Trouble Psychiatrique Et Épilepsie
Trouble Psychiatrique Et Épilepsie
Trouble Psychiatrique Et Épilepsie
Les patients atteints d’une épilepsie réfractaire présentent une importante morbidité psychiatrique, un
sujet sur deux souffrant d’un trouble de l’humeur au cours de sa vie. Les troubles psychiatriques ont volon-
tiers une présentation spécifique : certains tableaux cliniques ne se rencontrent qu’au cours de l’évolution
d’une épilepsie et les symptômes de nombreux troubles mentaux classiques sont modifiés par l’existence
de celle-ci. Il n’existe cependant pas de cadre de classement propre aux troubles mentaux de l’épilepsie au
sein des classifications internationales, ce qui pose de redoutables problèmes nosologiques. La plupart des
troubles mentaux sont de ce fait sous-diagnostiqués et sous-traités. Le facteur principal de détérioration
de la qualité de vie dans l’épilepsie est pourtant l’existence d’un trouble dépressif, et le risque de suicide
est particulièrement élevé. Les traitements antiépileptiques ont des effets psychotropes à l’origine d’une
psychopathologie iatrogène quantitativement importante. Les cortectomies curatrices de certaines épilep-
sies chirurgicales génèrent des troubles mentaux qui surviennent chez des patients jusque-là indemnes.
L’essor des neurosciences fait de l’épilepsie un modèle d’étude heuristique de la psychopathologie qui
pourrait s’appliquer dans certains cas aux troubles psychiatriques primaires. Cette mise au point résume
les travaux modernes concernant l’épidémiologie, la phénoménologie, la neurobiologie et la prise en
charge thérapeutique des troubles psychotiques, anxieux et affectifs dans l’épilepsie, avec une attention
particulière accordée aux troubles mentaux spécifiques.
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Mots-clés : Épilepsie ; Dépression ; Troubles anxieux ; Troubles psychotiques ; Qualité de vie ; Épidémiologie
EMC - Psychiatrie 1
Volume 10 > n◦ 1 > janvier 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(12)59256-4
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37-560-A-10 Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte
à évaluer leur comorbidité : cette approche présuppose que la pré- localisée au sein de la face interne d’un lobe temporal pourra
sentation des troubles mentaux n’est pas modifiée par l’existence se caractériser par un phénomène dysmnésique bref inaugu-
d’une épilepsie et que les critères descriptifs des axes 1 (syn- ral suivi d’automatismes oro-alimentaires et d’une altération
dromes cliniques caractérisés) et 2 (troubles de la personnalité) incomplète de la conscience. Les décharges qui intéressent
du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders IV [1] des réseaux fronto-temporo-limbiques plus ou moins étendus
(DSM IV, 1994) sont utilisables. Une deuxième approche consi- peuvent se manifester, en tout ou partie, par des signes cog-
dère que l’épilepsie génère des troubles mentaux spécifiques qui nitifs, émotionnels, comportementaux, mnésiques et/ou de
doivent être abordés comme des entités particulières, bien qu’ils distorsion perceptive allant jusqu’aux hallucinations, créant
ne soient reconnus par aucune des classifications internationales autant de symptômes qui évoquent ou miment la sémiologie
en vigueur [2] . Pour certains, l’emploi des critères du DSM est des troubles mentaux primaires. La répétition à l’identique de
inapproprié dans le contexte d’une épilepsie [3] . Cette conception phénomènes cliniques stéréotypés de durée brève, quels qu’ils
conduit à proposer une classification spécifique des troubles men- soient, est un élément fondamental pour le diagnostic d’une
taux dans l’épilepsie et sera traitée dans un paragraphe séparé. Les épilepsie. Les symptômes en rapport avec une décharge ne
connaissances utilisables pour la pratique thérapeutique reposent durent pas plus d’une à deux minutes en dehors d’un état de
essentiellement sur des consensus d’experts [4] et assez peu sur des mal, et les manifestations d’allure « psychiatrique » des crises
essais contrôlés randomisés. Cette mise au point fait délibérément posent rarement des problèmes de diagnostic différentiel avec
table rase du passé, non sans scrupules. Avant la séparation ins- un trouble mental primaire ;
titutionnelle de la neurologie et de la psychiatrie au début des • la deuxième étape consiste à préciser le caractère focal (point
années 1970, l’épilepsie appartenait de plein droit à la clinique de départ de la décharge sur une région circonscrite du cor-
psychiatrique. Henri Ey écrivait en 1954 que « l’épilepsie était un tex) ou généralisé (mise en jeu d’emblée de manière bilatérale,
prototype de maladie mentale » [5] . Historiquement, la nosologie symétrique et synchrone les deux hémisphères cérébraux) de la
des aliénistes puis des psychiatres s’est développée pendant plus crise ;
de 150 ans [6] en référence permanente aux différentes manifes- • la troisième étape consiste à établir à proprement parler le
tations épileptiques. La surreprésentation des troubles mentaux diagnostic syndromique de l’épilepsie : on distingue sché-
dans l’épilepsie et l’existence de manifestations psychiatriques matiquement les épilepsies généralisées (caractérisées par la
spécifiques de l’épilepsie correspondent ainsi à des données clas- répétition de crises généralisées) et les épilepsies partielles
siques et robustes qui semblent être redécouvertes aujourd’hui [7] . (caractérisées par la répétition de crises focales). Chacun de ces
C’est en effet la démonstration de l’impact considérable de la deux groupes est subdivisé en épilepsies idiopathiques ou symp-
comorbidité psychiatrique sur la qualité de vie d’une personne tomatiques sur un faisceau d’arguments cliniques, fonctionnels
épileptique qui a généré une prise de conscience salutaire. Les et morphologiques.
enjeux pratiques sont importants pour un clinicien qui doit savoir
repérer et diagnostiquer les troubles mentaux pour les traiter
correctement le plus précocement possible, et le malade a tout
à gagner à une amélioration de la collaboration entre neuro- Évaluation
logues et psychiatres. Il nous a semblé utile, avant de rentrer
dans le vif du sujet, de résumer dans le court paragraphe qui Il y a environ 500 000 personnes épileptiques en France. Les
suit quelques repères sur les conceptions actuelles de prise en deux tiers des patients voient leurs crises contrôlées par le trai-
charge des épilepsies pour comprendre les modalités de classe- tement médicamenteux et environ un tiers (de 100 000 à 150 000
ment de certains troubles mentaux qui seront développés dans cet personnes) persistent à avoir des crises récurrentes en dépit d’un
article. traitement bien conduit, rentrant dans le cadre de l’épilepsie
dite réfractaire ou pharmacorésistante. L’épileptologie a béné-
ficié de deux progrès : l’IRM et la vidéo-EEG. L’IRM cérébrale
Épilepsies : définitions, morphologique permet de répondre sans équivoque à la ques-
tion de l’existence d’une lésion cérébrale, ancrant le champ de
classification l’épilepsie partielle symptomatique dans le registre de l’objectivité
iconographique. Aujourd’hui, dans plus de 80 % des épilepsies
Définitions partielles réfractaires, la cause de l’épilepsie est précisée par l’IRM,
selon des procédures d’acquisition des images spécifiques. Le
Épilepsie : répétition de crises épileptiques spontanées. Crise
scanner cérébral n’a plus d’intérêt dans le diagnostic étiologique
épileptique : manifestations cliniques de l’hyperactivité paroxys-
d’une épilepsie quand l’IRM est disponible. La notion de lésion
tique d’un groupe de neurones cérébraux. La crise est un
a considérablement évolué en rendant de plus en plus ténues
symptôme, l’épilepsie une maladie, ou plutôt un ensemble hété-
les différences entre les structures normales et pathologiques. Un
rogène qui regroupe une soixantaine de syndromes très différents
trouble neurodéveloppemental peut, par exemple, se traduire par
qui n’ont en commun que la tendance à la répétition des
un épaississement anormal isolé d’un sillon cortical ou par une
crises. Le taux de prévalence de l’épilepsie est de 0,8 % en
zone dysplasique, responsables d’une épilepsie. L’enregistrement
France.
vidéo-EEG de longue durée (plusieurs jours), diurne et nocturne,
qui permet la captation directe de crises avec leur concomitant
Diagnostic et classification EEG, a révolutionné le diagnostic positif de crise épileptique : il
est désormais possible d’enregistrer en temps réel tous les phé-
Le diagnostic repose sur une démarche clinique rigoureuse nomènes cliniques paroxystiques suffisamment fréquents pour
complétée par l’électroencéphalogramme (EEG) et, au cas par que leur probabilité d’enregistrement soit élevée. La vidéo-EEG
cas, par une exploration morphologique cérébrale, imagerie a démocratisé l’accès au traitement chirurgical de l’épilepsie. Un
par résonance magnétique (IRM), pour aboutir à un diagnos- fait important, démontré par les enregistrements vidéo-EEG réa-
tic syndromique. La démarche clinique comprend trois étapes lisés dans les centres tertiaires, est que près de 20 % des « crises »
successives : enregistrées chez des patients considérés en première approche
• en premier lieu, démontrer le mécanisme épileptique d’un comme atteints d’une épilepsie active ne sont pas, en réalité,
trouble clinique. Les symptômes cliniques en rapport avec des crises épileptiques, mais correspondent à des évènements en
une décharge anormale au sein d’un réseau neuronal cortical rapport avec des états dissociatifs et/ou des conversions (au sens
dépendent de la taille de celui-ci, de sa spécialisation fonction- du DSM), eux-mêmes majoritairement en rapport avec des états
nelle et des modalités de propagation de la décharge dans le de stress post-traumatiques [8] . La question des évènements non
temps et dans l’espace. La variété des manifestations obser- épileptiques sort du cadre de ce travail, mais il est évident que
vables est considérable : la décharge au sein du cortex moteur l’absence de preuve vidéo-EEG de la réalité d’une épilepsie est
d’un hémisphère cérébral pourra par exemple se manifester par une source potentielle de biais pouvant conduire à surestimer la
des clonies de l’hémicorps controlatéral, alors que la décharge psychopathologie.
2 EMC - Psychiatrie
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Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte 37-560-A-10
Le diagnostic d’une épilepsie est clinique et compatible avec portant sur de grands effectifs (n = 36 984) menée en population
un ou plusieurs EEG normaux et une imagerie cérébrale nor- générale [14] a montré que les patients épileptiques comparés à
male. Autrement dit, aucune exploration ne permet de démontrer la population non épileptique avaient significativement plus de
l’absence d’épilepsie : on ne peut jamais prouver qu’un sujet n’est troubles anxieux (odds ratio [OR] : 2,4 ; intervalle de confiance
pas épileptique. [IC] à 95 % [1,5–3,8]) et d’idées suicidaires (OR : 2,2 ; IC à 95 %
L’évaluation appropriée d’une épilepsie nécessite une approche [1,4–3,3]). Par ailleurs, la prévalence de l’anxiété évaluée par auto-
globale qui intègre les aspects électrocliniques, cognitifs et psy- questionnaires [15] chez des personnes épileptiques « tout venant »,
chologiques et qui analyse au cas par cas le retentissement de repérés par leur généraliste et vivant dans la communauté (n = 515)
l’épilepsie sur la vie personnelle, sociale et professionnelle d’un est estimée à 20,5 % (IC : 95 % [16,9–24,1 %]). Les facteurs asso-
sujet. La classification syndromique des épilepsies en vigueur ciés à la présence de l’anxiété sont l’existence d’un trouble
(1989) [9] a permis de compléter le raisonnement symptomatique dépressif, la perception d’effets indésirables du traitement, un
établi à partir de la seule description des crises. Les crises, partielles niveau d’éducation faible, le chômage, le sexe féminin. L’anxiété
ou généralisées, ont le statut de simples symptômes électrocli- n’est pas liée à la durée d’évolution de l’épilepsie. Les troubles
niques et contribuent à la réflexion syndromique au même titre bipolaires intéresseraient 12 % des patients épileptiques [16] . La
que les données cliniques, neuropsychologiques et paracliniques. fréquence des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) pour-
Le développement de la classification des syndromes épileptiques rait atteindre 20 % dans l’épilepsie temporale [17] , alors que les
a montré que les modalités de classement antérieures étaient pro- sujets atteints d’une épilepsie généralisée idiopathique ont un
blématiques pour l’analyse de la psychopathologie, rendant la taux de prévalence identique à celui de la population géné-
plupart des travaux historiques impossibles à interpréter rétros- rale [18] . La prévalence du trouble phobique induit par une anxiété
pectivement. anticipatoire (agoraphobie par peur de se retrouver seul dans
Les crises épileptiques étant des phénomènes intermittents, un endroit où une crise pourrait survenir) n’est pas clairement
il est fondamental de préciser la chronologie de survenue de évaluée [19] .
troubles mentaux transitoires par rapport aux crises et de distin-
guer les troubles mentaux ictaux (contemporains de la survenue
d’une crise), les troubles mentaux postictaux (qui suivent la sur-
venue d’une crise à distance de la phase postcritique) et les Risque de suicide dans l’épilepsie
troubles interictaux (qui évoluent durablement chez un sujet épi-
leptique sans être chronologiquement reliés à la survenue des Les données classiques considèrent qu’environ 10 % des décès
crises). dans l’épilepsie peuvent être rapportés à un suicide [20] , que le
taux de suicide est cinq fois supérieur chez les personnes épilep-
tiques comparées à la population générale [21] et qu’il pourrait être
Analyse de la comorbidité multiplié par 25 dans les suites d’une chirurgie de l’épilepsie [22] .
Ces données reposent cependant sur des méta-analyses difficiles
entre épilepsie et troubles mentaux à interpréter compte tenu de la prévalence du risque. En effet,
1,5 % de l’ensemble des décès dans le monde sont la conséquence
considérés de manière d’un suicide, évènement par définition unique chez une per-
indépendante sonne donnée. Ainsi, de grands effectifs suivis sur une longue
période sont nécessaires pour aboutir à une estimation correcte
Le principe de cette approche consiste à repérer l’existence du risque dans une affection quelconque. De plus, le taux de
de troubles mentaux à l’aide d’entretiens structurés et d’échelles suicide est plus faible dans certaines populations (par exemple
de mesure validées pour le diagnostic de syndromes cliniques chez les sujets avec troubles de l’apprentissage), ce qui peut biai-
caractérisés (axe 1 du DSM) ou de troubles de la personnalité ser les résultats si des sujets répondant à cette caractéristique
(axe 2) chez des patients épileptiques, en faisant abstraction du et, par ailleurs, épileptiques sont inclus dans la cohorte étudiée.
diagnostic d’épilepsie. Le clinicien définit précisément les signes Une méta-analyse regroupant 29 cohortes publiées et portant sur
élémentaires regroupés en syndromes dont la durée d’évolution 187 suicides chez 50 814 patients avait insisté sur l’augmentation
est spécifiée. Cette approche a été une source de progrès déci- globale du risque [23] , en reconnaissant cependant que toutes les
sifs. L’étude de la comorbidité psychiatrique dans l’épilepsie avant études n’étaient pas également contributives, certaines ne mon-
l’approche critérielle descriptive s’est heurtée à des difficultés trant pas d’augmentation du risque de suicide dans l’épilepsie
méthodologiques insurmontables [10] . Dans les travaux anciens, par rapport à la population générale. Une étude de cas témoins
le diagnostic de l’épilepsie et des troubles mentaux était clinique en population générale de grande envergure a permis d’évaluer
et subjectif et, de ce fait, difficilement comparable d’une étude à de manière décisive le risque de suicide chez les personnes épi-
l’autre, compte tenu de la variété des systèmes de classification et leptiques [24] . Les registres de décès danois entre 1981 et 1997
de la terminologie. À l’époque prémorphologique, il était malaisé ont été exploités, permettant de repérer 21 169 suicides appariés
d’apprécier le rôle de la lésion dans la genèse d’un trouble men- avec 423 128 sujets contrôles (20 contrôles par suicide appariés
tal. Par ailleurs, des troubles cognitifs, parfois subtils [11] , avec ou selon l’âge et le sexe, pour apprécier le rôle des facteurs favori-
sans concomitant EEG [12] , peuvent être à l’origine de troubles du sants reconnus que sont le statut socioéconomique et l’existence
comportement, et le traitement antiépileptique peut induire des de troubles mentaux). Les épileptiques représentaient 2,32 % de
troubles mentaux (cf. infra). Il est donc nécessaire de contrôler l’ensemble des suicides (n = 492) avec un risque relatif multiplié
ces différents facteurs de confusion pour apprécier la réalité d’un par 3,17 par rapport à la population contrôle. Ce risque de sui-
trouble mental rapporté à l’évolution d’une épilepsie de manière cide chez les épileptiques restait significativement élevé (risque
adéquate. doublé) en ajustant selon les données socioéconomiques et en
excluant les sujets atteints d’une affection psychiatrique comor-
bide. Le risque était le plus élevé dans les six mois suivant le
Données épidémiologiques générales diagnostic d’épilepsie. La coexistence d’un trouble mental avéré
et d’une épilepsie multipliait le risque de suicide par 29,2 par rap-
Une revue générale qui fait référence [13] a synthétisé les don- port aux sujets non épileptiques exempts de troubles mentaux
nées établies à partir de l’approche moderne. En résumé, 6 % dans les six mois qui suivaient le diagnostic. Le risque de suicide
des patients épileptiques issus de la population générale ont décroissait avec la durée d’évolution de l’épilepsie. Un éditorial [25]
des troubles mentaux caractérisés, mais la proportion concerne a précisé que les résultats ne pouvaient pas être extrapolés facile-
20 % de ceux atteints d’une épilepsie réfractaire et/ou tempo- ment à l’ensemble de la population mondiale parce que le taux
rale. Les troubles de l’humeur sont les plus fréquents (24–74 %), de suicide varie selon les pays et que celui du Danemark est un
principalement les troubles dépressifs (30 %), puis suivent les des plus élevés au monde. Il n’y avait pas d’explication claire au
troubles anxieux (10–25 %), les troubles psychotiques (2–7 %) et résultat le plus inattendu qui était que le taux de suicide était élevé
les troubles de la personnalité (1–2 %). Une étude canadienne dans l’épilepsie, qu’il y ait ou non un trouble mental associé.
EMC - Psychiatrie 3
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37-560-A-10 Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte
Problème de la comorbidité en pratique duquel coexistaient épilepsie et troubles mentaux (n = 6320). Les
épileptiques affectés de troubles mentaux avaient une détériora-
Il est utile en pratique de distinguer schématiquement deux tion significative (−21 %) de leur qualité de vie.
situations très différentes. Les sujets d’intelligence normale Il est ainsi démontré que la présence de troubles mentaux joue
atteints d’une épilepsie idiopathique ou cryptogénique contrô- un rôle délétère significatif sur l’estimation de la qualité de vie
lée par le traitement n’ont pas plus de troubles mentaux que d’une personne épileptique.
les sujets contrôles non épileptiques appariés selon le niveau,
l’âge et le sexe [26] . À l’opposé, le sous-groupe des patients atteints
d’une épilepsie partielle pharmacorésistante se caractérise par
une morbidité psychiatrique élevée [27] . Une étude prospective Troubles mentaux spécifiques
anglaise [28] évaluant la survenue de troubles mentaux aigus diag- de l’épilepsie
nostiqués par les médecins généralistes chez les patients atteints
d’une épilepsie active a montré que 80 % des cas survenaient Il n’existe, dans les classifications internationales des troubles
chez des patients porteurs d’une épilepsie partielle réfractaire : mentaux en vigueur, aucune catégorie spécifique pour réperto-
« Cette étude confirme le fait que les patients particulièrement rier des situations cliniques qui ne s’observent pourtant que dans
à risque de troubles psychiatriques sont ceux atteints d’une le cadre de l’épilepsie. De manière analogue, les classifications
épilepsie partielle chronique réfractaire traités avec une polythé- des syndromes épileptiques proposées par la Ligue internatio-
rapie et qui ont d’importantes difficultés psychosociales. » L’étude nale contre l’épilepsie ou l’Organisation mondiale de la santé
prospective de Manchanda et al., 1996, a utilisé les critères diag- (OMS) ne tiennent aucun compte des données psychopatho-
nostiques des axes 1 et 2 du DSM chez 300 patients atteints d’une logiques. Aucun consensus international ne permet de repérer
épilepsie réfractaire étudiés consécutivement dans une perspec- spécifiquement les troubles mentaux reliés chronologiquement à
tive chirurgicale ou non. La moitié environ des patients évalués la survenue des crises, les troubles mentaux liés à l’utilisation des
avaient des troubles mentaux caractérisés : 88 (29,3 %) avaient AE ou les complications psychiatriques des cortectomies curatrices
un trouble repéré sur l’axe 1 et 54 (18 %) sur l’axe 2 (troubles de l’épilepsie. La suggestion de la commission de psychobio-
de la personnalité) du DSM [29] . La comparaison des taux de logie de la Ligue internationale contre l’épilepsie pour classer
prévalence de différents troubles mentaux en population géné- les troubles mentaux [2] représente à ce titre une avancée consi-
rale et au sein de centres spécialisés illustre l’aggravation du dérable. Pour favoriser le diagnostic des troubles mentaux, la
risque en cas d’épilepsie réfractaire. Dans une étude prospec- chronologie des signes cliniques par rapport à la survenue des
tive portant sur 1069 épileptiques, le taux de dépression était crises doit être précisée et les données de l’EEG doivent être rap-
estimé à 11,2 % (IC : 8,3–13,7) [30] en population générale contre portées, spécialement lors des états de mal non convulsivants. Le
22,1 % dans un groupe de patients chirurgicaux [31] . Globale- cadre des psychoses alternantes, avec ou sans normalisation forcée
ment, l’incidence cumulative de l’ensemble des troubles mentaux de l’EEG mérite d’être individualisé (cf. infra). Le concept de psy-
repérés sur les axes 1 et 2 du DSM au sein de populations chose postictale, excluant les confusions postcritiques et les états
d’épilepsies réfractaires évaluées de manière prospective dans des de mal non convulsivants à expression psychiatrique doit être
centres préchirurgicaux, est très élevée de manière homogène, créé. Les troubles de l’humeur survenant chez un épileptique, dès
comprise entre 50 et 80 %. Une dépression est observée chez lors qu’ils créent un handicap ou s’accompagnent d’une demande
58 à 72 % des patients évalués dans un contexte préchirurgical d’aide médicale, doivent être décrits, quelle que soit leur durée
avec les critères du DSM [32, 33] , et le risque suicidaire y est par- d’évolution, et distingués des syndromes cliniques caractérisés du
ticulièrement élevé [34] . Les troubles anxieux affectent 30 % du DSM. Une phobie spécifique, la peur des crises, doit être ajoutée
sous-groupe de patients réfractaires [35] . Dans une étude contrôlée au spectre des troubles anxieux. Enfin, le rôle éventuel des traite-
prospective comparant un groupe de 48 patients atteints d’une ments antiépileptiques doit être spécifié au moyen des catégories
épilepsie temporale réfractaire traitée médicalement à un groupe suivantes : sevrage d’un médicament dans la semaine précédant
témoin non épileptique (n = 69) pendant une durée de quatre l’apparition des troubles mentaux, instauration d’un traitement
ans, il y a eu plus de quatre fois plus de troubles repérés sur dans le mois précédent, instauration et sevrage simultanés, pas de
l’axe 1 du DSM chez les épileptiques tout au long de la période modification du traitement antiépileptique.
d’étude [36] . La description clinique des troubles mentaux spécifiques de
l’épilepsie est détaillée dans l’ordre suivant : psychoses ictales,
troubles postictaux, psychoses interictales brèves, psychoses
Troubles mentaux et qualité chroniques, troubles liés aux médicaments antiépileptiques,
troubles postchirurgicaux, trouble dysphorique interictal (TDI).
de vie Le concept de personnalité temporale sera discuté en dernier
lieu.
Les personnes épileptiques dont les crises sont durablement
contrôlées (les deux tiers des sujets) ont une qualité de vie
comparable à celle de la population générale [37] . Une étude
prospective [38] réalisée chez 122 patients atteints d’une épilep- Psychoses ictales
sie réfractaire a analysé l’impact de huit variables cliniques sur Le concept de psychose épileptique doit être strictement réservé
la qualité de vie mesurée par le Quality of Life in Epilepsy-31 aux troubles psychotiques directement liés à l’existence d’une épi-
(QOLIE-31 ; revue générale sur les échelles disponibles en français lepsie active par une relation de cause à effet. Nous en avons
dans l’épilepsie réfractaire [39] ). L’effet de l’âge, du sexe, de l’état proposé une classification [6] , résumée dans le Tableau 1.
marital, de la fréquence des crises, de la durée d’évolution, de la
nature du syndrome et de la localisation du foyer, du nombre
d’antiépileptiques (AE) prescrits, et de l’existence d’une dépres-
Tableau 1.
sion a été évalué. L’existence d’une dépression était l’unique
Classification des psychoses épileptiques (d’après [6] ).
facteur prédictif d’une qualité de vie moindre (p < 0,000 1) alors
qu’aucune des autres variables ne jouait de rôle significatif. Dans 1. Troubles psychotiques en relation chronologique avec la survenue des
cette cohorte, la dépression était fréquente (54 % des sujets), crises épileptiques
sévère (19 % des sujets avaient des idées suicidaires), non diag- 1-1. Psychoses ictales et péri-ictales
nostiquée chez 37 % des sujets et non ou incorrectement traitée 1-2. Psychoses postictales
chez 83 % des patients. Les effets sur la qualité de vie (autoévalua- 1-3. Psychoses interictales
tion de l’état de santé par le Veterans Short Form-36 [SF-36V]) de 1-3-1. Épisodiques
1-3-2. Chroniques
l’ensemble de la comorbidité psychiatrique ont été analysés [40]
2. Psychoses médicamenteuses
en comparant un groupe de vétérans américains épileptiques
3. Psychoses post-lobectomie
exempts de troubles mentaux (n = 7379) à un groupe au sein
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Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte 37-560-A-10
Les symptômes observés lors d’une psychose ictale sont la Éléments fondamentaux du concept de troubles
conséquence d’un état de mal non convulsivant. L’état de mal
postictaux
réalise une condition épileptique fixe et durable et correspond
à l’expression maximale de l’épilepsie. Alors qu’une crise épi- Les troubles mentaux postictaux sont caractérisés par une
leptique isolée ne dure que quelques secondes à une ou deux chronologie précise : survenue d’une crise ou d’une salve de
minutes (en dehors de la période postcritique), un état de mal crises, confusion postcritique habituelle, retour à une consci-
peut durer plusieurs heures sans traitement. La situation clinique ence normale, intervalle de complète lucidité d’une durée de 2 à
la plus fréquemment rencontrée est une confusion mentale plus 120 heures, puis apparition soudaine d’un trouble mental de durée
ou moins délirante (delirium), mais l’altération de la conscience brève (de quelques heures à une semaine) évoluant en pleine cons-
est au premier plan, ne posant guère de problèmes diagnos- cience et dont la terminaison est brusque. En pratique, ce cadre
tiques avec un trouble psychiatrique primaire. L’EEG est l’outil regroupe les psychoses postictales (PPI), les symptômes dépressifs
diagnostique essentiel puisqu’il s’avère constamment anormal : il postictaux et les manies postictales plus récemment rapportées.
montre soit une activité de pointes témoignant du caractère cri-
tique de l’épisode, permettant la distinction entre états d’absence Psychoses postictales
(anomalies paroxystiques généralisées, bilatérales et synchrones)
Le syndrome PPI représente de 20 à 30 % [46] de l’ensemble des
et états de mal partiels complexes (anomalies critiques focales
troubles psychotiques observés dans l’épilepsie et concerne les
plus ou moins étendues), soit des anomalies lentes de distri-
patients atteints d’une épilepsie partielle réfractaire qui évolue
bution et d’amplitude variables orientant vers une confusion
depuis au moins 10 ans (en moyenne 15 ans). Les crises épilep-
postcritique. Certains états de mal frontaux peuvent cependant
tiques habituelles comportent fréquemment une aura caractérisée
avoir une présentation psychiatrique trompeuse. Les patients sont
par une sensation de peur, un sentiment de dépersonnalisa-
en général bien orientés et exécutent des ordres simples, mais
tion ou des phénomènes dysmnésiques. Les patients atteints
des troubles attentionnels perturbent la réalisation de tâches
ont plus fréquemment des antécédents psychiatriques quand ils
complexes. Le tableau est dominé par des troubles de l’humeur
sont comparés à des épileptiques appariés non psychotiques,
et du comportement, soit sous la forme d’un état hypomaniaque
qu’il s’agisse de troubles anxieux ou dépressifs [47] , d’antécédents
avec désinhibition, logorrhée, familiarité, soit, au contraire, sous
familiaux de troubles mentaux [48] ou encore de troubles de la
la forme d’un état de prostration relative avec indifférence affec-
personnalité repérés sur l’axe 2 du DSM [49] . Après lobectomie
tive, pauvreté de la mimique, réduction de la fluence verbale, avec
curatrice de l’épilepsie, les PPI ne sont observées que chez les
absence d’activité motrice spontanée. Une évolution cyclique des
patients qui continuent à avoir des crises, soulignant le rôle cru-
troubles est observée, et des signes additionnels variables sont pré-
cial de la répétition des crises dans la genèse du trouble. L’EEG
sents d’un patient à l’autre : pensée forcée, déviation de la tête
de scalp montre des foyers bitemporaux indépendants deux fois
ipsi- ou controlatérale au foyer, myoclonies de faible amplitude,
sur trois en période intercritique [50] . L’EEG pendant la psychose
persévérations [41] . Sur l’EEG, le pattern habituel consiste en des
est superposable au tracé prépsychotique : il n’y a notamment ni
décharges prolongées et récurrentes d’activités rapides à point de
anomalies critiques (qui seraient en faveur d’une psychose ictale),
départ frontal unilatéral, suivies de pointes et pointes-ondes ou
ni ondes lentes (en faveur d’une confusion postcritique délirante),
d’ondes lentes.
ni de normalisation de l’électrogenèse (en faveur d’une norma-
Rohr Le Floch et al., 1988 [42] , ont rapporté les observations de
lisation forcée ; cf. infra) [6] . L’épilepsie est d’origine lésionnelle
18 patients atteints d’états de mal frontaux : « L’attitude du sujet
une fois sur deux (la lésion est en règle générale visualisée sur
peut évoquer une absence, mais le plus souvent la désintégration
l’IRM), extratemporale, frontotemporale ou temporale « plus »,
de la conscience est peu profonde. Ce n’est qu’une observation de
pharmacorésistante, et régulièrement traitée, de ce fait, par une
la mimique changeante du patient qui motive la demande d’EEG
polythérapie antiépileptique. Des lésions bilatérales étendues [51] ,
[...] Tout état de mal non convulsivant peut être pris pour un syn-
une intelligence faible [52] , une activité de fond ralentie sur l’EEG
drome psychiatrique aigu [...], mais cette erreur est plus fréquente
sont considérées comme des facteurs de risque. L’existence d’une
chez le sujet non épileptique. »
sclérose hippocampique est un facteur de risque spécifique chez
les patients dont l’IRM ne montre pas d’autres lésions morpho-
logiques [53] . Le trouble psychotique survient après une série de
Troubles mentaux postictaux crises très rapprochées, typiquement sous la forme d’une salve de
crises. Le début est brutal, après un intervalle libre d’une durée
Historique de 2 à 120 heures à l’issue de la dernière crise. La conscience est
préservée ou très discrètement altérée pendant l’épisode délirant
L’histoire moderne des troubles postictaux a débuté dans les
qui évolue en moyenne pendant une semaine : 48 % des PPI dis-
années 1990 avec la description de petites séries de patients, éma-
paraissent dans les 5 jours, 62 % dans les 7 jours, 81 % dans les
nant des centres de vidéo-EEG chirurgicaux [43, 44] , chez lesquels
14 jours, et 97 % dans le mois suivant le début des troubles [54] .
un trouble psychotique aigu survenait après un intervalle de luci-
dité, à la suite d’une salve de crises. Le tableau clinique, hautement Tableau clinique du trouble mental, durée et évolution
spécifique, était pourtant connu depuis les premières descriptions Le tableau est caractérisé par un délire aigu très polymorphe,
cliniques de la deuxième partie du XIXe siècle. Ainsi, dans le traité associant en proportion variable : des troubles de l’humeur,
classique de Turner (1907) [45] , la manie aiguë épileptique (grand souvent au premier plan, des hallucinations auditives, des thé-
mal intellectuel de Falret) est ainsi rapportée : « Les attaques de matiques religieuses ou de grandeur, une idéation paranoïaque,
manie suivent habituellement les crises majeures et sont caracté- des comportements de désinhibition sexuelle, une logorrhée, des
risées par une agitation importante et un haut degré d’excitation. réponses émotionnelles excessives, voire un comportement auto-
Il est à remarquer que ces états ne suivent pas immédiatement ou hétéroagressif explosif potentiellement dangereux, avec majo-
les crises mais qu’un intervalle d’un jour est parfois observé entre ration du risque suicidaire [55] . L’évolution est caractérisée par la
la manifestation convulsive et le trouble mental [...] le phéno- fréquence des récidives sous la forme d’épisodes strictement iden-
mène est plus fréquent en cas de crises récurrentes. Les épisodes tiques. Dans 10 à 15 % des cas, le délire peut évoluer sur un mode
durent douze heures ou plus ou quelques jours. Le patient passe chronique [56] . Ces tableaux sont considérés en France dans la lit-
brusquement en état de délire aigu et la cessation est presque térature classique comme des bouffées délirantes aiguës brèves.
toujours également brusque. » Dans la littérature classique de
langue française [7] , ces tableaux sont considérées comme des états Physiopathologie
crépusculaires (Ey, 1954 [5] ), de durée brève (de quelques heures Une hypertrophie bilatérale des noyaux amygdaliens (études
à quelques jours), survenant de 24 heures à une semaine après volumétriques en IRM) a été observée chez des sujets atteints
un ou plusieurs épisodes critiques, caractérisés par une lucidité de PPI (et interictales brèves) par rapport aux épileptiques non
apparente, des hallucinations terrifiantes, un délire religieux, la psychotiques appariés [57] , témoignant de l’existence d’anomalies
sauvagerie des actes impulsifs et la tendance à la répétition à structurelles subtiles. Une dysplasie temporale avec préservation
l’identique. de l’hippocampe antérieur pourrait être un élément structurel
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supplémentaire associé à la survenue d’une PPI [58] . Les études Psychoses interictales brèves
métaboliques fonctionnelles réalisées en comparant la tomogra-
phie d’émission monophotonique (TEMP) lors de la psychose à Des psychoses interictales brèves (durant moins de trois mois,
une scintigraphie de référence en période non psychotique ont le plus souvent moins d’un mois) peuvent, très rarement, surve-
montré plusieurs patterns possibles : une hyperperfusion bifron- nir dans un contexte de réduction importante de la fréquence
tale et bitemporale lors de la PPI [59] , une hyperperfusion des lobes des crises ou de disparition de celles-ci chez des patients atteints
frontal et temporaux ipsilatéraux, une hyperperfusion des aires d’épilepsies temporales ou de syndromes généralisés évoluant
temporales latérales [60] . Deux observations de PPI ont été rappor- depuis au moins 15 ans. Une insomnie, de l’anxiété, un retrait
tées au cours d’enregistrements par électrodes implantées dans les des activités précèdent la survenue de tableaux variables dont
structures mésiales [61, 62] montrant que le trouble mental n’était la présentation clinique est polymorphe, mais qui prennent le
pas la conséquence d’un état de mal limbique sans traduction plus souvent l’aspect de psychoses paranoïaques évoluant en
électrique sur le scalp. Une étude morphométrique a montré un pleine conscience, associées à des hallucinations et des troubles
épaississement du cortex cingulaire droit chez les patients psycho- de l’humeur.
tiques (n = 11) par rapport à deux groupes contrôles (épileptiques Deux conceptions originales (normalisation forcée de l’EEG,
sans psychoses et sujets normaux [63] ). Certains travaux, large- psychose alternante) ont été développées pour rendre compte
ment spéculatifs, ont cherché à mettre en évidence un substrat de certains de ces états. La normalisation forcée est un concept
biochimique aux phénomènes. Le rôle potentiel de la dynor- EEG rapporté par Landolt (1958) [68] , caractérisé par le fait que
phine hippocampique a été suggéré [64] ; en effet, l’activation des « l’état psychotique s’accompagne d’une disparition des anoma-
récepteurs opioïdes kappa par la dynorphine génère des effets lies observées sur l’EEG intercritique habituel, au point que le tracé
simultanément anticonvulsivants et propsychotiques et la dynor- devient entièrement normal ». Le concept de psychose alternante
phine est relarguée après une intense activité critique. Considérées (Tellenbach, 1965) [69] est purement clinique et décrit la relation
dans leur ensemble, les données cliniques, morphologiques et inverse entre un état mental altéré et un bon contrôle des crises ou
fonctionnelles font de la psychose postictale une entité autonome entre un état mental normal et la présence de crises nombreuses,
aisément identifiable. indépendamment des données de l’EEG. Le rôle du traitement
antiépileptique dans la genèse des psychoses interictales brèves
est encore mal compris : le développement d’un trouble psycho-
tique en cas de contrôle brutal des crises n’est pas simplement lié
Symptômes dépressifs postictaux à la molécule utilisée [70] et peut être observé après traitement chi-
Ce concept a été rapporté par Kanner et al., 2004 [65] . Une rurgical de l’épilepsie. De telles situations plaident en faveur d’un
recherche systématique de symptômes dépressifs à partir d’une déterminisme spécifique des troubles.
liste standardisée a été effectuée au sein d’une cohorte de
100 patients consécutifs atteints d’une épilepsie partielle réfrac-
taire lors de la période postictale. Les symptômes observés Psychoses interictales chroniques
devaient correspondre au pattern habituel de plus de la moi- La présentation clinique des troubles psychotiques interictaux
tié des crises d’un sujet donné. Parmi les 100 patients, 43 ont chroniques chez l’épileptique est évocatrice [71] . Il s’agit de schi-
eu en moyenne 4,8 ± 2,4 symptômes dépressifs postictaux (de 2 zophrénies de type paranoïde, avec des nuances sémiologiques.
à 9 ; médiane 5) après un intervalle de complète lucidité. La Une indifférence affective et un retrait des activités sont rarement
durée médiane des deux tiers des symptômes était de 24 heures. rencontrés, alors que les fluctuations rapides de l’humeur sont fré-
Treize des patients ont eu sept symptômes dépressifs qui ont quentes. Les thématiques délirantes sont assez souvent mystiques,
duré 24 heures ou plus. Des idées suicidaires postictales ont été alimentées par des hallucinations auditives et par des halluci-
observées chez 13 patients. Dix de ces treize patients avaient des nations visuelles inhabituelles. Les troubles négatifs sont rares.
antécédents de dépressions majeures ou de troubles bipolaires. L’épilepsie débute avant l’âge de 10 ans et un intervalle d’environ
Les symptômes dépressifs, quand ils étaient présents pendant la 14 ans sépare le début de l’épilepsie de la psychose. Il n’y a pas de
période interictale, étaient plus intenses dans la période postictale personnalité prémorbide de type schizoïde, ni d’antécédents fami-
chez 30 patients. Il existait enfin une corrélation significative entre liaux de schizophrénie. L’existence d’une épilepsie temporale est
la présence de symptômes dépressifs postictaux et l’existence considérée comme le facteur de risque principal. L’évolution des
d’une dépression interictale. psychoses épileptiques paraît moins déficitaire que celle des schi-
zophrénies endogènes. Blumer et al. (2000) [72] considèrent que ces
psychoses sont une extension du TDI et que leur prise en charge
Manies postictales nécessite l’association d’antidépresseurs à fortes doses plutôt que
l’utilisation de neuroleptiques.
Nishida et al., 2006 [66] , ont rapporté les tableaux cliniques de
cinq patients avec manie postictale pure (épisode maniaque pur
F30, selon la classification internationale des maladies no 10 de
l’OMS (International Classification Disease-10 [ICD-10]) [67] qui Troubles mentaux d’origine
ont été comparés à 17 PPI. Les symptômes associaient une humeur médicamenteuse
exaltée, expansive, euphorique et une distractibilité durant en
moyenne 16 jours, récurrents (sept épisodes en moyenne par Introduction
patient). Les crises étaient en rapport avec des foyers frontotem-
poraux dans l’hémisphère dominant pour le langage. Le pendant pharmacologique de l’interface établi à travers
l’épilepsie entre la neurologie et la psychiatrie est représenté par
l’emploi des AE. Cinq AE sont autorisés pour la prise en charge de
troubles mentaux en dehors de l’épilepsie : les benzodiazépines
Considérations thérapeutiques dans les troubles anxieux, l’insomnie et le sevrage alcoolique, le
Il existe un véritable traitement préventif des troubles pos- valproate et la carbamazépine dans les troubles bipolaires et les
tictaux qui repose sur l’observance scrupuleuse d’un traitement états maniaques, la lamotrigine dans le traitement préventif des
antiépileptique qui contrôle les crises. En cas d’enregistrement rechutes dépressives dans le trouble bipolaire et le prégabalin dans
vidéo-EEG avec réduction du traitement, pour favoriser la sur- le trouble anxieux généralisé [73] . Cockerell et al. (1996) [28] ont rap-
venue de crises, un trouble postictal peut survenir en cas de porté, dans leur étude prospective destinée à mesurer l’incidence
crises retardées après la sortie de l’hôpital. Les troubles postictaux des troubles psychiatriques aigus chez les épileptiques, en Angle-
ont une évolution spontanément favorable, avec ou sans traite- terre, la survenue de 64 cas de troubles psychiatriques observés
ment, mais les symptômes psychotiques peuvent être réduits voire au sein d’une cohorte de 473 épileptiques inclus en une année.
contrôlés avec une association empirique de benzodiazépines et Dix-neuf étaient considérés comme étant d’origine médicamen-
de neuroleptiques atypiques [68] . teuse. Le délai d’apparition des troubles mentaux était variable, de
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cours du temps [92] , et les patients libres de crises ont significative- ailleurs conduit à définir dans les années 1950 un nouveau cadre
ment une meilleure humeur que les sujets opérés dont les crises nosologique, l’épilepsie temporale, aux limites très mal précisées
persistent [93] . Les TOC préopératoires pourraient s’aggraver après à la lumière des progrès actuels. La conception de personnalité épi-
l’intervention, même en cas de bon contrôle des crises [94] . Il existe leptique temporale résulte de ces évolutions nosologiques. Elle a été
un profil d’évolution des scores observés aux échelles de qualité de développée chez des petits effectifs de patients au moyen d’outils
vie (Quality Of Life [QOL]), d’anxiété et de dépression hétérogène de mesure psychologiques insatisfaisants sur le plan méthodolo-
en fonction du temps, de la localisation de la cortectomie et de la gique. Les facteurs confondants, tels que la fréquence des crises,
situation épileptologique. Dans les trois premiers mois qui suivent l’existence d’un trouble de l’humeur, les effets du traitement,
la chirurgie, tous les scores s’améliorent, puis le score des QOL ne etc., ont été insuffisamment évalués. Les troubles temporaux de la
continue à s’améliorer qu’en cas de suppression des crises, alors personnalité regroupent trois types de description : un état exces-
que les scores d’anxiété et de dépression semblent moins sensibles sivement émotif avec un comportement circonspect marqué par
à la disparition des crises avec un suivi d’un an [95] . Un antécédent les préoccupations éthiques et métaphysiques ; une personnalité
de dépression chronique génère un risque hautement significa- marquée par une tendance à l’excès de scrupules, à la méticulosité,
tif de persistance postopératoire des crises par comparaison aux à la prolixité circonlocutoire (viscosité) ; une labilité émotionnelle
sujets non déprimés [96] . De manière générale, des antécédents psy- avec immaturité et suggestibilité. La fréquence de ces traits de
chiatriques préopératoires sont corrélés à un moins bon pronostic personnalité au sein de groupes quantitativement importants de
chirurgical [97] . patients temporaux homogènes n’est cependant pas connue [104] .
Environ 50 cas de psychoses postlobectomie ont été publiés Cette modalité de catégorisation des patients épileptiques est stig-
chez des sujets indemnes de troubles mentaux préopératoires. Le matisante et ne devrait être utilisée que dans des protocoles de
début est observé en moyenne un an après la lobectomie. Il s’agit recherche rigoureux.
de tableaux de schizophrénies, avec thématique de persécution
et hallucinations auditives. Des facteurs de risque ont été signa-
lés : l’existence d’anomalies EEG préopératoires bilatérales, une Troubles dépressifs
lésion qui n’est pas une sclérose hippocampique, une atrophie
amygdalienne du côté non opéré [98] . dans l’épilepsie
Les relations entre épilepsie et dépression sont bidirection-
Troubles de l’affectivité et nelles.
Les troubles dépressifs représentent une comorbidité fréquente
syndrome dysphorique interictal de nombreuses affections neurologiques (maladie de Parkinson,
accidents vasculaires cérébraux, maladie d’Alzheimer, etc.), mais
Les termes « troubles de l’affectivité » regroupent un large l’inverse est également vrai : un antécédent dépressif multiplie
éventail de troubles qui ne concernent ni la cognition ni la d’un facteur deux à trois le risque de survenue d’un accident
personnalité. Le concept de « trouble dysphorique interictal » vasculaire cérébral [105] , d’une maladie de Parkinson [106] ou d’une
a été proposé par Blumer (1991) [99] pour rendre compte de démence [107] . Mais c’est dans l’épilepsie que cette bidirectionna-
tableaux cliniques impossibles à classer adéquatement avec le lité est de loin la plus marquée. Une étude de cas-témoin (145 cas
DSM, rencontrés principalement dans les épilepsies partielles comparés à 290 contrôles) a ainsi montré que l’existence d’une
réfractaires. L’utilité pratique de ce cadre a justifié son indivi- dépression selon les critères du DSM, diagnostiquée rétrospective-
dualisation, réalisée à partir d’un autoquestionnaire comportant ment avant le début de l’épilepsie, multipliait par quatre le risque
38 items qui évaluent la présence des symptômes, leur fréquence, d’apparition de crises [108] . Les caractéristiques prédictives liées à la
leur intensité et le handicap global qui en résulte [100] . Le TDI nature du trouble dépressif ont été précisées dans un travail ulté-
regroupe huit symptômes clés regroupés dans trois catégories rieur [109] : 324 sujets épileptiques ont été examinés à la recherche
principales, rendant compte de la diversité des présentations d’un syndrome dépressif caractérisé (DSM) avant la survenue de
cliniques. Les symptômes sont fluctuants, durant de quelques la première crise et comparés chacun à deux témoins (n = 647)
heures à quelques jours. La catégorie symptômes dépressifs labiles appariés selon l’âge et le sexe. Les tentatives de suicide précédant
comprend l’humeur dépressive, le manque d’énergie, les dou- l’épilepsie représentaient un facteur indépendant multipliant par
leurs (céphalées, douleurs de topographie et d’intensité variables) cinq le risque de développer une épilepsie. Deux facteurs indé-
et l’insomnie. Les troubles somatoformes peuvent évoluer sans pendants, dépression caractérisée d’une part et tentatives de
symptômes dépressifs associés. La catégorie symptômes affectifs suicide d’autre part, augmentent donc le risque de développement
labiles regroupe l’anxiété et les attaques de panique. Les symp- ultérieur d’une épilepsie et relèvent probablement de deux méca-
tômes spécifiques correspondent à l’irritabilité paroxystique et nismes physiopathologiques différents. Les auteurs [110] ont ainsi
à l’élation de l’humeur (euphorie). Au sein d’une cohorte de interprété l’étude de Christensen et al. (2007) [24] en suggérant que
142 patients souffrant d’une épilepsie pharmacorésistante évalués le risque suicidaire chez une personne épileptique pourrait être
de manière prospective [101] , un TDI a été observé chez 31 patients, la conséquence de comportements suicidaires récurrents prémor-
principalement chez ceux souffrant d’une épilepsie temporale par bides (avant le début de l’épilepsie).
comparaison aux épilepsies partielles extratemporales ou généra-
lisées (p = 0,006). Dans 17 cas sur 31, la fréquence et l’intensité Problèmes nosologiques
des symptômes étaient reliés chronologiquement à la survenue
d’une crise. Il n’existe cependant aucune étude systématique des Le DSM IV classe les troubles dépressifs en plusieurs catégo-
symptômes définissant le TDI dans différents groupes contrôles ries : épisode dépressif majeur, trouble dysthymique, dépression
(sujets normaux, sujets atteints d’affections chroniques autres modérée, trouble bipolaire, cyclothymie, trouble dépressif non
que l’épilepsie, sujets déprimés au sein des différentes catégories spécifié et trouble dépressif lié à une affection médicale ou à
décrites dans le DSM IV), et ce concept reste controversé. une substance. Afin de minimiser les différences d’appréciation
dans l’évaluation des signes, le DSM IV propose des critères stan-
dardisés qui permettent d’uniformiser la définition des cas. Par
Personnalité épileptique exemple, le diagnostic d’épisode dépressif majeur ne sera porté
que devant la présence d’au moins cinq des neuf critères sui-
temporale vants : tristesse de l’humeur ; anhédonie ; perte de poids ou trouble
de l’appétit ; trouble du sommeil ; agitation ou ralentissement
Le concept de personnalité épileptique a une origine ancienne psychomoteur ; asthénie ; dévalorisation ou culpabilité ; difficul-
et a été proposé dans un contexte historique spécifique chez des tés de concentration ; pensées de mort récurrentes. La présence
patients très sévèrement atteints, à une époque où le diagnostic d’au moins un des deux premiers critères est indispensable et
d’épilepsie n’était qu’un diagnostic de probabilité clinique à la les symptômes doivent évoluer depuis au moins 15 jours, tous
fiabilité très incertaine [102, 103] . Le développement de l’EEG a par les jours. Les problèmes liés à l’utilisation des critères du DSM
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B. de Toffol, Professeur des Universités, praticien hospitalier, spécialiste en neurologie et en psychiatrie (detoffol@med.univ-tours.fr).
Clinique neurologique, CHRU Bretonneau, 2, boulevard Tonnellé, 37044 Tours cedex, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : de Toffol B. Troubles psychiatriques de l’épilepsie chez l’adulte. EMC - Psychiatrie 2013;10(1):1-14 [Article
37-560-A-10].
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