Communication Et Influence

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Communication

& Influence
N°65 - Mai 2015

Quand la réflexion accompagne l’action

Les mille facettes de l'influence :


le décryptage
de Ludovic François et Romain Zerbib

Ludovic François et Romain Zerbib,


docteurs en sciences de gestion et
respectivement professeur affilié à
HEC Paris et professeur au groupe
Pourquoi Comes ?
IGS, viennent de diriger Influentia,
En latin, comes signifie compagnon un gros travail dédié au décryptage
de voyage, associé, pédagogue, des stratégies d'influence (éditions
personne de l’escorte. Société créée
en 1999, installée à Paris, Toronto Lavauzelle), nourri par de nombreuses
et São Paulo, Comes publie chaque contributions d'experts - dont quelques
mois Communication & Influence.
grandes signatures d'outre-Atlantique
Plate-forme de réflexion, ce vecteur
électronique s’efforce d’ouvrir comme Joseph Nye ou Noam Chomsky.
des perspectives innovantes, à la
confluence des problématiques Dans l'entretien qu'ils ont accordé à
de communication classique et Bruno Racouchot, directeur de Comes
de la mise en œuvre des stratégies
d’influence. Un tel outil s’adresse Communication, Ludovic François et
prioritairement aux managers en Romain Zerbib expliquent que, si l'in-
charge de la stratégie générale
fluence n'est pas toujours intention- de ressources informationnelles et une
de l’entreprise, ainsi qu’aux
communicants soucieux d’ouvrir de nelle, les processus d'influence sont mobilisation de vecteurs visant à orien-
nouvelles pistes d’action. eux, en revanche, souvent instrumen- ter les attitudes et les comportements
Être crédible exige de dire
talisés. D'où leur approche des straté- d'individus ou de publics en agissant
clairement où l’on va, de le faire gies d'influence comme une allocation sur leurs perceptions.
savoir et de donner des repères.
Les intérêts qui conditionnent les
rivalités économiques d’aujourd’hui
ne reposent pas seulement sur des
paramètres d’ordre commercial
ou financier. Ils doivent également
intégrer des variables culturelles, Influentia constitue un gros travail de quelle manière "vendre" une guerre à un
sociétales, bref des idées et des réflexion sur le concept d'influence, qui public ou dégrader l'image de l'adversaire).
représentations du monde. C’est
rassemble de nombreuses et prestigieuses Pour décliner la palette complète de toutes
à ce carrefour entre élaboration
des stratégies d’influence et contributions. Quel était le but poursuivi ? les formes que peut prendre l'influence
prise en compte des enjeux de la Nous avons souhaité présenter une dans les activités humaines, nous sommes
compétition économique que se approche globale de l'influence, en ainsi allés à la rencontre de très nombreux
déploie la démarche stratégique disséquant les mécanismes qui en douceur praticiens et théoriciens, français et
proposée par Comes. étrangers, notamment de grandes figures
et souvent subrepticement, vont interagir
et aboutir à modifier une réflexion et d'outre-Atlantique qui ont donné corps
surtout un comportement. Et ce aussi au concept de soft power [ndlr : voir les
bien sur le plan économique (comment citations en p. 3 et 4].
convaincre une cible d'acheter un produit) En préambule, il nous a d'abord fallu
que politique (de quelle façon faire évoluer rappeler ce qu'était l'influence dans ses
un électorat dans son vote) ou militaire (de différentes acceptions. Être sous influence
www.comes-communication.com
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ENTRETIEN AVEC LUDOVIC FRANCOIS ET ROMAIN ZERBIB

apparaît d'emblée comme quelque chose de négatif. confrontent en flux continus des argumentaires, des
Est-ce perdre son libre-arbitre sous le fait d'influences images, des idées "pour" ou "contre", avec plus ou moins de
extérieures  ? Est-ce laisser libre-cours à une fascination fondement, plus ou moins de consistance, plus ou moins
pour ce que nous souhaiterions être, par exemple un artiste de bonheur. Nos sens, notre raison, sont en permanence
ou un "people" ? Est-ce positif ? Négatif ? Dès lors, comment sollicités pour faire le tri entre ce qui nous est proposé et
établir un distinguo entre influence, conviction, séduction, ce que nous estimons opportun de penser. Mais, sans que
désinformation, manipulation… ? De fait, l'influence nous nous n'en ayons le plus souvent conscience, vont se mettre
apparaît comme un processus éminemment complexe. en place des processus pernicieux, qui nous interdisent
Son champ est celui des relations mentalement de penser en toute liberté.
Tirant leur toute- interpersonnelles, que l'on En effet, l'immense majorité des messages émis le sont
puissance des ressources envisage ici le cas des personnes sur un mode binaire : il y a ce qui est "bien", (ce que l'on
de l'immatériel (idées, physiques ou des personnes nous incite à penser) et ce qui est mal (qui nous situe de
morales. Ce que l'on constate,
codes, croyances, c'est que l'influence s'impose
facto hors du champ du débat). Petit à petit, le risque est
ainsi de se placer en douceur sous la férule de ce que nous
représentations...), les comme une interaction sur le appellerions la "bien-pensance", qui exclut en réalité le
jeux d'influence en processus de décision qui a pour débat, l'exercice de cette rhétorique qui constitue pourtant
viennent à avoir une résultat, tangible ou escompté, une le fondement même de la société démocratique. Sinon,
modification des intentions. C'est gare aux foudres médiatiques ! L'incapacité de notre pays à
action très concrète là indéniablement un processus se réformer en profondeur s'explique en partie par ce refus
dans le monde réel. complexe à appréhender, car diffus du réel et cette tendance à se réfugier sur un mode irénique
et sujet à de multiples interactions, dans des limbes idéologiques déconnectés du quotidien.
qui joue en outre sur différentes échelles de temps et sur Nous sommes plongés là dans le gouvernement de
d'innombrables registres comportementaux. Ce jeu, déjà l’invisible que décrivait Bernays et qui aboutit à une
initialement compliqué, a été rendu encore plus complexe insidieuse uniformisation de la pensée, pour pénétrer les
avec l'explosion du numérique et du phénomène "tous esprits et codifier les croyances et les valeurs. Gardons
médias". On en arrive ainsi à ce paradoxe que tirant leur d'ailleurs toujours à l'esprit qu'à l’origine le mot influence
toute-puissance des ressources de l'immatériel (idées, vient du latin influentia et désigne "une action attribuée
codes, croyances, représentations…), les jeux d'influence aux astres sur la destinée des hommes", présentée comme
en viennent à avoir une action très concrète dans le monde une sorte d’écoulement invisible pénétrant en douceur les
réel, en annihilant, neutralisant ou favorisant telle ou telle esprits afin d'orienter les décisions et in fine modifier les
position. comportements.

A vous lire, il semblerait que Vous avez accordé dans votre ouvrage une large place aux
Trois facteurs sont l'influence soit consubstantielle à stratégies d'influence. Pourquoi ?
déterminants pour la nature même de la société de
Avoir une influence n'est pas toujours intentionnel, mais
l'information dans laquelle nous
assurer l'efficacité de la vivons…
il arrive en revanche bien souvent que les processus
démarche d'influence : Au sein de nos sociétés
d'influence soient instrumentalisés. Joseph Samuel Nye,
père du concept de soft power – qui nous a fait l'honneur de
le système de règles toujours plus interconnectées nous accorder une tribune dans l'ouvrage – aime à rappeler
institutionnelles, et surmédiatisées, l'influence que le but de cette politique est de "séduire et persuader",
le mimétisme et la s'impose comme un concept, une autrement dit cibler les cœurs et les esprits, afin d'influer sur
méthode, un outil du quotidien les comportements, les rendre favorables sans avoir recours
quête de légitimité. pour toutes les organisations, à des moyens coercitifs, relevant eux du hard power. C'est
privées ou publiques, civiles ou cette dimension intentionnelle de l'influence que nous
militaires. Tous, nous nous trouvons sans relâche assaillis de avons choisi de privilégier dans notre ouvrage. Dans cette
signaux et messages qui visent à orienter nos perceptions, perspective, nous définissons les stratégies d'influence
donc nos réflexions et nos comportements. Ces signaux comme une allocation de ressources informationnelles et
et messages ne sont ni fortuits ni anodins, ils sont pour une mobilisation de vecteurs visant à orienter les attitudes
l'essentiel formatés et prémâchés par les professionnels et les comportements d'individus ou de publics en agissant
de la communication et de l'information qui nous placent sur leur perception.
de facto sous influence. La question n'est pas ici de porter
De fait, une stratégie d'influence va se construire en
un jugement de valeur mais de constater tout simplement
procédant à l'instrumentalisation de normes, de valeurs,
que ces éléments immatériels existent et qu'ils jouent un
de croyances. Sur le fond (teneur du message) comme
rôle-clé dans les comportements et les prises de décision
sur la forme (adhésion au vecteur utilisé pour diffuser
qui sont les nôtres au quotidien. Nul vision complotiste
le message), trois facteurs vont être déterminants pour
derrière tout cela. Mais bien plutôt des volontés de
assurer l'efficacité de la démarche d'influence : le système
puissance qui s'affrontent avec des professionnels œuvrant
de règles institutionnelles, le mimétisme et la quête de
de part et d'autre en arrière-plan. D'où l'importance de bien
légitimité. C'est en respectant ces paramètres et ce mode
comprendre les logiques qui sont ici en action, leur raison
opératoire que rapidement ou peu à peu, mais toujours
d'être, leur articulation et leurs effets.
en douceur ou subrepticement, l'influenceur va s'immiscer
Cette société de l’information qui est la nôtre s'impose dans les processus décisionnels de l'influencé, infléchir son
comme un terrain d’affrontement où jaillissent et se jugement et modifier son comportement. n
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ENTRETIEN AVEC LUDOVIC FRANCOIS ET ROMAIN ZERBIB

EXTRAITS

Jeux d'influence et paroles d'experts

Pour réaliser Influentia, Ludovic François et Romain Zerbib ont fait appel à des experts de tous horizons. Leur mérite – et non des moindres – a
été d'obtenir des contributions de grands noms qui ont tenu à apporter leur témoignage. En voici quelques-uns rapportés ci-après, dont les
extraits donnent une idée de la variété de la palette proposée en matière d'approche du concept d'influence… .

La puissance grandissante du soft power - Joseph S. Nye (théoricien du concept de soft power, professeur à l'université d'Havard, ancien
président au National Intelligence Council, ancien Secrétaire adjoint à la Défense - p.167)
"Le pouvoir est la capacité à influer sur les autres pour obtenir les résultats que l’on souhaite. On peut notamment y parvenir via la
coercition, la menace, l’argent, l’attraction ou encore la persuasion. Ces méthodes basiques pour obtenir le résultat recherché forment
le pouvoir, dans un sens comportemental. Cela s’est révélé exact tout au long de l’histoire. Maintenant, si vous observez comment
les gens utilisent le pouvoir dans leur vie quotidienne, vous verrez qu’ils ne passent pas leur temps à menacer ou à payer. Ils passent
aussi une grande partie de leur temps à attirer et persuader. Car le soft power a toujours été une composante du pouvoir à travers les
âges. Qu’il soit la composante majeure ou mineure du pouvoir dépend du contexte. Tout pouvoir dépend en effet de son contexte. De
l’efficacité d’un char d’assaut dépend la façon dont on combat dans un désert ou dans les marécages. Le soft power, c’est aussi cela. Si
vous essayez de négocier avec un régime autoritaire comme la Corée du Nord pour qu’il abandonne l’arme nucléaire, je ne pense pas
que le soft power soit très efficace. D’un autre côté, si vous cherchez à influencer les gens sur Internet, je ne crois pas que le pouvoir
'dur' soit très adapté. D’ailleurs, à l’ère de l’information, le soft power va devenir une composante de plus en plus importante du pouvoir
en général."

Les nouvelles formes de propagande - Noam Chomsky (linguiste, professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology - p.171)
"Les médias ne fonctionnent pas de la même manière dans les régimes autoritaires et démocratiques. En ex-URSS ou dans les dictatures
du Golfe, ce sont les gouvernements qui contrôlent les médias et non les institutions capitalistes. La propagande y est clairement
visible, en conséquence, notre théorie y est peu effective. En occident, en revanche, le système est plus ouvert, plus démocratique, et
le pouvoir moins apparent. Aux Etats-Unis, par exemple, le gouvernement ne contrôle pas les médias : il peut les influencer ou encore
imposer des limites, mais ce sont les institutions capitalistes, les grandes firmes, à travers de vastes conglomérats, qui prennent les
décisions. Le tout s’inscrit dans une relation complexe, intime avec l’Etat, qui finit par incarner un seul et même système : avec des
conflits bien entendu, mais toujours dans une perspective et des buts similaires. Cette relation d’intérêts détermine et fixe les limites du
débat public, la sélection des informations et la manière dont celles-ci seront diffusées. Les points de vue alternatifs sont tolérés, mais
limités. Il en ressort ce qu’Edward S. Herman et moi-même avons nommé une 'forme de système de propagande'."

Influence et cyberguerre - John Arquilla (professeur à la Naval Postgraduate School de Monterey et consultant senior à la Rand Corporation
- p. 227)
"Il y a deux ans seulement, l’armée américaine a officiellement désigné le cyberespace comme un champ de bataille. Bien sûr, j’ai trouvé
que cela était très intéressant. J’avais d’ailleurs écrit il y a vingt ans que le cyberespace serait reconnu à l’avenir comme un champ de
bataille dans un article intitulé La cyberguerre arrive. Dans celui-ci, j’avais expliqué que la révolution de l’information affecterait le
domaine militaire tout comme la révolution industrielle l’avait fait en son temps. La différence étant qu’avec cette dernière, toutes
les avancées technologiques visaient à accroître la puissance destructrice alors qu’avec la révolution de l’information, l’accent porte
moins sur la destruction que sur les perturbations. Il y a maintenant un moyen de frapper l’infrastructure stratégique d’un pays par le
cyberespace notamment par le biais des réseaux de services, des points de contrôle, ou du réseau de distribution d’eau par exemple.
Sans le domaine militaire les armées modernes sont vulnérables car elles ont à leur disposition des technologies de communication
avancées, mais très fragiles. Donc il me semble, qu’il s’agisse d’attaques dans le cyberespace contre une infrastructure nationale,
d’une attaque stratégique ou d’une attaque plus tactique et opérationnelle sur le champ de bataille, le domaine militaire connaît des
changements profonds. Bon nombre d’armées modernes ont du mal à le croire ou à l’accepter. Tout comme les militaires il y a cent
ans, avaient une guerre de retard avec les progrès en matière de puissance de feu. Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale,
toutes les principales armées sont entrées en guerre avec des méthodes tout à fait démodées. Des millions de soldats en sont morts.
Aujourd’hui, ce qui me préoccupe, c’est que, sauf si nous opérons un changement radical dans l’organisation, la doctrine et la stratégie
en matière de guerre de l’information, nous allons rencontrer des problèmes similaires."
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EXTRAITS

Jeux d'influence et paroles d'experts (suite)

Réputation et parties prenantes - Charles J. Fombrun (fondateur et président du Reputation Institute - p. 233)
"Le terme de 'gestion' est vraiment approprié dans la mesure où votre réputation ne vous appartient pas et que vous ne pouvez pas la
contrôler. C’est quelque chose qui vous est attribué par des tiers, vos parties prenantes. Lorsque nous parlons de gérer une réputation,
nous pensons à un ensemble d’outils et de processus qui aident les managers à prendre des décisions à la lumière d’une profonde
connaissance des attentes et des perceptions des parties prenantes. Aucune décision n’est efficace si elle n’obtient pas le soutien de
celles-ci : les consommateurs n’achèteront pas des produits en lesquels ils n’ont pas confiance ; les investisseurs n’appuieront pas des
initiatives dont ils doutent de la rentabilité financière ; et les employés n’effectueront pas leur tâche correctement s’ils ne croient pas
au projet de l’entreprise. Gérer sa réputation, ce n’est donc pas faire des 'relations publiques' ou de la 'propagande politique', c’est
un processus qui s’appuie sur une évaluation approfondie du complexe réseau de relations entre les entreprises, et détermine la
fluctuation des ressources dans un écosystème industriel."

Think tanks et influence - Claude Bebear (président d'honneur du groupe Axa - p.339)
"Il y a tout d’abord les think tanks qui travaillent pour les partis politiques. Il s’agit de structures qui réfléchissent, sur demande, à
une problématique particulière et qui soumettent leurs cogitations à des hommes politiques, qui naturellement en font ce qu’ils
veulent après. Il s’agit à cet égard d’une influence par personnes interposées. Ce type de think tank est très répandu aux Etats-Unis.
Il commence à émerger peu à peu en France avec la Fondation Jean Jaurès, par exemple. Il y a ensuite les think tanks purement
intellectuels. Ils se penchent sur une problématique, font des remarques, des suggestions, et point à la ligne. Il s’agit en quelques sortes
de réflexions données aux partis politiques, aux médias, à la sphère publique. Ce type de think tank n’a pas vocation à convertir ses
idées en orientations politiques tangibles mais peut néanmoins produire un travail tout à fait utile et important. Le troisième type de
think tank enfin est équivalent à l’Institut Montaigne, bien que nous ayons une ambition un peu différente. Nous tenons absolument
à être apolitique. J’ai toujours veillé à ce qu’il y ait autant de personnes de gauche que de personnes de droite au sein de l’équipe
dirigeante. Les groupes d’études sont constitués d’experts non rémunérés, provenant de milieux divers et, bien entendu, ayant des
choses à dire. Notre ambition est de produire des propositions 'concrètes'. Nous les éditons, les diffusons puis tentons de leur donner
une existence tangible. Notre travail, à défaut d’identifier ce qui se fait de mieux à travers le monde, est de faire entrer nos propositions
dans le réel."

Sont également intervenus dans Influentia : Richard d'Aveni, Stéphane Fouks, Edward Freeman, Henry Mintzberg, Jacques Seguela…

Les autres experts contributeurs et les thèmes abordés dans l'ouvrage


Camille Alloing (E-réputation et crises des organisations déstabilisées) ; Nicolas Arpagian (Cyberinfluence : quand Internet sert à façonner les
idées, les réputations et les opinions publiques) ; Louis Bernard (La gestion de crise) ; Grégoire Biasini (La société médiatique de l'instantané) ;
Stéphane Billiet (Les relations avec les publics) ; Philippe Blanchard (Vade-mecum du lobbying) ; Emmanuel Bloch (Déstabilisation et
réseaux sociaux) ; Cécile Brisquet (Le paroxysme de la déstabilisation des crises) ; Damien Bruté de Rémur (Ethique et influence) ; Franck
Chaix (Guerre de l'information et terrorisme, prise d'otages de masse et mass média) ; Louis Crocq (Impact psychologique des medias sur le
public : la mésinformation et ses conséquences) ; Grégoire Dupont-Tingaud (Les parties prenantes, 'milieu, théâtre et enjeu' des stratégies
d'influence de l'entreprise - voir page ci-après) ; Jean-Renaud Fayol (Renseignement et subversion : l'arme de la vérité) ; Pascal Junghans
(L'influence des journalistes économiques) ; Sophie Ligneron (Du lobbying) ; Thibault du Manoir de Juaye (La déstabilisation par le
droit) ; Christian Marcon (Stabiliser par les réseaux) ; Florence Pinot de Villechenon et Thibault Renard (Opérations d'influence autour de
l'organisation des grands événements) ; Benoît Vraie (Le paroxysme de la déstabilisation : les crises).
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EXTRAITS

La communication d'influence

Grégoire Dupont-Tingaud a collaboré comme expert à Influentia. Il y a signé le chapitre Les parties prenantes, "milieu, théâtre et enjeu" des
stratégies d'influence de l'entreprise. Son analyse, tirée de son expérience de praticien de la communication d'influence, mérite d'être étudiée
de près. Auditeur en intelligence économique de l'IHEDN, diplômé de 3e cycle universitaire (Paris IV-Sorbonne) en Histoire et géopolitique, puis
en Analyse des menaces criminelles contemporaines (Paris II-Panthéon Assas), Grégoire Dupont-Tingaud a été pendant plusieurs années
directeur des opérations de Comes Communication et bras droit de Bruno Racouchot, directeur de la Lettre Communication & Influence.

Influence, rhétorique et maïeutique : importance du contenu des messages dans la communication d'influence
"Si elle peut avoir une acception négative, l’influence ainsi comprise est au cœur du processus de "production de connaissance"
constituant le débouché naturel – voire le "stade ultime" - de l’intelligence économique (Moinet, 2011). Elle est liée à l’exercice même
de la pensée et se rapproche de la maïeutique, en contribuant à faire accoucher les esprits de leurs propres connaissances. Du point
de vue méthodologique, elle tend à réhabiliter la rhétorique, cet art ancien de "l’action du discours sur les esprits". Mais l’influence ne se
contente pas de l’émotion (pathos), omniprésente dans la communication classique. Elle mobilise et réaffirme également l’importance
de la capacité de raisonnement (logos). Et plus encore la dimension personnelle de l’émetteur, son style, ses valeurs, son caractère,
son identité propre – bref, son ethos. "Elle nécessite la mise en œuvre d’un travail d’argumentation, de légitimation des contenus et de
leurs procédures de présentation, de maximisation de la convergence d’intérêts entre les acteurs, et de mise en valeur de l’autorité de ceux
qui la déploient" (Roux, 2012). Ce triptyque émotion-argumentation-éthique va structurer les messages à diffuser dans le cadre d’une
communication d’influence. Car, concrètement, l’influence opère via des messages, généralement écrits, car assumés par l’émetteur.
Et ce, quel que soit le vecteur de diffusion – l’outil – choisi : c’est bien le contenu qui prime. Comme le rappelle Dominique Wolton : "Le
plus facile dans la communication reste du côté des techniques, le plus compliqué du côté des hommes et de la société.""

Intérêt pratique de la communication d'influence


"En interne, elle contribue, par la production de sens et de repères, le partage et l'appropriation de sujets de préoccupation et
d'éléments de langage communs, à l’affirmation d’un "esprit de corps" constituant le premier facteur de résistance interne aux actions
hostiles, et de résilience plus globale de l’organisation. Vis-à-vis des parties prenantes externes, la communication d’influence incarne
cet "esprit de corps" et véhicule l’image d’une organisation qui sait où elle va, parce qu’elle assume et affiche une posture stratégique.
Son rayonnement est susceptible de rassurer le marché, voire de dissuader la plupart des attaquants potentiels, tant toute manœuvre
hostile est d’abord facilitée par la fragilité de sa cible. Sur ce registre, l’exposition médiatique est un facteur de dissuasion. Et en cas
d’attaque informationnelle, le fait pour l’entreprise d’avoir préempté, par sa stratégie d’influence, un échiquier informationnel distinct
de ses activités économiques, lui permet d’activer et valoriser celui-ci en cas de mise en cause sur son "cœur de métier"."

L'identité au coeur de la communication d'influence


"La notion d’ethos est centrale. Traduisant une identité profonde et assumée, elle est une façon singulière d’"être au monde", véhiculée
par l’ADN de l’entreprise. Elle ne se confond pas, sous couvert d’éthique, à un alignement sur des discours par trop convenus. Jouer
de manière plus offensive de l’altérité de son propre discours, de la "dissonance cognitive", c’est-à-dire de l’aptitude de chaque partie
à entendre et intégrer un message éventuellement discordant par rapport à ses représentations habituelles, est notoirement plus
efficace à l’égard des parties prenantes. Surtout si, avec Dominique Wolton (2007), il faut admettre que "la plupart du temps, le sens de
la communication est moins le partage de valeurs ou d'intérêts communs que la construction d'une cohabitation".

L'influence ? Un état d'esprit avant d'être un mode opératoire


"Les entreprises se développent dans des environnements devenus plus complexes, "où le monde politique et institutionnel, le monde
de l’économie et le monde des idées doivent cohabiter malgré des différences profondes" (Lucas, 2012). Au carrefour de ces univers, les
parties prenantes des entreprises constituent "le milieu, le théâtre et l’enjeu" de rapports de force inédits. Là se joue en réalité la valeur
des entreprises. Parce que leur image, leur réputation, leurs résultats mêmes y sont scrutés en permanence. Influencer ses parties
prenantes est donc un impératif, tant de manière offensive que défensive.
"Comme le rappelle la Déléguée interministérielle à l’intelligence économique (Revel, 2012) : "L’influence est une arme, pacifique certes,
mais une arme, c’est-à-dire un instrument de prise de pouvoir sur l’autre. Cette arme ne tue pas. Plus exactement, elle ne tue que l’avis
contraire pour le remplacer par celui du possesseur de l’arme". Dans un contexte où, mondialisation oblige, les acteurs économiques
seront toujours davantage confrontés au risque et à la conflictualité, cette prise de conscience viscéralement "polémique" est vitale. A
l’instar de l’intelligence économique, l’influence est sans doute un état d’esprit avant d’être un mode opératoire."
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ENTRETIEN AVEC LUDOVIC FRANCOIS ET ROMAIN ZERBIB

BIOGRAPHIES
Professeur affilié à HEC Paris, docteur en sciences de gestion (Paris II Revue de Management et de Stratégie (RMS) ainsi que les fonctions de
Panthéon-Assas), habilité à diriger des recherches (Paris I Panthéon- secrétaire général adjoint de la Revue des Sciences de Gestion (RSG) et
Sorbonne), Ludovic François est également diplômé du mastère HEC de la Revue Internationale d’Intelligence Economique (R2IE).
management des risques internationaux, d’un DEA et d’un DESS. Il est Les éditions Lavauzelle ont ainsi présenté Influentia, leur récent
l’auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques sur la question ouvrage paru le 30 avril dernier, auquel ont contribué de nombreux
de l’influence dans la vie économique. experts français et étrangers spécialistes des
Ludovic François a notamment coécrit Contre- questions d'influence et contre-influence :
pouvoirs, de la société d’autorité à la démocratie "Influentia est le premier ouvrage entièrement dédié
d’influence, avec François-Bernard Huyghe au décryptage des stratégies d'influence (relations
(Ellipses, 2009) et dirigé la réalisation de Business publiques, lobbying, publicité, gestion de crise,
sous influence (Editions d’organisation, 2004). communication politique, etc.). Les organisations,
Directeur de la Revue de Management et de qu'elles soient politiques ou économiques, évoluent
Stratégie (RMS) et de la Revue Internationale au sein d'un environnement de plus en plus instable
d’Intelligence Economique (R2IE), il dirige en outre et complexe dans lequel, pour se développer, elles
la collection "Entreprises et Management" aux doivent provoquer des attitudes favorables. Quelles
Editions l’Harmattan. Enfin, on le retrouve depuis armes, outils et méthodes utilisent-elles pour
plusieurs années comme conseiller de dirigeants maintenir leur position et influer sur les marchés
de grands groupes et d’ETI sur les questions de ou façonner l'opinion ? Comment orientent-elles
réputation et de communication d’influence. les comportements des élus, des citoyens et des
Egalement docteur en sciences de gestion, consommateurs ? Comment imposent-elles des
Romain Zerbib est professeur au groupe IGS. idées et des convictions ? Au-delà des questions
Auteur de La fabrique du prêt à penser aux Editions techniques, l'ouvrage s'intéresse également aux
l’Harmattan, il enseigne la stratégie, le lobbying problématiques éthiques que soulève l'omniprésence
et la géopolitique au sein de plusieurs écoles et des professionnels de l'influence dans notre société
universités. ultra médiatisée. Influentia réunit les plus grands experts sur le sujet et
lève le voile sur cet aspect souvent méconnu de la mondialisation."
Les recherches de Romain Zerbib portent essentiellement sur
les stratégies d’influence et de contre-influence. Responsable
pédagogique de l’académie "Commandement et gestion de crise" En savoir plus : www.ludovic-francois.fr et www.romain-zerbib.com ;
d’HEC Paris, il assure également la fonction de rédacteur en chef de la voir aussi le site dédié à l'ouvrage : http://influentia.jimdo.com/

L'influence, une nouvelle façon de penser la communication dans la guerre economique

"Qu'est-ce qu'être influent sinon détenir la capacité à peser sur l'évolution des situations ? L'influence n'est pas l'illusion. Elle en est même l'antithèse. Elle
est une manifestation de la puissance. Elle plonge ses racines dans une certaine approche du réel, elle se vit à travers une manière d'être-au-monde. Le
cœur d'une stratégie d'influence digne de ce nom réside très clairement en une identité finement ciselée, puis nettement assumée. Une succession de
"coups médiatiques", la gestion habile d'un carnet d'adresses, la mise en œuvre de vecteurs audacieux ne valent que s'ils sont sous-tendus par une ligne
stratégique claire, fruit de la réflexion engagée sur l'identité. Autant dire qu'une stratégie d'influence implique un fort travail de clarification en amont des
processus de décision, au niveau de la direction générale ou de la direction de la stratégie. Une telle démarche demande tout à la fois de la lucidité et du
courage. Car revendiquer une identité propre exige que l'on accepte d'être différent des autres, de choisir ses valeurs propres, d'articuler ses idées selon un
mode correspondant à une logique intime et authentique. Après des décennies de superficialité revient le temps du structuré et du profond. En temps de
crise, on veut du solide. Et l'on perçoit aujourd'hui les prémices de ce retournement.
"L'influence mérite d'être pensée à l'image d'un arbre. Voir ses branches se tendre vers le ciel ne doit pas faire oublier le travail effectué par les racines dans
les entrailles de la terre. Si elle veut être forte et cohérente, une stratégie d'influence doit se déployer à partir d'une réflexion sur l'identité de la structure
concernée, et être étayée par un discours haut de gamme. L'influence ne peut utilement porter ses fruits que si elle est à même de se répercuter à travers
des messages structurés, logiques, harmonieux, prouvant la capacité de la direction à voir loin et sur le long terme. Top managers, communicants,
stratèges civils et militaires, experts et universitaires doivent croiser leurs savoir-faire. Dans un monde en réseau, l'échange des connaissances, la capacité
à s'adapter aux nouvelles configurations et la volonté d'affirmer son identité propre constituent des clés maîtresses du succès".
Ce texte a été écrit lors du lancement de Communication & Influence en juillet 2008. Il nous sert désormais de référence pour donner de l'influence
une définition allant bien au-delà de ses aspects négatifs, auxquels elle se trouve trop souvent cantonnée. L'entretien que nous ont accordé
Ludovic François et Romain Zerbib va clairement dans le même sens. Qu'ils soient ici remerciés de leur contribution aux débats que propose, mois
après mois, notre plate-forme de réflexion.
Bruno Racouchot
Directeur de Comes

Communication & Influence contacts


N° ISNN 1760-4842

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Quand la réflexion accompagne l’action Illustrations : Éric Stalner www.comes-communication.com

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