Somatisations

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Somatisations
Encyclopédie Pratique de Médecine

Y Sarfati

L a médecine sait depuis Hippocrate (et en dépit de la parenthèse positiviste) que la psychè intervient dans toute
maladie, et que les soins prodigués à un patient, quel qu’il soit, se doivent d’impliquer de pair le corps et
l’esprit. Pourtant, il existe certaines plaintes ou pathologies somatiques qui imposent de mettre l’accent sur la prise en
charge psychologique, voire psychiatrique. Méconnaître la part importante jouée par un trouble psychique dans
certains troubles d’allure organique, c’est prendre le risque de chroniciser la plainte ou de s’égarer dans de nombreux
examens complémentaires longs, coûteux et inutiles.
© Elsevier, Paris.


stratégies à adopter face à des demandes qui et incitent à la prudence. Une étude prospective
Introduction peuvent masquer la nécessité d’une prise en charge britannique a montré que plus de 50 % des patients
psychiatrique. ayant eu un diagnostic de conversion ont
développé, dans les 11 ans qui suivirent, une


Le terme de « somatisation » possède différentes maladie organique en rapport avec le trouble
acceptations, du sens le plus large au sens le plus
Principales étiologies initialement reconnu comme conversif. Une étude
psychiatriques des somatisations américaine a chiffré à plus de 20 % les troubles
restrictif. Les classifications internationales les plus
récentes (DSM IV américain et dixième classification conversifs exigeant une révision diagnostique vers le
‚ Somatisations sans substratum trouble neurologique avéré.
internationale des maladies de l’OMS) ont cherché à
organique
limiter la signification de ce terme en lui assignant
des critères de définition précis. Dans le sens Sont regroupées sous cet intitulé toutes les
plaintes somatiques où, traditionnellement, les
Une erreur grave serait d’étiqueter
restrictif, la somatisation est considérée comme une « conversion » tout trouble somatique
pathologie fonctionnelle, polymorphe et chronique, troubles organiques et/ou biologiques sont absents.
Il n’est cependant pas totalement exclu de retrouver inexpliqué. Le diagnostic de
dénuée de valeur psychique symbolique. Le sens conversion n’est plausible qu’avec un
dans ces pathologies, exceptionnellement, de réels
large est, au contraire, celui utilisé dans l’intitulé de ce
dérèglements somatiques. C’est par exemple le cas contexte en faveur, et si l’anamnèse
chapitre ; la somatisation doit alors être considérée
pour l’hypocondrie (classiquement sans lésion retrouve des premiers antécédents
comme toute plainte somatique pouvant être « mise
organique) qui peut exister alors qu’un authentique conversifs avant 30 ans.
en relation » avec une origine psychologique. Le
problème somatique se pose (hypocondries cum
terme « mise en relation » sous-entend que la plainte
materia). Il est important de toujours garder cette
somatique soit indirectement induite ou ¶ Définition
possibilité à l’esprit avant d’aborder une Le trouble conversif se définit comme un
partiellement causée par des facteurs psychiques,
classification, par définition réductrice, des dysfonctionnement physique dont l’expression ne
avec toute la prudence qu’un tel déterminisme
somatisations avec ou sans substratum organique. coïncide avec aucun territoire anatomique ou
étiopathogénique suppose.
Plusieurs études ont montré que la « tendance à la Trouble conversif mécanisme physiologique connu, et qui ne
somatisation » serait le principal facteur de s’accompagne d’aucune atteinte organique
¶ Épidémiologie
méconnaissance des troubles psychiatriques par les objectivable. Il a été traditionnellement décrit
C’est un trouble extrêmement fréquent : son
médecins omnipraticiens. Les troubles avec comme « une mise en scène au niveau du corps d’un
incidence est estimée à 22 pour 100 000 en
somatisation ne seraient reconnus comme conflit psychique inconscient » ; à ce titre, le trouble
population générale ; sa prévalence peut atteindre
psychiatriques que dans 50 % des cas, contre près conversif se localise sur des organes ayant une forte
25 à 30 % chez des patients hospitalisés en hôpital
de 100 % lorsque le patient se présente direc- représentation symbolique. Le symptôme est
général. Paradoxalement en apparence, sa
tement avec une plainte psychologique. De plus, présumé traduire des conflits affectifs sous-jacents.
fréquence dans une population consultant en
l’association avec une maladie organique Ces conflits, tout comme le mécanisme de
psychiatrie est beaucoup plus faible. Une telle
augmenterait encore la méconnaissance de la part conversion, sont inconscients, et le trouble conversif
différence s’explique par le fait que les patients
psychologique des somatisations, dont la ne peut en aucun cas être considéré comme une
souffrant de troubles conversifs (manifestations
composante psychiatrique n’est alors évoquée que simulation.
exclusivement somatiques) ne vont qu’exceptionnel-
dans un tiers des cas. La fréquence de cette lement chez le psychiatre. C’est chez les ¶ Arguments diagnostiques
« morbidité psychiatrique cachée » impose de garder neurologues, les oto-rhino-laryngologistes, les La première condition, nécessaire mais non
à l’esprit les différents cas de figure où la plainte ophtalmologistes, et bien sûr chez les généralistes,
© Elsevier, Paris

suffisante pour évoquer un trouble conversif, est


somatique n’est que la traduction d’une souffrance que les patients souffrant de conversions consultent l’impossibilité de retrouver un processus
psychique. le plus souvent. physiopathologique connu pour expliquer une
Nous envisagerons dans ce chapitre les différents Les données épidémiologiques suggèrent que le altération physique, en dépit d’investigations
aspects diagnostiques des somatisations et les diagnostic de conversion est souvent porté à l’excès, appropriées. La deuxième condition impose de

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Tableau I. – Arguments diagnostiques en fa- Tableau II. – Troubles conversifs les plus fréquents.
veur du trouble conversif.
Troubles moteurs Mouvements involontaires
Le symptôme est le plus souvent d’allure pseudo- Blépharospasme
neurologique Torticolis
Chutes
Les organes de la vie relationnelle sont plus volon- Paralysies
tiers touchés (organes des sens, membres, organes Aphonie
sexuels) Astasie-abasie
Il existe un retentissement sur la vie sociale, affec- Toubles sensoriels Anesthésie des extrémités ou du milieu des membres
tive et/ou professionnelle Cécité
Il peut exister une indifférence du patient par rap- Vision « en tunnel »
port à son symptôme (« belle indifférence ») Surdité

La « belle indifférence » n’exclut pas une anxiété Troubles viscéraux Vomissements


du patient en lien avec son handicap Diarrhée
Rétention urinaire
Le trouble est le plus souvent transitoire : quelques
heures à quelques jours dans 75 à 90 % des cas
(mais il peut se chroniciser dans 10 à 25 % des
cas)
La suggestibilité du patient est grande et peut suf- Tableau III. – Arguments en faveur du diagnostic de troubles conversifs devant un signe
fire à modifier le symptôme neurologique.
Il existe des antécédents d’autres manifestations du Trouble neurologique Exploration clinique Résultats de l’exploration clinique
même type (une conversion est suivie dans 25 %
des cas par une autre conversion dans les 6 ans) Vision « en tunnel » Champs visuels Modification du champ visuel d’un
examen à l’autre
Les premiers symptômes conversifs apparaissent
avant 30 ans. L’évocation d’un premier trouble Anesthésie Cartographie des dermatomes Le trouble sensoriel ne correspond
conversif chez le sujet âgé est exclue à aucune distribution topographi-
que connue
Il peut exister, mais pas toujours, des traits de per-
sonnalité pathologique Hémianesthésie Sensibilité superficielle et pro- L’anesthésie se localise rigoureu-
fonde du milieu du corps sement sur un hémicorps
La personnalité pathologique la plus fréquente est
la personnalité hystérique (15 à 50 % des cas) Astasie-abasie Faire marcher et danser Capacité à marcher, mais pas à
danser (ou l’inverse)
Anomalies modifiables par la sug-
gestion

réunir un faisceau d’arguments reconnus comme Paralysie du membre supérieur Faire chuter le membre sur le vi- Le membre chute à côté du visage,
sage non sur lui
appartenant à la sémiologie de la conversion. Parmi
ces arguments, certains sont classiques, voire Aphonie Faire tousser Toux normale (les cordes vocales
historiques, mais subjectifs et empiriquement ne sont pas paralysées)
difficiles à mettre en évidence, c’est le cas de la « belle
indifférence », du bénéfice secondaire, de la
symbolisation et des troubles de la sexualité.
D’autres, plus objectifs, ont été repris par les Tableau IV. – Diagnostics différentiels à évoquer devant un trouble neurologique présumé
classifications internationales et figurent dans le conversif.
tableau I. Troubles neurologiques Sclérose en plaques
Chacun de ces arguments pris séparément est Tumeur cérébrale
contributif, mais non pathognomonique ; seule Myasthénie
l’existence de plusieurs d’entre eux plaide en faveur Syndrome de Guillain-Barré
Myopathies
du diagnostic de conversion, dont il ne faudra pas
Manifestations neurologiques du sida
oublier qu’il est un diagnostic d’exclusion souvent Hématome sous-dural
porté à l’excès. Névrite optique
Paralysie périodique
Maladie de Parkinson débutante
Une erreur grave serait de faire un
Troubles psychiatriques Épisode dépressif
lien trop rapide ou une interprétation Syndrome de stress posttraumatique
sauvage entre un événement de vie et Personnalité hystérique
un symptôme. Catatonie
Autres somatisations

Poser le diagnostic de conversion peut exiger


plusieurs heures d’interrogatoire et d’examen. Ce
délai important est souvent rendu nécessaire par sémiologie évoluant avec l’Histoire, et les techniques Pathologie de somatisation
l’intrication de plusieurs facteurs : l’atypicité de la d’exploration. Le tableau III propose, en regard de
symptomatologie, les imprécisions anamnéstiques troubles neurologiques, quelques arguments de ¶ Épidémiologie
et biographiques, la distorsion subjective de la l’examen clinique devant faire évoquer le trouble Plusieurs études basées sur d’importants
symptomatologie (minimisation ou exagération). Le conversif. Le tableau IV résume les principaux échantillons estiment la prévalence de la pathologie
tableau II fait figurer les troubles conversifs les plus diagnostics différentiels à évoquer devant un trouble de somatisation à environ 1 pour 1 000 en
fréquemment rencontrés de nos jours, cette conversif neurologique présumé. population générale. Ce chiffre est multiplié par 50

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(5 %) si l’on se réfère à la population consultant en


médecine de ville. Cette variation s’explique Tableau V. – Plaintes somatiques évoquant une pathologie de somatisation.
logiquement par une concentration des patients Type de trouble invoqué Exemples
présentant ce type de trouble dans les cabinets
médicaux, puisque l’expression somatique Au moins quatre signes douloureux Céphalées
Douleurs dorsales
plurisympomatique incite les patients à consulter Douleurs articulaires
presque exclusivement les médecins généralistes ou Douleurs prémenstruelles
internistes. Les pathologies de somatisation Douleurs urinaires...
représentent 2,2 % des admissions à l’hôpital
Au moins deux symptômes gastro-intestinaux Nausées
général. Diarrhée
Vomissements
¶ Définition Intolérances alimentaires...
La somatisation, au sens strict désormais adopté
par la communauté psychiatrique internationale, se Au moins un symptôme appartenant à la sphère gé- Manque de désir
nitale Trouble de l’excitation
définit comme des plaintes somatiques multiples,
Trouble de l’orgasme
chroniques et/ou récurrentes, requérant une prise en Ménorragie...
charge médicale, mais sans pathologie organique
sous-jacente mise en évidence. Les symptômes ne Au moins un symptôme pseudoneurologique Troubles neurologiques de type conversif (tableau II)
doivent pas être explicables par un trouble médical,
et les conséquences des plaintes somatiques doivent
paraître excessives au regard du handicap Tableau VI. – Diagnostic différentiel de la névrose hystérique et de la névrose hypocondriaque.
objectivement mis en évidence par l’examen
Névrose hystérique Névrose hypocondriaque
clinique et les explorations complémentaires. La
pathologie de somatisation a pu être définie comme Attire l’attention Organes invisibles
Se montre Se cache
un syndrome plurisymptomatique de conversion
(qui serait alors un syndrome monosymptomatique). Théâtral Non théâtral

¶ Arguments diagnostiques Corps mis en jeu Corps « disséqué »


Les points communs entre somatisation et Méconnaissance de la représentation anatomique Bonnes connaissances anatomiques et médicales
pathologie conversive sont historiques, nombreux et
touchent à tous les domaines : l’âge de début (avant Pas de langage médical Langage médical
30 ans), le terrain (personnalité pathologique Symbolisme des symptômes Absence de symbolisme
volontiers hystérique, mais également psychopa-
Inattention pour le symptôme « belle indifférence » Attention concentrée sur les troubles
thique), le sex-ratio (un homme pour quatre à cinq
femmes), les modalités évolutives (rémissions Relation au médecin personnalisée Recherche d’un thérapeute de qualité
spontanées, fluctuations et récidives), le handicap Demande volontiers érotisée Demande revandiquante et agressive
(social, affectif, professionnel), et les facteurs
Mobilité de la symptomatologie Fixité de la symptomatologie
psychologiques associés.
Aujourd’hui, les critères requis pour poser le Invalidité inconstante, temporaire, intermittente Invalidité fréquente et durable
diagnostic de pathologie de somatisation sont
codifiés et impliquent la coexistence d’au moins
ruptures (séparations, divorces, instabilité somatisation, l’examen médical clinique et
quatre plaintes somatiques différentes, ainsi que le
professionnelle, mais également changements de paraclinique ne retrouve aucune anomalie
montre le tableau V. Il est important de préciser que
médecins) est un des traits de personnalité somatique. On considère traditionnellement (sans
les symptômes recensés dans ce tableau n’ont pas
fréquemment rencontrés. qu’aucune étude contrôlée vienne confirmer ces
besoin d’être considérés comme légitimes par le
chiffres) que 50 % des hypocondriaques ont une
clinicien pour entrer en ligne de compte dans le Hypocondrie évolution péjorative chronique, tandis que 50 %
diagnostic : le seul fait d’être rapportés par le patient
¶ Épidémiologie peuvent espérer une rémission de leur trouble.
suffit. En revanche, on considère qu’au moins un des
symptômes doit avoir débuté avant 30 ans. La prévalence du trouble hypocondriaque a été
Un argument diagnostique de poids est le vécu
estimée, sur 6 mois, à 4 à 6 % de la population ¶ Arguments diagnostiques
consultant un médecin, généralistes et spécialistes L’hypocondrie est un trouble évoluant de façon
subjectif du sujet : les patients souffrant de
confondus. La distribution du trouble est comparable chronique continue (sur plusieurs années) ou
somatisations ont tendance à se considérer
entre hommes et femmes, et ne répond à aucune intermittente (rechutes de quelques mois avec
eux-mêmes comme sévèrement malades, plus que
caractéristique sociodémographique. L’âge intervalles libres). On retrouve fréquemment un
ne le font les patients souffrant de pathologies
d’apparition du trouble est également extrêmement début soudain que le patient peut décrire et dater.
somatiques graves et/ou chroniques. Par contraste,
variable. Un niveau socio-économique élevé, l’absence de
les études montrent que la mortalité des patients
souffrant de somatisation est identique à celle de la ¶ Définition troubles de la personnalité et de trouble organique
population générale. L’hypocondrie se définit comme la préoccupation sont classiques, de même qu’une faible aptitude à
Les patients présentant une pathologie de et la croyance de souffrir d’une maladie grave. La l’introspection. Le retentissement social, affectif et
somatisation sont classiquement grands conviction est forte mais n’a pas, néanmoins, familial est variable.
consommateurs de soins, d’abord en raison de la l’intensité d’une croyance délirante : le patient est Le principal diagnostic différentiel de
multiplicité des investigations et des traitements sensible, même transitoirement, à la réassurance l’hypocondrie est le trouble conversif. Le tableau VI
requis par le caractère plurisymptomatique du que lui apporte son médecin. Cette conviction d’être résume schématiquement les points opposant ces
syndrome, ensuite parce qu’il existe chez ces malade repose sur la perception de sensations deux entités qui diffèrent autant par leurs
patients une tendance à se montrer réfractaires aux physiques réelles, mais qui sont interprétées, à tort, caractéristiques symptomatiques propres que par les
conseils modérateurs de leur thérapeute, enfin parce comme des signes de dysfonctionnement traits de personnalités sous-jacents et l’attitude face à
que le parcours biographique marqué par les organique. Tout comme dans la conversion et la la maladie et au médecin.

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Ce dernier point mérite quelques précisions. Il mentir. Il peut éventuellement reconnaître sa


n’est pas rare de retrouver chez le patient supercherie. La simulation se reconnaît grâce à la Tableau VII. – Maladies considérées comme
« psychosomatiques ».
hypocondriaque une animosité envers deux types connaissance du contexte (obtenir un bénéfice direct
de praticiens : d’une part le psychiatre, qu’il se refuse et concret) plutôt qu’à la connaissance de la Hypertension artérielle
en général à consulter, d’autre part le premier psychologie du malade.
Coronaropathie, infarctus du myocarde
médecin rencontré au début de la maladie, qui peut
être diversement accusé d’être incapable (n’avoir Trouble de l’image corporelle Asthme bronchique
« pas su agir à temps »), voire responsable. L’attitude Il s’agit d’un trouble au cours duquel le sujet se Pathologies cancéreuses
hypocondriaque peut alors confiner au délire de plaint d’une altération qualitative de son corps ou
revendication, avec démarches procédurières et d’un sentiment de malaise ou de dégoût que
Ulcère gastroduodénal
demandes de réparation ; c’est le cas dans la procurent certains aspects de celui-ci. Traditionnel- Constipation chronique
sinistrose délirante, délire de type paranoïaque. lement, ces plaintes surviennent en dépit d’une
Allergies
apparence physique normale, et si un défaut
Dépression masquée physique existe, le malaise qu’il procure au sujet est Affections dermatologiques
¶ Épidémiologie disproportionné. Il est rare que ce trouble soit isolé, Rectocolite hémorragique
Même si les données épidémiologiques sont et il doit être alors replacé dans un cadre
Processus auto-immuns
imprécises, la dépression masquée peut être psychiatrique plus large.
considérée comme une forme rare de dépression, de ■ Le début de schizophrénie, où le sentiment de
diagnostic difficile. transformation corporelle prend l’allure de
mais des circonstances déclenchantes. La difficulté
préoccupations angoissantes. La dysmorphophobie
¶ Définition schizophrénique se manifeste traditionnellement par
diagnostique vient du fait que ces facteurs
La dépression masquée est une dépression déclenchants peuvent être parfois minimes, n’avoir
l’impression subjective d’une modification du visage,
atypique, où les signes classiques de dépression sont aucune spécificité, ou rester inapparents. Le terrain
du nez ou de l’éclat du regard ; la plainte a souvent
au second plan, voire absents, et masqués par une anxieux, les antécédents, les manifestations
un caractère bizarre. Il s’agit d’un signe classique
symptomatologie somatique prédominante. associées d’angoisse et la réponse aux traitements
mais rare qui ne suffit jamais isolément à faire le
peuvent alors aider au diagnostic.
¶ Arguments diagnostiques diagnostic. Il ne doit pas être confondu avec la
Il s’agit le plus souvent de douleurs atypiques, simple anxiété de maturation morphologique des ‚ Somatisations
fixes et persistantes. Elles ont généralement fait adolescents, beaucoup plus anodine et fréquente. avec substratum organique
l’objet de nombreuses explorations fonctionnelles ■ Les états névrotiques (hystérie, évitement
qui se sont toutes révélées négatives. Ces douleurs phobique, trouble obsessionnel compulsif), où le Trouble psychosomatique
peuvent être accompagnées éventuellement de trouble de l’image corporelle est lié à une
¶ Définition
signes traditionnels de dépression, mais leur absence insatisfaction subjective pathologique à propos
On parle de maladie « psychosomatique » lorsqu’il
complète n’élimine pas le diagnostic, tout en le d’une partie du corps. La demande de chirurgie
existe des altérations organiques ou biologiques
rendant plus difficile. Quand ils sont présents, ces esthétique est fréquente dans ce cas, avec la
objectivables cliniquement ou par les examens
signes dépressifs sont minimes, incomplets, ou croyance quasi magique que la correction
complémentaires, ces altérations tirant une partie de
peuvent être niés par le patient refusant d’admettre chirurgicale de ce qui est ressenti comme un défaut
leurs origines du psychisme. C’est le cas, par
le caractère psychogène d’une douleur bien va modifier la vie du sujet (amour, chance, travail).
exemple, de l’ulcère gastrique.
physique. Un interrogatoire précis doit pouvoir On a pu estimer que 2 % de la clientèle des
Néanmoins, on peut admettre comme
mettre en évidence des arguments indirects en chirurgiens plasticiens présentaient un trouble de
psychosomatiques des manifestations fonctionnelles
faveur d’un trouble thymique : antécédents l’image corporelle.
ne reposant sur aucune lésion organique ou
personnels et familiaux de troubles de l’humeur plus ■ L’anorexie mentale, où le trouble de l’image
biologique sous-jacente, mais ayant, elles aussi, un
typiques, caractère cyclique en fonction des saisons corporelle se traduit par le sentiment « d’être trop
déterminisme psychologique important. C’est le cas,
(récurrence au printemps, à l’automne) et du gros » et justifie les troubles des conduites
par exemple, de certains troubles du transit.
nycthémère (fluctuations au cours de la journée). alimentaires.
Une fois qu’il est installé, le trouble physique
Les atteintes dont se plaint le patient concernent ■ Le syndrome dépressif peut s’accompagner de
évolue pour son propre compte, indépendamment
volontiers les sphères digestive et cardiorespiratoire. critiques à propos de son propre aspect physique, à
des facteurs psychologiques qui ont été à son
Sont également classiques les algies localisées, replacer dans un contexte d’autoaccusations et de
origine.
rebelles, telles que lombalgies, dorsalgies, sentiments d’indignité.
glossodynies et acouphènes. Parfois, une asthénie ■ Les sujets présentant une personnalité border ¶ Reconnaître les pathologies psychosomatiques
résume le tableau. line peuvent entretenir des rapports ambigus à Il est important de pouvoir reconnaître les
Un des meilleurs arguments diagnostiques reste l’égard de leur aspect physique, pouvant aller jusqu’à pathologies psychosomatiques afin d’améliorer leur
le test thérapeutique : les plaintes somatiques des maltraitances auto-infligées (brûlures de prise en charge. En effet, il a été prouvé que
accompagnant une dépression masquée restent cigarettes, scarifications...). l’appréhension globale d’une maladie psychosoma-
rebelles aux antalgiques classiques et disparaissent tique, prenant en compte la composante psychique,
après l’instauration d’un traitement antidépresseur. Expression somatique de l’angoisse permettait de mieux comprendre la maladie. Cette
L’anxiété, surtout dans ses manifestations aiguës appréhension globale permet d’optimiser l’efficacité
Simulation (attaques de panique), peut s’accompagner de des traitements symptomatiques, d’améliorer le
Dans la simulation, le patient contrôle ou mime manifestations neurovégétatives (dyspnée, troubles pronostic et de réduire les rechutes. Cette prise en
volontairement un symptôme, avec l’idée d’obtenir du transit, tachycardie, manifestations musculaires, charge globale se doit d’être la plus précoce possible,
un avantage matériel que l’on doit pouvoir mettre à etc). C’est la classique « crise de spasmophilie ». Ces car la pathologie somatique devient de plus en plus
jour. Le symptôme est utilisé pour parvenir à un manifestations peuvent être au premier plan et indépendante des facteurs psychiques avec le temps
objectif que l’interrogatoire soigneux doit chercher à suffisamment inquiéter le sujet pour l’amener à et son évolution propre.
repérer : arrêt de travail, suspencion de poursuites consulter (souvent dans le cas d’un premier épisode, Plusieurs maladies sont classiquement reconnues
judiciaires, réforme vis-à-vis de l’armée, etc. Il n’existe de la répétition des crises, ou après un accès comme psychosomatiques. Elles figurent dans le
pas de lésion organique, mais le patient « fait comme paroxystique particulièrement intense). Il n’existe pas tableau VII. Ce tableau est bien entendu
si » il était souffrant, tout en étant conscient de de lésion organique expliquant ces symptômes, schématique et ne doit pas réduire l’enquête à la

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Tableau VIII. – Profils de personnalité prédisposant aux pathologies psychosomatiques.

Profils de vulnérabilité et/ou de résistance Principales caractéristiques Risque accru


Alexithymie Diffıculté à identifier ses émotions Pathologies somatiques diverses par rapport à un
Diffıculté à parler de son vécu affectif groupe contrôle « névrosé »
Profil de type A Sentiment de l’urgence du temps Coronaropathie
Compétitivité et surenchère dans les performances Infarctus du myocarde
(notamment professionnelles)
Intolérance à la frustration
Profil de type C Soumission Pathologie cancéreuse
Esprit de conciliation poussé « à l’extrême », répres- Pathologie dysimmunitaire
sion de l’agressivité
Recherche de l’estime d’autrui
Tempérament à risques Prises de toxiques Tolérance au stress
Pratiques de sports dangereux
Prise de risques en conduite automobile
Indépendance, non conformisme

Tableau IX. – Les événements de vie facteurs Tableau X. – Arguments diagnostiques des pathomimies les plus fréquentes.
de risque des pathologies psychosomatiques.
Pathomimie Arguments diagnostiques
Le stress de manière générale, association entre
une demande forte et une marge décisionnelle limi- Anémie par saignements (Lasthénie de Ferjol) Anémie ferriprive
tée Nombreux prélèvements sanguins
Créations de lésions hémorragiques
Les changements en général (déracinement cultu-
rel, déménagement, modification des habitudes Fièvre inexpliquée Manipulation d’un (ou plusieurs) thermomètres
socioprofessionnelles) Auto-inoculation de substances pyrogènes

L’éclatement du réseau relationnel Pathomimies cutanées Brûlures par le feu ou par produits caustiques
Création d’abscès superficiels
Troubles métaboliques inexpliqués Hypoglycémies par injection d’insuline
recherche de facteurs de vulnérabilité psychosoma- Hyperthyroïdies par prise d’hormones thyroïdiennes
tique aux seules maladies qui y figurent. Urgences abdominales aiguës, hémorragiques ou Nombreuses interventions chirurgicales antérieures
Il est important également de ne pas oublier de pseudo-neurologiques (syndrome de Münchhausen) (cicatrices de laparotomies, trous de trépan)
rechercher une pathologie psychiatrique avérée
(comme une dépression) qui peut être associée à
une pathologie psychosomatique. également, aujourd’hui, des échelles et des motivations échappent presque totalement à la
questionnaires qui permettent de cerner au mieux conscience du sujet. Ce qui est recherché, c’est « le
¶ Repérer les facteurs de vulnérabilité les profils de personnalité et les événements de vie, rôle de malade » et la satisfaction régressive que
à une pathologie psychosomatique afin de pouvoir repérer et ainsi avoir une action procure la prise en charge médicale, éventuellement
Repérer les pathologies psychosomatiques n’est thérapeutique sur le plus grand nombre de ces hospitalière.
pas tout. Il est important de rechercher les facteurs facteurs. L’utilisation de ces échelles et
psychologiques dits « de vulnérabilité ». Ces facteurs questionnaires n’est pas de pratique courante ; ils ¶ Arguments diagnostiques
prédisposent au développement d’une maladie sont surtout utilisés par les thérapeutes spécialisés Il existe une certaine passion, chez le pathomime,
psychosomatique. De nombreuses recherches ont dans la prise en charge des « patients à être malade. On a pu assimiler la pathomimie à un
tenté de les définir au mieux. Certains de ces facteurs psychosomatiques ». plaisir masochiste, entièrement tourné vers la
de vulnérabilité sont maintenant bien reconnus,
Néanmoins, les modes de fonctionnement décrits soumission aux examens complémentaires, aux
d’autres régulièrement remis en cause.
plus haut sont loin d’être toujours retrouvés chez les investigations, voire aux interventions chirurgicales.
Parmi ces facteurs de vulnérabilité, il existe patients psychosomatiques. L’activité du sujet peut n’être consacrée qu’à cette
certains profils de personnalité qui prédisposent (ou
seule passion.
au contraire, protègent) au développement de Pathomimie
pathologies psychosomatiques. Les profils les moins La fascination exercée par la médecine explique
discutables figurent dans le tableau VIII. ¶ Épidémiologie que les pathomimes soient souvent très rompus au
Un chiffre est difficile à avancer, compte tenu de la fonctionnement médical, soit qu’ils aient opté pour
Les autres facteurs de vulnérabilité classiques sont
relative rareté de ce trouble et du caractère une profession apparentée à la médecine, soit qu’ils
des événements de vie, regroupés dans le tableau
insaisissable des sujets présentant une pathomimie aient acquis leur culture médicale à force de
IX. Il est très important de noter que des événements
(une fois « découverts », ils changent de médecin, de fréquenter les hôpitaux et les médecins.
de vie mineurs de la vie quotidienne pouvant
circuit de soins). Néanmoins, on a pu estimer que On retrouve classiquement : une absence de
paraître anodins sont surtout incriminés. Souvent en
10 % des fièvres inexpliquées de l’adulte étaient à motif apparent (contrairement à la simulation), des
raison de leur chronicité, ils ont des effets plus
mettre sur le compte d’une pathomimie. mensonges pathologiques portant sur les
toxiques que les événements de vie majeurs et
dramatiques. Les événements mineurs font le lit de ¶ Définition antécédents médicochirurgicaux, les circonstances
la maladie, tandis que les événements majeurs La pathomimie est également appelée « maladie de leur prise en charge, plusieurs hospitalisations,
jouent plus volontiers un rôle de facteur factice ». Le sujet se provoque des lésions physiques parfois conclues par des sorties contre avis médical.
déclenchant. ou organiques par divers moyens, qui peuvent être Le refus de reconnaître la pathologie comme
Pour mettre en évidence ces facteurs de éventuellement violents, tout en dissimulant au psychiatrique est total de la part de ces patients.
vulnérabilité ou de risque, l’interrogatoire, temps corps médical les gestes à l’origine de ces lésions. Le tableau X résume les pathomimies les plus
d’évaluation clinique privilégié, est capital. Il existe Ces gestes sont faits volontairement, mais les classiquement rencontrées.

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Manifestations somatiques ‚ Savoir mettre des limites – le statut du malade par rapport à son trouble et
des dérèglements de l’humeur au bilan somatique, particulièrement ses principaux traits de caractère.
Il existe dans la dépression, tout comme dans la aux examens complémentaires Une des principales difficultés rencontrées réside
manie, un retentissement somatique variable, mais dans le fait que le patient peut ne pas collaborer
Dans tous les cas, il sera bien évidemment
classique (à ne pas confondre, donc, avec les plaintes avec son médecin, soit en oubliant (inconsciem-
important de réaliser un bilan somatique le plus
somatiques atypiques des dépressions masquées). ment), soit en refusant (consciemment) de lui
complet possible en fonction du contexte, et en
Cette composante somatique est importante à communiquer certains éléments diagnostiques
cherchant à trouver un substrat anatomique à la
rechercher puisque le retentissement somatique fait importants. De plus, la description subjective de la
plainte du malade. Dans cette logique, deux écueils
partie des troubles « objectifs » que le praticien peut plainte peut faire l’objet d’une distorsion qui la
sont à éviter.
évaluer et chiffrer au cours de l’évolution de la dénature ou la rend atypique (minimisation ou
■ Multiplier à outrance les bilans et examens
maladie. majoration des troubles ressentis). L’interrogatoire de
complémentaires et les consultations de spécialistes
■ Dans la dépression, il s’agit classiquement l’entourage et l’évaluation indirecte du
devant une plainte somatique, en cherchant « à tout
d’une insomnie avec hyporexie et amaigrissement. retentissement du trouble somatique allégué
prix » à découvrir une anomalie objective alors qu’il
Tous les stades peuvent se rencontrer : la perte de (handicap social, retentissement professionnel ou
serait raisonnable de conclure qu’elle est du registre
poids peut être insensible ou atteindre 20 familial) peuvent être alors des indices précieux de la
psychiatrique. nature, de l’ampleur et de l’évolution de la
kilogrammes. Les manifestations inverses sont aussi
■ Négliger les plaintes somatiques de patients somatisation.
retrouvées : hypersomnie et prise de poids. La
connus pour être « psychiatriques », ne pas donner
constipation est également fréquente, de même que
foi à leurs demandes et éviter de plus amples
l’impuissance.
■ Dans la manie, c’est l’insomnie qui prévaut. investigations sous couvert d’antécédents de Dès qu’une suspicion de somatisation
L’existence d’une déshydratation par diminution des troubles mentaux. est évoquée, l’interrogatoire devient la
apports hydriques et par hyperactivité n’est pas rare. Il est moins grave de s’exposer au renforcement donnée essentielle au diagnostic. Il est
Elle peut être suffisamment sévère pour entraîner d’un symptôme psychiatrique que de passer à côté souvent difficile en raison du flou
une fièvre, voire, dans des cas rarissimes, la mort. d’une maladie organique. biographique, des omissions et des
réticences à évoquer les
symptomatologies passées.


Points clés de la démarche
diagnostique

‚ Distinguer les somatisations


La discordance entre la plainte
somatique et les simples données
physiques objectives doit faire évoquer
une somatisation, sans pour autant
avec ou sans lésions organiques jeter le discrédit sur la souffrance du
malade. ‚ Prendre en compte les facteurs culturels
Ainsi que la présentation de ce chapitre l’a
suggéré, il faut distinguer deux formes de Il est indispensable de tenir compte du contexte
somatisations : culturel pour éviter d’évoquer par excès (ou au
– les somatisations sans lésion organique contraire, par défaut) une somatisation. Les migrants,
‚ Redonner toute sa valeur
retrouvée, ni cliniquement, ni par les examens à l’interrogatoire notamment les sujets maghrébins, ont tendance à
complémentaires, et où la responsabilité psychique traduire à travers leur corps les difficultés
de la plainte ne peut être envisagée que comme Dans toute suspicion de somatisation, psychologiques qu’ils peuvent rencontrer. Chez ces
diagnostic d’élimination. C’est particulièrement le cas l’interrogatoire précis du patient joue un rôle sujets, l’expression de la dépression est atypique
pour les plus fréquemment rencontrées en considérable et doit faire gagner du temps en évitant selon nos critères occidentaux, et essentiellement
médecine de ville : la conversion hystérique, la la multiplication des examens complémentaires. Il physique.
pathologie de somatisation au sens étroit et doit pouvoir permettre de déterminer : Les études internationales ont pu montrer que
l’hypocondrie ; – l’existence d’antécédents du même type ; cette tendance à exprimer l’anxiété ou la dépression
– les somatisations avec lésion organique – l’existence d’antécédents, de traitement ou de sous la forme d’une souffrance physique se
objective, mais où les difficultés psychiques jouent prise en charge psychiatriques ; retrouvait avec constance chez certains peuples ou
un rôle important dans la survenue et la – l’existence d’événements de vie concomitants dans certaines cultures : Nord-Africains, déjà cités,
pérennisation du trouble. C’est surtout le cas des jouant le rôle de facteurs déclenchants ou Latino-Américains, peuples d’Afrique noire et du
pathologies psychosomatiques. précipitants ; Sud-Est asiatique.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Somatisations. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0120, 1998, 6 p

Références

[1] Besançon C, Lacour C. Pathologies psychosomatiques. In : Senon JL, Sechter [4] Jeammet P, Reynaud M, Consoli S. Psychologie médicale. Paris : Masson,
D, Richard D eds. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Hermann, 1995 : 685-691 1996

[2] Dantzer R. L’illusion psychosomatique. Paris : Odile Jacob, 1990

[3] Ford CV. The somatizing disorders. Illness as a way of life. New York :
Elsevier Biomedical, 1983

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