Manuel de Mecanique Des Roches Tome 2 Le
Manuel de Mecanique Des Roches Tome 2 Le
Manuel de Mecanique Des Roches Tome 2 Le
DES ROCHES
Tome 2
LES APPLICATIONS
ISBN : 2-911762-45-2
Le CFMR rassemble depuis 1967 les spécialistes français de la discipline, qu’elle soit
appliquée au Génie civil, aux Mines ou à l’Industrie pétrolière. Il contribue au
développement de la mécanique des roches par ses réunions et sa participation à
l’organisation en France de Congrès internationaux ou de manifestations plus
spécialisées. Il a organisé des Écoles, dont une École consacrée à la
Thermomécanique des roches et une École consacrée à la Mécanique des milieux
poreux : chacune de ces manifestations a donné lieu à l’édition d’un ouvrage qui a
été largement diffusé, en France et à l’étranger.
Il a semblé que la parution d’un tel ouvrage était opportune, après la tenue, à Paris,
en août 1999, du Congrès dont la Société Internationale de Mécanique des Roches
avait confié l’organisation au CFMR.
Deux raisons au moins, nous l’espérons, rendront utile ce premier tome consacré aux
généralités, qui sera bientôt suivi d’un second tome consacré aux applications
particulières.
La première raison est le développement bienvenu de l’enseignement du Génie civil :
discipline longtemps délaissée par le monde universitaire, elle connaît une croissance
très rapide qui rend nécessaire l’accès à une littérature scientifique de base qui
aidera à unifier le vocabulaire, les notations, la position des problèmes principaux.
Ce manuel rendra un grand service s’il y contribue.
III ▲
Cet ouvrage est collectif ; les chapitres ont été rédigés par un ou, souvent, plusieurs
auteurs et ont bénéficié de relectures nombreuses, de sorte que ce sont plusieurs
dizaines de membres du Comité qui ont contribué à la rédaction de l’ouvrage. Il faut
néanmoins parmi tous ceux-ci distinguer Pierre Duffaut et Françoise Homand qui ont
porté le projet de bout en bout jusqu’à ce qu’il se concrétise dans ce manuel.
Pierre BÉREST
Président du CFMR (1996-1999)
Il n’y a rien à retrancher à la préface rédigée pour la parution du tome 1, qui annonçait
ce deuxième tome.
L’intervalle entre la parution des deux tomes a pu paraître long aux amateurs qui
avaient apprécié le tome 1, mais aussi (et surtout) à l’équipe de coordination, pour
la circonstance élargie mais toujours avec Pierre Duffaut comme pivot. Il faut
supposer qu’il était plus difficile d’arracher aux praticiens une formalisation de leurs
savoir faire qu’aux « théoriciens » accoutumés de la pédagogie. Que tous se
consolent en constatant que ce délai a permis d’intégrer au tome 2 des exemples de
réalisations exceptionnelles récentes comme le viaduc de Millau ou la tranchée des
écluses du barrage des Trois gorges.
Bonne lecture.
Jack-Pierre PIGUET
Président du CFMR (1999-2003)
IV▲
TABLE DES MATIÈRES
12.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
12.2 Domaines d’application de la mécanique des roches,
cultures et vocabulaires (pétrole, mines, génie civil) . . . . . . . . . . . . . . . . 5
12.2.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
12.2.2 Panorama des problèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
12.3 Rappel de quelques chapitres précédents . . . . . ......... ......... 6
12.3.1 Déformabilité et rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . .......... .......... 6
12.3.2 L’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .......... .......... 6
12.3.3 Les contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .......... .......... 8
12.4 Connaissance du terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
12.4.1 La « peau » du terrain, formations superficielles, altérations, décompression . . . 8
12.4.2 Principales propriétés des roches, qualités et défauts . . . . . . . . . . . . . . . . 9
12.4.3 Les massifs rocheux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
12.4.4 Rappel des principales hétérogénéités des massifs rocheux . . . . . . . . . . . . 15
12.5 Du terrain à l’ouvrage, les normes et règlements . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
12.6 Du terrain à l’ouvrage, montage et gestion du projet . . . . . . . . . . . . . . 16
12.6.1 Les étapes du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
12.6.2 Les incertitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
12.7 De l’ouvrage au terrain, la méthode observationnelle . . . . . . . . . . . . . . 19
12.8 Présentation du tome 2 ..................................... 19
V▲
13.5.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
13.5.2 L’essai au vérin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
13.5.3 Dilatomètre en forage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
13.5.4 Comparaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
13.5.5 Essais à plus grande échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
13.5.6 Mesures de contraintes in-situ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
13.5.7 Essais de rupture in-situ, compression, traction, cisaillement . . . . . . . . . . . . 44
13.6 Auscultation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... ......... ......... 45
13.6.1 Les méthodes de mesures directes .......... .......... .......... 45
13.6.2 Les méthodes de mesure indirectes .......... .......... .......... 46
13.6.3 Stratégie de l’auscultation . . . . . . .......... .......... .......... 47
13.6.4 L’interprétation . . . . . . . . . . . . . . .......... .......... .......... 48
13.7 Les classifications des massifs rocheux ......................... 48
Chapitre 14 • Abattage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
VI ▲
14.9.2 Concassage et broyage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
14.9.3 Pétardage et démolition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
14.9.4 Procédés « exotiques » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
14.10 Le façonnage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
VII ▲
17.5.3 Exemple : comportement élastique d’un talus cloué . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
17.5.4 Applications du modèle au cas de la galerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
OUVRAGES SOUTERRAINS
VIII ▲
Chapitre 20 • Cavernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
IX ▲
22.3.2 Les problèmes étudiés à propos du stockage souterrain en profondeur :
exemple des thèmes de recherche de l’ANDRA en France . . . . . . . . . . . . . 237
22.3.3 Exemples de recherches concernant le stockage des déchets de haute activité 244
22.4. La validation des prévisions à long terme en matière de géomécanique . 254
22.4.1 Le problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
22.4.2 Les exercices d'intercomparaison (« benchmarks ») pour codes
de calcul géomécaniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
22.4.3 Quelques exemples de systèmes géologiques naturels susceptibles
d'étayer les prédictions en matière d'effets thermo-mécaniques . . . . . . . . . . 256
X▲
Chapitre 25 • Géothermie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
XI ▲
OUVRAGES DE SURFACE
XII ▲
Chapitre 29 • Fondations des grands ouvrages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395
XIII ▲
EN GUISE DE POST FACE
XIV ▲
Avant-propos
années secondes
déformations
6 tectoniques
10 —
12
me —10 s
his stockage de
3 o rp
10 — déchets radioactifs
tam
9
mé
—10 s
génie civil
1—
mine 6
fluage —10 s
-3
2.7.10 1 jour
-3
10 —
altérations
essais —10 s
3
de labo
-6
10 —
broyage concassage —1s
séismes
essais dynamiques tir
1 ms
µm mm m km Mm
Figure 1-1 : : Quelques domaines d'application de la mécanique des roches, sur un graphique bilogarithmique
longueur-temps ; la ligne horizontale médiane correspond à 1 jour soit 0,00274 année sur l'échelle de
gauche et 86400 secondes sur celle de droite ; les limites des domaines sont schématisées, elles n'ont
qu'une valeur indicative.
XV ▲
Auteur et signature
Comme le tome 1, cet ouvrage est signé collectivement : l’auteur est le CFMR, qui en
assume la responsabilité scientifique par l’intermédiaire du Comité de lecture : Pierre
HABIB, Dominique FOURMAINTRAUX, Françoise HOMAND, Thierry YOU.
Il a été coordonné par Pierre DUFFAUT, assisté de Jean-Louis DURVILLE, Jack-Pierre
PIGUET et Jean-Paul SARDA.
Rédacteurs
Pierre ANTOINE, Professeur émérite, Grenoble
Alain CARRÈRE, COB, Gennevilliers
Roger COJEAN, Centre de Géologie de l’ingénieur, Marne la Vallée
Bernard CÔME, ANTEA, Orléans
Pierre DUFFAUT, Expert en Génie géologique, Paris
Jean-Louis DURVILLE, CETE Lyon
Jean-Alain FLEURISSON, Centre de Géologie de l’ingénieur, Marne la Vallée
Dominique FOURMAINTRAUX, TOTAL, Pau
Sylvie GENTIER, BRGM, Orléans
Jean-Louis GIAFFÉRI, EDF, Aix en Provence
Olivier GIVET, Arcadis, Toulouse
Didier HANTZ, Université J. Fourier, Grenoble
Jean-Jacques LEBLOND, LPC, Clermont-Ferrand
Louis LONDE, ANDRA, Châtenay-Malabry
Vincent MAURY, Expert en mécanique des roches pétrolière, Pau
Odile OZANAM, ANDRA, Châtenay-Malabry
NGUYEN MINH Duc, École Polytechnique, Palaiseau
Jack-Pierre PIGUET, École des mines, Nancy
Jean PIRAUD, ANTEA, Orléans
Pierre POTHERAT, CETE Lyon
Jean-Louis RICHARD, Solétanche-Bachy, Nanterre
Louis ROCHET, Ingénieur conseil, Lyon
Jean-Paul SARDA, Institut français du pétrole, Rueil-Malmaison
Hedi SELLAMI, École des mines, Fontainebleau
Kun SU, ANDRA, Châtenay-Malabry
Gérard VOUILLE, École des mines, Fontainebleau
Henry WONG, École Centrale de Lyon
Thierry YOU, Géostock, Rueil-Malmaison
Lecteurs
Karim BEN SLIMANE, Daniel BILLAUX, Gilbert CASTANIER, Jean-Yves DUBIÉ,
François CORNET, André GÉRARD, Denis FABRE, Jean LAUNAY, Pascal
LONGUEMARE, Véronique MERRIEN-SOUKATCHOFF, Marc PANET, Jean PIRAUD,
Joëlle RISS, Philippe VASKOU, Francis WOJTKOWIAK.
Crédits images et photos (outre celles des auteurs et celles qui sont nommément attribuées)
ANTEA, BRGM, EDF, ENSMP, GEOSTOCK, D. Fourmaintraux…
XVI ▲
Liste des symboles, unités et abréviations
CONVENTIONS
Dans les formules et équations, les caractères gras sont réservés aux grandeurs
tensorielles (parfois vectorielles) ; dans les sélections bibliographiques, l'italique est
réservé aux titres des ouvrages ou articles. Dans les « équations aux dimensions », [L],
[M], [T] toujours entre crochets, désignent la longueur, la masse et le temps, affectés le
cas échéant de puissances positives ou négatives, exemple [LT-1].
Contrairement à la convention de la mécanique des solides, et sauf exceptions signalées,
les compressions sont positives en mécanique des roches.
XVII ▲
Symboles
(sous réserve de conventions particulières à certains chapitres, dûment indiquées, quelques
symboles sont susceptibles de plusieurs acceptions, suivant les chapitres)
Symboles topologiques
R repère trirectangulaire
S1, S2, S3 directions principales d'anisotropie structurale (formant repère S)
n direction dans l'espace (repérée par ses cosinus directeurs)
Déformations et contraintes
ε déformation ∆l/l, nombre relatif exprimé en millièmes ou millionièmes
ε tenseur déformation, de composantes εij (ε11, ε12, ε13, ε21, ε33)
θ déformation volumique ∆V/V = ε11+ ε12 + ε13 (parfois un angle)
γ distorsion
σ contrainte (en général), contrainte normale (compressions positives)
σ ou σij tenseur contrainte, de composantes σij (σ11, σ12, σ13, σ21, σ33)
σ1, σ2, σ3 contraintes principales, majeure, intermédiaire, mineure (σ1 > σ2 > σ3)
σv, σh, σH contrainte verticale, horizontale, éventuellement minimale et maximale
σn, σr, σq contrainte normale, radiale, tangentielle
σc résistance en compression simple
τ contrainte de cisaillement
Elasticité
λ et µ coefficients de Lamé
Ε module de Young (MPa ou GPa) (en cas d'anisotropie, E1, E2, E3)
ν coefficient de Poisson (en cas d'anisotropie, νij)
G module de cisaillement
K module de compressibilité (bulk modulus)
Vp, Vs vitesse des ondes élastiques de compression et de cisaillement
XVIII ▲
Plasticité
C cohésion
φ angle de frottement interne
i angle de dilatance
Propriétés physiques
n porosité
e indice des vides
ρ masse volumique
w teneur en eau (en masse)
Sr degré de saturation
k ou k perméabilité intrinsèque (tensorielle en cas d'anisotropie)
k ou k perméabilité (ou conductivité hydraulique) (id)
µ viscosité (dynamique) d'un fluide
Thermodynamique
W énergie
T, θ température
λ ou λ conductivité thermique (tensorielle λij en cas d'anisotropie)
a diffusivité thermique
C chaleur spécifique (d'où ρ C capacité calorifique)
α ou α coefficient de dilatation thermique (tensoriel en cas d'anisotropie)
ABRÉVIATIONS
(quelques abréviations très spécifiques ne sont définies que là où elles sont employées)
XIX ▲
Liste de normes et recommandations
RECOMMANDATIONS DE LA SIMR
ISRM - Suggested methods for the description of discontinuities in rock masses, Int. J. Rock
Mech. Mining Sci., 15, 319-368, 1978.
ISRM – Suggested methods for determining point load strength, Int. J. Rock Mech. Mining
Sci., 22, 51-60, 1985.
ISRM – Suggested methods for laboratory testing of swelling rocks, Int. J. Rock Mech.
Mining Sci., 36, 291-306, 1999.
XX ▲
PUBLICATIONS DU COMITÉ FRANÇAIS DE MÉCANIQUE DES ROCHES
Le comité a été fondé en 1967, prenant la suite d’un Groupe réuni par Armand
Mayer au sein de l’ANRT, Association nationale pour la recherche technique ;
auparavant des travaux de mécanique des roches voisins du génie civil trouvaient
place au Comité français de Mécanique des sols et des fondations, avec des
publications dispersées, la plupart toutefois aux Annales de l’Institut technique du
bâtiment et des travaux publics (disparue en 1995) et dans les publications des
Laboratoires des Ponts et chaussées (Bulletin et mémoires); les travaux proprement
miniers, à la Société de l’Industrie minérale, et dans sa revue (aujourd’hui Mines et
Carrières) ; les travaux pétroliers dans le Bulletin de l’Institut français du pétrole.
Après la fondation du CFMR, une première série de publications a été éditée par la
Revue de l’Industrie minérale sous forme de livraisons spéciales, sous le nom de
« Cahiers du CFMR » :
Cahier 1 : 15 décembre 1968, 59 p,
Cahier 2 : 15 juillet 1970, 106 p, (dont l’encart Terminologie),
Cahier 3 : 15 juillet 1971, 243 p, Journées du CFMR à l’IFP en 1970,
« Les applications pratiques de la Mécanique des roches »
Cahier 4 : 15 avril 1972, 84 p,
Cahier 5 : 15 juillet 1973, 84 p,
Cahier 6 : 15 avril 1974, 84 p, Journées du CFMR 1973
Cahier 7 : 15 décembre 1975, 110 p.
XXI ▲
L E P RO J ET E N MÉCAN I Q U E D E S RO C H E S
« Nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait, ni
puisse avoir, aucune ambiguïté ou incertitude, ni lieu à demander interprétation »
François 1er, 1539
l’Ordonnance de Villers-Cotterets concernait les textes juridiques, mais elle s’étend
évidemment aux sciences
“We need to carry out a vast amount of observation work but, what we do should be
done for a purpose and be done well”
Ralph B. Peck
« Souvent les ingénieurs et les hommes publics sont tenus de résoudre certaines questions
alors même que, sur ces questions, la science n’est pas faite. Messieurs, vous devez
arriver à des solutions pratiques, même en présence d’une science inachevée »
Louis Pasteur
« Celui qui possède une parfaite connaissance du terrain est sûr de la victoire »
Sun Tzu
chapitre 12
▼
12.1 INTRODUCTION
Pendant des siècles, « construire sur le roc » a été considéré comme un gage de stabilité et
de longévité pour l’ouvrage, le rocher étant très résistant, pratiquement indéformable, et,
en rivière, non affouillable, à la différence des terrains meubles, que le géotechnicien
appelle sols aujourd’hui. Cette conception de la sécurité a longtemps dispensé les
ouvrages fondés au rocher de toute étude approfondie des conditions géotechniques, à
laquelle cependant on avait alors recours lorsqu’on construisait sur un terrain non rocheux.
Seuls les mineurs avaient affaire au rocher pour extraire des métaux, des minerais, et plus
tard des combustibles minéraux. Leur expérience était transmise en vase clos, étroitement
dépendante d’ailleurs du site où s’exerçait leur activité. Dans le célèbre traité d’Agricola
(1566), il n’est guère question que des moyens d’éclairage, d’aérage, d’exhaure, de
levage et de transport, beaucoup moins de l’abattage, du soutènement, et moins encore
des propriétés des roches et de la façon d’en tenir compte, ce qui justement deviendra la
mécanique des roches. Le charbon, en raison de la continuité des couches des grands
bassins houillers et de leur multiplicité, posera des problèmes plus aigus que les filons et
amas métallifères, en attendant les mines très profondes, notamment en Afrique du Sud.
A la surface, le développement massif des infrastructures aux XIX et XXème siècles (routes
et voies ferrées, ports et barrages, etc.) s’est traduit par la construction d’ouvrages de
génie civil de plus en plus audacieux et quelques accidents dramatiques ont alors révélé
les limites de cet optimisme (ainsi la rupture du barrage de Malpasset en 1959, voir
l’encadré du chapitre 30). De même, l’occupation croissante des montagnes (stations
touristiques et leurs routes d’accès) a mis en lumière des dangers d’abord sous-estimés,
chutes de pierres, érosion par les cours d’eau, glissements de terrain, ceux-ci à toute
échelle, dont par exemple ceux de la Clapière (vallée de la Tinée, Alpes Maritimes) et de
Séchilienne (vallée de la Romanche, Isère, voir les encadrés du chapitre 27).
Les versants naturels, les excavations pour carrières et tranchées, les tunnels et cavernes
des exploitations minières comme ceux du génie civil (ou militaire), tous ces ouvrages
▲4 Manuel de mécanique des roches
posent des problèmes de mécanique des roches, bien qu’à des échelles différentes
d’espace et de temps : une galerie d’amenée d’eau de 10 m2 ne met en jeu que les
discontinuités qui s’y croisent, alors que le comportement d’un versant naturel haut de
1000 m peut impliquer de nombreuses structures différentes du bas vers le haut. Le
diamètre des forages est plus petit encore, mais les pétroliers forent plus profond que les
autres, souvent dans des roches tendres voire molles, qui s’écartent néanmoins des sols
du géotechnicien. L’exploitant minier peut se satisfaire d’une stabilité de quelques jours,
parfois moins encore, le génie civil construit pour des décennies, l’aménagement du
territoire est à l’échelle des siècles, et l’entreposage des déchets bien au-delà des
millénaires. Négligeable pour beaucoup d’ouvrages superficiels, l’influence des
contraintes naturelles devient capitale pour les autres. L’écoulement des fluides, eau
souterraine, pétrole et parfois gaz, est un facteur important dans l’étude des ouvrages
souterrains, des fondations de barrages, et de l’équilibre des pentes.
Les cas les mieux documentés de ruptures de fondations au rocher concernent les
barrages, à cause des conséquences catastrophiques qu’elles entraînent. Ils sont à
l’origine des principaux développements de la mécanique des roches, à partir de la
rupture de Malpasset, et ils ont permis d’élaborer des méthodes d’analyse et de
dimensionnement spécifiques auxquelles on peut désormais recourir chaque fois que l’on
a à justifier un ouvrage « au rocher » ; et puisqu’on peut le faire, les organismes de
contrôle de l’Etat, comme les assureurs et la justice, concluent qu’on doit le faire.
Dans ce tome, comme dans le précédent, on appelle mécanique des roches l’application de
la mécanique aux besoins de l’ingénieur, mineur, constructeur, pétrolier, application donc aux
roches, et surtout aux massifs rocheux, à l’échelle des ouvrages concernés ; ce n’est pas de la
géologie de l’ingénieur, ce n’est pas de la modélisation, ce n’est même pas de l’ingénierie :
le Manuel s’arrête à la fois au seuil de la géologie et au seuil du Bureau d’études, où les
textes réglementaires et normatifs vont entrer en force pour la justification d’un projet. Le
lecteur doit comprendre les dangers qui peuvent découler tout autant d’un usage aveugle de
ces textes par qui n’a pas assimilé au préalable les bases de la mécanique des roches que
d’une méconnaissance des conditions géologiques locales et parfois lointaines.
Si le géologue appelle roches tous les matériaux naturels de l’écorce terrestre, le
géotechnicien qualifie de sols tous les matériaux meubles superficiels. Il n’y a aucune
limite nette pour l’ingénieur entre sols et roches, en dépit de nombreuses tentatives de
définition, dont aucune n’a une portée universelle. Dans une description des carrières
parisiennes de pierre à bâtir on trouve la phrase suivante : « quand la pierre est assez
dure, on l’appelle roche ». Davantage encore que les sols, les roches sont extrêmement
diversifiées, au point qu’il est probable qu’on rencontrera demain des variétés encore
inconnues aujourd’hui. Toutefois, les définitions et classifications de la Géologie sont
inutilement complexes pour la plupart des applications : par exemple les diorites et les
syénites pourront en général être confondues avec les granites.
Chaque site est original par l’assemblage des roches présentes et leurs conditions locales. Cette
diversité entraîne l’absolue nécessité des reconnaissances, traitées au chapitre 13.
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 5▲
12.2.1 Généralités
Une originalité de la mécanique des roches est d’être le point de rencontre de professions
qui se sont longtemps ignorées ; les cultures diversifiées de ces professions se traduisent
dans les différences de leurs vocabulaires respectifs ; mais des vocabulaires différents ne
doivent pas être une barrière pour ceux qui s’intéressent à l’expérience d’un autre corps
de métier : il vaut mieux les comprendre que tenter de les uniformiser.
Le mot puits est un bon exemple, qui s’applique au puits dans le jardin du grand-père, au
puits de mine, au puits de pétrole, et même à la fondation sur puits ; le puits est foré ou foncé,
deux mots qui ont un sens un peu différent lorsqu’on les applique à des puits ou à des pieux ;
dans cet ouvrage on a préféré forage à sondage pour le trou, foré par un foreur, l’homme,
avec une foreuse, la machine (il y a des sondages sans trou). Le passage par une langue
étrangère établit souvent des passerelles et peut dissiper certaines ambiguïtés : ainsi en
anglais well et shaft différencient le puits de pétrole et le puits de mine.
La mine a développé une culture originale trop souvent ignorée (et la fermeture annoncée
des dernières mines en activité en France métropolitaine menace de la faire disparaître).
L’image de la mine dans le grand public est issue des romans du XIXème siècle, encore
aggravée par leur reprise au cinéma. Si la température élevée et la poussière de charbon
persistent, les chantiers modernes sont bien loin de ces tableaux car les machines font
l’essentiel des tâches autrefois pénibles, et le niveau de sécurité a été considérablement
amélioré. Comme la mine a précédé les autres utilisations du sous-sol (en génie civil et
génie pétrolier) les archétypes de l’une ont pénétré les autres, et par exemple, la menace
d’éboulement inhérente à l’agrandissement des cavités d’exploitation s’est vue transférée
bien à tort aux chantiers des tunnels isolés (alors même qu’elle a pu au contraire être sous-
estimée dans le cas de tunnels multiples trop proches). C’est l’expérience des mines qui a
permis de creuser les premiers tunnels transalpins, comme le montrent les traités allemands
du XIXème siècle, et qui a fondé les méthodes modernes dans lesquelles le terrain est
considéré comme le principal matériau d’un tunnel, et non comme une charge à supporter.
Dans l’industrie pétrolière on fore des forages, puis on exploite des puits, qui sont souvent
les mêmes. Comme cette industrie est dominée par l’anglais , les chapitres
correspondants acceptent pression de pore à la place de pression interstitielle (d’après
pore pressure); de même les déblais de forage sont des cuttings, les tubages des casings ;
on appelle « découvert », la portion de forage non tubée. etc..
Même en génie civil, les spécialistes des routes, des chemins de fer, des égouts, des
barrages, etc., ont des spécificités (usure des granulats de chaussées, attrition du ballast
des voies ferrées et des enrochements, étanchéité, sous-pressions, etc.), sans oublier celles
des ouvrages militaires (résistance aux impacts). Le concassage et le broyage ont des
objectifs différents dans la préparation des minerais, des pierres à ciment, et des
granulats pour béton ; les talus des carrières et mines à ciel ouvert ne posent pas les
mêmes problèmes de sécurité que les tranchées routières et les pentes naturelles. Tous ces
domaines peuvent toutefois s’éclairer les uns les autres.
Chapitre 12
▲6 Manuel de mécanique des roches
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 7▲
imposer lors d’un creusement, soit par les forces qu’elle exerce sur le solide. Alors que le
fluide, eau ou pétrole, est considéré comme une ressource par l’hydrogéologue et par
l’ingénieur pétrolier, pour le mécanicien des roches, il est en général une nuisance, dont il
faut comprendre et minimiser les effets. La perméabilité (ou conductivité hydraulique)
caractérise l’aptitude du milieu solide à laisser circuler des fluides. A l’échelle
macroscopique, la loi de Darcy exprime la proportionnalité entre un flux hydraulique
Q/S et la force qui le met en mouvement, c’est à dire le gradient de la charge
hydraulique h, charge définie (à une constante près) comme le quotient de la pression
P du fluide par le produit rg de sa masse spécifique par la gravité.
∆ Q = k ∆h avec h = z + Ρ
S L g (12-1)
Le facteur k est appelé coefficient de perméabilité.
Comme il dépend non seulement des propriétés du matériau, mais aussi de la viscosité du
fluide µ, une formulation plus générale est préférable, ou k est la perméabilité
intrinsèque :
∆ Q = k ∆P
S µL (12-2)
La première est homogène à une vitesse, la seconde à une surface (unités SI respectives
le m/s et le m2, unité pratique le Darcy, qui vaut 0,987 1012 m2 ; et comme k = kρg/µ ,
pour de l'eau à 20°C, 1 Darcy = 0,96 10-5 m/s).
Dans les milieux anisotropes k et k sont tensoriels (notés k et k) ; dans les sols et beaucoup de
roches sédimentaires, le rapport des perméabilités principales kh/kv peut dépasser 100.
En toute rigueur l’expression de la charge comporte un terme d’énergie cinétique V2/2g,
mais en pratique, les vitesses sont faibles et on peut le négliger. La loi de Darcy ne
s’applique qu’aux écoulements laminaires (nombre de Reynolds faible) ; lorsque la vitesse
devient grande, les forces d’inertie ne sont plus négligeables devant les forces de viscosité.
L’hydrogéologie traditionnelle, celle des ressources en eau et donc des terrains
perméables, est basée sur des régimes d’écoulement permanent. Dans les terrains peu
perméables, les variations d’alimentation des nappes par la pluie induisent des régimes
transitoires, de même que les variations de niveau derrière les barrages pour les
écoulements dans leurs terrains de fondation. Pour un versant naturel, la comparaison de
l’intensité de la pluie avec la perméabilité est un facteur essentiel du déclenchement de
glissements (à titre d’ordre de grandeur, pour écouler sans inconvénient une pluie de
5 mm/h il faut une perméabilité supérieure à 10-5 m/s). Dans tous les cas de creusement,
excavation ou tunnel, le régime d’écoulement est éminemment transitoire : pour en
comprendre l’importance, il suffit d’exprimer la vitesse d’avancement dans la même unité
que la perméabilité : à 10 mètres par jour sous la Manche, soit à peu près 10-4 m/s,
dans une craie de perméabilité 10-7 m/s, les tunneliers avançaient 100 à 1000 fois trop
vite pour que la pression de l’eau s’atténue au voisinage du front d’avancement.
Les contrastes de perméabilité aggravent le problème puisque, en cas d’augmentation
rapide de la charge à l’amont, les équipotentielles de l’écoulement s’empilent sur les
limites des terrains moins perméables, et avec elles les forces d’écoulement, au point de
produire un effet de choc si le contraste est suffisant ; c’est l’origine du coup d’eau dans
Chapitre 12
▲8 Manuel de mécanique des roches
la mine (nommé à juste titre d’après le coup de sang chez l’homme). La psychanalyse
fournit une autre image : l’eau serait la libido du terrain, d’autant plus dangereuse quand
elle se montre le moins.
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 9▲
• les altérations superficielles, variables suivant les roches qu’elles affectent, les causes
qui les ont produites, et leur intensité ; marnes altérées, craies altérés, arènes
granitiques, etc., il y a tous les intermédiaires entre la roche et « son » sol (le mot
anglais weathering met l’accent sur les causes climatiques, mais ce ne sont pas les
seules) ; leur surface est parfois durcie par recristallisation, ainsi les « cuirasses »
latéritiques des climats tropicaux ;
• et sur un autre plan la décompression le long des pentes avec ouverture généralisée des
fractures préexistantes (dans les roches anisotropes à pendage parallèle à la pente, il se produit
parfois un basculement des strates, identifié par Lugeon, qui sera décrit au chapitre 27).
Il n’est pas rare que les principales difficultés viennent de ces zones superficielles, qu’il
s’agisse de fondations, d’excavations, de tunnels ou simplement de la stabilité des pentes
naturelles. L’image classique de la peau vaut seulement pour l’opacité, il ne s agit jamais
d’une membrane, elle n’est ni étanche ni résistante.
Les irrégularités du toit des formations karstiques (calcaires, dolomies) font partie des
inconnues redoutables pour les problèmes superficiels. L’existence d’un profil d’altération est
un trait majeur des roches de la famille des granites mais concerne aussi d’autres roches
comme les schistes. Pour caractériser les différents degrés d’altération on recourt à une
classification relative locale inspirée du tableau 12-1. L’identification du massif non altéré est
difficile, puisqu’on passe de façon progressive d’un degré d’altération à l’autre. La présence
de blocs inaltérés au sein de la zone d’altération complique encore cette tâche.
Chapitre 12
▲10 Manuel de mécanique des roches
Figure 12-1 - Classement schématique très simplifié des roches et des sols en fonction de leur porosité n
(échelle verticale logarithmique de 10-3 à 1), en trois groupes, détritiques (sauf carbonates), carbonatées
(détritiques et chimiques), ignées (les roches salines sont négligées, les roches métamorphiques sont à
ranger avec les roches ignées) ; la ligne pointillée de porosité 0,02 sépare grossièrement les roches vraiment
poreuses, au-dessus, des roches seulement fissurées, au-dessous.
Dans les roches polyminérales à faible porosité comme les granites, la densité dépend de
la teneur en minéraux denses, qui sont en général de couleur sombre ou noire ; il arrive
que la résistance varie en sens inverse de la densité, puisque celle-ci dépend de la teneur
en minéraux denses, qui sont en général de couleur sombre, et que, par leur structure
feuilletée, les micas noirs sont autant de « pailles » au sein de la roche.
Dans les roches monominérales, la porosité apparaît étroitement corrélée avec la densité,
comme dans les bétons ; de la craie au marbre la densité passe de 1,6 à 2,68, la
porosité de 0,4 à moins de 0,01. Comme les deux principaux minéraux des roches le
quartz et la calcite, ont des densités très voisines (les feldspaths sodiques aussi), la plage
des densités de l'immense majorité des roches va de 2 à 2,7, les valeurs au-dessous de
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 11 ▲
2,6 étant justifiées par une forte porosité (avec l’exception des charbons et des roches
salines), celles au-dessus de 2,7 par une forte proportion de minéraux un peu plus
denses, dolomite, feldspaths calciques, et surtout micas, amphiboles, pyroxènes et
grenats, ou même une faible proportion d’oxydes métalliques et de pyrites, tous minéraux
généralement sombres ; au-dessus de 3,2 les minerais lourds sont abondants, dont les
composés des minerais métalliques.
Le minerai de fer lorrain (la minette) échappe aux règles ci-dessus, sa densité reste
« normale », c’est-à-dire voisine de 2,6, quelle que soit sa porosité, qui varie pourtant de
0 à 0,45, car la teneur en oxyde de fer dense compense à peu près la porosité. Une
étude détaillée de sa résistance à la compression en fonction de la porosité a montré que
sa résistance à la compression était inversement proportionnelle à sa porosité. Cette loi
donne une résistance nulle pour une porosité de l’ordre de 0,55. Pourtant il existe des
roches plus poreuses encore, notamment des tufs et ponces volcaniques ; leur résistance
tient à la continuité de leur squelette, au contraire de celui des roches formées de débris
plus ou moins cimentés. D’où l’intérêt d’une classification des roches suivant leur porosité
(figure 12-1), qui inclut d’ailleurs les sols.
La proportion des vides joue un rôle essentiel sur toute les propriétés physiques et
mécaniques, où s’applique en première approximation la loi des mélanges : la densité, la
rigidité, la conductivité du vide étant nulles, les propriétés du solide poreux sont diminuées
en proportion de la porosité, et la déformabilité augmente en raison inverse de la porosité .
Les formes et dimensions des vides ont leur importance : en première approximation on
distingue les pores et les fissures ; celles-ci, très aplaties (faible volume mais grande
surface spécifique), ont peu d’influence sur la déformabilité, mais beaucoup sur la
rupture, et leur répartition peut entraîner une forte anisotropie ; les vides sphériques sont
rares (bulles des laves) ; comme ils ne communiquent pas, ils n’entraînent pas de
perméabilité et rendent la roche isolante ; les vides cylindriques de certains modèles
hydrauliques sont purement fictifs, d’où l’importance des notions de rayon d’accès aux
pores, et de tortuosité des cheminements ; dans les grès, les vides sont des interstices
entre les grains, ils participent à la fois des pores par leur volume et des fissures par leurs
extrémités aiguës, susceptibles comme celles des fissures d’amorcer des ruptures.
Résistance et déformation
Un usage abusif considère la résistance à la compression simple comme la principale
propriété mécanique d’une roche (et d’autres matériaux solides d’ailleurs). La capacité de
déformation avant rupture est souvent négligée, qui conditionne pourtant l’équilibre sous
des charges nouvelles (la compliance des auteurs anglais, qu’on pourrait traduire par
docilité ou complaisance). C’est pourquoi Don Deere (1966) a proposé une classification
sur un graphe E-Rc (figure 12-2) : dans chaque famille de roches ces valeurs sont à peu
près proportionnelles, leur même modulus ratio se traduit par des droites parallèles ; cette
classification est proche de celle qu’on peut établir suivant la fragilité, rapport des
résistances à la compression et à la traction. En mécanique des sols, on définit la
densité critique d’un sable : la déformation des sables plus lâches entraîne une
diminution de volume, celle des sables plus denses une augmentation.
Chapitre 12
▲12 Manuel de mécanique des roches
200
E GPa
Dans les roches très poreuses on observe aussi une contractance, au moins sous triple
étreinte, alors que la dilatance n’est significative qu’à l’échelle du massif rocheux. Ainsi
pour la craie dont le fluage est facilité par la porosité. La rupture en compression de
roches très poreuses comme certains tufs volcaniques est un effondrement généralisé,
comparable à la rupture de la neige sous la chaussure.
Au contraire le fluage des évaporites (sel gemme, etc.) dont la porosité est très faible se
produit au moins en partie par variation de forme des cristaux (macles de la calcite,
dissolution-cristallisation). Ces roches sont de bons modèles pour les déformations
« géologiques » de roches comme les calcaires massifs ; leur grande solubilité leur
permet des déformations à notre échelle de temps : ainsi on observe dans les déserts
d’Iran des reliefs de sel gemme qui s’écoulent à la manière des glaciers.
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 13 ▲
Les mécaniciens des roches ne tarderont pas à exploiter cette idée. La période d’échange
la plus fructueuse entre roches et bétons pourrait avoir été la fin des années 1960, au tout
début de la prise de conscience de la mécanique des roches (Colloque sur la fissuration
des roches en 1967 et surtout Colloque de géotechnique en 1969).
Une différence considérable entre massif rocheux et béton tient à l’emploi du béton en
éléments de forme très élancée, à une ou deux dimensions, alors que le rocher est
toujours tridimensionnel. Cette différence s’atténue dans les ouvrages massifs, notamment
les barrages poids. Réciproquement la fissuration thermique du béton qui refroidit après
sa prise a trouvé une analogie en géothermie (chapitre 25).
Figure 12-3 - Les trois types principaux des structures de massifs rocheux
Il convient d’y ajouter des structures tectoniques complexes, comme celles des couches
plissées, celles des crochons et des écailles, ainsi que les structures particulières des laves
refroidies en surface (colonnes prismatiques jointives à cinq ou six faces). Il faut ajouter
aussi les stades de rupture progressive au voisinage des excavations, par exemple :
• l’écaillage localisé des tunnels profonds,
• la fragmentation du toit d’une taille de charbon en exploitation,
• et aussi les fracturations parallèles aux surfaces d’érosion.
Chapitre 12
▲14 Manuel de mécanique des roches
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 15 ▲
Chapitre 12
▲16 Manuel de mécanique des roches
plus ou moins détaillés, mais qui vont beaucoup moins loin qu’en bâtiment, où
l’encadrement est très strict ; les tunnels ont longtemps échappé à toute normalisation. En
génie parasismique, la normalisation s’applique aux méthodes de calcul.
Remèdes contre le doute, mais pas contre l’incertitude, les normes et règlements sont
faits pour les ouvrages répétitifs, ils sont inadaptés aux ouvrages qui sortent de
l’ordinaire. La mine a été une école de liberté et d’initiative bien différente de la
construction ; les barrages et les tunnels ont suivi son exemple. Réciproquement, s’il
n’y a eu que peu de tentatives de centrales nucléaires en souterrain, c’est pour
partie au moins parce que personne ne sait justifier la stabilité d’une caverne (voir
chapitre 20) ; il en est de même pour les reliefs rocheux, comme on le verra au
chapitre 27.
Chapitre 12
La mécanique des roches pour l’ingénieur 17 ▲
L’anneau souterrain du LEP (synchrotron européen) est un octogone arrondi dont les tronçons
rectilignes reçoivent les aimants accélérateurs et les tronçons circulaires ont un rayon maximal (pour
perdre le moins possible d’énergie). Au début du projet, les physiciens demandent un anneau de
diamètre 10 km, longueur 30 km, tangent à un anneau précédent en un point défini ; le tracé est
donc entièrement fixé, au millimètre près. Les conseils géologues constatent qu’il pénètre jusqu’au
cœur du premier anticlinal jurassien, sous 900 m de couverture, une zone où règne une grande
incertitude (présence de gypse, eau sous pression, marnes déformables . ..).
Les physiciens reculent un peu, en ramenant la longueur à 27 km, ils évitent le gypse et l’essentiel des
marnes, et réduisent un peu la pression d’eau attendue. Des reconnaissances hydrogéologiques vont
alors montrer que le risque karstique est encore trop fort (aucune venue d’eau n’est acceptée dans le
tunnel). Aussi le maître d’ouvrage propose de changer le point de tangence avec l’anneau SPS, ce
qui diminue fortement la couverture, mais rapproche de l’aéroport de Genève Cointrin.
Ultime modification, le plan de l’anneau est légèrement basculé, pour augmenter la couverture près
de l’aéroport (et échapper à des sillons remplis de moraines) ; cette rotation diminue encore la
couverture maximale, à 150 m seulement.
Le chantier a confirmé les craintes des experts puisqu’en dépit des adaptations un débourrage d’eau
sous pression s’est produit pendant le chantier et qu’un an après la mise en service la venue d’eau
s’est à nouveau manifestée.
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▲18 Manuel de mécanique des roches
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La mécanique des roches pour l’ingénieur 19 ▲
On peut ainsi obtenir sur un diagramme coût – délai une distribution des points
correspondant à chacune des simulations. Cette analyse permet d’intégrer les incertitudes
prévisibles par une équipe de projet compétente ; elle permet une meilleure
rationalisation des choix.
Chapitre 12
▲20 Manuel de mécanique des roches
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La mécanique des roches pour l’ingénieur 21 ▲
SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE
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Pasteur L. – Rapport sur l’utilisation agricole des eaux d’égout de Paris, 1888.
Chapitre 12
chapitre 13
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Reconnaissance et auscultation
des massifs rocheux