ThEv - 2015 14 2 SRp1 12
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Diaqh,kh,
Alliance ou Testament
en Hébreux 9.16-17 ?
Sylvain Romerowski
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théologie évangélique, vol. 14, n° 2, 2015
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Alliance ou Testament en Hébreux 9.16-17 ?
grecque des Septante l’ont employé pour rendre le mot hébreu berîth qui
désigne une alliance et non pas un testament.
De plus, ce qui fait penser à un testament dans notre texte, c’est l’affir-
mation selon laquelle une diaqh,kh n’entre en vigueur qu’une fois consta-
tée la mort de celui qui fait diaqh,kh. En effet, une alliance est faite pour
régir les relations entre les partenaires qui la concluent pendant leur vie ;
la mort de celui qui conclut alliance n’a donc pas à intervenir pour que
celle-ci entre en vigueur, bien au contraire. Enfin, la mention de la pro-
messe de l’héritage a pu conduire à la pensée d’un testament. Aussi la
majorité des commentateurs se rallie-t-elle à l’interprétation qui consi-
dère que l’auteur fait référence à un testament aux versets 16-17 1. Ainsi,
C. Spicq par exemple écrit :
Grâce à un jeu de mots sur diathèkè signifiant alliance dans les Septante
(v. 15, 18-20) et testament dans le grec profane (v. 16-17), et à la commune
exigence de l’effusion de sang dans l’un et l’autre cas, l’auteur établit que le
Christ devait mourir pour fonder la nouvelle alliance et que les croyants
héritent de ses biens divins 2.
Et il écrit encore par la suite : « Il était donc indispensable que le
Christ mourût pour que son testament soit exécuté 3. »
Cependant, une telle compréhension du texte attribue à l’auteur de
l’épître une confusion entre deux réalités très différentes tour à tour dési-
gnées par le mot diaqh,kh. Peut-on accorder une quelconque validité à un
raisonnement qui tire argument du fait qu’un testament entre en vigueur
seulement après le décès de son auteur pour conclure à la nécessité de la
mort de Christ pour que la nouvelle alliance, qui n’est pas un testament,
soit établie ? En outre, l’idée que nous serions au bénéfice d’un testament
de Dieu ou de Christ qui ne peut prendre effet qu’à la condition de la
mort de Christ ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’Écriture. Loin
d’apparaître comme un testateur dont la mort serait la condition pour
que nous recevions un héritage, Christ est plutôt présenté ailleurs
1. Par exemple, F.F. BRUCE, The Epistle to the Hebrews, Grand Rapids, Eerdmans,
1964, p. 209-214 ; P.E. HUGHES, A Commentary on the Epistle to the Hebrews,
Grand Rapids, Eerdmans, 1977, p. 368-371 ; S. BÉNÉTREAU, L’épître aux Hébreux,
tome 2, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1990, p. 84-87.
2. Ceslas SPICQ, L'épître aux Hébreux, Paris, Gabalda, 1977, p. 156. Voir de même Her-
mann Strathmann, L'épître aux Hébreux, Genève, Labor et Fides, sans date, p. 86.
3. SPICQ, op. cit., p. 157.
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qu’un testateur ait dû mourir pour que les Israélites puissent hériter de
lui le pays de Canaan. C’est donc imputer à l’auteur de l’épître aux
Hébreux une seconde confusion, et une mauvaise connaissance de
l’Ancien Testament, que de considérer que la pensée d’un héritage ait pu
le conduire à prendre l’exemple d’un testament…
La suspicion qui pèse sur la compréhension traditionnelle des versets
16-17 ne peut que s’accroître lorsqu’on considère les versets suivants,
car, pour appuyer l’idée qu’une diaqh,kh n’est valide que lorsqu’il y a eu
mort, l’auteur rappelle que la conclusion de l’ancienne alliance ne s’est
pas faite sans mise à mort d’animaux. Comment ce rappel peut-il justifier
les affirmations des versets 16-17 si le propos de ceux-ci concernait un
testament ?
Enfin, la traduction traditionnelle masque une difficulté supplémen-
taire posée par cette compréhension des versets 16-17. La formulation :
un testament n’entre en vigueur qu’après le décès, puisqu’il n’a pas de validité
tant que le testateur est en vie donne à penser au lecteur qu’il est question
du seul décès de l’auteur du testament. Or le texte grec porte un pluriel
et signifie donc ceci : une diaqh,kh n’entre en vigueur que sur des morts,
c’est-à-dire : à la condition qu’il y ait eu des morts ; ou même, c’est un sens
possible : à la condition qu’il y ait eu des cadavres. Or, dans le cas d’un tes-
tament, seule la mort de son auteur est nécessaire à son entrée en
vigueur. Le fait que l’auteur parle de morts au pluriel indique qu’il ne
pense nullement à un testament. Parmi les commentateurs que nous
avons pu consulter et qui considèrent qu’il est ici question de testament,
certains ne relèvent même pas ce pluriel et la plupart de ceux qui en
notent la présence n’offrent pas d’explication.
De son côté, P. Ellingworth commente :
Le sens est probablement « sur la base de morts » ; c’est-à-dire « lorsque
des gens sont décédés ». Le pluriel est une variante stylistique du singulier
générique diaqe,menoj. Ici, comme au verset 15, il sert à se référer à un état
de choses présentant des implications légales 6…
Cette explication paraît peu satisfaisante : l’auteur parle au verset 17
d’une diaqh,kh au singulier et l’on conçoit mal qu’il dise que celle-ci
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7. Franz DELITZSCH, Commentary on the Epistle to the Hebrews, vol. II, Édimbourg,
T. & T. Clark, 1876, p. 107.
8. Brooke F. WESTCOTT, The Epistle to the Hebrews, Grand Rapids, Eerdmans, 1984,
p. 263-266, 298-302.
9. O. Palmer ROBERTSON, The Christ of the Covenants, Grand Rapids, Baker, 1980,
p. 127-144.
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tion selon laquelle une diaqh,kh n’a pas de validité tant que celui qui la fait
est en vie (v. 17) ?
Un texte du Proche-Orient ancien relatif à une conclusion d’alliance
fournit une information précieuse pour éclairer notre texte. Sur les frag-
ments de trois stèles découverts en 1930 à Sfiré, à 25 km au sud-est
d’Alep, sont inscrits les textes en araméen de trois traités d’alliance datés
du milieu du VIIIe siècle avant notre ère.
Le texte qui nous intéresse ici se trouve sur la première stèle de Sfiré,
sur la face antérieure (A). Les premières lignes présentent l’alliance
comme celle du roi de KTK, Bar-ga’ayah, sans doute un titre signifiant
« fils de majesté », avec Maticel, fils de cAtarsamak, roi d’Arpad, comme
l’alliance des fils et petits-fils de Barga’ayah avec ceux de Maticel, et
comme celle des citoyens de KTK avec ceux d’Arpad, etc. De la ligne 7 à
la ligne 13, un certain nombre de divinités sont prises à témoin de
l’alliance. Puis, à partir de la ligne 14, vient une série de malédictions : les
divinités sont appelées à infliger divers fléaux à Mati c el s’il trahit
Barga’ayah, et à la descendance de Mati c el si elle trahit celle de
Barga’ayah.
De la ligne 35 à la ligne 42, la dernière qui soit conservée, le texte fait
état de rites accompagnant d’autres imprécations, dans les termes sui-
vants :
De même que brûle cette cire-ci dans le feu, qu’ainsi brûlent Arpad et [ses
filles nom]breuses, et que Hadad sème en elles du sel et du cresson, et
qu’on n’en parle plus !
Ce bandit-ci et [cette âme-ci], c’est Maticel et son âme : de même que brûle
cette cire-ci dans le feu, qu’ainsi brûle Ma[ticel dans le f ]eu !
Et de même qu’on brise cet arc et ces flèches-ci, qu’ainsi Anahita et Hadad
brisent [l’arc de Maticel] et l’arc de ses grands !
Et de même qu’est aveuglé l’homme de cire, qu’ainsi soit aveuglé Matice[l] !
[Et de même qu’]est découpé ce veau-ci, qu’ainsi soit découpé Maticel et
soient découpés ses grands !
10. John J. HUGHES, « Hebrews IX 15ff. and Galatians III 15ff. A Study in Covenant
Practice and Procedure », Novum Testamentum XXI/I, 1979, p. 27-66. Aussi G.D.
KILPATRICK, « Diathèkè in Hebrews », ZNW 68/3-4, 1977, p. 263-265.
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[Et de même que sert ce]lui-[ci], qu’ainsi servent les femmes de Maticel et
les femmes de sa descendance et les femmes de [ses] gr[ands] !
[Et de même qu’est enlevée cette femme de cire] et qu’on frappe sur son
visage, qu’ainsi soient enlevées [les femmes de Maticel et…] 11 !
Il apparaît clairement ici que les rites visent à représenter le sort
demandé pour Maticel ou ses descendants dans les imprécations : on
inflige à des maquettes ou statuettes de cire le traitement que l’on évoque
pour la ville d’Arpad et les villages qui en dépendent, pour Maticel, ses
descendants, ses grands, leurs épouses. La ligne 40 nous intéresse parti-
culièrement : un veau est découpé pour symboliser le sort de Maticel et
de ses grands en cas de trahison de leur suzerain. Ainsi, le sort infligé à
des animaux lors d’une cérémonie de conclusion d’alliance symbolise le
châtiment du vassal qui transgresserait l’alliance.
Ceci éclaire la signification du rite accompli lors d’une conclusion
d’alliance à l’époque de Jérémie. Sous le règne de Sédécias, peu avant la
chute de Jérusalem, alors que les armées babyloniennes avaient envahi le
pays, les notables de Juda s’étaient engagés par une alliance à affranchir
leurs esclaves israélites, comme l’ordonnait la loi mosaïque (Jr 34). Au
cours de la cérémonie de conclusion d’alliance, ils avaient coupé un veau
en deux et étaient passés entre les morceaux (Jr 34.18). Comme dans l’ins-
cription de Sfiré, le sort du veau représentait le sort des contractants en
cas de transgression de l’alliance. Quelques temps plus tard, alors que les
armées babyloniennes s’étaient éloignées suite à une intervention égyp-
tienne pour secourir Juda, les notables se sont ravisés et ont repris leurs
esclaves. Jérémie leur annonce donc que Dieu va exécuter la sanction qu’ils
avaient eux-mêmes appelée sur eux en passant entre les morceaux du
veau : il les livrera à leurs ennemis pour les faire périr (Jr 34.19-22).
De même, lors de la conclusion de l’ancienne alliance au mont Sinaï,
des sacrifices d’animaux ont été offerts et Moïse a aspergé le sang des vic-
times sur les Israélites en disant : « Voici le sang de l’alliance que le Sei-
gneur a conclue avec vous… » (Ex 24.5-8). Ce rite d’aspersion avait
11. On trouve le texte original araméen par exemple en F. ROSENTHAL, sous dir., An
Aramaic Handbook, Part I/1, Wiesbaden, Harrassowitz, 1967, p. 3-4. Nous citons
ici la traduction de A. Dupont-Sommer, « Un traité araméen du VIIIe siècle av. J.-
C. », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 102e
année, N. 2, 1958, p. 177-182.
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Les corps morts dont il est question au verset 17 sont ceux des ani-
maux sacrifiés : une alliance n’entre en vigueur qu’à la condition qu’il y ait
eu des morts. J.J. Hughes note d’ailleurs que l’expression de notre texte
evpi. nekroi/j, « sur la base de morts » ou « à condition qu’il y ait eu des
morts », est semblable à l’expression evpi. qusi,aij que l’on a dans la ver-
sion grecque du Psaume 50.5, où il est question de ceux qui ont conclu
une alliance par des sacrifices : tou.j diatiqeme,nouj th.n diaqh,khn auvtou/
evpi. qusi,aij (LXX Ps 49.5) 13. On peut encore ajouter que le texte grec
de ce psaume présente un autre point de contact avec notre texte :
l’emploi du verbe diati,qemai, « faire alliance » que l’on retrouve dans la
suite de notre verset 17 14.
Certes, la seconde partie du verset 17 est formulée d’une manière qui
fait immédiatement penser à un testament plutôt qu’à une alliance. Mais
elle reste compréhensible dans le cadre de l’interprétation que nous pro-
posons. Une alliance n’a pas de validité tant que celui qui fait alliance est
vivant dans la symbolique du rituel de conclusion d’alliance ; autrement
dit, tant que sa mort n’a pas été symboliquement représentée par la mise
à mort d’animaux. C’est bien là l’interprétation requise par le contexte
immédiat : à la fois par le début du verset, qui ne parle pas de la mort
d’un testateur mais de morts ou de corps morts au pluriel, donc de la
mort des animaux sacrifiés lors d’une conclusion d’alliance ; et par la
suite aux versets 18-22 où l’auteur, pour appuyer ce qu’il vient de dire
aux versets 16-17, rappelle que l’ancienne alliance n’est pas entrée en
vigueur sans l’aspersion du sang d’animaux sacrifiés.
Dans le Proche-Orient ancien, et dans le cas de l’ancienne alliance, la
mise à mort d’animaux représente la sanction à laquelle s’expose le vassal,
placé par l’alliance sous l’obligation de loyauté envers son suzerain. Ce
point appelle ici une précision : le verbe diati,qemai, « faire alliance », qui
figure dans nos versets 16 et 17, peut prendre pour sujet grammatical le
suzerain qui impose l’alliance à son vassal, ou bien le vassal qui s’engage
par alliance envers son suzerain. En Osée 10.4, par exemple, il est vrai-
semblablement employé pour le royaume nord-israélite qui a conclu
alliance avec l’Assyrie pour se placer sous la protection de cet empire (cf.
Os 12.2). Dans notre texte donc, l’expression « celui qui fait alliance »
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