHIERS DU C IN EM A - Revue
mensuelle éditée par la s.a.r.l.
Editions de l'Etoile.
Adresse : 9 passage de la Boule- ■
Blanche (50, rue du Fbg-St-Antoine),
Adm inistration - Abonnem ents :
34 3 .98.75.
Rédaction : 343.92.20. En couverture : Caroline Loeb et Xavier Grandes dans Flammes, d'AdoIfo G. Arrieta
4
En haut : Sur et sous la communication (Nous trois), de J.-L Godard et A.-M. Miéville
En bas : Hitler, un film d'Allemagne, de H.-J. Syberberg
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Il esi clair que lo u i le cinéma moderne, de Oodard à Syberberg, se fonde sur la prise en consi
dération de l'arbiiraire des moyens de la mise en scène cinémalographique pour figurer la réalité,
ei sur l'accentuaiion - l’exaspération - de cet arbitraire. Le cinéma moderne n’est pas réaliste au
sens de l’im itation de la réalité, il est délibérément fantastique. Cela donne les découvertes, les
transflex et les marionnettes de Syberberg, ou les gribouillages électroniques de Godard, ou
encore les statismes de Duras, de Straub, d'Akerman. Comme le disent Frank Zappa et la sagesse
des nations, la nécessité est la mère de l’invention, et ce cinéma pauvre est, formellement, le seul
qui invente aujourd'hui.
- Du son, avant tout, c'est-à-dire des bruits et des paroles, des voix et des accents; le travail
de réduction de l’ image au plan, chez un Godard ou un Syberberg notamment, s’ accompagne,
littéralement, d'une mise en relief, d’ une dém ultiplication du plan sonore qui libère une quantité
d’informations et une qualité d’ informations inédites (la richesse d'inform ations du H itle r sur le
nazisme est sans commune mesure, par exemple, avec tout ce qui s’est inscrit au cinéma sur cette
question).
- Elle est donc libératrice du signifiant proprement dit et du discours : le cinéma moderne n'a
pas peur d’ intégrer massivement à sa matière et de transformer l’énorme quantité d’ informations
historiques et politiques que brassent, mais diluent.aussi, les media de l’ inform ation, la presse
et la télévision. La presse et la télévision n’écrivent pas l’ histoire, elles la digèrent ou la prédi
gèrent : un Syberberg ou un Godard, au contraire, la travaillent dans leur art de telle sorte qu’elle
« cesse de ne pas s'écrire ». C’est pourquoi H itle r, Ic i et ailleurs. S ix jo is deux ou encore Salô de
Pasolini font scandale - mais c'est aussi parce que le cinéma est de l'écriture, alors que la télé
vision n'en est pas (les émissions de Godard sont des pseudo-émissions de télévision).
Il faut aussi se demander ce que perd, en travaillant dans ce sens, ce que j ’appelle pour aller
vite le cinéma moderne. Il perd quelque chose, de propos délibéré sans doute, peu importe, puis
que c’est d’abord cette perte qui est ressentie, avec malaise ou avec colère, par les spectateurs.
Qu'est-ce que c’est ? Il est faux de répondre : l’émotion, par exemple. Une très vive, très violente
émotion passe dans les film s de Duras, de Godard, de Syberberg; une tendresse, un érotisme,
une fascination même (cf. l'article de Oudart « Notes de mémoire sur Hitler de Syberberg »,
Cahiers 294).
Peut-être est-ce, tout de même, un certain type d'émotion. Il faut considérer ce dont ces films
se détournent : l’impression de réalité, l'institu tion de la fiction en réalité. Nous savons ce que
cela signifie en termes brechtiens (et rappelons que Syberberg, Straub, Godard, font référence à
Brecht) : si la fiction est fondée en réalité, en nature, le spectateur est happé par elle et ne peut
6 SÉDUCTION ET TERREUR AU CINÉM A
I
LES DIEUX ET LES QUARKS 7
manquer de s’ identifier aux héros dont les aventures nous sont ainsi contées; on pleure avec leurs
larmes, on rit avec leur rire, on craint avec leur peur. Si, au contraire, l’accent est porté sur l’ artifice
de la mise en scène, le spectateur est rejeté au dehors et c’est son esprit critique qui est sollicité.
Telle est grossièrement la ligne de partage que tracent les deux types de fictions : dans les film s
de Godard comme dans ceux de Syberberg, dans H itle r notamment, les personnages-acteurs très
souvent cessent de communiquer entre eux pour se tourner vers la caméra, ou vers un interlo
cuteur absent et muet qui ne peut être que le public, ou encore ce spectateur abstrait que chacun
des spectateurs réels se voit contraint d'incarner, dont il doit jouer le rôle. Ce spectateur, sollicité
comme tel, existe ainsi en tiers dans la fiction et ne peut donc s’ y intégrer. Sommés im plicitem ent
- voire explicitement : Godard (tel est peut-être le trait de la différence, moins profonde à mon
avis que ne le suppose Oudart, entre lui et Syberberg) - de prendre cette fonction en charge, les
spectateurs frustrés de l'irresponsabilité, de l'espèce d’ annihilation agréable (la « suture ») que
prodigue le cinéma classique, réagissent par la colère ou l’ennui.'
Il est vrai que viser le spectateur comme un tiers, théâtraliser le cinéma, constitue un alour
dissement dans le film . Tout est ralenti. Le film semble faire du sur-place. Les acteurs paraissent
remâcher, répéter toujours la même chose : c’est qu’il n’y a plus, à la lettre, de récit. Faut-il dire,
en termes barthésiens, qu’il y a du texte? Le texte, en ce sens particulier, n’est pas un récit. C’est
une masse m ultiple de sens qui se chevauchent, se stratifient, comme se stratifient et se chevau
chent les plans chez Godard ou Syberberg, plats et profonds à la fois, et le texte, comme une ana
lyse, est interminable, l’arrêt est arbitraire, le moment de conclure paraît faire défaut : il faut pren
dre comme une boutade ironique lajustification donnée par Syberberg de la longueur de son film :
sept heures ne sont pas de trop pour six m illions de morts, puisque Hitchcock en prend deux pour-
venir à bout d’un seul meurtre. Chacun sent bien qu’ il y a une différence de nature entre le
cinéma de Hitchcock et celui que pratique Syberberg.
Le cinéma moderne témoigne de la perte des émotions simples - la peur, le rire, les larmes -
dont le cinéma classique a si brillamment joué. Parce que le cinéma classique suture l’ imaginaire
du Spectateur, un mode d’emploi n’en est pas nécessaire, l’embrayage est si l'on peut dire auto
matique. A u contraire, les film s modernes demandent, semble-t-il, un mode d'emploi qui nous
fait défaut (et pour cause). Je vais tenter de m ’expliquer davantage.
Hitchcock - auteur éponyme du cinéma classique - cherche certes l’étrangeté, l’ image inquié
tante, inédite. Il a l’ amour, par exemple, du gros plan insolite : les tasses brisées, accrochées encore
par leur anse, dans la séquence du cadavre aux yeux arrachés des Oiseaux, le briquet de L'Inconnu
du Nord-Express, la tête réduite ûzs Amants du Capricorne, etc., etc. Mais en même temps, il assi
gne à ce même gros plan, en tant que tel (c’est-à-dire comme signifiant), une fonction ém otion
nelle précise, différente à priori du plan moyen, du plan d’ensemble, etc. (1). Le gros plan produit
1. Il y a, dans Le Cinéma selon l’ intensité maximale, parce que c’est le plan le plus rapproché. Varier les plans, chez Hitchcock
Hitchcock, un certain nombre de
(par exemple et par excellence), revient donc à varier les émotions, les intensités, à animer le désir;
phrases-clés : « Je prends toujours le
public en considération » (p. 56)' « te les film s de Hitchcock, on le sait, sont des aventures du désir et de ses objets, et n’ont d’ autre
rectangle de l ’écran doit être chargé sujet que l’acte sexuel.
d'émotion » (p. 68); « c'est une grande
satisfaction pour nous d'utiliser l'art
cinématographique pour créer une Inversement, que faire d’un gros plan de Godard? Tout est renversé : pas de tête réduite ou
émotion de musse » (p. 311). Sur cette d’objet étrange, ce sont des gros plans sur des stylos feutre, des tasses de café ou des cendriers,
« ém otion de masse », Hitchcock
s’explique plusieurs fois. Elle esi
les objets les plus banals qui soient. Mais c’est la fonction même de ces gros plans qui devient
directement liée à des questions de énigmatique. Et de même tous les autres plans : c’est tout le système des fonctions émotionnelles
plan. Par exemple : « I l y a un prin dont Eisenstein d’ une part, Hitchcock de l’autre ont donné les lois (tous deux à partir du gros
cipe qui m'est essentiel; quand un per plan, et ce n’est pas un hasard, évidemment) qui se trouve perverti. Il y a, chez Hitchcock, une
sonnage, qui étau assis, se lève pour
marcher dans une pièce, j'évite tou
apparente adéquation entre la forme du gros plan (le grossissement) et son contenu (l’objet inso
jours de changer d'angle ou de reculer lite ou pénible). Mais le grossissement godardien est un grossissement de rien, un grossissement
l ’appareil. Je commence toujours le qui fait le vide, comme le fameux zoom avant, dans Deux ou trois choses que je sais d ’elle, sur
mouvement sur le gros plan, le même la tasse de café, qui en transforme le banal contenu en galaxie, en nuit mallarméenne. Nous
gros plan dont je me senais lorsqu'il
était assis. Dans la plupart des films, si
ouvrons grand les yeux, nous admirons, mais nous ne « collons » pas à ce grossissement, à ce
l ’on vous montre deux personnages qui rapprochement, comme nous « collons », dans l’horreur, au gros plan sur la tête réduite dans
discutent, vous ave: gros pian de l'un, Under Capricorn, par exemple, ou sur la tête de l’homme aux yeux crevés des Oiseaux, ou sur
gros plan de l'autre, gros plan de l'un, la tête empaillée de la mère dans Psychose.
gros plan de l ’autre, et, brusquement,
un plan général pour permettre à l ’un
des personnages de se lever et de circu On objectera peut-être qu’ il n’y a pas, chez Hitchock comme chez Godard, que des gros plans,
ler. Je trouve que l'on a tort de faire
cela. (...) Si un personnage bouge et
et que ceux-ci ont peut-être une fonction particulière qui ne met pas en cause « tout le système
que l ’on veut conserver l'émotion .sur sa des fonctions émotionnelles » de l’échelle des plans, si nous admettons qu’un plan est une
figure, il faut fa ire voyager le gros mesure de distance moins réelle qu’ imaginaire, donc connotée de désir. Je ne crois pas. Je choisis
plan ». (pp. 298-299). Et encore : « La de parler davantage du gros plan par commodité, parce que c’est dans le gros plan que le sens,
taille de l'image est très importante
émotionne/lement, surtout lorsqu 'on se l’ intensité, l’objet, sont le plus nettement marqués, mais aussi parce que c’est à partir du gros plan
sert de cette image pour créer l'identi que se structure la signifiance de l’échelle des plans, comme il ressort clairement du discours de
fication avec le public ». (p. 325). (Je Hitchcock, de Eisenstein, voire de l’ensemble des théories et esthétiques du cinéma. C’est à partir
SEDUCTION ET TERREUR AU CINEM A (suite)
du gros plan que l’on peut parler d’un « système de fonctions émotionnelles » à priori au cinéma, me réfère à l'é d itio n de poche.
et, historiquement, l’invention du gros plan correspond à un besoin de différenciation et d’ inten Cincma 2000/Seghers). « Émotion ».
« émotionnel ». sont parmi les mots
sification émotionnelles. C’est donc, rétroactivement, à partir du gros plan que la différence des qui reviennent le plus souvent dans la
plans (des grosseurs de plan) prend un sens. bouche de Hitchcock au cours de cet
entretien avec Truffaut.
Par rapport au cinéma classique, le cinéma moderne se caractériserait donc par des intensifi
cations décalées. Mais cette définition est insuffisante et formelle. La question est de savoir sur
quoi portent les intensifications en question, si intensifications il y a. Si, chez Hitchcock et Eisens
tein. les différentes grosseurs de plan ont des fonctions émotionnelles précises (qu’on se sou
vienne par exemple de l'article de S.M.E. En gros plan) (2), c'est parce que ces grosseurs de plan 2. « Chacun u ti l bien - cm oi e que
ont des contenus de réalité à priori imposés par le mouvement narratif, comme par leur référence beaucoup l'oublient (omp/ètement -
qu'il y a au cinéma des pnses de i •tics en
originaire, essentielle, au corps humain. Or, c’est précisément la perversion, la complication, voire plans différents, à savoir :
la perte de cette référence au champ unitaire de réalité d'une narration comme à la prééminence Plan d'ensemble, plan moyen. \>ms
du corps humain dans le système de figuration du film que produisent et qu’enregistrent les films plan.
modernes. En effet. On sait mut aussi bien que t es grosseurs
de plans expatrient les différentes
façons de von un phénomène.
Il faut prendre les choses à la racine, au niveau « m inim al » qui est celui du plan, cette entité Le plan d'ensemble donne la sensation
complexe. Classiquement, le plan introduit dans l’« espace film ique » 1) et a) un découpage, b) d'une appichension globale du phéno
une mesure (ambiguë)de distance, en fonction du corps humain considéré à priori, abstraitement ; mène.
Le plan inoven établit un ( ontac t
2) un déiaillage de la réalité dont ce corps humain abstrait est la mesure et le centre. humain, intime, entie le spectateur et
les jieisonnai'cs sur l'éaan : il se
Pourquoi ce rôle central du corps humain dans le paysage film ique? Pourquoi les noms des plans trouve, lui semble-t-il. dans la même
font-ils toujours implicitement référence à la mesure humaine? On sait que, historiquement, les pièce i/u'cu\. sur le même divan, tout
piés. auto tu de la même table à thé.
différences de plans ont été nommées par référence au corps humain, ce sont des mesures El enfin, a l'aide du iiios plan (détail
d’approche du corps humain : ainsi, lorsqu’on étale uneWatte ou un cafard sur toute la largeur iiiossi). le speaateur pénètie au uè-
de l'écran, on ne dira pas qu'il s’agit d'une blatte ou d’un cafard en plan moyen ou en plan général, Jimds de ce (pu se passe a l'é d on : des
mais d’ un cafard en gros plan ou en très gros plan, c'est-à-dire tel qu’on pourrait le voir sur le cils qui battent, une main qui fiennt. le
bout des doigts rentiês sous la dentelle
revers de veston d’ un individu quelconque; alors que l'individu en question, s’étalant tout entier des manchettes. . »
sur l’écran, est, lui, « en plan général ». Autrem ent dit, dans l'arbitraire des noms de plans, la réfé (Au delà des Etoiles, p 263, 10/18).
rence au corps humain, à la « hauteur d'homme ». est constante, quand bien même rien
Chaque type de plan exprime donc,
d’humain n'apparaîtrait sur l'écran (ainsi du cafard « en gros plan »). selon ce point de vue en somme clas
sique, un plan de réalité sons un ani:le
Donc, les plans ont à priori un contenu de réalité à la fois « objective » et subtilement impré émotionnel. Un plan est un plan de
gnée de subjectivité, d'une référence implicite à la présence humaine (j'entends strictement : la réalité, une facette de réalité - de réa
lité objective et. indissolublement, de
stauire humaine, le corps imaginaire). Chaque grosseur de plan en ce sens inscrit une proximité réalité humaine. A vec le gros plan
ou un éloignement non pas réels, mais imaginaires et connotés d'érotisme : au cinéma, c’est tou commence, il est vrai, l'inhum ain. Et
jours à la rencontre de l'autre - le semblable ou l’étranger; l'étranger-semblable, le tout autre, le c'est pour avoir privilégié le gros plan
même - que vont les mouvements d'appareils, les travellings, les changements de plan. El la qu'Eisensiein ne peui être dit tout à
fait un cinéaste classique et a eu tant
« réalité » qui dans chaque plan miroite, étalonnée et homogène de l'un à l’autre, toujours une d'ennuis avec les hommes du plan
et la même, est ainsi le tissu même du fantasme précipité, comme dit Bazin quelque part, en d ’ensemble - quinquennal ou autre -
nature. L'impression de réalité cinématographique se soutient de la stature humaine et récipro et du plan moyen, voire médiocre.
quement.
Or, c'est précisément au niveau de l'unité du plan, de son unité de texture, que ce dispositif
proprement érotique ei émotionnel, se soutient. Si le plan est « cassé », le système est fêlé. On
a pu par exemple écrire : « Même le plan le plus partiel et le plus fragmentaire (c'est-à-dire ce que
les gens de cinéma appellent le gros plan) présente encore un morceau complet de réalité ». (Ch.
Metz, La Signification au cinéma). Il est clair que ce n’est plus vrai, ou du moins qu'on ne peut
pas le dire comme ça, du plan à la Godard ou à la Syberberg. Est-ce simplement parce qu'ils uti
lisent à l'excès la surimpression, les effets hétérogènes dans la texture du plan? Non, c'est parce
que ces surimpressions, incrustations, découvertes, transflex et autres sont utilisés dans une
direction déterminée : casser précisément l’effet de réalité unitaire pour recréer un espace original
de signes et d'intensités. Le plan n'est plus, chez Godard ou Syberberg, une synecdoque de réalité
humaine (ou du moins ne l'est plus simplement : il est évident qu’on ne saurait abolir l'imaginaire
de l'impression de réalité au cinéma) mais un système d’écriture complexe qui fait apparaître une
dimension non-humaine, infra ou extra-humaine : les dieux et les quarks.
PB.
i
LES DIEUX ET LES QUARKS 9
EISENSTEIN
ET LA QUESTION GRAPHIQUE
PAR FRANÇOIS ALBERA
L ’exposition de 150 dessins d’Eisenstein organisée par le CCI de Beaubourg et l'U nion des
Cinéastes soviétiques révèle un aspect assez peu connu de la pratique graphique de S.M.E. A dire
vrai, on mesure encore mal la place occupée par le dessin dans son travail et surtout dans sa vie...
Certains passages des Mémoires et surtout ces quelques dessins inédits le laissent un peu mieux
entrevoir. De toute façon, Naoum Kleiman estime à plus de deux m ille les dessins conservés dans
les archives soviétiques : on en connaît quelques centaines seulement ! Par ailleurs, révaluation
de ce corpus doit tenir compte des dessins perdus à jamais, dispersés, volés ou encore invisibles
1. Perdus les milliers de dessins pré pour diverses raisons... (1).
paratoires au Pré de Béjine dont parle
Jay L e y d a ( K i n o , Ed. L ’A g e
d'Homm e. Passage traduit in CdC En dépit de ce qu’on savait (grâce à Mary Seton) des dessins « mexicains » exposés à New York
226/7, p. 95). Détruits ceux qu’ E. en 1932, le discours officiel sur E. a toujours dévolu au dessin le rôle de travail préparatoire aux
jugeait « indécenls ». Volés ceux qui film s, croquis de plans, composition, mise-en-cadre. Le petit texte (ou plutôt l’extrait de texte)
referont surface peut-être un jo u r,
publié à la fin de Réflexions d'un cinéaste disait clairement qu’ il ne fallait pas voir autre chose dans
comme les « dessins-d'Eisenslein »
de G. Rochal publiés en partie dans ces dessins que de la sténoplastique, la transcription d’intuitions, le moyen de les noter rapide
l’almanach Iz Istorii kino en 1974, ment (2). Quand la Cinémathèque française exposa trois cents dessins d’ E. en 1960, Léon Mous-
ramassés sur les tables, dans les cor sinac écrivait dans Les Lettresfrançaises : « Ces études valent par elles-mêmes enfonction de l'utilité
beilles à papiers...
quelles nous révèlent avoir eue dans la préparation d'une oeuvre filmée... ». L ’album publié en
2. « Pourquoi je dessine ». Réflexions U.R.S.S. au même moment reconduisait la même image : dessins de travail, caricatures (diver
d'un cinéaste (Ed. du Progrès). tissement) (3).
3. Moscou 1961.
Depuis lors, cette image a été modifiée dans deux directions : par une exposition à la Biennale
de Venise en 1972 et par la publication d’ un choix de Dessins mexicains à Moscou en 1969. L ’expo
sition de Venise révélait d’abord une trentaine de dessins liés à des mises en scène théâtrales (pro
jets, réalisations, costumes, décors), de 1917 à 1944. Ainsi qu’une série de cycles « m ythologi
ques » sans rapport avec l’oeuvre filmée : « La Chute de Satan », « La Chute d’ Adam et Eve »,
« Judas », « Véronique »; des dessins évoquant Apollon, Dionysos, Orphée, etc. Quant aux des
sins « mexicains », ils rendaient éclatantes l’indépendance, l’autonomie entre pratique film ique
et pratique graphique : par exemple l ’interruption du tournage de Que Viva Mexico ! à cause de
la pluie donne naissance à 140 variations sur des thèmes shakespeariens (« La m ort du roi Dun-
can » notamment).
Et surtout se lit dans ces dessins une dimension fantasmatique que les film s, eux, lient aux
discours idéologiques. L ’apparition de ces 150 dessins - essentiellement ceux de 1931 à 1947 -
permet de parler d’ un recours au dessin. On peut en partie comprendre, dès lors, pourquoi cette
activité graphique commencée en 1913 (pour régler des comptes avec le Père, entre autres) s’ inter
rompt pendant la période des film s muets. Entre 1922 et 1931, Eisenstein ne dessine pas ou fort
peu - y compris dans le travail de préparation des films. Après 1931 - par exemple au moment
du Pré de Béjine - il couvre des pages de dessins, ce qui fait parler Leyda de « flot » puis de
« fleuve » : « il faisait des croquis pour tout ! »; et Grigori Rochal : « Il dessinait constamment.
Il ne s’arrêtait jamais, il utilisait le moindre bout de papier. »
Cette composante compulsive atteste qu’ il ne suffit pas de diviser l’ensemble des dessins en
fonctionnels et « libres ». En fait le dessin est un recours qui fonctionne sur l’opposition
En face, un dessin des frères Sternberg. privé/public. A vant le départ pour l’Europe et les U.S.A., Eisenstein pense son statut d’artiste
12
Dessin de S.M.E.
I
ET LA QUESTION GRAPHIQUE 13
dans les termes des groupes d’avant-garde, plus particulièrement selon les thèses de Tretiakov :
disparition de PAuteur théologique, commande sociale, caractère pédagogique de Part. Rappelons
- pour aller vite - que durant ces années, E. énonce « la » méthode pour faire du cinéma ouvrier
et finalement songe à adapter Le Capital et à développer un « cinéma intellectuel ». Pendant le
voyage en Occident, il va reconduire ces thèses (dans les conférences qu’il fait) mais dans le même
temps il s’attache à explorer le domaine de la subjectivité (Montagu a conté les visites aux psy
4. [vor Montagu, Wilh Eisenstein in chiatres, à l’in stitu t Hirschfeld de psycho-pathologie)(4). A son retour en U.R.S.S., le lien artis
Hollywood, Seven Seas Publ., Berlin tes/société a été reformulé dans les termes les plus académiques. Les groupes d’avant-garde où
(R D A), 1968. C f aussi M . Selon S.M.
se retrouvaient plasticiens, littérateurs, cinéastes ont été dissous au profit d’Unions étroitement
Eisenstein, a biography, Londres 1952.
spécialiséesselon les pratiques; les cinéastes sont à la fois renvoyés à l’ A rt et à leur Nom et iis
ont à cautionner la politique de l ’État. Il ne s’agit plus de considérer le travail du cinéaste comme
composante du procès révolutionnaire (comme c’est le cas jusqu’à La Ligne générale), il s’agit
d’illustrer, magnifier quelque chose de déjà donné (dans Béjine, Nevski, Ivan). On pourrait repérer
un déplacement analogue dans les écrits d’ Eisenstein : de propositions pour une politique du
cinéma, on passe au cinéma au service de la politique (avec corrélativement une autonomisation
de f« esthétique »).
Dès lors la division privé/public est ravivée : l’infantilisation des artistes pendant le stalinisme,
c’est à la fois l’ image de marque du Grand Homme (décorations, déclarations sur la politique
mondiale) et un enfermement sur soi. C ’est l’époque des grands projets esthétiques totalisants
(La Non-Indifférente nature, Méthode, Montage) d’où est absente toute référence à une fonction
politique du cinéma, mais où, par contre, la notion d’A uteur fait retour (le film part d’une « obses
sion » de l’auteur, le spectateur a à retrouver l’« idée fixe » de l’ auteur, etc.). En attendant de pou
voir lire le Journal et la Correspondance des années 20-30 (inédits), on peut conjecturer que dans
la période antérieure au voyage en Occident, la part « publique » occupant toute la place, les fan
tasmes sont refoulés ou réélaborés dans les film s à partir de contraintes formelles très surmoïques
(constructivisme, cinéma intellectuel).
Cubisme et Constructivisme
Cette contradiction peut donc se repérer également au sein du rapport qu’ E. entretient avec le
graphisme. Ses premiers dessins (de 1913 à 1917) s’ inscrivent dans une tradition de caricatures
issue de Daumier, G ill. Son intérêt pour l’art graphique le conduit à étudier Moreau le jeune (gra
veur du X V IIIe), Dürer, Callot, Goya, Hogarth, les Japonais. Pourtant son travail de décorateur
au début de 1920, pendant qu’ il est dans PArmée rouge, inaugure de tout autres références plas
tiques : c’est que la troupe que dirige le peintre Eilisseiev (à V éliki L o u k i)- pour laquelle E. conçoit
les décors de Madame Sans Gêne-, les Lrainsd’Agit-prop qu’ il faut peindre et décorer avant qu’ils
ne partent pour le front, tout cela participe des mouvements de Pavant-garde picturale. En 1920,
les troupes traversent Vitebsk dont les murs et les rues sont repeints sous la direction de Malé-
vitch (alors directeur de PÉcole de peinture de cette ville et auteur d’une brochure, Des nouveaux
5. Publiée à Vilebsk en 1919 puis à systèmes en art) (5). D ’autre part, E. a pu voir en 1918 à Pétrograd la première mise en scène par
Moscou sous le titre De Cézanne au Meyerhold du Mystère Bouffé de Maïakowski dans des décors de Malévitch (pièce qu’E. tentera
Suprématisme (avec des coupures). Il de mettre en scène à son tour pendant sa période m ilitaire, à Vozega - selon V. Chklovski) (6).
a été traduit sous ce tilre en français
(L’ Age d’ Homme ei Champ Libre).
Les dessins pour le théâtre (décors et costumes) ressortissent donc du cubisme et du cubo-futu
6. VictorC hklovski.f/scns/c/rt, Mos risme alors dom inant dans les recherches de mises en scène (chez Taïrov par ex.). Dans Le M exi
cou 1973, p. 88 (Ed. italienne). cain (1921), tel personnage est traité à partir du cube, tel autre de la boule. Les ébauches pour Le
Chat botté de Tieck (1921) travaillent à une construction de l’espace scénique et non à son amé
nagement. Aussi est-ce dans la logique de ces recherches plastiques que la composition des cadres
deZ-fl Grève (1924) est constructiviste, qu’elle entretient de nombreux rapports avec Part d’affiche,
la photographie, le photo-montage d’ un Rodchenko par exemple.
Dans un texte des Mémoires (« Comment j ’ai appris à dessiner »), Eisenstein évoque cette sorte
d’emballement du dessin (qu'on retrouve aussi dans l’écriture) ainsi décrit par G. Kozintzev :
« l’écriture vole, fonce à toute vapeur, les mots sont interrompus par des dessins, la ligne court...
Avec une hâte fébrile, il sténographiait les innombrables essaims des associations... » (11). Le 11. in Cahiers 226/7
peintre Jean Chariot parle d’écriture automatique à propos des dessins exposés à New York en
1932 et M. Selon ajoute qu’ E. assurait vouloir analyser rationnellement les effets de cet automa
tisme par la suite. « Après coup » commun chez lui qui relit sans cesse certains passages de ses
film s mais qui dans le cas des dessins est parfois insupportable puisque, d it-il dans ses Mémoires,
les dessins « les plus imprudemment sincères, les plus indécents sont immédiatement déchirés
en petits morceaux ».
Celte « écriture automatique » est donc inséparable de la ligne qui file, court plus vite que
l’« intention » de figurer quoi que ce soit, qui ne délim ite pas car elle ressortit non du « demeu
rer » mais de P« aller » d it-il, elle est mouvement, dynamisme : citation de Wan-Bee, « Q u’est-ce
que la ligne? La preuve du mouvement », et d’Engels, « C ’est le mouvement qui retient d’abord
l’attention, ensuite seulement on pense à ce qui se meut ! » (autre définition de P« après-coup »).
Seule la vitesse, le mouvement permet le passage, l’ association, la transformation. Dans un texte
intitulé « Prométhée » (non daté), E. oppose les deux peintres mexicains Diego Rivera et José Cle-
mento Orozco et rapproche ce dernier de son propre travail. Or Orozco - beaucoup plus proche
de la tradition mexicaine que Rivera ou Siqueiros - se caractérise par un dynamisme des formes.
« Orozco nourrit d’une quiétude olympienne, surhumaine, son éternel exode dans les formes et
les couleurs ». Dans ses fresques (où E. remarque un Chrisi grotesque en perruque blonde de
Louis X IV qui se retrouve dans ses dessins mexicains), la beauté est « aux confins de l’atroce,
de celle atrocité explosant en sublime beauté ». On peut s'interroger sur l’association de la beauté
à l’atroce, à la torture - comme tout à l’heure dans le commentaire sur la ligne comme trace du
fouet sur l’épiderme, dès lors que le dessin - ou la peinture - se fait mouvant, dynamique.
C’est que ce dessin linéaire - proche un peu de Léger, de Matisse et Picasso - , sans solution
de continuité ou presque, parfois sinueux, parfois conformé à une géométrie d’ensemble (cadre,
dimension de la feuille ou de la figure globale qui soumet les membres ou les corps à des « défor
mations »)et vers la fin très elliptique (série des « Dons », 1947), ce dessin-là échappe à tout « pro
jet », il se fait révélateur du fantasme.
On peut voir alors ce sur quoi fait fond le travail film ique : ce qui est repris et travaillé des fan
tasmes de l’auteur dans le discours politique. Là où le dessin exhibe, le film ou le croquis « tra En face : Samson et Daltla. dessin de
vaillé » reélaborent. On pourrait prendre cent exemples. Prenons celui, central, de la castration. S.M.E. (Mexico. 1931)
15
ET LA QUESTION GRAPHIQUE
16 EISENSTEIN
Un souvenir d ’enfance de S ir G ay
La scène, dans Octobre, où un marin bolchevik se fait assassiner par des bourgeoises à coups
d’ombrelles, Eisenstein dit dans ses Mémoires qu’en la réalisant, il s’est « délivré d’un tableau
obsédant ». Cette image sur laquelle il n’a pas cessé de revenir dans ses textes (autobiographiques
et théoriques) est l’exemple-type du fantasme reélaboré dans le cadre du discours politique du
film au terme d’une chaîne de transformations entées sur un ensemble de références culturelles :
P« origine », avouée dans les Mémoires, c’est un livre consulté en cachette dans la bibliothèque
paternelle consacré à la Commune de Paris, car après la défaite des Communards, on a vu des
femmes de la bourgeoisie crever les yeiix de prisonniers avec leurs ombrelles. Une page plus bas,
sans établir de rapport, E. évoque sa visite au Musée Grévin et il s’attarde à décrire le personnage
de M arie-Antoinette promis à la décapitation et la tête tranchée de la Princesse de Lamballe!
Auparavant, dans « Eh ! de la pureté du langage cinématographique » ( 1934), Eisenstein s’était déjà
attardé - au cours d’une digression - sur cette scène d'Octobre en commentant un passage de
Germinal de Zola où faffam eur Maigrat se fait châtrer par les femmes de mineurs en furie... De
même que Zola a voulu inscrire dans cette scène le clim at de la Révolution de 1789 (suit une
série de références historiques à des castrations perpétrées pendant la Révolution : mais castra
tions féminines seulement !) (12), de même E. dit avoir voulu évoquer « de surcroît » le climat de 12. Apparemment sans remarquer le
la Commune dans la scène du marin assassiné.,.. Il est évident que le problème posé ici est rien « renversement » opéré, E. donne
moins que formel et artistique - comme la dénégation eisensteinienne tente de l’affirm er - car comme source historique de la castra
tion de Maigrat par des femmes dont
tous les textes qui s’y réfèrent tournent autour du fantasme de castration que les dessins ne ces il a abusé des événements de la Révo
sent d’évoquer plus ouvertement encore... lu tio n où le peuple en fureur
s’empare de la Princesse de Lamballe.
Cette angoisse de castration traverse ainsi les différents « genres » de dessins : caricatures de □m ie intim e de M arie-Antoineite.
pour se faire justice et qu’« un des
l’ adolescence, esquisses de théâtre, séries mythologiques, bibliques,jouent de l’équivalence : participants lui coupa les parties hon
décapitation + castration, dans l’évocation de femmes telles que Salomé, Lady Macbeth, Dalila... teuses et s'en fit une moustache »(cit.
La série « Samson et Dalila » (incomplète dans l’expo) propose ainsi cinq « états » des rapports de L.S. Mercier, Paris pendant la
du couple : Dalila saisit les ciseaux, la première mèche, les cinq mèches et enfin Samson présente Révolution)... Une édition ultérieure
du même texte voit une nouvelle pré
sa tête tranchée (et souriante) aux ciseaux de Dalila qui coupe une mèche de cheveux. cision s'ajouter à la note, tirée d'un
journal de 1894... On peut noter que
Les premières caricatures qu’ E. tente de publier dans la presse en 1917 évoquent, l’ une la guil la scène du Musée Grévin décrivant
lotine (que Kérenski refusait de dresser à Pétrograd) - il fut refusé - , l’autre « La nouvelle Lady M arie-Am oinette apercevant de sa
fenêtre la tête sur une pique de la
Macbeth ». On a ensuite le thème de Saint Sébastien et une « Nouvelle Salomé », Eisenstein Princesse de Lamballe se calque sur le
signe alors ses dessins « Sir Gay » (= Ser-guéï) : or les thèmes que l’on vient d’évoquer vont reve passage de Germinal ou, réfugiées
nir sans cesse dans ses dessins à partir du Mexique, mêlant - par l’intermédiaire des « sujets » dans rhôtel, les femmes « restèrent
classiques, de la tragédie - sexe et mort. Dans « Terror - Spain » par exemple (série de 1939) les béantes » à la vue du « trophée san
glant » planté sur un bâton. Renver
dessins énumèrent assassinats au couteau, à la hache et idylle d’amoureux... Il revient deux fois sement du renversement inscrivant à
sur le thème de Saint Sébastien (1936 et 1937) avant de se consacrer à des suites angoissées : la lettre l'équivalence « décapitation
« Rien » (1937)- 6 dessins où des personnages falots tournent autour d’un cercle vide, le Rien = castration » avec l’échange des
(chaque dessin est sous-titré en allemand) ;« La vie quittant le corps » (1939); « Au royaume des sexes (femmes castatrices - femmes
castrées) ! Tant Zola qu’ Eisenstein
aveugles » (1944)- dont le style assez différent des autres dessins évoque l’expressionnisme alle entretiennent un rapport qui fait
mand. Ces séries (qui alternent avec des ensembles plus futiles - comme « Les Clowns » - et sou symptôme avec leurs textes respectifs
vent inspirées de gravures ou de photos de magazines - « M otifs français ») aboutissent à la der (sans parler des commentateurs...).
nière suite dessinée par E. en décembre 1947, « Les Dons ». Le dessin est alors plus fugitif, ellip On tâchera d'y revenir dans un travail
en cours
tique et les « sujets » semblent évoquer de vains efforts de saisie mués en figures de ballet. Ces
séries-là - surtout celle des « Aveugles » - ne sont plus dominées par l'hum our et l’auto-ironie
qui donnent à la plupart de ces dessins angoissés leur aspect très serein. Outre les diversions fu ti
les (où il pastiche Degas, Lautrec), la dernière série où l’ hum our masochiste permet l’expression
fantasmatique, c’est celle des aventures d’un homme-mannequin (avril-mai 1945), série certai
nement incomplète ici,qui répète compulsivement la perte de virilité. « Examen médical » par
exemple où une infirm ière rigolarde considère un jeune homme bouclé et angélique qui n’est
qu’un buste et s’écrie : « Mais il lui manque certaines choses! ». Ou « La nouvelle Psyché » : une
femme aux seins énormes dénudés découvre avec stupeur, en soulevant le drap, que son par
tenaire n’a pas de corps...
Du 6 décem bre 1978 au 8 janvier 1979, au Centre Georges Pom pidou (niveau fo ru m - salle d'animation), exposition
organisée par le C.C.I., de 1 5 0 dessins inédits d ’Eisenstein, sous le titre : « Eisenstein, constructeur d'espaces, scéni
ques : carnets de dessins originaux ». Le catalogue de l'exposition (« Eisenstein : Esquisses et dessins ») sera publié
par les Éditions Cvhiers du Cinéma. V oir encart central et annonce, page 73 de ce numéro.
17
CINÉMA U.S.A. - 2
1. ROBERT KRAMER
Entre Robert Kramer et les Cahiers, il existe depuis longtemps com me un dialogue, par des
sus les mers, par dessus les expériences et les trajets.
Si nous, ici, ne bougeons pas beaucoup (aux Cahiers, nous attendons les films, ce sont eux
qui nous font « voyager »), lui voyage sans arrêt : voyage politique (point commun avec nous :
le trajet des Cahiers depuis 10 ans est aussi un voyage politique), expérience humaine; ses films
sont com me des bornes, des repères, au travers d'un certain nomadisme ou d'une ethnogra
phie vagabonde. Et nous essayons, aux Cahiers, de ne jamais le perdre de vue.
De la côte est à la côte ouest, à San Francisco où il s'est installé pour le m om ent et où nous
l'avons rencontré, de l’Amérique au Vietnam, de l'Amérique au Portugal, du Portugal en An
gola, de l'Angola en Californie. De chaque voyage, Kramer ramène des films ou des images :
People's War, Portugal (dont les Cahiers n'ont pas parlé, bien que nous ayons program mé le
film au Studio des Ursulines, en mars 77, lors d'une Semaine des Cahiers), ou un livre de photos
fait en Angola, « W ith Freedom in their Eyes »; entre les deux, Milestones, film dont nous avons
beaucoup parlé ici, en rangeant un peu vite le film sous la bannière d'un discours sur « l'après-
gauchisme », et qui nous a permis, tout aussi facilement, de bavarder à partir de nos fantasmes
sur l’Amérique, (voir Cahiers n° 2 5 8 - 2 5 9 - Juillet 1975).
Kramier a toujours été, pour les Cahiers, sinon le cinéaste américain par excellence, du moins
celui avec lequel un dialogue permanent s'échangeait (chacun trouvant en l'autre un interlo
cuteur, chacun, le plus souvent, « fantasmant » l’autre) à partir de l'articulation de deux grandes
questions du moment : le Cinéma (l'Art) et la Politique (le discours militant, les expériences de
vie et de lutte).
Entre lui et nous, un certain jeu de miroir, un imaginaire commun du cinéma et de nos places»
respectives.
D'une certaine manière, Kramer est à la fois un cinéaste de Yici (les marges de l'Amérique :
Ice, Milestones) et un cinéaste de Xailleurs (People's War, Portugal), et Tailleurs où se mènent les
luttes anti-impérialistes (c'est-à-dire aussi anti-américaines) les plus féroces de ces dernières
années.
18 CIN É M A /U .S .A . - 2
Ce clivage pour Kramer est une chose sérieuse; ce qui fait qu’il n'est pas un cinéaste docu
mentaire, itinérant, sans racines personnelles, et peut-être sans relation avec récriture, c'est
son lien très fort avec un certain esprit communautaire américain, l'esprit des années soixante,'
aujourd'hui légèrement en perte de vitesse, qu'il a de fortes chances de retrouver du côté de
San Francisco.
Ce lien, cette attache, font que le cinéma qu'il fait est plus ethnographique que documen
taire, plus cosmogonique que sociologique, plus rattaché à une terre ou un territoire humain
que s'il n'était que le cinéma d'une dérive ou de l'errance. Il est beaucoup question de la dis
sidence aujourd'hui, un peu à tort et à travers; je n'aime pas beaucoup employer le mot, mais
il me semble que le cinéma et la situation de Kramer ont à voir avec la dissidence, en ce sens
que voilà quelqu'un qui ne reconnaît pas, dans ses films et dans ses idées, de légitimité à l'Etat
(l'Etat américain) censé représenter les intérêts de toute la Nation. Ceci ne serait pas grand
chose si ce cinéaste ne reconnaissait, non plus, aucune légitimité à Hollywood ni au cinéma
américain dont l'universalité et l'hégémonisme, à l'intérieur même du pays, ne sont plus à
démontrer.
C'est ce qui me fait préférer, personnellement, ses films «américains» à ses carnets de
voyage, quoiqu'il soit difficile, je répète, de ne pas voir le lien qui s'établit entre les deux genres.
Mais ce clivage de Kramer n'est possible que parce qu'il y a un grand absent : Hollywood.
Si Kramer réussit à produire les images de cette tribu ou de cette saga familiale qu'on voit dans
Mifestones par exemple, tribu fille de l'Amérique et orpheline de père, où se reflète et se vit
activement et subjectivement, politiquement et filmiquement, la question vietnamienne, c'est
qu'il n'a jamais eu aucun com pte à rendre à Hollywood, à la machine cinématographique
dominante de son pays.
S’il est question, dans Mifestones, de nouveaux rapports entre les êtres humains, d'un certain
mode de vie intégrant aussi du végétal ou du biologique, tout un aspect « naissance d’une
Nation » qui n’est pas renvoyé uniquement à de l'idéologie ou du discours, il est aussi question,
avant tout sans doute, de cinéma, d’images de cinéma, disons d'un cinéma naissant lui aussi,
nouveau (non au sens où on l'entend quand on dit « le nouveau contre l'ancien »), premier :
com me si Hollywood n'existait pas! Kramer ne met pas en scène Mifestones contre Holly
wood, il filme comme si Hollywood n'existait pas.
En retour, c'est la raison pour laquelle Hollywood et le cinéma américain ont, jusqu'à présent,
ignoré le cinéma de Kramer, et n'ont pas décelé en lui un grand cinéaste. Voilà aussi pourquoi
la renommée de Kramer passe par l'Europe, et particulièrement par là où est reconnue la vita
lité et l'importance du cinéma ethnographique, de l'écriture cinématographique.
On comprend peut-être mieux la situation dans laquelle se trouve R.K. en le voyant chez lui,
dans son environnement : la relation imaginaire prend corps, un peu comme lorsque des per
sonnes qui se connaissent sans s'être jamais vues se rencontrent pour la première fois. A la
première entrevue, il avait dit : « Plutôt qu'en entretien, faisons une mise au point, discutons ».
Nous avons parlé, pas seulement du cinéma, pas seulement autour d'un magnétophone, dans
les cafés et les restaurants, au cinéma et sur la plage, à deux et à quatre, avec deux amies des
Cahiers qui faisaient partie du voyage, Annie Cot et Marthe Cartier-Bresson.
On entre dans l'univers de Kramer comme on entre dans Mifestones, ou plutôt comme les
personnages de Mifestones entrent dans le film, les images, ou le plan. C'est quelqu'un qui a
besoin de créer ce tissu amical, affectif qui le relie aux autres, de faire en sorte que vous ren
triez, même malgré vous, dans cette tribu imaginaire qui est la sienne, où se vit, collectivement,
la solitude.
Je parle de solitude, non seulement parce que les collectifs politiques sont plus rares, mais
aussi parce que la place d'un cinéaste com me Kramer y est de plus en plus difficile à tenir, à
partir du moment où, comme il le dit lui-même, le cinéma devient son métier, sa profession,
ce qui définit, avant tout autre chose (plus que toute foi militante}, sa pratique.
Dès lors se repose la question d'Hollywood, en des termes nouveaux : redéfinir son oppo
sition, sa différence, et du même coup, re-analyser le cinéma américain, les alliances possibles.
C'est de ça que Kramer a surtout parlé avec nous.
ST.
ENTRETIEN AVEC ROBERT KRAMER
Robert Kramer. Les rares personnes qui aient pris au sérieux ce communautaire, etc. On a pris ce film com m e un : « voilà où en est la
que nous voulions faire, c'était à cause de leur parcours politique, génération de 6 8 aux états-U nis. #
culturel, historiquem ent proche. Je m ’en suis rendu com pte quand
j'ai lu les articles des Cahiers, quand j’ai vu que vous compreniez nos C'est peut-être un malentendu entre toi e t nous. Tu dis qu 'ici la gau
film s de la meilleure façon, la plus proche de nos intentions. Je ne che a attaqué le film, les Cahiers l'auraient sûrem ent défendu. M ais
sais pas exactem ent ce qui s'est passé avec le film Portugal et à ce sans doute pas avec de bons argum ents politiques; p lu tô t avec des
propos j'aimerais connaître mieux l'histoire des Cahiers. Très sim ple arguments spécifiques, cinématographiques. Quand Portugal est
ment, voici ce qui est arrivé : la com m unauté gauchiste ici était très arrivé, on s'est d it : ir tiens, c'est le cinéma m ilita n t qu'on a connu en
critique par rapport à M ilestones et nous-m êm es l'étions trop. Au France», qu'on n ‘a pas to u t le tem ps trouvé intéressant - souvent
lieu de voir le film d'une façon plus dialectique, de com prendre sa c'était très inintéressant - ça pourrait ressembler à ce q u 'il y avait de
véritable force en essayant de faire abstraction de la situation poli bon dans le cinéma m ilita n t juste après 68, à Oser Lutter, Oser Vain
tique, nous ou je me suis rebellé contre lui et j'ai essayé de trouver cre pa r exemple, film réalisé pendant les événements de 6 8 à Flins.
un moyen de clarifier certaines questions politiques d'une façon plus Peut-être que le film Portugal est une réponse à ta gauche U.S. par
traditionnelle, à l'intérieur des structures du marxisme-léninisme. Ça rapport à Milestones, mais c'est une réponse sur un autre terrain. Pas
a coïncidé avec le film Portugal. Je n'ai pas vraim ent choisi le film aux États-Unis, mais en Europe, où peut-être on p e u t poser les p ro
Portugal. J'étais au Portugal et j’y ai trouvé la situation dans laquelle blèmes en termes de parti, d'avant-garde, de marxism e-léninism e,
je pouvais clarifier ces problèmes à travers un film . Le problème poli d'idéologie, d'organisation, de soutien aux luttes ouvrières, donc film er
tique principal du film Portugal, il fallait vraim ent que j'y sois person aussi ce type de questions.
nellement confronté et il faisait aussi partie de la lutte politique qui
se déroulait ici, aux États-Unis, dans la gauche, autour de la question A lors que pour nous, Milestones était un film américain, un film
du Parti, autour de la question : « com m ent décrire le rôle de l'im pé sur l'Am érique, le territoire, la traversée, les racines, la communauté,
rialisme? ». Et surtout, le Portugal, c’était pour moi la découverte de John Ford, le nouveau monde, etc. Peut-être qu'à chaque fois on t'a
la lutte de classes en Europe, dans un pays industriel avancé, parce compris, m ais pas comm e tu t'y attendais...
que ma propre expérience c’était avec le Tiers-M onde. Vous avez eu
6 8 en France. Les années 6 0 ici ont été très différentes, nous
Kramer. J'ai beaucoup de réserves sur le film Portugal, mais cha
n’avons jamais connu de situation révolutionnaire généralisée. Donc,
que fois que je le vois, je l'aime beaucoup et j'ai constaté, surtout
le film Portugal concordait to u t à fa it avec mon parcours et j'étais
chez les gens du Tiers-Monde, qu'il répond à quelque chose. C'est
heureux d'essayer de forger des outils pour com prendre la situation.
la première fois que j'essayais ça : à la lim ite un film purem ent intel
lectuel, une espèce de raisonnement to u t à fa it particulier - qui n'est
J'ai découvert très rapidem ent que vous alliez dans une to u t autre pas celui du PRP (Parti Révolutionnaire du Peuple). Je ne pense pas
direction, que vous reprochiez au film d'être fermé, e t que pour vous, que le film soit un film du PRP. C'est un raisonnement au bout
européens, c'était du connu, du familier. Ce qui m 'avait surpris, parce duquel nous identifions le PRP com m e une force principale, c'était
que je ne vois pas de film qui ressemble au film Portugal... notre analyse. Ce qui est très différent d'être engagé par le PRP pour
faire un film .
Bref, cette connexion que nous avions eue - te travail que nous
avions fait sur notre histoire, qui avait sens pour vous, en France - Nous avons comm encé le film en croyant qu'il n'y aurait pas du
était brisée avec le film Portugal. to u t de discussion sur les partis mais sur les m ouvem ents de masse
et nous avons abouti à la conclusion que le PRP était le Parti de la
Cette espèce de relation naturelle au cours de to u t notre travail classe ouvrière, l'Avant-garde. Les choses qu'ils avaient dites, leur
s’est brisée là, pourquoi?
contribution au m ouvem ent de masse, étaient très im portantes et
cela faisait partie de nos responsabilités de com m unistes de ne pas
Cahiers. Quand Ice est arrivé aux Cahiers, je n étais pas aux Cahiers, avoir peur de prononcer tel ou tel nom. De notre part, c'était éga
c'était en 68, j'é ta is au P arti Communiste. Quand les Cahiers on t lem ent une provocation car nous pensions que l'attitude anti-parti
défendu Ice, ils étaient dans la mouvance du PCF, et dans la revue, au en général et en particulier au Portugal était une grave erreur. Il
cours d'un débat, des rédacteurs se sont opposés aux positions a com régnait l'idée que soulever la question de la nécessité d'un parti était
m unistes a>qui taxaient le film d'aventurisme. Eux défendaient le film sectaire. Or j'étais vraiment convaincu qu'il fallait un parti pour coor
au nom du travail sur la fiction, Robert K ram er auteur, etc. donner la lutte du peuple. Il y a beaucoup de choses à dire sur le film
et je pense qu'il faudrait que vous le revoyiez, sans traduction sim ul
Quand on a vu Milestones, ça a été très im portant, on l'a pris comm e tanée com m e ce fut le cas à la projection à laquelle vous avez assisté
un message d ’A m érique sur ce qu on appelle l ’après - gauchisme et on - car la narration est extrêm em ent importante.
a fa it la lecture la moins politique du film . Ce qu'on a aimé c'est la
famille, la naissance, tes relations aux corps, aux personnages, com Ce qui m'intéresse c'est : com m ent vous comprenez le cinéma?
m ent tu film ais de près, com m ent tu créais film iquem ent un espace Com m ent je comprends le cinéma? Pourquoi personne ne voit mes
20 C IN E M A /U .S .A .-2
ROBERT KRAMER 21
film s ici aux États-Unis etc. ? La plupart du temps, mes film s ne por leurs enfants ou à d ’autres personnes, mais je ne com prends pas
te n t pas sur ce que les gens croient. Sans doute est-ce là un défaut qu'on reproche ça au film . C'est sans doute en partie à cause de
des films. Tous portent su r: com m ent les gens s'accom plissent et l'im portance accordée à la naissance, aux enfants, par les hommes.
assument leur rôle historique, com m ent ils rejoignent ou non le cou Mais il y a beaucoup de vrai là-dedans ! Le problème des enfants
rant principal de l'histoire. Et cela, à l'exception du film Portugal, .dans était pour m oi un des plus im portants, un de ceux que j'essayais de
le contexte des États-Unis et de l'espèce d'isolem ent spécifique com prendre à cette époque-là. Mais même sur cet aspect, à mon
d ont nous avons fa it l'expérience ici, nous les sujets des films. Il y a avis, c'est une fo rm e ouverte, il ne s'agit pas d'un jugem ent. Ce sont
ce rythm e entre l'engagem ent politique où on perd plein de choses des éléments de jugem ent qui doivent perm ettre l'expérim entation,
et ces choses - les relations entre les gens, les familles, les enfants, le mélange de toutes ces questions dans nos têtes. J'ai trouvé les cri
la nature - pas en tan t qu'idée mais expérience de to u t notre corps. tiques de la gauche ici très, très superficielles, y com pris celle de
Dans TheEdge, on peut voir les deux très clairement. Ice, c'est le che Ju m p Cut, qui attaquait les Cahiers parce qu'ils soutenaient le film .
min pour trouver l'accomplissem ent dans la lutte politique. Après
Ice, il y a un film très im portant, le film au Vietnam , People's War, qui Cahiers. p a rtir de ces critiques de la gauche, est-ce que tu ne peux
a été l'occasion de voir clairem ent pour la première fois, parce que pas deviner quel cinéma la gauche veut ? Est-ce que c'est en accord
nous avions quitté les États-Unis, les limites de notre façon de poser avec le cinéma que tu veux faire, toi? A m on avis, quand ta gauche
les questions. Ce que nous avons vu au Vietnam c'est la différence veut du cinéma, c'est rarement celui que les Cahiers aiment. Tous les
entre la lutte de to u t un peuple et celle d'un fragm ent de fragm ent. auteurs qu'on a défendus jusqu'au bout, l'extrêm e-gauche ne les a
Puis Milestones, qui a toujours été présenté com m e « ce qui est jam ais compris. C'est aussi le cas du film m ilita n t dont je parlais to u t
arrivé à la génération des années 6 0 ». Mais ce n'est pas ça, c'est un à l'heure (Oser lutter, Oser vaincre).
autre fil qu’aurait dû tisser le fro n t révolutionnaire dans son ensem
ble en posant toutes ces questions : les relations entre hommes et
Kramer. Je ne sais pas ce que la gauche veut en Europe. Ici, la gau
femmes, entre hommes et enfants, les familles, les personnes
che « dure » a une vision très étroite de la culture. Je pense qu'ici
âgées...
c'est encore plus vrai qu'en Europe, que la vie politique de gauche
a toujours été vraim ent séparée de la vie culturelle de gauche. Les
Cette division existe dans le m ouvem ent politique lui-même, entre gauchistes aim ent deux sortes de film s, ceux qui disent les choses
le m arxisme-léninisme étroit et un fro n t culturel beaucoup plus large justes (comment ça n'a aucune importance), et les films populaires,
qui inclut le féminisme, l'utopie et essentiellement l'idée que la vie les film s d'H ollyw ood qui ont l'air de parler un peu de politique
quotidienne est une question politique. Com m ent nous vivons notre com m e Rocky : un des film s les plus racistes jamais faits aux États-
vie quotidienne, la nourriture que nous mangeons, la façon dont Unis; ils l'ont adoré. Blue Collar aussi, Bound For Glory, Woodie
nous nous occupons de nous, de nos enfants... sont des questions Guthrie...
to u t aussi politiques que Nixon et le W atergate ou que la stratégie
pour le Pouvoir. Mais parce que ce sont des éléments com plètem ent
séparés de la politique dans la réalité de ce pays, dans les film s cela Cahiers. En France, p a rm i les film s américains c'est Little Big Man,
vient toujours dans une form e fragmentée. Je fais un film sur un Jeremiah Johnson...
aspect, le suivant sur un autre mais c'est le travail de ma vie que de
tenir ces aspects ensemble dans un film , dans ma vie. Si je n'y arrive Kramer. Oh ! Jeremiah Johnson // Ils o n t aimé ça? Ils ont trouvé
pas dans ma vie je ne pourrai pas y arriver dans un film . La coupure ça progressite? Un hom m e seul dans les montagnes... Aucun gau
qui existe en moi elle existe dans la société, et elle existe dans les chiste ici ne l'a vu - sauf moi, parce que j'aim e les montagnes...
films. Au Portugal, je pouvais oublier to u t ça parce que j'étais étran
ger là-bas, et j ’étais libre de rejoindre le m ouvem ent des Portugais Cahiers. J 'a i réfléchi à ce que tu m 'as d it l'autre jo u r : tu ne te sens
avec une partie seulement de ma vie parce que ma vie est ici. cinéaste que depuis 8 mois. Nous, quand on a vu Milestones, on a d it
« quel cinéaste I ». Quand les Cahiers avaient vu Ice ils l'avaient dit,
Donc ce rythm e des film s fa it vraim ent partie d'une réflexion à déjà, e t encore avant, N arboni pour The Edge... Ça fa it donc plusieurs
moi, c'est une tentative pour résoudre cette coupure dans ma vie. Ice années qu'on te considère com m e un cinéaste...
n'était pas vraim ent une thèse en faveur de la lutte armée. Le film
essayait d ’expliquer pourquoi les gens se sentaient com m e ça, la
rage qu’ils éprouvaient, les conséquences de cette rage dans leurs Kramer. Se sentir cinéaste ça veut dire plusieurs choses. Je me
vies, y com pris très négatives, leur auto-destruction... et pourtant, ce suis toujours senti to u t à fa it à l'aise dans les films. Je n'ai jamais eu
qu'il y avait là était quand même préférable à la vie quotidienne en aucun problème pour traduire un sentim ent ou une idée en film .
Amérique. Milestones, c'est l'expérience de quelques personnes de Dans ce sens-là, quand je suis venu au cinéma, je me suis senti com
la société américaine. C'est un film ample mais il ne veut pas juger plètem ent chez moi. Avant, j'écrivais de la fiction et en tan t qu'écri
ce qui est arrivé à la génération des années soixante. C'est comm e vain, j'étais m ort. Je suis arrivé au cinéma to u t à fa it par hasard, je
ça qu'il a été étiqueté, « marchandisé », c'était une erreur, c'était me suis to u t de suite senti très bien, je n’ai jamais eu de problème
notre erreur aussi car on a laissé faire. sur : com m ent film er ça, etc.
Mais dans le sens où je suis un travailleur et où je me demande
quel est mon travail dans le monde, je ne me suis jamais pensé
Cahiers. Quels étaient les arguments de la gauche contre le film ? com m e un travailleur du cinéma. Je n'étais pas préparé à prendre la
Est-ce que certains étaient justes, à ton avis? responsabilité de dire : « ce que je m ets dans ce film c'est vraim ent
ce qui m 'im porte le plus ». C'était toujours : « j'ai mon travail politi
Kramer. Je ne pense pas qu'un argum ent puisse être juste car les que, je fais ceci, cela, et je fais aussi des film s ». De m on point de vue,
film s ne sont pas faits pour donner des réponses. M es film s ne sont c'est une façon de ne pas prendre ses responsabilités par rapport
pas faits pour ça mais pour donner à penser, à parler. M ilestones est aux films. Il y a plein d'autres raisons. Cette attitude reflète aussi la
fa it pour que les gens disent : « tiens, c'est exactem ent com m e m oi », situation réelle du mouvement politique, il était possible de se penser
« non, je ne ferais pas ça, je ferais ça », « mais peut-être je fais com m e un militant, ce n'était pas une abstraction, il y avait du travail
com m e ça en fait », « voilà un personnage qui mène vraim ent la à faire. Donc, c'est seulement il y a 8 à 12 mois que je me suis dit :
même vie que moi, pas celle qu'on vo it dans les film s d 'H ollyw ood », « qu'est-ce que je fais? La seule chose que je veux vraim ent faire
« cette personne est très proche de moi et pourtant ce n'est pas c'est des films. Je ne suis lié à aucune organisation politique. Quel
moi... », pour soulever toutes ces questions morales. Quand on a d it : genre de fu ite ça représente de dire : je fais des film s p a r dessus le
« le film est mauvais parce qu'il est dém obilisateur », peut-être qu'en marché ? ». Non, c'est vraim ent ce que je veux faire, et si je veux pro
1974 les gens voulaient avoir des illusions sur la situation dans gresser dans mon métier et avoir un peu plus d'argent pour faire mes
laquelle nous étions; mais maintenant, en 1978, la vérité de M iles film s, il fa u t que je me pense com m e cinéaste. Il fa u t que je fasse un
tones est évidente. Nous étions en train de nous démobiliser. Le film tas de choses auxquelles je ne me suis jamais préparé et d'abord me
ne contribuait pas à cette dém obilisation, il essayait de la question sentir, responsable de la distribution de mes film s, rencontrer
ner. On a aussi traité le film de patriarcal, moi je ne suis pas d'accord. d'autres cinéastes, avoir des rapports avec eux, en camarades, me
Il y a des hommes dans le film qui o n t des rapports patriarcaux à sentir partie prenante d'une comm unauté. Quand j'ai com m encé à
. 22 C IN Ê M A /U .S .A . - 2
penser en ces termes, je me suis aperçu que la plupart des bonnes
choses qui me sont arrivées étaient le résultat de mes films. Je ne
suis pas allé au Vietnam seulement en tant que m ilitant politique
mais com m e cinéaste et notre film a été un film utile. Je suis allé au
Portugal parce que Milestones était invité au Festival et il m'a été
possible de rencontrer d'autres cinéastes et de trouver l'argent pour
faire le film . Je suis allé en Angola parce que j'avais rencontré des
Angolais au cours du travail sur le film Portugal. En fait, mes film s
étaient le fil conducteur de ma vie. Il était donc nécessaire d'accepter
cette idée et de cesser de plaisanter.
Cas photos - de Robert Kramer - sont tirées du livre <r W ilhFreedom in TheirEyes n, livre
réalisé collectivement et dédié au peuple angolais «qui a perdu beaucoup des siens dans
le combat pour l'indépendance de leur pays ».
24 C IN E M A /U .S A - 2
Kramer. C'est difficile de les séparer... et excessive, c'est vraiment une expression de l'impérialisme. Prends
cet article et rapporte-le en France pour te souvenir de ce que les
Cahiers. Un jour, Godard m 'a d it quelque chose qui m 'a beaucoup cinéastes veulent vraiment. La m oitié des cinéastes que je connais
marqué : te cinéma c'est te m étier le plus libre du monde. Quand tu es ne désirent pas faire des film s mais contrSIer la vie.
cinéaste tu peux dire à une fem m e « m ettez-vous toute nue », à un
patron « m ettez-vous à genoux », à un président « tournez la tête par Cette question de la morale nous conduit au problème spécifique
ic i », etc. Je m e demande si la morale ne vient pas précisém ent contre de nous préparer à continuer d'exister dans la situation actuelle de
balancer ce trop de liberté qu'ont en général les artistes, m ais surtout l'Ouest, en Europe, aux États-Unis, ce qui revient à se préparer à être
les cinéastes, dans la mesure où les cinéastes brassent énorm ém ent seul pendant un moment, un long m om ent. L'éventualité de trouver
d'argent, où des gens travaillent pour eux... Toute la gauche tradition une form ation politique suffisam m ent importante, bonne, riche,
nelle - sa utB re ch t peut-être - ne s'est-elle pas trompée sur la façon pour s'y affilier et en faire sa com m unauté n'est pas pour demain.
de poser les questions artistiques, en les reliant to u t de suite avec la Et pour les travailleurs de la culture, se réunir et travailler ensemble
politique, le pouvoir? Eisenstein, lui, a toujours travaillé pour le pouvoir c'est très difficile. Les film s collectifs ici n'ont pas produit grand-
e t H faisait quand même ce q u 'il voulait avec ses images. Brecht a été chose. Il fa u t donc se préparer à être quelqu'un, dans le monde, qui
très clair : <rje suis antifasciste parce que le fascisme m 'empêche de fait un petit quelque chose, qui fa it des films, mais qui essentielle
tra vaiHer et bien sûr aussi parce qu 'il opprime les Juifs, les ou vriers... » m ent est seul. J'essaye de me lier à d'autres cinéastes d'une façon
amicale, d'aller dans le sens d'un soutien réciproque. Aujourd'hui on
se plaint beaucoup de la situation mais les choses vont empirer, à
Kramer. Il y a eu un projet pour la télé française sur les artistes en
l'Ouest...
exil - 15 projets. Et l'un portait sur Brecht à Hollywood, je voulais le
faire. Je n'ai pas de nouvelles, peut-être n'ont-ils pas eu l'argent.
Chris Marker devait faire un sujet sur les travailleurs im m igrés en Cahiers. Pour les cinéastes?
Europe, Resnais sur M arguerite Yourcenar... Quant à l'idée de Brecht
sur la nécessité de la ruse, les Cinq difficultés pour écrire la vérité... Kramer. Pour les humains; les « bêtes humaines » ! (en français)
personnellement je ne peux pas toujours naviguer, à certains
m om ents je ne le peux pas. Cela im plique qu'on ne cro it pas vrai Cahiers. H me semble que San Francisco doit être une ville très favo
m ent à l'expression personnelle en art, que le silence ça peut être rable pour un cinéaste. Toutes ces cultures différentes, cette tolérance,
mieux. C'est une grave question, celle du silence ou de la ruse. C'est pas de violence, pas de haine, c'est un peu le paradis, non?
une démarche intellectuelle... Moi je suis beaucoup plus sérieux, je
suis un américain sérieux, pragmatique et é m o tif ! Brecht n'a pas eu Kramer. Tu crois? Écrivez vos impressions de voyage à votre
à apprendre la dialectique chez Marx, il est né dans cette tradition retour, ce sera intéressant !
de pensée. Ici il fa u t encore se battre pour ça aujourd'hui ! La pensée
dialectique n'a rien de com m un avec la tradition américaine, très
morale, très puritaine, très: blanc/noir, bon/m auvais, échec/succès. ’ Cahiers. Straub et H uillet n'aim ent pas Milestones. Ils lu i repro
La dialectique que nous avons ici, maintenant, c'est une des meilleu chent, entre autres, d'être le film d'un enfant gâté des États-Unis. Je
res choses apportées par la gauche au cours de ces quinze dernières ne suis pas d'accord, mais en même temps ce n'est pas faux, non?
années, une façon plus souple de penser, peut-être...
Kramer. En effet, c'est un aspect du film . Et il y a dans le film des
gens qui pensent : « nous som m es les enfants gâtés ». Je crois que
Cahiers. La dialectique ne sert à un artiste, à un cinéaste, que s 'il a si on n'a pas ce point de vue à un m om ent, on manque un aspect
en face de lu i un pouvoir avec qui il faut dialoguer. Ce qui m'apparaît de la réalité. C'est le privilège généralisé des Etats-Unis, privilège qui
ici, c ’est que le pouvoir c'est Hollywood, ce n'est pas Carter. S 'il a vient de l'impérialisme. C'est très clair, je crois, dans le film .
l'argent, le cinéaste est à peu près libre de faire ce q u 'il veut. En France
ce n'est pas du to u t ta m êm e chose... Je ne comprends pas très bien les film s de Straub. J'ai vu Moïse
e tA a ro n au Portugal, c'était très étrange de le voir dans ces circons
tances...
Kramer. Je ne suis pas d'accord. C'est une fausse liberté. Si les
gens fo n t ce qu'ils veulent, la question c'est : qu'est-ce qu'ils veu
lent? Pourquoi dépensent-ils to u t cet argent? Quels fantasm es réa Cahiers. M o i j'a im e beaucoup Fortini/C ani. C'est un film sur la
lisent-ils dans leurs film s? Quelle est la valeur de cet art? Pourquoi question palestinienne...
dépenser de l'argent et tant de temps, sinon pour quelque chose de
très proche de ce en quoi on cro it de sa vie? Pourquoi? Pour qui? Kramer. C'est bon? Ce n'est pas seulement de la parole?
Pour servir quelle idée du futur? Se remodeler soi-m êm e à quel
niveau? Cahiers. Non, non, pas du tout. C'est sur l'écrivain, la politique, la
lutte, c'est un très beau film . A u niveau politique c'est très simple
puisqu'il est fait à partir d'un texte de Fortini qui date de 1967. J'aim e
Cahiers. C'est pour ça que Coppola m'intéresse : pourquoi dépense- beaucoup le travail de Straub avec l'écrivain qui parle, avec les images,
t- il tant d'argent pour un film , pour de la pellicule?... En France plus avec le problème ju if. En France, très peu de film s m ilitants pro-pales-
personne (à pa rt Tati peut-être) ne risque sa vie, sa fortune comm e tiniens se sont intéressés à l'identité juive.
G riffith l'a fait, ou Stroheim... Les cinéastes en France sont p lu tô t des
bourgeois cultivés, René Clair, Renoir... des bourgeois qui voulaient Kramer. Tu es juif?
faire de ta littérature et qui ont fa it du cinéma. C 'était aussi un passe-
tem ps pour eux, ils travaillaient, ils inventaient... Et aujourd'hui encore
les cinéastes français sont p lu tô t des bourgeois. Pas ic i je crois... Cahiers. Oui.
Kramer. Pas des grands-bourgeois. Aujourd'hui il y a un article Kramer. Moi aussi. Et tu t'intéresses beaucoup à ces questions?
dans le journal sur l’hom m e le plus riche du monde. Je n'avais jamais
entendu son nom avant. Il a une fortune de 7 milliards de dollars, il Cahiers. Pas tellement. M ais aujourd'hui d'avantage, de plus en
a 81 ans et prend toutes les décisions lui-même. Il vient d'acheter plus...
une usine de papier au bord de l'Amazone, sur un terrain qui a la
superficie du Connecticutt ! C'est son dernier grand projet et'ça lui Kramer. Encore un sujet maudit, les Juifs-de-gauche-qui-ont-
coûte 10 millions de dollars par mois. Pourquoi fa it-il ça? Il n'a bien une-mauvaise-position-sur-la-question-de-la-Palestine...
sûr aucun besoin d'argent... d'autres financiers disent de lui : « c'est
un hom m e merveilleux »... en fait c'est pour la gloire (« his last hur- (Propos recueillis au magnétophone au cours d'une discussion entre R. Kramer,
rah ! »). C'est une façon de voir les choses com plètem ent incroyable A. Cot, M. Cartier-Bresson et S. Toubiana. Traduction : Dominique Villain).
CINÉMA/U.S.A. - 2
2. TOM LUDDY
ET LE « PACIFIC FILM ARCHIVE »
Le P.F.A. est la seule cinémathèque digne de ce nom de toute la côte ouest des États-Unis,
située à Berkeley, face au célèbre campus universitaire, à un quart d'heure du centre de San
Francisco.
Le rayonnement du P.F.A. dépasse largement la seule Californie, s'étend dans toute l'Amé
rique (cinéphile), pour qui cette cinémathèque est une sorte de modèle, arrive jusqu'à l'Europe
- de l’est comme de l'ouest.
Deux raisons qui peuvent aider à comprendre un tel rayonnement, une telle renommée.
1. Le P.F.A. est le seul endroit aux États-Unis - en dehors de N ew York - où il est possible,
pour un américain, de voir des films sortant quelque peu du marché classique - et limité - de
films conçus par Hollywood, le seul endroit où il est possible de voir les films que rejette, pour
des raisons commerciales, mais surtout pour des raisons qui tiennent à la conception même
du cinéma qui y règne, le cinéma hollywoodien.
J'ajoute, pour ne vexer personne, qu'il y a, dans de multiples villes des E.-U., des cinéphiles,
universitaires ou pas, dont l'activité consiste, pour une grande part, à programmer dans les
circuits indépendants ou universitaires des films conçus hors-Hollywood, et plus précisément
des films européens. Il y a, à Los Angeles même, des tentatives qui vont dans le sens de briser
cette sorte de provincialisme culturel qui entoure Hollywood - la grande question est celle-ci :
pourquoi Hollywood n'entretient pas la mémoire de son passé cinématographique? - autour
de lieux tels que le Fox Venice Theatre (cinéma de répertoire), le festival annuel de FILM EX
- qui importe un grand nombre de films étrangers - ou la Cinémathèque Universitaire de
U.C.L.A. qu'anime Robert Rosen.
Mais nulle part, il n'existe, à mes yeux, une infrastructure d'accueil telle que celle sur laquelle
s'édifient les archives de Berkeley.
Situé à une heure d'avion de Los Angeles, le P.F.A. fonctionne un peu com me le supplément
d'Hollywood, le quelque chose en plus qui vient faire honte à cette situation de protection
nisme cinématographique qu'on constate à L.A., ville où se fabrique le cinéma le plus « puis
sant », le plus rayonnant du monde.
Pour utiliser une métaphore, je dirai qu’Hollywood ressemble à une usine - métaphore réa
liste - qui n'aurait ni service après-vente ni stocks : le discours (sur les films qui y sont faits)
et la mémoire (revoir l'ancien cinéma) existent, mais ailleurs, séparés (du lieu) des conditions
de production des films. D’où cette impossibilité, pour nous aussi, en France, de mener une
réflexion sur Hollywood, en toute connaissance de cause.
26 CINÉM A/U.SA-2
Il y a pourtant, en Amérique, à Los Angeles même, toute une machine éditoriale d'accom
pagnement et de célébration du cinéma hollywoodien, des livres à foison, vendus à des prix :
très bas, sur les grands chefs-d’oeuvre, les auteurs du cinéma mondialement connus, les stars;
cette machine valorise le mythe, perpétue la mythologie du lieu, des studios, du cinéma (un
peu com me le fait Disneyland). Hollywood se reconstruit chaque année sur les décombres dé
son passé enfui (où sont les copies, qui les voit ?) sans qu'aucun travail du deuil ne vienne hanter
l'esprit d'entreprise des managers et des producteurs qui détiennent le pouvoir aujourd'hui.
2. L'autre raison tient sans doute à la personnalité de Tom Luddy, infatigable animateur et
responsable des programmes, qui tente de faire de Berkeley une plaque tournante du cinéma :
les films se rencontrent, se suivent au gré des programmations, rencontrent leur public, les
cinéastes font connaissance avec la petite communauté de cinéastes américains installés à
San Francisco.
S'il y a quelqu'un qui a compris l'expérience de Langlois, c'est bien Luddy : le principe est
simple, il faut tout montrer, ne rien censurer, être à la recherche de ce qui est rare, de ce qui
est oublié, de ce qui risque de disparaître avec les innombrables destructions de copies de
films qui ont lieu chaque année. Par là, retrouver quelque chose de cette universalité du cinéma
à travers la multiplicité des films, les origines diverses, les langues qui diffèrent, les nationalités
qui se croisent.
Il explique, dans l'entretien qui suit, pourquoi une telle entreprise est possible à San Fran
cisco, lieu où cohabitent de multiples communautés nationales et linguistiques.'
Serge TO U B IA N A
Tom Luddy. Le « Pacific Film Archive » en est à ses débuts et nous A part ça, on a un pot pourri de to u t ce que les gens nous donnent
avons très peu d'argent pour collectionner et conserver les film s. On ou qu'on trouve (on trouve encore des film s au nitrate). Les gens
a peut-être m aintenant 3 ou 4 0 0 0 films, et ta n t qu'on aura de la viennent nous voir avec des film s au nitrate et nous disent : « Vous
place pour tes stocker, on prendra to u t ce qu'on nous offre. On ne êtes des archives, j'ai ce film, je ne sais pas ce que c'est, est-ce que
sait jamais... vous pouvez le prendre? »
Cahiers. Com m ent avez-vous démarré ces archives? A ce propos je vais vous raconter une histoire sur Langlois. La der
nière fois qu'il était ici, je lui ai m ontré une pile de film s sur nitrate
et je lui ai d it qu'on les avait reçus il y avait déjà un petit mom ent.
Luddy. On a comm encé en essayant de s'intéresser à certains Alors il a d it : « Mais il fa u t les regarder, il fa u t les regarder, il y a peut-
domaines qui n'étaient pas exploités, et le domaine principal c'est le être quelque chose de form idable là-dedans ! » J'étais tellement
cinéma asiatique. Ici on est sur le Pacifique et on s'est appelé « Paci occupé que je ne les avais pas regardés depuis deux mois, mais Lan
fic Film Archive » parce qu'on voulait m ettre l'accent sur le fa it que glois avait toujours, pendant le dernier mois de sa vie, ce merveilleux
nous faisions partie de la culture du Pacifique, qui comprend la enthousiasme pour découvrir des films. Je suis bien plus jeune que
Chine, les Philippines, le Japon, et cette région de San Francisco, qui lui, mais j'étais tro p occupé. Pas Langlois : il se précipitait. J'ai dit
a des racines historiques extrêm em ent im portantes, des liens avec « d'accord ». J'étais moins enthousiaste, parce que récemm ent on
la Chine et le Japon. Il y a des centaines de milliers de japonais et de avait reçu beaucoup de film s, on les regardait et il y avait par exem
chinois américains ici et on a décidé d'essayer de rassembler des ple un docum entaire de la marine américaine sur la façon de cons
film s de ces deux cultures. On savait qu'il y avait des milliers de film s truire des toilettes dans un navire de guerre en 1924, ou des actua
japonais qu'on m ontrait aux japonais américains dans les années 30, lités sur des courses d'aviron à Oakland, des choses totalem ent inin
40, 50, 60, dans les tem ples bouddhistes, les lycées, les gymnases, téressantes, des film s éducatifs de 1925 sur la façon de construire
les clubs, les salles de réunion, de danse. Alors on est allé au Japon une maison, etc. A lors Langlois p rit la première boîte, ouvrit la boîte
et nous avons négocié avec toutes les compagnies japonaises pour et com m e au cinéma, il déroula le film et le regarda à la lumière et
quelles nous donnent les film s au lieu qu'ils soient détruits. On a il d it : « Mais c'est La Tosca, avec Francesca Bertini, ça fait 2 0 ans
m onté une collection de 800, 1000 film s japonais, très rapidement, que je cherche ce film I ». Je lui ai d it : « Vous voulez rire, vous ne
de cette façon, et m aintenant cette collection est la plus im portante pouvez pas arriver ici, prendre une boîte, regarder le film et dire :
en dehors du Japon, et on est en train de la répertorier. Et puis on c'est La Tosca avec Francesca Bertini, 1919. C'est impossible ! »
essaye de se spécialiser un peu dans l'animation. On a m onté une « Mais si, je vous assure ! » Et il m'a m ontré la pellicule bleue où on
collection de film s d'animation, en partie en produisant des pro pouvait voir une fem m e sur un to it avec le dôm e d'une église en
gramm es pour la télévision, des festivals d'animation, on travaille arrière-plan : « Mais vous voyez, c'est St-Pierre de Rome et ça c'est
pour la télévision, on se procure de l'argent et on présente des film s Bertini dans la dernière scène de La Tosca ». J'ai d it : « C'est pas vrai !,
à la télévision. On doit garder les films, alors on a beaucoup de film s il fa u t le regarder to u t de suite ». A lors on est allé dans la salle de pro
d'animation. On reçoit aussi des subventions du National Domain fo r jection ensemble, on a nettoyé le film au nitrate, on l'a projeté et voilà
the Arts, des dons de supporters, de sympathisants; ça nous perm et la bobine numéro six de La Tosca, Francesca Bertini, début 1919.11
d'acheter beaucoup de film s de réalisateurs expérimentaux indépen avait raison. A lors on a regardé le reste des film s et il y avait un film
dants américains, ce qui fa it qu'on a une grande collection de film s qui ressemblait à du Tod B rowning ou du Von Stroheim, un drame
de cinéastes expérimentaux d'Am érique. américain grotesque, violent, des années 20. Et Langlois dit : « Mais
c'est un grand m etteur en scène, c'est un grand film , on ne sait pas
ce que c'est ». J'ai d it : « Oui, vous avez raison ». J'avais reconnu Tully
Cahiers. Vous n'achetez pas ies film s des cinéastes expérimentaux? Marshall qui était un petit acteur qui avait joué dans des film s de Von
Stroheim. J'ai consulté la film ographie de Tully Marshall et il y avait
Luddy. Si. Les Japonais nous ont donné les film s, on a acheté les des centaines de film s et Langlois dit :« Ça doit être<4 Village Blacks-
film s d'anim ation avec l’argent qu'on a eu de la télévision, et pour les m ith ». Et j'ai d it : « Pourquoi? » « Eh bien je pense que ça doit être
film s expérimentaux américains, on a payé les cinéastes avec A Village Blacksm ith avec Tully Marshall ». On a regardé autre part
l'argent qu'on a eu spécialement du National Domain fo r the Arts, et on a trouvé un résumé de >4 Village Blacksm ith qui avait la même
des subventions. Donc on les a payés. On a aussi une collection intrigue que l'extrait qu'on avait vu. Le m etteur en scène était John
im portante de muets soviétiques qu'on a obtenus grâce à nos bon Ford. C'était un film de John Ford qui était perdu. C'est Langlois qui
nes relations avec le consulat soviétique de San Francisco, et aussi l'a trouvé. Et puis on a trouvé deux autres film s intéressants dans
par Goskino à Moscou, les archives ciném atographiques à Moscou. cette pile de nitrates. Pour moi c'était de la magie. Je crois que si
Donc on a une grande collection de film s muets soviétiques. Voilà Langlois n'était pas venu, j'aurais regardé ces film s et je n'y aurais
les domaines principaux où on a pu concentrer nos petites ressour rien trouvé. Et Langlois est venu, un coup de baguette magique, et
ces. les film s étaient là !
28 C INÉM A/U .S .A. - 2
Enfin on continue toujours de recevoir des nitrates. Récemment la région de San Francisco, ils viennent voir nos programmes, et on
on nous a apporté un film en très mauvais état; on est en train de passe aussi des film s là où il y a un public spécifique. Par exemple,
voir si on peut le sauver. Je crois qu'il s'appelle Jérôm e Perreau, quand Joris Ivens est venu ici pour présenter Yukong, on ne voulait
enfant des barricades, de 1934, peut-être qu'il existe en France. C'est pas seulement le m ontrer ici au public habituel, nous avons loué un
un film parlant d'Abel Gance, on essaye de voir s'il est en bon état. cinéma dans C hinatown à San Francisco. Nous pensions que c'était
Il y a encore des centaines et des centaines de film s qui attendent. im portant de m ontrer cette série. Il n'y avait pas de distributeurs
Dans nos collections on a aussi plus de 6 0 0 films, des courts m étra américains, on pensait qu'il était im portant de m ontrer ces film s là
ges et des docum entaires du troisième Reich, des film s culturels et où vit la com m unauté chinoise américaine. On savait qu'ils ne vien
militaires. Le gouvernem ent américain les avait saisis et il allait jeter draient pas ici parce que les chinois ne qu itten t pas Chinatown. Alors
toute cette collection, mais il nous l'a donnée. C'est très intéressant. on a contacté des organisations à C hinatown et on leur a demandé
si elles voulaient travailler avec nous pour m ontrer ces films. Elles
ont d it oui, et on a passé les film s six fois aux chinois américains dans
Cahiers. Est-ce que M arc Ferro est au courant de ça? C'est son
un cinéma de 1.500 places.
domaine...
Luddy. Non, vous devriez le lui dire. On doit en avoir une liste dans Nous avons trouvé aussi toute une collection de film s sur le jazz.
le catalogue... Théâtre, animation, anim ation par ordinateur : on a à On les a passés ici mais on a pensé aussi qu'il serait im portant de les
peu près 3 0 film s, télévision, muets, documentaires, actualités, passer à San Francisco. A lors nous avons loué un cabaret de jazz
avant-garde... je pensais trouver la collection des film s nazis dans tous les lundis soirs et nous y avons m ontré les films. Il y a aussi des
cette liste... On a Mor'Vran, de Jean Epstein, 1931. Vous le connais réalisateurs africains ici, et on a travaillé avec des écoles. On voulait
sez? india, de Rossellini... que les réalisateurs rencontrent les jeunes dans les écoles noires.
Nous avons beaucoup de publics différents et spécifiques. Certains
de nos program m es sont dirigés vers la com m unauté des chicanos,
Cahiers. Est-ce que vous avez des film s de Mizoguchi? d'autres vers la com m unauté noire. Quand on passe des film s japo
nais ici, on a des gens de toute la com m unauté japonaise américaine
Luddy. On a plusieurs film s de Mizoguchi, et de Ozu. On est en de San Francisco qui viennent, parce qu'on travaille avec les jo u r
train de découvrir qu'il y a de merveilleux réalisateurs japonais, pas naux japonais qui écrivent des articles. Il y a un public habituel mais
to u t à fa it aussi bons que Ozu ou Mizoguchi, mais très bons. On a il y a des publics spécifiques pour des program m es spécifiques.
aussi des Masumura et des Voshimura, des réalisateurs très intéres
sants, on a environ 15 ou 2 0 film s de chacun d’eux.
Cahiers. M ais que pensez-vous de la cinéphi/ie m aintenant ? Pen
Cahiers. Que! est votre public? Des étudiants? sez-vous que les jeunes aim ent le vieux cinéma?
Luddy. Le public ici est composé, à peu près, pour m oitié d'étu Luddy. De plus en plus. Rien de comparable avec la France. Il n'y
diants de l'Université de Californie et pour m oitié de gens de toute a pas autant d'enthousiasm e ici qu'en France pour le cinéma clas
ENTRETIEN AVEC T O M LUDDY 2°
sique. Le retour d'H ollyw ood connaît une très grande réussite Michael Ritchie, et des scénaristes com m e Jerem y Larner. Ils travail
depuis deux ou trois ans, à cause de l'énorme matraquage. Depuis lent tous pour l'industrie américaine et on a de très bonnes relations
deux ou trois ans, H ollyw ood s'y prend très bien pour convaincre les entre nous. Par exemple quand Coppola préparait Apocalypse
jeunes que les nouveaux film s d'H ollyw ood sont les seuls qu'ils Now, on lui a m ontré beaucoup de film s sur le Vietnam, on lui a
devraient voir, même s'ils sont mauvais. A lors je pense que la situa trouvé une copie de T heLetther That W asN everSent, de Kalatozov,
tion ici est loin d'être aussi bonne qu’en France. Si on passait ces qu'il a achetée et qui lui appartient. Vous connaissez ce film? C'est
program m es à Paris il faudrait construire un nouveau cinéma pour un film russe de Kalatozov de 1961, ça se passe en Sibérie et il y a
avoir plus de places, parce que si on passait Jacques Tourneur, Dou un énorme incendie; à la caméra il y a Yourachevski. C’est incroya
glas Sirk, les film s noirs, à Paris on aurait 5 0 0 personnes, ici 2 0 0 ble. Coppola a vu ce film plusieurs fois et il l'a m ontré à son directeur
peut-être. Mais ça progresse, ça progresse. Les Universités com artistique car ce film était dans la veine de ce qu'il voulait faire dans
mencent à intégrer le cinéma dans leurs programmes. Mais l'incon Apocalypse N ow . Enfin, il était très content qu'on existe. C'est un
vénient, c'est que la plupart des professeurs sont très académiques, cinéaste qui utilise une cinémathèque pour faire sa recherche. Philip
intellectuels, ils n'apprécient pas vraim ent le cinéma populaire am é Kaufman est venu ici quand il préparait The Invasion o f the Body
ricain du passé. Ils tom bent dans la sémiologie, le structuralism e, ils Snatchers, et pour ça on lui a passé beaucoup de film s de science-
sont influencés par les sémiologues structuraux français, mais ils fiction en séance privée. A utre chose : il n'y a pas de véritable ciné
n'abordent jamais le sujet du cinéma avec un véritable amour. mathèque à Los Angeles, mais ici on a des cinéastes qui viennent du
m onde entier et les cinéastes de San Francisco rencontrent ces
cinéastes qui viennent nous voir, et donc les cinéastes de San Fran
Cahiers. C'est la m êm e situation en France, c ’est dangereux de faire
cisco, spécialement Coppola, je crois, prennent conscience qu'ils
l'analyse théorique de film s sans en faire aussi l ’analyse historique. H
fo n t partie de la com m unauté mondiale des cinéastes. Par exemple,
faut m ontrer beaucoup de film s avant de faire de la théorie. C’est la
Makavejev est un des bons amis de Coppola. Je crois qu’ils se sont
m êm e situation en France. Les gens prennent seulem ent une
rencontrés aux Archives et Makavejev a conseillé Francis pour A p o
séquence d'un film d ’Hitchcock et après bâtissent une longue théorie.
calypse N o w quand il a vu les premières versions; et aussi Herzog.
M ais c'est faux; parce que les étudiants ne voient pas qu'Hitchcock a
Larissa Chepitko, Andreï M ikhalkov-Kontchalovski sont très amis
fa it 5 0 films.
avec Coppola et les autres réalisateurs.
Luddy. Oui, c'est vraim ent tragique. Quand M etz était là, il est très
Je crois que to u t ça est une autre justification pour le travail que
gentil, mais il m ’a dit qu'il n'aim ait pas voir beaucoup de films. Seu
nous faisons, te fa it de réunir ces cinéastes, d'être à un carrefour. Les
lem ent quelques film s qui sont pris com m e des bases d'analyse. Je
cinéastes nous o n t aidés à survivre car nous som m es toujours dans
crois que ça n'est pas sain.
des situations financières désespérées. Une des sources de notre
financem ent provient des bénéfices des premières de nouveaux
film s d 'H ollyw ood dans de grands cinémas, où to u t l'argent nous
Cahiers. C'est le m êm e problème en France pour nous aux Cahiers.
revient. Et naturellem ent les studios se fichent de nous, on est seu
Pour un professeur, la m eilleure façon est de m ontrer d'abord beau
lement des cinéphiles, des rien du tout. Mais la première mondiale
coup de film s aux étudiants.
de Star Wars a eu lieu dans un grand cinéma de San Francisco et
George Lucas s’est arrangé pour que to u t l'argent nous revienne.
Luddy. Je crois que vous avez raison. Une des choses que je veux
Alors on a fait peut-être 1 0.000 dollars avec Star W ars en une seule
essayer de faire ici l’année prochaine, c'est de m ontrer beaucoup de
soirée.
film s de la période 1 9 1 0 -1 9 2 0 . Je trouve dans mes recherches qu'il
y a beaucoup de merveilleux film s américains de cette période et qui Philip Kaufman fera la même chose pour nous en décembre avec
sont inconnus, et il fa ut vraim ent qu'ils soient pris en com pte pour la première de The Invasion o f the Body Snatchers. M artin Scorsese
avoir un sens de l’histoire du cinéma. Et c'est une période très délais habite à Los Angeles mais il vient nous voir très souvent et on a de
sée. Des film s com m e ceux de Thomas Ince. On est en train de très bonnes relations avec lui parce qu’on l'a aidé à trouver des films
découvrir aussi que la compagnie Edison a fait des film s remarqua pour sa recherche; il nous rend visite et regarde des films. Il s'est
bles à N ew York et dans le N ew Jersey en 1912, 13, 14, 15. Il y a arrangé pour qu'on reçoive les bénéfices de deux premières de ces
un m etteur en scène qui s'appelle John Collins, et on a m ontré cer films, N e w York N e w York et TheLast Waftz. A lors vous voyez que
tains de ses film s ici; il est m o rt de la grippe en 1918 à 27 ans. Il avait nous avons de très bonnes relations : tes cinéastes nous aident et
un grand talent véritable. Je suis en train de faire des recherches nous les aidons. Et puis il y a une deuxième com m unauté de cinéas
dans ce domaine mais je ne rencontre pas d'intérêt. Tous les gens tes à San Francisco, celle des réalisateurs de documentaires orientés
qui étudient le cinéma ici s'en fichent, l'histoire du cinéma ne les inté politiquem ent à gauche. Ils viennent souvent ici pour rencontrer les
resse pas, ils s'intéressent à leur thèse sur Straub. cinéastes engagés qu'on amène ici du monde entier. Ils fo n t aussi de
la recherche ici, com m e vous avez vu l'autre jour avec George Hen-
nig et son film sur les accidents du travail. Ils viennent ici et m ontrent
Cahiers. M ais Straub, lui, connaît bien le vieux cinéma, il l'aim e leurs films, leurs copies de travail. On a un bon systèm e de projection
pour ça.
beaucoup.
Luddy. Oui, il l’aime. C'est ça la contradiction parce que beaucoup Cahiers. Dans la journée, quand H n 'y a pas de projections officielles,
de gens ici qui voient seulement S traub com m e le grand prêtre du vous pouvez donner la grande salle aux cinéastes?
cinéma matérialiste et de l'idéologie marxiste - léniniste ne savent
pas que Straub adore John Ford. On trouve encore très peu d'étu Luddy. Oui. Ils viennent aussi ici et on leur passe des film s pour leur
diants américains, de jeunes qui veulent vraim ent voir les film s de recherche. Ceux-là sont donc les réalisateurs de documentaires,
John Ford. indépendants et engagés politiquem ent. Et puis il y a une autre com
munauté, celle des cinéastes d'avant-garde expérimentaux. San
Francisco est la ville où le cinéma underground américain a com
Cahiers. Quelles sont les relations entre les Archives et les cinéastes mencé. Des cinéastes com m e James Brout et George Belson ont
q ui habitent ici, ou les nouveaux cinéastes, les futurs cinéastes q ui sont débuté ici. San Francisco est avec N ew York t'un des deux centres
étudiants en ce m om ent? où se concentre le cinéma underground, et on a de bonnes relations
avec ces cinéastes. M on assistante, Edith Kramer, pourrait vous en
Luddy. On a de très bonnes relations. Il y a 3 ou 4 comm unautés dire p lu s ^ ce sujet car elle travaille avec eux. On projette leurs film s
séparées de cinéastes à San Francisco, mais qui ont des liens entre chaque fois qu'ils o n t de nouveaux film s et on organise les prem iè
elles. Il y a les cinéastes qui travaillent pour H ollyw ood mais qui pré res. On leur sert aussi d'archives pour les originaux de leurs négatifs.
fèrent habiter loin de H ollyw ood dans un environnem ent plus sym On a une salle bien conditionnée où les cinéastes indépendants de
pathique. Ce sont Francis Coppola, Philip Kaufman qui a fa it Gold la région apportent leurs originaux et nous les gardons. Voilà donc
Steam, The W hite Dawn, The N ew Verse et The Autobiography o f les trois principales com m unautés que nous avons ici, mais on ne
M iss Jane Pitman, Crazy Quilt, Funny Man, Carot Ballard que vous trouverait pas à Los Angeles le genre de relations qui existe entre ces
connaissez m aintenant; M a tth e w Robbins, Harold Barwood, trois com m unautés ici.
30 C IN ÉM A/U .S .A. - 2
Luddy. Oui. Coppola et George Lucas sont en train d'expérimenter
quelque chose de nouveau dans le cinéma américain : les réalisa
teurs, non seulement produisent les films, mais ils leur appartiennent
en propre, le négatif leur appartient. Coppola a fait ça avec Apoca
lypse Now. La United A rtists en est seulement le distributeur pour
sept ans en Amérique. Elle a fait une avance distribution, le film n'est
pas à la compagnie de distribution, il est à Coppola personnellement.
Je crois que le négatif de la prochaine production de George Lucas
lui appartiendra aussi en propre. Francis a fa it une autre chose
incroyable : Private Conversation a été produit et appartenait à la
Paramount, et il l'a racheté à la compagnie. A lors maintenant, il pos
sède le négatif de ce film . Même si un cinéaste comm e George
Lucas ne fait pas des film s dont le contenu va à rencontre de Hol
lywood, (le contenu est du pur H ollywood) il y a malgré tou t un pro
grès, dans le sens que le cinéaste possède et contrôle entièrement
le film ; et il peut ensuite faire des film s avec un nouveau contenu.
Je crois que c'est une bonne expérience qui se passe ici.
Cahiers. J 'a i été surpris de voir à la m êm e tabie Robert K ram er et Luddy. Oui. Même les film s de Douglas Sirk, maintenant considé
Coppola : ie cinéaste ie plus pauvre et. le plus riche, ensemble. rés com m e des film s noirs, étaient considérés com m e des mélos.
Mais si vous les voyez aujourd'hui, ce sont de vrais mélodrames. Ces
Luddy. Ça arrive très souvent ici, pour moi ça n'est pas étonnant, film s sont des critiques très sombres, pessimistes, de la qualité de
mais j'im agine que pour vous, c'est très étonnant. la vie de la classe moyenne américaine. De vrais cauchemars. Nous
n'avons pas vu ça dans notre enfance, alors c'est très intéressant
d'un point de vue sociologique de voir ces film s aujourd'hui; ces
Cahiers. Pour m oi c'est impossible. sombres mélodrames du genre Fritz Lang, je les aime beaucoup.
Quoi d'autre? Je m'intéresse aussi beaucoup au cinéma européen
Luddy. En France ça n'est pas possible, je ne peux pas l'imaginer. de l'est et au cinéma soviétique, parce que j'ai voyagé en Union
Par exemple Gérard Oury... Soviétique et je crois que l'on fait des film s plus sérieux et véritable
m ent plus moraux en Union Soviétique que dans ce pays, en dépit
de tous les problèmes qu'il y a là-bas, et j'aim e en particulier les film s
Cahiers. Gérard Oury n'est pas ie Coppola français... des républiques de Georgie, de Kirghizie.
seulement une appartenance de classe (le désoeuvrement et l’oisiveté tu », puis lâche le morceau, s’avoue complètement paumé, rongé de
de « ceux qui peuvent se le permettre », vite inducteurs, chez un spec solitude, désireux d’épouser la préceptrice. Laisse tomber le masque de
tateur qui s'y arrêterait, d’agacement ou de rejet), mais bien le berce ceux qui ne savent pas se déguiser.
ment quotidien caractérisant Pélat de vacance de ceux qui savent déjà
qu’ ils vont tomber amoureux, mais pas encore exactement de qui. Et T out à l’ heure, j ’ai citéPasolini, avec Théorème. L ’ouverture de Salô
cela vaut pour tous les personnages de la fiction. m ’est revenue à la mémoire, le mom ent où les fascistes vont rafler les
jeunes garçons et les jeunes filles de la ville, les passent en revue et les
Flammes pratique une ironisât ion discrète du roman fam ilial du évaluent, puis décident qui mérite d’être convoqué à leur jeu. J’ai tou
névrosé et des fictions oedipiennes. Père et préceptrice J e l’ai déjà dit, jours vu dans cet instant comme une métaphore du choix d’acteurs,
s’activent à déchiffrer le comportement de Barbara, à lui assigner des de la sélection du casting marquant la genèse d ’un film . Je n’ irai pas
causes et à en redouter les conséquences. Ils prennent très au sérieux jusqu'à dire, ce que Godard fait, que de cette manutention d’acteurs
ses absences. Lecteurs de Freud sans doute, ils n’ ignorent pas que pour au fascisme il n’y a qu’ un pas, et que Salô le d it à la lettre, mais il y
l’enfant le jeu n’est pas l’opposé du sérieux, mais que jeu et sérieux, a tout de même là, de la part de Pasolini, comme l’indication d’ une cer
indissociables, s’opposent à la réalité. Malheureusement poureux, jeu, titude aiguë quant au caractère fondamentalement prostitutionnel de
sérieux, pour Barbara, sont du mcmc côté que le réel, et si elle fuit, c’est, l'acteur. En tant qu'à chaque instant soumis à l’évaluation de l’autre.
comme l’écrit Musil de l’amoureuse, non dans l’ imaginaire, mais C’est d’un savoir sur cela que me paraît procéder, dans les films
« lâchement dans le réel ». Arrieta, au fond, sait bien que le problème d’ Arrieta (Les Intrigues de Sylvia Couskl, Tam-Tam surtout^, l’insis
n'est pas celui de la névrose des enfants, mais bien de celle des parents, tance sur les artifices, la parure, le travesti et l’ambivalence sexuelle.
il connaît la minérale indifférence souriante des mères (celle-ci va ten Avec, dans Flammes, la volonté de ne pas lim ite r la question de ce que
ter de transplanter des fleurs méditerranéennes au Mexique, pourvoir, vaut un corps à la simple relation spectatorielle (ce que le mot photo
et fuit dès que survient sa fille), la pathétique inconsistance des pères. génie désigne pudiquement) ou à un aspect lim ité de la fiction (X dés
Dans Flammes, ce sont les éducatrices qui rêvent, comme dans le ire Y), mais de l'étendre à tous tes personnages et à tous les niveaux du
roman familial du névrosé, d’enlèvements délicieux, de généalogies film . On aurait tort, à mon sens, de ne vo ir dans les innombrables « je
truquées et de complots, qui s’évanouissent théâtralement dès qu’elles te trouve adorable», « tu es très beau», « je la trouve pas mal »,
en ont l'occasion. C’est le père, pauvre Laïos, qui est aveugle et ne sait «crois-tu que nous pourrions jouer ensem ble?» qui parsèment le
pas jouer, avec qui « on ne peut rien imaginer », et qui, voulant entrer film , que de simples formules de politesse dénotant l’appartenance à
à son tour dans la partie, échoue dérisoirement. A u fond, Flammes dit une marginalité de luxe, ils sont les remarquages dans la fiction d ’ une
à peu près la même chose que le Pinocchio de Comencini : que les dimension d’évaluation que les fictions ont justem ent pour objectif, le
parents croient les enfants malades, qu’ ils ne savent pas jouer à plus souvent, de masquer ou de lim iter. Peu de film s ont eu pour
confondre réel et fiction, et qu’il revient donc aux enfants d’ inventer moteur, autant que celui-là, la question de ce que je tu il elle pense qu’ il
les pères, faute que ceux-ci existent. Je connais peu de plans aussi est « possible » de faire avec l’autre. Exemplaire à cet égard est la scène
émouvants que celui, dans son insistance et sa durée, vers la fin du où Barbara se rend au poste de secours pour choisir « son pompier »,
film , peu avant le départ de Barbara, où le père, ayant d it : « J’ai été avec l’ inversion sexuelle quant à la situation prostitutionnelle classi
très inquiet pour toi », s’entend répondre : « Et moi aussi pour toi, sais- que : ce sont les pompiers qui sont là, en attente d’un appel, épinglés
34 CRITIQUES
!
I
1 et alignés par la longue focale, cigarette à la main ou au bec, peut-être incomparable dans leur direction ou leur laisser-aller. Cela me paraît
| même pas conscients d’être exposés au regard. M odulation savante, aujourd’ hui inestimable. Combien de film s sont, et de plus en plus,
I délicate, des champs-contrechamps entre la « cliente » et les « profes- atrocement distribués et joués. Je ne parlerai pas. à propos de Flammes.
| sionnels », jusqu'au moment où l'objet du choix apparaît seul dans un des acteurs principaux, tous magnifiques (Caroline Loeb, Dionys Mas-
| plan, le pas lourd, un peu traînant (de quelle « passe » revient-il ?). coîo. Xavier Grandes...), mais d’ un personnage secondaire, celui de
j Capture et connivence instantanée : « C'est toi que je veux », « je sais Jim. Je me suis longtemps demandé d ’où provenait son « obtusité »et
| déjà que tu m'as choisi ». Suspense muet, quasi hitehcockien. l’impression malaisante qu’ il suscite. Ce n'était pas la gaucherie
I Comme sera hithcockienne également, un peu plus tard, une autre penaude du corps, ni la façon ahurissante de s’extasier en hurlant sur
scène, à dominante sonore cette fois, quand se fait entendre, de plus la succulence d’ un gâteau, ni celle de raconter que le feu l'obsède
en plus proche, la sirène des pompiers, avec ce montage alterné des depuis qu'il a jo u i à l’ incendie de sa maison qu’ il croyait vide, avant
plans de visages marqués d'étonnement, d'inquiétude, de ravissement d'apprendre que sa famille y avait péri, mais quelque chose, comme je
ou de peur. Arrieta a bien compris que le suspense n’était pas un genre m'en suis rendu compte plus tard, comme : couleur de roussi. Quelque
lim ité, mais une dimension essentielle du cinéma, et qu'en définitive chose d'imperceptible, du côté de la chevelure (pas du tout rousse
rien n'était joué dans un film que le jeu du « dans l'eau dans le feu », pourtant) et d'un empourprement passager du visage et du cou. Délire,
et cela jusqu’au « tu brûles» Hnal. Flammes entretient une curieuse hasard ? Cela n'est pas sûr. Mizoguchi prétendait bien contrôler la dila
; relation amoureuse avec un cinéma hollywoodien raffiné et maniériste tation pupillaire d'un de ses acteurs. Méfiez-vous de la modestie
| (tes meilleurs M innelli, Cukor, Quine, Edwards), qui n’est ni de cita- d’ Arrieta. Il n’a pas l'air, comme ça.
| tion ni d’ incorporation, ni de parodie ni de nostalgie, mais plutôt de Jean Narboni
capture et de mise à nu de la part, dans ce cinéma, enfantine, à la fois
rusée et un peu idiote. Compte tenu des moyens dérisoires dont dis-
• pose Arrieta et de sa passion propre du cinéma (plus proche au fond
! de Cocteau), c’est un maniérisme non de surcharge, mais d'économie
I . Il faui en lin ir avec le mythe condescende ni d’un Arrieia « doue niais tellement
; et de concision (I). amateur». Réalisé avec 15 millions d'anciens francs, Fkimme s est un l'il ni à faire
i home, par son exactitude, à bien des « gens du métier ». Sur ï'iammes comme révé
Je voudrais insister, pour fin ir, sur la question des acteurs, la perti lateur de la niaise suffisance cnticjiie fil y a comme ça un film par an : Le Thcùtic
nence de leur choix dans tous les film s d’ Arrieta, et une sorte de doigté des nniiièiv.s, Mude in U.S.A. and Germciny). voir ce numéro p. 67.
DE HANDKE
(LA FEMME GAUCHÈRE)
A
AKERMAN
(LES RENDEZ-VOUS D'ANNA)
Points de vue
36 ' CRITIQUES
est placé dans le film en position de dépossession par rapport au
1 cinéma : il est un acteur au chômage (air glauque et mine défaite, il se
fait faire la leçon par le père de la femme gauchère), mais il est investi
d’ un désir fou pour la femme d'élection de Handke (Edith Clever) :
Lu Femme gauchère est d'une certaine manière le mini événement
« ces derniers jours je ne pouvais rester en place à force de vous dés
culturel de cette rentrée universitaire. On convoque des gens compé
irer ». lui confie-t-il dans un café. Cette assertion pourrait se traduire
tents pour en parler dans les media. De l’avis de certains spécialistes,
en ces termes de désir à l’adresse de Wenders : « Je te reprends ce que
il y aurait là une conjonction heureuse entre un lyrisme romantique
tu m'as pris (le cinéma) pour que tu m'en aimes encore davantage ».
allemand et une philosophie zen (ou l'inverse) transcute en images
brillantes, dans lesquelles d'autres (spécialistes) décèl. nt l'injonction
Cependant La Femme gauchère ne disparaît pas derrière le désir hys
im plicite d ’un «jouissez de cette forme pure ! ». - îétuphysique de la
térique de son auteur vis-à-vis du cinéma, car c'est son histoire à elle
représentation qui intronise la stase (forme plus amp .e qui incorpore les
dont il est question, au delà du vernis qui l’enrobe, vernis sur lequel
émotions dans la culture zen) à des fins douteuses d'asservissement du
achoppent les spectateurs avertis et dans lequel ils voient le piège où
regard dans la contemplation fascinée de l’objet.
l'on tenterait d'engloutir leur regard. Son histoire à elle, c'est précisé
ment le refus intolérable, presque irrecevable, de la mise en scène de
Ces quelques éléments suffiraient, si le film s’y réduisait, à le rendre
cette compulsion hystérique du désir, dont son époux, BrunoGanz, va
agaçant; vanité d'un exercice de maîtrise à vocation purement forma
faire les frais. Elle la refuse brutalement, rompant toute possibilité
liste. Il faut voir plutôt, dans le vernis qui recouvre La Femme gau-
d'énonciation, d’ un discours qui viendrait là en révéler les causes.
chère, une fine pellicule (comme le vernis d'un tableau qui peut être
Refus d’en être l'émetteur et le récepteur. En fait, il s’agit d'un rejet
bon ou mauvais), la recherche d'un miroitement de l'image afin de
du rôle de mère dans son acception sociale, c’est-à-dire ce lieu de
faire briller (faire ressortir) ces éléments épars de la réalité quotidienne
convergence où le désir se formule en demande ininterrompue :
et banale, redupliqués minutieusement par le prisme de l’objectif et
demande d’écoute, demande d’amour. Alors qu’ Anna dans le dernier
fétichisés comme tels, de par leur simple comparution sous cet oeil qui
film de Chantai Akerman investit cette place de mère symbolique (mère
l’enregistre : un pétale qui tombe, une flaque d'eau-m iroir, des feuilles
du monde) - en chaque ville, en chaque port (en chaque gare) un per
qui volent après le passage d ’ un train. Cette captation du réel pour lui-
sonnage l’assaille de sa demande formulée en discours : délire, mono
même sous l’ instance objective d'un regard, c'est précisément ce qui
logue, confession ou plainte- la femme gauchère, elle, refuse de conti
est à l’oeuvre dans la peinture hyperréaliste : « Le réel pour le réel, féti
nuera être ce réceptacle creux, cette grande oreille où résonne la parole
chisme de l'objet perdu, non plus objet de représentation mais extase de
vide. Elle fait le silence autour d’elle, elle se bouche les oreilles aux cris
dénégation de sa propre extermination rituelle » (Baudrillard).
de son mari et à ceux de son fils. Un tel rejet quasi phobique se maté
rialise par une vision : une illum ination (donc un flash, une image) qui
La Femme gauchère, écrit Peter Handke. « est partie d’ une image,
inaugure le retour soudain à la primauté de l'imaginaire sur le symbo
celle de femmes seules, chacune chez elle, dans leurs maisons emboî
lique (la parole), et dont tout le film va tenter de rendre compte.
tées ». Spectacle qu’ il surprit un soir d’ hiver au pied d’ un lotissement.
Régression si l'on veut à la toute-puissance des idées : stade archaïque,
« Je sus à ce moment-là que j ’avais à raconter une histoire pour
animiste, qui « doit être considéré comme l'expression spirituelle de l’état
laquelle il y avait là l’ image qui déjà l'englobait ; et de plus cette image
naturel de l'humanité, où l'image du monde re/Iétée par le monde inté
était celle que l'histoire représentait tout de suite sous forme de film ».
rieur doit rendre visible cette autre image du monde que nous croyons
«• Hallucination esthétique de ta réalité » (Baudrillard) : la réalité dépas
reconnaître ». {Freud, in Totem et Tabou).
sait la fiction avant même sa médiatisation par le corps du texte ou par
l'espace du film (laisse entendre Peter Handke). C ’est la réalité elle-
La Femme, par la toute-puissance d’une image, va pouvoir retrou
même qui est tout de suite perçue comme hyperréaliste, et le roman
ver l’état naturel (p rim itif) d ’avant la domestication par l’ homme.
(écrit comme un film ) puis le film , ne font que redoubler ce procès de
Domestication q u'il faut entendre au sens propre du terme : action
sim ulation du réel.
d’apprivoiser, d’assujettir au sein d'un foyer, d’ un ménage, et qui a
pour corollaire l'a-sociabilité, la fuite de la société des hommes.
« Le peintre hyperréaliste dérègle la machine photo optique en lui J'aisant
donner plus qu ’elle n'a reçu. Comme l'hystérique qui veut un maître sur
Telle est la véritable histoire de la femme gauchère, avec son épais
lequel elle puisse régner, la technique hyperréaliste révèle le travail de
manteau de renard qui la recouvre comme une peau d ’ours, lors de ses
peindre comme travail hystérique» (Lyotard). Handke romancier
errances dans la petite jungle de Clamart qu'elle va devoir réapprendre
s’empare de la caméra (se met au cinéma), semble-t-il, pour repasser
à connaître, une fois les barreaux de la cage brisés. Ce retour à l’état
sur le corps du texte de sa propre énonciation ; en le faisant répéter par
sauvage commence par une détérritorialisation - reterritorialisation de
la machine photo optique, il l’alimente, en rajoutant des intensités
l’espace.
chromatiques (brillance de l'image), en élevant le jeu des ombres et des
lumières (changement brutal des intensités de lum ière dans les
D’abord son refuge. Elle change les meubles de place. Dans la cui
séquences en extérieur).
sine, lieu domestique par excellence, on la voit accomplir un étrange
rituel avec le balai et les ustensiles d'usage quotidien qu’elle s’essaye
Dans le film s'inscrit en permanence ce désir de soumission à la
à resituer différemment. Je dis « rituel », car il y a quelque chose de
machine (immanence fulgurante de l’objet sous l'oeil qui l'enregistre),
sacrilège dans sa façon d’accomplir cette tâche, une sorte de profana
alterné par le désir de la faire dérailler, de lui montrer ses insuffisances,
tion d 'un ordre établi, que ses gestes apeurés, saccadés, bouleversent
ses faiblesses, notamment celle de ne pas pouvoir s’adapter, s'autoré-
en tâtonnant, comme s’ il planait un vague pressentiment que cette
guler automatiquement aux variations de lumière (l), ou celle de ne
m utation de l’ordre du monde domestique se retournera contre elle. A
pas pouvoir enregistrer plus de douze minutes du temps réel sans
un autre moment, on la voit jeterdans la poubelle toutes les victuailles
changer de magasin donc de plan (d’où sans doute, dans le film , la sys
sous cellophane (civilisées et destinées à être cuites qui remplissaient
tématisation de cette insuffisance par l'utilisation de plans courts,
le frigidaire).
volontairement tranchés, nous frustrant de la présence des personna
ges, qu’on retrouve par bonds successifs campés en des lieux d iffé
On la retrouve le soir, partageant un repas de fruits exotiques (sau
rents : l’inverse du raccord en douceur qui, en général, lente de mas
vages et crus) avec son fils, à même le sol. Une autre fois, elle vient
quer l’ imperfection de la machine, Handke s’attache au contraire à en
flairer des rognures qu’elle allait jeter dans la poubelle, puis elle finit
montrer les défaillances). Le caractère hyperréaliste du film tient en
par les manger, attitude qui rappelle celle de l'animal femelle qui vient
cela plus à sa genèse, dans ce qu’elle induit, convoite, comme position
s’emparer des restes de viande abandonnés par ses petits.
nement de désir, qu’à un strict traitement formel, derrière lequel le réa
lisateur voudrait s’effacer, pour mieux tirer les ficelles.
Puis son territoire.
Celte posture de désir hystérique vis-à-vis de la machine cinémato
graphique est d’ailleurs mise en scène dans le film par l’allusion à W im La femme, quand elle n’est pas occupée à traduire « Un Cœur Sim
Wenders par Rudiger VÔgler interposé. Wenders était jusq u ’à présent ple » de Flaubert (travail qu’ il faut entendre comme opération cathar-
le maître-d’oeuvres-en-images de Handke, il faisait des film s à partir tique et projective, par déplacement, sur l’asservissement de la
de ses scénarios et de ses romans. Or, l’acteur d ’élection de Wenders femme), utilise la majeure partie de son temps à sillonner les proches
LA FEM ME GAUCHERE
Rudiger Vôgler, Edith Clever et Bernhard Minatti dans La Femme gauchère, do Peter Handke
environs de sa demeure, élargissant peu à peu le périmètre de ses lumière allumée toute la n u it; celle du ciel : un gros nuage qui cache
déambulations. Mais il ne s'agit pas de longues et molles flâneries ; ces le soleil la fait paniquer et se perdre au m ilieu d’ une allée), des émer
marches ressemblent plutôt à un travail, ind u it par une nécessité : celle veillements (son regard fasciné devant les jeux des deux enfants ou des
de reconquérir un territoire, un peu comme les animaux longtemps scènes de la rue), des pulsions violentes irraisonnées comme des ins
prisonniers et relâchés dans la nature commencent par inspecter ce tincts (elle veut étrangler son fils), des tabous (le contact : elle tourne
nouvel espace en le marquant de leurs traces, de leurs odeurs. La autour de ses semblables, refuse le contact, prohibition et désir de tou
femme, elle, jalonne son territoire de l’empreinte de ses pas, avec cette cher alternés, notamment dans la scène où elle va serrer la main de
démarche lourde que lui donnent ses souliers plats, comme si elle Rudiger Vôgler et où elle se recule effrayée par une décharge électrique
s'accrochait au sol en lui im prim ant la détermination d’ un corps qui transmise au bout de ses doigts). Toutes expériences qui, pour
doit réapprendre à fusionner avec l'environnem ent naturel. l’ homme et la femme de ces temps prim itifs, faisaient du monde visi
ble le reflet magique de leurs mondes imaginaires. Mais peut-être le
Ce re-marquage de l’espace du réel, c’est la redécouverte des signes monde moderne se met-il à ressembler à la jungle originelle : un foi
qui l’organisent en un réseau complexe, les noms de ses connexions : sonnement de signes redevenus indéchiffrables à force d’avoir été
« Carrefour de la femme sans tête », « Rue de la Raison », « Allée de simulés dans la spirale vertigineuse de la représentation dont on a
FA venir », en sont les codes grossiers de déchiffrage. Mais il faut perdu le réfèrent initial. Comme dans la pensée sauvage, « les choses
entendre aussi re-marquage, comme dessillement d’un regard qui sur s’effacent devant leurs représentations » (Totem et Tabou)-
prend les fragments épars du réel, telles les pièces allégoriques d’ un
puzzle, dont le sens se constitue par la juxtaposition des emblèmes : L ’ hyperréaliste, peintre ou cinéaste, vient l'a ffirm er encore, se fai
un boucher qui peint un coeur sur la vitre de sa boutique, un tabouret sant l’esclave consciencieux de la satellisation du réel en montrant que
qui tourne tout seul, un train qui passe sur lequel passe une ombre. Fart est partout, dans la réalité quotidienne et banale, même dans ces
L’étrangeté de ce monde dit fam ilier nous est renvoyée par le prisme banlieues qu’on d it mortes (Clamart), même dans ces maisons vides
du regard de la femme, mais après que le m iroir de son imaginaire en où çà et là on peut voir une femme,
ait réfléchi l’ impact comme une surimpression. (Cette métaphore est
volontairement photographique, car elle permet de saisir la femme et Danièle Dubroux
son regard comme machine spéculaire, caractéristique de la relation
imaginaire au stade du m iroir).
1. En général, dans les tournages en extérieurs, les variations de lumière
imprévues dans une même séquence sont rattrapées à l’étalonnage, ou alors ta
Le film décrit ainsi le dessin rhizomatique d ’un parcours fém inin qui
scène est refaite. Dans le film , au contraire, ces différences d’ intensité lu m i
doit s’acheminer pour retrouver le Heu dit de renonciation (de son mal, neuse sont utilisées comme éléments dramatiques. Le soudain obscurcisse
de son manque à être pour l’ autre) par les voies dangereuses, les résur ment du ciel déroute la femme qui rebrousse chemin, angoissée, en même
gences archaïques d’un univers animiste, magique, où les humains temps qu’ il provoque un malaise chez le spectateur, une sorte de chute en trou
affrontaient des terreurs (celle du noir par exemple : elle laisse la d’air.
38 CRITIQUES
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Le parti pris par La Femme gauchère, on ne peut y rester insensible, /. La Femme gauchère
car si je ne m ’y trompe, c'est celui des parias ordinaires : les inélégants, Une femme courbée tourne, littéralement, en rond. Des papiers gras
les maladroits, les balourds. Comme l’éditeur incapable de verser du s’envolent sur un quai de gare. Dans une grande maison vide, la
champagne sans le répandre, comme le mari plus bête que méchant, femme attend, la femme reçoit. Est-elle émue? Non, elle mue.
comme l'acteur hagard. Tous allemands et allemands en France
comme le fui jadis le père de l’héroïne (on dit que les occupants, tout L ’ histoire a de quoi séduire aujourd’ hui : elle tombe à pic.
vainqueurs qu’ ils fussent, ne savaient se comporter devant un garçon
Je n’aime pas du tout le film de Peter Handke. (Si je l’ai supporté
de café français).
jusqu’au bout, contre une furieuse envie de partir dès les dix premières
minutes, c’est dans l’attente - déçue - de ce quelque chose en plus qui
A tous ces corps honteux, la femme, modèle de toutes les hontes
allait venir justifier, expliquer la réputation flatteuse qui précédait le
parce que sans homme, va proposer son itinéraire exemplaire : aller
film ). Il y a différentes façons de ne pas aimer un film : indifférence,
librement, sans raisons, au fond de l'hum iliation et du désarroi quo
mépris, hauteur, fureur, silence. Pour cette Femme gauchère. ça se
tidien. Disons tout de suite que la description de ce voyage n’est pas
complique quelque peu : il y a celle du film , et il y a celle des media.
dépourvue d'audace. Handke aurait pu réussir un film réellement
La femme du film pose stoïquement pour des photographies de mode,
in q u ié ta n t-e t actuel - sur l'anorexie, sur l’ imaginaire du corps blessé :
à l’ intérieur d’une fiction où le défilement incessant de ses préoccupa
je pense à cette scène où l’ héroïne vide le contenu de son frigo, ou celle
tions intérieures est justement film é comme un défilé de mode.
où elle termine les restes de son fils près de la poubelle. Plus subtile
Regard délavé pour une caméra qui lave plus blanc encore. La femme
ment encore, d'étranges assemblages signifiants nous sollicitent : une
miette de pain trempée dans du vin, un ballon scié par un gosse. des media, elle, est porteuse de pain : lout ce qu’il faut pour (le mal de)
vivre, aujourd’ hui, dans une partie sur-culturée du monde. Person
nage creux sur lequel on jette allègrement tout ce qu’on traîne dans ses
poches : le film ne demande-t-il pas d'amener sa place avec soi? Quelle
belle logique ! Quelle foi inébranlale ! Il suffit de retrancher, conscien
cieusement, mesquinement, tout ce qui, dans un Hlm, fa it film , pour
que l’œuvre se pare de tous les mystères, pour que l'œuvre devienne
exemplaire.
Exemplaire, oui : de la rigueur affichée, de la rigueur en fiches, de
la prétention paranoïaque. Comment ne pas éprouver le ridicule qu’ il
y a à placer une telle entreprise sous la bannière, on vous le donne en
mille, du cinéma d'Ozu. Là où Ozu lllm e scrupuleusement (et bête
ment, bassement, trivialem ent) ce qui est le plus terre à terre dans les
rapports humains, ce qui se désigne comme tel, ce qui peut seul se fil
mer parce que c’est de l'ordre du visible et du quotidien, du rituel et
du signifiant, ce qui recommence toujours parce que la vie domestique
est faite comme ça, pour ça, là où Ozu ne montre jamais rien d’autre
que ce qui est platement dans le champ (et à vous, spectateurs, d'en
faire ce que vous voulez !), Peter Handke, lui, fait sans cesse des appels
d’air, des appels de hors-champ, de hors-sens, de hors-jeu, comme un
joueur, terrifié à ce point par les règles de la partie, qu’il préféré les
ignorer superbement (je suis au delà de la notion de réussite ou
d'échec, je ne joue pas le jeu, je ne traite pas le sujet, je suis proprement
intraitable).
Résultat : La Femme gauchère n'existe pas, le 111m n’est ni fait ni à
Bernhard W icki ei Edith Clever dans La Femme Gauchère
faire. Comment, alors, se battre contre un m oulin à vent?
Il est trop simple., et trop complaisant, de se laisser aller à cogiter sur
un personnage qui n’existe que par sa posture. Le « ceci n’est pas une
Seulement lout cela n’existe que pour la leçon, de vie et de cinéma : pipe » de Magritte ne se recopie pas si facilement au cinéma. Il eût
grâce à la femme gauchère, nous découvrirons ce que notre pauvre vie fallu infinim ent moins de psychologie pour que le personnage par
de droitiers, de gauchers qui veulent s'ignorer, nous dissimulait : des vienne à n’exister que par la somme de ses gestes, des gestes qui
rapports humains renouvelés parce que fondés sur la rencontre de auraient découragé l'interprétation au lieu de la solliciter. On aurait eu
l'insiani, des tendresses délivrées de la conjugalité. Guidés par Robbv un film triste et énigmatique, là où il n’y a rien qu’ une buvette avec,
M üller, nous laverons nos regards pour la beauté cachée de nos lai affiché à la porte d'entrée, « on peut amener son casse-croûte ».
deurs contemporaines.
Ceci dit, Peter Handke a un réel talent de psychologue. S’il ne se lais
sait pas aller à la voyance, il excellerait dans le détail juste, comme en
Ici Handke croit pouvoir imposer le nom d'Ozu. Je ne ferai qu’ une
témoignent les seuls moments à peu près réussis du film : les enfants
remarque : chez le cinéaste japonais, les « plans fixes » c’est-à-dire le
cachés dans les valises, les enfants, encore, surgissant grimés, de der
regard soutenu qui ne bouge ni ne se ferme, expriment tout autant et
rière une porte, l’atmosphère un peu pornographique de la soirée avec
dans le même mouvement le désir de préserver choses et gens du
l’éditeur ivre et gros. Des moments d'obsenation.
temps qui passe, et celui d'accompagner, yeux grands ouverts, dans les *
moindres détails, leur fuite silencieuse et inéluctable. Il n’y a chez Ozu II. Les Rendez-vous d'Anna
aucune idée de salut et c’est pourquoi ses personnages et leurs décors,
1. Une femme très droite, très élégante dans les éternels mêmes
nous les aimons, nous les connaissons intim em ent, nous mourons
vêtements qui lui collent à la peau, traverse, imperturbable, de grands
avec eux du corps périssable de notre regard. Et si c'est plutôt joyeux
espaces vidés de leurs habitants. Des gens lui parlent, sans qu’elle s’y
c'est qu'Ozu, au contraire d’ Handke, ne nous propose aucune pro
attende, qu’elle semblait faite pour rencontrer. Est-elle émue? Sans
messe rédemptrice.
doute oui, puisqu’elle mue.
Il est vrai que pour Handke, à propos de ces « plans fixes », de ces L ’histoire est très exactement contemporaine : elle tombe à plat.
silences allusifs et sentencieux paraissant tous nous renvoyer à quel
que aphorisme consolateur, il serait impropre de parler de moyens de J’aime beaucoup - encore qu'une partie en soit complètement ratée
salut; de thérapie mentale au goût du jo u r plutôt, à suivre avec un - le film de Chantai Akerman. (Ce ratage est à la mesure de l’ambition
régime alimeniaire approprié. - plus nettement commerciale que dans les précédents film s d’ Aker-
Bernard Boland man, ou plus exactement : plus sentimentale - d’ un cinéma de plaisir.
LES RENDEZ-VOUS D 'ANNA
un cinéma fait totalement pour se faire plaisir à soi, en essayant d'y D ’ Anna, Akerman ne retranche rien. Elle ajoute, colle, agglutine.
entraîner le plus de gens possible. J'ai toujours pensé que le cinéma de L'épaisseur du personnage est telle q u 'il est à prendre ou à laisser tel
Marguerite Duras - avec lequel Anna, dans ses voyages, prend ici réso quel - encore qu'on ne puisse s’empêcher de l'alourdir en corps, qu’on
lum ent rendez-vous - était un cinéma de l’émotion bête, un cinéma le pare d’oripeaux personnels, qu’on lui colle à la peau. Fascination cli
pour tout le monde, un cinéma populaire. Et si Duras, ou Akerman, gnotante pour une apparition hagarde qu'A kerm an se garde bien de ne
ne parviennent pas à le toucher complètement, ce public populaire pas exploiter à fond : il y a dans cette frénésie à ne vouloir que rien,
pour lequel elles film ent, c’est que le populaire n’ y va plus, au cinéma.) à aucun moment, ne baisse en intensité, quelque relent d ’hypnotisme
Il y a différentes façons d'aim er un film : bouche bée, épaules étroites, dont je ne suis pas sûr q u 'il constitue pour elle le m eilleur des atouts.
air accablé, œil brillant, discours enthousiastes. On a peur qu’ Anna ne
soit aimée, ou haïe, pour de mauvaises raisons : pour le silence berg- L'épaisseur de la palette fait ici le poids de la toile : quelle belle lour
manien dont elle s’entoure, pour le côté sans-terre avec lequel elle deur dans la platitude, quel poids des eaux dans l'entre-deux des
passe au travers des gens qu’elle rencontre, pour la saga d ’exode et de corps
fin du monde qu’elle symbolise. Non que ces éléments ne soient pas
présents tout au long du film . Ils y sont : et comment ! Seulement, c’est Ceci dit, le ratage dont je parlais a de réels effets de dérapage : que
bien dans ce comment, dans le commentaire dansé de l’air rance qui ce soit dans certains aspects proprement stéréotypés du jeu de Cassel,
parcourt ces gares vides et ces lumières lunaires, dans l’effet de recons dans la chanson d'A n n a trop jolim ent doublée pour que le risque du
titution sauvage qui accompagne le pas-à-p;\s de la fiction, dans la bru faux y subsiste un seul instant, et surtout dans le choix de Massari pour
talité épaisse de ses effets d ’ailes, c’est dans la haine tenace de tout ce la mère alors que Magali Noël était visiblement la vraie, l'idéalisme
qui n’est pas à proprement parler le film en train de se faire que se montre son jo li nez : tentation de l'auto-portrait visiblement retouché
creuse l'écart d’avec le scénario qui l'a rendu possible. Et c’est là que dont devrait se méfier la jeune fille si son am bition est de devenir,
le film nous attrape et nous agrippe, au tournant. comme c'est flagrant, une femme grand-cinéaste.
Rapport de compétition, et cependant d'indifférence totale, aux Laficiion. Pour son diplôme de fin d’études. Agnieszka, une jeune
autres cinéastes à prétention d’auteur, à tous ceux qui s’auto-autori- cinéaste, a décidé de faire un film sur le maçon Birkut, héros de la pro
senl à s'exprimer, qui s’arrogent le droit insensé à la création. duction socialiste dont la statue immense, après s’être dressée dans les
années 50 sur la grànd-place de Nowa Huta, gît aujourd’hui dans les
Que dites vous que je suis? »...........« A ttention ! C'est un leurre : caves d’ un Musée. %
il est l’ heure de remettre votre montre à l'heure ! »
Bien que L 'Homme de marbre s’ouvre sur une dramatique mise en
Oui. On ne voit pas au nom de quoi on croirait ce que raconte un question du projet d’ Agnieszka («21 jours pour le faire, pas un de
(ou une) cinéaste. Quand quelqu’ un semble vous dire : « je ne suis pas plus », menace un bureaucrate, après avoir rechigné à donner son feu
plus qualifié qu’ un autre pour parler de mon propre travail, il ne vert), on s’aperçoit vite que ce projet ne pèse pas lourd dramatique
m ’appartient pas plus à moi qu’à vous... », il faut prendre ce qu’ il dit ment dans la fiction de Wajda, qu’il n’est qu’un prétexte, un procédé,
à la lettre, ne pas prendre les impressions dont il fait état pour plus un embrayeur. Très vite on ne se soucie plus de savoir si elle va réussir
qu’elles ne sont, et surtout pas pour des directives. C’ est-à-dire qu’ on à faire son film ou non puisque, quoi qu’elle fasse, le film de Wajda
est bien obligé, d’ une manière ou d'une autre, d'aim er un film (en tout se fait quand même. Qu’elle réussisse ses prises ou les rate importe
cas un film comme Les Rendez-vou d ’Anna) contre son auteur. Croire peu : la caméra de Wajda les double. A la lim ite, il pourrait très bien
Chantai Akerman sur parole donne des résultats catastrophiques, ne pas y avoir de pellicule dans la caméra d ’ Agnieszka. La preuve en
comme en témoigne le malheureux Alain Rémond dans sa critique du est que nous ne sommes guère émus lorsque quelqu’ un dont elle a
film (« Elle passe, elle est déjà ailleurs», Télérama n° 1504) : para enregistré clandestinement le témoignage exige la bobine et la détruit.
phrase mécanique, au mot près, des déclarations de la réalisatrice Rien de ce qu’il a d it n’est perdu, ni pour nous, ni pour le film de Wajda
(qu’on peut lire quelques pages plus loin). Triste spectacle d ’un qui adéjà transformé le récit du confident récalcitrant en belles images.
homme, qui après s’être embarqué dans le voyage le plus organisé qui De même, vers la fin, l’ interdiction faite à la cinéaste d ’achever son
soit, affirme sans honte que chacun peut y trouver sa place, que rien tournage ne provoque aucun pincement de coeur, pas de suspense,
ne nous force la main, et qu’on peut trouver à se loger dans les creux nulle espérance et point de déception : on a compris que ce n’est qu’un
de la fiction. A que! prix, petit? A parler de trous (« béance », je tra truc de scénario pour propulser le film de Wajda un peu plus loin, (un
duis), « que nous nous acharnons à vouloir combler, en des efforts qui peu moins loin aussi, mais cela est une autre histoire que nous allons
nous apparaissent... vains et illusoires. », vous risquez de glisser sur corner bientôt).
votre propre peau de banane. Je cite encore : « film du désarroi, de la
béance soudaine. » (Ne serait-ce pas, plutôt : de l’ abbé Hans sous des Le film d’ Agnieszka ne représentant pas un enjeu, n'encourant fic-
nœuds?) El plus loin, la chute, dramatique : « ce qu’on croyait solide tionnellement aucun risque, ses échecs comme ses succès étant capi
s'effondre ». On imagine la déconfiture royale du porteur de zizi pris talisés ailleurs et sous nos yeux sans discontinuer, son personnage s'en
au piège des ambiguïtés néo-chrétiennes : le sol se dérobe sous ses ressent : il perd tout intérêt, toute crédibilité. Parce qu'elle n’est là que
pieds, il tombe dans les mailles de la fiction qu’ il s’est laissé tisser sur pour faire fictionner, Agnieszka n’est pas émouvante. Elle agace, mais
mesure, il jo u it de ne plus savoir où il en est. Et il répète docilement, elle n’est pas émouvante. Elle agace parce qu’elle ne cesse de courir,
pour le premier client, tout ce que lui a dit de dire sa maman. Femmes de gueuler, de brasser de l’air et des gens, sans qu'on voie très bien à
castratrices et phalliques, vous êtes la bénédiction des petits épiciers de quoi toute cette agitation peut servir. On dirait un agent de la circu
la sensation vraie. lation, un de ces agents dont on pense; narquois, que les automobiles
tourneraient aussi bien (ou aussi mal) sans leurs moulinets, sauf qu’ ils
11 y a cent fois plus de vérité dans le très beau dessin de BonnalTé pour manqueraient au décor. Agnieska semble, de même, absolument inu
« Le Monde »(9 Novembre) : une femme qui porte un train tout entier tile et absolument indispensable. Inutile, car Wajda aurait pu faire un
dans son sac. On pourrait dire qu'elle fait du porte-à-porte avec film sur l’ homme de marbre en se passant d'elle; indispensable, car
l'A ncien Testament dans la tête. Voyageuse de commerce d’ un type sans elle ce film aurait été obligé d ’affronter certaines épreuves de
nouveau, elle doit bien avoir quelque chose à vendre, pourtant. C’est vérité et Wajda aurait eu beaucoup plus de mal à ne pas dire ce qu’ il
ce que tout le monde semble se dire, acharné à lui trouver des mes n’a pas envie de dire. A insi donc, si Wajda a fait d ’Agnieszka une
sages de modernité, à lui prêter des paroles de prophète. surexcitée, une hypernerveuse, une madame cent m ille volts, ce n’est
pas seulement pour compenser en quelque sorte son vide, son inexis
Et si ça n'était pas vrai? Si Anna, tout simplement, donnait des ren tence fictionnelle, c’est aussi pour masquer la feinte qui la fonde.
dez-vous gratuits dans les maisons closes des wagons de chemin de
fer? Si elle faisait des passes? Que feint-elle, en son agitation, de faire circuler? Les autres élé
ments de la fiction de Wajda, bien sûr. C'est-à-dire : les témoins de la
Psychothérapeute et sainte d’un genre vieux comme le monde, vie de Birkut et les documents cinématographiques où Birkut apparaît.
Anna écoute ou fait semblant d’écouter les monologues qu’ on veut
bien lui adresser. Et quand elle ne les regarde pas le faire, elle le leur Les témoins. Ils sont trois, plus deux. Burski, un cinéaste
fait elle-même. Après tout, si ça peut les soulager... Anna est ce qu’on aujourd’ hui célèbre ayant réalisé dans sa jeunesse le film qui lança Bir
appelle, tout simplement, une petite branleuse Et c’est le talent propre
kut comme ouvrier de choc sur la scène nationale. Un manager de
de Chantai Akerman, au vu et au su de tout le monde, sans même que strip-tease, ex-flic politique des années 50 chargé de contrôler (le sec
nous nous en rendions compte, de nous en foutre plein la gueule. Et teur de) Birkut. W itek, aujourd’ hui directeur de chantier, autrefois tra
qu’on ne vienne pas nous raconter des bêtises ! vailleur de choc dans l’équipe de B irkut; c’était son meilleur ami. Plus
Louis Skorecki l’ex-compagne de B irkut, plus leur fils.
L'HOMME DE MARBRE 41
Quel est leur poids fictionnel? A peu près le même que celui continuité ou par ellipses, mais un développement qui ne se dérobe
d’ Agnieszka. Pas davantage qu’elle, ils ne sont de vrais personnages, devant aucune des implications de la situation de départ, qui n'élude
des personnages dont la vérité s'éprouve au fil de la fiction, des per aucune des conséquences fietionnelles quant à chacun des personna
sonnages qui courent un risque à être pris dans une fiction. Mais tout ges et à ce qui les lie dans l’ intrigue. Il ne suffit pas de savoir ce qu'ils
autant qu’elle, ils sont nécessaires au système d'évitement en quoi deviennent (Burski célèbre et riche, le flic planqué et riche, W itek puis
consiste le film de Wajda et dont elle est la pièce maîtresse. sant et riche, l’ex-femme épousée par un riche; l’accumulation de pou
Embrayeurs,courroies de transmission, excepté le fils dont le rôle sym voirs de décision et de biens de consommation étant les seules carac
bolique permet une fin ouverte, ils servent de transition vers le passé. téristiques de ces personnages au présent), mais comment ils le devien
Ils ont tous vécu un épisode du destin de Birkut et, à la demande nent. Et là, c’est le black-out. De par le système même adopté par
d’ Agnieszka, après plus ou moins de réticences, mais plutôt moins que Wajda.
plus (s’ ils refusaient carrément, le film s’arrêterait), ils s’en font le nar
rateur. Burski conte son ascension, le flic son déclin, W itek quelques Le procédé utilisé par Wajda, cette façon-entonnoir de prendre un
épilogues. Quant à son ex-femme, elle apporte, côté vie privée, la note personnage (Agnieszka) qui ne sert qu’à conduire à d'autres personna
cruelle sans laquelle le malheur de l’ouvrier modèle ne serait pas com ges (les témoins), lesquels ne servent qu’à conduire vers un troisième
plet. Dans tous ces récits, ce qui compte, c'est ce qui est raconté, non (Birkut), facilite l’esquive, évite certaines épreuves, certaines confron
qui le raconte et comment ou pourquoi. Ces récits ne sont pas un enjeu tations en lesquelles un personnage consiste ou s’effondre, résiste ou
pour leurs auteurs, pour les personnages que sont leurs auteurs. Après sonne creux. La confrontation passé-présent par exemple, ou causes-
son récit d‘un fragment du passé, chacun disparaît de la circulation au conséquences. Ici, dès que le passé est exhumé, il ne s’ensuit rien. Il
présent. Aucune retombée, aucune suite, aucune conséquence. Ces y a addition et non m ultiplication ou division. Tout se passe comme
récits n’ont d ’autres effets sur ceux qui les profèrent que de les faire si le narrateur, que les témoins deviennent tour à tour, était au-dessus
disparaître. Et pas seulement après. Dès qu'ils prennent la parole, ils de la narration, à la manière dont le législateur est au-dessus de la loi.
basculent dans le passé. Ce qu'ils racontent devient images, mises en Comme si, aussi, il y avait prescription, une sorte de prescription fie-
scène, reconstitutions, mais sans que l'on puisse vraiment décider à lionnellequi stipulerait que les éléments mis en présence dans la trame
qui elles appartiennent, ces représentations, à l’auteur du récit ou bien étaient si distants qu’ ils n’avaient finalement plus rien à voir ensem
à celle qui le recueille et qui i'imag(in)erait aussitôt. Le point de vue ble, plus rien à risquer en se rencontrant, toute sanction possible
n’est pas très net. C'est dire à quel point ils sont effacés, ces person- éteinte.
nages-relais, effacés par leur propre récit, consumés par leur tém oi
gnage. Aucun ne reste assez longtemps sur l'écran pour subir l’épreuve Le système fictionnel choisi par Wajda offre un autre avantage,
de vérité de la fiction. L ’épreuve de vérité de la fiction, une des épreU' encore plus avantageux, il permet de justifie r tous les trous dans la nar
ves, c’est la narration, le développement d’ une situation, d ’une contra* ration. Attention, un trou n’est pas une ellipse. Une ellipse, d’une
diction; un développement lent ou rapide, sinueux ou linéaire, par façon ou d’ une autre, se trouve toujours justifiée de l’ intérieur même
42 CRITIQUES
île la narration, par ce qui la suit el la digère clans la diégèse. Un trou, strip-tease et tout ce qui s'ensuit, ou l'histoire d 'un ouvrier de choc
au contraire, ne se peut ju stifie r que par le coup de force d ’un truc sans conviction accusé d’espionnage et qui devient vingt ans plus tard
« réponse à tout » (réponse à trou). L'entonnoir est une passoire. De un grand manager du bâtiment et tout ce qui s'ensuit, ou l'histoire
Birkut, le travailleur de choc statufié pour ses records dans la produc d'une étoile sportive de Nowa Huta qui aime un ouvrier de choc, le
tion, nous ne saurons jamais que ce que les 3 ou 4 témoins auront bien renie et se marie avec le patron du restaurant où elle est devenue ser
voulu confier à la jeune cinéaste. Plus ce que nous apprennent les 4 ou veuse et tout ce qui s’ensuit, raconter l’ une ou l'autre de ces histoires,
5 documents qu'elle aura retrouvés. Entre ces 8 ou 9 coups de projec à fond, dans tous ses développements, sans s'abriter derrière l’ igno
teurs : de l’ombre, la nuit de l'Histoire. Et toutes les questions que ce rance d’ une jeune femme de 28 ans, ignorance supposée générale
récil en pointillés ne manquera pas de nous poser trouveront leur tom (générique) de toute la jeunesse polonaise (ce que démentent les divers
beau dans la mémoire faillible ou la sincérité limitée des témoins et mouvements oppositionnels depuis dix ans), voilà la perspective film i
dans le caractère parcellaire des archives cinématographiques. C ’est que dont le vieux routier du cinéma polonais a voulu se garder. Une
bien commode. perspective exigeante, honnête et plus courageuse qu’ il ne semble. Il
a préféré mélanger habilement toutes ces bribes d'histoires, sans
s’engager vraiment, sans se risques dans aucune. Il n'a même pas bien
Les documents. Ce ne sont pas des documents bruts, mais semi- raconté l’ histoire d'une jeune cinéaste qui voudrait faire un film sur...
bruts. Des documents fictionnés, composites, composés, selon un pro et tout ce qui s'ensuit : les seuls problèmes rencontrés par Agnieszka
cédé classique, en partie d'images appartenant à des documents réels, sont des problèmes de documentaliste pas de cinéaste (je dis bien :
anciens, el en partie d’ images tournées par Wajda avec ses comédiens, documentaliste, pas documentariste). Ou des problèmes de censure,
habilement montées, mixées. A ta première vision, on distingue d if mais pas de mise en film . Comment passe-t-on d’ un sujet politique à
ficilement leur provenance; c’est donc très réussi, puisqu’ il s’agit de un produit cinématographique, cela n'est même pas effleuré. Pourtant
faire fictionner des documents, souvent d’ailleurs en opérant une sim Agnieszka est censée être la métaphore du travail de Wajda. Mais
ple substitution d'un gros plan d’acteur (jouant Birkut ou un autre) à celui-ci tricote son film avec des moyens (esthétiques et techniques)
un gros plan d'hom m e ou femme anonyme. Ces documents sont sou sans mesure avec ceux d'Agnieszka. Les difficultés d'Agnieszka ne
vent émouvants : on ne triche pas avec certains visages, avec certains servent à Wajda que pour valoriser sa propre entreprise, à la « dange-
effets de foule, de drapeaux. Ils sont émouvants mais ils n’apportent riser ». Mais cette sonnette d'alarme (attention : interdits) constam
rien de plus qu'une fiction n’aurait pu donner. Par contre, outre qu’ ils ment tirée sonne aussi faux que sonne creux le ralliement final de la
redoublent la justification du récit troué (un film ça se perd, ça monteuse d’ Agnieszka qui sert d'antithèse politique et populaire à la
s’ampute, el puis dans un documentaire d'actualités la caméra n’est bureaucratie du Cinéma d'État. Contradiction postiche. La monteuse
jamais tout à fait où il faut quand il faut, elle ne voit pas tout, surtout a trois scène avec Agnieszka : dans la première elle est hostile envers
s'il s'agit de cadrer la vie d'un individu particulier), ces documents pro sa jeune patronne et son projet, dans la seconde elle est neutre, dans
curent aux scènes reconstituées, à la fiction proprement dite, un très la troisième farouchement favorable. On ne saura jamais pourquoi ni
fort coefficient de vérité. comment elle a autant changé. Son point de départ comme son point
d'arrivée ressemblent fort à un simulacre, un simulacre indispensable
Ils présentent encore un avantage, celui d’empêcher une confronta à Wajda, d'une part pour contrebalancer l'inexistence fictionnelle du
tion externe avec le réel. A supposer que certains spectateurs soient projet d 'A . (technique de réanimation artificielle), d’autre part pour
tentés de chercher hors du film sa vérité référentielle, la présence mas produire un effet de contradiction au sein du peuple, de liberté, de libé
sive de documents répond d'avance : le réel est là, dans le film , ne cher ralisme, de « rien joué d'avance ». Cependant que la vraie pièce se joue
chez pas ailleurs. Cette convocation permanente du réfèrent dans le sur une autre scène.
fim surenchérit sur /'impérialisme du nièrent par lequel certaines fic
tions dites « de gauche » entendent mettre le spectateur dans leur
poche, lui déniant toute possibilité critique fl). Car le film de Wajda ne dit pas rien. Il traite à sa façon du passé
comme du présent. Que ressort-il, au bout du compte, de cet enton
noir-passoire? Un héros. Il en ressort un héros. « Un homme de cris
Double entrée fictionnelle équivaut à double sortie. Le procédé du tal », selon l'expression même de Wajda (interview dans Télérania du
film dans le film , du film sur un film en train de se faire (à moins qu'il 7 oct.). Wajda se débrouille pour faire de son travailleur de choc un
ne s'agisse d’ une pièce de théâtre) s’avère presque toujours, et on le innocent, quitte à le faire souvent passer pour un idiot. Pour cela, il lut
vérifie une fois de plus ici, le plus sur moyen de prendre le m inim um faut travestir la réalité du stakhanovisme, celte alliance de croyance
de risques. En se garantissant des portes de sorties, des possibilités de scientifique, de stimulants matériels et de procédés techniques
fuite de tous les côtés. Si vous rencontrez une difficulté dans un sens empruntés au taylorisme. Grâce au cynisme rétroactif du cinéaste
(un champ, un thème, un registre) vous vous éclipsez dans l’autre. A Burski, il projette sur ce drame économique l'ombre de la gaudriole.
ce jeu de casquettes, Cassenti a gagné sa couronne. Et finalement, c’est Tout se passe, à la lim ite, comme si le stalinisme économique avait été
bien L'Affiche rouge que rappelle le plus L'Homme de marbre. Même une vaste blague, une invention de metteur en scène ambitieux et
aplomb de grand sujet. Même surplomb du réfèrent. Même dispositif habile. Mais le stakhanovisme, merde, ce n’était pas de la rigolade;
de fuites constantes. Même utilisation démagogique de la censure, du c’était bien moins une affaire de mise en scène (même si la propagande
sujet tabou.. Le film en parle, alors que vous importe comment, sem- ne faisait pas rien de ces efforts spectaculaires) que de mise en chaînes,
blent-ils répondre à toute mise en question de leurs procédés, ajoutant : et ceux qui s'y livraient ne le faisaient pas pour la frim e mais pour la
d’ailleurs, c’était la seule solution. prime. Pour marcher dans cette combine, il fallait aux «ouvriers
modèles » une dose d ’arrivisme, de réussite sociale, au moins aussi
grande que celle des organisateurs de la chose. Birkut, lui, est pur de
C’est faux, bien sûr. D'autres solutions filmiques, il y en a; des solu
tous « mauvais désirs », les arrivistes ce sont les autres, uniquement
tions que le système adopté par Wajda permet d’éviter. Dérobade. Des
les autres. Pour que le film ait quelque accent de vérité, il aurait fallu,
solutions franches : le « tout fiction » ou le « tout document ». Si le
ou bien que Birlkut soit un salaud comme les autres, ou bien que les
« tout document » (y compris des interviews) paraît moins aisé en
autres soient aussi purs, aussi innocents, aussi naïfs et crédules que lui.
Pologne où, pour être les moins fermées de tous les pays socialistes,
les bouches ne s’ouvrent cependant pas sans crainte devant tous les
micros, l’autre solution, celle de la fiction intégrale, est plus que pos Comme si elle ne pouvait jamais être définitivem ent assurée, l’ inno
sible (Wajda l'a empruntée maintes fois pour brosser des fresques his cence de Birkut devra être établie par tous les moyens. Même contra
toriques du siècle dernier), mais c'est aussi la plus risquée, car ses lois dictoires. On pense à certains idéologues des Hauteurs béantes, de
sont dures à l’esquive. Raconter simplement, de part en part, sans fio Zinoviev, qui veulent toujours trop prouver et dans leur zélé outrepas
ritures ni mélange de genres, l’histoire d'un travailleur de choc, porté sent constamment le principe de non-contradiction. Birkut sera inno
au pinacle, puis dégommé, et tout ce qui s'ensuit, ou l'histoire d'un cent parce que dupe, dupé (par tout le monde; c’est sa posture la plus
cinéaste qui utilise et même maquille un peu l’exploit d’ un Birkut pour fréquente) mais aussi parce que non-dupe par moments : ainsi Wajda
faire carrière dans le cinéma et tout ce qui s'en suit, ou l’ histoire d’ un lui fait-il lancer vers Burski qui le film e et le manipule deux ou trois
flic politique qui croit au complot international contre le socialisme, regards du genre « toi mon coco, je sais bien où tu veux en venir ». Il
aux ennemis intérieurs infiltrés dans les rangs des meilleurs éléments devra être victim e des procès staliniens mais aussi se comporter devant
de la classe ouvrière et qui devient vingt ans plus tard manager de les juges comme personne à cette époque ne se comportait : avec inso
L'HO M M E DE MARBRE 43
lence ei ironie, refusant son autocritique en faisant de l'hum our noir
autour de ses aveux. Wajda l'investit ainsi d’ une force, d'un compor
tement qui ne seront possibles et réels dans les tribunaux socialistes
que vers 68. Il lui fait faire de la dissidence anticipée. Mais pas vrai
ment de la dissidence non plus. Il devra, ce héros parlait, être à la fois 2
révolté contre la machine qui l’écrase (pendant « la période des
erreurs »)et appeler ses concitoyens à voter pour cette machine dès que
repeinte par la déstalinisation. Toujours prêt à se réenrôler, il n'est pas 1. Une fiction de gauche polonaise est-elle possible? Il me semble
pitoyable, il est con. Mais sa connerie est soigneusement déguisée sous que non. Ce qui correspond à l’ Est à la fiction de gauche, c’est ce que
les oripeaux du martyr. j ’appellerai le « film de dégel » (comme La Prime ou jadis Quand pas
sent tes cigognes). A utre genre, autre calcul, autre esthétique. Dans un
Pourquoi faut-il donc qu'il soit si innocent? Mais pour .sauver l’ inno film de dégel, il ne s’agit pas de faire prendre conscience au spectateur
cence de la classe ouvrière, pardi. Hors de ce dogme, point de salut des agissements de pouvoirs plus ou moins occultes (de préférence
pour le système socialiste (d’ Élat. mais il n’ y en a pas d'autre). Inno l'Êtat, la M affia ou la C .I.A .) par le biais d ’une enquête courageuse
cence contagieuse, mieux : congénitale. De même q u 'il est impossible, menée par un juste (petit juge, journaliste intrépide, flic honnête) mais
au regard de ce dogme, que des ouvriers allemands (ou français) aient de bien autre chose. Il s’agit du deuil de tout un peuple, du non-dit de
été nazis, il est impensable que des ouvriers polonais collaborent à leur son rapport à la politique stalinienne et à ses aberrations. Politique et
propre oppression. La preuve, c'est qu'ils se révoltent en brûlant les aberrations dans lesquelles tout le monde a été pris dans sa biographie
mains de celui qui les incite au sur-rendement. Il était écrit que Jésus- même, aussi bien les naïfs que les rusés, les bourreaux que les victimes,
Birkut devait aussi souffrir dans sa chair pour innocenter scs camara les saints (comme l'ouvrier de choc Birkut, l’ homme de marbre) que
des de classe. Se sur-innocentant par là lui-même, dans son incapacité les mécréants (le cinéaste Burski qui fabriqua son image). « Les jeunes,
totale à comprendre ce qui se passe. Atteignant d'un seul coup le zéro dit Wajda, oui besoin de savoir pourquoi leurs parents sont tellement ner
et l’ infin i de l'innocence. veux, pourquoi ils mentent, pourquoi ils fo n t tant de choses qu'ifs ne
devraient pas faire, et pourquoi, de temps en temps, l'on apprend qu'ils
C'est donc au moins, dira-t-on, que le stakhanovisme est donné par ont fa it des choses formidables dont on n'avait jamais entendu parier. »
ce film comme absolument condamnable. Pas même. Vers la fin, Il ne s'agit pas tant de prendre conscience que de se mettre en règle.
quelqu'un vient affirm er sans détour - mais cela court en filigrane tout Disons, pour aller vite, qu’ il n'est pas exclu que l’ouvrier qui eut l'idée
le long du film , entre ses p o in tillé s -q u e le sur-travail forcé est un mal de lancer à Birkut la brique chauffée à blanc (épisode authentique,
certes, mais nécessaire et inévitable « pour construire tout ça » (ça : selon Wajda) fasse aujourd’ hui partie du public immense qui, en Polo
vaste panorama urbain d'usines et immeubles). Thèse du mal néces gne, fait un triomphe à L'Homme de marbre. A la différence de nos fic
saire, de l'erreur qui se change finalement en son contraire. Encore un tions de gauche (qui supposent un spectateur « au-dessus de tout soup
dogme fondamental que le Hlm reconduit, consolide. La consolidation çon »). les fictions de deuil savent leur spectateur lourd d’ Histoire, à
étant, pour qui a un peu fréquenté la littérature officielle du socialisme jamais marqué par elle. Il y a plus de « fiction »dans la biographie d 'un
existant, leur maitre-mot, dont aucun jugement de valeur ne saurait seul citoyen polonais de la génération de Wajda que dans toute la pro
se passer, ne peut-on finalement définir L'Homme de marbre comme duction d’après-guerre de Film Polski.
un bon film de consolidation ?
2. Une fiction de gauche n’est possible que là où il y a liberté
Si l'on voulait désigner le taylorisme socialiste (dont le stakhano d'entreprendre (condition à laquelle une Hction peut naître) et liberté
visme n’est que la forme passée) comme un mal absolu, impardonna de contrat (condition à laquelle une inscription peut être vraie). Elle
ble, injustifiable, alors le héros de Wajda n'aurait pas dû être cet est, en revanche, à peu près impossible là où les embrayeurs tradition
ouvrier bénêt. béni ouinonouioui, mais celui qui lui brûle les mains, nels de la vérité, les intellectuels et les artistes, ont été à un moment
celui qui fait chauffer la brique de la révolte. Et tout le film aurait dû massivement assujettis à la sphère du politique, grimés en « combat
être fait de son point de vue. Cela suppose évidemment que l’on ne tants sur le front idéologique », c’est-à-dire en menteurs. Servitude
cherche pas à faire prendre le plâtre pour du marbre et des bien - pen plus ou moins volontaire, jeu plus ou moins double, conscience plus
sants pour des rebelles. ou moins malheureuse : sur l'éventail de toutes les nuances entre dis
Jean-Paul Fargier sidence et collaboration, il faut lire Zinovicv (Les Hauteurs béantes). Il
n'empcche. Comment le cinéma - contemporain des premières gran
des manutentions de masse (celles qui eurent pour objet l'espèce
humaine et son devenir : du surhomme à l’homme nouveau) -
contemporain et complice - complice du fa it même de sa vocation réa-
listique qui le voue bien évidemment à tous les trucages; le cinéma,
sans lequel le corps horsexe des stars du travail n’aurait jamais pu être
aussi facilement proposé à l’adoration des masses; le cinéma qui fabri
qua tant de mensonges, comment pourrait-il se relever du terrible
soupçon qui a été porté sur lui?
lôut, c’est cei aspeci humain, respectueux de son objet, qui rend le film Mais cette problématique de la sortie du monde rural par l’ ascension
d ’O lm i aliachant, émouvant même (honnête en tous cas, serail-on sociale (et, en l’occurrence, par l’acquisition d’ un capital culturel de
lente de dire). type plus ou moins scolaire ou autodidacte), autour de laquelle tourne
le film des Taviani sans jamais s’ y affronter explicitement, constitue
Et c’est ce qui, rétrospectivement, rend Padre Padrone d’autant plus également la trame, sous-jacente mais déterminante, de L'Arbre aux
détestable : parce que, bien que n’éludant pas son objet premier - le sabots : le film en effet s’ouvre, comme Padre Padrone, sur le problème
monde paysan - il le traite avec un mépris qui n'est que l ’envers de la de la scolarisation de l ’enfant, qui est ici acceptée par les parents; et il
cruauié du père; parce qu’ il en propose une vision entièrement média se ferme sur le départ de la fam ille chassée par le propriétaire parce que
tisée par le conflit avec le père, c’est-à-dire psychologisée, c’est-à-dire le père avait (à peu près au m ilieu du film ) coupé en secret un arbre;
réduite à l’expérience très particulière d ’ un individu : or cet individu, or, s’ il l’avait coupé, c’était pour fabriquer des sabots à son fils, dans
s’ il peut donner sa propre version du monde dont il est issu, c’est jus la nuit, afin qu’ il puisse retourner à l’école dès le lendemain - et le pro
tement parce qu’ il en est sorti - et de cette trajectoire sociale qui est priétaire le sait bien, puisqu’ un plan très bref le montre en train de
la condition même de possibilité de ce discours sur le monde paysan, remarquer les sabots neufs de l ’enfant partant à l’école, son sac en ban
nulle part il n’est question, nulle part elle n’est interrogée - alors que doulière. Ainsi, c’est bien la tentative d’échapper à la condition pay
c’est cette expérience-là qui fait la spécificité de la position de Gavino sanne, de s’approprier, même partiellement, la culture des dominants,
Ledda, et non le fait qu’ il soit, comme des m illions d’autres, né dans qui constitue non seulement le ressort dramatique auquel le film doit
une fam ille de paysans. C ’est ainsi que les frères Taviani se font les son titre, mais aussi la condition même de rénonciation : en effet, si
porte-paroles d ’ un règlement de comptes qui, prenant pour cible la O lm i a pu faire retour, par la médiation du cinéma, sur son m ilieu
paysannerie, reproduit et alimente l'idéologie la plus élitiste, le racisme d ’origine, c’est bien parce qu’il en est sorti - de même que Gavino
de classe le plus caractérisé. Un indice très net de ce mépris de l’objet Ledda, à qui les Taviani ont emprunté (d’autant plus explicitement
étant le fait que, alors que la distance linguistique se trouve explicite qu’ il jouait son propre rôle) le sujet de Padre Padrone. Mais si cette dis
ment au coeur de l’expérience du personnage, les paysans dans le Hlm tance, commune aux deux film s, de l ’auteur vis-à-vis de son objet, est
parlent l’ italien entre eux, et que le seul moment où l ’on entend du dia d ’autant plus dans la logique des discours tenus sur la paysannerie que
lecte, c’est lorsque Ledda se trouve avec dès Italiens : la spécificité de c’est le cinéma qui en est le porteur (quoi de plus éloigné en effet du
la culture paysanne se trouvant ainsi niée pour n’être réintroduite que monde rural que la machinerie cinématographique, inscrite dans des
comme handicap face à la culture dominante. A u moins, O lm i a l’ hon institutions et une culture fondamentalement citadines) (5) il est néan
nêteté de faire parler à ses personnages leur propre dialecte ( 3 ) - solu moins remarquable qu’elle produise deux représentations apparem
tion parfaitement conséquente d ’ailleurs avec le choix de faire jouer ment contradictoires, bien que marquées du sceau de l’authenticité :
dans le film les paysans du lieu (4). l’une négative, l’ autre positive. Et il est plus remarquable encore que
46 CRITIQUES
ces deux représentations aient été successivement primées à Cannes,
instance de consécration mondialement reconnue : n’est-ce pas là
l’ indice que celte apparente contradiction reflète moins la réalité du
monde rural que la vérité du discours dominant sur la paysannerie -
à savoir une nostalgie teintée de culpabilité à l’égard d 'un monde en FIST
voie de disparition dont on ne sait trop s’ il faut le mépriser (Padre « ...Y .
Padrone) ou le vénérer <L Arbre aux Sabors) ? (N O R M A N J E W IS O N )
Nathalie Heinich.
\\ rrrtitr
Sylvester Stallone dans F.I.S.T., de Norman Jewison
nage. Et surtout, il lue l'homm e, mais pas la bête : dans un des derniers
plans du Hlm (qui devrait être le dernier si le film n'était pas si long
et insistant, mais la tâche est ardue !), celui où Stallonesort du tribunal,
alors qu'on a vu l’homme complètement démonté et atteint, devant
la foule qui l'ai tend et qui l'acclame, la bête se rebiffe, se redresse et
rugit encore une fois : elle se soumet à la loi du spectacle.
Car la seule instance dont dépend la bête n’est pas celle de la justice
humaine, mais celle, uff'el supérieure, d’une justice divine : la seule
à laquelle le spectacle du film se réfère. Et il faut alors voir tout le film
comme la longue mise en place, la préparation rituelle d’ un sacrifice
offert à Dieu et dont le justicier n’est que l'exécutant aveugle.
Thérèse Giraud Randy Dawson et Marilyn Jones dans Scenic Route, de Mark Rappaport
Pour fin ir en lâchant d’y voir plus clair : si certains pensent qu’ il est
vain d’opposer les mérites selon qu’ Un Tel est cinéaste ou bien ne réa
lise (laissons tomber cette notion de cinéaste du dimanche, comme
aussi celle de critiques-touristes) que par accident ou miracle un beau
film , il est sur en tout cas que l'on comprendra un peu mieux ce qu’est
le cinéma dans ses formes infinies si l’on parvient (spectateur ou cri
tique) à déceler d'abord les signes qui (souvent moins évidents que les
qualités découvertes dans le film de Chéreau et qui restent circonstan
cielles) manifestent une pensée du cinéma (comme c’est le cas pour
l’ambigu Passe-montagne de J.F. Stévenin). C’est seulement alors que
Simone Signoret et Robert Manuel, dans Judith Therpauve, de Patrice Chéreau l’on pourra se risquera dire si cette pensée du cinéma - en soi méritoire
- a assez de force et de subtilité pour broyer les derniers os idéologiques
el si le film a des qualités, ce ne sont pas comme des grâces supplé qui restent trop souvent en travers de notre gosier et, si l’on veut bien
mentaires qui fleurissent autour d'une structure : elles témoignent accepter que le terme d'art est la manière aujourd’ hui pompeuse el peu
assez peu d'une pensée du cinéma pur Chéreau; ce sont plutôt des qua regardante de désigner l'ensemble des opérations par lesquelles un
lités, pourraii-on dire, de cinéaste du dimanche, comme on le dit d’ un individu fait passer le moindre élément du matériau (assurément
peintre qui peint à l’abri et à la ressemblance des toiles des grands maî confus ou criblé de formules idéologiques) dont il dispose dans l’orga
tres reconnus. nisation d’une oeuvre, si cette pensée cinéma nous donne un film qui
soit, dans ses moindres parties, un film .
Il est difficile de dire qu’une pensée - fût-ce la plus instinctive - de
la dynamique ou de la durée des plans soit ici mise en pratique (elle Jean-Claude Bielle
porterait davantage sur l’espace autour des acteurs), mais Chéreau,
avec Conchon, im ila n i certains canevas narratifs anciens (destinée
individuelle d’exception et peinture du journalisme comme micro Notes
cosme social) de beaucoup de films qui, à eux tous, indistinctement,
constituent le fonds culturel « obligé » (comme les tableaux du Louvre 1. Le titre du film , sommairement m alin et maladroit, qui juxtapose un pré
le sont pour le peintre du dimanche et pour le passant qui s’arrête près nom dont la connotation de résistance remonte â la Bible et un nom œuvrant
de son chevalet), Chéreau donc soumet, dès la conception de son scé dans une francité artificielle autour.du lapsus fortement signifiant de « terre
nario, tout ce qu’ il va film er (situations, conflits, acteurs etc.) à l’ordre pauvre » (loin par exemple de l'h u m o u r modeste avec lequel Darius M ilhaud.
de la dramaturgie (discipline dans laquelle, on le sait, son expérience se définissant lui-mêm e comme « J u if Provençal », avait in titu le l’ une de ses
œuvres « Esther de Carpentras »), ainsi que l'affiche dont la tonalité austère-
est grande, du théâtre à l'opéra) qui lui semble devoir, naturellement,
ment romantique évoque une version à un seul personnage dcs« Hauts de Hur-
en résulter, et pouvoir, comme sur les planches, franchir sans dom levenl » {Gaum om pense sans doute ainsi préparer le public de ses film s
mage la technique cinématographique que, de plus en plus, ceux qui « folio » à la sortie des Sœurs Bmnié de Téchiné attendu depuis bientôl dix ans)
font des film s (voilà au moins une illusion qui n'affecte que peu la cri ont certainement contribué à effrayer le public, ou du moins à ne pas l'allécher.
tique) ne perçoivent que comme pure transparence (sans doute la
croyance trop grande en l'objectivité de la caméra).
2. On arrive lentemeni â la reconnaissance de la grandeur du cinéma français
Dans cette profusion de film s du dimanche où les criliques-tourisles des années 30. Elle se fait souvent par la découverte des film s des années 50
viennent faire des glissades, le film de Chéreau, qui, lu i, brille au qui en proposent une continuation édulcorée, souvent conform iste el dévita
moins d'un éclat tout personnel, aura passé inaperçu (à quelques lisée Sont encore paradoxales et non encore reconnues officiellem ent, bien que
exceptions près), au profit, par exemple, des décalcomanies écaillées de le public, lu i, ne les boude pas, les positions critiques affirmées cl défendues à
l’cgard de ces film s par Paul Vecchialiou par Jacques Lourcellcs - pour s’en lenir
Peler Handke où ceux-là d’ailleurs discernent moins la part d’authen-
à la France - le premier, cinéaste-critique, le second, l’un des rares critiques à
licilé qui vient du modèle im ité (W im Wenders), qu’ ils ne louent le avoir su parler concrètement des film s et à avoir défendu celte position dans son
disciple de s’y référer, lui à qui revient en outre le prestige d'être à l'o ri passionnant texte, «Journal de 1966», paru dans le numéro 24-25 de « Pré
gine littéraire de tout cela (Au commencement étail le Verbe, devenu : sence du Cinéma », texte très supérieur à ceux de M ichel Mourlet qui fui
la littérature, c’est quand même plus fort que le cinéma). De façon inat convaincant dans ses manifestes esthétiques (cf. « Sur un art ignoré » in C. du
tendue (c’est rare aussi dans le cinéma d’aujourd’ hui) les acteurs de C. n° 98) mais nettement moins dans ses critiques de film s, et aussi à ceux des
Chéreau (tous très bien choisis) ont vraiment un corps, tous existent, anciens mac-mahoniens dont les critiques aujourd’hui ont perdu la rigueur
qu’ ils soient vieux, chancelants, ivrognes, sportifs, jeunes ou encore morale q u ’ils exigeaient autrefois des films.
enfants. Sur l’écran, investi par une vision presque exclusivement
sociale et socialisante des rapports, apparaissent d’authentiques quali
tés (de celles qu’ont parfois certains cinéastes du dimanche) : les sen
timents, les gesles, les regards, dont l’expression, certes, est réglée
dans un registre qui prend son modèle au théâtre, expriment ici la
cruauté et le désir avec lesquels, par delà les différences d'âge, les êtres SONATE D'AUTOMNE
s’atlirent, s’opposent, parfois se rejoignent, et sont (ceux qui font des (IN G M A R BERGM AN)
film s comme ceux qui en parlent l’oublient trop) les signes élémentai
res de ce qu’ une caméra peut enregistrer de ce fameux impossible réel.
Dans une structure narrative de convention, Chéreau donne de ci de Dans cette sonate, au thème si bête, si conforme aux codes bergma-
là une expression précise à la perception, éperdument charnelle et niens, j'a i cru entendre quelquefois des contre-chanis inattendus.
menacée par le temps, qu'il a de la vie et agrémente le jeu composé de Ainsi la mère (Ingrid Bergman), la grande coupable et pourtant telle
ses acteurs par un espacement qui, dans son peu de souci à régler un ment dégagée, vivante, quand attirée par le piano de sa fille, elle atta
découpage, conserve toutefois quelque chose de la liberté des planches que avec panache le début du troisième mouvement du concerto de
qui autorisent l’ampleur des gestes et la m obilité signifiante des visa Schumann. On apprendra du reste l’ instant d’après qu’elle ne sait pas
ges. seulcmeni exécuter des indicatifs héroïques, mais qu'en véritable pro
SONATE D'AUTOMNE. 49
fessionnelle, elle connaît la musique et se défie des tendances à la tié Imaginons Sonate d'automne vu à la télévision, à une heure de
deur sentimentale que révèlent les interprétations de sa fille Eva (L iv grande écoute, en avant-goût de « Dossiers de l’écran » consacrés aux
Ullmann). rapports mère-fille (sujet crucial aujourd’ hui). T o u t ce qui en fait un
film désuet et ennuyeux se m ettrait alors à « fonctionner » : le recours
Charlotte est donc une artiste, à la vie tourmentée mais passion systématique au gros plan (par lequel Bergman en fin it avec la scèno-
nante. en rapport, dans ses cauchemars, avec les secrets pénibles mais graphie-scène de ménage, au profit d'une dramaturgie des réflexes du
exaltants du sexe. Elle est si séduisante qu’on se demande si toute cette visage), le flou de la photo de N ykvist, le simplisme de certains sym
sauce gluante sur les fameux rapports mère-fille qui a tant plu aux cri boles (la troisième femme : l’ infirme) sont déjà pensés par rapport à la
tiques, n'a pas été inventée par Eva pour culpabiliser sa mère. On dira télévision (on sait que la diffusion en feuilleton de Scènes de la vie
qu’il y a de quoi être en faute; Charlotte n’a-t-elle pas réduit son autre conjugale fu t en Suède un événement national). Pas parce que la télé
fille, Héléna, paralysée, à n’être qu’un tas geignant? [I me semble pour vision (et son public) serait plus débile que le cinéma (et son public)
tant que cet être effrayant joue le rôle d’ une sorte d’hyperbole de la mais parce qu’elle permet une sorte de participation (même imaginaire)
femme hystérique, celle qui a toujours fasciné Bergman, corps de mort de la part du téléspectateur : la possibilité pour lui de parler après le film
et de sexe et à ce litre recélant une vérité à l’écoute de laquelle doit se (surtout après un film qui ne met en scène que deux situations de lan
trouver l'artiste. Héléna a d'ailleurs commencé sa maladie après avoir gage : l’aphasie et le flot verbal). On imagine très bien le film suivi d’ un
été embrassée (comme mordue) par le musicien Leonardo, l’amant de débat (entre spécialistes de l’âme : sévères mais justes), débat entre
sa mère. coupé d’ interventions téléphoniques de téléspectateurs prenant parti
pour la mère ou pour la fille etc. 11 y aurait encombrement des canaux
Eva n’a pas eu cette horrible chance (chance quand même), elle qui légaux de la com m unication et « écoutisme » généralisé.
s’est trouvé gamine dans la pitoyable position d’attendre sa mère der
rière une porte avant de se faire consoler par « la main pâle » (sic) de Étrange itinéraire que celui de Bergman. Cinéaste suédois, peu
son papa. Il y a dans ces retours en arrière où l'on voit Eva affublée connu puis très connu, en Europe puis dans le monde entier, devenu,
d’ un gigantesque et ridicule nœud dans les cheveux une dérision des de cinéaste local, le symbole même de « l’art et essai », puis l’un des
codes cinématographiques propres aux « flash-back - souvenirs » qui rares à étendre son territoire jusqu’au niveau m ulti-national (c’est-à-
donne une touche d’ hum our cruelle à ce film qui semble si distingué. dire américain) et le seul à être devenu le cinéaste de masse de la bour
geoisie. A ujourd'hui il se décale, lui aussi, par rapport au medium
A u détriment du personnage joué par L iv Ullmann. bien sûr, car cinéma, et au moment où le moindre de ses film s est salué comme un
mariée à un pasteur fumeur de pipe, avec ses nattes de fillette attardée, événement d ’une portée incommensurable, ne produit plus rien inté
son pyjama sans grâce et son sourire niais, Eva ne connaîtra jamais les ressant le cinéma. Il n’est d’ailleurs pas le seul : le fossé entre le dis
choses de l'art et de la vie. Lui restent « les tendresses pour les autres » p o s itifs inéma et les objet s-films ne cesse de se creuser. C ’est pourquoi
(sic), l’altruisme de la bonne-sœur en somme. Tant pis pour elle. voir Sonate d'automne, dans l’ambiance de messe culturelle d ’ une salle
de cinéma, est proprement asphyxiant.
Bernard Boland Serge Daney
50 CRITIQUES
Quand je dis que cette fiction fictionne mal, jusque dans le montage
de chaque séquence, c’est qu’à la fois l'époque féodale y est incompré
Le P.C.F. et la mode rélro hensible, que les aller-reiours incessants du V IIIe au X IIe siècle (à
moins que ce ne soil le X Ie ou le X IIIe, je ne sais pas) ne font qu’accen
tuer lourdement l’effet d ’omniprésence de la troupe des mêmes
acteurs, et que dans ces changements d’époque qui se résument à des
changements de chemises, le projet idéologique porté par la fiction ne
cesse de se brouiller lui-même.
« La troupe des acteurs, telle quelle est mise en scène, est un autre clin d'oeil, de la part d'un cinéaste P.C.F.,à la corporation dévouée à sa mission culturelle ».
LES FILMS A LA TELEVISION
PRESENTATION
Il va s'agir ici de critiquer les film s de cinéma qui passent (et le plus souvent repassent) à la télévision.
Pourquoi entreprendre un tel travail, et comment?
PO U RQ UO I?
Le but que nous nous sommes fixé ne va pas de soi. La preuve? Comment se fait-il que, depuis le temps
que la télévision existe massivement, depuis le temps qu'elle passe et repasse des films de cinéma, aucune
revue de cinéma - et les Cahiers pas plus que les autres - n’ait consacré une rubrique régulière à l'analyse
de ces films? (Mettons à part le travail de Télérama : honnête mise en fiches des films, devant servir de
guide au futur spectateur et non pas vraiment de critique). La raison en est extrêmement simple : parce que
personne n'y a pensé, parce que personne n'y pense. Et si personne n’y pense, c’est pour plusieurs raisons :
1) « On ne pense pas (on n 'en a ni le temps, ni - encore moins - les moyens ou le désir) quand on regarde
la télévision. » Ou plutôt, sitôt ressenti, sitôt recouvert, à peine pensé, déjà oublié; telle est, on le sait, la logi
que de la télévision, tels sont les effets de son système.
(A cette objection-là, majeure, peu de choses à répondre, sinon qu'il faudra faire avec. Chercher à trans
former notre rapport à ces conditions de (télé) vision, peut-être, nous débattre avec, sans doute).
2) « Un film à la télévision, ce n ’est plus un film . » Cette idée, très répandue, est de celles qui ont la vie
dure. On ne comprend pas, çà et là, comment des film s, souvent doublés, miniaturisés par la petitesse de
l'écran, privés de leurs couleurs d’origine - comme c'est souvent encore le cas : c'est le mien - , comment
de tels résidus de film s peuvent être élevés à une dignité suffisante pour qu’ il en soit parlé. Disons-le une
bonne fois pour toutes, afin de dissiper le malentendu : l’ important c'est le Hlm et pas le fauteuil, c’est la
trace qu'il laisse en nous et pas sa brillance, c’est sa trame et son tracé, pas son format. Un film , au cinéma
et à la télévision, passe pareil. C’est-à-dire qu’ il passe ou ne passe pas, c'est selon q u 'il est bon ou mauvais.
Simplement, ce qui est essentiel dans l'économie d'un Hlm vu au cinéma, devient primordial quand ce film
passe à la télé, ce qui est secondaire devient plus visiblement secondaire. Un bon film reste un bon film ,
un mauvais film reste un mauvais film . (Et que ceux qu'une telle idée empêche de dorm ir aillent se plaindre
à leur corporation syndicale la plus proche, ou, pourquoi pas, fondent un club laissez-les vivre : laissez vivre
les artistes, laissez vivre les techniciens, laissez vivre les film s, laissez-nous vivre dans la liberté de création,
d’expression, de diffusion et de transfusion. Des gifles, oui.).
3) « Ce sont là de vieux films, c ’est du réchauffé, c’est du refroidi. » Entendez : ce n’est pas d ’actualité.
Qu'est-ce que l'actualité? Ce n’est pas - pour nous, en tout cas - le suivisme servile envers une industrie
en mal de spectateurs autant que de cinéastes. En mettant sur le même plan d’actualité les film s du passé
et ceux du présent, en choisissant de parler dans une même rubrique « Critiques » (divisée en deux) des films
qui sortent dans les salles et de ceux qui sortent des postes de télévision, nous entendons (nous) imposer
la seule actualité qui soit un tant soit peu sérieuse : la nôtre. En espérant bien que les film s du passé vien
dront éclairer ceux du présent, et réciproquement.
4) « Les films, à la fêlé, ne passent qu'uns fois. » V oilà enfin le vrai problème, la seule raison qui empêche
le critique de cinéma de (penser à) faire son travail devant le petit écran. Plus d’attaché(e)s de presse empæs-
sé(e)s. plas de projections privées, plus de documentation providentielle (heureux hasard!) pour aider la
plume ou la machine (à écrire) endormie. Et surtout : plus d ’avance sur le spectateur. Chacun voit, dans des
conditions (relativement) identiques, le même film .
Plus de possibilité de seconde vision pour le journaliste en mal d ’opinion personnelle. Le spectateur et
le critique partent à égalité. Précieuses conditions de travail : les seules où nous soyons assurés de ne pas
servir à (faire) vendre un produit (le produit est déjà vendu, le film est déjà passé, quand nous écrivons),
les seules où un dialogue est possible entre le spectateur et le critique, entre le critique et le lecteur.
Il ne s’agit plus de préparer quelqu’ un à aller comprendre ou aimer un film , mais bien d’échanger avec
lui quelques impressions, quelques idées.
LES FILM S A LA TELEVISION 53
D ’où qu’ il vienne : la télévision va partout, et c’est effectivement de partout que nous attendons, par le
biais du courrier, que des spectateurs et des lecteurs nous étonnent par la singularité de leur amour du
cinéma.
Signes de vie sans lesquels une revue se transforme, un jo u r ou l’autre, en une autre, qui appelle le garde-
à-vous : la revue militaire.
COMM ENT?
Nous ne rendrons compte ici que des film s de cinéma. (La rubrique télévision continuera à exister - et
à s’étendre, nous l’espérons-, pour signaler l’originalité, plus fréquente qu’on ne le pense généralement, de
la création proprement télévisuelle). Pour faciliter le choix du lecteur, nous nous efforcerons de publier la liste
la plus complète des film s du mois à venir. Cette liste sera assortie de commentaires très brefs, non pas direc-
tifs mais informatifs. C ’est-à-dire que nous tenterons (rétrospectivement, puisque nous aurons à compter
sur notre mémoire et nos jugements passés) de classer les film s en plusieurs catégories : ceux que nous ne
connaissons pas mais que nous avons envie de vo ir (pour des raisons historiques ou sentimentales), ceux
que nous avons beaucoup aimés, ceux dont nous ne savons plus quoi penser aujourd’hui, etc. Pour com
pléter ces notes indicatives, nous publierons (avant ou après que le film soit passé) d’anciennes critiques des
Cahiers sur ces mêmes films, ou des extraits de ces critiques. De cette intrusion des Cahiers d ’hier dans ceux
d’aujourd’hui, que résultera-t-il? De cette confrontation des film s du passé avec ceux du présent, que pou-
vons-nous attendre?
Devons-nous nous astreindre à n’écrire, sur ces film s de cinéma filtrés par la télévision, que des notes,
ët des notules, ou plutôt, tout comme pour les film s qui sortent dans les salles, des critiques (plus ou moins
longues selon l’importance du film , et à la mesure de notre enthousiasme)?
Faut-il rendre compte de la variété des postures et des places que le (télé) spectateur occupe devant le
petit écran?
Est-il vrai qu’un film vu à la télévision s’oublie plus vite - c’est ce que beaucoup pensent - qu’ un film
vu en salle? Et si cela est vrai, comment en témoigner dans une critique, si l’on sait que le lecteur la lira
un mois après avoir vu le film (au moins), deux mois après (au plus)?
Que valent nos réactions et notre rapport à ces film s que, très souvent, nous revoyons (que nous avons
donc vus, dans un premier temps, sur grand écran), face à l’approche des spectateurs plus jeunes, dont la
culture cinématographique se fonde et se forge presque exclusivement sur la télévision?
A utant de questions auxquelles nous n’avons pas de réponse.
A utant de raisons de faire de cette rubrique une rubrique ouverte. Louis Skorecki
Le M ort eux trousses, réévalué au
verso.
54 LES FILMS A LA TELEVISION
Rohmer-Chabrol, contrairement à ce qui va être l’attitude des futurs
critiques hitchcockiens, s’attardent longuement el avec sagacité sur
cette mise en scène, cette forme qui conditionne tout, puisque ce
seront ses effets sur le spectateur qui lui feront partager les afTecls des
personnages. Ce qui esl bien l’essence de la mise en scène hitchcoc-
kienne. Puis. Rohmer-Chabrol, dans un deuxième temps, découvrent,
LA MORT AUX TROUSSES « au delà », une idée morale el forgenl ainsi une première clé pour leur
{A. H IT C H C O C K -1958) auteur : Hitchcock est un cinéaste catholique, janséniste, traitant fina
lement de la Providence. A partir de là ils opèrent un tri dans l'œuvre :
it y a les film s privilégiés el les autres. Les film s « sérieux » : en 1956,
essentiellement UnderCapricorn, / Confess. The Wrong Mon dans les
Vingt ans après, ou presque, sa sortie, North by Northwest passe à la quels Hitchcock traite de ce qui le concerne vraiment. Et les autres, les
télévision. Précisons : pas North by Northwest, mais La M ort aux trous divertissements réalisés pour plaire au public, comme par exemple :
ses. Patrick Brion réservant, sur FR3, la case du ciné-club en V.O. à Stage Fright. D ial M fo r Murder, To Catch a T hiefet, en extrapolant,
des film s - grand public. North.
Passer de la V.O. à la V.F., c’est perdre beaucoup. D'abord, bien sur, Relevons une contradiction. Si d'une part, la forme crée le contenu
les voix, la musique de la langue. Mais aussi, plus gravement, le sens et si, d'autre part, il y a des Hitchcock majeurs et des Hitchcock
exact des dialogues américains. Les exemples fourm illent. N ’en citons mineurs, c'est donc qu’il y a des Hitchcock où la forme est supérieure.
qu'un, au hasard : dans la vente aux enchères, les cours de l'A ctor's Que les Hitchcock majeurs sont mieux mis en scène que les mineurs,
Studio que James Mason conseille ironiquement à Cary Grant, devien ce qui ne semble pas le cas, y compris pour Rohmer-Chabrol.
nent, platement, des cours de comédie. En plus de nombreux jeux de
mots (comme la très jolie « rime » sur « it's a proposai ». signalée par Toujours à l’époque, en opposition aux hitchcocko-hawksiens, Bar
Raymond Bellour (1)) le film perd surtout de sa force comique. thélémy Amengual, à propos de Vertigo qu’ il admire, note que :
« Davantage qu'à !'élucidation critique traditionnelle, leurs réflexions res
La M ort aux trousses sur le petit écran, c’est aussi, côté image : soit sortissent aux déchiffrages de la Kabbale ou de la Gnose (9) ». Pour Luc
un film en noir et blanc, soit une copie aux couleurs un peu fanées M oullet, dans son article accompagnant la sortie de North, il n’est pas
(mais après tout, pas plus que dans une salle la même copie, et déjà, non plus question de clé : « Hitchcock, catholique et pratiquant, dit Roh
en 1959, Luc M oullet signalait « les défaillances de la Technicolor tirée mer page 116 de son petit livre, ligne 14. Je dis non. Le catholicisme, c'est
Métro » (2)), et des cadrages approximatifs (mais rien à voir avec le une autre paire de manches; c'est Rossellini. (...) Le catholicisme hitch-
massacre des film s en scope). Côté son, comme toujours à la télé, sans cockien est donc essentiellement symbolique, c'est-à-dire inconsistant »
doute parce que l’ image moins grande que dans une salle nous investit (!()). El à propos de North, s’opposant à nos forgeurs de clés, à nos ser
moins, un son prépondérant; et, du coup, une musique comme « à ruriers. il déclare adopter le regard de la concierge et du bûcheron : « il
découvert ». On ne s’en plaindra pas : la partition de Bernard Herr- faut nous en tenir aux sensations physiques que nous éprouvons à ta vue
mann est sûrement une des plus belles musiques hollywoodiennes. Au des films de Hitchcock, sensations physiques très étrangères à la métaphy
total : quelques déperditions plus ou moins fâcheuses, rien d ’essentiel ; sique au rabais déterminée par le scénario. (11). El que : « il est de bon
surtout si l’on admet avec Godard qu’à la télé, pour un bon film , « il ton de considérer North comme une œuvre mineure. Mais c'est là une
suffit qu'une partie subsiste et cette partie suffit à faire tenir tout le grosse erreur si l ’on se fonde sur la légèreté du sujet et non sur les trous
film » (3). divers du film (scènes d'explication banales, défaillances de la Technicolor
tirée Métro, reprise d'œuvres passées avec moins de panache) (H).
En 1959. Hitchcock déclare : « N o rth by Northwest est un film
d'aventures traite avec une certaine légèreté d ’esprit. Vertigo est beau Donc : North esl un film mineur parce que sa forme est mineure. M oul
coup plus important pour moi que North qui est un divertissement très let ne tombe pas dans la contradiction que nous relevions plus haut
amusant »(4). En 1963, à Bogdanovich qui lui demande si North est son chez Rohmer-Chabrol.
dernier mot sur le film-poursuite, Hitchcock répond : « It is. It's the
American Thirty-Nine Stops. ï d thottghi abnta fur a long lime. It's a jà n - Pour Jean Douchet en 1967, North n’est certainement pas un film
tasy. The wholeftlm is epitomized in the title - there is no such thing as mineur. Il lui consacre une trentaine de pages, dans « L ’ Herne-
north by northwest on the compuss(5). » Notons au passage que de nom Cinéma » N° 1, après Vertigo et avant Psycho et The Birds. Avec Dou
breux critiques relevèrent que si cette direction n’existait pas sur la chet, l’œuvre de Hitchcock devient une œuvre ésotérique« extraordi
boussole, elle existait dans un vers célèbre d'Ham let : « Je ne suis fou nairement complexe, dans laquelle tout renvoie à tout. Aucune chose n 'est
que par vent nord-nord-ouest. ». ce q u ’elle paraît être puisque (tout) est porteur de signes susceptibles de
multiples interprétations » (12). L'œuvre est révélée, il ne reste qu’à la
Pour la critique hitchcocko-hawksienne. les « inventeurs » d 'H ilc h - déchiffrer. La mise en scène elle-même devient finalement secon
cock. à la sortie, North n'est pas davantage un film majeur. Dans le daire : « Hitchcock considère son film comme déjà achevé avant même le
conseil des dix, Rohmer ne le considère pas comme « chef-d'œ uvre » premier tour de manivelle. Comme dans ta théorie platonicienne, fldée
mais seulement comme « à voir absolument »; seul Douchet en tient précède ici l'existence et la fonde » ( 13). Il ne s’agit pas de trier, ni de chi
pour le chef-d’œuvre. Ce qui n’empêchera pas le même Douchet de poter. D’autant que North est un des derniers film s d ’Hitchcock el que,
ne pas le citer dans sa liste des dix meilleurs film s de l’année. Pas plus comme le note Elisabeth Roudinesco à propos de Douchet : « Si
que Rohmer, Chabrol, TrufTaut ou Rivette; en fait, seul Agel le men l'artiste est l ’égal de Dieu, ses créations successives tendent au Beau
tionne dans sa liste. Il n’apparaît pas dans les vingt et un meilleurs Absolu. Chaque œuvre est d'autant plus « achevée » que le créateur voit
film s de 1959, Liste Cahiers. Il apparaît seulement, mais en douzième ses cheveux blanchir. Les films de ta vieillesse sont dépurés transparences,
position, dans la Liste lecteurs. Il est juste de rappeler que pour les ta chair devenue idée, et la page blanche du vide absolu symbolise l'acces
hilchcockiens Vertigo, sorti la même année, le supplante. Mais pour sion à Tidéal suprême du Beau» (14). Pour Douchet, North, œuvre
eux comme pour son auteur, North est un film mineur. majeure, nous conte une histoire dans laquelle Roger Thornhill c'est-
à-dire le spectateur, part à la conquête d’ Eve Kendall c'est-à-dire
Quand on relit le remarquable livre de Rohmer-Chabrol, que l’on l'Oeuvre. En cours de route il est aidé par le Professeur ou la Volonté
devrait bien rééditer (publié en 1956, il s’arrête à The WrongMan). rien Créatrice et contrecarré par Vandamm et sa clique ou la Tendance
d'étonnant. Pour les auteurs, « Hitchcock est l ’un des plus grands inven Artiste.
teurs de fo r mes de toute l'histoire du cinéma. Seuls, peut-être, Murnau
et Eisenstein peuvent sur ce chapitre soutenir la comparaison avec lui » (6)} Avec Raymond Bellour, qui consacre 115 pages à North dans<r Com
« L 'art d'Hitchcock est de nous faire participer, par ta fascination munications » n° 23, sous le titre : « Le blocage symbolique », les clés
qu’exerce sur chacun de nous toute figure épurée, quasi géométrique, au changent. L'approche devient structuraliste et psychanalytique. Au-
vertige qu'éprouvent les personnages, et au delà du vertige, nous découvrir delà, derrière le film , il y a l’autre film , le même : essentiellement un
ta profondeur d'une idée morale » (7). Enfin : « La forme, ici, n'enjolive itinéraire œdipien. Ici la question : majeur ou mineur, ne se pose pas.
pas te contenu, elle le crée » (H). En dehors de tout jugement de valeur, le film ne relève que de
LES FILM S A LA TELEVISION
Eva-Maria Saint. James Mason et Martin Landau dans La M ort aux t/vusses.
l’ inconscient, il faut le décoder, en ne laissant, en bonne ménagère, majeurs (par exemple l’horrible cauchemar de Vertigo). Et, plus encore
aucune poussière de sens derrière soi, comme le dit Marc Vernet, de que M oullet, il nous semble que Nonh regorge de morceaux de choix.
la psychanalyse sauce américaine, dans un autre article de ce même L ’avion, bien sûr, où, comme le remarque T ru ffa u t, « le cinéma devient
numéro de « Communications ». Comme chez Douchet, retrait de la vraiment un an abstrait )>(I5). L ’avion qualifié d'ailleurs par M oullet de
mise en scène (même si le démontage frénétiquement méticuleux du scène « la meilleure des meilleures » (16). Mais à côté de cet ébouriffant
segment 14, c'est-à-dire de la séquence de l’avion, en ses 133 plans morceau de bravoure, il y a de nombreuses scènes ou la mise en scène,
avec photogramme du début (a) et de la fin (b) de chaque plan, ainsi pourêtre moins visible, n’est pas moins extraordinaire. Parexemple la
que de nombreux tableaux et croquis peuvent d'abord faire penser le séquence du wagon-restaurant, où Eva-Marie Saint, dont nous nie
contraire). Pour Bellour, Nonh nous conte un itinéraire œdipien au savons rien, attire Cary Grant à sa table et lui fait comprendre qu’elle
cours duquel Roger T h o rn h ill, c’est-à-dire le Fils, part à la conquête de est prête à partager également son wagon-lit. Nous comprendrons plus
Eve Kendall c'est-à-dire la femme. En cours de route il est, à la fois, loin que tout cela était trop beau pour être vrai, qu’ il s’agissait d’ un
aidé et contrecarré par sa mère ou la Mère Abusive, le Professeur ou piège. Plus loin encore dans le film nous découvrirons que l’attirance
le Père. Vundamm et sa clique ou le Père Idéalise et Townsend ou, d ’ Eva-Marie Saint pour Cary Grant n’était pas entièrement feinte.
encore, le Père.
La mise en scène : ultra classique. Le découpage : une suite de
A revoir Nonh à la télé on se rend compte d’abord que le film répond champs-contrechamps; au début, les deux acteurs dans chaque plan,
bien aux intentions de son auteur : il s'agit d ’un divertissement très chacun d ’eux alternativement de trois-quarts dos. Puis, la caméra isole
amusant, d'un jouet magnifique. Et toujours en accord avec son chaque acteur, d’abord dans des plans moyens, puis dans des gros
auteur, Nonh nous paraît relativement m ineur dans son œuvre : un plans, au fur et à mesure que l'in tim ité grandit. Les axes restent sen
jouet magnifique mais rien qu'un jouet. Mais pas pour les raisons que siblement et alternativement les mêmes, à l'exception d ’un change
prêtaient Moullet à-Rohmer-Chabrol, ni pour les siennes. Légèreté du ment très net, suivi d ’un inseri, lors de l’épisode de la pochette d’allu
sujet? Absence de sérieux? L ’histoire du cinéma abonde en œuvres mettes de Cary Grant. Rupture destinée à faire mémorisera Eva-Marie
légères et même comiques qui ne nous semblent en rien « inférieu Saint et au spectateur la pochette qui joue un rôle dans une des der
res ». El, à l'inverse, des films comme / Confcss ou The Wrong Mon nières scènes du film . Les plans sont fixes; seulement de très légers
sont à nos yeux plus mineurs que Nonh. Alors, en accord avec M oul recadrages autour du petit ballet des mains, lors de l'allumage de la
let, faiblesses de la forme, trous? Pas davantage. Il y a sûrement des cigarette d’ Eva-Marie Saint. A la fin de la scène, avec l’arrêt du train
trous dans ce film , mais moins graves et moins nombreux qu'il ne le et l'arrivée des policiers, retour aux cadres du début, pour signifier la
d it, en tout cas pas plus et pas plus graves que dans des Hitchcock rupture du charme.
56 LES FILM S A LA TELEVISION
S Le montage : une suite extraordinairement fluide de classiques rac la foulée de Rope. Hitchcock y abandonne par instani le cinéma de
cords sur les regards, non moins classiquement accompagnés de che- montage, nous donnant l’ inoubliable confession d'Ingrid Bergman en
i vauchements du son (chaque changement de plan, ou presque, coïnv une seule bobine. Et ce n'est sans doute pas non plus un hasard s’il
| eide avec la fin d'une phrase prononçée dans le plan précédent et y a tant de clés, un trousseau, pour North. Avant North, le film le plus
J gomme ainsi la rupture visuelle). proché, où les personnages soni le plus inconsistants, est sans doute
To Catch a Thief. Après, il faudra attendre Family Plot. Mais pour l’ un,
1 La caméra cadre, derrière les acteurs, les fenêtres du train qui roule la mise en scène n'esl pas encore, et, pour l’autre, hélas, n’est plus au
: dans la campagne. Tout baigne dans la lumière dorée d'un coucher de niveau de celle de North. North est bien le Hlm de Hitchcock ou le
soleil par temps clair. La transparence qui déroule le paysage, s'il s'agit décalage entre les sortilèges de la mise en scène et l’ inexistence des per
i d’ une transparence, comme il est vraisemblable, est sans défaut. Le sonnages est le plus grand, créant une béance dans laquelle doivent
; glissement incessant et doux des plans et du train, le ton chuchoté des s’adapter les clés de ceux qui ne sont pas assez concierge et bûcheron
: dialogues, la musique (dans laquelle le beau thème d’amour de Ber- pour en rester à leurs sensations.
I nard Herrmann qui semble sortirde la fin alanguie du ballet du VOnus-
• berg dans la version de Paris de Tannhauser, succède avec l'in tim ité Signalons, pour finir, un mauvais tour joué par une mort, celle de
! croissante â une musique d'ambiance feutrée très train de luxe, comme Brel, à notre M o n aux trousses. Le soir de la diffusion, une chaîne voi
it se doit), tout enfin participe à la création d 'un extraordinaire climat sine, en décidant d’ un hommage impromptu au chanteur, a fait, s’ il
érotique, qui est la situation même. « Plus qu'un travelling de trente kito- faut croire les sondages, que les concierges et les bûcherons n’étaient
| . mènes, cela mérite le nom de virtuosité» (17). pas tous au rendez-vous. Dommage !
■ Non, ce n'est pas du côté des faiblesses de la mise en scène de North Marc Sator
, que nous rechercherons la raison de la légère gène qui se mêle à noire
| plaisir ei fait que finalement le Hlm reste un simple divertissement,
1. Le blocage symbolique, in Com m unications N° 23. p. 259.
i mais au contraire du côté de sa force. 2. Cahiers du Cinéma N* 102, p. 53.
3. Jean-Luc Godard pat Jean-Luc Godard (Belfond), p. 314.
| L'arl d'Hitchcock a toujours consisté à nous amener, â travers une 4. Cahiers du Cinéma N“ 102, p. 17.
identification massive à ses personnages, à vivre des sensations qui 5. The Cinéma of A lfie d Hitchcock (The Muséum o f modem art film librarv),
; sont censées être les leurs. Et, d’ une part, la recherche de l'identifica p. 41.
tion d'un public le plus large possible (souci commercial bien connu) 6. Hitchcock (Éditions Universitaires), p. 159.
implique fatalement une certaine faiblesse des personnages; d’autre 7.. Opus cité, p. 115.
8. Opus cité, p. 159.
part, la recherche du suspense el de l'effet pour l’effet ne font qu'accen
9. Premier Plan N° 7. p. 1.
tuer celle faiblesse dont Hitchcock est très conscient : « Pourtant, je
10. Cahiers du Cinéma N° 102 p. 54.
sens qu ’il me reste beaucoup à faire et actuellement j ’essaie de corriger la 11. Cahiers du Cinéma N° 102, p. 55.
'■ grande faiblesse de mon travail, qui réside dans la minceur des personna 12. L 'H em c Cinéma N° 1, p. 12.
ges à rintêricur.du suspense. Cela m'est très difficile, car lorsque je tra- 13. idem.
: vaille avei des personnages forts, ils m'amènent dans la direction où ils 14. L'inconscient et ses lettres. La psychanalyse selon Alfred Hitchcock.
i veulent aller, eux. Alors je suis comme la vieille femme que les jeunes boy- (Bibliothèque repères), p. 183.
scouts veulent forcera traverser la tue :je ne veux pas obéir. Et cela a tou 15. Le Cinéma selon Hitchcock (Seghers). p. 286.
jours été la source d'un conflit intérieur parce que i'exige certains effets » 16. Cahier* du Cinéma N° 102, p. 54.
17. Hitchcock, par Rohmer-Chabrol (Éditions universitaires), p. 108, à propos
( 18).
d’ une scène un peu analogue dans Stage Fright.
18. Le Cinéma selon Hitchcock, p. 338.
Mais dans le cas du film-poursuite-divertissement, dont North est le 19. idem, p. 286.
; « dernier mot », cette faiblesse devient une véritable incohérence orga
nique. Plus Hitchcock accumule gratuitement (comme Truffaut l’en
félicite) (19) les scènes « à faire », plus il attente, non pas tant à la pure
vraisemblance des événements (ce qu’on lui a souvent reproché à tort,
1 car la féerie, le mélodrame, l'opéra etc. en font autant pour notre bon
heur), mais à celle des personnages (ce que féérie, mélodrame et opéra,
; dans la mesure où ils sont réussis, se gardent bien de faire). KIM
(VICTOR S A V IL L E -19 51 )
j Dans North, celle incohérence, cette inconsistance, sont inconlesta-
| bles. M oullet, sans s'y arrêter, l'avait bien vu lorsqu’il parlait de paro-
j die de parodie de consistance. Cette incohérence qui est un peu la loi
I du genre, Hitchcock ne se résout d'ailleurs pas à l’accepter totalement, Curieux et passionnant film . Tourné au m ilieu des années 50, par
; el bon nombre des fameux trous de la mise en scène (comme la fai- un réalisateur dont je ne sais rien, il est passé à la sauvette sur A2 le
! blarde scène dans le bois de bouleaux à laquelle, justement, Hitchcock dernier jo u r du mois d’octobre, en remplacement d’ un Dossiers de
! tient beaucoup et qu’ il a défendue contre les ciseaux de la Métro) pro- l'écran annulé pour raisons de grève. Il s’agit d’ une adaptation du
: vient d'efforts infructueux pour donner vie à ses personnages. roman de Kipling, tournée aux Indes (ou quelque part où ça y ressem
ble), et qui raconte l’ histoire d'un jeune garçon (Dean Stockwell,
Mais dans Notth. également, le pouvoir de persuasion de la mise en l'étonnant petit acteur de L'Enfant aux cheveux verts - un film de
scène, lorsqu'elle fonctionne, nous pousse à nous identifier à des per- Losey, du temps où Losey étonnait), un jeune garçon qui fait ni plus
! sonnages impossibles, qui ne peuvent pas exister. Devant cette impos ni moins que l’apprentissage de la vie. Sujet ambitieux. Mais qui risque
sibilité et selon notre nature, deux possibilités. La première, bien sur, bien de n’apparaître pas clairement aux yeux du (télé)spectaleur dis
c’est d'en rire, mais d ’un rire entendu, teinté d’ une sorte de ressenti trait.
ment dans la mesure où la sensation ressentie a su nous investir for
tement et où, finalement, devant le vide des personnages, nous L'initiation : il s’agit bien ici d'un film initiatique. Le voyage, les ren
n’avons su qu'en faire. La seconde c'est de rechercher une cohérence contres, sont autant d'étapes sur le chemin de la connaissance. Ce qui
ailleurs. C’est de nier l'incohérence des personnages et d’en inventer fait la force de ce film , c'est qu’ il est tout aussi initiatique pour le spec
d'autres derrière ceux-ci. D'autres qui justifieront la force de la sensa tateur. Le premier plan du film montre un narrateur indien (qu’on ne
tion ressentie grâce à la mise en scène. D'autres dont les personnages reverra ni n’entendra plus par la suite), racontant l’Inde, assis à son
vides seront les symboles. bureau peut-être, et qui, d'un geste de la main, en écartant les rideaux
de la fenêtre, nous montre ce qui se passe derrière : l’ Inde, ni plus ni
Le clivage est là. II y a les Hitchcock où les personnages existent, et moins, qui défile devant nos yeux. C’est le premier aspect du film : un
; les autres. Ce n’est pas un hasard si ce qui est sans doute le plus beau documentaire très modeste, mais très juste aussi, sur l’ Inde. Sans com
I film d’ Hitchcock, UnderCapricorn, traite de son plus beau, de son plus plaisance et sans exotisme. Quand K im porte des messages d’amour
I vrai personnage : Harrietta. Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans de Barbe rousse (Errol Flynn) à ses petites amies, quand il apprend à
i
LES FILMS A LA TELEVISION 57
Louis Skorecki
Une question de vie nu de mon (A M a t ter of Life and Death). de Michael Powell
el Êmeric Pressburger.
H uit heures, de sursis (Odd M an Oui), de Carol Reed.
L'Esprit s'amuse (Blithe Spirit), de David Lean.
61
PETIT JOURNAL
Antenne 2
changé quoi que ce soit à l'e ffet de Vendredi 15 : Le Crime de M on
m o rt global p roduit par ce m oderne sieur Lange (Renoir)
ciném a-m usée. C'est structurale-
ment, à m on avis, que dans un tel Conflit I.N.A./Antenne 2 Lundi 18: L’Ours et la poupée
dispositif filmique, le m o rt ne peut (Deville)
que gagner sur le vif. La preuve en
est donnée avec la séquence du à propos de l'émission M ercredi 2 0 : Tant qu'on a la
marché, où l'insertion brusque de santé (2° version) (Etaix)
figures locales « authentiques » dans
Les Tricheurs (Carné)
une scène avec acteurs, loin d in su -
fler de la vie à ceux-ci, fa it paraître
« Patrons/Télévision »
ceux-là encore plus fantom atiques, Vendredi 22 : E gla n tin e (Brialy)
plus fossiles, plus zombiesques.
J’ai d it to u t à l'heure que cette
La sé rie de tr o is é m is s io n s est nu; c’e st-à -d ire qu'il ne se recou L'Homme du Sud (Renoir)
« Patrons-Télévision », produTte par vre d'aucun scrupule, d'aucune idéo
vraie vie opposée à la politique
I I.N.A. (dans le cadre de son Cahier logie, d'aucun cache. Quand on sait D im a n c h e 2 4 : La G ran d e
com m e M al n'était, dans Le Chien de
M unich (com m e dans to u t le courant d e s c h a rg e s ) p o u r le c o m p te le rôle de la télévision pour ce qui est Vadrouille (Oury)
d'Antenne 2 devait être diffusée les de fo rg e r le ronron m oyen des m ajo
do n t il relève), qu'une fo rm e déniée
15, 2 2 et 2 9 novem bre prochain. rités, un tel discours pourrait appa Lundi 2 5 : Le Chat Botté
de la politique. Ainsi, le fa it qu'on soit
raître com m e une atteinte intoléra
un s a la u d se m e s u re moins^
ble à la m oralité bien-pensante qui M ercredi 2 7 : Pinocchio (Comen-
aujourd'hui, aux idées et aux p ra ti
Saisie d ’un certain nom bre de enrobe le discours politique télévi cini)
ques concrètes, qu'au fait d'être ou
protestations de la part de patrons suel aujourd'hui.
non capable d'apprécier le goût
d ’une sauce ou le fu m e t d'un bon cru ayant participé à ces émissions, la B arocco (Techiné)
direction d'Antenne 2 en a jugé Par ailleurs, le co n flit naissant
(curieusement la baise, autre pierre
autrem ent en annulant ou repous entre Antenne 2 et l'I.N.A. est im p o r Vendredi 2 9 : Ademàï L’aviateur
de touche de ce système de valeurs,
sant la program m ation de ces émis tant : U N A , d o n t on connaît les d if Le Carrosse d’Or (Renoir)
est ici absente : à cause de la p ro
sions. ficultés économ iques structurelles,
duction télè?>. Il est donc normal
(et donc, la vulnérabilité) risque de FR3 |
qu'un Préfet confonde la sauce de
Nous rappelons à nos lecteurs que devenir le bouc émissaire en payant
la m pro ie avec un bouillon, pire Dimanche 3 : Au Nom du Père
du matériel de ces émissions était les pots cassés pour les autres : les
encore, prenne la lam proie pour un (Bellochio)
sorti un film, La Voix de son maître, autres, c'e st-à -dire les tro is chaînes
poisson (c'est un ver) et que le hobe
film exploité en salles à Paris au prin de télévision qui prennent de m oins Lundi 4 : La Fabuleuse Aventure
reau de village, aggravant l'ignom i
tem ps dernier, et do n t les Cahiers en moins de risques dans leur p ro de Marco Polo (De La Patellière)
nie de la non-reconnaissance de la
o n t déjà parlé (n° 28 7 , avril 78). gram m ation.
cuisinière com m e sa fille naturelle, se M ard i 5 : Le Convoi Maudit
contente au banquet de deux oeufs (Rowland)
Censure? Certainem ent : le dis Par exemple, puisqu'on a envie de
à la coque. Il appartiendra donc au
cours froid, logique, cynique, pres s'en prendre à Antenne 2, qu'attend
peuple, sous la figure d'un brave M ercredi 6 : Rapt à l'Italienne
que rationnel des patrons n'a posé A 2 pour program m er les séries de
vagabond invité à la cuisine par (Risi)
aucun problèm e quand le film était G odard-M iéville, prêtes depuis six
M arie-France Pisier, de manifester
son acuité (politique) en faisant m ontré au Quartier Latin où il ne ris m ois déjà, intitulées France Tour Jeudi 7 : L'Épouventail (Schatz-
quait de rencontrer que le ricane D étour Deux Enfants, produites aussi
affectueusem ent rem arquer à celle- berg)
m e n t d e s p e tits m a lin s , to u t par l'I.N A . pour le co m p te de cette
ci qu'elle a, incongrûm ent, mélangé
contents de participer à cette en tre chaîne?
les vins pour la confection de sa Dimanche 1 0 : La Dame sans
sauce. prise de mise à nu du discours p a tro Camélias (Antonioni)
Le film , s’il se lim itait à ce refus de nal. Est-ce que le nouveau patron
lâcher la lam proie pour l'om bre de la d 'A n te n n e 2 fa it payer le peu
Lundi 11 : Ça n’arrive qu'aux
politique, aurait seulement un air A la télévision, ce n’est plus dans le d'audace qu'avait au m oins Marcel
Autres (N. Trintignant)
déjà un peu vieillot. Mais Mitrani, par silence analytique que se réfugiera le Jullian lorsque celui-ci le précédait à
une com plexité inattendue, introduit, spectateur, mais dans un silence la direction de cette chaîne?
M ardi 12 : Le Grand Passage (K.
si j'ose dire, le ver dans le fruit, en la d 'e ffro i : le discours patronal n'est
Vidor)
figure d'un menuisier allemand réfu pas mis à nu dans ces émissions, il S.T.
gié au village après avoir fui le Je u d i 14: N in a (film in é d it)
nazisme. A u cours d'une confession (Minelli)
grotesque, il révèle qu'un jour, en
Allemagne, on lui dem anda de cons Les films à la télévision Dimanche 17 : Les A dolescent^
truire une niche qu'il croyait pour un (Lattuada)
chien, et qui devait se révéler desti
née au socialiste Schumacher, alors (Décembre) Lundi 1 8 : Le Chat et la Souris
détenu à Dachau. Il term ine son récit (Lelouch)
aux villageois, m i-horrifiês m i-scep
tiques, par cet avertissem ent : « Pre M ardi 1 9 : Ignace (Colombier)
nez garde, cessez de vous m oquer
de ces voix du dehors, continuez à M ercredi 2 0 : Funny Girl (Wyller)
Charlie Chaplin a eu la chance, ou Revue de Chariot, City Lights, Les
céder à Hitler, bie n tôt il fera de vous
la malchance, de m ourir le jo u r de Temps Modernes et le Dictateur
des chiens, des chiens, des chiens ! ». Jeudi 2 1 : Les Aventures du
Noël, l'an dernier.
Étonnant renversement par lequel
le film se retourne contre lui-m ôm e
et sape ses propres fondem ents. Chaque année, on va co m m é m o
UE1Dimanche 3 : Austerlitz de Gance
Capitaine W y a tt (Walsh)
N° 2 8 4 (Janvier 78) :
EDITO R IAL QUESTION DE FIGURATIONS : Décadrages, par P. Bonitzer. C INEM A FRANÇAIS 5 : Entretien avec Jean EUSTACHE. Sur Une Sale
histoire, par B. Boland. TROISIEME FESTIVAL DE PARIS : 1. Sept film s hongrois, par J.-P. Fargier. 2. Entretien avec Marta Meszaros. 3. Sur trois
film s de M. Meszaros. 4. Camouflages. 5. La Roue du destin. CRITIQUES : L ’A rgent de la vieille, Table ronde sur Le Fond de l'a ir est rouge. Notes
sur d'autres films. L'AVANCE SUR RECETTES EN QUESTION : Positions, par J. Doniol-Valcroze. RENCONTRE AVEC DES TECHNICIENS (2) :
Entretien avec Renato Berta {directeur de la photo). PETIT JOURNAL.
N° 2 8 5 (Février 78) :
EDITORIAL. LES M ACHINES DU C IN E M A : Passage to Grenoble, par S. Toubiana. Entretien avec Jean-Pierre BE AUVIALA (1). L'espace d ’un ins
tant. par J.-J. Henry. UNE EXPERIENCE DE VIDEO : Le Lion, sa cage et ses ailes (Armand G atti); L'arche d'alliages, par J.-P. Fargier; entretien
avec A. Gatti. CRITIQUES : Le Théâtre des Matières, M ade m Germ any and USA, Une Sale histoire, La Ballade de Bruno. Notes sur d'autres film s :
L 'Œ u f du serpent, Orca, N e w York N e w York. CIN EM A AFRICAIN : Entretien avec Sidney Sokhona ; N otre cinéma, par S. Sokhona. TROIS M O RTS
(Chaplin, Hawks, Tourneur), par J.-C. Biette. T V /M O N O R Y PETIT JO U R N A L
N° 2 8 6 (Mars 78) :
LES M ACHINES DU C INEM A 2 : La sortie des Usines Aaron, entretien avec Jean-Pierre BEAUVIALA. OZU Yasujiro : L'art d'Ozu, par Sato Tadao ;
extraies du livre de Paul Schrader ; Au delà de la culture Zen, par P. Schrader. LA FICTION HISTORIQUE : Deux fictions de la haine : Les Bourreaux
m eurent aussi, par J.-L. Comolli et F. Géré. L'ACTEUR : Plaidoyer Pro Niro, par F. Regnault. CRITIQUES : Julia, Faux mouvement, Je suis un autar
cique, Angela Davis l'enchaînement, L 'A m ou r violé, Préparez vos mouchoirs. Diabolo menthe, L'Hérétique, A bientôt la Chine, Emmanuelle 2. T E M O I
GNAGE SUR LA SITUATIO N D'UN CINEASTE EN RDA : rencontre avec Richard Cohn-Vossen. PETIT JO U R N A L : Rencontre avec W o o d y Allen,
etc...
N° 2 8 7 (Avril 78) :
LES M AC HIN ES DU CINEM A 3 : Les deux bouts de la chaîne, entretien avec Jean-Pierre BEAUVIALA. RAUL RUIZ : entretien. Les relations d'objets
au cinéma, par R. Ruiz. PROPAGANDE ET CONTRE-PROPAGANDE : les Journées de Bondy, par S. Daney et S. Le Peron. UNE EXPERIENCE
DE VIDEO : Le Lion, sa cage e t ses ailes, entretien avec Hélène Chatelain. CRITIQUES : Dora et ta lanterne magique. La Voix de son maître. Rencontres
du troisième type. Secrète enfance, Giliap, Iphigénie. PETIT JO URNAL : Philippe Garrel. Problèmes du court m étrage, Tras-os-montes, etc...
N° 2 8 8 (Mai 78) :
LA FICTION HISTORIQUE : deux fictions de la haine (2) : To Be or not lo Be, par J .-L Com olli et F. Géré LES M ACHINES DU CIN EM A 4: le
maillon central, entretien avec Jean-Pierre BEAUVIALA. Revoir Freaks, par J.-C. Biette et F. Ziolkowki. LE CINEM A DANS LA TELEVISION : e ntre
tien avec Patrick BRION. CRITIQUES : La Chambre verte,- Le Tournant de la vie, A la recherche de M . Goodbar, Raison d'être. Pitié pour le p ro f >, Les
Liens de sang. La Fièvre du samedi soir. CINEM A ITALIEN : sur quelques film s de COMENCIN1, par P. Kané. TOURNAGE : Les Rendez-vous d'Anna,
entretien avec Chantai AKERM AN. PETIT JO U R N A L : Rencontre avec Nicholas Ray, Note sur le cinéma de John Cassavetes, etc...
N° 2 8 9 (Juin 78) :
S.M. E IS E N S TE IN /W . REICH : Correspondance^). JO H AN V A N DER KEUKEN : sans images préconçues, par J.-P. Fargier ; entretien avec l'auteur.
RENCONTRE AVEC DES TECHNICIENS 3 : entretien avec Bruno N uytten. JOHN CASSAVETES : Le Bal des vauriens, par Y. Lardeau. Entretien
avec l’auteur. CIN EM A ET PORNOGRAPHIE : Le sexe froid, par Y. Lardeau. PETIT JOURNAL : Cinéma et Histoire à Valence, etc...
N° 2 9 0 -9 1 (Juillet-Août 1 9 7 8 ):
MICHELANGELO ANTO N IO N I : L'Horizon des événements. CANNES 7 8 : 1) Les Ruelles du conditionnel, par J.-P. Fargier. 2) 2 3 film s vus à Cannes,
par B. Boland, D. Dubroux et S. Le Péron. CRITIQUES : Com m ent ça va. Rêve de singe, Violette Noziére, Les Routes du sud, P retty Baby, Le Grand
sommeil. La Vie t'en as qu'une. Les Nouveaux monstres, L ’Etat Sauvage. IIIe Semaine des Cahiers à Paris. ADOLFO G. ARRIETA : 1) Le cinéma phe-
nixo-logique de Arrieta, par J.-C. Biette. 2) Entretien avec Arrieta. JO H AN VAN DER KEUKEN : 1) Entretien avec J. van der Keuken. 2) La Radiation
cruelle de ce qui est, par Serge Daney. Semaine des Cahiers à Damas : 1) Les Journées de Damas, par S. Daney. 2) Entretien avec Omar Amiralay.
LA FICTION HISTORIQUE : Deux fictions de la haine (3), par Jean-Louis Com olli et François Géré. QUESTIONS DE FIGURATION : Lettre à « p ro
pos de Décadrages », par J. Kalman. PETIT JO U R N A L
N° 2 9 3 (O ctobre 1 9 7 8 ):
POUR UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA TECHNIQUE DE CINEMA. Program m ation de l'écoute (2), par C. Bailblé. FES
T IV A L DE LOCARNO : Rétrospective Douglas Sirk. 1) Entretien avec D. Sirk, par Dominique Rabourdin et Jean-Claude Biette. 2) Les Nom s de
l'auteur, par J.-C. Biette. L'ANCIEN ET LE NOUVEAU : Contre la nouvelle cinéphilie, par Louis Skorecki. Réponse de Pascal Kané. QUESTIONS
A L A M O D E R N IT É :A propos de Kubrick, Kramer et quelques autres, par Jean-Pierre Oudart. CRITIQUES : Fingers, Dossier 51 , Une n u it très morale,
L'O rdre et ta sécurité du monde. PETIT JOURNAL.
PHOTOS DE FILMS
(sous la direction d'Alain Bergala)
1XS
96 pages - 77 photos - 38 F
(Voir notre bulletin de souscription dans notre encart situé au miljeu du numéro)
CAHIERS LA TABLE DES MATIERES
DU N° 2 0 0 à 275
Cl M IMA (avril 1968- avril 1977)
est parue
Un outil indispensable pour relire les cahiers du
Cinéma : répertoire de tous les articles parus
(auteurs - cinéastes - index des films * festivals
théorie du cinéma).
NOM ......................................................... P rén om
T a b le des M a tiè re s 2 0 0 à 2 7 5 30 F □
T a b le des M a tiè re s 1 6 0 à 199 20 F □
MIZOGUCHI KENJI
OFFRE LIMITEE A 5 0 0 EXEMPLAIRES / PRIX DE SOUSCRIPTION 48 F
A l'occasion de la ressortie des films de Mizoguchi Kenji,
les Cahiers viennent de republier le fac-similé de 120 pages
contenant les textes consacrés à ce cinéaste, parus dans 9 numéros épuisés de la revue.
TIRAGE LIMITE
PRIX 38 F
^
A l’occasion de cette m anifestation,
et en collaboration avec le CCI
et le M usée des B eaux-A rts de Lyon,
les éd ition s Cahiers du Ciném a publieront
un recueil (présenté et annoté) de ces 150 d essins,
qui tiendra lieu, égalem ent,
de catalogu e de l’exp osition .
Se-_______ s___________________________________
]/ Présentation, par Jacq u es Aumont et Bernard Eisenschitz.
2 / Auto-portrait de S.M. E. : quelques points en forme de collage,
par H élène Larroche (CCI).
3/ “Les transformations insolites du Chat botté” par Naoum Kleiman
(conservateur du Cabinet E isenstein à Moscou).
< f^ 4 / EISENSTEIN : ESQUISSES ET DESSINS
- D essin s de jeu n esse
- E sq u isses pour le théâtre
- D essin s m exicains
- Période 1936-1939
- Période 1944-1948
c i m:\ia 225.
242- 243.
228. 2 2 9. 230
2 5 4 -2 5 5 .
231.
25 8- 259.
232. 233. 24 0.
2 6 0 -2 6 il 2 5 1 - 252.
15 F 241. 244. 247. 248 249. 250. 25 3. 256. 257. 264. 265.
A re tourner :
9. passage de la 284. 285. 286. 2 8 7. 288. 2 8 9. 292 293. '294 .
Boule-Blanche
Pans 7 5 0 1 2
23 F 2 9 0 -291.
Prénom .................. 12 F 270 271. 272. 273. 274. 275. 276. 277. 278. 281. 28 2.
A DRESSE
100F (+ 8 F pour frais d'envoi)
Collection 1976 : n0* 2 6 2 -2 6 3 264. 265. 2 6 6 -2 6 7 . 2 6 8 -2 6 9 (spécial images de marque) 2 7 0 - 272.
La collection 1971
1 9 7 2 -1 9 7 3
290 F (+17 F pour frais d'envoi)
1 9 7 4 -1 9 7 5 Collection EISENSTEIN : Nous o ffro n s à nos lecteurs la collection com plète des vingt- trois numéros
1976 dans lesquels ont paru les textes d'EISENSTEIN (n0:* 2 0 8 à 2 1 1 .2 1 3 à 2 2 7 . sauf le n° 2 2 3 épuisé,
1 9 77 . 2 3 1 à 235). au prix spécial de 130 F (+ les frais de port) Cette o ffre est valable dans la limite
E IS EN STEIN □ des exemplaires disponibles
La série
« T E C H N IQ U E ET IDÉOLOGIE » □
90F (+7 F pour frais d'envoi)
M a n d a t-le itre jo in t □ Collection « Technique et Idéologie » : série d'articles de Jean-Louis COMOLLI parus dans les n°b 229.
M a n d a t postal |Oint □ 2 3 0 .2 3 1 2 3 3 .2 3 4 - 2 3 5 24 1 des Cahiers.
Chèque bancaire |oint □
V erse m ent au CC.P . 7 3 9 0 - 7 6 □ C o ch e r les c o lle c tio n s ch o isie s
CAHIERS
DU
CINEMA 295
15 F