Images Et Colonies PDF

Vingtième Siècle, revue d'histoire
Blanchard Pascal, Chatelier Armelle (dir.), Images et colonies

Christian Delporte
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Delporte Christian. Blanchard Pascal, Chatelier Armelle (dir.), Images et colonies. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°42,
avril-juin 1994. pp. 129-131;
https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1994_num_42_1_3055_t1_0129_0000_3
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L'historiographie de la France coloniale, même thème, en janvier 1993. La période

et singulièrement de son aire africaine, prise en compte était néanmoins plus
s'est profondément renouvelée ces restreinte (des années 1920 aux
dernières années. Pourtant, bien des indépendances). L'ouvrage qui en était issu2, s'il avait
domaines suscitent encore interrogation: celui le mérite de fixer les cadres de la
des représentations n'est pas l'un des réflexion, laissait parfois le lecteur sur sa
moindres. Des premiers temps de la faim. L'exposition et le catalogue, évitant
conquête à l'époque ultime de la présence l'écueil de la redondance, ont permis
française en Afrique, le thème colonial a d'affermir les concepts, de mieux dégager
étonnamment alimenté l'imaginaire: en les ruptures et les continuités,
atteste l'abondante production d'approfondir les analyses.
iconographique, jusqu'ici fort peu exploitée. Le Jusqu'à la Grande Guerre, trois
Musée d'histoire contemporaine (BDIC), caractères dominent l'iconographie.
en collaboration avec l'Association L'exaltation de la conquête, d'abord. Soucieuse
connaissance de l'histoire de l'Afrique de galvaniser une opinion indifférente à
contemporaine (ACHAC), a judicieusement comblé l'aventure coloniale et de laver
cette lacune en proposant, à la fin de l'humiliation de la défaite de 1870, l'imagerie
l'année dernière, l'exposition Images et s'applique à valoriser la magnifique armée
colonies (1880-1962). Dans une tradition française qui soumet les hordes sauvages
désormais bien établie, le Musée a d'indigènes, tantôt pleutres (les Noirs),
prolongé son initiative par l'édition d'un épais tantôt braves (les Arabes), toujours cruels.
catalogue, richement illustré, qui Scènes de bataille d'une rare violence et
rassemble les contributions d'une quarantaine de portraits d'Explorateurs triomphants,
spécialistes de la question coloniale et de anonymes ou illustres (Bugeaud, Brazza, Gal-
l'image1. L'intérêt du MHC pour l'histoire lieni) s'imposent dans les manuels
coloniale n'est pas nouveau (on se scolaires après avoir alimenté revues et
souvient de l'exposition sur la guerre journaux (dont le prototype reste le
d'Algérie en 1992). Pour sa part, l'ACHAC n'en supplément hebdomadaire couleur du Petit
était pas à son coup d'essai, puisque Journal)- Second trait: l'exotisme, analysé
l'Association, qui groupe de jeunes par Laurent Gervereau3. Un exotisme qui,
chercheurs, avait organisé un colloque sur le dans un jeu subtil de fascination-répulsion,
se nourrit de violence et d'érotisme.
1. L'ouvrage, édité par la BDIC et l'ACHAC, comporte
304 pages et 800 illustrations (285 F.)- Il est disponible en 2. Pascal Blanchard, Armelle Chatelier (dir.), Images et
librairie ou au Musée d'histoire contemporaine (Hôtel national colonies, Paris, Syros-ACHAC, 1993, 157 p., 185 F.
des Invalides). 3. • L'exotisme •, p. 26-47.
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Derrière l'épais mystère des terres ultérieures»1. Il eut surtout d'appréciables

africaines, se révèle crûment la férocité effets sur la période suivante qui vit
d'indigènes, coupeurs de têtes et anthropophages. s'atténuer sensiblement les images les plus
De telles images inspirent les publicitaires ordurières (anthropophagie), même dans
et peuplent la presse enfantine qui, à les formes d'expression cultivant l'excès
l'instar de L'Intrépide ou de L'Épatant, verse (dessin d'humour). Un phénomène
volontiers dans le racisme ordinaire. Mais renforcé par les campagnes allemandes,
il est un autre versant de l'étrangeté qui, durant et après la guerre (occupation de
prétexte à expérience picturale, célèbre la Ruhr) contre les soldats français de
î'angélisme d'un paradis retrouvé et couleur.
magnifie la sensualité et le pittoresque des L'observation de l'iconographie de
peuplades primitives. L'iconographie, enfin, l'entre-deux-guerres témoigne du
loue la mission civilisatrice et humanitaire puissant effort de propagande mené par le
des Français en Afrique: c'est dans ce ministère des Colonies pour gagner les
domaine que se manifeste avec le plus Français à la mystique impériale (la «Plus
d'insistance l'œuvre de propagande. Grande France»). Elle confirme aussi
Rendant plus glorieuse encore la conquête, l'échec de la tentative2. Ainsi la fameuse
la barbarie des Africains légitime la Exposition de 1931 souligne-t-elle le
colonisation. La France extirpe l'Afrique des profond décalage entre le discours officiel sur
ténèbres en la débarrassant de ses «rois la mise en valeur, le modernisme des
nègres» et de ses despotes arabes, moyens, la puissance des colonies
sanguinaires et esclavagistes, en lui françaises, et le message retenu, celui du
apportant savoir, sécurité, religion. L'instituteur, dépaysement et de l'exotisme de masse,
le médecin, le curé missionnaire qui atteste l'indifférence de l'opinion à
deviennent les acteurs privilégiés de scènes de l'égard des projets gouvernementaux.
conversion à la civilisation. Sans relâche, L'Afrique continue à susciter le rire ou le
l'adulte blanc (que, seul, l'image rêve, et les images du tirailleur hilare de
individualise) éduque, après l'avoir soumise, la la maison Banania ou du beau légionnaire
masse des noirs infantilisés par de Pépé le Moko semblent alors s'imposer
l'ignorance. plus sûrement que celle de Lyautey, le
Le rôle joué par les tirailleurs sénégalais «bâtisseur d'Empire». Le mythe finit
et algériens dans les combats de la Grande pourtant par emporter l'adhésion. Tardivement
Guerre marque un premier coup d'arrêt et négativement: lorsque, sous la double
à la diffusion d'une représentation des pression de la crise économique et des
Africains unanimement dévalorisante et périls extérieurs, l'Empire surgit soudain
objet de plaisanteries grossières. Certes, comme l'unique planche de salut. En cela,
l'image reste ambivalente, navigant entre la période de Vichy prolonge la
condescendance raciale ou paternalisme précédente : et ses images de propagande, tout
(le soldat noir est un grand enfant!) et particulièrement destinées à la jeunesse,
admiration pour leur bravoure, elle exaltent un Empire garant de la continuité
n'entraîne aucune reconnaissance de la et de la renaissance de la France
civilisation de l'autre. Les vieux clichés «éternelle», source de gloire et de prestige. Les
sont parfois détournés de leur objet stéréotypes évoluent peu, l'idéologie
premier: ainsi, la sauvagerie des indigènes vichy ste s 'appliquant néanmoins à orien-
est désormais source d'épouvanté pour
l'ennemi. Mais, comme l'observe Marc
Michel, l'intérêt soudain pour les peuples 1. -L'image du soldat noir-, p. 90.
2. Charles-Robert Ageron, • L'Empire et ses mythes •, p. 9&-
des colonies « fut beaucoup moins malsain 110; Gilbert Meynier, -L'organisation de la propagande-,
que ne le laissent à entendre les gloses p. 113-124.
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ter les préjugés raciaux (le «bon Arabe» Pendant plus de trois quarts de siècle,
et le «mauvais Juif»), perceptibles jusque les Français ont été abreuvés d'images
dans la presse enfantine. qui, de près ou de loin, ont participé à
Les traumatismes de la guerre, l'essor une propagande pratiquement sans
des nationalismes, le nouveau contexte contrepoids, l'iconographie
français poussent à une redéfinition, anticolonialiste se distinguant longtemps par son
lente, de l'iconographie coloniale. La fragile impact3. Forgeant chez les
rupture est loin d'être immédiate : et l'affiche métropolitains une certaine idée de l'Afrique et
de Colin pour l'exposition «La France des Africains, elles ont contribué à les
d'Outre-mer dans la guerre», à la convaincre du caractère eminent de
Libération, fidèle à l'esprit de la France libre, l'œuvre coloniale: au début des années
fait étrangement écho à celle de Castel, 1950, 85 % des candidats au baccalauréat
«Trois couleurs. Un drapeau. Un Empire», ne la jugeaient-ils pas positive?
éditée par Vichy en 1941. Les anciens
clichés résistent encore. Face au guide blanc Christian Delporte
actif, les autochtones, foule
dépersonnalisée, restent cantonnés au rôle
d'exécutants. Les affiches touristiques, Afrique
nombreuses, avivent toujours le fantasme en
présentant, comme jadis, les danseuses Coquery- Vidro vrrcH Catherine, Histoire
africaines aux seins nus qui ondulent, des villes d'Afrique noire. Des origines à
insouciantes et offertes au regard de la colonisation, Paris, Albin Michel, 1993,
l'Européen. Toutefois, les images perdent 412 p. (coll. «L'Évolution de l'humanité»),
en brutalité, tandis que les thèmes 190 F.
s'appauvrissent, comme en témoigne le
poids déclinant du Noir dans la publicité. Depuis quelques années, les villes
Désormais, observent Nicolas Bancel et d'Afrique sud-saharienne sont l'objet de
Ghislaine Mathy, l'essentiel du message recherches historiques alors qu'elles
porte sur la volonté de l'État français de étaient auparavant, en France notamment,
transformer en profondeur le territoire appréhendées surtout sous l'angle
colonial1. Les photographies, amplement géographique, économique ou sociologique4.
centralisées par l'Agence de la France C. Coquery- Vidrovitch, professeur à
d'Outre-Mer, montrent à l'envi une l'Université Paris VII a joué un rôle moteur
Afrique en plein chantier qui, sortant d'un dans l'essor de cette approche historique.
long passé obscur, se dote, grâce au génie Sous son impulsion, une équipe a
de la technologie française, de ponts, de organisé en 1985 un colloque intitulé
routes, de chemins de fer, de bâtiments Processus d'urbanisation en Afrique^. Ces
modernes. L'ingénieur et le contremaître recherches se poursuivent actuellement
se substituent de plus en plus volontiers, par des thèses et des études spécifiques
dans l'imaginaire, à l'instituteur et au curé. comme celle des investissements 6, du rôle
Somme toute, mis à part les «trous noirs» des jeunes dans les agglomérations en
de la guerre d'Algérie, les images de fin
d'Empire, remarquables d'ambivalence, 3- Claude Liauzu, - L'iconographie anticolonialiste -, p. 266-271.
4. Voir, par exemple, M. Coquery -Urbanisation et
mêlent de façon troublante le «travail de urbanisme-, p 191-212 dans C. Choquet, O. Dollfus, E. Le Roy et
deuil d'un monde colonial qui s'en va » et M, Vernières (dir.), État des savoirs sur le développement. Trois
le «travail d'éveil sur les regrets, les décennies de sciences sociales en langue française, Paris, Kar-
thala, 1993, 229 p.
occasions manquées»2. 5. Publié par L'Harmattan en 1988, 2 tomes (135 p. et
168 p.).
1. -La propagande économique-, p. 221-231- 6. S. Dulucq, O. Goerg (dir.), Les investissements publics
2. Benjamin Stora, -Quelques images fixes d'une fin dans les villes africaines (1930-1985). Habitat et transports,
d'Empire-, p. 261. Paris, L'Harmattan, 1989, 221 p.
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