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Alliance ou Testament en Hébreux 9.16-17 ?

Diaqh,kh,
Alliance ou Testament
en Hébreux 9.16-17 ?

Sylvain Romerowski

Résumé : En Hébreux 9.15, l’auteur présente Christ comme le média-


teur d’une alliance nouvelle en vertu de sa mort. Il avance aux versets
suivants (v. 16-23) deux considérations pour appuyer l’idée que la
mort de Christ était nécessaire à la conclusion de l’alliance. Aux versets
16-17, la plupart des traducteurs et exégètes rendent cependant le mot
diaqh,kh par testament plutôt que par alliance. L’édition 2015 de la
Bible du Semeur a opté pour le sens d’alliance. Le présent article vise à
justifier ce choix, non seulement par diverses considérations exégé-
tiques, mais aussi sur la base de l’éclairage qu’apporte une coutume
proche-orientale ancienne attestée par un traité d’alliance datant du
VIIIe siècle av. J.-C. et par l’Ancien Testament.

Abstract : In Hebrews 9:15, the author of the epistle depicts Christ as


the mediator of a new covenant, on the basis of his death. In verses 16-
23, he then gives two reasons why the death of Christ was necessary for
the new covenant to be made. In verses 16-17, though, most translators
and exegetes are of the opinion that the word diaqh,kh means a last will
and testament rather than a covenant. Besides presenting exegetical
considerations, the article shows how an ancient Near Eastern custom
attested by a covenant treaty of the 8thcentury BC and by the Old Tes-
tament sheds light on these two verses and argues that a covenant is
meant.

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théologie évangélique, vol. 14, n° 2, 2015

À partir de son chapitre 8 et jusqu’en 10.18, l’auteur de l’épître aux


Hébreux s’attache à montrer la supériorité de la nouvelle alliance, dont
Christ est le médiateur, sur l’ancienne alliance. Cette partie de sa lettre
s’inscrit dans une argumentation plus large qui vise à faire ressortir la
supériorité de Christ et la nécessité de son œuvre pour le salut, afin
d’encourager les lecteurs à s’attacher à Christ, ou à lui rester attachés.
Les rites de l’ancienne alliance n’étaient qu’une image et une ombre,
autrement dit des types ou préfigurations des réalités de la nouvelle
alliance apportées par Christ (Hé 8.4-6). En particulier, au lieu des
sacrifices d’animaux qui ne pouvaient pas réellement obtenir le pardon
des péchés (10.1-4), Christ a offert le sacrifice de sa propre vie (9.11-14).
En vertu de sa mort qui obtient pour les siens le pardon des péchés,
notamment des transgressions commises sous l’ancienne alliance, Christ
est devenu le médiateur d’une nouvelle alliance, de sorte que ceux qui
sont appelés, ceux qui ont part à cette alliance, reçoivent la promesse de
l’héritage – ou, plutôt, d’un patrimoine – éternel (9.15).
Ayant affirmé que Christ est devenu le médiateur de la nouvelle
alliance par sa mort pour le pardon des péchés (9.15), l’auteur se lance
dans une argumentation visant à montrer que la nouvelle alliance ne
pouvait pas être conclue sans que la mort de Christ intervienne (9.16-
22).
Dans cette optique, il rappellera tout naturellement qu’à l’époque de
Moïse, lors de la conclusion de l’ancienne alliance, des animaux ont été
sacrifiés pour effectuer un rite de purification par l’aspersion de leur
sang, en vue du pardon des péchés du peuple d’Israël (9.18-22).
Mais tout d’abord, aux versets 16-17, l’auteur énonce un argument
qui est habituellement traduit de la manière suivante ou de façon équiva-
lente : « Car là où il y a testament, il est nécessaire que la mort du testa-
teur soit constatée. Un testament, en effet, n’entre en vigueur qu’après le
décès, puisqu’il n’a pas de validité tant que le testateur est en vie » (Bible
à la Colombe). Voilà qui est très surprenant : pourquoi parler ici de
l’entrée en vigueur d’un testament pour éclairer le fait que Christ a dû
passer par la mort pour que la nouvelle alliance puisse être conclue ?
On justifie cette traduction en remarquant que le mot grec diaqh,kh a
d’abord le sens de testament, même si les auteurs de la traduction

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Alliance ou Testament en Hébreux 9.16-17 ?

grecque des Septante l’ont employé pour rendre le mot hébreu berîth qui
désigne une alliance et non pas un testament.
De plus, ce qui fait penser à un testament dans notre texte, c’est l’affir-
mation selon laquelle une diaqh,kh n’entre en vigueur qu’une fois consta-
tée la mort de celui qui fait diaqh,kh. En effet, une alliance est faite pour
régir les relations entre les partenaires qui la concluent pendant leur vie ;
la mort de celui qui conclut alliance n’a donc pas à intervenir pour que
celle-ci entre en vigueur, bien au contraire. Enfin, la mention de la pro-
messe de l’héritage a pu conduire à la pensée d’un testament. Aussi la
majorité des commentateurs se rallie-t-elle à l’interprétation qui consi-
dère que l’auteur fait référence à un testament aux versets 16-17 1. Ainsi,
C. Spicq par exemple écrit :
Grâce à un jeu de mots sur diathèkè signifiant alliance dans les Septante
(v. 15, 18-20) et testament dans le grec profane (v. 16-17), et à la commune
exigence de l’effusion de sang dans l’un et l’autre cas, l’auteur établit que le
Christ devait mourir pour fonder la nouvelle alliance et que les croyants
héritent de ses biens divins 2.
Et il écrit encore par la suite : « Il était donc indispensable que le
Christ mourût pour que son testament soit exécuté 3. »
Cependant, une telle compréhension du texte attribue à l’auteur de
l’épître une confusion entre deux réalités très différentes tour à tour dési-
gnées par le mot diaqh,kh. Peut-on accorder une quelconque validité à un
raisonnement qui tire argument du fait qu’un testament entre en vigueur
seulement après le décès de son auteur pour conclure à la nécessité de la
mort de Christ pour que la nouvelle alliance, qui n’est pas un testament,
soit établie ? En outre, l’idée que nous serions au bénéfice d’un testament
de Dieu ou de Christ qui ne peut prendre effet qu’à la condition de la
mort de Christ ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’Écriture. Loin
d’apparaître comme un testateur dont la mort serait la condition pour
que nous recevions un héritage, Christ est plutôt présenté ailleurs

1. Par exemple, F.F. BRUCE, The Epistle to the Hebrews, Grand Rapids, Eerdmans,
1964, p. 209-214 ; P.E. HUGHES, A Commentary on the Epistle to the Hebrews,
Grand Rapids, Eerdmans, 1977, p. 368-371 ; S. BÉNÉTREAU, L’épître aux Hébreux,
tome 2, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1990, p. 84-87.
2. Ceslas SPICQ, L'épître aux Hébreux, Paris, Gabalda, 1977, p. 156. Voir de même Her-
mann Strathmann, L'épître aux Hébreux, Genève, Labor et Fides, sans date, p. 86.
3. SPICQ, op. cit., p. 157.

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comme le premier héritier, dont nous sommes nous-mêmes co-héritiers


(Rm 8.17).
H. Strathmann lui-même, bien qu’il souscrive à l’interprétation
majoritaire, en relève les difficultés :
Le Christ n’est pas le testateur, mais le garant de ce « testament ». Quel
héritage nous aurait-il laissé, qu’aurait-il laissé derrière lui qui puisse nous
revenir ? D’après Hébreux, les biens que Christ nous communique, il nous
les communique parce qu’il est le Vivant, dans le ciel ! Les croyants sont ses
« participants » (3.14) comme ils sont, selon Paul, ses « cohéritiers » (Rm
8.17). L’auteur laisse sans réponse toutes ces questions 4.
Ces remarques lucides sont bien le signe d’un embarras devant l’inter-
prétation traditionnelle.
On peut ajouter que l’argument tiré de la mention de l’héritage est
sujet à caution. En effet, dans ce contexte où l’auteur compare l’ancienne
et la nouvelle alliance, cette mention renvoie à une réalité de l’ancienne
alliance : le pays de Canaan accordé aux Israélites en vertu de l’ancienne
alliance est vu comme le type de ce qui est obtenu par Christ pour les
croyants de la nouvelle alliance. Le terme grec klhronomi,a employé ici et
que l’on traduit habituellement par « héritage » servait dans la Septante
à rendre le mot hébreu năhlāh, souvent utilisé en référence au pays de
Canaan. Ce mot hébreu a pour sens « héritage », ou « possession »,
« patrimoine ». En Nombres 34.2 par exemple, on lit : « Quand vous
serez entrés dans le pays de Canaan, voici quel territoire vous reviendra
comme possession » (hébreu : năhlāh ; LXX : klhronomi,a). Or ici, la pre-
mière génération possédant le pays est concernée. Celle-ci n’hérite donc
pas le pays. Le terme hébreu năhlāh que la LXX a rendu par klhronomi,a
a simplement le sens de possession ou de patrimoine. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle les traducteurs de la Bible du Semeur ont souvent
évité de rendre le mot hébreu par « héritage » et lui ont plutôt préféré
« patrimoine ». De même, outre le sens d’héritage, le mot grec klhro-
nomi,a peut lui aussi prendre le simple sens de « possession » et c’est le cas
par exemple en Actes 7.5 et Hébreux 11.8. Dans le verset 15 de notre
texte, il serait donc plus exact de le rendre par « patrimoine » plutôt que
par « héritage 5 ». Enfin, on ne voit nulle part dans l’Ancien Testament

4. STRATHMANN, op. cit., p. 87.


5. De même en Ép 1.14,18 ; 5.5 ; Col 3.24 ; 1 P 1.4 par exemple.

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qu’un testateur ait dû mourir pour que les Israélites puissent hériter de
lui le pays de Canaan. C’est donc imputer à l’auteur de l’épître aux
Hébreux une seconde confusion, et une mauvaise connaissance de
l’Ancien Testament, que de considérer que la pensée d’un héritage ait pu
le conduire à prendre l’exemple d’un testament…
La suspicion qui pèse sur la compréhension traditionnelle des versets
16-17 ne peut que s’accroître lorsqu’on considère les versets suivants,
car, pour appuyer l’idée qu’une diaqh,kh n’est valide que lorsqu’il y a eu
mort, l’auteur rappelle que la conclusion de l’ancienne alliance ne s’est
pas faite sans mise à mort d’animaux. Comment ce rappel peut-il justifier
les affirmations des versets 16-17 si le propos de ceux-ci concernait un
testament ?
Enfin, la traduction traditionnelle masque une difficulté supplémen-
taire posée par cette compréhension des versets 16-17. La formulation :
un testament n’entre en vigueur qu’après le décès, puisqu’il n’a pas de validité
tant que le testateur est en vie donne à penser au lecteur qu’il est question
du seul décès de l’auteur du testament. Or le texte grec porte un pluriel
et signifie donc ceci : une diaqh,kh n’entre en vigueur que sur des morts,
c’est-à-dire : à la condition qu’il y ait eu des morts ; ou même, c’est un sens
possible : à la condition qu’il y ait eu des cadavres. Or, dans le cas d’un tes-
tament, seule la mort de son auteur est nécessaire à son entrée en
vigueur. Le fait que l’auteur parle de morts au pluriel indique qu’il ne
pense nullement à un testament. Parmi les commentateurs que nous
avons pu consulter et qui considèrent qu’il est ici question de testament,
certains ne relèvent même pas ce pluriel et la plupart de ceux qui en
notent la présence n’offrent pas d’explication.
De son côté, P. Ellingworth commente :
Le sens est probablement « sur la base de morts » ; c’est-à-dire « lorsque
des gens sont décédés ». Le pluriel est une variante stylistique du singulier
générique diaqe,menoj. Ici, comme au verset 15, il sert à se référer à un état
de choses présentant des implications légales 6…
Cette explication paraît peu satisfaisante : l’auteur parle au verset 17
d’une diaqh,kh au singulier et l’on conçoit mal qu’il dise que celle-ci

6. Paul ELLINGWORTH, Commentary on Hebrews, Grand Rapids, Eerdmans, 1993,


p. 464.

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n’entre en vigueur que lorsque plusieurs personnes sont décédées s’il


s’agit d’un testament. L’explication proposée par Delitzsch est quant à
elle très surprenante : « La raison de l’emploi d’un tel mode d’expression
est cependant claire : l’auteur sacré préparait ainsi la voie à la suite (v.
18ss) 7 ». À notre avis, Delitzsch ne croyait pas si bien écrire : c’est parce
qu’il pense aux animaux sacrifiés lors d’une conclusion d’alliance que
notre auteur emploie ce pluriel. Mais il faut en tirer la conclusion qui
s’impose : aux versets 16 et 17, l’auteur de l’épître pense alliance et non
pas testament.
La raison pour laquelle les traducteurs de la Septante ont choisi de
rendre le mot hébreu berîth par le mot grec diaqh,kh est largement
admise comme étant la suivante : ces traducteurs ont recherché un terme
qui désignait un acte légal, dont les clauses ou stipulations étaient unila-
téralement et souverainement décidées par son auteur, comme c’était le
cas de certaines alliances du Proche-Orient ancien sur le modèle des-
quelles Yahvé a conclu alliance avec Israël. Le mot diaqh,kh qui désigne
une ordonnance, une disposition écrite, et donc souvent un testament,
était celui qui convenait le mieux à cet égard (davantage par exemple que
sunqh,kh, qui désigne une alliance entre deux parties se trouvant sur un
pied d’égalité). De son côté, l’auteur de l’épître aux Hébreux emploie ce
terme dix-sept fois, dont treize dans les chapitres 8-10. En dehors des
versets que nous considérons ici, il suit l’usage de la Septante : le sens est
toujours indubitablement celui d’alliance.
Ces données conduisent à penser qu’il faut conserver au mot diaqh,kh
le sens d’alliance aux versets 16-17. C’était notamment l’avis du grand
exégète du Nouveau Testament B.F. Westcott 8, d’un ancien professeur
de la faculté de Westminster, O.P. Robertson, de qui nous sommes lar-
gement redevable pour cette étude 9 et de J.J. Hughes qui a consacré un
long article à ce sujet 10.
Mais se pose alors la question suivante : pourquoi mentionner la
mort de celui qui fait diaqh,kh (v. 16) et comment comprendre l’affirma-

7. Franz DELITZSCH, Commentary on the Epistle to the Hebrews, vol. II, Édimbourg,
T. & T. Clark, 1876, p. 107.
8. Brooke F. WESTCOTT, The Epistle to the Hebrews, Grand Rapids, Eerdmans, 1984,
p. 263-266, 298-302.
9. O. Palmer ROBERTSON, The Christ of the Covenants, Grand Rapids, Baker, 1980,
p. 127-144.

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tion selon laquelle une diaqh,kh n’a pas de validité tant que celui qui la fait
est en vie (v. 17) ?
Un texte du Proche-Orient ancien relatif à une conclusion d’alliance
fournit une information précieuse pour éclairer notre texte. Sur les frag-
ments de trois stèles découverts en 1930 à Sfiré, à 25 km au sud-est
d’Alep, sont inscrits les textes en araméen de trois traités d’alliance datés
du milieu du VIIIe siècle avant notre ère.
Le texte qui nous intéresse ici se trouve sur la première stèle de Sfiré,
sur la face antérieure (A). Les premières lignes présentent l’alliance
comme celle du roi de KTK, Bar-ga’ayah, sans doute un titre signifiant
« fils de majesté », avec Maticel, fils de cAtarsamak, roi d’Arpad, comme
l’alliance des fils et petits-fils de Barga’ayah avec ceux de Maticel, et
comme celle des citoyens de KTK avec ceux d’Arpad, etc. De la ligne 7 à
la ligne 13, un certain nombre de divinités sont prises à témoin de
l’alliance. Puis, à partir de la ligne 14, vient une série de malédictions : les
divinités sont appelées à infliger divers fléaux à Mati c el s’il trahit
Barga’ayah, et à la descendance de Mati c el si elle trahit celle de
Barga’ayah.
De la ligne 35 à la ligne 42, la dernière qui soit conservée, le texte fait
état de rites accompagnant d’autres imprécations, dans les termes sui-
vants :
De même que brûle cette cire-ci dans le feu, qu’ainsi brûlent Arpad et [ses
filles nom]breuses, et que Hadad sème en elles du sel et du cresson, et
qu’on n’en parle plus !
Ce bandit-ci et [cette âme-ci], c’est Maticel et son âme : de même que brûle
cette cire-ci dans le feu, qu’ainsi brûle Ma[ticel dans le f ]eu !
Et de même qu’on brise cet arc et ces flèches-ci, qu’ainsi Anahita et Hadad
brisent [l’arc de Maticel] et l’arc de ses grands !
Et de même qu’est aveuglé l’homme de cire, qu’ainsi soit aveuglé Matice[l] !
[Et de même qu’]est découpé ce veau-ci, qu’ainsi soit découpé Maticel et
soient découpés ses grands !

10. John J. HUGHES, « Hebrews IX 15ff. and Galatians III 15ff. A Study in Covenant
Practice and Procedure », Novum Testamentum XXI/I, 1979, p. 27-66. Aussi G.D.
KILPATRICK, « Diathèkè in Hebrews », ZNW 68/3-4, 1977, p. 263-265.

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[Et de même que sert ce]lui-[ci], qu’ainsi servent les femmes de Maticel et
les femmes de sa descendance et les femmes de [ses] gr[ands] !
[Et de même qu’est enlevée cette femme de cire] et qu’on frappe sur son
visage, qu’ainsi soient enlevées [les femmes de Maticel et…] 11 !
Il apparaît clairement ici que les rites visent à représenter le sort
demandé pour Maticel ou ses descendants dans les imprécations : on
inflige à des maquettes ou statuettes de cire le traitement que l’on évoque
pour la ville d’Arpad et les villages qui en dépendent, pour Maticel, ses
descendants, ses grands, leurs épouses. La ligne 40 nous intéresse parti-
culièrement : un veau est découpé pour symboliser le sort de Maticel et
de ses grands en cas de trahison de leur suzerain. Ainsi, le sort infligé à
des animaux lors d’une cérémonie de conclusion d’alliance symbolise le
châtiment du vassal qui transgresserait l’alliance.
Ceci éclaire la signification du rite accompli lors d’une conclusion
d’alliance à l’époque de Jérémie. Sous le règne de Sédécias, peu avant la
chute de Jérusalem, alors que les armées babyloniennes avaient envahi le
pays, les notables de Juda s’étaient engagés par une alliance à affranchir
leurs esclaves israélites, comme l’ordonnait la loi mosaïque (Jr 34). Au
cours de la cérémonie de conclusion d’alliance, ils avaient coupé un veau
en deux et étaient passés entre les morceaux (Jr 34.18). Comme dans l’ins-
cription de Sfiré, le sort du veau représentait le sort des contractants en
cas de transgression de l’alliance. Quelques temps plus tard, alors que les
armées babyloniennes s’étaient éloignées suite à une intervention égyp-
tienne pour secourir Juda, les notables se sont ravisés et ont repris leurs
esclaves. Jérémie leur annonce donc que Dieu va exécuter la sanction qu’ils
avaient eux-mêmes appelée sur eux en passant entre les morceaux du
veau : il les livrera à leurs ennemis pour les faire périr (Jr 34.19-22).
De même, lors de la conclusion de l’ancienne alliance au mont Sinaï,
des sacrifices d’animaux ont été offerts et Moïse a aspergé le sang des vic-
times sur les Israélites en disant : « Voici le sang de l’alliance que le Sei-
gneur a conclue avec vous… » (Ex 24.5-8). Ce rite d’aspersion avait

11. On trouve le texte original araméen par exemple en F. ROSENTHAL, sous dir., An
Aramaic Handbook, Part I/1, Wiesbaden, Harrassowitz, 1967, p. 3-4. Nous citons
ici la traduction de A. Dupont-Sommer, « Un traité araméen du VIIIe siècle av. J.-
C. », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 102e
année, N. 2, 1958, p. 177-182.

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Alliance ou Testament en Hébreux 9.16-17 ?

vraisemblablement une signification équivalente à celle du rite consistant


à passer entre les morceaux d’un veau coupé en deux : c’était une manière
de faire des Israélites l’objet d’une imprécation, le sort des animaux sacri-
fiés représentant le sort qui leur serait infligé s’ils transgressaient
l’alliance. On notera d’ailleurs que, comme dans l’inscription de Sfiré, le
code de l’alliance mosaïque annonçait quelles malédictions frapperaient
les Israélites en cas de rupture de l’alliance (Ex 20.5 ; Lv 26).
Il est permis de penser que les sacrifices offerts en cette circonstance
avaient une signification supplémentaire. Car, dans le cadre de la législa-
tion mosaïque, les sacrifices avaient une valeur expiatoire : les animaux
sacrifiés étaient substitués aux Israélites pour subir à leur place la sanc-
tion de leurs fautes afin que l’adorateur bénéficie du pardon. L’auteur de
l’épître aux Hébreux fait allusion à cette signification (Hé 9.19-22).
Mais cela suppose que le sort des victimes sacrificielles représentait le
sort mérité par les Israélites coupables de transgression de l’alliance. Et,
au vu des coutumes proche-orientales anciennes, on doit au moins consi-
dérer que le rite accompli lors de la conclusion de l’alliance sinaïtique
signifiait qu’en acceptant d’entrer dans l’alliance avec le Seigneur, les
Israélites mettaient leur vie en jeu, et que ce rite représentait le sort que
Dieu leur infligerait en cas de transgression de l’alliance. Cette double
signification s’explique par une certaine dualité au sein du peuple
d’Israël. D’un côté, les Israélites infidèles ont subi à diverses reprises le
jugement du Seigneur pour leurs transgressions de l’alliance. De l’autre,
pour les Israélites repentants, les sacrifices expiatoires annonçaient la
possibilité qu’une victime se substitue à eux pour obtenir leur pardon,
comme l’a compris l’auteur de notre épître.
À la lumière de ces données, on est conduit à rapporter les propos
d’Hébreux 9.16-17, non pas à un testament, mais bien à une alliance. Le
verset 16 se comprend comme un rappel que, pour qu’une alliance soit
conclue, il faut que la mort de celui qui fait alliance soit symboliquement
produite, représentée par la mort d’animaux. Commentant la forme ver-
bale fe,resqai dans ce verset, Westcott écrivait : « Il n’est pas dit que
celui qui fait l’alliance “doit mourir”, mais que sa mort doit être “mise en
avant”, “présentée”, “mise en scène”, “mise en évidence” pour ainsi
dire 12. »

12. WESTCOTT, op. cit., p. 265.

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théologie évangélique, vol. 14, n° 2, 2015

Les corps morts dont il est question au verset 17 sont ceux des ani-
maux sacrifiés : une alliance n’entre en vigueur qu’à la condition qu’il y ait
eu des morts. J.J. Hughes note d’ailleurs que l’expression de notre texte
evpi. nekroi/j, « sur la base de morts » ou « à condition qu’il y ait eu des
morts », est semblable à l’expression evpi. qusi,aij que l’on a dans la ver-
sion grecque du Psaume 50.5, où il est question de ceux qui ont conclu
une alliance par des sacrifices : tou.j diatiqeme,nouj th.n diaqh,khn auvtou/
evpi. qusi,aij (LXX Ps 49.5) 13. On peut encore ajouter que le texte grec
de ce psaume présente un autre point de contact avec notre texte :
l’emploi du verbe diati,qemai, « faire alliance » que l’on retrouve dans la
suite de notre verset 17 14.
Certes, la seconde partie du verset 17 est formulée d’une manière qui
fait immédiatement penser à un testament plutôt qu’à une alliance. Mais
elle reste compréhensible dans le cadre de l’interprétation que nous pro-
posons. Une alliance n’a pas de validité tant que celui qui fait alliance est
vivant dans la symbolique du rituel de conclusion d’alliance ; autrement
dit, tant que sa mort n’a pas été symboliquement représentée par la mise
à mort d’animaux. C’est bien là l’interprétation requise par le contexte
immédiat : à la fois par le début du verset, qui ne parle pas de la mort
d’un testateur mais de morts ou de corps morts au pluriel, donc de la
mort des animaux sacrifiés lors d’une conclusion d’alliance ; et par la
suite aux versets 18-22 où l’auteur, pour appuyer ce qu’il vient de dire
aux versets 16-17, rappelle que l’ancienne alliance n’est pas entrée en
vigueur sans l’aspersion du sang d’animaux sacrifiés.
Dans le Proche-Orient ancien, et dans le cas de l’ancienne alliance, la
mise à mort d’animaux représente la sanction à laquelle s’expose le vassal,
placé par l’alliance sous l’obligation de loyauté envers son suzerain. Ce
point appelle ici une précision : le verbe diati,qemai, « faire alliance », qui
figure dans nos versets 16 et 17, peut prendre pour sujet grammatical le
suzerain qui impose l’alliance à son vassal, ou bien le vassal qui s’engage
par alliance envers son suzerain. En Osée 10.4, par exemple, il est vrai-
semblablement employé pour le royaume nord-israélite qui a conclu
alliance avec l’Assyrie pour se placer sous la protection de cet empire (cf.
Os 12.2). Dans notre texte donc, l’expression « celui qui fait alliance »

13. J.J. HUGHES, op. cit., p. 44.


14. Noté par ibid., p. 40.

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Alliance ou Testament en Hébreux 9.16-17 ?

désigne le vassal dont la mort sanctionnant ses transgressions est symbo-


liquement représentée par la mise à mort d’animaux.
Ainsi, comme pour d’autres alliances, la nouvelle alliance a été
conclue sur la base d’une mort, celle de Christ. La passion de Christ a
cependant une portée différente de la mort des animaux lors des conclu-
sions d’alliance au Proche-Orient ancien et en Israël. Si la mort des ani-
maux sacrifiés annonce et représente simplement la sanction encourue
par le transgresseur, la mort de Christ est l’exécution de la sanction des
transgresseurs : Christ se substitue à ceux qui sont dans l’alliance pour
subir la mort à leur place afin qu’ils n’aient pas à subir eux-mêmes la
sanction. C’est bien ce qui est affirmé au verset 15 : la mort de Christ
délivre des transgressions commises sous la première alliance, c’est-à-
dire qu’elle délivre le transgresseur de l’alliance de la sanction encourue
pour ses transgressions. De la sorte, ce que le rituel de conclusion
d’alliance représentait symboliquement se trouve réellement accompli
par l’œuvre de Christ. Cela s’inscrit dans la logique même de l’argumen-
tation de l’épître : le rituel de l’ancienne alliance n’était qu’une préfigura-
tion de l’œuvre de Christ. Le sort des animaux sacrifiés lors de la
conclusion de l’ancienne alliance représentait le sort mérité par ceux qui
transgresseraient l’alliance et que Christ devait subir à leur place. On
peut donc dire qu’en Christ, la sanction du transgresseur représentée par
la mise à mort d’animaux et la valeur expiatoire du sacrifice fusionnent :
la victime du sacrifice se substitue au transgresseur.
En outre, on ne peut s’empêcher de penser ici à un autre texte de
l’Ancien Testament, qui rapporte l’épisode de la conclusion de l’alliance
par Dieu avec Abraham (Gn 15). Dans cette circonstance, Dieu
demande à Abraham de prendre des animaux. Celui-ci s’exécute, partage
les animaux en deux morceaux et place chaque moitié en vis-à-vis (Gn
15.8-12). Par la suite, un tourbillon de fumée et des flammes de feu,
signes théophaniques signalant la présence divine, passent entre les mor-
ceaux d’animaux (Gn 15.17). De la sorte, Dieu lui-même s’engageait à
prendre sur lui la sanction en cas de transgression de l’alliance. La mort
de Christ qui fonde la nouvelle alliance (Hé 9.15) est au fond l’accom-
plissement de cette vision prophétique.
Nous appréhendons ainsi la cohérence de notre texte. C’est par sa
mort que Christ est devenu le médiateur de la nouvelle alliance (v. 15).
Car une alliance n’est pas conclue sans qu’il y ait appel d’une sanction de

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théologie évangélique, vol. 14, n° 2, 2015

sa transgression éventuelle, et représentation de cette sanction par la


mise à mort d’animaux (v. 16-17). C’est pourquoi l’ancienne alliance a
été inaugurée par la mort d’animaux (v. 18-22). L’auteur raisonne ainsi
dans la mesure où il considère comme une évidence que ses lecteurs ont
tous péché et qu’ils encourent tous la sanction des transgresseurs. Parce
qu’elle a été conclue sur la base de la mort de Christ, la nouvelle alliance
permet au transgresseur de l’ancienne alliance de recevoir le pardon et
d’échapper à la sanction, ce que les sacrifices de l’ancienne alliance ne
pouvaient pas réellement obtenir (9.23-10.10).
Nos conclusions justifient la traduction adoptée dans l’édition révisée
de 2015 de la Bible du Semeur pour les versets 16-17 de notre texte : « En
effet, là où il y a alliance, il est nécessaire que la mort de celui qui conclut
l’alliance soit produite, car une alliance est établie par la mise à mort
d’animaux. Elle n’entre pas en vigueur tant que celui qui la conclut est
encore en vie. » Cette dernière expression doit se comprendre ainsi :
« est encore en vie dans la symbolique de la procédure de conclusion
d’alliance », comme l’indique la note explicative de la Bible du Semeur sur
ce verset.

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