27 - La Lactoferrine PDF
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La lactoferrine :
une protéine
multifonctionnelle
Annick Pierce, Dominique Legrand, Joël Mazurier
> La lactoferrine est une molécule énigmatique
REVUES
et fascinante apparue avec les mammifères ; elle
appartient à la famille des transferrines, mais
contrairement à la transferrine, qui a un rôle
clé de transporteur du fer, la lactoferrine n’est
pas impliquée dans l’homéostasie martiale. Les
Unité de Glycobiologie
recherches entreprises depuis son isolement en Structurale et Fonctionnelle,
1960 n’ont pas réussi à complètement élucider sa CNRS UMR 8576,
SYNTHÈSE
fonction. Elle a longtemps été considérée comme Université des Sciences
et des Technologies de Lille,
un simple chélateur de fer protégeant contre les IFR 147, 59655 Villeneuve d’Ascq
infections bactériennes par sa capacité à priver Cedex, France.
les bactéries du fer nécessaire à leur croissance. annick.pierce@univ-lille1.fr
Depuis ces dix dernières années, de nouvelles
fonctions orchestrées par la lactoferrine ont à la Lf des fonctions qui lui sont propres (Figure 1) et,
été découvertes : immunomodulation, protection contrairement à la Tf, elle ne sera pas impliquée dans
contre le cancer et régulation de la croissance l’homéostasie martiale [3].
osseuse. L’objectif de cet article est de faire Synthétisée en continu par les épithéliums glandulai-
connaître les multiples facettes de cette molé- res, la Lf est présente dans le lait, les larmes, la bile,
cule et d’en souligner l’implication dans de nom- la salive et les sécrétions des organes reproducteurs et
des tractus respiratoire et gastro-intestinal [4]. Elle
breux mécanismes de défense de l’organisme. <
est également synthétisée au cours de la différencia-
tion des polynucléaires neutrophiles dans lesquels elle
est stockée, ou par les cellules microgliales [5, 6]. La
concentration sérique de Lf est faible, mais ce taux est
Cet article est dédié à la mémoire augmenté lors de la dégranulation des neutrophiles qui
de madame le Professeur Geneviève Spik conduit à une très forte accumulation de Lf sur le lieu
de l’inflammation. La Lf humaine (hLf) est une glyco-
Isolée en 1960 [1], la lactoferrine appartient à la protéine qui a pour caractéristique d’être hautement
famille des transferrines : lactoferrines (Lf) et trans- basique avec une distribution concentrée de ses charges
ferrines (Tf) fixent réversiblement deux ions ferriques et positives dans le domaine amino-terminal et dans la
possèdent non seulement une structure primaire (59 % région inter-lobe. La structure tridimensionnelle montre
homologie) mais également une conformation spatiale que ce polypeptide est structuré en deux lobes globulai-
très proches avec des sites de liaison du fer identiques. res correspondant aux moitiés amino- et carboxy-ter-
Elles diffèrent par leur charge de surface (pHi de 8,4-9 minales liées par une courte hélice α. Chaque lobe est
pour la Lf et de 5,4-5,9 pour la Tf) et la stabilité de la structuré en deux domaines qui délimitent une crevasse
liaison protéine-fer [2]. En effet, la stabilité de fixa- profonde à l’intérieur de laquelle est situé le site de
tion du fer ferrique en fonction du pH de la Lf est supé- fixation du fer (Figure 2) [7, 8]. Le domaine amino-
rieure à celle de la Tf. Il faut en effet un pH inférieur à terminal est le siège des interactions de la Lf avec ses
2 pour dissocier le fer de la Lf, alors qu’un pH inférieur nombreux partenaires : glycosaminoglycanes (GAG),
à 6 suffit à le dissocier de la Tf. Cette caractéristique, lipopolysaccharides (LPS), ADN et récepteurs, et par-
associée à une affinité pour le fer sensiblement supé- là même, il intervient dans la majorité de ses activités
rieure à celle de la Tf à pH neutre, attribue un rôle de biologiques [9]. Ces caractéristiques sont partagées par
chélateur du fer à la Lf, plutôt que celui de transporteur d’autres Lf, notamment par la Lf bovine (bLf), molécule
du fer, propre à la Tf. Ces caractéristiques vont conférer la plus utilisée dans les essais in vitro et in vivo.
REVUES
Bacillus subtilis Hantavirus Candida glabrata
Bacillus stearothermophilus Poliovirus Candida krusei Plasmodium falciparum
Burkholderia cenocepacia Polyomavirus Phoma exigua Toxoplasma gondii
Clamydophila psittaci Rotavirus Sclerotinia sclerotiorum Tritrichomonas fœtus
Clostridium spp. Virus de Friend Sclerotium rolfsii Trypanosoma brucei
bLf Escherichia coli spp. Virus de l’hépatite B (HBV) Rhizoctonia solani Trypanosoma cruzi
hLf Enterococcus spp. Virus de l’hépatite C (HCV) Trichoderma viride
Haemophilus influenzae Virus de l’herpès simplex 1 (HSV-1) Trychophyton mentagrophytes
Helicobacter felis Virus de l’herpès simplex 2 (HSV-2)
SYNTHÈSE
Helicobacter pylori Virus de l’herpès simplex félin (FSV-1)
Legionella pneumophila Virus de l’immunodéficience humaine (HIV)
Listeria monocytogenes Virus Sindbis
Micrococcus spp. Virus Semliki Forest
Mycobacterium tuberculosis
Neisseriaceae
Pasteurellacea
Pseudomonas aeruginosa
Salmonella typhimurium
Shigella dysenteriae
Shigella flexneri
Staphylococcus aureus
Staphylococcus spp.
Streptococcus spp.
Vibrio cholerae
Vibrio parahaemolyticus
Bacillus subtilis Adénovirus Candida spp. Eimeria stieda
Clostridium Calcivirus félin Giardia lamblia
Corynebacterium CMV Toxoplasma gondii
Enterococcus VIH
Escherichia coli HSV
Klebsiella pneumoniae
Lactobacillus
LfcineB Listeria monocytogenes
LfcineH Proteus vulgaris
Pseudomonas aeruginosa
Pseudomonas fluorescens
Salmonella enteriditis
Staphylococcus aureus
Staphylococcus spp.
Streptococcus spp.
Yersinia enterocolitica
Tableau I. Micro-organismes contre lesquels s’exerce l’activité anti-infectieuse des lactoferrines humaine et bovine ou des peptides naturels (Lfcine) ou
synthétiques (Lfampine) issus de ces lactoferrines [9, 11, 12, 14, 15].
* C1
N2
cruzi [9, 11, 12]. La bLf pourrait éga-
X lement diminuer l’infectiosité par le
C 1– prion en inhibant l’accumulation de
Charges la forme infectieuse dans des cellules
X - infectées [19].
+
Modulation
de la réponse inflammatoire
REVUES
également due à une diminution de la production de T auxiliaires de type 1 (Th-1). Ces dernières conduisent ensuite à
TNF-α (tumor necrosis factor) et l’IL(interleukine)- l’élimination du virus de l’hépatite C lors d’une thérapie par l’in-
1β et une augmentation de l’IL-10. Cette modulation terféron, favorisent la phagocytose de Staphylococcus aureus et de
du processus inflammatoire passe également par certains champignons et augmentent l’efficacité d’une vaccination
une diminution du recrutement de cellules immunes, par le BCG. Par ailleurs, l’ingestion de Lf augmente la production
notamment des leucocytes. de splénocytes, d’IFN (interféron)-γ et d’IL-12 en réponse à une
infection par le virus de l’herpès.
Activité anti-oxydante
La Lf : une arme contre le cancer ?
SYNTHÈSE
L’activation des monocytes/macrophages par les
LPS ou le TNF-α déclenche l’activité phagocytaire et
conduit à une production accrue d’espèces oxygénées La Lf se place également au carrefour de la régulation de processus
réactives qui peut être amplifiée en présence de fer cellulaires cruciaux que sont le cycle et la mort cellulaires. En exer-
libre. La Lf libérée au site de l’inflammation, en pié- çant un rôle de surveillance de la croissance des cellules, la Lf lutte
geant le fer, limite ce processus et le dommage causé contre la tumorigenèse et le développement de métastases, ce qui
aux membranes cellulaires en prévenant la peroxyda- suggère que cette molécule pourrait jouer le rôle d’un suppresseur
tion des lipides. Récemment, une étude clinique sur de tumeur. Les Lf native et recombinante, les Lfcines et la delta-lac-
une cohorte de 90 patients atteints d’hépatite C chro- toferrine (ΔLf), isoforme intracellulaire de la hLf, possèdent toutes
nique montre que les sujets qui ont ingéré de la bLf une activité antitumorale [9, 14, 21, 23, 24].
présentent une amélioration de leur statut oxydant
hépatique [22]. Activation de cellules immunes
Les activités antitumorales de la Lf ont d’abord été attribuées à
Activité pro-inflammatoire son potentiel immuno-modulateur, et notamment à sa capacité à
La Lf influence non seulement l’immunité innée, mais favoriser la cytotoxicité des cellules NK (natural killer). De nombreux
aussi l’immunité acquise, en stimulant les répon- modèles animaux de carcinogenèse chimique ciblant spécifiquement
différents organes ont été mis en place. À chaque fois, les animaux dependent kinase) et cdk4, et à une augmentation de
traités oralement avec de la bLf ont mieux résisté aux cancérigènes. l’expression de l’inhibiteur p21. Dans les cellules de
Leur protection semble être corrélée à un nombre élevé de cellules NK carcinome du cou et de la tête, elle agit en activant
et de lymphocytes T exprimant CD8, CD4 et l’IFNγ dans la circulation la voie dépendante de p27/cycline E via la phospho-
et la muqueuse intestinale. rylation de AKT. Dans les cellules de carcinome du col
de l’utérus, la Lf entraîne une surexpression du sup-
Inhibition de l’angiogenèse presseur de tumeur p53 via la voie NF-κB. La progres-
In vivo, la bLf inhibe également l’angiogenèse, mécanisme qui sion du cycle et la traduction d’acteurs cellulaires
favorise la néovascularisation indispensable à la croissance des de la transition G1/S nécessitent la dissociation du
tumeurs et au développement des métastases. Cette activité impli- complexe Rb-E2F par phosphorylation de Rb (protéine
que l’activité anti-angiogénique de la cytokine IL-18. La prise du rétinoblastome). La Lf, en induisant la surexpres-
orale de bLf conduit en effet à l’activation de la caspase-1 et, par sion de Rb, maintient une concentration élevée en
conséquent, à la maturation de l’IL-18. Cet effet anti-angiogénique Rb non phosphorylée et conduit donc à la rétention
semble spécifique à la bLf, la hLf exerçant, quant à elle, un effet de E2F. La ΔLf provoque également un arrêt du cycle
pro-angiogénique in vitro via la surexpression du récepteur du VEGF cellulaire via la surexpression des gènes Rb et Skp1.
(vascular endothelial growth factor) (KDR/Flk-1) et la migration de Skp1 appartient au complexe SCF (Skp1/Cullin/F-
cellules endothéliales. box) ubiquitine ligase responsable de la dégradation
par le protéasome d’acteurs du cycle cellulaire de la
Régulation de la croissance cellulaire transition G1/S.
La Lf limite la croissance des cellules tumorales en induisant un
arrêt du cycle cellulaire en G1/S. Cet arrêt est provoqué par un Promotion de l’apoptose
ensemble de processus qui gère la valse des cyclines et leur dégra- En équilibre constant avec la prolifération, l’apoptose
dation, la régulation par phosphorylation de kinases et la disponibi- est nécessaire à la survie des organismes cellulaires.
lité des facteurs d’initiation de la transcription (Figure 5). La Lf est De nombreux travaux montrent que la Lf est capable
au cœur de cette régulation mais il est difficile de proposer une vue de déclencher le processus apoptotique via l’activa-
d’ensemble, les événements qu’elle contrôle ayant été étudiés dans tion des caspases 3 et 8 et de la voie Fas. Les peptides
des modèles cellulaires différents. Ainsi, la Lf inhibe la voie des naturels ou synthétiques de la Lf sont également cyto-
MAP kinases dans les cellules MDAMB-231 (issues d’un adénocarci- toxiques pour les cellules tumorales in vitro et in vivo
nome du sein humain) via une diminution des activités cdk2 (cyclin et la Lfcine provoque l’apoptose dans différents types
REVUES
activités antitumorales, elles pourraient se com- le noyau où elles exercent une activité de facteur de transcription
porter en suppresseurs de tumeur. Les gènes sup- activant pour la Lf le gène de l’IL-1b et pour la ΔLf les gènes Skp1,
presseurs de tumeur perdent leur fonction dans les Rb, Bax, Fas et DcpS (decapping enzyme scavenger) [29, 31, 32].
cancers humains, et il a été montré que l’expression La polémique tourne donc autour d’un problème d’adressage. Si
de ces deux isoformes est fortement diminuée, voire la ΔLf cytoplasmique peut transiter aisément jusqu’au noyau, la
éteinte dans certains cancers. Des altérations géné- Lf de sécrétion doit, après endocytose et avant son transfert au
tiques et épigénétiques inactivent le gène de la Lf lysosome, emprunter une voie qu’il reste à découvrir pour accéder
fournissant aux cellules cancéreuses un réel avantage au noyau.
SYNTHÈSE
prolifératif [27]. Il est intéressant de noter que le
taux élevé de ces deux transcrits dans des biopsies de Régulation de la croissance osseuse
glandes mammaires cancéreuses est corrélé à un bon
pronostic [28]. Les activités immunomodulatrice, Le remodelage osseux est le fait d’une coopération étroite et
anti-oxydante et anti-tumorale de la Lf suggèrent précise entre les ostéoclastes qui détruisent le tissu osseux, et
qu’elle puisse être un candidat très prometteur dans les ostéoblastes qui le reconstruisent [33]. La bLf stimule la pro-
la lutte contre la tumorigenèse ou, en tout cas, dans lifération des ostéoblastes in vitro en favorisant la croissance
sa prévention. osseuse. Elle limite également la résorption osseuse en inhibant
l’ostéoclastogenèse. Ces résultats sont encourageants, mais le
Les Lf : des facteurs de transcription ? mécanisme d’action reste encore à être élucidé. Néanmoins, la Lf
semble jouer un rôle physiologique clef dans la formation osseuse
Cette question n’a toujours pas trouvé de réponse et pourrait être un agent thérapeutique potentiel de la lutte contre
claire. La hLf possède la capacité de se fixer à des l’ostéoporose [34].
REVUES
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114 : 299-306. A. Pierce
Sélection • 5 participants pour chaque site seront sélectionnés parmi les participants de la phase I.
Avec la participation de • Roderick Capaldi (Eugene, USA), Arnaud Chevrollier (Angers, France), Jean-Paul di Rago (Bordeaux,
France), Chittibabu Guda (Rensselaer, USA), Marcia Haigis (Boston, USA), Guy Lenaers (Montpellier, France), Anne Lombès (Paris,
France), Carmen Mannella (Albany, USA), Jean-Pierre Mazat (Bordeaux, France), Arnold Munnich (Paris, France), Vincent Procaccio
(Angers, France), Thierry Rabilloud (Grenoble, France), Manuel Rojo (Bordeaux, France), Pierre Rustin (Paris, France), Douglas
Wallace (Irvine, USA).
Date limite d’inscription : 26 juin 2009