Unige 81652 Attachment01
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Reference
SAMBUC BLOISE, Joëlle Karin. La situation juridique des Tziganes en Suisse : analyse
du droit suisse au regard du droit international des minorités et des droits de
l'homme. Genève : Schulthess, 2007, LXVIII, 569 p.
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81652
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Joëlle Sambuc Bloise
La situation juridique
des Tziganes en Suisse
Analyse du droit suisse
au regard du droit international
des minorités et
des droits de l’homme
Faculté de droit
de Genève
CG
Collection
Genevoise
Joëlle Sambuc Bloise
Genevoise
Joëlle Sambuc Bloise
La situation juridique
des Tziganes en Suisse
Analyse du droit suisse
au regard du droit international
des minorités et
des droits de l’homme
Thèse n° 779 de la Faculté de droit de l’Université de Genève
La Faculté de droit autorise l’impression de la présente dissertation sans entendre émettre par là
une opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées.
www.schulthess.com
Remerciements
Remerciements
V
Remerciements
VI
Préface
Préface
VII
Avant-propos
Après avoir montré que, dans ce domaine, l’ordre juridique interne vit dé-
sormais sous « perfusion internationale », il s’agissait encore, pour l’auteure,
de déterminer la portée que possèdent les droits fondamentaux pour les Tzi-
ganes en Suisse. Elle se devait donc de les analyser de façon à mettre en lu-
mière les effets des spécificités culturelles de cette minorité sur leur interpréta-
tion. Madame SAMBUC BLOISE consacre ici de belles pages à la portée du prin-
cipe général d’égalité et aux exigences découlant de l’interdiction de la discri-
mination pour cette communauté, qui a été – et est encore – victime d’une dis-
crimination qui peut être qualifiée de structurelle. Comme elle le dit justement
dans sa conclusion, ce type de discrimination est « un phénomène qui ne se
combat pas uniquement par l’affirmation de l’égalité en droit, mais avant tout
par la poursuite de l’égalité en fait, en démantelant ses sources au sein de la
société civile » (§2150).
La quatrième partie aborde les problèmes plus concrets, régis par le droit
ordinaire, auxquels sont confrontés les Tziganes dans leur vie quotidienne :
stationnement des caravanes, établissement d’un domicile, scolarisation des
enfants, etc.
Cette partie se caractérise par l’effort constant de l’auteure d’interpréter le
droit en vigueur de manière conforme au droit international, et d’en dévelop-
per ainsi toutes les potentialités normatives. Elle n’hésite toutefois pas, lorsque
cela s’avère nécessaire, à critiquer les solutions données par le droit positif et à
proposer des modifications législatives.
Si elle a fait œuvre de pionnière, Madame SAMBUC BLOISE n’a pas non plus
reculé devant les difficultés. En premier lieu, les Tziganes ne constituent pas
une minorité comme les autres. Le droit qui régit les ordres juridiques natio-
naux a été conçu pour les populations sédentaires. L’exercice du mode de vie
nomade leur lance dès lors un défi d’un genre inédit. La reconnaissance de ce
mode de vie en tant qu’expression de l’identité culturelle conduit à conférer
des dimensions nouvelles à des principes et à des règles classiques, conçus
dans un contexte sédentaire. L’auteure a parfaitement mis en perspective cette
nouvelle problématique et a su lui apporter des solutions originales.
Ensuite, par définition, le nomadisme ne connaît pas de frontières. L’étude
du statut juridique des Tziganes en Suisse doit dès lors prendre en compte ce-
lui des Tziganes de nationalité helvétique ainsi que celui des Tziganes étran-
gers, mais de passage en Suisse. Voilà qui ajoutait une difficulté supplémen-
taire à la tâche déjà ardue à laquelle était confrontée l’auteure.
Enfin, pour être traité de manière exhaustive, le sujet, transversal par na-
ture, requérait, de la part de l’auteure, des connaissances approfondies dans
plusieurs disciplines juridiques. Madame SAMBUC BLOISE a fourni la démons-
tration qu’elle maîtrise avec la même aisance le droit international, le droit
constitutionnel et le droit administratif. Elle est donc une publiciste accomplie.
Le lecteur appréciera bien sûr la clarté du style, la logique des subdivi-
sions, la finesse des analyses, mais il sera surtout impressionné par la passion
VIII
Préface
qui a animé l’auteure, par la manière avec laquelle elle s’est identifiée avec son
sujet et avec la cause de cette communauté trop longtemps mise au ban de la
société.
Accompagné d’une riche bibliographie et d’une documentation abondante,
l’ouvrage permet à ceux qui le souhaitent d’approfondir encore certains as-
pects du sujet traité.
Il convient donc de féliciter Madame SAMBUC BLOISE d’avoir enrichi la litté-
rature juridique sur le droit des minorités par un bel ouvrage, qui fera date, et
qui, par les solutions qu’il propose, contribuera certainement à améliorer le
statut de la communauté tzigane, à un moment où les autorités, tant nationales
qu’internationales, commencent sérieusement à s’en préoccuper et à engager
un dialogue avec elle.
Giorgio MALINVERNI
Professeur honoraire
de l’Université de Genève
IX
X
Sommaire
Sommaire
Remerciements V
Préface VII
Sommaire XI
Table des matières XIII
Table des abréviations XXVII
Bibliographie XXXIII
Introduction générale 1
Titre premier: Perspective historique et socio-économique
Introduction 5
Chapitre I Terminologie et données statistiques 7
Chapitre II Le statut des Tziganes en Suisse, des origines
au XXème siècle 13
Chapitre III De 1900 à 1973 25
Chapitre IV Depuis 1973 53
Synthèse et conclusion 75
XI
Sommaire
Index 561
XII
Table des matières
REMERCIEMENTS V
PRÉFACE VII
SOMMAIRE XI
TABLE DES MATIÈRES XIII
TABLE DES ABRÉVIATIONS XXVII
BIBLIOGRAPHIE XXXIII
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
INTRODUCTION 5
XIII
Table des matières
SYNTHÈSE ET CONCLUSION 75
INTRODUCTION 77
XIV
Table des matières
XV
Table des matières
XVI
Table des matières
INTRODUCTION 199
XVII
Table des matières
XVIII
Table des matières
XIX
Table des matières
XX
Table des matières
XXI
Table des matières
INTRODUCTION 405
XXII
Table des matières
XXIII
Table des matières
XXIV
Table des matières
XXV
Table des matières
INDEX 561
XXVI
Table des abréviations
XXVII
Bibliographie
XXVIII
Table des abréviations
FF Feuille fédérale
GC Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme
HRLJ Human Rights Law Journal
IJMGR International Journal on Minority and Group Rights
JAAC Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération
JT Journal des Tribunaux
LaLAT/GE Loi genevoise d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du terri-
toire, du 4 juin 1987 (RS/GE L 1 30)
LAS Loi fédérale sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans
le besoin, du 24 juin 1977 (RS 851.1 ; RO 1978 221).
LAT Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, du 22 juin 1979 (RS 700 ;
RO 1979 1573 )
LCI/GE Loi genevoise sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril
1988 (RS/GE L 5 05)
LComIt Loi fédérale sur le commerce itinérant, du 23 mars 2001 (RS 943.1 ; RO
2002 3080)
LCPR Loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pé-
destre, du 4 octobre 1985 (RS 704 ; RO 1986 2506 )
LDFR Loi fédérale sur le droit foncier rural, du 4 octobre 1991 (RS 211.412.11 ;
RO 1993 1410)
LDP Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (RS 161.1 ;
RO 1978 688)
LEg Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, du 24 mars 1995
(RS 151.1 ; RO 1996 1498)
let. / lit. Lettre
LEtr Loi fédérale sur les étrangers, du 16 décembre 2005 (entrée en vigueur le 1er
janvier 2008 (FF 2005 6885)
LF Loi fédérale
LFo Loi fédérale sur les forêts, du 4 octobre 1991 (RS 921.0 ; RO 1992 2521)
LHand Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les handicapés, du 13
décembre 2002 (RS 151.3 ; RO 2003 4487)
LMI Loi fédérale sur le marché intérieur, du 6 octobre 1995 (RS 943.02 ; RO 1996
1738 )
LN Loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse, du 29 sep-
tembre 1950 (RS 141.0 ; RO 1952 1115 )
LPE Loi fédérale sur la protection de l’environnement, du 7 octobre 1983
(RS 814.01 ; RO 1984 1122)
LPN Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage, du 1er juillet 1966
(RS 451 ; RO 1966 1694 )
LSEE Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, du 26 mars 1931
(abrogée par l’entrée en vigueur de la LEtr) (RS 142.20 ; RO 49 279)
LTAF Loi fédérale sur le Tribunal administratif fédéral, du 17 juin 2005
(RS 173.32 ; RO 2006 2197)
LTF Loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (RS 173.110 ; RO 3005
1205)
LTr Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce, du 13
mars 1964 (RS 822.11 ; RO 1966 57)
MGC Mémorial du Grand Conseil du canton de Genève
MG-S-ROM Groupe de spécialistes sur les Roms/Tsiganes du Conseil de l’Europe
XXIX
Bibliographie
N° Numéro
OAT Ordonnance fédérale sur l’aménagement du territoire, du 28 juin 2000
(RS 700.1 ; RO 2000 2047)
OComIt Ordonnance fédérale sur le commerce itinérant, du 4 septembre 2002
(RS 943.11 ; RO 2002 3355)
OEArr Ordonnance fédérale concernant l’entrée et la déclaration d’arrivée des
étrangers, du 14 janvier 1998 (RS 142.211 ; RO 1998 194 ).
OFC Office fédéral de la culture
OFJ Office fédéral de la justice
OHand Ordonnance sur l’élimination des discriminations frappant les personnes
handicapées, du 19 novembre 2003 (RS 151.31; RO 2003 4501)
OIT Organisation internationale du travail
OJ Loi fédérale d’organisation judiciaire, du 16 décembre 1943 (RO 60 269)
OLE Ordonnance fédérale limitant le nombre des étrangers, du 6 octobre 1986
(RO 1986 1791).
OLT 1 Ordonnance fédérale 1 relative à la loi sur le travail, du 10 mai 2000 (RS
822.111 ; RO 2000 1581)
ONU Organisation des Nations Unies
OPB Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit, du 15 décembre 1986
(RS 814.41; RO 1987 338)
OSCE Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe
Pacte I Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du
16 décembre 1966 (RS 0.103.1 ; RO 1974 2151)
Pacte II Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 16 décembre
1966 (RS 0.107 ; RO 1974 2151)
PJA Pratique juridique actuelle
RDAF Revue de droit administratif et fiscal
RDS Revue de droit suisse
RFJ Revue fribourgeoise de jurisprudence
Rec. Recueil officiel des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
req. Requête
RGDIP Revue générale de droit international public
RGP Repertorio di giurisprudenza patria
RLCI/GE Règlement genevois d’application de la loi sur les constructions et les ins-
tallations diverses, du 27 février 1978 (RS/GE L 5 05.01)
RO Recueil officiel des lois fédérales
RPS Revue pénale suisse
RS Recueil systématique du droit fédéral
RS/AG Recueil systématique de la législation du canton d’Argovie
RS/AI Recueil systématique de la législation du canton d’Appenzell-Rhodes inté-
rieures
RS/AR Recueil systématique de la législation du canton d’Appenzell-Rhodes exté-
rieures
RS/BE Recueil systématique de la législation du canton de Berne
RS/BL Recueil systématique de la législation du canton de Bâle-Campagne
RS/BS Recueil systématique de la législation du canton de Bâle-Ville
RS/FR Recueil systématique de la législation du canton de Fribourg
RS/GE Recueil systématique de la législation du canton de Genève
RS/GL Recueil systématique de la législation du canton de Glaris
XXX
Table des abréviations
Les arrêts et les décisions de l’ancienne Cour sont cités comme suit. Par exemple :
ACEDH Plattform « Ärtze für das Leben » c. Autriche, arrêt du 21 juin 1988, série A n°
139, § 31.
Les arrêts et les décisions de la nouvelle Cour publiés dans le recueil officiel à partir
du 1er novembre 1998 sont cités de la manière suivante, en suivant les usages du Co-
mité des publications : acronyme ACEDH, nom de l’affaire (en italique), numéro de la
requête, numéro du paragraphe (pour les arrêts), sigle de la Cour européenne des
Droits de l’Homme (CEDH), année et numéro du recueil (ex. : ACEDH Dupont c.
France, n° 45678/98, § 24, CEDH 1999-II).
Un arrêt rendu par la Grande Chambre est signalé ainsi : [GC] (ex. : ACEDH Dupont
c. France [GC], n° 45678/98, § 24, CEDH 1999-II).
Quant aux arrêts et décisions non publiés dans le recueil officiel, ils suivent le format
XXXI
Bibliographie
suivant : acronyme ACEDH, nom de l’affaire (en italique), numéro de la requête, nu-
méro de paragraphe, date de l’arrêt ou de la décision (ex. : ACEDH Dupont c. France,
n° 43568/98, § 24, 3 mai 1999).
XXXII
Bibliographie
Bibliographie
A. SOURCES
I. INTERNATIONAL
XXXIII
Bibliographie
XXXIV
Bibliographie
CAPOTORTI Francesco, Etude des droits des personnes appartenant aux minorités
ethniques, religieuses et linguistiques, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1979/384/Rev.1.
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nes appartenant à des minorités et ceux des peuples autochtones, Document de tra-
vail du 19 juillet 2000, préparé à destination de la Sous-Commission de la
promotion et de la protection des droits de l’homme, UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/2000/10.
GROUPE DE TRAVAIL SUR LES MINORITES DES NATIONS UNIES, Commentaire sur la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minori-
tés nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, du 31 mars 2005, UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/AC.5/2005/2.
XXXV
Bibliographie
3. DOCUMENTS DE L’OSCE
ORGANISATION POUR LA SECURITE ET LA COOPERATION EN EUROPE, Report on the
Situation of Roma and Sinti in the OSCE Area, La Haye 2000.
5. DOCUMENTS ETRANGERS
SENAT FRANÇAIS, Le stationnement des Gens du voyage, Les documents de travail
du Sénat, Série « Législation comparée », n° LC 145, Paris, avril 2005.
II. SUISSE
XXXVI
Bibliographie
Rapport initial présenté par la Suisse relatif à la Charte européenne des lan-
gues minoritaires ou régionales, du 2 décembre 1999, MIN-LANG/PR (1999) 7
(cité : Rapport initial suisse relatif à la CLMR).
XXXVII
Bibliographie
Message du Conseil fédéral du 24 février 1993 concernant la loi sur l’égalité en-
tre femmes et hommes (loi sur l’égalité), FF 1993 I 1163 (cité : Message du
Conseil fédéral relatif à la LEg).
XXXVIII
Bibliographie
Message du Conseil fédéral du 28 juin 2000 relatif à la loi sur le commerce iti-
nérant, FF 2000 3849 (cité : Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt).
Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers,
FF 2002 3469.
XXXIX
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- Article 360 aCC, in : « Kommentar zum schweizerischen Zivilgesetzbuch ; Das
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LXVIII
Introduction générale
Introduction générale
1
ASSIER-ANDRIEU/GOTMAN, p. 5.
2
RS 449.1 ; RO 1996 3040.
3
FF 1906 IV 308.
4
FF 1906 IV 309.
5
Art. 1er de la loi fédérale relative à la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisse », du 7
octobre 1994 (RS 449.1 ; RO 1996 3040).
6
Message du Conseil fédéral relatif à l’acceptation du crédit-cadre pour les années 2007-2011, FF
2006 2956.
1
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2
Introduction générale
3
La situation juridique des Tziganes en Suisse
4
Titre Premier - Introduction
Introduction
17. Notre étude débute par une partie essentiellement historique et socio-
logique. Elle permet de placer dans son contexte la situation actuelle, aussi
bien juridique que matérielle, de la communauté tzigane suisse. Elle révèle
qu’elle s’inscrit en Suisse, comme ailleurs en Europe7, dans la perspective
d’une longue tradition, faite de mésentente, d’incompréhension et
d’intolérance, ayant conduit à des pratiques destructrices. Cette analyse cher-
che à clarifier les raisons expliquant les mésententes persistantes et les diffé-
rences de points de vue qui opposent, encore aujourd’hui, la communauté tzi-
gane, la société majoritaire et l’appareil de l’Etat.
18. L’histoire des Tziganes, de leur arrivée en Europe au XVème siècle à
aujourd’hui, est marquée par une lutte pour leur survie individuelle et collec-
tive dans des sociétés qui, bien que toutes différentes les unes des autres dans
le temps et dans l’espace, ont eu en commun de rejeter les personnes exerçant
un mode de vie nomade. La sédentarité, synonyme de stabilité, de fiabilité,
s’opposait – et s’oppose toujours – au nomadisme, perçu comme quelque
chose de suspect, suscitant méfiance et opprobre.
19. Ainsi, ce n’est pas une coïncidence si le rejet historique des Tziganes se
recoupe souvent avec celui de tous les groupes sociaux jetés sur les routes par
la misère. L’étude de la gestion des migrations par les différents ordres juridi-
ques à travers les siècles s’avère instructive pour appréhender la place des Tzi-
ganes dans ces mêmes ordres. On se gardera toutefois de confondre les notions
de migration et de nomadisme, qui ne reflètent pas la même réalité pour les
personnes concernées8. En effet, la migration doit se comprendre comme un
phénomène dont les racines se trouvent dans des motifs politiques et/ou so-
cio-économiques. Les migrations des Tziganes ont pour cause les persécutions
étatiques9 dont ils font l’objet dans un pays donné, qui les poussent à quitter
7
A titre de comparaison dans des Etats voisins de la Suisse, voir, en France, l’étude commandée par
le Ministère français de l’Equipement, des Transports, et du Logement, Légiférer sur les « gens du
voyage » - Genèse et mise en œuvre d’une législation, sous la direction de Louis ASSIER-ANDRIEU et
Anne GOTMAN, Montpelier, 2002 ; en particulier, pp. 8-9. Pour l’Allemagne, se référer à Dörte MAR-
TEN-GOTTHOLD, Der Schutz der Sinti und Roma in der Bundesrepublik Deutschland als ethnische Min-
derheit gemäss Art. 3 Abs. 3 GG, Frankfurt-sur-le-Main, 1998 ; en particulier, pp. 21-35.
8
MATRAS, pp. 2-3.
9
Les raisons poussant les Tziganes à émigrer sont spécifiques et se distinguent de celles des autres
catégories de migrants. MATRAS, pp. 1-2, évoque des facteurs externes aux communautés, tels que
5
La situation juridique des Tziganes en Suisse
l’hostilité étatique et de la société civile à leur égard et la précarité de leurs conditions de vie, mais
aussi des facteurs internes aux groupes, comme la défiance vis-à-vis des institutions et l’absence
d’identification aux mesures gouvernementales les concernant.
10
LIEGEOIS (1994), p. 27, préfère au couple migration/nomadisme celui de nomadisme conjoncturel/
nomadisme structurel. A notre avis, la notion de « migration » est moins ambiguë et porte moins à
confusion que celle de « nomadisme conjoncturel ».
6
Titre Premier - Terminologie et données statistiques
11
HUONKER/LUDI, pp. 13-16 ; LIEGEOIS (1994), p. 37 ; Voir MARCHAND, p. 25, pour une démonstration de
l’acceptabilité du terme en français.
12
Ce terme proviendrait du mot grec « Atsinganoi », c’est-à-dire « Intouchables », désignant les
membres d’une secte de l’Empire byzantin. A travers l’Europe, on associera à cette secte les mem-
bres des communautés du voyage venus de l’Est : Tziganes en France, Zigeuner en Allemagne, Zin-
gari en Italie… Elle peut également s’écrire « Tsigane » ; HEUSS, pp. 109-110 ; LIEGEOIS (1994), p.
18.
13
HUONKER/LUDI, p. 13 ; LIEGEOIS (1994), p. 61. Voir les tableaux récapitulatifs effectués par KLIMOVA-
ALEXANDER, pp. 30-31.
14
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 31 ; MARCHAND, p. 23.
15
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13 ; MICHON (1993), p. I-8s.
16
infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section B, 2.
17
HUONKER (1990), p. 17.
7
La situation juridique des Tziganes en Suisse
18
Les auteurs germanophones utilisent volontiers le couple « Roma und Sinti », du fait que
« Zigeuner » est extrêmement stigmatisant en allemand. Toutefois, ceci mène à notre avis à une
exclusion des personnes appartenant à d’autres clans et familles que les Rroms et Sinti, et entre au-
tres à celle des Jénisch.
19
Le terme est largement accepté et répandu en France, mais très controversé en Allemagne, où le
terme de Zigeuner signifie « brigand vagabond ». En Suisse, du fait de cette double influence, le
terme est admis par les locuteurs de langue française, et est du moins plus apprécié que celui de
Rrom, violemment rejeté du fait de son association immédiate avec les Tziganes d’origine des pays
de l’Est; voir à ce sujet MAY BITTEL, dans MICHON (1993), p. A-193.
20
Voir par exemple les Recommandations de l’Assemblée parlementaire 563 (1969) relative à la situa-
tion des Tsiganes et autres nomades en Europe et 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe.
Voir également les explications de MARCHAND, pp. 23-25.
21
KREIS, pp. 6-7.
22
Sur les conséquences néfastes d’une approche se basant uniquement sur le nomadisme, voir MI-
CHON (1997), pp. 17-18, ainsi que notre analyse approfondie sur cette question, développée ulté-
rieurement infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A, 3.2.
23
WALDER, p. 21. Voir à titre d’exemple le rapport « Kriminalstatistik 1999» de la police bâloise, dispo-
nible sur http://www.baselland.ch/docs/jpd/statistik/kriminallage-1999_text.htm [consulté le 11
août 2006].
24
LIEGEOIS (1994), p. 35 ; MICHON (1997), p. 19.
25
Et non « Rom », bien que cette orthographe soit fréquemment utilisée ; à l’instar des termes
« Manouche » ou encore « Jénisch » dans leurs langues respectives, « Rrom » signifie « être hu-
main » en langue romani.
8
Titre Premier - Terminologie et données statistiques
26
Dans la littérature anglo-saxonne, « Roma » est considéré comme un terme politique employé à ti-
tre de nom générique ; voir ainsi KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13.
27
Ainsi, « Bohémien » les situe comme provenant de Bohême, et « Gitan » d’Egypte ; LIEGEOIS
(1994), p. 36.
28
Pour un tableau des différentes appartenances, voir LIEGEOIS (1994), pp. 61-69; voir également MI-
CHON (1993), p. I-57.
29
Voir KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 30-31, pour un aperçu des différentes communautés et de leur réparti-
tion géographique.
30
GSCHWEND, p. 387 ; MICHON (1997), p. 20.
31
HUONKER (1990), p. 18.
32
THODE-STUDER, pp. 89-90.
9
La situation juridique des Tziganes en Suisse
33
HUONKER (1990), p. 17 distingue clairement entre les « Zigeuner », qu’il assimile aux Rroms, et les
Jénisch ; contra : LIEGEOIS (1994), p. 35 ; MICHON (1993), pp. I-57-58. Pour un survol des opinions
scientifiques à ce sujet, voir THODE-STUDER, pp. 87-90.
34
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 31.
35
MICHON (1993), p. I-57 ; THODE-STUDER, p. 90.
36
Il existe toutefois des Rroms qui ne reconnaissent pas les Jénisch comme étant des Tziganes. Les
différences liées à la couleur de la peau, mais aussi à la langue, et à certains tabous sont autant de
critères qui permettent selon certains de les exclure de ces communautés. THODE-STUDER, p. 91. MI-
CHON (1997), p. 20, voit, au contraire, dans les nombreux mariages entre la communauté Jénisch et
les autres communautés tziganes une preuve de l’acceptation par ces dernières des Jénisch en tant
que pairs, ce d’autant plus que les Tziganes tentent de se démarquer autant que possible des non-
Tziganes.
37
MAY BITTEL, in : MICHON (1993), p. A-193. L’association Union romani, accréditée par l’ONU, a par ail-
leurs accepté en tant que membre l’association suisse Radgenossenschaft der Landstrasse, compo-
sée majoritairement de Jénisch ; de plus, la fondation suisse « Assurer l’avenir des gens du voyage
suisse» définit les Jénisch dans ses statuts comme appartenant à une communauté tzigane :
« Mitglieder können Jenische, aber auch Zigeuner jedes anderen Stammes werden. » HUONKER
(1990), p. 17 ; HUONKER /LUDI, p. 13.
38
THODE-STUDER, p. 91.
10
Titre Premier - Terminologie et données statistiques
B. Données statistiques
39
Voir ainsi la définition de Peter VERMEERSCH développée dans une thèse non publiée, et reprise par
KLIMOVA-ALEXANDER, p. 13. Voir également les définitions utilisées dans les documents des Nations
Unies au sujet des Tziganes, recensées par KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 13-14.
40
GSCHWEND, p. 388 ; HUONKER (1990), pp. 15-18. Nous reviendrons sur la question de l’hétérogénéité
des communautés tziganes, infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section B, 2.2.
41
Evaluation du Groupe de spécialistes sur les Roms/Tsiganes du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe (MG-S-ROM), http://www.coe.int. La Banque mondiale, dans son rapport Roma in an Ex-
panding Europe : Breaking the Poverty Cycle du 30 juin 2003, p. 1, établit une fourchette de sept à
neuf millions de personnes.
42
Moyennes basées sur les chiffres donnés par LIEGEOIS (1994), p. 34.
43
Sur ce total de 30'000 individus, 5'000 pratiquent plus ou moins activement le voyage et 25'000
sont d’origine Jénisch. GOLOWIN (1984), p. 62 ; MICHON (1993), p. I-58. Dans le Rapport de la Com-
mission du département fédéral de Justice et Police du 27 juin 1983, Fahrendes Volk in der Schweiz,
p. 17, le chiffre de 40'000 personnes est articulé. Au sujet de l’impact de ces statistiques sur le cer-
cle des personnes appartenant à la minorité tzigane de Suisse, voir infra Titre Deuxième, Chapitre
IV, Section A.
44
Avis du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, p. 6.
11
La situation juridique des Tziganes en Suisse
45
Document MG-S-ROM (2000) 13, Les Roms et les statistiques, pp. 6-7, Strasbourg, 22-23 mai 2000.
46
DFJP (1983), pp. 16-17.
47
LIEGEOIS (1994), p. 29.
12
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
41. L’histoire des Tziganes en Europe a ceci de marquant qu’elle n’a ja-
mais été écrite par ces communautés elles-mêmes. Elle a été documentée et ra-
contée, depuis leur arrivée dans les régions européennes, par des non-
Tziganes, des Gadjé49. Les témoignages à leur sujet sont donc indirects, reflè-
tent l’étonnement, l’incompréhension, voire la crainte des chroniqueurs, et ra-
res sont ceux que l’on pourrait qualifier d’objectifs.
42. C’est aux XIVème et XVème siècles que remontent les premiers témoi-
gnages écrits quant à la présence et au passage de voyageurs à la peau sombre
dans nos régions. Si leur origine demeure obscure et confuse pour les non-
Tziganes pendant plusieurs siècles, les linguistes découvrent au XVIIIème siè-
cle que la langue tzigane50 puise ses racines dans le sanskrit et ses langues
sœurs du nord de l’Inde51. L’Inde est donc le pays d’origine des communautés
tziganes, qu’elles ont quitté entre les XIème et XIVème siècles à l’occasion des
conquêtes islamiques du nord de l’Inde52 ; ces racines ne sont d’ailleurs pas
contestées par les autorités indiennes53.
48
Sur cette notion, voir infra Section D, 1.
49
LIEGEOIS (1994), p. 17.
50
Ou plutôt les langues tziganes : le temps et les déplacements ont donné naissance à une variété
impressionnante de dialectes, de par l’adaptation des communautés à leur environnement. L’étude
de ces dialectes permet ainsi de reconstituer le parcours historique des groupes, du fait de
l’influence des langues extérieures sur celles utilisées parmi les Tziganes. L’influence du sanskrit et
d’autres langues indiennes demeure cependant dans tous les dialectes. LIEGEOIS (1994), pp. 43-59 ;
MARCHAND, p. 21.
51
LIEGEOIS (1994), p. 44.
52
REYNIERS (1993A), p. 10.
53
MARCHAND, p. 22.
13
La situation juridique des Tziganes en Suisse
43. Les groupes se dispersent dès le début du XIVème siècle, pour conti-
nuer sur des chemins différents durant les décennies suivantes. Des témoigna-
ges les signalent en Crète en 1322, en Serbie en 1348, en Grèce en 1397, puis en
Valachie et en Bohême. En 1407, on rapporte leur présence en Allemagne, en
1416 en Roumanie, ou encore dans les années 1420 aux Pays-Bas, en Belgique,
en France et en Italie54. Les chroniqueurs de l’époque évoquent pour la pre-
mière fois en 1418 la présence sur le territoire helvétique de nomades à la peau
foncée, que l’on croit Africains ou Egyptiens55. Cette première vague de migra-
tions56 donne lieu à la rencontre des voyageurs d’origine indienne avec les
voyageurs européens, les nomades « autochtones », tels que les Tinkler irlan-
dais, les Quinquis de Castille, et surtout les Jénisch d’Allemagne et de Suisse57.
Les groupes locaux et étrangers ne tardent pas à se mélanger et à créer pour
certains des communautés mixtes que l’on peut rencontrer aujourd’hui58.
44. Du fait de leurs capacités reconnues en matière guerrière, les Tziganes
sont invités, dans un premier temps, à prendre part aux efforts de guerre de
l’aristocratie européenne, en rejoignant le système de patronage seigneurial
des princes. Parallèlement, toutefois, les clercs et les juristes se déclarent hosti-
les à la présence des « Egyptiens », considérés comme perturbateurs de l’ordre
public ; cette hostilité se concrétisera dès lors dans la législation des Etats eu-
ropéens59.
45. L’attitude violente de rejet et d’exclusion que nous allons présenter ci-
après ne peut manquer d’interpeller et nécessite que l’on s’interroge sur ses
fondements. Il ressort que le simple fait d’être nomade – en Suisse et ailleurs
en Europe – suffit pour constituer un crime durant plusieurs siècles60. Les in-
terdictions sont parfois paradoxales, voire contradictoires : soit le nomadisme,
soit la sédentarisation, soit le simple séjour sont mis tour à tour à l’index61.
Même si aucun délit ne peut lui être reproché62, tout Tzigane risque
54
LIEGEOIS (1994), p. 22.
55
HUONKER (1990), p. 18 ; voir également F. EGGER, p. 49.
56
Il y aura par la suite quatre autres grandes migrations: au XIXème siècle, les Rroms de Roumanie
sont affranchis de l’esclavage dans lequel ils ont été tenus et 200'000 d’entre eux quittent le pays ;
la troisième vague remonte aux années 1960, au départ de la Yougoslavie et des pays du Bloc de
l’Est pour fuir les persécutions étatiques. La dernière migration date de la décennie 1990-2000 et
est à mettre en relation avec les persécutions liées à la guerre des Balkans et à la misère profonde
dans laquelle les communautés tziganes vivent en Europe de l’Est. HEUSS, pp. 114-115 ; REYNIERS
(1993A), pp. 11-12.
57
REYNIERS (1993A), p. 11.
58
LIEGEOIS (1994), p. 23 ; REYNIERS (1993A), p. 11.
59
ASSEO, pp. 16-17.
60
MICHON (1993), p. I-45 ; THODE-STUDER, p. 110.
61
MICHON (1993), p. I-70.
62
Voir par exemple les propos d’un magistrat français au début du XIXème siècle (in : LIEGEOIS (1994),
p. 129) : « Je n’ai aucune dénonciation pour délits contre ces individus mais leur position est telle
qu’ils devaient être nécessairement tentés d’en commettre, si l’occasion s’en fût présentée… Ils ne
peuvent être que dangereux.»
14
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
63
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23.
64
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 370 ; REYNIERS (1993A), p. 12.
65
F. EGGER, p. 50 ; HUONKER (1990), p. 25 ; LIEGEOIS (1994), p. 121.
66
HUONKER (1990), pp. 25-26.
67
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 365 et pp. 526-527.
68
LIEGEOIS (1994), p. 120.
15
La situation juridique des Tziganes en Suisse
50. Lorsqu’ils arrivent sur le territoire helvétique au XVème siècle, les Tzi-
ganes d’origine indienne voient leur situation sociale et juridique se recouper
et se confondre avec celle des migrants poussés sur les routes par la pauvreté.
Toute personne nomade est considérée comme étrangère, car elle n’est généra-
lement pas rattachée à un lieu d’origine suisse. En outre, les Tziganes n’ont pas
d’origine connue et identifiable, ce qui constitue un facteur aggravant.
51. Au vu de la dégradation de la situation sociale générale causée par les
guerres qui ensanglantent l’Europe, les communes suisses, à l’instar des autres
pouvoirs locaux à travers l’Europe, ne veulent se préoccuper que de « leurs »
pauvres, à l’exclusion de ceux provenant de l’étranger, pour des raisons liées
d’une part à l’ordre public, puisqu’ils sont considérés comme un danger réel
pour la société en tant que facteurs de troubles, et d’autre part à des préoccu-
pations financières69.
52. Dans le but de ne plus rendre attractifs leurs territoires, la plupart des
cantons érigent en infraction, et ce dès le XVème siècle70, la mendicité, mais
aussi toutes les professions itinérantes lorsqu’elles sont exercées par des étran-
gers71, ce qui inclut les métiers pratiqués traditionnellement par toutes les
communautés tziganes, tels que ceux des marchands ambulants, chaudron-
niers, aiguiseurs de couteaux, rémouleurs, vanniers ou encore brocanteurs72.
53. A cette volonté d’éloignement liée à des considérations de politique
sociale, il faut ajouter le protectionnisme économique des cantons-villes, initié
et entretenu par leurs guildes et corporations. Ces dernières n’apprécient pas
69
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 369-370 ; MICHON (1993), p. I-69
70
Voir, entre autres, la décision des patriciens zurichois du 9 septembre 1416, citée par HUONKER
(1990), p. 20. Ce protectionnisme perdurera à travers les siècles : voir l’ordonnance bernoise sur la
mendicité de 1727, citée par MEIER/WOLFENSBERGER, p. 373.
71
Le métier de marchand ambulant est par exemple assimilé à du grand banditisme par la Conférence
des cinq cantons catholiques, tenue à Lucerne le 14 novembre 1559 ; HUONKER (1990), p. 21.
72
Ces activités sont aujourd’hui considérées comme étant tout à fait régulières. Mais leur criminalisa-
tion passée, cumulée aux stéréotypes liés au vol, a eu pour conséquence qu’aujourd’hui encore la
plupart des sédentaires ne croient pas que les Tziganes gagnent leur vie de manière licite.
16
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
73
Voir la décision de Schwytz et d’Uri en 1747, citée par HUONKER (1990), p. 22.
74
Voir les séances de l’assemblée de la corporation des chaudronniers des régions de Zurich et de Lu-
cerne tenue à Baden du 6 au 19 juillet 1471, et du 23 mai 1520, citées par HUONKER (1990), pp. 22-
23.
75
HUONKER (1990), p. 32.
76
HUONKER (1990), p. 32 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 370.
77
L’accord est rapporté comme suit par les historiens de l’époque : « Der savoyische Gesandte, Herr
von Roll, übergibt seine Creditive, meldet, dass der Herzog mit Bern einen Vertrag abgeschlossen
habe gemäss welchem dieses übelbeleumundete schlechte Personen nach der Verurtheilung dem
Herzog überliefern könne, um sie einige Jahre auf die Galeeren zu tun, und stellte das Aufsuchen,
die anderen Orte möchten diesen Vertrag in den Abschied nehmen. » HUONKER (1990), p. 32.
78
LIEGEOIS (1994), pp. 123-134. Les sanctions du bannissement et des galères sont par exemple appli-
quées en France entre les XVIème et XIXème siècles.
79
HUONKER, p. 35.
17
La situation juridique des Tziganes en Suisse
communaux. Par ailleurs, leur nomadisme les condamne à une exclusion non
seulement de la part de l’Etat, mais aussi de l’Eglise, que cette dernière soit ca-
tholique ou réformée. Le pouvoir religieux est également incapable de contrô-
ler leurs mouvements et ne veut donc pas les accueillir en son sein, ce qui ren-
force leur ostracisme et leur exposition à la répression, du fait qu’ils
n’appartiennent pas à la chrétienté80.
57. Le nomadisme et le fait de ne pas être chrétien ont pour conséquence
qu’en plus des sanctions et des persécutions plus générales dues à leur associa-
tion au monde des mendiants et des vagabonds étrangers, des peines spécifi-
ques aux Tziganes sont édictées durant des siècles81. Sur le plan de la Confédé-
ration, en 1471 dans un premier temps, puis plusieurs fois par la suite,
l’interdiction d’héberger et de recevoir tout Tzigane est promulguée par la
Diète82.
58. En 1580, cette dernière préconise la torture des Tziganes, puis leur li-
bération afin que quiconque les rencontre puisse les tuer. Les cantons ne sont
pas en reste : dès le XVème siècle, à Berne, toute personne rencontrant un Tzi-
gane de plus de quinze ans – homme ou femme – est autorisée à lui trancher
une oreille ; s’il lui en manque déjà une, il doit être mis à mort sur le champ83.
En 1646, à Berne également, toute personne se voit octroyer le droit d’abattre
les Tziganes qu’elle croisera84.
59. Le XVIIIème siècle voit la fin progressive de cent cinquante ans de
chasses aux mendiants. Cette méthode commence en effet à perdre sa redouta-
ble efficacité du fait que beaucoup de responsables en charge de leur exécution
sabotent les efforts de leurs supérieurs en divulguant les dates auxquelles les
rafles doivent prendre place. Afin d’éloigner définitivement les personnes vi-
sées par ces arrestations du territoire suisse, la Diète décide alors dès 1752
d’envoyer ceux qu’elle nomme « la racaille » (Gesindel) dans les colonies fran-
çaises du Nouveau-Monde et en 1783, elle ordonne des mesures pour empê-
cher leur entrée sur le territoire helvétique85.
80
LIEGEOIS (1994), pp. 126-127.
81
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 372.
82
F. EGGER, p. 50.
83
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 372.
84
LIEGEOIS (1994), p. 127.
85
HUONKER, pp. 37-38.
18
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
droit entre les personnes vivant sur son territoire. De nombreux heimatlos86, qui
ont perdu tout droit de cité du fait de la guerre, du bannissement ou de leur
naissance hors mariage, se voient octroyer à cette occasion le statut de citoyen
suisse, puis – au moment de la Médiation – celui de citoyen d’un canton. Le
droit de cité communal n’est toutefois pas reconnu87. Cette mesure ne concerne
pas les Tziganes, qu’ils soient d’origine indienne ou Jénisch, car leur mode de
vie nomade n’est pas dû à ces facteurs d’ordre social. Ils restent donc heimatlos.
61. L’Helvétique procède dans sa constitution de 1798 à la création de dif-
férentes catégories entre les mendiants et les nomades. Les citoyens suisses
n’ont le droit de vivre de la mendicité et de métiers itinérants que dans
l’hypothèse où ils peuvent prouver qu’ils se trouvent dans une situation de dé-
tresse et qu’ils ne possèdent aucun moyen de subsistance alternatif. Quant aux
nomades étrangers exerçant un métier itinérant, les autorités utilisent encore
en 1803, tant sous l’Helvétique que sous la Médiation, les rafles pour les expul-
ser hors du territoire88.
62. Ainsi, les interdictions et les persécutions perdurent dans les lois et les
décrets à travers les époques de la République helvétique, de la Médiation, de
la Restauration et de la Régénération. Si, pour les Tziganes, le fond ne change
pas avec l’avènement de l’Etat moderne, la mise en œuvre des mesures de
contrainte subit une nette « évolution » grâce à l’appareil d’Etat mis en place,
qui garantit une redoutable efficacité dans l’exécution des décisions89. En effet,
avant la création de l’Etat fédéral suisse, la Diète ne possède ni la légitimité, ni
les organes administratifs et d’exécution qui lui permettraient d’appliquer
concrètement ses décisions et ses concordats90. Or, cette situation change dès
1848.
63. Pour les gouvernements européens du XIXème siècle, l’ordre établi est
mis en danger par les populations nomades91. Un moyen pour combattre ce
qui est considéré comme un fléau est de pouvoir limiter et contrôler le dépla-
cement des populations en général, de ces communautés en particulier. La
86
Nous utiliserons ici le terme allemand heimatlos, usité par les francophones du XIXème siècle, car le
sens actuel de sa traduction française (apatride) ne correspond pas au sens historique à employer
dans le contexte du XIXème siècle. Le substantif « heimatlosat » utilisé à l’époque est un germa-
nisme.
87
HUONKER, pp. 39-40 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 472.
88
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 419-420.
89
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 419.
90
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 527.
91
MEIER/WOLFENSBERGER, pp. 467-468.
19
La situation juridique des Tziganes en Suisse
65. Le jeune Etat fédéral helvétique de 1848 est compétent95 pour régle-
menter la situation des personnes heimatlos. Il édicte la loi fédérale sur
l’heimatlosat le 3 décembre 185096, qui ne sera abrogée que plus de cent ans
plus tard, à l’occasion de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1953, de la loi fédé-
rale du 29 septembre 1952 sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse.
Cette loi contient plusieurs dispositions qui ont un impact significatif sur les
Tziganes.
66. Les heimatlos sont définis à l’article 1 comme les personnes qui ne sont
citoyennes ni d’un canton, ni d’un Etat étranger. L’article 2 fait une distinction
entre les particuliers qui étaient auparavant déjà titulaires de la nationalité
d’un canton à la suite des mesures prises sous la République helvétique, et
ceux qui ne l’étaient pas, qualifiés alors de « vagabonds » (« Vaganten »). Elle
impose aux cantons l’octroi d’office de la bourgeoisie communale aux heimatlo-
ses présents sur leur territoire et âgés de moins de 60 ans pour les hommes,
respectivement de moins de 50 ans pour les femmes ; les personnes plus âgées
n’obtiennent que le droit de cité cantonal97.
67. Cette politique a pour conséquence que les Tziganes résidant sur le
territoire helvétique au moment de sa mise en œuvre reçoivent des papiers
d’identité qui facilitent le contrôle de leurs déplacements98. Le processus de na-
92
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 23.
93
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 472.
94
HUONKER/LUDI, p. 14 et références.
95
Article 56 aCst. (1848).
96
RS 1850 1 91ss.
97
DFJP (1983), p. 27 ; THODE-STUDER, p. 126.
98
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24.
20
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
turalisation est très arbitraire puisque les personnes se voient conférer la na-
tionalité du canton dans lequel elles se trouvent le jour de la prise de la déci-
sion. Cela a, entre autres, pour effet que les membres d’une même famille se
retrouvent désormais avec des papiers de légitimation différents99, ce qui em-
porte de graves difficultés pratiques, principalement en matière d’exercice
d’une activité lucrative et de déplacement entre les cantons.
68. La mesure a, par ailleurs, pour but l’intégration des personnes concer-
nées dans l’ordre juridique, à travers une assimilation culturelle et sociale qui
doit aboutir à leur sédentarisation et à leur réintégration dans la
« civilisation »100. Toutefois, l’égalité en droit complète n’est pas atteinte : si les
nouveaux citoyens ont exactement les mêmes droits civils et politiques, ils
n’acquièrent pas dans l’immédiat une participation aux biens communs de la
commune (Gemeindegut) dans laquelle ils vivent, au contraire des autres habi-
tants101. En effet, ces biens communs peuvent être utilisés par les bourgeois de
la commune de la même manière que leur propriété privée : accorder ces mê-
mes privilèges aux nouveaux citoyens aurait pour conséquence une augmenta-
tion des titulaires, considérée comme une atteinte à la propriété privée des
bourgeois d’origine102.
69. Pour les communes, il s’agit désormais de supporter les coûts sociaux
supplémentaires engendrés par cette augmentation de ressortissants, qui sont
pour la plupart indigents et vivent sous le seuil de pauvreté, puisque le droit
de cité communal donne à ces derniers l’accès à l’assistance pour les pau-
vres103. Soulignons que ce sont les communes connaissant la plus grande pré-
carité financière qui sont confrontées à ces charges : la plupart des cantons ont
en effet « relocalisé » les Tziganes dans leurs communes les plus défavorisées,
en forçant la main de ces dernières par le biais du paiement de certaines som-
mes. L’acceptation des nouveaux venus par la population est ainsi rendue plus
difficile encore104.
70. Le lien direct entre naturalisation et sédentarisation se retrouve clai-
rement dans la seconde partie de la loi fédérale. Elle énonce les mesures à
prendre pour « prévenir la formation de nouveaux heimatloses »105. L’une des me-
sures les plus incisives en la matière est énoncée à l’article 19 alinéa 1 de la loi.
A teneur de ce dernier, les personnes exerçant une activité itinérante n’ont pas
le droit d’emmener avec eux – à l’intérieur de leur canton d’origine ou en de-
99
DFJP (1983), p. 9.
100
Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la loi du 3 décembre 1850, FF 1850 III 124ss. HUON-
KER/LUDI, p. 39 ; MEIER/WOLFENSBERGER, p. 470.
101
Art. 4 de la loi fédérale sur l’heimatlosat.
102
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 471.
103
THODE-STUDER, p. 126.
104
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; THODE-STUDER, p. 127.
105
Titre de la sous-division B de la loi fédérale.
21
La situation juridique des Tziganes en Suisse
hors – les enfants en âge de scolarité, ce qui concerne tous les Tziganes se trou-
vant en Suisse.
71. Toute contravention à cette disposition est punissable d’une amende,
des arrêts ou d’un travail obligatoire. L’obligation d’aller à l’école se double de
celle de suivre des cours de religion. Une autre mesure vise à améliorer le
contrôle et la surveillance des personnes exerçant un métier itinérant :
l’obligation de posséder un permis ou une patente de travail permet de suivre
les particuliers et de limiter le territoire sur lequel ils peuvent exercer, ce
d’autant plus que ces permis sont cantonaux106.
72. Une fois ces mesures d’assimilation prises en faveur de ces groupes de
« nouveaux Suisses », il s’agit de les protéger contre l’influence nécessairement
néfaste des nomades étrangers107. Ainsi, l’article 18 alinéa 2 de la loi fédérale
prévoit l’obligation pour les cantons de renvoyer dans leur pays tous les no-
mades étrangers. Les cantons sont, en effet, encore exclusivement compétents
en matière de police des étrangers. Chaque canton demeure seul apte à décider
quels étrangers il souhaite sur son territoire, et lesquels il souhaite éloigner.
Or, l’absence de passeport, cumulé au refus des autres Etats d’accueillir des
personnes que l’on qualifierait aujourd’hui d’apatrides, rend impossible
l’expulsion des Tziganes à l’étranger et mène en réalité à un renvoi dans un
canton voisin, ce que celui-ci n’accepte pas108.
73. Soulignons que la loi sur l’heimatlosat fait figure d’exception au re-
gard des droits nationaux de l’époque des Etats voisins de la Suisse, les Tziga-
nes vivant dans ces pays n’ayant obtenu que récemment leur citoyenneté. Ce-
pendant, l’octroi de la nationalité helvétique n’a aucune influence positive sur
le respect et la préservation de leur identité culturelle ou encore de leur struc-
ture sociale, et sous cet aspect, la situation des Tziganes en Suisse et à
l’étranger est ainsi identique109.
106
MEIER/WOLFENSBERGER, p. 473.
107
Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la loi du 3 décembre 1850, FF 1850 III 124ss.
108
F. EGGER, pp. 51-52.
109
MEHR, pp. 10-11.
22
Titre Premier - Des origines au XXème siècle
tion peut expulser les étrangers qui menacent la sécurité intérieure ou exté-
rieure de la Suisse.
75. L’autorité fédérale refuse d’entrer en matière sur la question, arguant
que de son point de vue, il ne s’agit pas d’un problème politique. Plus intéres-
sant encore, elle estime qu’il serait par ailleurs impossible de ne plus appliquer
à un groupe entier le principe de la libre circulation des personnes, reconnu
aux étrangers sous réserve de réciprocité par l’article 52 aCst. (1848), sous pré-
texte que certains d’entre eux commettraient des actes illicites110.
76. Peu satisfaits de cette position, une série de cantons édictent durant les
années 1877 à 1880 des dispositions visant non seulement à interdire l’entrée
des Tziganes étrangers sur leur territoire, mais également les métiers tradi-
tionnellement exercés par les Tziganes afin de se rendre peu attrayants aux
yeux de ces derniers. En 1887, les cantons conviennent d’un concordat empê-
chant toute nouvelle entrée de Tziganes sur le territoire helvétique. Le concor-
dat est ratifié par le Conseil fédéral111, autorisant dès lors les gardes-frontière à
refouler tous les groupes de Tziganes souhaitant pénétrer en Suisse.
77. En 1891, la Conférence des directeurs des polices cantonales des étran-
gers de Suisse romande décide de présenter aux autorités fédérales une re-
quête demandant que soit rendu un décret fédéral consacrant le principe d’une
non-tolérance complète des Tziganes. Cette requête reste sans suite dans un
premier temps, mais la situation évoluera en défaveur des Tziganes par la
suite, au début du XXème siècle112.
78. Ainsi, la politique des autorités fédérales change au cours du XIXème
siècle. D’une attitude réservée à l’égard d’une politique restrictive en matière
de liberté de circulation des personnes, elle se transforme lentement en une
participation et un soutien aux efforts cantonaux pour interdire de séjour les
Tziganes étrangers. Les raisons de cette évolution tiennent à plusieurs facteurs,
comme la pression exercée par les cantons pour obtenir une réglementation
fédérale en la matière, mais également la politique stricte des Etats voisins à
l’égard des Tziganes. En effet, lors de la ratification du concordat de 1887, réfé-
rence est explicitement faite à la politique d’intolérance pratiquée par les gou-
vernements prussien et bavarois en la matière113.
110
F. EGGER, p. 53 ; BA E 21/15796.
111
FF 1888 II 829.
112
WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 47.
113
FF 1888 II 829.
23
La situation juridique des Tziganes en Suisse
24
Titre Premier - De 1900 à 1973
80. Durant le XXème siècle, les persécutions étatiques sont désormais éga-
lement le fait de la Confédération, avec l’aide des cantons. Si les sanctions vi-
sant la destruction physique des individus sont abandonnées, on se concentre
sur des pratiques tendant à l’éloignement des Tziganes hors de Suisse, et lors-
que ceci n’est pas possible, sur des mesures ordonnant l’internement psychia-
trique et la « rééducation » sociale. La composante sociale domine la pratique
administrative, qui assimile alors systématiquement le terme de Tzigane à ce-
lui de « vagabond », « voyou », ou encore « réfractaire au travail ».
81. En 1904, le gouvernement nidwaldien interdit aux nomades
l’utilisation des transports lacustres pour aborder son territoire. A la suite de
cette mesure, la Compagnie de navigation du lac des Quatre-Cantons de-
mande au Département fédéral des postes et des chemins de fer si une telle in-
terdiction est admissible dans le cas où les personnes concernées se sont ac-
quittées du billet. L’autorité répond le 4 février 1905115 que les cantons bénéfi-
cient d’une compétence illimitée en matière d’interdiction d’entrée sur leur ter-
ritoire d’étrangers sans nationalité, ce qui est le cas des Tziganes.
82. Elle associe, par ailleurs, à des motifs d’ordre public l’interdiction
formulée par le canton. A ce titre, elle rappelle à la compagnie que la
législation fédérale en matière de transports et de navigation oblige les
entreprises de transports à se conformer aux défenses de transporter certaines
114
Cette date coïncide avec la dissolution de l’Oeuvre des Enfants de la grand-route, présentée infra,
Section B, 2.
115
BA E 21/20601.
25
La situation juridique des Tziganes en Suisse
116
F. EGGER, pp. 57-58 ; WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, pp. 47-48.
117
FF 1906 IV 308, RO 22 367.
118
HUONKER/LUDI, p. 39.
119
FF 1906 IV 309. F. EGGER, p. 60 ; WEILL-LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 48.
120
F. EGGER, pp. 62-64 ; MEHR, p. 11.
121
Eduard LEOPOLD, adjoint auprès du DFJP entre 1904 et 1915, est considéré aujourd’hui comme
l’architecte de la politique suisse en matière de Tziganes poursuivie dès 1900 ; HUONKER/LUDI, p. 39.
122
« Ausweisung der Zigeuner », rapport final de la Section de police (Leopold) du 25 octobre 1912,
BA E 21/20606.
123
Cette définition se rapproche de celle du gouvernement bavarois, formulée en 1911, citée par
HEUSS, p. 119.
26
Titre Premier - De 1900 à 1973
nisch et tziganes au sens actuel du terme. Le mode de vie suffit à classer un in-
dividu sous l’étiquette sociologique « tzigane », niant ainsi toute particularité
ethnique, culturelle ou historique aux communautés rroms, jénisch, ou sinti124.
Les efforts des autorités suisses sont cependant vains dans un premier temps,
les Etats voisins préférant traiter la question au niveau national uniquement125.
87. En 1911, un registre central, conçu sur le modèle de la Zigeunerzentrale
de la Bavière, est créé au sein du DFJP afin de recenser les données personnel-
les des Tziganes126. Ici également, c’est LEOPOLD qui est à l’origine de la me-
sure ; dans le rapport destiné à son département, il propose, entre autres, le re-
levé de mesures anthropométriques de manière systématique, ainsi qu’un ca-
talogue de dispositions très répressives, dont le renvoi en vertu de l’article 70
aCst., qui permet d’expulser les étrangers représentant un danger pour la sé-
curité intérieure de la Suisse127. LEOPOLD argumente que les Tziganes remplis-
sent cette condition du fait que leur mode de vie est en contradiction quoti-
dienne avec les lois suisses, mais également parce qu’ils sont « réfractaires à
tout ordre social et à toute autorité étatique »128.
88. Les cantons ne perdent pas de temps pour suivre les propositions de
LEOPOLD, et la Conférence intercantonale des directeurs de police décide en
1912 d’interner les Tziganes étrangers pour les identifier dans un premier
temps, puis les expulser. Les familles sont séparées : les hommes dès l’âge de
seize ans sont envoyés dans l’institution de travail obligatoire de Witzwil, tan-
dis que les femmes et les enfants sont internés dans le canton où ils ont été ap-
préhendés. Hommes, femmes ou enfants, les particuliers sont alors identifiés
minutieusement, fichés, puis refoulés129.
89. Durant la même année, le DFJP décide de ne pas suivre LEOPOLD dans
son interprétation extensive de la notion de « menace à la sécurité intérieure
du pays ». Toutefois, cette décision ne change en rien la pratique de
l’internement, de l’identification et du refoulement130. Aujourd’hui encore, on
ignore ce qu’il est advenu du registre central fichant les Tziganes, ainsi que la
nature exacte des informations qu’il contient131.
90. On se rappelle que la Suisse n’avait pas réussi à donner l’impulsion à
une coordination internationale en matière de Tziganes en 1909. Or, la Pre-
124
HEUSS, pp. 119-120 ; HUONKER/LUDI, p. 41.
125
FF 1910 II 119 ; F. EGGER, pp. 63-64 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 24 ; WEILL-
LEVY/GRÜNBERG/ISLER, p. 48.
126
MEHR, p. 13.
127
F. EGGER, pp. 61-63 ; BA E 21/20602.
128
LEOPOLD, Programm betreffend Bekämpfung der Zigeunerplage, vom 3. Oktober 1911. Traduit par-
tiellement par LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 25.
129
F. EGGER, p. 67.
130
F. EGGER, p. 69.
131
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 26.
27
La situation juridique des Tziganes en Suisse
132
HUONKER/LUDI, pp. 27-28.
133
RO 1917 989.
134
RO 30, 347.
135
LUDWIG, p. 7. Au sujet des ordonnances de pleins pouvoirs des Première et Deuxième guerres mon-
diales et de leur défaut de constitutionnalité, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1585-1588; KÄ-
LIN (1999), pp. 93-123.
136
Ordonnance du 29 novembre 1921 du Conseil fédéral sur le contrôle des étrangers, modifiée le 7
septembre 1925 et le 16 octobre 1928, abrogée par l’entrée en vigueur le 1er janvier 1934 de la Loi
fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (RS 1 113 ; RS 142.20).
137
MEHR, p. 10.
138
Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie, Pologne, Finlande, Estonie, Lituanie,
Lettonie.
28
Titre Premier - De 1900 à 1973
139
HUONKER/LUDI, pp. 28 et 47.
140
BA E 4260 (C), 1974/34 ; HUONKER/LUDI, p. 47 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 26.
141
MEHR, p. 11.
142
THODE-STUDER, p. 128.
143
THODE-STUDER, p. 135.
144
HUONKER/LUDI, pp. 30-34.
29
La situation juridique des Tziganes en Suisse
145
L’eugénisme est le substantif utilisé en langue française pour désigner l’aspect socio-politique du
terme originel anglais eugenics, inventé en 1883 par Sir Francis Galton, et qui est opposé à
l’eugénique, tiré du même mot anglais, mais qui désigne une science appliquée. On soulignera
qu’eugénisme et nazisme ne sont pas nécessairement équivalents, puisque le premier précède
l’émergence du second et que l’adoption de normes promouvant des mesures eugéniques n’est pas
synonyme d’appartenance ou de sympathie avec un régime d’extrême-droite. Ceci est clairement
démontré par le fait qu’un pays comme la Suède, menant une politique de sociale-démocratie, a
stérilisé de force environ 60'000 personnes entre 1935 et 1976. HELLER/JEANMONOD, p. 21 et référen-
ces ; HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 25-29 et références. Voir également BERSIER, p. 192.
146
HELLER/JEANMONOD, p. 34.
147
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 28-29. Voir également les mesures « directes » proposées
par le Conseil fédéral en 1944 pour lutter contre les maladies héréditaires, et qui incluent les alloca-
tions familiales et l’encouragement au mariage des familles qui ne souffrent pas d’une « hérédité
chargée », FF 1944 I 878.
148
TAGUIEFF, p. 40.
30
Titre Premier - De 1900 à 1973
149
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), p. 149.
150
HUONKER/LUDI, p. 33.
151
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 35. Sur l’appartenance des Tziganes, dénommés « vagabonds », aux
« faibles d’esprit », THODE-STUDER, p. 135. Sur l’appartenance des «vagabonds » aux « asociaux »
dans les années 1960 encore, voir BERSIER, pp. 143-144 et citations ; ce dernier auteur souligne par
ailleurs l’imprécision du terme et la grande place laissée à l’arbitraire qui en découle.
152
HUONKER/LUDI, p. 34 ; MEHR, pp. 12-13.
31
La situation juridique des Tziganes en Suisse
153
M. LE GUEUT-DEVELAY, La stérilisation humaine volontaire, 1998, http://www.med.univ-
rennes1.fr/resped/cours/medecine_legale/sterilisation.htm [consulté le 11 août 2006].
154
BERSIER, p. 203.
155
Depuis le 1er janvier 2000, l’interdiction est formulée à l’art. 94 CC (RO 1999 1142 ; FF 1996 I 1).
Auparavant, elle était prévue à l’art. 97 al. 2 CC. Sur l’origine eugénique de cette interdiction, qui
vise à empêcher la propagation des maladies mentales, voir ATF 48 II 173, 180 B. et Z., ATF 73 I
167, 170 R. A. EGGER (1939), pp. 44-46 et HUONKER/LUDI, pp. 32-33.
156
Rapport explicatif du 6 novembre 2001 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national
relatif à l’avant-projet de la loi sur les stérilisations (ci-après : Rapport explicatif du 6 novembre
2001), p. 7 ; voir également le pourcentage approximatif rapporté par GSCHWIND, p. 70 : dans les
années 1945-1950, 97% de personnes stérilisées en Suisse sont des femmes.
157
HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), p. 21. En 1968 encore, une personne n’observant pas les règles
ou les usages communs de bienséance et de moralité, ou dont le comportement diffère de celui de
la majorité de ses concitoyens, est qualifiée d’asociale ; BERSIER, p. 132.
158
Message du Conseil fédéral sur la demande d’initiative pour la famille, FF 1944 I 825.
159
Message du Conseil fédéral sur la demande d’initiative pour la famille, FF 1944 I 825, 877 ; DUMOU-
LIN, in : HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 69-70. Pour un exemple d’argumentation eugénique
et sociale de la stérilisation des infirmes mentaux, voir la contribution d’AUGUSTE LEY, La stérilisation
et la castration des dégénérés aux points de vue eugénique et thérapeutique, Revue de droit pénal
et de criminologie, n° 6, juin 1933, pp. 561-577. Cet auteur conclut, p. 576, que « pour arriver à
une amélioration de la race, seule l’élimination des cellules reproductrices tarées constitue un pro-
cédé efficace (…) » et que dans cette optique, la stérilisation chirurgicale est un « procédé simple et
pratique ».
32
Titre Premier - De 1900 à 1973
160
A. EGGER (1947), p. 5 ; HELLER/JEANMONOD, p. 23. Pour une étude approfondie de pratiques cantona-
les en Suisse romande, voir GENEVIEVE HELLER, GILLES JEANMONOD, JACQUES GASSER, Rejetées, rebelles,
mal adaptées – Débats sur l’eugénisme, Pratiques de la stérilisation non volontaire en Suisse ro-
mande au vingtième siècle, Genève 2002.
161
GSCHWIND, p. 62.
162
PFENNINGER, p. 145
163
Les pays scandinaves sont les seuls à avoir légiféré de manière à légitimer la stérilisation des handi-
capés mentaux : le Danemark se dote le 1er juin 1929 d’une réglementation légale topique. La
Suède fait de même le 18 mai 1934, suivie par la Norvège le 1er juin 1934 ; BERSIER, pp. 197-199.
164
La France, par exemple, tient une position ferme à l’encontre de telles mesures, même lorsque la
personne concernée a donné son consentement à l’opération. BERSIER, pp. 202-203, rapporte qu’en
1938, la Chambre criminelle de Cassation a ainsi rejeté le pourvoi d’individus ayant stérilisé des vo-
lontaires, et que les praticiens français eux-mêmes sont par ailleurs très réticents à l’égard de cette
intervention. Avant 1933, les tribunaux allemands condamnaient les médecins ayant effectué des
stérilisations sans raisons médicales sérieuses. Le Troisième Reich voit quant à lui la création
d’autorisations légales de stériliser pour des motifs eugéniques, normes abrogées lors de la chute
du régime. Après la guerre, le cadre juridique est imprécis, mais la stérilisation pratiquée avec le
consentement de l’intéressé semble être admise ; BERSIER, pp. 200-202.
165
Problématique relevée en 1947 déjà par A. EGGER (1947), p. 15.
166
GSCHWIND, pp. 62-63.
167
Initiative parlementaire 99.451 « Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes », déposée le
5 octobre 1999 par la Conseillère nationale MARGRITH VON FELTEN, BO CN 2000 p. 479 ; Rapport ex-
plicatif du 6 novembre 2001, p. 7.
33
La situation juridique des Tziganes en Suisse
quel qu’en soit le motif, médical ou autre168. A la suite de l’envoi d’un ques-
tionnaire relatif à la pratique de la stérilisation à tous les départements univer-
sitaires de gynécologie et de chirurgie, ainsi qu’à tous les hôpitaux cantonaux
et de district, MARTIN GSCHWIND articule dans sa thèse de 1950169 le chiffre
d’environ 700 stérilisations forcées annuelles pratiquées suivant des indica-
tions autres que purement médicales, c’est-à-dire eugéniques et/ou sociales170.
112. Son étude révèle par ailleurs que deux tiers des médecins interrogés ne
pratiquent des stérilisations pour motifs eugéniques qu’à la suite de consignes
données par un spécialiste, généralement un psychiatre. Lorsque des indica-
tions sociales sont en cause, principalement le nombre d’enfants que la per-
sonne concernée a déjà eus, trois cinquièmes des praticiens paraissent agir de
leur propre initiative, tandis que les autres se basent sur des avis spécialisés,
tels que ceux de psychiatres, de l’assistance publique, des autorités tutélaires
ou encore du médecin de famille171.
113. Il sied de préciser que nous parlons de stérilisation forcée lorsque
l’acte a été commis sans le consentement de la personne concernée capable de
discernement, ou à l’encontre d’un incapable de discernement, sans l’accord de
son représentant légal. Cette expression ne préjuge toutefois pas de l’illicéité
de l’intervention. En effet, ainsi que l’atteste la loi fédérale sur les stérilisations,
une stérilisation librement consentie peut être encore qualifiée d’illicite, et celle
effectuée sans le consentement de la personne, mais pour des raisons émi-
nemment dignes de protection, peut être considérée comme licite.
114. On relèvera que l’on considère depuis longtemps que toute pression
en vue d’obtenir le consentement du patient à un acte médical est inadmissi-
ble, en premier lieu celle d’ordre financier. Le médecin ne peut mêler rensei-
gnements thérapeutiques et éléments étrangers au traitement, comme par
exemple des indications d’ordre moral, économique ou encore social172.
115. Or, il semble qu’il ait été fréquent par le passé que des personnes dé-
pendant de l’assistance publique se soient vues menacées de ne plus obtenir de
soutien financier en cas de refus de se soumettre à une stérilisation. La lecture
des directives adressées, le 5 février 1931, par la Direction de l’assistance pu-
blique cantonale bernoise aux autorités cantonales et communales d’assistance
publique173, démontre cependant que ce genre de procédés a existé. En
l’occurrence, ces directives ont cherché à mettre fin à une certaine pratique en
168
PFENNIGER, pp. 145-146.
169
MARTIN GSCHWIND, Die Sterilisation von Menschen nach schweizerischem Recht, thèse, Bâle 1950.
170
GSCHWIND, p. 69.
171
GSCHWIND, p. 66.
172
GUILLOD (1986), p. 111. Voir déjà à ce sujet, A. EGGER (1947), pp. 8-9.
173
Circulaire concernant certaines interventions chirurgicales sur la personne de femmes, in :
« Communications officielles de la Direction de l’assistance publique du canton de Berne », n° 4, fé-
vrier 1931.
34
Titre Premier - De 1900 à 1973
116. Le fait d’inclure les Tziganes dans la catégorie des personnes asociales,
voire atteintes de déficiences mentales, rend impossible la détermination du
nombre exact de Tziganes ayant souffert de stérilisations, car ils ne ressortent
pas dans les statistiques en tant que « Tziganes »175. Cependant, il apparaît
clairement qu’en sus des cas individuels où les particuliers sont accusés
d’inconduite ou encore d’ivrognerie, les personnes tziganes sont la cible de ces
mesures en raison de leur qualité de Tziganes. Premièrement, leur communau-
té poursuit et souhaite perpétuer un mode de vie considéré comme inaccepta-
ble en tant que tel. A ce sujet, l’existence du programme de l’Œuvre des en-
fants de la Grand route, examiné ci-après176, démontre qu’il existe, d’une ma-
nière plus générale, une volonté politique nationale dirigée à leur encontre.
117. Deuxièmement, les familles tziganes connaissent traditionnellement
un taux de natalité élevé177, ce qui constitue un autre motif poussant les autori-
tés d’assistance à demander la stérilisation des mères178. La position du juriste
zurichois RUDOLF WALTISBÜHL peut être citée à titre d’exemple sur ce sujet.
Dans sa thèse de 1944179, cet auteur plaide pour la stérilisation forcée des Tzi-
ganes, qu’il considère comme des individus malades, incapables de discerne-
ment, ne pensant qu’à engendrer une descendance également « tarée »180. Il
renvoie d’ailleurs explicitement aux politiques raciales allemandes des années
1930, les considérant comme des modèles à suivre en la matière181. Cette per-
ception perdure, puisque le mode de vie nomade est apparenté dans les an-
nées 1960 encore à « certaines maladies dangereuses, (qui sont) principalement
transmise(s) par les femmes»182.
174
BERSIER, pp. 205-206 ; A. EGGER (1947), p. 4. Voir également RAMSAUER, pp. 238-239, qui rapporte
des exemples de pressions financières pour obtenir le consentement à la stérilisation.
175
HUONKER/LUDI, p. 36.
176
Infra Section 2.
177
REYNIERS (1993A), p. 41.
178
L’étude menée par GSCHWIND auprès des médecins pratiquant dans des hôpitaux publics démontre
que des mesures sont prises à partir de trois, voire quatre enfants (p. 66).
179
RUDOLF WALTISBÜHL, Die Bekämpfung des Landestreicher- und Landfahrertums in der Schweiz. Eine
Untersuchung der rechtlichen und soziologischen Stellung der Nichtsesshaften in der Schweiz, thèse
Aarau, 1944. Par la suite, cet auteur a adressé publiquement des excuses à la communauté tzigane
au sujet des propos tenus dans sa thèse.
180
WALTISBÜHL, p. 121.
181
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 35 ; WALTISBÜHL, p. 159.
182
SIEGFRIED (1964), p. 13.
35
La situation juridique des Tziganes en Suisse
183
Voir DFJP (1983), notamment pp. 8ss.
184
Loi fédérale sur les conditions et la procédure régissant les stérilisations (Loi sur les stérilisations ;
RS 211.111.1 ; RO 2005 2499).
185
La loi prévoit en effet strictement les hypothèses où la stérilisation des individus est admise. Selon
l’art. 4 de la loi sur les stérilisations, la stérilisation de personnes âgées de plus de 18 ans et passa-
gèrement incapables de discernement est interdite. Selon l’art. 5, al. 1, la stérilisation de personnes
âges de plus de 18 ans, capables de discernement, n’est admise que si son consentement libre et
éclairé, formalisé par écrit, a été donné. L’alinéa 2 oblige le médecin en charge de l’intervention de
consigner par écrit les éléments attestant de la capacité de discernement de la personne. A teneur
de l’art. 6, la stérilisation de personnes interdites et majeures, capables de discernement, est autori-
sée avec son consentement libre et éclairé donné par écrit, avec l’accord du représentant légal, et à
la suite d’un second avis médical que doit ordonner l’autorité tutélaire de surveillance, qui doit éga-
lement donner son autorisation. Enfin, selon l’art. 3, sous réserve de l’art. 7 al. 2, la stérilisation des
personnes de moins de 18 ans est strictement interdite. L’art. 7 prévoit les cas exceptionnels autori-
sant la stérilisation de personnes mineures ou interdites et durablement incapables de discerne-
ment.
186
Rapport explicatif du 6 novembre 2001, p. 6. Soulignons que A. EGGER (1947), pp. 14-15, et
GSCHWIND, pp. 1-2, regrettent à leur époque déjà l’insécurité juridique qui découle de cette lacune.
D’un point de vue historique, une seule norme, de droit cantonal, traitait spécifiquement de la stéri-
lisation de personnes effectuée sans leur consentement : l’art. 28bis de la loi cantonale vaudoise du
36
Titre Premier - De 1900 à 1973
14 février 1901 sur le régime des personnes atteintes de maladies mentales, adopté le 3 septembre
1928 par le législateur vaudois (RO/VD 1928, pp. 70-71.). Il fut repris aux art. 32ss de la loi du 23
mai 1939 sur les malades mentaux et autres psychopathes, et finalement abrogé en 1985 lors de
l’entrée en vigueur de la loi cantonale sur la santé publique (Loi cantonale sur la santé publique du
29 mai 1985, RS/VD 800.000.). Appliquée jusque dans les années 1970, cette norme a donné lieu à
187 autorisations de stérilisation octroyées par le Conseil de santé cantonal, organe cantonal de
surveillance des affaires sanitaires ; DUMOULIN, in : HELLER/JEANMONOD/GASSER (2002A), pp. 67-68.
187
Initiative parlementaire VON FELTEN 99.451 du 5 octobre 1999, « Stérilisations forcées. Dédomma-
gement des victimes ».
188
Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, du 31 janvier 2000, relatif à
l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451, « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-
mes ».
189
Voir le Rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif
à l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451 « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-
mes » ; FF 2003 5753.
190
FF 2005 5791.
191
Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003 relatif au rapport du 23 juin 2003 de la Commission
des affaires juridiques du Conseil national concernant l’initiative parlementaire 99.451, FF 2003
5797.
37
La situation juridique des Tziganes en Suisse
192
Le Tribunal fédéral, soutenu par la doctrine, reconnaît expressément que lors de l’examen de
l’intérêt public et de la proportionnalité d’une mesure coercitive en matière médicale, il faut prendre
en compte des valeurs éthiques et des conditions sociales qui évoluent nécessairement, et qui doi-
vent être considérées selon les conception du moment ; ATF non publié du 28 mars 2001,
4C.172/2000, consid. 5d ; ATF 126 I 112 S. ; ATF 115 Ia 234, 247 K. et S.; ATF 97 I 45, 50 X. ; HÄ-
FELIN/MÜLLER, p. 114 ; MOOR (1994, vol.1 ), p. 388 ; WYSS, p. 61, et références.
193
Voir les débats parlementaires au Conseil national, BO/CN été 2004, pp. 244-254, et au Conseil des
Etats BO/CE été 2004, pp. 262-264. Voir également le Rapport de la commission des affaires juridi-
ques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif à l’initiative parlementaire VON FELTEN 99.451
« Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes » FF 2003 5759, 5758-5761.
194
Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003, FF 5798-5801.
195
Infra Section 2.3.
38
Titre Premier - De 1900 à 1973
131. L’Œuvre des enfants de la grand route est créée en 1926 et agit jus-
qu’en 1973. Durant sa période d’activité, elle est sous la responsabilité de la
fondation Pro Juventute, fondée en 1913, qui l’intègre dès sa création dans son
secrétariat central200. Dès 1930201, elle reçoit de substantiels financements de la
196
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 58.
197
SIEGFRIED (1964), p. 19, affirme que «(q)uand on a l’occasion d’observer les suites des (…) dérègle-
ments (causés par le nomadisme) sur des filles et des garçons de 7 ans, on n’a pas besoin de de-
mander plus loin pourquoi c’est un devoir pour l’humanité de placer de tels enfants aussi tôt que
possible dans un milieu sain ».
198
Pour une étude approfondie de la question, se référer à l’ouvrage de NADJA RAMSAUER,
« Verwahrlost » - Kindswegnahmen und die Entstehung der Jugendfürsorge im schweizerischen So-
zialstaat 1900-1945, Zurich 2000.
199
RAMSAUER, p. 191.
200
HUONKER, p. 75.
201
MEHR, p. 14, remonte à l’année 1929.
39
La situation juridique des Tziganes en Suisse
202
THODE-STUDER, pp. 139-140.
203
Cité par GOLOWIN (1973), p. 188.
204
HEINRICH HAEBERLIN, Préface de la brochure « Kinder der Landstrasse » de la fondation Pro Juven-
tute, Zurich 1927.
205
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 34 ; THODE-STUDER, p. 131.
206
THODE-STUDER, pp. 130-131.
207
HUONKER/LUDI, p. 38 ; MEHR, p. 12.
208
JÖRGER, p. 35.
209
HUONKER, p. 68 ; LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, pp. 56-57 et références ; MEHR, p. 12.
210
MICHON (1993), pp. I-74-I-75 ; HUONKER/LUDI, p. 45 ; THODE-STUDER, pp. 140-141.
211
THODE-STUDER, p. 144, estime que le nombre d’enfants enlevés se situe entre 600 et 730. MEHR, p.
19, énonce plus précisément le chiffre de 619.
212
GSCHWEND, p. 378 ; HUONKER/LUDI, p. 44.
40
Titre Premier - De 1900 à 1973
136. L’action de l’Œuvre peut être mise en place grâce à un cadre juridique
précis et préexistant à sa création, et seules quelques mesures peuvent être
qualifiées de manifestement illicites215. Une interprétation des dispositions du
droit de la famille et de la tutelle, en accord avec les conceptions psycho-
sociales de l’époque, a conféré aux responsables de l’Œuvre les bases légales
de leurs actions.
137. Pro Juventute dirige le placement sous tutelle des parents et des en-
fants tziganes au niveau national, et se substitue aux autorités cantonales et
communales, dans une tâche qui leur était jusqu’alors réservée. En effet, on
craint des difficultés dans la mise en œuvre du fait de l’éclatement territorial
des compétences qui nécessiterait un suivi coordonné des dossiers lors du dé-
placement des personnes concernées entre districts ou entre cantons. Ainsi, Al-
fred SIEGFRIED lui-même et ses collaborateurs deviennent les tuteurs d’une
grande majorité d’enfants216.
213
MEHR, p. 19.
214
SIEGFRIED (1964), p. 26, cité et traduit par THODE-STUDER, p. 142.
215
HUONKER/LUDI, p. 44.
216
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 29 ; THODE-STUDER, p. 129.
217
Le Code civil fut modifié en raison de la réforme du droit de la filiation, en vigueur depuis le 1er jan-
vier 1978 (RO 1977 264; FF 1974 II 1). Actuellement, les dispositions du Code civil relatives à la
protection de l’enfant sont les art. 307 à 317 CC.
218
RAMSAUER, pp. 37-38.
41
La situation juridique des Tziganes en Suisse
219
Lors de la révision du droit de la filiation, les auteurs du projet de révision souligneront la difficulté
considérable de l’application de critères d’appréciation aussi larges ; Message du Conseil fédéral du
5 juin 1974 concernant la modification du code civil suisse, FF 1974 II 84.
220
RAMSAUER, p. 38.
221
A. EGGER (art. 284 aCC), N. 12, p. 110.
222
A. EGGER (art. 283 aCC), N. 15, p. 101.
223
BERSIER, p. 152.
224
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, pp. 47-48.
225
WALTER LEIMGRUBER, THOMAS MEIER, ROGER SABLONNIER, L’Œuvre des enfants de la grand route, Etude
historique réalisée à partir des archives de la Fondation Pro Juventute déposées aux Archives fédé-
rales suisses, Archives fédérales, Dossier 10, Berne 1998 (2000 pour la version française).
226
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 47.
42
Titre Premier - De 1900 à 1973
142. L’interdiction des parents ainsi que le maintien sous tutelle des enfants
enlevés, puis devenus majeurs, se basent sur les article 369, 370 et 372 CC227.
143. En premier lieu, l’interdiction des parents se fonde sur l’article 369 CC,
plus particulièrement sur la notion de « faiblesse d’esprit » (« Geistesschwäche »,
« debolezza mentale »), qui recoupe alors les personnes considérées comme
« psychopathes inconsistants » et que l’on reconnaît par leur débauche et leur
fainéantise228. August EGGER interprète cette notion comme concernant « alle
jene Abweichungen vom ‘Normalen’ treffen, welche geeignet sind, die Schutzbedürfig-
keit zu begründen »229. D’une manière générale, les personnes tziganes, qu’elles
perpétuent ou non un mode de vie nomade, sont alors considérées comme
possédant congénitalement une intelligence inférieure à la moyenne, qui justi-
fie leur interdiction230.
144. Pour sa part, l’article 370 CC énonce notamment l’ « inconduite »
(« lasterhafter Lebenswandel », « scostumatezza ») en tant que motif permettant
d’interdire un majeur. Cette notion autorise les autorités à interdire les indivi-
dus considérés comme étant des vagabonds (Landstreicher) ; en effet, le vaga-
bondage est perçu comme une activité mettant en danger la sécurité de la po-
pulation sédentaire et l’ordre public d’une manière générale231.
145. Dans son commentaire de 1929 relatif à l’article 370, AUGUST EGGER
explique également que ce terme recouvre le mode de vie des « mendiants » et
des « vagabonds », qui les met eux-mêmes en danger, ainsi que le reste de la
société, puisque le non-respect des règles de vie reconnues par tous les mène à
la criminalité. La disposition doit permettre « den Asozialen im Rechte zurückset-
zen zum Schutze der Andern ».
146. L’auteur va même jusqu’à affirmer que celui qui mène un mode de vie
déshonorant (« unehrenhaften Lebenswandel ») ne peut plus prétendre à la pro-
tection judiciaire des droits qui posent comme condition préalable
l’honorabilité du justiciable232. Une application combinée des articles 370 et 406
CC233, allant à l’encontre de la volonté du législateur234, va dans certains cas
mener au placement de Tziganes dans des maisons de correction et des pri-
227
Contrairement au droit de la filiation, les dispositions du droit de la tutelle sont demeurées les mê-
mes jusqu’à présent.
228
WALTISBUEHL, p. 69.
229
A. EGGER (art. 360 aCC), N. 38, p. 92.
230
SIEGFRIED (1964), p. 27.
231
WALTISBUEHL, p. 69 ; BERSIER, p. 145.
232
A. EGGER (art. 370 aCC), N. 42ss, pp. 123-126.
233
Article 406 CC : « Le tuteur protège l’interdit, l’assiste dans toutes ses affaires personnelles et au
besoin pourvoit à ce qu’il soit placé dans un établissement ».
234
WALTISBUEHL, pp. 70-71.
43
La situation juridique des Tziganes en Suisse
sons, du fait d’absence d’alternative, car les autorités craignent les évasions
des maisons psychiatriques235.
147. Les personnes placées sous la responsabilité de l’Œuvre durant leur
minorité, mais qui passent à l’âge adulte sont, pour leur part, maintenues sous
tutelle en application de l’article 372 CC. Le tuteur peut en effet estimer qu’il
ne considère pas le pupille en question comme capable de gérer convenable-
ment ses affaires236, argument utilisé pour interdire les jeunes adultes.
148. Ce n’est que sous la pression médiatique237 que l’Œuvre cesse ses acti-
vités en 1973, sans que ses dirigeants soient inquiétés par les autorités. Une
enquête est toutefois ouverte et la Confédération prend alors les mesures adé-
quates pour sauvegarder les dossiers et les archives pertinents. Les responsa-
bilités dans cette affaire ne se limitent pas à celles de la fondation Pro Juven-
tute et des dirigeants de l’Œuvre. L’enquête et les rapports ordonnés par la
Confédération démontrent que tous les acteurs publics suisses – les communes
et les cantons principalement, au vu de leur rôle prépondérant en matière
d’assistance sociale, mais également la Confédération – ont participé à la dé-
marche238.
149. Il faut attendre 1986 pour que des excuses officielles soient adressées
aux victimes de l’Œuvre, par l’intermédiaire du Conseiller fédéral ALPHONS
EGLI239. Entre 1988 et 1992240, reconnaissant son soutien politique, moral et fi-
nancier à cette action, la Confédération verse environ 11 millions de francs aux
personnes concernées identifiées et s’étant présentées (environ 2000)241. Cette
somme fait office toutefois de geste de bonne volonté et non de réparation, les
autorités fédérales estimant qu’au vu de l’ampleur des torts causés aux victi-
235
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 46.
236
LEIMGRUBER/MEIER/SABLONIER, p. 46.
237
Dans son septième numéro de 1972, le Schweizerische Beobachter publie le premier d’une série
d’articles sur l’action de l’Œuvre et le rôle de Pro Juventute, attirant ainsi l’attention du grand public
et des médias sur le sort des enfants tziganes suisses ; MEHR, p. 19, THODE-STUDER, pp. 144-151.
238
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999, en réponse à la motion 99.3297
« L’histoire vraie des orphelins suisses », déposée le 17 juin 1999 par le Conseiller national Jean-
Charles SIMON (ci-après : Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999). Concernant le
sort des enfants et des parents jénisch, «(i)l s’agissait d’un cas type de discrimination d’une minorité
en Suisse, dont une institution privée et les autorités tutélaires cantonales et communales ont été
les principales responsables. ».
239
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.
240
La fondation chargée de réparer les torts subis par les victimes de l’Œuvre fut dissoute en 1993, le
délai pour déposer une requête en indemnisation ayant été placé au 30 juin 1992.
241
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.
44
Titre Premier - De 1900 à 1973
242
Rapport écrit du Conseil fédéral du 16 juin 1997, en réponse à l’interpellation SEMADENI (Jénischs
suisses. Etude systématique des événements) 97.3225 du 30 avril 1997.
243
Communiqué de presse du Conseil fédéral du 12 janvier 2000 au sujet des résultats de la consulta-
tion effectuée par le Département fédéral de l’intérieur.
244
AG, AR, FR, GR, JU, SO, SZ, VS, VD, ZG, ZH.
245
Voir le résumé et l’évaluation des résultats de la consultation des cantons relative à l’Œuvre
d’entraide des enfants de la grand route du Département fédéral de l’intérieur, janvier 2000.
45
La situation juridique des Tziganes en Suisse
155. Les considérations qui précèdent permettent de conclure qu’il est im-
possible de voir dans l’Œuvre des enfants de la grand route un simple
« accident de parcours » isolé dans la politique suisse en matière d’assistance
sociale, mais bien le reflet d’une démarche systématique à l’encontre des Tzi-
ganes246. Dès lors, il se justifie de suivre la doctrine lorsqu’elle analyse
l’ampleur du traumatisme que l’action de l’Œuvre a engendré auprès de ses
victimes, ainsi que ses effets directs sur la structure et la cohésion de la com-
munauté tzigane suisse, à la lumière de l’article II de la Convention internatio-
nale sur la prévention du génocide247 et de l’article 264 CP, qui le concrétise en
droit suisse248.
156. Lukas GSCHWEND conclut, en effet, que les actes commis dans le cadre
de l’Œuvre remplissent les conditions du génocide culturel249, au sens de
l’article 264 alinéa 1 lettre d CP250. Les conditions objectives de l’infraction sont
données : les victimes appartenaient à un groupe ethnique251 et les enfants ont
été enlevés à leurs parents et transférés de force au sein du groupe que consti-
tue la société sédentaire. L’élément subjectif consiste en l’intention de détruire
un groupe déterminé252 ; or, l’intégration forcée des enfants était bien le but di-
rect de l’action de l’Œuvre, et non pas uniquement un effet secondaire de
l’enlèvement des enfants, et la dissolution de la structure du groupe était
l’objectif à terme des responsables de l’Œuvre253.
157. GSCHWEND identifie Alfred SIEGFRIED et sa collaboratrice Clara REUST
comme étant les auteurs principaux de ce crime, du fait de leurs rôles de pre-
mier ordre. La qualification pénale de la participation des autres acteurs est
246
GERMANN, p. 139.
247
Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, entrée
en vigueur en Suisse le 6 décembre 2000 (RO 2002 2606 ; RS 0.311.11). Voir également la présen-
tation plus détaillée de cet instrument effectuée infra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.3.
248
La convention du 9 décembre 1948 n’est en effet pas directement applicable et sa ratification a né-
cessité l’adoption d’une nouvelle norme pénale ; Message du Conseil fédéral relatif à la Convention
contre le génocide, FF 1999 4911, 4924-4925.
249
GSCHWEND, p. 392.
250
Art. 264 al. 1 let. d CP : « Sera puni de la réclusion à vie ou de la réclusion pour dix ans au moins
celui qui, dans le dessein de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial, religieux ou
ethnique (…) aura transféré ou fait transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe. ».
251
Pour des développements approfondis sur cette question, voir infra Titre Deuxième, Chapitre II,
Section B, 2.2. Relevons par ailleurs que la perception des victimes qu’ont les auteurs d’un génocide
suffit à remplir la condition objective ; DE LESPINAY, p. 143.
252
Message du Conseil fédéral du 31 mars 1999, FF 1999 4911, 4922.
253
GERMANN, p. 137 ; GSCHWEND, pp. 389.
46
Titre Premier - De 1900 à 1973
160. Tandis que les faits que nous avons reportés ci-dessus se sont déroulés
sur plusieurs décennies et ressortent d’une politique continue inscrite sur le
long terme, l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale a eu des conséquen-
ces négatives supplémentaires et particulières pour les Tziganes, que ceux-ci se
soient trouvés en Suisse ou aient souhaité y entrer.
161. L’attitude des autorités suisses envers les Tziganes durant la
Deuxième guerre mondiale doit être analysée tant à la lumière de la politique
suisse en matière d’asile en général256, qu’en rapport avec la politique restric-
tive spécifique envers les Tziganes suisses et étrangers, pratiquée, comme nous
254
Voir, au sujet du rôle de la psychiatrie dans le cadre de l’Œuvre, GERMANN, pp. 143-146.
255
GSCHWEND, pp. 385-386.
256
Pour un examen détaillé et approfondi de cette problématique, voir le rapport de la COMMISSION
D’EXPERTS INDEPENDANTS SUISSE-DEUXIEME GUERRE MONDIALE, Die Schweiz und die Flüchtlinge zur Zeit
des Nationalsozialismus, Publications de la Commission d’Experts Indépendants Suisse-Deuxième
guerre mondiale , vol. 17, 2ème éd., Zurich 2001.
47
La situation juridique des Tziganes en Suisse
l’avons constaté, bien avant le début du conflit. Nous avons déjà examiné les
différentes méthodes qui ont été développées durant les premières décennies
du XXème siècle, aussi bien sur le plan national que dans le cadre de la coopé-
ration internationale, dans le but de recenser, d’arrêter, de sanctionner ou de
tenter de « resocialiser » les personnes appartenant à des groupes tziganes.
162. Tout en gardant à l’esprit ce qui peut être considéré comme une ligne
directrice pour l’activité des autorités, nous consacrerons ce chapitre, premiè-
rement, à une vue d’ensemble de la situation des Tziganes sous le régime nazi
(1.), puis, deuxièmement, à un aperçu de la politique suisse en matière d’asile
pendant le conflit (2.), pour terminer par l’étude de l’impact de cette politique
sur les Tziganes étrangers fuyant les persécutions des autorités nazies (3.)257.
163. Les persécutions dont font l’objet les Tziganes durant les années 1933 à
1945 sous le Troisième Reich ne sont pas le fruit du hasard, mais s’inscrivent
dans une logique de continuité avec la politique discriminatoire de la Républi-
que de Weimar258. Leur ampleur et leur aspect systématique sont toutefois ca-
ractéristiques du régime hitlérien. Nous rapportons ici les principales étapes259
ayant mené au génocide des Tziganes qui, de par son importance, n’a pas uni-
quement annihilé des individus, mais également les structures sociales, cultu-
relles et identitaires des communautés tziganes. Cette destruction menée à une
si grande échelle a eu, bien entendu, des conséquences directes sur la capacité
des survivants et de leurs descendants à perpétuer leur mode de vie tradition-
nel260.
164. Le 22 septembre 1933, la Reichskulturkammergesetz entre en vigueur en
Allemagne, excluant de la vie culturelle allemande les personnes juives, tziga-
nes ou appartenant à l’opposition politique. Le 1er janvier 1934, l’entrée en
force de la Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses mène à la stérilisation
de nombreux Tziganes. Le 15 septembre 1935, dans le cadre de la législation
raciale de Nuremberg, la Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der deuts-
chen Ehre interdit le mariage et les relations extra-conjugales entre Allemands
et Juifs, interdiction étendue par la suite également aux Tziganes, classés dans
la catégorie des « asociaux ».
257
Voir à ce sujet les résultats des recherches effectuées par THOMAS HUONKER et REGULA LUDI in : Roma,
Sinti und Jenische – Schweizerische Zigeunerpolitik zur Zeit des Nationalsozialismus, Publications de
la Commission d’Experts Indépendants Suisse-Deuxième guerre mondiale, vol. 23, Zurich 2001.
258
HEUSS, p. 127 ; MARTEN-GOTTHOLD, pp. 25-27.
259
Survol historique basé sur les travaux de la COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, annexe, pp. 289-312,
de HUONKER/LUDI, pp. 53-66 et références, de LIEGEOIS (1994), pp. 131-132 et de MARTEN-GOTTHOLD
et références, pp. 27-35.
260
HUONKER/LUDI, pp. 64-65.
48
Titre Premier - De 1900 à 1973
165. En 1936, les droits politiques des Tziganes leur sont retirés, et au mois
de mai de cette année, les premiers ghettos spécifiques pour Tziganes sont
créés. Au mois de juin 1938, la police allemande procède à plusieurs rafles à
l’encontre des « asociaux », qui sont ensuite envoyés dans les camps de
concentration. A la fin de cette même année, Heinrich HIMMLER, SS et chef de
la police du Reich, ordonne, par le biais de la directive Bekämpfung der Zigeu-
nerplage, le recensement systématique des Tziganes, démarche par ailleurs faci-
litée par les efforts entrepris avant la guerre en matière d’identification et de
relevés anthropologiques. Suite à cette directive, des milliers de Tziganes sont
envoyés dans des camps de concentration, en tant que travailleurs forcés.
166. Le début de la guerre marque un renforcement des persécutions, et
l’attaque de l’Union Soviétique en été 1941 conduit à une augmentation dra-
matique du nombre de victimes d’exécutions collectives sommaires. Au mois
de juillet 1941, la « Solution finale » est décidée. A l’instar des Juifs, les Tziga-
nes se trouvant dans les Etats conquis par l’armée allemande sont systémati-
quement la cible de ces persécutions. Robert RITTER, médecin de haut rang
dans la hiérarchie du Troisième Reich, spécialisé dès les années 1930 dans la
recherche eugénique sur les Tziganes, établit en 1942 la généalogie d’environ
30’000 Tziganes afin d’identifier ceux qualifiés de « métis ».
167. Ces derniers sont également victimes de la « Sélection » décidée en dé-
cembre 1942 par HIMMLER, qui détermine qui sera déporté vers les camps de la
mort. En 1943, 22’600 Tziganes sont envoyés à Auschwitz. Beaucoup de déte-
nus tziganes sont victimes d’expériences médicales mutilantes et destructrices
qui, si elles n’entraînent pas la mort, laissent des séquelles permanentes. Entre
400’000 et 500’000 Tziganes périssent dans les camps de travail et de la mort,
tels que Auschwitz-Birkenau, Dachau ou encore Buchenwald ; certains auteurs
articulent le chiffre de 1,5 millions de Tziganes assassinés sur l’ensemble de la
période nazie261. Leur nombre exact n’est pas connu à ce jour.
261
HUONKER/LUDI, p. 64, et références.
262
FF 1924 II 511, FF 1925 II 450.
49
La situation juridique des Tziganes en Suisse
par l’arrêté de l’Assemblée fédérale du 30 août 1939, qui confère au Conseil fé-
déral une large compétence en matière législative263,264.
169. L’admission de réfugiés sur le territoire national est considérée à cette
époque comme une faculté appartenant à l’Etat, fondée sur sa souveraineté, et
exclusivement limitée par les traités bilatéraux relatifs à l’entraide en matière
pénale265. Durant la Deuxième guerre mondiale, aucune convention internat-
nale266 ne lie la Suisse dans ce domaine267, et il n’y a ni définition de la notion
de « réfugié » en droit international coutumier268, ni principe de non-
refoulement269 qui pourrait créer envers la Suisse une obligation internationale
d’accorder l’asile aux réfugiés civils270. Les réfugiés militaires, pour leur part,
constituent une catégorie protégée par la Convention de la Haye du 18 octobre
1907 concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neu-
tres en cas de guerre sur terre, entrée en vigueur en Suisse le 11 juillet 1910271.
Cette convention ne confère cependant pas de droit à l’asile272.
170. Du fait de l’absence de loi fédérale spécifique relative à l’asile, la loi
fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, entrée en vigueur en
1934273, forme le cadre légal de la politique suisse en la matière. En sus du
permis de séjour (article 5), de l’autorisation d’établissement (article 6), et de
l’autorisation dite de tolérance (article 7 aLSEE274), l’article 21 aLSEE275 autorise
le Conseil fédéral à octroyer l’asile à l’étranger, dont l’autorisation d’entrer en
Suisse a été refusée, si celui-ci démontre qu’il subit des persécutions politiques.
171. La pratique et la doctrine de l’époque276 interprètent strictement la no-
tion de « persécutions politiques », en la limitant aux personnes dont l’activité
politique les soumet directement et de manière imminente à des sanctions
dans leur pays d’origine. Elle exclut de l’asile les réfugiés dont la vie est mise
263
RO 55, 781.
264
KÄLIN (1999), p. 93 ; LUDWIG, p. 11.
265
Message du Conseil fédéral du 2 juin 1924 concernant la réglementation du séjour et de
l’établissement des étrangers en Suisse par le droit fédéral, FF 1924 511. CERUTTI, p. 28.
266
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. KÄLIN (1999), p. 23.
267
La Convention internationale sur la situation juridique des réfugiés date en effet du 28 juillet 1951
et est entrée en vigueur en Suisse le 21 avril 1995 (RO 1955 461 ; RS 0.142.30).
268
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. KÄLIN (1999), p. 50.
269
ATF 126 II 145, 160, J. Spring. KÄLIN (1982), p. 72.
270
ATF 126 II 145, 159, J. Spring. LUDWIG, p. 10.
271
RS 11 440 ; RS 0.515.21.
272
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 21-22.
273
Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE ; RS 1 113),
abrogée par l’entrée en vigueur de la loi fédéral sur les étrangers (LEtr ; RS 142.20 ; FF 2005 6885).
274
Disposition abrogée par la modification législative du 20 juin 1986 (RO 1987 1665).
275
Disposition abrogée par l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi fédérale du 5 octobre 1979 sur
l’asile (RO 1980 1718), elle-même abrogée par la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l’asile, entrée en
vigueur le 1er octobre 1999 (RO 1999 2253 ; RS 142.31).
276
HÄFLIGER, pp. 61-63 ; KÄLIN (1999), pp. 23-25.
50
Titre Premier - De 1900 à 1973
en danger pour des raisons raciales ou religieuses, les cas considérés comme
humainement difficiles pouvant toutefois bénéficier d’exceptions277. Par ail-
leurs, les personnes entrées sur le territoire helvétique, mais qui ne bénéficient
d’aucune autorisation, sont internées en application de l’article 14 alinéa 2
aLSEE278.
172. Durant la Deuxième guerre mondiale, le régime restrictif que nous ve-
nons d’évoquer est maintenu et appliqué au plus fort de l’afflux de réfugiés
fuyant les conflits et les persécutions, alors que dès la fin 1941, les autorités fé-
dérales connaissent le terrible sort réservé par le régime nazi aux Tziganes et
aux Juifs279.
173. Face à l’augmentation constante de requérants se présentant à la fron-
tière suisse, le 13 août 1942, le DFJP adresse aux directions cantonales de police
et aux commandants des polices cantonales une directive280 rappelant claire-
ment que seuls les réfugiés politiques doivent être acceptés. Malgré
l’indignation suscitée au sein de la population par l’application de cette circu-
laire281, ces instructions sont maintenues, voire rendues plus restrictives en-
core, par de nouvelles consignes adressées par le DFJP, le 29 décembre 1942,
aux autorités des douanes282.
174. Les recherches les plus récentes en la matière soulignent l’absence
frappante de documents relatifs au nombre exact de Tziganes s’étant présentés
à la frontière suisse, et a fortiori combien, parmi ces derniers, sont acceptés ou,
au contraire, refoulés. On ignore quelles sont les directives spécifiques relati-
ves au traitement des dossiers de ces réfugiés283. Il est toutefois démontré
qu’en plus d’être des réfugiés persécutés en raison de leurs origines, et non de
leurs opinions politiques, les requérants tziganes sont rangés, dès le milieu des
années 1930, dans la catégorie des étrangers « indésirables », qualificatif per-
mettant également le refoulement284. On peut dès lors conclure qu’un nombre
infime, voire nul, de Tziganes a pu trouver asile durant le conflit.
277
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 135 ; HADELMAN, p. 877.
278
Disposition modifiée par l’entrée en vigueur le 1er février 1995 de la loi fédérale du 18 mars 1994
sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers (RO 1995 146, 152).
279
CERUTTI, pp. 33-36 ; COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 89-91; LUDWIG, pp. 219-231.
280
Directives de la division Police du DFJP du 13 août 1942, BA E 4001 (C) 1, vol. 259 et BA E 4300 (B)
3, vol. 20.
281
LUDWIG, p. 195 ; COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 95.
282
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, p. 102 ; LUDWIG, pp. 216-219.
283
HUONKER/LUDI, pp. 67 et 80.
284
COMMISSION INDEPENDANTE D’EXPERTS, pp. 140-141 ; HUONKER/LUDI, pp. 69 et 80.
51
La situation juridique des Tziganes en Suisse
52
Titre Premier – Depuis 1973
175. Les décennies qui ont suivi la dissolution de l’Œuvre des enfants de la
grand route ont donné naissance à une situation paradoxale pour les Tziganes
en Suisse. D’une part, leur statut s’est transformé d’une manière radicale d’un
point de vue institutionnel, alors que d’autre part, aucune politique globale-
ment concertée, touchant concrètement aux conditions de vie des Tziganes, n’a
été élaborée en parallèle de manière à traduire ce changement d’approche.
176. Plusieurs facteurs expliquent ce décalage : le fédéralisme, tout d’abord,
puisque si les progrès se sont produits avant tout sur le plan fédéral, la résolu-
tion des obstacles ne peut se faire, en l’état actuel du droit et de la répartition
des compétences, qu’aux niveaux cantonal et communal285 ; la persistance des
préjugés, ensuite, liés à l’incompréhension face au mode de vie itinérant. On
évoquera également la suspicion réciproque entre Tziganes et non-Tziganes,
puisque l’histoire de leurs relations, dont nous avons tracé les contours, pèse
lourd lorsque les difficultés doivent être surmontées par les acteurs en pré-
sence sur le terrain, et complique considérablement la percée de réelles avan-
cées286.
177. Nous traiterons ultérieurement en détail de l’existence, du contenu et
de la mise en œuvre des obligations découlant de la Constitution fédérale et
des traités internationaux en matière de droits de l’homme et des droits des
minorités et qui engagent les autorités helvétiques, quels que soient leur ni-
veau et leurs compétences, à éliminer ce hiatus. Le présent chapitre est donc
destiné à présenter par un aperçu général l’importante évolution, à ce jour ina-
chevée, qu’ont connue les rapports entre les Tziganes et la Suisse durant ces
trois décennies, afin de mieux comprendre le contexte et les enjeux du débat
juridique que nous entamerons par la suite (A.).
178. Dans une deuxième étape, nous rapporterons ce qui peut être considé-
ré comme un aspect significatif de la transformation qui est en train de se pro-
duire dans les relations entre la communauté tzigane et l’Etat : la saisine des
tribunaux par quelques Tziganes, afin d’affirmer et de faire reconnaître leurs
droits (B.). Enfin, nous dresserons le tableau des difficultés rencontrées au-
jourd’hui par les Tziganes lorsqu’ils poursuivent leur mode de vie traditionnel
(C).
285
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450-451.
286
DFJP (1983), p. 17 ; KREIS, p. 7.
53
La situation juridique des Tziganes en Suisse
182. La première démarche effectuée par des autorités suisses est cantonale
et remonte à 1977. Donnant suite à un postulat, le gouvernement bernois man-
date une commission afin qu’elle détermine les mesures à prendre dans le can-
ton en faveur des Tziganes qui s’y trouvent. Premier de son genre en Suisse, le
rapport rendu en 1980 par la commission formule plusieurs suggestions visant
à faciliter l’arrêt des caravanes, le travail itinérant, les formalités administrati-
ves, l’éducation des enfants, mais aussi la promotion de la culture nomade et
la création d’un bureau cantonal chargé du suivi et de la mise en œuvre de ces
propositions291.
287
DFJP (1983), p. 2.
288
Directeur de l’instruction publique du canton de Berne, 1975, cité in : DFJP (1983), p. 1.
289
Infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
290
Infra Titre Quatrième.
291
DFJP (1983), pp. 1-2. Le rapport original est aujourd’hui indisponible.
54
Titre Premier – Depuis 1973
183. Sur le plan fédéral, l’impulsion est donnée par deux pétitions adres-
sées à l’Assemblée fédérale, respectivement en 1975 et 1978. La première est
déposée au nom de la Radgenossenschaft der Landstrasse, mais sans que cette
dernière lui ait accordé son soutien, et la seconde par Pro Tzigania Svizzera. En
raison de sa motivation insuffisante, l’Assemblée fédérale ne donne pas suite à
la pétition de 1975292.
184. Pour sa part, la pétition de 1978 formule plusieurs requêtes : que les
autorités fédérales reconnaissent « les nomades »293 en tant que minorité so-
ciale, culturelle et politique, et l’aident à préserver ses particularités ; que la
protection contre les discriminations soit assurée ; que la création de places de
stationnement soit garantie ; que les victimes de l’Œuvre des enfants de la
grand route soient indemnisées ; que les Tziganes étrangers puissent traverser
la Suisse ; finalement, que l’on crée un bureau de conseils juridiques accessible
gratuitement par les membres de la communauté.
185. Cette seconde pétition conduit à de meilleurs résultats que la première,
puisque, suivant l’opinion de la commission des pétitions, le Conseil des Etats
approuve le 21 mars 1979 un postulat exigeant du Conseil fédéral qu’il se sai-
sisse du problème294. L’exécutif nomme alors au sein du Département fédéral
de justice et police une commission composée d’experts provenant de tous les
milieux concernés, chargée de rédiger un rapport détaillé295.
292
BO/CE, printemps 1976, p. 151.
293
« Das Fahrende Volk » ; nous citons spécifiquement la pétition, car ce terme, en mettant l’accent
sur la caractéristique du voyage, pose à notre sens un problème par rapport à la situation des Tzi-
ganes sédentarisés. Nous reviendrons en détail sur cette question, infra Titre Deuxième, Chapitre
IV, Section A, 3.2.
294
BO/CE, printemps 1979, p. 383.
295
DFJP (1983), pp. 4-5.
296
Rapport de la commission d’étude désignée par le Département fédéral de justice et police, Fahren-
des Volk in der Schweiz : Lage, Probleme, Empfehlungen, Berne 1983.
55
La situation juridique des Tziganes en Suisse
191. Un second rapport fédéral destiné à faire le point sur la situation des
Tziganes en Suisse est publié en 1989 sous l’égide de l’OFC302. On relèvera
qu’il s’intéresse à la portée de la liberté d’établissement dont peuvent se préva-
loir les Tziganes suisses pour se déplacer et s’arrêter dans les communes suis-
ses ; dès lors, on regrettera que la réflexion juridique ne soit pas plus poussée
et que, par exemple, la question de la liberté économique des intéressés ne soit
297
HOFMANN C., p. 14.
298
HOFMANN C., p. 14 ; Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450.
299
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 451.
300
Prise de position du Conseil fédéral du 8 septembre 1999.
301
MICHON (1997), p. 19.
302
MARIA-LUISA ZÜRCHER-BERTHER, Nomades parmi les sédentaires – Problèmes posés par un autre mode
de vie, édité par l’Office fédéral de la culture, Bâle 1989.
56
Titre Premier – Depuis 1973
303
ZÜRCHER-BERTHER, p. 95.
304
MICHON (1997), p. 19. Le caractère erroné de ce choix terminologique, ainsi que son impact sur la
définition du cercle des personnes appartenant à la minorité protégée, seront examinés en détail ul-
térieurement, à l’occasion d’une réflexion approfondie ; Infra Titre Deuxième, Chapitre Chapitre IV,
Section A.
305
Nous aurons l’occasion de souligner les conséquences problématiques de cette conception pour la
protection des droits fondamentaux des membres de cette communauté ; voir notamment infra Ti-
tre Deuxième, Chapitre IV, Section A et Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 2.
306
Loi fédérale du 24 juin 1977 sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans le be-
soin (Loi fédérale en matière d'assistance ; LAS ; RO 1978 221; RS 851.1).
307
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453.
57
La situation juridique des Tziganes en Suisse
308
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450.
309
Avis du Conseil fédéral du 16 septembre 1991, FF 1991 460, 462.
310
Loi fédérale du 7 octobre 1994 concernant la fondation « Assurer l'avenir des gens du voyage suis-
ses » (RO 1996 3040 ; RS 449.1). L’avant-projet de loi fédérale sur l’encouragement à la culture
(LEC), dans sa version du 10 avril 2003, prévoit dans ses dispositions finales l’abrogation de la loi
relative à la fondation (article 37 chiffre 3) ; l’article 12 alinéa 2 de l’avant-projet stipule ainsi que
« (La Confédération) peut prendre des mesures pour permettre aux gens du voyage d’avoir des
conditions de vie compatibles avec leur culture ».
311
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF
2001 1490, 1494.
312
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453. L’intérêt de cette qualification
est toutefois relativisé par l’utilisation de l’expression « population nomade ». Voir infra nos déve-
loppements relatifs à l’importance de ces catégorisations, Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
58
Titre Premier – Depuis 1973
313
FF 1991 IV 449, 457.
314
HOFMANN C., p. 15.
315
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF
2001 1490, 1493 ; HOFMANN C., p. 15.
59
La situation juridique des Tziganes en Suisse
316
En sus des cinq membres appartenant à la communauté tzigane, les dirigeants de la fondation pro-
viennent des organismes suivants : la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice
et police et la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales désignent chacune un re-
présentant pour les cantons ; les communes sont représentées par deux membres de l’Association
des Communes Suisses, la Confédération par l’OFC et par le Secrétariat d’État à l’économie (seco).
La fondation est par ailleurs présidée par le Conseiller d’Etat WERNER NIEDERER, chef du Département
de la justice du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures ; Message du Conseil fédéral concernant
l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF 2001 1490, 1494.
317
Message du Conseil fédéral du 10 mars 2006 relatif à l’approbation du crédit-cadre pour les années
2007-2011, FF 2006 2951.
318
Bureau d’aménagement du territoire Eigenmann Rey Rietmann, Les Gens du voyage et
l’aménagement du territoire – Rapport d’expertise, Saint- Gall 2001.
319
Werner NIEDERER, Neue Zürcher Zeitung du 9 août 2003.
320
CPMN ; RS 0.441.1 ; RO 2002 2630.
321
Voir notre analyse de cette convention, de sa portée et de son mécanisme de contrôle, infra Titre
Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.5.
322
Au sujet de cette notion et de sa portée, voir notre analyse infra Titre Deuxième, Chapitre II, Sec-
tion B, 3.2.2.
60
Titre Premier – Depuis 1973
323
FF 1998 1033, 1046-1048 ; voir également le Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 95-96.
324
Infra Titre Troisième, Chapitre I.
325
Voir ainsi infra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
326
ATF 129 II 321 Bittel.
327
Pour un résumé de l’état de fait de cet arrêt, voir infra, Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 1.1.
328
ATF 129 II 321, 327-328 Bittel.
61
La situation juridique des Tziganes en Suisse
que, et nous aurons donc l’occasion à réitérées reprises d’étudier ses apports et
ses limites, dans le cadre de plusieurs chapitres de cette étude329.
211. L’évolution du statut des Tziganes suisses que nous avons exposée ci-
dessus n’aurait certainement pas pu se faire sans l’impulsion et le travail des
intéressés eux-mêmes, de manière à faire valoir leur existence et à protéger
leur mode de vie traditionnel. Nous avons déjà évoqué la création des diverses
associations de défense des intérêts des Tziganes nomades suisses, en réaction
à l’Œuvre des enfants de la grand route, et de la participation de cinq repré-
sentants de la communauté tzigane au conseil de la fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses ». Nous relèverons également la présence
de l’un de ses membres au sein de la Commission fédérale contre le racisme, et
ce depuis la création de cet organe en 1995. Cette mobilisation a ainsi poussé
les autorités à se pencher sur les différentes problématiques liées à l’exercice
d’un mode de vie itinérant.
212. La prise de conscience des autorités quant à l’existence juridique des
Tziganes suisses ouvre une nouvelle étape dans leurs relations avec l’Etat, qui
pourrait presque être qualifiée de bouleversement idéologique. Ce processus
modifie également la perception des principaux intéressés eux-mêmes, puis-
que les Tziganes suisses doivent désormais concevoir l’ordre juridique non
plus exclusivement comme un outil de répression, mais comme un levier ayant
le potentiel de faire progresser leurs conditions de vie.
213. Ainsi, la transformation de l’attitude des autorités, passée d’une ré-
flexion basée uniquement sur les problèmes pratiques rencontrés sur le terrain
à une démarche consistant à aborder ces mêmes difficultés sous un angle éga-
lement juridique, reflète l’évolution en parallèle du mode d’expression des re-
vendications des Tziganes suisses.
214. En effet, quelques familles ont commencé depuis 2001 à saisir les ins-
tances judiciaires afin de faire reconnaître leurs droits330. Il est encore trop tôt
pour parler d’une prise de conscience générale au sein de l’ensemble de la
communauté, puisque, actuellement, seule une poignée d’entre eux ont pris le
chemin des tribunaux.
329
Voir notamment infra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 1.3. et 2.2.2 ; Titre Quatrième, Chapitre
I, Section C et D.
330
Voir ainsi l’ATF 129 II 321, Bittel, les arrêts non publiés du 3 avril 2001, causes 1P.110/2001 et
1P.127/2001 ; l’arrêt du 14 mai 2001, publié in RDAF 2004 I 55 ; les arrêts du 30 juillet 2001, cau-
ses 1P.110/2001 et 1P.127/2001, l’arrêt du 8 octobre 2001, cause 1P.126/2001, publié in RDAF
2004 I 59.
62
Titre Premier – Depuis 1973
331
DFJP (1983), p. 27.
332
ATF 129 II 321 Bittel. Supra Section A, 6.
333
ROBERT HUBER, Président de la Radgenossenschaft, Neue Zürcher Zeitung du 9 août 2003.
334
HOFMANN C., p. 14.
63
La situation juridique des Tziganes en Suisse
335
Infra Titre Quatrième.
336
Infra Section 2.1.
337
DFJP p. 20; LIEGEOIS, p. 79; Rapport d’expertise 2001, p. 14 ; THODE-STUDER, p. 99 ; ZÜRCHER-
BERTHER, p. 32.
338
LIEGEOIS, pp. 77-78.
64
Titre Premier – Depuis 1973
339
Rapport d’expertise 2001, p. 6. Voir également le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
340
Bureau d’aménagement du territoire EIGENMANN REY RIETMANN, Les Gens du voyage et l’aménagement
du territoire – Rapport d’expertise, Saint-Gall 2001.
341
Bureau d’aménagement du territoire EIGENMANN REY RIETMANN, Les Gens du voyage et l’aménagement
du territoire – La situation en 2005 – rapport complémentaire, Saint-Gall 2006.
342
Rapport d’expertise 2001, pp. 21-26.
343
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, pp. 12-18.
344
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, p. 18.
345
Rapport d’expertise 2001, pp. 21-26.
65
La situation juridique des Tziganes en Suisse
346
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 23-24.
347
Résultats de la procédure de consultation des cantons au sujet de l’Œuvre des enfants de la grand
route, Berne 2000.
348
Avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie I. A ce sujet, voir infra Titre
Deuxième, Chapitre IV, Section B, 2.
349
Avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie II.
350
Résultats de la consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005,
Partie II, pp. 1-3, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 janvier 2007].
351
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 26-27 ; Rapport de la commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 499, 452.
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 7 ; Partie II, pp. 9-10.
66
Titre Premier – Depuis 1973
vent également faire face aux difficultés et aux refus nés de l’attitude des Tzi-
ganes étrangers. L’impact des préjugés et de la méfiance est également souli-
gné par l’écrasante majorité des parties consultées352.
231. Les Tziganes nomades ont toujours travaillé dans le commerce ambu-
lant de marchandises et dans le secteur des services. Traditionnellement, ils
exercent les métiers de la récupération (achat d’antiquités, recyclage, collecte
de vieux métal, etc.) et de l’artisanat ambulant (aiguisage, vannerie, rétamage,
réparation de parapluies, etc.)354. Ces professions, qui ne sont pas rattachées à
un lieu, sont intrinsèquement liées à leur mode de vie nomade : comme nous
l’avons déjà évoqué, habitat et exercice d’une activité lucrative dépendent ainsi
complètement l’un de l’autre355.
232. Comme il s’agit de professions indépendantes, les Tziganes n’ont pas
accès aux prestations de l’assurance-chômage356, ni à celles de la prévoyance
professionnelle357. Ceci a pour conséquence que, dans l’hypothèse où l’exercice
d’une activité lucrative devient impossible, seul le recours à l’assurance-
352
Résultats de la consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005,
Partie II, pp. 4-7, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 janvier 2007].
353
L’entrée en vigueur de la LComIt a par ailleurs abrogé la loi fédérale du 30 octobre 1990 sur les
voyageurs de commerce (art. 20 LComIt), seule réglementation fédérale touchant au domaine des
activités lucratives itinérantes.
354
LIEGEOIS (1994), p. 93 ; THODE-STUDER, p. 99.
355
LIEGEOIS (1994), p. 97 ; Rapport d’expertise 2001, pp. 4-5 ; THODE-STUDER, p. 99.
356
Art. 2 al. 1 let. a a contrario de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage obligatoire
et l’indemnité en cas d’insolvabilité (Loi sur l’assurance-chômage ; LACI ; RO 1982 2184 ; RS
837.0).
357
Art. 2 al. 1 a contrario de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse,
survivants et invalidité (LPP ; RO 1983 797 ; RS 831.40). Les Tziganes n’exerçant pas de métiers
représentés par des organisations professionnelles, l’article 3 LPP ne trouve pas à s’appliquer.
67
La situation juridique des Tziganes en Suisse
358
Il n’est actuellement pas possible d’évaluer le nombre de Tziganes concernés en Suisse par le re-
cours aux assurances sociales, aucune recherche spécifique n’ayant été entreprise. Cependant, du
fait de la fragilité socio-économique dans laquelle se trouvent la plupart des membres de cette
communauté, on peut estimer qu’il n’est pas négligeable. LIEGEOIS (1994), p. 228, relève que dans
les pays d’Europe occidentale, les Tziganes vivent de plus en plus sous l’aile de l’aide sociale. Voir
également l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 45-46.
359
DFJP (1983), p. 32 ; LIEGEOIS (1994), p. 94 ; REYNIERS (activités économiques), pp. 48-52 ; ZÜRCHER-
BERTHER, pp. 32-34.
360
LIEGEOIS (1994), p. 97 ; MICHON (1993), p. II-112.
361
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 32-34.
362
Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit-cadre à la fondation « Assurer l’avenir des
gens du voyage suisses », FF 2001 1490, 1497.
363
La matière était alors réglementée par 51 lois et ordonnances cantonales et une loi fédérale ; Mes-
sage du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3885.
364
MEYER/BLUNIER, p. 56 ; Recommandations de la ComCo, p. 449. Soulignons que la loi fédérale sur le
commerce itinérant maintient cette obligation ; infra Section 2.3.1.
68
Titre Premier – Depuis 1973
365
Onze cantons (AG, AR, BL, BS, GR, JU, LU, SH, TG, VD et ZG) exigeaient par exemple que le requé-
rant ne soit pas porteur d’une maladie contagieuse ou « répugnante », tandis que six d’entre eux
(AR, BS, GE, SH, TG et VD) refusaient l’autorisation à celui qui ne respectait pas l’interdiction de va-
gabondage ou d’alcoolisme ; MEYER/BLUNIER, p. 56 ; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2000, FF
2000 3849, 3854.
366
Voir l’aperçu des réglementations cantonales sur le commerce itinérant annexé au Message du
Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3890-3896.
367
Dans certains cantons, les émoluments mensuels atteignaient les milliers de francs (VS, NE) ;
MEYER/BLUNIER, p. 59. Relevons également que certaines législations prévoyaient des tarifs différents
selon que le requérant était domicilié dans le canton ou non ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 43.
368
Recommandations de la ComCo, p. 447.
369
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3851. Voir également, pour une vision
d’ensemble de la situation, la recherche effectuée par ANNEMARIE MEYER et FRITZ BLUNIER, Les profes-
sions ambulantes : 26 cantons, 26 réglementations, La vie économique, 10/1994, pp. 55-59.
370
MEYER/BLUNIER, p. 55.
371
DFJP (1983), pp. 33-34.
372
DFJP (1983), p. 33 ; MICHON (1993), p. II-117.
69
La situation juridique des Tziganes en Suisse
373
ZÜRCHER-BERTHER, p. 42.
374
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3857 ; Rapport du Conseil fédéral,
Partie I, pp. 43-44.
375
En 1991, la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police déposa auprès
des autorités fédérales une demande en vue de réglementer la question du commerce itinérant au
niveau fédéral ; Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3857.
376
Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI ; RO 1996 1738 ; RS 943.02).
377
Recommandations de la ComCo, p. 454.
378
Recommandations de la ComCo, p. 451.
379
GLAUS, pp. 144-145.
70
Titre Premier – Depuis 1973
380
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3859.
381
FF 2001 1280.
382
Ordonnance du Conseil fédéral du 4 septembre 2002 sur le commerce itinérant (RO 2002 3355 ; RS
943.11 ; ci-après : OComIt).
383
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3888.
384
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3862.
385
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 44.
386
La loi fait en effet une distinction entre les personnes vendant des marchandises ou des services
(article 4 LComIt), et les forains et autres exploitants de cirque (article 5 LComIt).
71
La situation juridique des Tziganes en Suisse
245. Il est incontestable que cette législation fédérale soulage les Tziganes
nomades suisses, du point de vue du nombre de démarches administratives
nécessaires, et, par conséquent, également quant au risque de se retrouver en
infraction. Toutefois, deux observations tempérant ces constats positifs
s’imposent.
246. Premièrement, on remarquera que, parmi les documents que le requé-
rant doit présenter à l’autorité cantonale, figure une attestation de domicile
établie durant les douze derniers mois (articles 4 alinéa 2 lettre c LComIt et 7
alinéa 1 lettre d OComIt)387. Or, la détermination du domicile, au sens de
l’article 23 alinéa 1 CC, d’une famille tzigane voyageant durant six à douze
mois par an n’est pas évident, nous le démontrerons en détail ultérieure-
ment388. Il est ainsi regrettable qu’aucune disposition spécifique, clarifiant la si-
tuation des Tziganes nomades par rapport à cette obligation, n’ait été prévue
par le législateur389, alors qu’ils sont particulièrement concernés par cette légi-
slation.
247. Deuxièmement, la LComIt a été conçue de manière à prendre en
compte les obligations internationales de la Suisse contractées par la ratifica-
tion de l’Accord sur le commerce général des services (GATS)390. De ce fait, les
personnes ressortissantes d’un Etat partie à cet accord pratiquant une profes-
sion ambulante bénéficient, en application des principes du traitement natio-
nal et de la clause de la nation la plus favorisée, des mêmes conditions d’accès
au marché intérieur helvétique que les commerçants itinérants indigènes391.
Combiné avec l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, et notamment de
l’accord sur la libre circulation des marchandises392, le marché suisse est dé-
sormais ouvert à la concurrence importante des Tziganes nomades étrangers,
387
Les autres conditions consistent en « un extrait du registre du commerce de l’entreprise pour la-
quelle le requérant travaille ou une pièce d’identité si le requérant lui-même ou l’entreprise pour la-
quelle il travaille n’est pas soumis à l’obligation de s’inscrire au registre du commerce » (lettre a) ;
ainsi qu’« un extrait du casier judiciaire délivré par le service fédéral compétent pour le requérant
établi en Suisse (…) » (lettre b). Si le requérant est mineur ou interdit, l’accord du représentant lé-
gal est nécessaire (lettre d).
388
Voir nos développements relatifs à la notion de domicile dans le contexte du nomadisme tzigane,
dans notre Titre Quatrième, Chapitre II.
389
WALDMANN (2003), p. 704.
390
Le GATS constitue l’annexe 1B de l’Accord du 15 avril 1994 instituant l’Organisation mondiale du
commerce (RO 1995 2117 ; RS 0.632.20).
391
Message du Conseil fédéral relatif à la LComIt, FF 2000 3849, 3886-3887.
392
Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats mem-
bres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999 (RO 2002 1529 ; RS
0.142.112.681). Au sujet des effets de l’ALCP sur l’entrée et le séjour sur le territoire des Tziganes
nomades étrangers en transit par la Suisse, voir infra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 4.
72
Titre Premier – Depuis 1973
393
Deuxième rapport des ONG auprès du CERD, p. 26.
394
Voir notre analyse juridique de la problématique, infra Titre Quatrième, Chapitre III.
395
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 47-48.
396
Le rapport du DFJP de 1983 indique que les cantons consultés à ce sujet affirment que les autorités
scolaires sont généralement compréhensives sur ce point. Il n’en demeure pas moins que les autres
difficultés subsistent; DFJP (1983), p. 31.
397
LIEGEOIS (1994), pp. 209-210.
73
La situation juridique des Tziganes en Suisse
253. Par ailleurs, l’attitude des Tziganes vis-à-vis des institutions scolaires
est complexe. D’une part, ces derniers expriment généralement une certaine
méfiance à l’encontre de l’école, qui a été pendant longtemps l’un des moyens
privilégiés par les autorités pour parvenir à la sédentarisation forcée des famil-
les. D’autre part, les Tziganes sont aujourd’hui conscients de la nécessité
d’alphabétiser leurs enfants. L’ensemble de leurs relations administratives
avec les autorités requiert la capacité de lire et écrire, et l’exercice de leurs acti-
vités économiques, même si elles sont traditionnelles, fait également appel à
ces connaissances398.
398
LIEGEOIS (1994), pp. 200-201 et 203-204 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 46.
74
Titre Premier - Synthèse et conclusion
Synthèse et conclusion
254. Durant leur présence séculaire en Suisse, les Tziganes ont été
marginalisés tant du point de vue socio-économique que juridique. Au fil des
siècles, les autorités ont utilisé divers procédés pour combattre la « déviance
nomade », les persécutions physiques dominant le large spectre des moyens
employés à cette fin. La naissance de l’appareil étatique moderne a permis de
poursuivre des politiques tendant à l’exclusion, la dissolution du groupe et
l’assimilation forcée des membres de cette communauté.
255. Dans ce contexte, l’ordre juridique a joué un rôle incontournable,
puisqu’il a été conçu au mieux de façon neutre à leur égard, et au pire de ma-
nière négative, en cristallisant et en légitimant des politiques discriminatoires.
Ce faisant, il a contribué à amplifier leur précarité socio-économique. Dès lors,
on ne s’étonnera pas des réticences et de la défiance exprimées par les Tziga-
nes suisses à son égard399.
256. Suite au scandale de l’Œuvre des enfants de la Grand route, ce même
ordre juridique s’est transformé en faveur des Tziganes. Cette transformation
fut radicale, fondamentalement nécessaire et importante, car elle reconnaît leur
valeur en tant qu’individus et membres d’une communauté ethno-culturelle.
Elle n’en demeure pas moins lente, imprécise et inachevée, ainsi qu’en témoi-
gnent les difficultés des autorités à appréhender complètement les conséquen-
ces de l’applicabilité du droit des minorités à cette communauté400.
257. En effet, cette évolution se heurte aux résistances conscientes et in-
conscientes de la société majoritaire. Ceci ne doit pas étonner, puisque trente
années ne peuvent effacer le cumul de quatre cents ans de préjugés. Or,
l’absence de progrès fondamentaux sur le terrain, alors que les problèmes liés
aux places de stationnement, à l’exercice d’une activité économique et de sco-
larité des enfants sont identifiés et connus depuis trois décennies, peuvent me-
ner à penser que la reconnaissance institutionnelle dont les Tziganes bénéfi-
cient n’est que symbolique.
258. Or, les symboles ne suffisent pas, car il y a urgence : les difficultés éco-
nomiques et sociales, aggravées par le manque de solutions concrètes, fragili-
sent de plus en plus cette communauté, qui a peut-être réussi à perdurer pen-
dant des siècles, mais qui est paradoxalement menacée de disparition au mo-
ment où l’on admet qu’elle mérite d’être protégée.
259. Dans la suite de cette étude, nous allons exposer les outils qu’offre le
droit international des droits de l’homme et des minorités aux Tziganes pour
concrétiser les apports de ce statut symbolique. Toutefois, nous mettrons en
399
Supra Chapitre II et III.
400
Infra Titre Troisième, Chapitre I.
75
La situation juridique des Tziganes en Suisse
lumière le hiatus entre, d’une part, la protection juridique dont bénéficient dé-
sormais les Tziganes suisses aussi bien en tant qu’individus que membres
d’une minorité401 et, d’autre part, les difficultés concrètes pour intégrer ces ga-
ranties dans le droit ordinaire402.
260. Si certains de ces obstacles exigent une modification formelle du droit
en vigueur, d’autres ne nécessitent qu’un exercice d’interprétation conforme
aux droits fondamentaux de la part des pouvoirs exécutifs et judiciaires, qui
prenne en compte les réalités du mode de vie nomade. Or, ces deux démarches
se heurtent précisément à un contexte discriminatoire trouvant ses racines
dans les étapes historiques que nous venons d’exposer. Ce contexte est particu-
lièrement fort et exige des efforts d’autant plus fermes de la part des autori-
tés403.
261. Ainsi, à ce stade de notre réflexion, nous pouvons d’ores et déjà souli-
gner que si les Tziganes disposent aujourd’hui de la capacité et des moyens de
faire valoir leurs droits, l’amélioration de leur situation ne peut être de leur
responsabilité individuelle uniquement. L’Etat est en effet engagé à agir de lui-
même pour instaurer un rapport de confiance entre les Tziganes, les autorités
et la société civile majoritaire.
401
Infra Titre Troisième.
402
Infra Titre Quatrième.
403
Infra Titre Troisième, Chapitre II.
76
Titre deuxième: La protection du
groupe minoritaire tzigane en droit
international et en droit suisse
Introduction
262. Les droits fondamentaux des Tziganes sont consacrés en Suisse par la
Constitution fédérale, les constitutions cantonales ainsi que par les nombreu-
ses conventions internationales ratifiées par la Suisse.
263. En outre, les Tziganes suisses composent également une communauté
dont l’identité culturelle se distingue sous de nombreux aspects de celle de la
majorité de la population. Ces particularités sont si spécifiques qu’elles néces-
sitent l’examen de l’applicabilité du droit international des minorités. En paral-
lèle, les Tziganes suisses s’intègrent dans le groupe plus large des Tziganes qui
se trouvent sur l’ensemble du territoire européen et qui sont confrontés, pour
l’essentiel, aux mêmes obstacles et difficultés. Cette facette conduit à
s’interroger sur l’applicabilité de la notion de « peuple » à leur égard, en parti-
culier de la notion de «peuple autochtone », et du système de protection spéci-
fique mis en place par le droit international.
264. L’importance du corpus des normes internationales, ainsi que la di-
mension transnationale de la présence des Tziganes en Europe, ont pour
conséquence qu’un examen axé exclusivement sur la protection individuelle
des Tziganes se trouvant en Suisse serait insuffisant. Ainsi, traiter des Tziganes
en Suisse sans les placer dans le contexte plus général des Tziganes sur le
continent européen n’offrirait qu’un aperçu incomplet des enjeux et des diffi-
cultés rencontrées pour affirmer leurs droits et mettre en œuvre les garanties
internationales et constitutionnelles.
265. Le présent Titre a ainsi pour objectif d’analyser si, et de quelle ma-
nière, le groupe minoritaire des Tziganes suisses lui-même peut être juridi-
quement protégé, au regard des développements réalisés dans l’enceinte des
organisations internationales. Nous commencerons par présenter l’importance
particulière de la dimension internationale pour la protection des droits fon-
damentaux des Tziganes sur le continent européen (Chapitre I). Ensuite, nous
déterminerons comment le groupe minoritaire tzigane est saisi par le droit in-
ternational, premièrement par le biais des systèmes universel et régional de
protection des minorités (Chapitre II) et, deuxièmement, par le biais de la pro-
77
La situation juridique des Tziganes en Suisse
78
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale
266. Comme pour tous les particuliers soumis à la juridiction suisse, une
prise en compte des normes internationales est requise pour garantir une pro-
tection effective des droits des Tziganes sur le plan interne. Par ailleurs,
l’approche internationale s’impose également à d’autres titres, fondés sur la
particularité de la situation juridique et factuelle des Tziganes sur le continent
européen.
267. En effet, les Tziganes forment une communauté dispersée et fragmen-
tée sur l’ensemble du continent européen404. Face à des problèmes socio-
économiques et à un contexte discriminatoire se rencontrant sur l’ensemble de
ce territoire, les organisations internationales estiment avoir pour vocation de
se pencher sur la question405. Ainsi, analyser globalement la situation des Tzi-
ganes en Europe et développer des solutions aux niveaux régional européen et
universel, est particulièrement opportun pour améliorer leurs conditions de
vie et la protection de leurs droits fondamentaux au sein des Etats.
268. Premièrement, sortir du cadre strict des ordres juridiques nationaux
pour saisir les organisations internationales permet de dépasser les conflits sé-
culaires existant entre les autorités étatiques et les Tziganes, afin de définir des
solutions efficaces.
269. Deuxièmement, le droit international et les organes chargés d’assurer
son respect possèdent la capacité, si ce n’est juridique du moins politique, de
mettre leurs Etats membres devant leurs responsabilités et leurs obligations en
matière de respect et de mise en œuvre des droits de l’homme. Ceci est vrai
pour tous les individus, quelles que soient leurs origines, mais s’avère particu-
lièrement important pour une communauté dont les membres ont été histori-
quement placés au ban de la société majoritaire et qui ne bénéficient ni de re-
lais, ni de soutiens politiques pour améliorer leurs conditions de vie.
404
Au sujet des conséquences de cette dispersion sur le statut juridique des Tziganes au regard du
droit des minorités et du droit des peuples autochtones, infra Chapitre II, Section B, et Chapitre III,
Section B.
405
Dans ce sens, voir la position du CERD: « Le Comité a pu constater que certains problèmes, comme
celui de la discrimination à l’égard des Roms, n’étaient pas spécifiques à un pays donné mais consti-
tuaient bien un problème universel». Compte-rendu analytique de la 1422ème séance du CERD, du
18 septembre 2000, UN Doc. CERD/C/SR. 1422, §3.
79
La situation juridique des Tziganes en Suisse
270. C’est avant tout à travers le travail et la pratique des organes en charge
de la surveillance des différentes conventions en matière de protection des
droits de l’homme que l’Organisation des Nations Unies développe son action
dans ce domaine406. Toutefois, les démarches les plus poussées prennent natu-
rellement place au niveau régional européen, avant tout dans le cadre du
Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Eu-
rope (OSCE) et, plus récemment, de l’Union européenne.
271. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
l’action de cette organisation internationale a un potentiel particulièrement
important pour la protection des Tziganes à travers le continent européen407.
En effet, la question de la situation des Tziganes en Europe fait coïncider trois
thématiques qui sont au cœur des objectifs de cette organisation: la protection
des minorités, la lutte contre le racisme et l’exclusion sociale. La précarité de la
situation des Tziganes dans l’ensemble des Etats membres a atteint une telle
importance qu’elle est considérée depuis 1993 comme présentant un risque
pour la cohésion sociale des Etats membres408.
272. Dans ce contexte, aussi bien l’Assemblée parlementaire409, le Comité
des Ministres410 que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (CPLR)411 du
Conseil de l’Europe se sont saisis de la question. Par ailleurs, plusieurs institu-
tions de cette organisation ainsi qu’un certain nombre d’organismes, aux objec-
tifs thématiques plus spécifiques, voire spécialement institués pour analyser la
situation de cette communauté dans les Etats membres, se sont également pro-
noncés. Ainsi, la Commission européenne contre le racisme (ECRI)412, le
406
Dans l’ensemble de notre étude, nous aurons l’occasion de nous fonder sur les observations et les
constatations de ces organes de surveillance des traités.
407
Rapport du Commissaire aux Droits de l’homme, mars 2005, §8.
408
Site de la Division « Roms et Voyageurs » du Conseil de l’Europe, http://www.coe.int [consulté le 31
octobre 2005].
409
Recommandation 1557 (2002) sur la Situation juridique des Roms en Europe; Recommandation
1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe; Recommandation 563 (1969) relative à la situation
des Tziganes et autres nomades en Europe.
410
Recommandation (2005)4 relative à l'amélioration des conditions de logement des Roms et des
Gens du voyage en Europe; Recommandation (2004)14 relative à la circulation et le stationnement
des Gens du voyage en Europe; Recommandation (2001)17 sur l’amélioration de la situation éco-
nomique et de l’emploi des Rom/Tsiganes et des voyageurs en Europe; Recommandation n° R
(2000)4 sur l’éducation des enfants Roms/Tsiganes en Europe; Recommandation (1983)1 sur les
Nomades apatrides ou de nationalité indéterminée; Résolution (1975)13 sur la situation sociale des
populations nomades en Europe.
411
Résolution 44 (1997) sur « La contribution des Roms à la construction d'une Europe tolérante »;
Recommandation 11 (1995) sur « La contribution des Roms à la construction d'une Europe tolé-
rante ».
412
Voir notamment « La lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms/Tsiganes », ECRI (98)
29.
80
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale
413
MG-S-ROM (2004) 14, Activités du Conseil de l'Europe dans le domaine des Roms, Tsiganes et Gens
du voyage; MG-S-ROM (2002) 10 rev, La circulation des voyageurs dans les pays membres du
Conseil de l’Europe; MG-S-ROM (2000) 13, Les Roms et les statistiques; MG-S-ROM (2000) 5, Pro-
blèmes liés à la mobilité internationale des Roms en Europe et La récente émigration des Roms de
la République tchèque et de la République slovaque; MG-S-ROM (2000) 3, Mémorandum préparé
par le Secrétariat sur les problèmes auxquels sont confrontés les Roms/Tsiganes en matière de lo-
gement; MG-S-ROM (99) 5 rev, Les problèmes dans les domaines économiques et de l'emploi aux-
quels sont confrontés les Roms/Tsiganes en Europe; MG-S-ROM (99) 1, Logement, urbanisme et
pauvreté : problèmes se posant aux communautés Roms/Tsiganes notamment en Europe centrale
et orientale; MG-S-ROM (98) 15, Réunions des instances consultatives nationales entre
Roms/Tsiganes et gouvernements.
414
Rapport d'activités du Coordonnateur pour les questions Roms et Gens du voyage, Strasbourg,
2004.
415
Depuis le Document de la Réunion de Copenhague sur la Conférence de la Dimension Humaine de
la CSCE de juin 1990, la « Dimension humaine » constitue la troisième dimension des activités de
l’OSCE, en sus de celles touchant à la sécurité politico-militaire et celles relatives aux questions éco-
nomiques et environnementales. Les activités tombant dans le domaine de la « Dimension hu-
maine » recouvrent un champ plus large que la protection des droits de l’homme stricto sensu, pour
inclure l’Etat de droit et la démocratie, représentant ainsi l’environnement juridique et politique de
ces garanties. Voir également le site internet du BIDDH consacré à la Dimension humaine,
http://www.osce.org/odhir [site consulté le 11 août 2006].
416
Pour un aperçu de l’ensemble des activités de ces organismes, voir le Report on the situation of
Roman and Sinti in the OSCE area, La Haye, 2000, réalisé par le Haut Commissaire pour les minori-
tés nationales, notamment pp. 10-19.
81
La situation juridique des Tziganes en Suisse
Area417 met l’accent sur les principaux défis des communautés tziganes sur le
continent européen : l’interdiction de la discrimination, la participation politi-
que, l’accès à l’éducation des enfants, l’accès aux soins de santé, la situation
particulièrement vulnérable des femmes tziganes, ou encore le problème du
logement.
276. Si toutes ces questions concernent l’ensemble des Tziganes du conti-
nent européen, les efforts consentis par le BIDDH, chargé par l’OSCE de
concevoir et de coordonner les politiques en la matière418, se concentrent avant
tout sur la situation dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est419. Du fait de
cet objectif, ces mesures et cette politique ne sont donc pas directement perti-
nentes pour la Suisse. Dès lors, nous ne les examinerons pas plus en détail.
277. Enfin, la Commission européenne considère que « [l]a manière dont
sont traités les Rom dans l’Union européenne et au-delà de ses frontières ac-
tuelles est devenue un test déterminant d’une société humaine. Ce traitement
des Rom (sic) compte aujourd’hui parmi les questions les plus pressantes des
droits politiques, sociaux et humains (sic) auxquelles se trouve confrontée
l’Europe»420. Pour l’Union européenne, l’importance de cette problématique
s’est fortement accrue depuis que son élargissement à vingt-cinq Etats mem-
bres en 2004 a fait de cette communauté la minorité ethnique421 la plus impor-
tante de l’Union422.
C. Appréciation
417
PC.DEC/566.
418
Voir notamment les § 20-25 de l’Action Plan on Improving the Situation of Roma and Sinti Within
the OSCE Area.
419
La focalisation du BIDDH sur la situation des Tziganes en Europe Centrale et de l’Est transparaît ain-
si explicitement dans le document préparé par cette institution présentant ses activités concernant
cette communauté : The ODHIR contact point for Sinti and Roma – An overview, Varsovie, 2001,
notamment p. 7.
420
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 12, n° 14.
421
Au sujet de cette notion et de son applicabilité aux Tziganes en Europe, voir infra Chapitre II, Sec-
tion B, 2.2.
422
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n° 1.
82
Titre Deuxième - Le rôle de la dimension internationale
423
FERRER LLORET, pp. 168-169.
83
La situation juridique des Tziganes en Suisse
84
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
424
Au sujet du système de protection des minorités consacré par la Société des Nations, voir PRITCHARD,
pp. 69-88 ; SCHODER, pp. 16-35 ; VERHOEVEN, p. 182-189. Au sujet de l’évolution antérieure à la So-
ciété des Nations de la problématique, voir VERHOEVEN, pp. 180-181, ainsi que WOLFRUM, pp. 1110-
1112.
85
La situation juridique des Tziganes en Suisse
425
MALINVERNI (Minorités), p. 234 ; SCHODER, p. 36 ; THORNBERRY, p. 17.
426
BOKATOLA, pp. 750-751 ; MARCHAND, p. 175 ; SCHODER, p. 36 ; VERHOEVEN, p. 190. Pour un aperçu de
l’évolution historique de la protection internationale des minorités, voir MALINVERNI (1995), pp. 523-
529 ; PENTASSUGLIA (2002A), pp. 25-35.
427
KETLEY, p. 335 ; VAN DYKE, p. 48. Ce second auteur qualifie même cette dualité exclusive
d’« illogique » ; VAN DYKE, p. 54.
428
EIDE (1996), pp. 163-164.
86
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
429
LARRALDE, pp. 1248-1249 ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 47 ; VAN DYKE, pp. 48-49.
430
SUDRE (2005B), p. 93.
431
Au sujet de la notion de l’égalité de fait et de sa réalisation par le biais de mesures positives, voir
infra Titre Troisième, Chapitre II, Section 2.3.2.
432
Sur cette différence, voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
433
EIDE (1992), §121 ; PRITCHARD, pp. 49-50; RAMU, p. 588 ; Sous-Commission de la lutte contre les me-
sures discriminatoires et de la protection des minorités, UN Doc. E/CN.4/52, section V.
434
PRITCHARD, p. 50.
435
Voir déjà l’arrêt Ecoles minoritaires en Albanie de la Cour internationale de justice, PCIJ Séries A/B,
No. 64, 1935, p. 17. HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L’HOMME, Fiche n° 18 ; PENTASSUGLIA (2002), pp.
90-91.
87
La situation juridique des Tziganes en Suisse
436
BENOIT-ROHMER (2002), p. 565 ; EIDE (1996), p. 159.
437
EIDE (1996), p. 163.
438
BENOIT-ROHMER (2002), pp. 565-566. Au sujet de la protection des minorités par la Cour européenne
des droits de l’homme, infra Section 2.6.
439
MALINVERNI (Minorités), p. 241.
440
HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L’HOMME, Fiche n° 18.
441
Voir nos critiques concernant la pratique suisse en la matière, infra Titre Troisième, Chapitre I, Sec-
tion B.
442
Ce sont : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (art. II), la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 2 et
4), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 13), le Pacte in-
ternational relatif aux droits civils et politiques (art. 27), la Convention relative aux droits de l'enfant
88
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
1.3. Le droit des minorités en tant que partie intégrante des droits
de l’homme
298. L’équilibre entre les droits des minorités et les droits de l’homme de-
vient possible si l’on ne les considère pas comme deux systèmes de protection
parallèles, mais au contraire intégrés l’un à l’autre, les premiers constituant
une partie des seconds446. Cette approche est notamment prônée par la
Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, l’instrument le
plus récent et le plus complet en la matière447. Elle a pour conséquence notable
(art. 30), la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l'éducation (art. 5).
443
Voir ainsi au niveau universel : la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités
nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, la Déclaration de l'UNESCO sur la race et les
préjugés raciaux (art. 5), la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travail-
leurs migrants et des membres de leur famille. Les instruments régionaux qui énoncent des droits
spéciaux pour les minorités sont notamment la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Conseil de l'Europe), et le
Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de l'OSCE
(OSCE).
444
Voir ainsi nos développements relatifs à la Convention européenne des droits de l’homme et de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux minorités, infra Section 2.6.
445
SCHODER, p. 15. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, §3 : « L’Assemblée générale
considère que la promotion et la protection des droits des personnes appartenant à des minorités
contribuent à la stabilité politique et sociale des Etats dans lesquels elles vivent ainsi qu’au renfor-
cement de l’amitié et de la coopération entre les peuples et les Etats. »
446
HEINTZE (art. 1), pp. 77 et 86-90 et références ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 48 ; SCHODER, p. 203 ; VA-
LETTE, p. 343.
447
Voir l’art. 1er CPMN : « La protection des minorités nationales et des droits et libertés des person-
nes appartenant à ces minorités fait partie intégrante de la protection internationale des droits de
l’homme et, comme telle, constitue un domaine de la coopération internationale. » Comp. égale-
ment le Préambule de la Déclaration des Nations Unies sur la protection des minorités, de 1992.
89
La situation juridique des Tziganes en Suisse
302. Parmi les instruments internationaux ratifiés par la Suisse, nous pré-
sentons ceux consacrés à la protection des minorités et ceux qui les concernent
448
HEINTZE (art. 1), p. 81 ; KLEBES, p. 217. Cette approche est plébiscitée par la Suisse, pour qui la pro-
tection des minorités relève de la coopération internationale des Etats et ne relève pas uniquement
de leurs affaires intérieures; voir le Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 76-77.
449
EIDE (Minorities), § 2 ; SCHODER, p. 15.
450
EIDE (Minorities), § 5 ; HEINTZE (art. 1), p. 87. Pour un exemple particulièrement saillant de tension
entre les droits individuels et les droits du groupe dans le cadre de notre problématique, voir infra
Titre Quatrième, Chapitre III.
451
Concernant l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette
optique, voir PENTASSUGLIA (2002a), p. 122. Voir également infra Section 2.6.
452
PENTASSUGLIA (1999a), pp. 131-132 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 91. Voir également infra Titre Troi-
sième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
90
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
453
La protection des minorités est, en effet, également encadrée par plusieurs procédures de nature
extra-conventionnelle dont les résultats sont de nature éminemment plus politiques que celles se
fondant sur les traités internationaux. Au niveau universel, la nomination de rapporteurs spéciaux
ou de groupes de travail spécialisés constitue un outil permettant de prendre en compte les minori-
tés. Il en va de même des procédures de plainte fondées respectivement sur la Résolution 1235
(XLII) du 6 juin 1967 et la Résolution 1503 (XLVIII) du 27 mai 1970 du Conseil économique et so-
cial, et utilisées par la Commission des droits de l’homme et sa Sous-commission pour la prévention
de la discrimination et la protection des minorités. Le travail réalisé tant par le Groupe de travail des
Nations Unies sur les minorités ainsi que celui du Haut Commissaire aux droits de l’homme sont
également pertinents dans une optique de dialogue, de prévention et de lutte contre l’escalade de la
violence dans le cadre de conflits potentiels mettant en cause des minorités. Au niveau régional eu-
ropéen, l’OSCE a développé plusieurs mécanismes de contrôle interétatique en la matière, autour de
son programme « Dimension humaine », développé dès 1975 : ainsi les mécanismes de Vienne
(1989) et de Moscou (1991) permettent de contrôler, notamment en rapport avec le respect des
minorités, si les Etats membres de cette organisation respectent leurs engagements politiques
contractés dans le domaine des droits de l’homme. L’Office du Haut Commissaire pour les minorités
nationales est également un important instrument de l’OSCE en matière de prévention de conflits et
de dialogue. Au sujet de ces différents mécanismes politiques relatifs aux minorités, voir PENTASSU-
GLIA (1999a), pp. 133-135. Concernant les mécanismes universels : SCHODER, pp. 55-65. Concernant
l’OSCE et la protection des minorités : PENTASSUGLIA (2002A), pp. 139-143.
454
Nous n’incluons pas ici la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, du 25 juin
1992. En effet, l’objectif de cette convention du Conseil de l’Europe n’est pas la protection des mino-
rités linguistiques, mais celle du patrimoine culturel de l’Europe : elle ne crée ni droits individuels, ni
droits collectifs pour les personnes appartenant à des minorités ; Rapport explicatif sur la Charte eu-
ropéenne des langues régionales ou minoritaires, § 10-11. Nous aurons néanmoins l’occasion d’en
traiter lors de notre examen du statut de la langue jénisch en Suisse et de son impact sur la situa-
tion juridique du groupe minoritaire tzigane en Suisse, infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
455
Ci-après, la Déclaration sur les droits des minorités. Résolution 47/135 des Nations Unies, du 18 dé-
cembre 1992.
91
La situation juridique des Tziganes en Suisse
305. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II)
codifie à ses articles 6 à 27 les droits dits de la « première génération »457, ga-
rantis à tout individu458. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral qualifie ses
dispositions de directement applicables459. Le contrôle de la mise en œuvre et
du respect du Pacte II sur le plan international est assuré par le Comité des
droits de l’homme460.
456
PENTASSUGLIA (2002a), p. 114 ; SCHODER, pp. 195 et 199.
457
Les art. 6 à 11 consacrent la protection de l’intégrité corporelle, du droit à la vie et à la sûreté et
l’art. 12, la liberté de mouvement et d’établissement. Les art. 13 à 16 offrent des garanties de pro-
cédures dans le cadre du procès pénal, consacrent l’interdiction de la rétroactivité de la norme pé-
nale et le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique. Les art. 17 à 23 garantissent les li-
bertés individuelles, l’art. 24 les droits des enfants, l’art. 25 les droits politiques, l’art. 26
l’interdiction de la discrimination et l’art. 27 la protection des minorités. Pour une vision détaillée de
la portée de cet instrument, voir notamment Manfred NOWAK, CCPR-Commentary : U.N. Covenant
on Civil and Political Rights, 2ème éd., Kehl 2005, ainsi que Sarah JOSEPH, Jenny SCHULTZ, Melissa CAS-
ème
TAN , The International Covenant on Civil and Political Rights, 2 éd., Oxford 2004.
458
Le Pacte II a été adopté le 16 décembre 1966 à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations
Unies, est entré en vigueur le 23 mars 1976, et est entré en vigueur en Suisse 18 septembre 1992
(RS 0.103.2 ; RO 1993 750). Son article premier affirme le droit des peuples à l’autodétermination,
et les obligations générales des Etats découlant du Pacte sont énoncées aux articles 2 à 5.
459
La jurisprudence du Tribunal fédéral a clairement affirmé le caractère directement applicable des
normes du Pacte II, dès 1993: ATF 119 Ib 311, 318 X. ; plus explicitement encore : ATF 120 Ia 247,
255 J. BIANCHI, pp. 106-107 ; MALINVERNI (Suisse), p. 72. Pour une jurisprudence récente prenant en
considération ces garanties, voir ATF 130 II 217, 227 Wang, ATF 129 I 185, 192 X. et Y.
460
Les membres du Comité des droits de l’homme sont au nombre de dix-huit et sont élus et siègent à
titre individuel (art. 28 Pacte II). Le Comité des droits de l’homme est compétent pour recevoir et
examiner les rapports périodiques que les Etats parties doivent lui soumettre (art. 40). Pour une
description détaillée de ce mécanisme, voir NOWAK (Menschenrechtspakte), pp. 21-23. NOWAK (art.
40), N. 64, p. 748. Selon l’art. 40§4 Pacte II, le Comité transmet par ailleurs à l’ensemble des Etats
parties des « observations générales » destinées à promouvoir la mise en œuvre du Pacte. Le Comi-
té est également au bénéfice de deux compétences facultatives, soumises à l’acceptation des Etats.
Sous réserve de réciprocité, les Etats parties peuvent, premièrement, lui adresser des communica-
tions à l’encontre d’autres Etats parties (art. 41 Pacte II). La Suisse a effectué une telle déclaration,
à l’instar de 45 autres Etats parties (état au 15 décembre 2005) ; NOWAK (art. 41), N. 18-44, pp.
765-776. Deuxièmement, le Comité peut recevoir des communications individuelles de la part de
particuliers soumis à la juridiction d’un Etat ayant ratifié le Protocole facultatif n° 1 du 16 décembre
1966, ce que la Suisse n’a pas fait à ce jour. Les art. 1 à 3 du Protocole n° 1 prévoient que la com-
munication doit provenir d’un particulier relevant de la juridiction d’un Etat partie au protocole, se
considérant victime d’une violation alléguée d’une disposition du Pacte II et ayant épuisé les voies
de recours internes disponibles. La communication ne doit pas être anonyme ni ne doit constituer
un abus de droit. Enfin, elle est déclarée irrecevable en cas de litispendance devant une autre ins-
tance internationale (art. 5 al. 2 let. a du Protocole n° 1). Voir également KÄLIN/KÜNZLI, pp. 220-
223 ; NOWAK (art. 2 OP), pp. 829-842, idem (art. 3 OP), pp. 843-864. Du fait que les constatations
effectuées dans ce cadre par le Comité des droits de l’homme sont de nature juridique mais n’ont
pas de caractère contraignant, la protection offerte aux particuliers dans ce contexte est de nature
quasi-judiciaire ; NOWAK (art. 5 OP), N. 39-40, pp. 894-895.
92
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
306. L’article 27 Pacte II prévoit que « [d]ans les Etats où il existe des mino-
rités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de prati-
quer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».
307. Aux termes de l’article 27 Pacte II, les personnes appartenant à une
minorité ont droit au respect de leur identité - qu’elle soit nationale, ethnique,
religieuse ou linguistique, ou qu’elle résulte de la combinaison de plusieurs de
ces composantes - et ont le droit de préserver les caractéristiques qu’elles sou-
haitent maintenir et développer. Bien que l’article 27 Pacte II traite des droits
des minorités dans les Etats « où il en existe », son applicabilité n’est pas sou-
mise à la reconnaissance officielle d’une minorité par un Etat. Au sens de cette
disposition, l’existence de minorités dépend de facteurs objectifs461.
308. L’article 27 Pacte II est la seule disposition universelle juridiquement
contraignante relative aux minorités462. Cette norme représente le standard
minimum de protection en la matière et influence l’interprétation d’autres ins-
truments touchant aux droits des minorités. L’inverse est également vrai : la
portée et la signification des différents éléments de cette disposition sont aussi
interprétées à la lumière des autres textes pertinents en la matière463.
309. Concernant la titularité des droits protégés, l’article 27 Pacte II ne
consacre aucun droit collectif pour les minorités en tant que groupes, mais
uniquement un droit individuel, appartenant aux membres de ces groupes, de
voir leurs caractéristiques minoritaires respectées et promues464. Sa formula-
tion a pour effet de refuser toute personnalité juridique aux minorités elles-
mêmes465. Toutefois, cette norme reconnaît aux membres d’une minorité le
droit d’exercer les garanties qu’elle confère « en commun avec les autres mem-
bres de leur groupe ». De ce fait, elle possède une certaine dimension collec-
tive466, à l’instar d’autres dispositions du Pacte II467.
310. Lors de l’examen des rapports périodiques, ainsi que par le biais des
communications individuelles faisant état de griefs relatifs à l’article 27 Pacte
II, le Comité des droits de l’homme a eu l’occasion, à maintes reprises, de
461
Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2. CAPOTORTI, § 570 ; MALINVERNI (Minorités), p. 239.
462
NOWAK (art. 27), N. 4, p. 638.
463
PENTASSUGLIA (2002), pp. 109-110.
464
Observation générale n° 23 du CDH, §1. ALFREDSSON/DE ZAYAS, p. 5 ; MALINVERNI (Minorités), pp. 239-
240 ; NOWAK (Menschenrechtspakte), p. 16 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.
465
KETLEY, pp. 332-333 et 335-336; MALINVERNI (Minorités), p. 240 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.
466
Observation générale n° 23 du CDH, §9 ; JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.03, p. 753 ; NOWAK (art. 27),
N. 36, p. 655; SCHODER, pp. 169-170.
467
Voir ainsi les art. 18 al. 1 (liberté religieuse) et 22 (liberté d’association) qui énoncent explicitement
le droit d’exercer ces droits individuels également en groupe ; NOWAK (Menschenrechtspakte), p. 16.
93
La situation juridique des Tziganes en Suisse
prendre position sur la situation des minorités se trouvant sur les territoires
des Etats parties468.
311. Rappelons que, dans ce cadre, le groupe minoritaire lui-même n’a pas
de légitimité pour agir : si des membres d’une minorité transmettent une com-
munication, le Comité des droits de l’homme exige que chacun puisse se pré-
valoir du statut de victime au sens du Protocole facultatif n°1469. Toutefois,
grâce à ce double mécanisme de surveillance, l’article 27 Pacte II présente non
seulement une importance matérielle pour les minorités, mais s’avère égale-
ment efficace de par la nature du contrôle qui est exercé sur sa mise en œu-
vre470.
468
Voir notamment les Constatations du CDH, du 30 juillet 1981, relatives à la Communication
n°24/1977 Sandra Lovelace c. Canada, et les Constatations du CDH, du 31 mars 1993, relatives aux
Communications n° 359/1989 et 385/1989, Ballantyne, Davidson et McIntyre c. Canada ; les Cons-
tatations du CDH, du 22 novembre 1996 relatives à la Communication N° 671/1995, J. Länsman c.
Finlande ; les Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication N°
547/1993, Mahuika c. Nouvelle-Zélande.
469
Constatations du CDH, du 26 mars 1990, relatives à la Communication n°167/1984 Lubikon Lake
Band c. Canada, § 32.1. NOWAK (art. 2 OP), N. 4, p. 831 ; SCHODER, pp. 170-171.
470
PENTASSUGLIA (1999A), p. 134.
471
Adopté le 16 décembre 1966 à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies, cet instru-
ment est entré en vigueur le 23 mars 1976, en Suisse le 18 septembre 1992. L’art. 1er de cet ins-
trument affirme le droit à l’autodétermination des peuples, et les obligations des Etats découlant du
Pacte sont énoncées aux articles 2 à 5.
472
Les art. 6 à 8 énoncent les droits économiques, les art. 9 à 12 les droits sociaux, notamment en ma-
tière de droit à la santé et de protection de la famille et des conditions de vie des particuliers, et les
art. 13 à 15 les droits culturels, incluant le droit à l’éducation et le droit à la participation à la vie
culturelle.
473
Le CESCR ne bénéficie à ce jour que d’un mécanisme non contentieux pour surveiller le respect des
droits garantis par le Pacte I, à savoir l’examen des rapports périodiques. Les art. 16 et 17 Pacte I
prévoient que les Etats parties doivent remettre un premier rapport deux ans après la ratification,
puis des rapports successifs tous les cinq ans. Pour une description détaillée de cette procédure, se
référer à KÄLIN/KÜNZLI, pp. 214-219. Un Groupe de travail a néanmoins été mandaté en 2002 par la
Commission des droits de l’homme pour élaborer un projet de protocole additionnel portant création
du mécanisme de communications individuelles ; Résolution n°24/2002 de la Commission des droits
de l’homme, UN Doc. E/CN.4/2002. A l’instar du Comité des droits de l’homme, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels adopte par ailleurs des observations générales en sus des obser-
vations finales relatives aux rapports périodiques, et ce malgré le défaut de base conventionnelle
explicite dans ce sens. En l’absence de mécanisme de surveillance plus contraignant, ces observa-
tions générales constituent le moyen le plus important pour clarifier et préciser les obligations étati-
ques découlant du Pacte I ; KÄLIN/KÜNZLI, p. 218.
94
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
474
Voir notamment l’Observation générale n° 9 du CESCR, § 9-15. KÄLIN/KÜNZLI, p. 47 ; KÜNZLI/KÄLIN,
pp. 105-112 ; MALINVERNI (Suisse), pp. 73-78, en particulier pp. 76-77.
475
La typologie promue par le CESCR subdivise les engagements étatiques en trois catégories, en rat-
tachant à chaque droit une obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre. Cette troi-
sième catégorie est elle-même composée de trois sous-obligations supplémentaires, à savoir celle
de faciliter l’exercice du droit, de l’assurer et de le promouvoir. Voir l’Observation générale n° 14 du
CESCR, § 33 et l’Observation générale du CESCR n°16, §17. En ne voyant dans le Pacte I que
l’expression d’un programme législatif et en niant toute justiciabilité à ses normes, y compris celle
consacrant la non-discrimination, la jurisprudence du Tribunal fédéral est donc critiquable sur ce
point ; comp. ainsi ATF 130 I 113 A., ATF 126 I 240, 242 A., ATF 123 II 472, 478 H., ATF 120 Ia 1,
12 Verband Studierender an der Universität Zürich. Il sied de préciser que bien qu’élaborée dans le
contexte des droits économiques, sociaux et culturels, cette typologie trouve à s’appliquer à
l’ensemble des droits de l’homme ; VANDENHOLE, p. 187.
476
Observation générale n° 9 du CESCR, § 10.
95
La situation juridique des Tziganes en Suisse
cularités. De fait, culture et ethnicité sont des notions considérées comme étant
très proches477.
317. Ainsi, les droits culturels incluent non seulement le droit des parents
de choisir le type d’éducation qu’ils souhaitent pour leurs enfants, y compris
dans sa dimension religieuse (article 13 al. 3), mais également le droit de par-
ticiper à la vie culturelle (article 15 al. 1 lettre a)478. Pour les membres de mino-
rités, cela implique le droit d’accéder et de prendre part à la vie culturelle non
seulement de leur communauté, mais également à celle de la majorité, sans su-
bir de discrimination479, ainsi que l’impose l’article 2 al. 2 Pacte I, lu en rapport
avec ces dispositions.
318. Néanmoins, la portée l’article 15 al. 1er lettre a Pacte I pour les minori-
tés va au-delà de cette première étape puisque le concept de participation à
la vie culturelle s’avère fondamental pour les groupes minoritaires ethni-
ques480. En effet, comprise sous un angle anthropologique, la culture inclut no-
tamment le mode de vie traditionnel de ces groupes481. Le droit de participer à
la vie culturelle implique ainsi le droit, pour les personnes appartenant à ces
communautés, de préserver leurs traditions lorsqu’ils le souhaitent, ce qui
peut notamment inclure l’exercice de certaines activités économiques particu-
lières482. Du fait de sa nécessaire connotation collective, l’article 15 al. 1er lettre
a Pacte I est ainsi considéré par certains auteurs comme protégeant les minori-
tés elles-mêmes483.
319. Les dispositions du Pacte I constituent de ce fait des sources non né-
gligeables pour les minorités et leurs membres, en sus de la protection offerte
par l’article 27 Pacte II. Le Comité des droits de l’homme ne s’y trompe pas
puisqu’il a eu l’occasion d’affirmer que la protection des minorités, au sens de
l’article 27 Pacte II, trouve également ses racines dans la garantie des droits
économiques, sociaux et culturels484.
477
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, §6.
478
PRITCHARD, p. 236.
479
THORNBERRY (2002) , p. 197.
480
Et ce, que ces groupes soient des minorités ethniques stricto sensu ou des peuples autochtones.
Voir nos développements sur la distinction entre ces deux types de groupes, infra Chapitre III, Sec-
tion A, 3.
481
THORNBERRY (2002), pp. 195-196.
482
ALFREDSSON (1993), p. 63 ; PRITCHARD, pp. 246-247.
483
THORNBERRY (2002), p. 196 et références.
484
Dans ce sens, voir les Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication n°
197/1985, Ivan Kitok c. Suède, §9.2
96
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
485
LERNER, p. 149 ; STRAUSS, pp. 46-47; WHITAKER, § 22.
486
LERNER, p. 149. Voir également l’affaire Réserves à la Convention sur le génocide, Rapports de la CIJ
(1951), pp. 15-69, plus particulièrement p. 23.
487
LERNER, p. 150.
488
LERNER, p. 149. Affaire Barcelona Traction, Light and Power Co, Rapports de la CIJ (1970), § 33-34.
489
STRAUSS, p. 47.
490
Rapport du Rapporteur Spécial Ben Whitaker, « Revised and updated report on the question of the
prevention and punishment of the crime of genocide », UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6, § 29.
97
La situation juridique des Tziganes en Suisse
491
STRAUSS, p. 46.
492
La CIERD a été adoptée par l’Assemblée générale en 1965, est en vigueur depuis 1969 et en force
en Suisse depuis le 29 décembre 1994 (RO 1995 1164). La supervision de la CIERD relève de son
comité de contrôle, le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(CERD) A l’instar du CDH et du CESCR, le CERD est composé de dix-huit experts indépendants élus
à titre individuel (art. 8§1 CIEDR). Ce comité possède deux compétences obligatoires. La première a
trait à l’examen des rapports étatiques périodiques, selon l’art. 9 CIERD. Au sujet de ce mécanisme
dans le contexte de la CIERD, voir SPENLE, pp. 13-15. La seconde touche au mécanisme de plaintes
inter-étatiques, à teneur des art. 11 à 13 CIERD. A ce jour, aucun Etat n’a fait usage de cette fa-
culté. SPENLE, p. 16. Par ailleurs, le Comité adopte des Observations générales, chacune dédiée à un
thème particulier. En outre, à teneur de l’art. 14 CIERD, un Etat partie peut accepter, par une décla-
ration, la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers, dé-
marche entreprise par la Suisse le 19 juin 2003 ; RO 2005 87. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2373-2379. A cette occasion, le CERD adresse des « suggestions
et recommandations » à l’Etat et au particulier concernés par le litige. Ce mécanisme offre une pro-
tection de nature quasi-judiciaire aux particuliers, les recommandations du CERD n’étant pas juridi-
quement contraignantes ; Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence
du CERD, FF 2001 5649, 5661 ; SPENLE, pp. 29-30.
493
Art. 1er CIERD.
494
Pour réaliser cette politique, les Etats doivent prendre toutes les mesures législatives, administrati-
ves et judiciaires nécessaires. Ils doivent ainsi notamment pénaliser les manifestations à caractère
raciste (art. 4), garantir l’égalité de traitement dans et devant la loi à tous les individus, sans faire
de distinctions fondées sur « la race, la couleur de la peau, l’origine nationale ou ethnique » (art. 5),
et offrir une voie de droit efficace aux particuliers en cas de violation (art. 6).
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2368-2379; KÄLIN/KÜNLZI, p. 49.
495
ATF 123 II 472, 479 H. A notre sens, le fait que la Suisse admette désormais la compétence du
CERD pour recevoir des communications individuelles au sujet de griefs tirés de la CIERD devrait
pousser le Tribunal fédéral dans le futur à admettre l’applicabilité directe de plusieurs dispositions
de cette convention.
98
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
496
THORNBERRY (2002), pp. 202-203. Voir ainsi l’art. 2§1 let. e de la Convention : « Chaque Etat partie
s’engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux
et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à ren-
forcer la division raciale. »
497
KÄLIN/KÜNLZI, p. 349 ; LERNER, p. 30 ; PRITCHARD, p. 237.
498
PRITCHARD, p. 237 ; SCHODER, p. 111. LERNER, p. 71, parle de cet instrument comme étant
« undoubtedly the most important instrument for the protection of groups at the international le-
vel. »
499
THORNBERRY (2002), p. 224.
500
Dans ce sens : Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence du CERD,
FF 2001 5649, 5662.
501
Au sujet de l’importance de la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en
matière de droits économiques, sociaux et culturels, voir JOSEPH, p. 349 et THORNBERRY (2005), pp.
99
La situation juridique des Tziganes en Suisse
253-254. Dans une jurisprudence constante depuis ses constatations rendues à l’encontre des Pays-
Bas en 1984 (Constatations du CDH, du 3 avril 1987, relatives à la Communication n° 172/1984
Broeks c. Pays-Bas, et à la Communication n°182/1984 Zwaan-de Vries c. Pays Bas), le Comité des
droits de l’homme considère que l’art. 26 Pacte II, consacrant l’interdiction de la discrimination, est
un droit autonome qui doit être respecté quelle que soit la nature du droit exercé ; NOWAK (art. 26),
N. 49, p. 628. Dans son Observation générale n° 3, § 5, le Comité des droits économiques, sociaux
et culturels souligne que l’obligation de respecter le principe de non-discrimination dans la mise en
œuvre des droits garantis par le Pacte I est justiciable ; KÜNZLI/KÄLIN, p. 113.
502
PRITCHARD, p. 237.
503
En créant des organismes tels que la Commission fédérale contre le racisme (CFRa) ou encore la
Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », la Suisse estime ainsi contribuer à la ré-
alisation de cette obligation, puisque ces institutions ont notamment pour mandat la promotion de
l’entente entre les différentes communautés. A ce sujet, voir le Message du Conseil fédéral relatif à
la reconnaissance de la compétence du CERD, FF 2001 5649, 5654.
504
KETLEY, p. 339 ; THORNBERRY (2002), p. 208.
505
Comp. ainsi l’Observation générale n° 23 du CERD, relative aux peuples autochtones, § 4 : le CERD
engage les Etats à garantir le respect des particularités culturelles des peuples autochtones, à
s’assurer que leurs membres ne subissent aucune inégalité de traitement ni de discrimination ba-
sées sur leur appartenance à une telle communauté, que l’Etat leur fournisse les moyens pour pour-
suivre un développement social et économique durable en accord avec leurs coutumes et qu’il
s’assure qu’ils puissent pratiquer leurs traditions culturelles et leurs langues. THORNBERRY (2002), p.
224.
100
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
506
Voir ci-après pour une description de ce mécanisme.
507
LERNER, p. 67 ; SPENLE, p. 28.
508
MALINVERNI (1995), p. 523 ; TROEBST, p. 1.
509
A ce jour, la CPMN a été ratifiée par 36 Etats.
510
WOLFRUM, p. 1114.
511
Ce Comité est composé de dix-huit experts indépendants et impartiaux nommés par le Comité des
Ministres. Voir les art. 24 à 26 CPMN, ainsi que par la Résolution (97) 10 du Comité des Ministres.
PENTASSUGLIA (1999B), pp. 429-435, décrit précisément les qualités et la composition du Comité
consultatif.
101
La situation juridique des Tziganes en Suisse
512
A ce jour, le Comité consultatif a reçu 35 rapports étatiques et émis 34 avis, et a adopté des
conclusions et des recommandations concernant 29 pays (état au 8 janvier 2006).
513
ALFREDSSON (2000), p. 295 ; OFJ (2002), pp. 602-603 ; Message du Conseil fédéral relatif à la ratifi-
cation de la CPMN, FF 1998 I 1043.
514
MALINVERNI (1995), p. 532 ; TROEBST, p. 1 ; WOLFRUM, p. 1114.
515
OFJ (2002), p. 603.
516
A titre illustratif, voir les art. 4, 7, 8, 9 CPMN.
517
ALFREDSSON (2000), pp. 292-293; OFJ (2002), p. 603.
518
Pour sa part, le projet de Protocole additionnel à la CEDH ouvrant la voie de la Cour européenne
des droits de l’homme aux personnes appartenant à des minorités nationales de 1993 offrait un mé-
canisme judiciaire.
519
ALFREDSSON (art. 4), p. 152 ; ALFREDSSON (2000), pp. 291-292 ; PENTASSUGLIA (1999A), p. 145.
102
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
341. Enfin, sans entrer à ce stade dans une étude de la notion de minorité
nationale520, soulignons que la CPMN n’en offre aucune définition. En effet,
l’article 3 al. 1 CPMN se contente d’affirmer que « toute personne appartenant
à une minorité nationale a le droit de choisir librement » d’être traitée ou non
comme telle, sans pour autant préciser à quelles conditions une communauté
forme une telle minorité.
342. Dès lors, les Etats parties à la CPMN, au moyen d’une déclaration,
peuvent identifier les groupes constituant sur leur territoire des minorités na-
tionales au sens de la convention. Treize sur trente-sept d’entre eux ont actuel-
lement fait usage de cette possibilité521. Dans ce contexte, les Etats sont au bé-
néfice d’une marge d’appréciation incontestable, mais celle-ci toutefois n’est
pas sans limites. Les principes généraux du droit international public et ceux
énoncés à l’article 3 CPMN imposent, en effet, le respect de la bonne foi dans
l’interprétation du traité et interdisent que son application conduise à des si-
tuations arbitraires522.
343. Le Comité consultatif s’est réservé le droit d’évaluer la validité des dé-
clarations étatiques et n’a pas hésité à déclarer non-conformes à la CPMN cel-
les qui mènent à des distinctions arbitraires ou injustifiées entre les différentes
communautés minoritaires se trouvant sur un Etat523. En effet, selon le Comité
consultatif, soustraire a priori du champ d’application de la CPMN certains
groupes en niant leur qualité de minorité nationale peut être considéré comme
allant à l’encontre de l’objectif de cet instrument524.
520
Voir infra Section 3.2.2., a.
521
Etat au 31 juillet 2006.
522
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; EIDE (2006), § 5 ; HEINTZE (art. 1), p. 87 ; HEINTZE (art. 3), p. 111 ; HOF-
MANN R. (2005B), p. 1015 ; WOLFRUM, p. 1116 ; contra KLEBES, p. 216, qui estime que les Etats sont
«entièrement libres de définir [eux-mêmes] ce [qu’ils] considèrent être une minorité nationale au
sens de la Convention».
523
Voir ainsi l’Avis du Comité consultatif concernant l’Albanie relatif à l’exclusion a priori de la commu-
nauté égyptienne, ACFC/INF/OP/I (2003) 004, §17-22, ainsi que l’Avis concernant le Danemark
concernant l’exclusion a priori des Roms, ACFC/INF/OP/I(2001) 005, § 22.
524
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; HEINTZ (art. 3), pp. 111-112.
525
RO 1974 2151.
103
La situation juridique des Tziganes en Suisse
345. La CEDH n’a pas pour vocation de protéger spécifiquement les mino-
rités529. Contrairement à son pendant universel, le Pacte II, le texte de la CEDH
ne contient aucune norme garantissant explicitement les droits des minorités.
En effet, la prise en compte des spécificités des minorités par le biais de
l’article 14 uniquement, consacrant l’interdiction de la discrimination fondée
notamment sur l’appartenance à une « minorité nationale »530, s’avère en soi
insuffisante pour assurer une protection équivalente à celle du Pacte II531.
346. L’entrée en vigueur du Protocole n° 12 à la CEDH le 1er avril 2005
n’apporte pas de changement quant à la protection du groupe per se532, bien
qu’on ne puisse nier que ses membres voient leur protection juridique renfor-
cée533 par la consécration de l’autonomie de l’interdiction de la discrimina-
tion534. En raison de ce silence, la CEDH a été considérée pendant très long-
temps comme n’offrant qu’une protection minimale aux membres de groupes
minoritaires, du fait qu’il n’existe aucune possibilité directe pour ces derniers
de saisir la Cour européenne des droits de l’homme en faisant valoir des griefs
tirés du droit des minorités535.
347. La Cour européenne des droits de l’homme ne nie pas la réalité de
l’existence des minorités elles-mêmes. Affirmant que « la recherche d’une
526
La Suisse n’a pas ratifié le Protocole no 1, du 20 mars 1952 (garantie de la propriété, droit à
l’instruction, droit à des élections libres et au bulletin secret), le Protocole no 4, du 16 septembre
1963 (liberté d’établissement, interdiction des expulsions collectives), ainsi que le Protocole n° 12,
du 4 novembre 2000 (généralisation de l’interdiction de la discrimination).
527
La CEDH garantit le droit à la vie (art. 2), la liberté personnelle (art. 5), le droit au respect de la vie
privée et familiale, du domicile et de la correspondance (art. 8), la liberté religieuse (art. 9), la liber-
té d’expression (art. 10), la liberté de réunion et d’association (art. 11), mais également le droit à
un procès équitable (art. 6), le droit à un recours effectif devant une instance nationale (art. 13) et
le principe de non discrimination (art. 14).
528
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 92-93.
529
BENOIT-ROHMER (2002), p. 564.
530
Sur cette notion et sa portée dans le système régional européen, voir infra Section 3.2.2., a.
531
MALINVERNI (Cadre européen), p. 52.
532
Voir ainsi LARRALDE, p. 1251, qui juge qu’en mettant « fin au caractère inutilement limité de
l’interdiction de la discrimination dans la Convention, » le Protocole n°12 ouvre un peu plus encore
la CEDH vers la protection des groupes eux-mêmes.
533
PENTASSUGLIA (2002), pp. 126-127.
534
Le Protocole n°12 garantit « la jouissance de tout droit prévu par la loi » sans discrimination, au
contraire de l’art. 14 CEDH qui protège « la jouissance des droits et libertés prévus [dans la Conven-
tion] ». Contrairement au Protocole n°12, l’art. 14 CEDH n’est ainsi pas indépendant, bien qu’il
jouisse d’une portée autonome ; SUDRE (2005), pp. 256-257. Pour les Etats ayant ratifié le Protocole
n°12, la portée de l’interdiction de la discrimination est désormais identique dans le système régio-
nal européen à celle que l’art. 26 Pacte II consacre au niveau universel ; SUDRE (2005), p. 256.
535
GILBERT (2002), p. 737 ; HOFMANN R. (2005B), p. 1011 ; WOLFRUM, p. 1109.
104
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
536
ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne, § 92, CEDH 2004-I. La Cour européenne des droits de l’homme a
eu l’occasion à plusieurs reprises de rappeler le lien indissoluble entre démocratie et pluralisme, et
sur le rôle central de garant joué par l’Etat : voir l’ACEDH Parti communiste unifié de Turquie c.
Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et de décisions 1998-I, § 43 ; ACEDH Informa-
tionsverein Lentia et autres c. Autriche, arrêt du 24 novembre 1993, série A n° 276, § 38.
537
ACEDH Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, série A n° 44, § 63.
538
Voir ainsi l’ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne, n° 44158/98, §34, 20 décembre 2001, où la Cour re-
connaît la qualité de victime à une association composée de membres de la minorité silésienne de
Pologne et faisant grief d’une violation de l’art. 11 CEDH du fait du refus des autorités polonaises
d’enregistrer leur association sous le nom de « Union of People of Silesean Nationality », fondée
dans le but de défendre les intérêts de leur minorité (§ 9 de l’arrêt).
539
ACEDH Grande Oriente D'Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie, n° 35972/97, §14-16, CEDH 2001-VII;
ACEDH Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus c. France, décision sur la recevabilité du
29 février 2000, n° 45053/98, §18 ; ACEDH Noack c. Allemagne, décision sur la recevabilité du 25
mai 2000, section « En droit », § 1, CEDH 2000-VI. WOLFRUM, pp. 1112-1113. Voir toutefois nos dé-
veloppements concernant la jurisprudence de la Cour relative aux recours corporatifs, infra Titre
Quatrième, Chapitre I, Section E, 2.4.
540
ACEDH Muonio Saami Village c. Suède (règlement amiable), n° 28222/95, § 12, 9 janvier 2001 ;
Décision de la Commission européenne des droits de l’homme du 25 novembre 1996, Könkama et
38 autres villages sames c. Suède, Recueil des décisions et rapports de la Commission européenne
des droits de l’homme, 87 B, D.R., p. 78.
541
GILBERT (2002), pp. 738-739 ; WOLFRUM, pp. 1113 et 1122.
105
La situation juridique des Tziganes en Suisse
542
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93-94, CEDH 2001-I. Comp. l’opinion dissi-
dente des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach et Casadevall,
§3. Voir également HOFMANN R. (2005B), pp. 1025-1026.
543
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93-94, CEDH 2001-I. Comp. l’opinion dissi-
dente des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach et Casadevall,
§3.
544
Dans ce sens, SUDRE (2005B), pp. 99-100.
545
A titre d’exemple : ACEDH Cha’are Shalom ve Tsedek c. France [GC], n° 27417/95, CEDH 2000-VII.
546
A titre d’exemple : ACEDH Okçuoglu c. Turquie [GC], n°24246/94, 8 juillet 1999.
547
A titre d’exemple : ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 96 et 100, CEDH 2004-I.
548
ACEDH Gorzelik et al. c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 96 et 100, CEDH 2004-I.
106
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
549
BENOIT-ROHMER (2001), p. 999; HENRARD (2004), p. 189 ; SUDRE (2005B), p. 99.
550
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I.
551
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 93 et 96, CEDH 2001-I. BENOIT-ROHMER
(2001), pp. 1005-1007; HENRARD (2004), p. 190.
552
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 96, CEDH 2001-I, confirmé en 2004 par
l’ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n°66746/01, §84, 27 mai 2004. HENRARD (2004), p. 189 ; HOF-
MANN R. (2005B), pp. 1017-1018 ; SUDRE (2005B), p. 100. En ce sens, la Cour a suivi la position de la
Commission européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 3 octobre 1983, G. et E. c.
Norvège, D.R. 35, p. 38.
553
Voir nos développements au sujet de ce raisonnement, infra Titre Troisième, Chapitre III, Section C,
2.3.2.
554
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 95 et 113, CEDH 2001-I. Voir nos dévelop-
pements et notre critique à ce sujet, infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.
555
ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43578/98, CEDH 2005-….
556
ACEDH Moldovan et al. c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, CEDH 2005-….
107
La situation juridique des Tziganes en Suisse
557
ROSENBERG (2005), p. 171 ; PLESE, pp. 109-118 ; THÜRER/DOLD, p. 2. Nous analyserons ces arrêts
dans le cadre de notre examen portant sur la portée de l’interdiction de la discrimination pour les
Tziganes, infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.1.1.
558
HENRARD (2004), p. 187 ; HOFMANN R. (2005B), p. 1011 ; ROSENBERG (2005), pp. 172-174 ; WOLFRUM,
p. 1109. Ainsi, la Commission européenne avait affirmé très tôt que la CEDH ne reconnaît pas de
droits à une minorité en tant que telle et que la protection des membres de cette minorité se limite
à ne pas faire l’objet d’une discrimination, en raison de leur appartenance à une minorité selon l’art.
14 CEDH ; Décision X. c. Autriche, n° 8142/78, du 10 octobre 1979, D.R. 18, p. 98. Voir également
l’Affaire linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, série A n°6, § 7 : la Cour de Stras-
bourg a jugé qu’une législation visant à dispenser dans les écoles publiques un enseignement dans
la langue majoritaire de la région n’est pas arbitraire et ne constitue pas une discrimination à l’égard
des locuteurs de la minorité francophone : la mesure n’est pas constitutive d’une violation de l’art.
14 CEDH à l’égard de cette minorité. Comp., en outre, la décision sur recevabilité Gorzelik et al. c.
Pologne, n° 44158/98, § 93, 96 et 100, 20 décembre 2001 : la Cour souligne dans cet arrêt
l’importance de la liberté d’association, au sens de l’art. 11 CEDH, pour les minorités. Toutefois, elle
renvoie dans un second temps à la marge d’appréciation usuelle dont bénéficie l’Etat pour légitimer
l’interdiction de certaines organisations pour des raisons de sécurité nationale, sans que le facteur
minoritaire ne joue de rôle.
559
HENRARD (2004), p. 201.
560
BENOIT-ROHMER (2001), p. 999 ; ROSENBERG (2001), p. 1018; SUDRE (2001), p. 905.
561
Sur l’importance de l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I pour la
protection des minorités de manière générale dans le cadre de la CEDH, voir BENOIT-ROHMER (2001),
pp. 999 et 1003-1004. Sur les limites de la CEDH pour la protection des minorités, voir GILBERT
(2002), p. 780.
562
Pour une définition de cette notion et une analyse approfondie de son importance dans le cadre la
protection des droits des Tziganes, voir infra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2. et Sec-
tion B.
108
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
3. La notion de minorité
563
Ainsi, dans l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 81, la
Cour analyse le mode de vie de la requérante en le considérant uniquement comme étant
l’expression d’un choix personnel et ne faisant pas le lien avec son identité tzigane. Voir également
l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 113, où la Cour parle de
« préférences individuelles » au sujet du mode de vie de la requérante. DE SCHUTTER (1997), pp. 85-
86 ; SUDRE (2001), pp. 913-914. Voir également infra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.1.
564
Voir infra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2. au sujet de la notion de discrimination indi-
recte, et Section B, 3.2. au sujet de la discrimination indirecte des Tziganes, notamment dans la
pratique des juges de Strasbourg.
565
Dans le même sens, HENRARD (2004), p. 191. Voir également supra, Section 1 au sujet des particula-
rités du droit des minorités.
566
Comp. l’évaluation négative de PENTASSUGLIA quant au potentiel de la CEDH pour faire progresser les
standards de protection des minorités ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 126.
567
Infra Section B.
109
La situation juridique des Tziganes en Suisse
568
AURESCU, §9 ; MALINVERNI (Minorités), p. 235 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 55.
569
VALETTE, p. 340.
570
Voir l’Avis consultatif du 31 juillet 1930 de la Cour permanente de justice internationale, relatif à la
question des « communautés » gréco-bulgares (Publications de la Cour, série B, n°17, p. 22),
« L’existence des communautés est une question de fait ; elle n’est pas une question de droit ».
571
PENTASSUGLIA (2002A), p. 57. Au sujet des effets négatifs pour une communauté de la négation du
statut de minorité du fait qu’un Etat se réfère à une certaine définition de la notion qui ne permet
pas de l’inclure, voir PARK, p. 69. Sur la réalité de ce genre de pratiques à l’égard des Tziganes, voir
infra Section B, 1.
572
KOUBI, p. 415.
573
MARCHAND, p. 134 ; RAMU, p. 591 et références ; VALETTE, p. 334.
574
MARCHAND, p. 135 ; PACKER, p. 26 ; VALETTE, p. 334.
575
KETLEY, p. 333 ; MOORE, pp. 177-178 ; RAMU, pp. 591-592.
110
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
368. Selon cet auteur, une minorité est « un groupe numériquement infé-
rieur au reste de la population d’un Etat, en position non dominante, dont les
membres ressortissants de l’Etat possèdent du point de vue ethnique, religieux
ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la
population et manifestent, même de façon implicite, un sentiment de
solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue»577.
369. Bien que largement acceptée, cette définition n’est peut-être pas la plus
appropriée, car elle ne prend pas en considération les groupes socialement mi-
noritaires alors que leurs membres forment quantitativement la majorité de la
population, telle que la population d’origine africaine en Afrique du Sud du-
rant les années de l’Apartheid578.
370. Au niveau régional européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe va toutefois dans le même sens que le Rapporteur spécial CAPO-
TORTI. Dans sa Résolution 1201 (1993), cet organe propose de définir la notion
de « minorité nationale »579 comme étant «un groupe de personnes dans un
Etat qui: a) résident sur le territoire de cet Etat et en sont citoyennes; b)
entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat; c) présentent
des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques
spécifiques; d) sont suffisamment représentatives, tout en étant moins
nombreuses que le reste de la population de cet Etat ou d'une région de cet
Etat; e) sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur
identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue».
576
Au sein des Nations Unies, la question fut traitée initialement par la Sous-Commission de la lutte
contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des droits de
l’homme de l’ONU : voir ainsi la définition élaborée lors de sa troisième session, en 1950, UN Doc.
E/CN.4/358 du 30 janvier 1950, reproduite in SCHODER, p. 38: «… from the standpoint of such mea-
sures of protection of minorities as the United Nations may wish to take, and in the light of the ex-
ceptions and complexities set out above : a) the term minority includes only those non-dominant
groups in a population which possess and wish to preserve stable ethnic, religious or linguistic tradi-
tions or characteristics markedly different from those of the rest of the population ; b) such minori-
tes should properly include a number of persons sufficient by themselves to develop such characte-
ristics ; and c) the members of such minorities must be loyal to the State in which they are natio-
nals».
577
CAPOTORTI, p. 102. Comp. avec la définition du Rapporteur spécial Jules DESCHENES, publiée en 1985:
Une minorité est « a group of citizens of a State, constituing a numerical minority and in a non-
dominant position in that State, endowed with ethnic, religious or linguistic characteristics which dif-
fer from those of the majority of the population, having a sens of solidarity with one another, moti-
vated, if only implicity, by a collective will to survive and whose aim is to achieve equality with the
majority in fact and in law. » UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1985/31, § 181.
578
MOORE, p. 178.
579
Au sujet de cette notion, voir infra Section 3.2.2.
111
La situation juridique des Tziganes en Suisse
3.1.2. Appréciation
580
EIDE (Minorities), §90ss ; NOWAK (art. 27), N. 23, p. 648 ; PENTASSUGLIA (2002a), p. 58 ; SCHODER, p.
40.
581
EIDE (Minorities), §25-26 ; MALINVERNI (Minorités), p. 236 ; RAMU, pp. 598-599.
582
GILBERT (1996), p. 162
583
RIGAUX, pp. 155-156.
584
HOFMANN R. (2005B), p. 1015 ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 68 ; WOLFRUM, p. 1116.
585
HEINTZE (art. 3), pp. 118-119 ; MALINVERNI (Minorités), pp. 238-239.
586
Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication, n° 197/1985, Ivan Kitok c.
Suède, §9.7. Le Comité consultatif de la CPMN se montre également très critique à l’égard de légi-
112
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
375. Les définitions que nous avons exposées ci-dessus énoncent le critère
de la citoyenneté en tant que condition nécessaire pour reconnaître l’existence
d’une minorité. Or, ni l’article 27 Pacte II, ni la Déclaration des Nations Unies
de 1992, ni la CPMN ne posent cette exigence, ce qui peut susciter des interro-
gations sur sa pertinence587.
376. Poser cette condition particulière répond à un double objectif: premiè-
rement, dans une perspective touchant à la préservation de la paix interne et
internationale, elle cherche à garantir une certaine loyauté de la part des mem-
bres des minorités588. Ensuite, elle permet aux Etats de ne pas s’engager en fa-
veur de nouvelles minorités constituées en majorité par des étrangers, issues
par exemple de l’immigration, et de restreindre leur politique en la matière
aux communautés composées de ressortissants nationaux et donc présentant
logiquement des liens historiquement stables avec l’Etat en question589.
377. Si cette approche classique est encore dominante, elle est aujourd’hui
qualifiée de «conservatrice »590. Elle se trouve remise en cause tant au niveau
universel que régional, aussi bien par une partie de la doctrine que par les or-
ganes de surveillance du Pacte II et de la CPMN.
slations nationales qui restreignent l’applicabilité de la convention à certaines zones de leur terri-
toire, en excluant du champ d’application personnel les personnes qui n’y résident pas ; voir le 2ème
Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 9 décembre 2004, ACFC/INF/OP/II(2004)005, §
17.
587
Dans ce sens, EIDE (2006), § 2.
588
Comp. VALETTE, p. 343, qui estime que le lien de loyauté ne dépend pas de la qualité de ressortis-
sant.
589
MALINVERNI (Minorités), pp. 237-238 ; PENTASSUGLIA (2002a), pp. 57-59.
590
AURESCU, § 14.
591
EIDE (Minorities), §29.
592
EIDE (Minorities), §42ss. Ce critère n’est toutefois pas synonyme d’ancrage géographique fixe sur
une fraction délimitée du territoire, mais renvoie plutôt à la stabilité de la composition du groupe et
de l’unité qui lie ses membres ; PRITCHARD, p. 182.
113
La situation juridique des Tziganes en Suisse
593
Observation générale n° 23 du CDH, du 8 avril 1994, §5.1 et 5.2. Dans ce sens, voir notamment
HEINTZE (art. 1), p. 84 ; RAMU, p. 594 ; SHAW, p. 960 ; VALETTE, p. 344.
594
Dans ce sens, NOWAK (art. 27), N. 17-18, pp. 645-646.
595
NOWAK (art. 27), N. 21, p. 647 ; VALETTE, pp. 333-334. Voir également PARK, pp. 85-88.
596
Voir notamment MALINVERNI (Minorités), p. 237 ; PENTASSUGLIA (2002A), pp. 60-61.
597
UN Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.5/2005/2. Ce commentaire fait désormais partie du « Guide des Nations
Unies relatif aux droits des minorités ».
598
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 9.
599
Dans ce sens également, ALFREDSSON (2006), § 14.
600
EIDE (2006), § 10 ; Groupe de travail des Nations Unies, §9 ; NOWAK (art. 27), N. 21, pp. 647-648 ;
PENTASSUGLIA (2002A), p. 71. Pour une illustration de cette solution intermédiaire, mettant l’accent
sur les liens historiques devant exister entre les groupes minoritaires reconnus à titre de minorité
nationale, mais permettant néanmoins à des non-ressortissants de bénéficier des programmes de
promotion s’ils partagent les caractéristiques de ces communautés, voir la solution développée par
la Norvège dans le cadre de la CPMN : Rapport initial norvégien, ACFC/SR (2001) 1, 2001, §3.1 ;
HEINTZE (art. 3), pp. 125-126.
114
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
601
VALETTE, pp. 335 et 341.
602
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10-11 ; Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2. Voir éga-
lement ALFREDSSON (2006), § 16.
603
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10-11 ; Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2.
604
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 10. Au sujet de la nature et de l’objectif de ce type de mesu-
res, voir infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
605
Voir par ailleurs nos développements à ce sujet supra Section A, 2.1.1.
606
EIDE (2006), § 8-10.
115
La situation juridique des Tziganes en Suisse
389. Absente de l’article 27 Pacte II, énoncée par la Déclaration sur la pro-
tection des minorités de 1992 et au cœur du dispositif normatif européen dans
le domaine, la notion de « minorité nationale » est ambiguë et n’a pas, a priori,
le même poids au niveau universel et au niveau régional européen. Dans le
contexte de la Déclaration sur la protection des minorités de 1992, l’expression
« minorité nationale » ne crée pas per se de nouvelle catégorie de minorité. En
effet, on considère qu’il n’existe pas de minorité nationale qui ne soit pas en
même temps une minorité ethnique, religieuse ou linguistique607.
390. Au niveau régional européen, toutefois, le concept de minorité natio-
nale prend un autre poids du fait de son emploi répété aussi bien dans la
CPMN que dans la Résolution 1201 de l’Assemblé parlementaire608. Or, dans le
contexte européen, la notion peut être abordée sous deux perspectives, tour à
tour utilisées par les Etats et alimentant une certaine confusion.
391. Selon une première approche, dite germanique609, cette expression
qualifie un groupe se trouvant sur le territoire d’un Etat, qui possède des liens
étroits avec un autre Etat, dénommé « Etat-parent ». Dans cette hypothèse, les
membres du groupe présentent les caractéristiques d’une minorité ethnique et
ont également la conviction qu’ils pourraient faire partie d’une nation ou être
rattachés à cet Etat parent. Bien qu’ils possèdent la nationalité de leur Etat de
résidence, ils appartiennent à ce que l’on appelle la « communauté nationale »
de leur Etat-parent610.
607
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES §6 ; PRITCHARD, p. 38.
608
PRITCHARD, p. 39.
609
HEINTZE (art. 1), p. 83.
610
A ce sujet, voir le Rapport de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commis-
sion de Venise) sur le traitement préférentiel des minorités nationales par leur Etat parent, CDL-INF
(2001) 19, Venise, 19-20 octobre 2001. Ce rapport souligne ainsi l’intégration de dispositions
concernant la protection de ces communautés par leur Etat-parent dans de nombreuses constitu-
116
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
tions de pays d’Europe de l’Est ces dernières années, ainsi que le développement de politiques acti-
ves de protection et de soutien à leur égard.
611
PENTASSUGLIA (2002A), pp. 62-63 ; PRITCHARD, p. 38 ; SCHODER, pp. 40-41.
612
PRITCHARD, p. 38.
613
MALINVERNI (Minorités), p. 244.
614
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Albanie, ACFC/INF/OP/I(2003) 004 §20, au sujet de
l’exclusion du champ d’application de la CPMN des communautés Rom et Aroumain/Valaque, du fait
de leur qualité exclusive de minorité linguistique aux yeux des autorités albanaises.
615
HEINTZE (art. 1), p. 85 ; HOFMANN R. (2005B), pp. 1014-1015. Voir la position de la Suisse dans son
premier rapport périodique, ACFC/SR/2001/002, §98. Voir également l’approche du Royaume-Uni
qui calque la définition au sens de la CPMN sur la notion très large de « racial group » au sens du
Race Relations Act de 1976 et de la jurisprudence qui en a découlé ; PENTASSUGLIA (2002A), p. 66.
616
ALFREDSSON (2000), p. 296 ; HEINTZE (art. 1), pp. 84-85 et 87. Voir également la position du Haut-
Commissaire pour la protection des minorités nationales de l’OSCE, VAN DER STOEL, p. 45.
117
La situation juridique des Tziganes en Suisse
617
Voir ainsi l’art. 2 let. a de la Convention du Conseil de l’Europe sur la nationalité, du 6 novembre
1997 : « « nationalité » désigne le lien juridique entre une personne et un Etat et n’indique pas
l’origine ethnique de la personne » ; MALLOY, p. 19 ; HEINTZE (art. 1), p. 83.
618
HEINTZE (art. 1), p. 83.
619
L’Assemblée parlementaire a par ailleurs réitéré son attachement à cette vision dans sa Résolution
1735 (2006) relative au concept de nation, où elle se réfère explicitement à la citoyenneté des
membres des personnes appartenant à une minorité nationale.
620
AURESCU, § 10.
621
Dans ce sens, voir KLEBES, p. 94.
622
HEINTZE (art. 3), pp. 111-112.
623
HEINTZE (art. 1), p. 87. Voir l’exemple de l’Allemagne, qui applique la CPMN aux Danois, Serbes, Fri-
sons, Sinti et Roma de nationalité allemande.
624
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Allemagne, du 1er mars 2002, ACFC/INF/OP/I(2002)008, §
14-15. EIDE (2006), § 5 ; HEINTZE (art. 3), p. 113.
625
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif à l’Allemagne, du 1er mars 2002, ACFC/INF/OP/I(2002)008, §
18. EIDE (2006), § 6 ; HEINTZE (art. 3), pp. 124-125.
118
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
3.2.3. Appréciation
401. Après un exposé des enjeux liés à la qualification des Tziganes en tant
que minorité au sens du droit international (1.) et des difficultés rencontrées
pour ce faire (2.), nous résumerons la pratique des organismes internationaux
sur cette question (3.).
626
PARK, pp. 88-89.
627
Voir supra Section 3.2.1.
628
Voir la position du département roumain pour la Protection des Minorités Nationales : « Although at
first sight (the Roma-issue) seems to have ethnic accents, a closer look shows that in fact its essen-
tial dimension is the socio-economic side : not Roma as a whole is the real problem but the poor,
unqualified, unemployed, criminal Roma. Roma is not an ethnic issue but a socio-economic one with
ethnic aspect. » In : Public Policies concerning Roma and Sinti in the OSCE region, OSCE Human
Dimension Implementation Meeting, Octobre 1998, Background Paper 4, ODIHR 1998, p. 7.
119
La situation juridique des Tziganes en Suisse
pour effet que le droit des minorités et ses garanties ne peuvent pas être pris
en compte629. On constate ainsi qu’il subsiste des doutes et des hésitations sur
la réalité du statut de minorité des Tziganes et sur leur légitimité à s’en préva-
loir630.
403. Les conséquences liées à la négation du statut de minorité des Tziga-
nes sont nombreuses et importantes. Historiquement, le refus de les concevoir
en tant que groupe ethnique a créé des difficultés considérables pour leur re-
connaissance au titre de victimes du génocide nazi631. Aujourd’hui, cette réti-
cence soustrait les Tziganes aux politiques étatiques destinées à la réalisation
des quatre objectifs que le système de protection des minorités poursuit, énon-
cés notamment dans la Déclaration relative à la protection des minorités de
1992.
404. Dans un premier temps, refuser aux Tziganes la qualité de minorité si-
gnifie que la protection de leur existence en tant que groupe n’est pas garan-
tie632. Cet aspect possède plusieurs facettes : recouvrant par exemple l’accès
aux territoires et aux ressources nécessaires à la survie du groupe minoritaire,
elle est tout à fait pertinente par rapport aux difficultés rencontrées par les
Tziganes nomades pour se déplacer et stationner leurs caravanes. Elle inclut
non seulement la protection de l’intégrité physique des particuliers, mais aussi
le respect de leur culture et de leur identité633.
405. Le corollaire de cette première exigence est l’interdiction d’assimiler
les personnes appartenant à des minorités, ce qui impose de protéger et
promouvoir les conditions-cadres permettant à l’identité collective du groupe
de perdurer634. L’aperçu historique des politiques successives de répression
puis d’assimilation établi en première partie de cette étude635 démontre
l’importance de cette condition pour l’existence des communautés tziganes, y
compris en Suisse.
406. Troisièmement, le système de protection des minorités impose aux
Etats de ne pas les exclure de la société nationale, et de leur permettre de parti-
ciper à la vie de la société636. Cette dimension est capitale dans un contexte
629
MARCHAND, p. 135, citant Yaron MATRAS sur cette question.
630
BANCROFT, pp. 40-43; MARCHAND, p. 141 ; MEYER, pp. 268-269. Voir la position de l’Allemagne, qui en
1992 déclarait que les Roms se trouvant sur son territoire ne formaient pas une minorité au sens de
l’art. 27 Pacte II (UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1992/SR.52 §8) ; voir également celle des Pays-Bas qui, en
1988, affirmait lors de l’examen du deuxième rapport périodique déposé par cet Etat devant le Co-
mité des droits de l’homme, que les « Caravan dwellers were not considered as belonging to a mi-
nority » au sens de l’art. 27 Pacte II (UN Doc. CCPR/C/42/ SR.861-864, § 8-9).
631
BANCROFT, p. 42 ; FISHER, pp. 536-537 ; MEYER, p. 269.
632
Art. 1 de la Déclaration de 1992.
633
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 24.
634
MALINVERNI (Minorités), p. 243.
635
Supra Titre Premier, Chapitre II et III.
636
Art. 2 de la Déclaration de 1992. GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 25.
120
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
637
Art. 3 de la Déclaration de 1992 et art. 3 CPMN.
638
EIDE (1996), pp. 163-164.
639
BANCROFT, p. 47. Comp. l’approche de POGANY, qui considère que l’extrême vulnérabilité socio-
économique des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est a pour conséquence que le droit des minori-
tés peut être considéré comme un luxe pour ces derniers : face aux problèmes causés par les priva-
tions, le racisme et la marginalisation, la préservation de leur identité culturelle et linguistique ne
peut être pas être conçue comme une priorité; POGANY (2006), pp. 8-12.
640
Recommandation 1557 (2002), § 15. En outre, l’égalité de traitement tant formelle que matérielle
doit être garantie ; la langue et la culture tziganes doivent être préservées ; enfin, le racisme et la
xénophobie doivent être combattus à tous les niveaux, que cela soit à ceux local, national, régional
qu’international.
121
La situation juridique des Tziganes en Suisse
641
TSEKOS, p. 26.
642
A ce sujet, voir infra Section 2.2.2.
643
MARCHAND, pp. 138-141 ; MEYER, p. 269. Contra POGANY, qui considère qu’une fraction importante
des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est ont perdu toute connaissance de leur histoire, de leur
langue et de culture ancestrales ; POGANY (2006), p. 15.
644
SAVELIEFF, p. 175.
645
NOBLET, p. 37 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne,
« La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n°1.
646
Rapport initial de la Suisse, § 137-144.
647
Recommandation 1203 (1993) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, § 2.
648
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.
649
MEYERS, p. 297 ; WARNKE, pp. 365-366.
650
MARCHAND, p. 142.
651
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.
122
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
652
HEINTZE (art. 1), pp. 89-90.
653
POGANY (1999), p. 158 ; RIGAUX, pp. 164-165.
654
MARCHAND, p. 152.
655
POGANY (1999), p. 164.
656
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 1, n° 1.
657
Recommandation 1203 (1993), §2; POGANY (1999), pp. 161 et 165.
658
Recommandation 1203 (1993), § 9.
123
La situation juridique des Tziganes en Suisse
point de vue du droit international des minorités, il est donc difficile de consi-
dérer qu’en tant que collectivité globale, les Tziganes forment « une » minori-
té659.
420. Néanmoins, ce type de déclaration souligne que, d’une manière ou
d’une autre, il est nécessaire d’aborder la question également d’une façon
transnationale660. Conscientes de ce facteur, les organisations internationales
européennes ont engagé une politique destinée à traiter la question d’une ma-
nière globale, en dépassant les frontières de leurs Etats membres. Dans ce
contexte, nous examinerons ci-après si le droit des peuples indigènes et tribaux
offre la possibilité de donner un statut juridique à cette dimension paneuro-
péenne661.
659
RIGAUX, p. 165.
660
Haut-Commissaire de l’OSCE sur les minorités nationales, Rapport du 22 septembre 1999,
RC.GAL/2/99, p. 9.
661
Infra Chapitre III.
662
CAPOTORTI, p. 34 ; MALINVERNI (Minorités), p. 243 ; PRITCHARD, p. 40.
663
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 6.
664
GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 6 ; NOWAK (art. 27), N. 24, p. 649 ; PRITCHARD, p. 41.
665
HENRARD (2004), p. 191.
666
VAN DYKE, p. 32. Voir également PRITCHARD, p. 38.
124
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
667
Observation générale n° 23 du CDH, du 8 avril 1994, § 6.1.
668
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 7, n° 4.
669
Ainsi, POGANY considère que les Tziganes d’Europe centrale et de l’Est ne possèdent quasiment au-
cune identité collective. De ce fait, cet auteur estime que les catégories et les préconceptions du
droit international des minorités sont à tout le moins partiellement inapplicables à ce qu’il appelle la
plus grande et plus vulnérable minorité ethnique européenne ; POGANY (2006), p. 4.
670
BANCROFT, pp. 7-8 ; RAYKOVA, pp. 8-9.
671
BANCROFT, p. 8. Cette qualification ne préjuge en rien de l’éventuelle applicabilité ou non de la
Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux, discutée ci-après, infra Chapi-
tre III, Section C. Voir également l’avis de droit de l’OFJ (2002), p. 590, sur la qualité des Jénischs
en tant que groupe « autochtone ».
672
RAYKOVA, p. 18.
673
RAYKOVA, pp. 9 et 22-23.
125
La situation juridique des Tziganes en Suisse
674
BANCROFT, pp. 7-8 ; M EYERS, p. 269 ; RAYKOVA, pp. 5-8. Contra POGANY, qui estime que la vulnérabilité
socio-économique des Tziganes d’Europe centrale et de l’Est est telle qu’ils ne possèdent presque
plus d’identité culturelle propre suffisante pour constituer une minorité au sens du droit internatio-
nal ; POGANY (2006), pp. 8-10.
675
Notamment en Bulgarie, en ex-Tchécoslovaquie, en Roumanie ou encore en Pologne. RAYKOVA, p.
22.
676
POGANY (1999), pp. 160-161.
677
BANCROFT, p. 8. Comp. l’ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 55-59,
CEDH 2005-... faisant état de la situation socio-économique précaire et des sentiments anti-Rrom
prévalant dans notamment en Bulgarie.
678
BANCROFT, pp. 40-42.
679
BANCROFT, p. 40.
126
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
680
Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission européenne, « La situation
des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 47, n° 11.
681
MEYER, p. 269.
682
Résolution du Conseil des ministres de l'Education de la Communauté européenne, du 22 mai 1989,
relative à la scolarisation des enfants tsiganes et voyageurs (89/C 153/02). Rapport de l’assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en Europe », § 26.
683
MARCHAND, pp. 140-141 ; POGANY (1999), p. 158. Voir également le Rapport de l’assemblée parle-
mentaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en Europe », § 26.
684
BANCROFT, p. 45 ; POGANY (1999), p. 154.
685
BANCROFT, pp. 45-46.
127
La situation juridique des Tziganes en Suisse
tion raciale686. A ce jour, toutefois, tous les Etats européens n’admettent pas
cette qualité à leur égard, malgré les recommandations du Conseil de l’Europe
et de l’Union européenne dans ce sens687.
686
L’Union européenne constate que ceci n’est pas encore possible dans certains Etats membres de
l’UE, tel que l’Irlande, du fait du refus des autorités de considérer les Tziganes qui ne sont pas de
souche irlandaise comme formant une ethnie; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales »
de la Commission européenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004,
p. 47, n° 11.
687
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 16 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission euro-
péenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 4, n° 18.
688
Voir en outre nos développements relatifs aux prétentions des Tziganes en matière
d’autodétermination « interne », infra Chapitre III, Section B.
689
MEYER, p. 295.
690
MARCHAND, p. 157 ; MEYER, p. 268, en particulier note 12.
691
Comp. au contraire MEYER, p. 269, qui affirme – sans autre explication - que « if we delete the re-
quirement of « being nationals of the State », the Roma qualify as a minority according to Capotor-
ti’s influential definition (…) »
692
MARCHAND, p. 139 ; WORMS, pp. 191-192.
693
On rapportera ici la situation d’environ 100'000 Rroms qui devinrent apatrides de jure lors de la
transition entre la Tchécoslovaquie et la République tchèque : la loi sur la nationalité de cette der-
nière de 1993 fut en effet rédigée de façon à empêcher indirectement les Rroms de devenir citoyens
tchèques alors qu’ils possédaient auparavant la nationalité tchécoslovaque. Cette situation fut dé-
128
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
noncée tant par le Conseil de l’Europe que le Haut commissaire aux réfugiés des Nations Unies ;
MARCHAND, p. 139 ; MEYER, p. 295.
694
Comp. ALEXANDERSON, p. 3.
695
Voir la Recommandation n° (83) 1 du Conseil des Ministres du 22 février 1983: « Notant que de
nombreux nomades se heurtent à des difficultés en ce qui concerne leur statut juridique, particuliè-
rement en matière de déplacement et de séjour, parce qu'ils n'ont pas d'attaches suffisantes avec
un Etat déterminé sur le plan de la nationalité ou de la résidence (…) ».
696
HENRARD (2004), p. 192 ; TSEKOS, pp. 28-29.
697
Ainsi, le Comité des droits de l’homme estime que l’art. 27 Pacte II s’applique à la population ber-
bère nomade se trouvant sur les territoires marocain et algérien, malgré le refus de reconnaissance
exprimé par les autorités de ces deux pays. Voir ainsi les Conclusions du Comité des droits de
l’homme, UN Doc. CCPR/C/SR.1096, § 56 et SR. 1128, § 46, 52, 57, 61. PRITCHARD, p. 183.
698
PRITCHARD, p. 182.
699
Voir infra Chapitre IV, Section B.
700
HENRARD (2004), p. 192. Voir par ex. la décision de la Commission européenne des droits de
l’homme Kalderas Gipsies c. République fédérale d’Allemagne et les Pays-Bas, n° 7823/77-7824/77,
du 6 juin 1977, D.R. 11, p. 234.
701
POGANY (1999), p. 163.
702
Supra Section 3.2.
129
La situation juridique des Tziganes en Suisse
444. A priori, des Tziganes nomades en transit dans un Etat où se trouve dé-
jà une communauté tzigane « indigène » devraient donc pouvoir bénéficier
d’une certaine protection au regard du droit des minorités. En effet, il s’avère
que le nomadisme transfrontalier des Tziganes est précisément l’une des parti-
cularités découlant de leur identité culturelle. Il n’est pas possible de les com-
parer strictement à des touristes étrangers en vacances, à des réfugiés ou en-
core à des immigrants désireux de résider durablement dans un Etat étranger.
445. Il nous paraît ainsi contradictoire de déclarer protéger la minorité tzi-
gane et ses traditions en ne prenant pas en compte la réalité de la dimension
transfrontalière. Certes, le passage de Tziganes nomades dans un Etat étranger
n’est que transitoire. Toutefois, il requiert la prise de mesures adéquates pour
assurer que leur séjour se réalise dans le respect de leurs droits fondamentaux
et des besoins découlant de leur identité minoritaire703.
446. Dès lors, on se référera aux propositions de Asbjörn EIDE. Rappelons
que cet expert défend l’idée d’intégrer les étrangers établis depuis longtemps
aux minorités se trouvant d’ores et déjà dans un Etat et qui sont constituées
d’une majorité de citoyens. Ces étrangers ne créent donc pas une « nouvelle »
minorité, et sont en tout cas au bénéfice de la tolérance et de la protection dont
fait preuve l’Etat à l’égard de ses citoyens minoritaires, en vertu du droit des
minorités. Savoir s’ils doivent bénéficier d’éventuelles mesures spéciales se dé-
termine au cas par cas704.
447. A notre sens, cette approche permet d’inclure des Tziganes nomades
étrangers de passage dans le cercle de la minorité tzigane « indigène » de l’Etat
où ils se trouvent. Ce faisant, on leur confère une protection additionnelle à
celle dont ils bénéficient en tant que particuliers, en application du régime des
droits de l’homme et il est admis que leur transit est l’expression d’une culture
minoritaire digne de protection.
448. Toutefois, savoir s’ils peuvent bénéficier des mesures étatiques spécifi-
ques que l’Etat offre à ses ressortissants tziganes est une question qui peut res-
ter ouverte. En effet, le transit de Tziganes nomades étrangers pose essentiel-
lement la question de leur accueil et du stationnement de leurs caravanes.
Nous aurons l’occasion de revenir de façon détaillée sur les fondements juridi-
ques de l’obligation de créer des places adéquates et suffisantes. A ce stade,
nous nous contenterons de souligner que leur aménagement n’est pas uni-
quement imposé par le droit des minorités, mais également par plusieurs
droits individuels705.
449. En outre, comme nous pourrons le constater ultérieurement en analy-
sant spécifiquement la situation en Suisse, négliger de prendre en compte les
703
GILBERT (1996), p. 166 et 176-177.
704
Supra Section 3.2.
705
Infra Titre Troisième, Chapitre II et Chapitre III.
130
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
2.5. Appréciation
451. Les considérations qui précèdent indiquent que les divers arguments
qui font douter de la qualité de minorité des Tziganes, au sens du droit inter-
national, peuvent être remis en cause. Ainsi, le droit des minorités est applica-
ble aux Tziganes, sédentaires ou nomades, dans leurs relations avec l’Etat dont
ils ont la nationalité. Les Etats doivent donc respecter, protéger et mettre en
œuvre des mesures à l’égard de leur communauté tzigane, qui constitue une
minorité ethnique.
452. La reconnaissance de l’ethnicité des Tziganes est fondamentale. En ef-
fet, sans cette caractéristique objective, la protection du système universel n’est
pas garantie. Ainsi, on relèvera que l’Allemagne a déclaré accepter d’appliquer
la CPMN aux Tziganes allemands, bien que selon son gouvernement, ils ne
puissent être qualifiés de minorité, car ils n’en rempliraient pas les conditions
nécessaires708. En conséquence, ils bénéficient de la protection de la CPMN,
mais non de l’article 27 Pacte II.
453. Le facteur du nomadisme transfrontalier a toutefois pour conséquence
que les Etats peuvent se retrouver confrontés à des Tziganes étrangers de pas-
sage. L’évolution de la pratique internationale en la matière démontre qu’il
n’est pas possible de les exclure a priori du champ de protection du droit des
706
Voir nos constatations supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C.
707
Infra Titre Troisième, Chapitre III.
708
HEINTZE (art. 3), p. 114 ; Rapport de la Division « Emploi et affaires sociales » de la Commission eu-
ropéenne, « La situation des Rom dans une Union européenne élargie », 2004, p. 44, n°2.
131
La situation juridique des Tziganes en Suisse
709
Infra, Titre Troisième, Chapitre II et Chapitre III.
710
Voir notamment les Observations finales du CDH, du 22 août 2003, relatives au deuxième rapport
périodique de la Slovaquie, UN Doc. CCPR/CO/78/SK, §11-12 et 16-20, mais également celles relati-
ves au second rapport du Brésil, du 1er décembre 2005, UN Doc. CCPR/C/BRA/CO/2, §20, où le Co-
mité des droits de l’homme s’inquiète de l’absence d’informations fournies par le gouvernement bré-
silien sur la situation de la communauté tzigane dans cet Etat et du respect des garanties offertes
par les art. 2, 26 et 27 Pacte II.
711
Voir notamment les Observations finales du CESCR relatives au rapport initial de la Grèce, du 7 juin
2004, UN Doc. E/C.12/1/Add. 97, notamment § 11 et 32.
712
PRITCHARD, p. 182.
713
Constatations du CDH, du 25 octobre 1985, relatives à la Communication n° 170/1984, E.H. c. Fin-
lande, § 5. NOWAK (art. 27), N. 26, p. 650.
132
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
456. A teneur de son article 1er, al. 1, la CIERD trouve à s’appliquer aux for-
mes de discrimination raciale qui se basent sur « la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Des caractéristiques pure-
ment socio-économiques ne sont donc pas prises en compte par cette conven-
tion qui, par son intitulé et ses objectifs, est plus restrictive sur son champ
d’application que les dispositions relatives à l’interdiction de la discrimination
intégrées dans d’autres instruments internationaux714. Dès lors, le fait que le
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’estime compétent pour
statuer sur les questions touchant à la protection des Tziganes démontre que la
dimension ethnique de ces communautés n’est pas contestée par cet organe.
457. Outre les prises de position du Comité pour l’élimination de la discri-
mination raciale à l’occasion de l’examen des rapports périodiques étatiques715,
on se référera aussi à son Observation générale n°27, du 16 août 2000, relative
à la discrimination à l’égard des Rroms716. Dans ce cadre, le Comité fait état
des discriminations raciales à l’égard des Rroms et des autres groupes de
« Voyageurs », et enjoint notamment les Etats à prendre une série de mesures
destinées à les protéger contre tout acte de violence fondé sur des motifs tou-
chant à la discrimination raciale717.
714
Ainsi, l’Observation générale n°8 du CERD traite exclusivement de l’appartenance à un groupe racial
ou ethnique pour déterminer le champ d’application personnel de la CIERD. Voir également
l’Observation générale n° 18 du CDH, § 6-7, concernant la portée générale de l’art. 26 Pacte II, à
opposer aux cas de discriminations spécifiques couverts par les champs d’application plus restreints
de la CIERD (discrimination raciale) et de la CEDAW (discrimination à l’égard des femmes).
715
A titre d’exemples, voir les Conclusions du CERD relatives aux douzième, treizième et quatorzième
rapports périodiques de la Bulgarie, du 16 avril 1997, UN Doc. CERD/C/SR.1205, § 16-36 ; Conclu-
sions du CERD relatives aux premier et deuxième rapports périodiques de la République tchèque, du
13 mars 1998, UN Doc. CERD/C/SR.1255, notamment § 20-22 ; Conclusions du CERD relatives aux
deuxième et troisième rapports périodiques de la Suisse, du 21 mai 2002, UN Doc.
CERD/C/60/CO/14, § 15.
716
UN Doc. A/55/18 Annexe V.
717
Observation générale n° 27 du CERD, § 12-16.
718
Etabli en 1994, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) est un organe
consultatif du Conseil de l’Europe. Composé de deux chambres, la Chambre des Pouvoirs Locaux et
la Chambre des Régions, le CPLRE compte 315 titulaires et 315 suppléants élus des pouvoirs locaux
et régionaux et de fonctionnaires directement responsables devant eux. Le CPLRE vise à assurer la
participation des pouvoirs locaux au processus d’unité européenne. Il examine l’ensemble des ques-
tions d’ordre politique concernant ces pouvoirs, les plus importantes étant l’autonomie locale et ré-
133
La situation juridique des Tziganes en Suisse
134
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
462. Dans les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus
sous l’angle de l’article 8 CEDH à l’occasion de requêtes déposées par des Tzi-
ganes britanniques, les juges de Strasbourg ne qualifient pas la minorité tzi-
gane, se contentant de constater leur qualité de groupe minoritaire vulnéra-
ble727. Toutefois, la reconnaissance de la dimension ethnique de cette commu-
nauté, et non pas uniquement socio-culturelle, transparaît clairement lors de la
constatation de la violation de l’article 14 CEDH pour motif de discrimination
raciale728.
727
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 84, 27 mai 2004 : « La vulnérabilité qui est celle
des Tsiganes du fait qu’ils constituent une minorité signifie qu’il faut accorder une attention spéciale
à leurs besoins et à leur style de vie particulier tant dans le cadre réglementaire pertinent que lors
de la prise de décision dans chaque cas précis (…). » Voir également l’ACEDH Chapman c.
Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, §96, CEDH 2001-I.
728
ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 148, CEDH 2005-…. ROSENBERG
(2005), p. 173.
729
Allemagne, Finlande, Suède, Irlande, Royaume-Uni, Ex-République yougoslave de Macédoine, Slo-
vénie.
730
Danemark, Albanie, Pays-Bas.
731
Autriche, Estonie, Lettonie, Suisse, Luxembourg, Pologne. Ces critères incluent l’infériorité numéri-
que (Suisse), la domiciliation dans l’Etat (Estonie, Luxembourg, Autriche, Pologne), l’existence de
liens solides et durables entre les membres et l’Etat (Estonie, Luxembourg, Autriche, Suisse), la na-
tionalité de l’Etat (Estonie, Luxembourg, Pologne, Suisse), des caractéristiques ethniques, culturel-
les, religieuses ou linguistiques distinctes (Estonie, Luxembourg, Autriche, Suisse), et désir de main-
tenir la culture existante (Estonie). Voir HEINTZE (art. 3), p. 113
732
HEINTZE (art. 3), p. 112.
135
La situation juridique des Tziganes en Suisse
733
Deuxième Avis du Comité consultatif sur le Danemark, du 9 décembre 2004, ACFC/INF/OP/II (2004)
005, §52-53.
734
HEINTZE (art. 3), p. 113.
735
HENRARD (2004), pp. 194-195.
736
Voir ainsi la situation au Danmark : cet Etat affirme que seule la minorité allemande du Jutland mé-
ridonial, excluant ainsi a priori toute autre communauté. Se montrant très critique à l’égard de cette
application très restrictive de la CPMN, le Comité a invité les autorités danoises à revoir leur position
en collaboration avec les communautés en cause. Il a ainsi considéré qu’au regard de la présence
historique d’une communauté tzigane au Danmark, on ne pouvait l’exclure a priori de du champ
d’application de la convention; Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 22 septembre
2002, § 12-24, en particulier § 22. HEINTZE (art. 3), pp. 121-122.
737
Voir, inter alia, les Avis du Comité consultatif relatif à la Hongrie, du 22 septembre 2000, § 18 ; rela-
tif à la Roumanie, du 6 avril 2002, § 27 ; relatif à l’Italie, du 14 septembre 2000, §34-39. HENRARD
(2004), p. 195 ; HOFMANN R. (2005a), p. 23.
738
HEINTZE (art. 3), pp. 113 et 130.
136
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
469. Certes, on ne peut que saluer le refus du Comité d’avaliser les posi-
tions étatiques discutables au regard du principe de la bonne foi et de
l’interdiction de la discrimination. Cependant, à notre sens, il n’en demeure
pas moins que seul un changement de la politique officielle des Etats à l’égard
des minorités qu’ils ne souhaitaient pas inclure dans un premier temps est à
même de véritablement modifier leur situation et de les faire bénéficier des
dispositions de la CPMN. L’attitude critique du Comité constitue une pression
politique indéniable, mais elle demeure sans effet sans réaction formelle des
autorités.
470. Malgré les débats nourris à ce sujet, nous avons pu conclure qu’il
n’existe pas d’obstacles pour conférer aux Tziganes la protection du droit des
minorités. Dans chacun des Etats où ils se trouvent, ils forment en effet une
minorité remplissant les conditions pour être qualifiée comme telle. Cette qua-
lification et cette protection s’avèrent nécessaires en raison de la fragilité de
leur situation, de la précarité de leurs conditions de vie et de la discrimination
à laquelle ils sont exposés.
471. La protection universelle découlant de l’article 27 Pacte II et de la
Déclaration des Nations Unies de 1992 joue un rôle particulièrement important
dans ce contexte, et ce malgré l’existence du système régional européen insti-
tué par la CPMN. En effet, bien que ce dernier soit formellement plus déve-
loppé, aussi longtemps qu’un Etat refuse d’intégrer les Tziganes, y compris ses
propres ressortissants, dans le cercle des bénéficiaires de la CPMN, aucune po-
litique fondée sur cet instrument ne sera élaborée à leur égard739.
472. Ainsi, dépendant de la volonté des Etats, premièrement, de ratifier la
CPMN740 et, deuxièmement, de reconnaître les Tziganes au titre de minorité, le
système régional européen de protection des minorités n’offre pas encore une
protection optimale de cette communauté sur le continent européen. Certes,
l’action du Comité consultatif sur cette question doit être saluée, mais elle est
naturellement limitée au second aspect du problème, puisqu’il n’a aucune in-
fluence sur la position des Etats qui refusent de ratifier la CPMN, comme la
France par exemple. Si l’Union européenne et le Conseil de l’Europe invitent
leurs Etats membres à agir dans ce sens, leurs incitations sont de nature politi-
que et n’ont pas de caractère contraignant.
739
HENRARD (2004), p. 192 ; MEYER, p. 298.
740
Ce constat est certes également valable pour le Pacte II, mais ce dernier a été ratifié par l’ensemble
des Etats du continent européen.
137
La situation juridique des Tziganes en Suisse
741
Voir également nos développements approfondis sur la portée matérielle du droit des minorités pour
les Tziganes en Suisse, infra Titre Troisième, Chapitre I.
742
MEYER, p. 300.
743
Dans ce sens, voir PROJECT ON EHTNIC RELATIONS (2003), pp. 8-9 et 12-13. Voir également la Recom-
mandation 1557 (2002), §6.
744
MEYER, p. 300.
138
Titre Deuxième - Le droit international des minorités
745
Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 11 janvier 1993, « Les Tsiganes en
Europe », § 27.
139
La situation juridique des Tziganes en Suisse
140
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
480. Après avoir exposé les éléments distinguant les notions de minorité,
de peuple et de peuple autochtone (A.), nous discuterons de la possibilité de
qualifier les Tziganes de « peuple » et de la légitimité à établir un parallèle en-
tre eux et les peuples autochtones (B.). Dans un troisième temps, nous analyse-
rons le travail réalisé par l’Organisation internationale du travail en matière de
protection spécifique des droits des peuples autochtones, et en particulier sa
Convention n° 169 relative aux droits des peuples indigènes et tribaux, ainsi
que son applicabilité aux Tziganes (C.).
481. Pour cerner au mieux la problématique des liens pouvant exister entre
les Tziganes et le droit des peuples autochtones, il sied de préciser au préalable
la notion de « peuple » (1.), de rappeler ses rapports avec celle de « peuples au-
tochtones » (2.) et de clarifier leurs différences par rapport aux minorités et
leur système de protection (3.).
1. La notion de « peuple »
746
GILBERT (1996), p. 167 ; PARK, p. 70.
747
UNESCO, International Meeting of Experts on Further Study of the Concept of the Rights of Peoples,
Paris, 27-30 novembre 1989. BAER, p. 254. Voir également PARK, pp. 83-84, et références.
748
Voir supra Chapitre II, Section A, 3.2.2., a.
749
PARK, p. 84 ; PENTASSUGLIA (2002B), pp. 303-304.
141
La situation juridique des Tziganes en Suisse
750
GILBERT (1996), pp. 167-168 et références.
751
Observation générale n° 21 du CERD, §4 ; PARK, pp. 73-74 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 304-307. Au
sujet de ces deux facettes, voir également SUKSI, p. 201.
752
Voir notamment PARK, p. 74.
753
BAER, p. 253 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 306 ; SUKSI, p. 198.
754
Observation générale n° 23 du CDH, § 3.1. Voir également les Constatations du CDH, du 26 mars
1990, relatives à la Communication n°167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, § 13.3. EIDE/DAES, §
10 ; PARK, p. 70 ; PENTASSUGLIA (2002b), p. 307.
755
PARK, pp. 81-82 ; SUKSI, pp. 200-201.
756
Observation générale n° 23 du CDH, § 3.2. Comp. également l’art. 8 § 4 de la Déclaration des Na-
tions Unies de 1992. PENTASSUGLIA (2002b), p. 308.
757
Infra Section 2.2.
142
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
758
BAER, p. 256-257 ; PARK, p. 81 ; TAHVANAINEN, pp. 410-417. Comp. la Résolution de l’Assemblée gé-
nérale des Nations Unies, du 19 décembre 2001, UN Doc. A/RES/56/141.
759
Nous aurons l’occasion de revenir sur la question des droits de participation des minorités ultérieu-
rement, à l’occasion de notre analyse portant sur leur portée pour les Tziganes en Suisse, infra Titre
Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.
760
PENTASSUGLIA (2002b), pp. 315-324. Voir également Jungwon PARK, Integration of Peoples and Mino-
rities : An Approach to the Conceptual Problem of Peoples and Minorities with Reference to Self-
determination under International Law, IJMGR, vol. 13, 2006, pp. 69-93. Au sujet de la protection
des minorités par le biais du droit à l’autodétermination interne, voir en particulier EIDE/DAES, §10 ;
PARK, pp. 75-79.
761
Les Nations Unies traitent ainsi de la « Décennie internationale des populations autochtones », du
projet de « Déclaration internationale sur les droits des peuples autochtones », ou encore du Rap-
porteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations
autochtones.
762
Infra Section C, 2. Pour un aperçu synthétique des quatre principales théories relatives à la signifi-
cation et la portée de l’expression « peuple indigène », voir THORNBERRY (2002), pp. 35-41. Voir par
ailleurs la définition influente élaborée par le Rapporteur spécial des Nations Unies J. MARTINEZ-
COBO : « Indigenous populations are composed of the existing descendants of the peoples who in-
habited the present territory of a country wholly or partially at the time when persons of a different
culture or ethnic origins arrived there from other parts of the world, overcame them and, by
conquest, settlement or other means, reduced them to a non-dominant or colonial condition ; who
today live more in conformity with their particular social, economic and cultural customs and tradi-
tions than with the institutions of the country of which they now form part, under a State structure
which incorporates mainly the national, social and cultural characteristics of other segments of the
population which are predominant. » UN Doc. E/CN.4/Sub.2/L.566, §34.
143
La situation juridique des Tziganes en Suisse
lant de par le monde, que celles-ci concernent des « peuples tribaux » ou des
« peuples indigènes » stricto sensu.
491. Malgré l’absence de définition, il est possible de dégager des indices,
non cumulatifs, permettant de qualifier un groupe de « peuple autochtone». La
présence d’un lien étroit et d’ordre spirituel avec un territoire est un facteur
largement admis et répandu dans la pratique internationale763. L’existence de
caractéristiques identitaires ancestrales de nature sociale, culturelle, économi-
que et politique est un critère de poids. Le critère de la colonisation est impor-
tant, ainsi que l’existence de demandes de compensation pour des injustices
historiques commises à l’égard de ces groupes et de leurs membres. Le fait
qu’une communauté ait réussi à survivre et à maintenir son identité propre
malgré une oppression continue est également pertinent764.
763
TAHVANAINEN, pp. 407 et 409-410. Comp. l’art. 25 du projet de Déclaration relative aux peuples au-
tochtones, mais également l’art. 13 al. 1 de la Convention n° 169 de l’OIT, examinée ci-dessous
plus en détail.
764
BAER, p. 247 ; THORNBERRY (2002), p. 409.
765
Voir également PENTASSUGLIA (2002b), pp. 314-315.
766
EIDE/DAES, § 11-16.
767
Au sujet de cet enjeu, voir BAER, p. 254.
768
Au sujet du caractère collectif des droits des peuples autochtones, voir EIDE/DAES, § 2.c.
769
BAER, p. 254.
144
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
tones »770. De même, selon l’ancienne présidente du Groupe de travail des Na-
tions Unies sur les peuples autochtones, la seule différence entre les
« peuples » et les « peuples autochtones » est que seuls les premiers ont pu
exercer leur droit à l’autodétermination771.
495. Ainsi qu’en témoigne l’article 1er al. 3 de la Convention n° 169 de l’OIT
cité ci-dessus, les Etats se montrent très réticents à accorder la titularité du
droit à l’autodétermination à leurs peuples autochtones. On peut expliquer
cette réticence par des raisons essentiellement pratiques en rapport avec l’accès
aux territoires et aux ressources naturelles qui s’y trouvent772. Leurs arguments
se fondent sur le fait que ce droit a été consacré en droit international dans le
contexte de la décolonisation, avant que la communauté internationale ne
prenne en compte politiquement les populations autochtones773.
496. La facette interne du droit à l’autodétermination a pris récemment un
poids de plus en plus considérable et les auteurs s’appuient sur cet argument
pour démontrer qu’il n’est pas nécessaire de faire sécession pour pouvoir bé-
néficier d’une certaine forme d’autodétermination. En conséquence, il n’est pas
impossible de concilier le respect de l’intégrité territoriale des Etats et le droit
des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, par le biais d’une autono-
mie accrue en matière décisionnelle et participative, notamment dans les pro-
cessus politiques de prise de décision774.
770
BAER, p. 255-257 et ses références aux observations du CDH relatives aux rapports périodiques de la
Norvège (UN Doc. CCPR/C/79/Add.112/1999, § 17) et du Canada (UN Doc. CCPR/C/79/Add.
105/1999, § 7). Voir également TAHVANAINEN, p. 406.
771
UN Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2, § 72.
772
BAER, p. 257.
773
BAER, p. 257 ; EIDE/DAES, § 13.
774
BAER, p. 256-257 ; HENRARD (2005), p. 135 ; TAHVANAINEN, p. 412. Comp. les art. 4, 19 et 20 du pro-
jet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones.
775
THORNBERRY (2002), p. 34.
776
Pour un aperçu de l’évolution de la protection des droits des peuples autochtones, voir notamment
KETLEY, pp. 331-345 ; THORNBERRY (2002), pp. 61-114 ; VAN GENUGTEN/ PEREZ-BUSTILLO, pp. 379-390
145
La situation juridique des Tziganes en Suisse
777
THORNBERRY (2002), p. 35.
778
Dans ce sens, voir ainsi Snezana TRIFUNOVSKA, One Theme in Two Variations – Self Determination for
Minorities And Indigenous Peoples, IJMGR, vol 5, 1997, p. 186.
779
THORNBERRY (2002), p. 415.
780
HEINTZE (1993), p. 312 ; KETLEY, pp. 333-334 ; THORNBERRY (2002), pp. 414-416.
146
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
clusion sociale dans le respect de sa différence. Par contre, les normes concer-
nant les peuples autochtones ont pour objectif de leur donner suffisamment de
pouvoir décisionnel propre, c’est-à-dire de parvenir à une certaine forme
d’autodétermination, tout en leur donnant la possibilité – s’ils le souhaitent –
de participer à l’ensemble de la société781. On constate ainsi à nouveau que le
critère du droit à l’autodétermination joue ici un rôle crucial pour distinguer
entre « peuples autochtones » et « minorités »782.
503. Ces revendications sont reprises dans le projet de Déclaration des Na-
tions Unies relative aux droits des peuples autochtones783, adopté le 29 juin
2006 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et qui recom-
mande à l’Assemblée générale de le suivre sur ce point784.
504. Il s’agit de l’instrument relatif aux droits collectifs des peuples autoch-
tones le plus avancé à ce jour. Son adoption par le Conseil des droits de
l’homme est un pas décisif vers l’octroi du soutien de la communauté interna-
tionale. Certes, si elle est adoptée, cette future Déclaration ne bénéficiera pas
d’une force juridique contraignante, mais son autorité morale sera incontesta-
ble. Son contenu est révélateur de l’étendue des questions soulevées par les
droits des peuples autochtones785. En l’état actuel du droit, toutefois, la
Convention n° 169 de l’OIT que nous examinerons ci-après est le seul instru-
ment international applicable786.
505. La spécificité des revendications des peuples autochtones a pour effet
que qualifier les peuples autochtones de minorités ethniques, religieuses ou
linguistiques au sens du droit international est problématique, puisque certai-
nes de leurs difficultés ne peuvent pas être résolus par les solutions dévelop-
pées par le droit des minorités787. En effet, rappelons que les droits des minori-
tés sont des droits individuels pouvant être exercés en groupe, tandis que les
revendications des peuples autochtones, à l’instar des peuples au sens du droit
international, ont une connotation essentiellement collective788. Jusqu’à un cer-
tain point, toutefois, le droit des minorités parvient à offrir quelques réponses
aux peuples autochtones789.
781
Comp. les art. 2§2 et 2§3 de la Déclaration sur les droits des minorités de 1992 et les art. 7 et 8 de
la Convention n° 169 de l’OIT. Voir également EIDE/DAES, §8.
782
BAER, p. 254.
783
UN Doc. E./CN.4/Sub.2/1994/2/Add.1.
784
UN Doc. A/HRC/1/L.3.
785
Pour un aperçu et un commentaire des dispositions de ce projet de Déclaration, voir KETLEY, pp.
343-344 ; VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, pp. 383-386. Pour une synthèse du travail des Nations
Unies sur la question, voir BAER, pp. 248-253.
786
EIDE/DAES, § 2c et § 6.
787
NOWAK (art. 27), N. 31, p. 652 ; SCHABAS, p. 119.
788
BAER, p. 254 ; EIDE/DAES, §5 et §8.
789
PRITCHARD, p. 251 ; SCHABAS, p. 119 ; SWEPSTON (2005), pp. 59-60.
147
La situation juridique des Tziganes en Suisse
506. Tant dans ses Observations finales790 que dans ses constatations relati-
ves à des communications individuelles791, le Comité des droits de l’homme
n’hésite pas à appliquer l’article 27 Pacte II lorsque ses éléments constitutifs
sont réalisés par un peuple autochtone792. Le développement de la pratique du
Comité des droits de l’homme sur cette disposition est d’ailleurs particulière-
ment redevable des requêtes déposées par des personnes appartenant à des
peuples autochtones793.
507. Cette approche est confirmée au niveau régional, puisque la CPMN
trouve également à s’appliquer aux Saamis, bien que ces derniers soient re-
connus comme constituant un groupe indigène au sens de la Convention n°
169 de l’OIT794. Selon le Comité consultatif, en effet, la reconnaissance d’un
groupe en tant que peuple indigène ou tribal n’exclut pas ses membres de la
protection de la CPMN si ces derniers souhaitent se référer à cet instrument795.
D’après le Comité consultatif, le fait de pouvoir se prévaloir d’une certaine
forme de protection juridique découlant de la reconnaissance d’un statut spéci-
fique ne peut justifier, en soi, l’exclusion de toute autre forme de protection796.
508. Néanmoins, plus encore que les prétentions des personnes apparte-
nant à des minorités, les demandes des peuples autochtones présentent une
connotation collective et autonomiste beaucoup plus importante, que cela soit
du point de vue de leur exercice que de l’identité de leurs bénéficiaires797. En
effet, les demandes des peuples autochtones relatives à l’accès aux ressources,
790
A titre d’exemples, voir les observations finales du CDH relatives aux rapports périodiques de
l’Australie, du 24 juillet 2000, §514-518, UN Doc A/55/40, et du Brésil, du 1er décembre 2005, §6 et
§ 20, UN. Doc CCPR/C/BRA/CO/2.
791
Voir par exemple les constatations du CDH relatives aux communications suivantes : n° 24/1977,
Sandra Lovelace c. Canada, du 29 décembre 1977; n° 197/1985, Ivan Kitok c. Suède, du 10 août
1988; n°167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, du 26 mars 1990. Voir également SCHEININ, pp. 5-
9.
792
EIDE/DAES, § 17 ; NOWAK (art. 27), N. 29-30, p. 651.
793
NOWAK (art. 27), N. 30, p. 651 ; SCHABAS, p. 119. Voir l’Observation générale n° 23 du CDH, § 7.
794
BAER, pp. 247-248 ; THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 122. Voir ainsi l’opinion de la Suède exprimée
dans son rapport initial qui inclut dans ses minorités nationales les Saamis « who are also an indi-
genous people » ; ACFC/SR(2001)003, pp. 5-6. Comp. la déclaration de la Norvège qui affirme que
puisque les Saamis sont protégés en Norvège par la Convention n° 169 de l’OIT, la CPMN ne leur
sera pas appliquée en raison de la protection moins étendue qu’elle leur offre, bien que les autorités
norvégiennes les considèrent comme formant une minorité nationale ; Rapport initial de la Norvège,
ACFC/SR(2001)001, p. 2.
795
Avis du Comité consultatif relatif à la Norvège, du 13 février 2003, ACFC/INF/OP/I (2003) 003, §19.
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 122.
796
Avis du Comité consultatif relatif au Danemark, du 22 septembre 2000, ACFC/INF/OP/I (2001) 005,
§ 17.
797
THORNBERRY (2002), p. 414 ; VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILO, p. 380.
148
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
511. Selon François RIGAUX, bien plus qu’une « simple » minorité, les Tzi-
ganes forment un peuple dont la particularité est non seulement d’être disper-
sé, mais également d’être sans Etat802. Nous avons pu constater que la notion
de « peuple » implique la présence d’une unité d’origine, d’histoire, de culture
et d’identité entre ses membres. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir que les
auteurs qui conçoivent le concept d’ethnie de façon restrictive, en tant que sy-
798
HEINTZE (1993), p. 316.
799
Observation générale n° 23 du CDH, § 5.3 ; Constatations du CDH, du 27 octobre 2000, relatives à
la Communication n°547/1993, Apirana Mahuika et al. c. Nouvelle-Zélande. JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN
N. 24.17, p. 761 ; PENTASSGLIA (2002b), p. 308. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES,
§ 18.
800
Dans ce sens, THORNBERRY (2002), p. 416.
801
HEINTZE (1993), pp. 313-314 et 317.
802
RIGAUX, p. 162.
149
La situation juridique des Tziganes en Suisse
nonyme de celui de race, rejettent l’idée que les Tziganes forment « une » eth-
nie du fait de l’hétérogénéité de leurs communautés803.
512. Or, malgré certaines différences de fond entre les diverses origines des
communautés et les langues que parlent les communautés tziganes à travers
l’Europe, elles partagent de nombreux points communs historiques, culturels
et linguistiques804. Ainsi, plusieurs experts n’examinent la situation des Tziga-
nes que sous un angle global et général, constatant la diversité des groupes
tout en la rattachant à des facteurs historiques liés à leur dispersion territoriale
au cours des siècles805.
513. Une partie de la doctrine souligne la difficulté de traiter de l’existence
d’une « identité nationale » liant l’ensemble des Tziganes, allant jusqu’à la qua-
lifier d’artificielle, du fait qu’il s’agit essentiellement d’une abstraction conçue
et développée chez les non-Tziganes806. Néanmoins, elle relève son utilité po-
tentielle ainsi que l’importance et le poids que ce concept possède d’un point
de vue juridique et politique. Ces auteurs reconnaissent également sa capacité
à promouvoir la cohésion entre des communautés dont les fractures trouvent
leurs raisons dans la dispersion territoriale, les frontières étatiques et les diffé-
rentes politiques appliquées par les Etats à leur égard807.
514. Au-delà de ces considérations, on ne peut que constater la similarité
non seulement du rejet dont ces communautés font l’objet, mais aussi des pro-
blèmes qu’elles rencontrent en matière d’exclusion et de précarité socio-
économique, que cela soit dû à l’exercice du nomadisme ou à la ghettoïsation
spatiale et économique dans les anciens pays communistes808. Quel que puisse
être leur mode d’expression, l’exclusion, la ségrégation, la discrimination et
l’isolation sont ainsi des phénomènes communs rencontrés par les Tziganes
dans les pays où ils se trouvent809.
515. En outre, ces différents groupes sont considérés comme formant une
seule communauté, sans aucune distinction, lors de l’application de politiques
d’exclusion, ce qui contribue également à entretenir une cohésion commune
face à l’extérieur810. On rappellera aussi la politique de différenciation et de
803
ALEXANDERSSON, p. 2. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.2.2.
804
MEYER, p. 297. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.2.2.
805
Voir ainsi, MARCHAND, pp. 24-25, qui traite des « Tsiganes » dans leur ensemble et discute de leur
« ethnicité » d’une manière globale (pp. 143-145) ; MEYER, pp. 268-269, utilise le nom de « Roms »
pour également parler des Tziganes aux origines non-indiennes (p. 268, note 9), tout en abordant
la question de leur dimension ethnique de façon générale (p. 269).
806
POGANY (1999), pp. 157-158.
807
BANCROFT, pp. 46-47 ; POGANY (1999), pp. 156-158.
808
BANCROFT, p. 60 ; Rapport du Haut Commissaire de l’OSCE sur les minorités nationales, du 22 sep-
tembre 1999, RC.GAL/2/99, p. 1.
809
Voir les développements approfondis de BANCROFT, p. 51-77, sur la ségrégation spatiale et sociale
des Rroms et des autres groupes tziganes à travers l’Europe.
810
MARCHAND, pp. 26-27. Au sujet de l’influence cruciale des injustices historiques sur l’auto-
indentification des groupes, en particulier des Saamis et des Tziganes, voir Lukas H. MEYER, Trans-
150
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
2. Le facteur de l’autodétermination
national Autonomy : Responding to Historical Injustice in the Case of the Saami and Roma Peoples,
International Journal on Minority and Group Rights, vol. 8, 2001, pp. 263-301, et notamment p.
266.
811
BANCROFT, pp. 45-46 ; POGANY (1999), p. 154.
812
RIGAUX, p. 165.
813
MALLOY, pp. 23-24 ; MEYER, p. 268. Voir également supra Chapitre II, Section B, 2.3.
814
MALLOY, pp. 24-25.
151
La situation juridique des Tziganes en Suisse
sance. Toutefois, ainsi que nous allons le constater ci-après, les principaux
concernés formulent des prétentions qui touchent à la facette interne de
l’autodétermination.
520. Le débat entourant l’existence d’un peuple tzigane serait inutile si les
Tziganes eux-mêmes ne témoignaient aucun intérêt pour cette question. Or,
depuis le début des années 1990, les Tziganes cherchent à trouver une voie qui
devrait leur permettre de mieux se faire entendre, c’est-à-dire de s’exprimer
d’une seule voix.
521. En effet, leurs élites constatent, d’une part, la nécessité de respecter
leur pluralité culturelle, puisque ce sont les facteurs culturels et socio-
linguistiques qui forment la base de l’identité propre de chaque communauté
et qui s’avèrent fondamentaux en raison de l’absence de rattachement géogra-
phique. D’autre part, ils jugent nécessaire de réussir à exprimer une politique
et des besoins communs815, impératif exprimé de plus en plus systématique-
ment par les organisations internationales et les pouvoirs locaux et nationaux à
titre de condition préalable pour réaliser une coopération plus efficace avec les
gouvernements816.
522. Leurs associations représentatives ont pour objectif l’amélioration des
conditions de vie des Tziganes, la lutte contre les discriminations dont ils font
l’objet et la reconnaissance de la validité de leur identité culturelle et des
conséquences découlant de son exercice concret, principalement le respect du
voyage et de ses effets liés à l’enseignement, au travail, à la santé, aux places
de stationnement, à l’identification, ou encore à la traçabilité des personnes817.
Pour ce faire, les Tziganes cherchent à s’organiser de façon institutionnelle de
manière à obtenir des droits de participation aux divers processus de prise de
décisions qui les concernent en particulier818.
523. Deux principales difficultés se dégagent de cette situation. Première-
ment, on relèvera le besoin de concilier l’exigence moderne, politique et juridi-
que, de l’adoption d’un nom commun, pour améliorer la visibilité internatio-
nale de la communauté, et faire preuve de crédibilité. Deuxièmement, il existe
une nécessité culturelle et identitaire de maintenir au sein des communautés
tziganes une diversité perçue par l’extérieur comme une disparité, mais qui est
815
ODIHR, The ODIHR Contact Point for Sinti and Roma Issues – an Overview, Pologne 2001, p. 12.
816
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS, 2001, pp. 7 et 9.
817
KLIMOVA-ALEXANDER, pp. 14-16 et pp. 22-23.
818
MEYER, p. 296
152
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
en réalité le signe d’une société pluraliste évolutive. Les Tziganes sont ainsi
conscients des risques liés à une affirmation de leur hétérogénéité, synonyme à
la fois de menace pour leur position et de risque de fragmentation politique,
sociale et culturelle qui comporte le risque réel de disparition du groupe819.
524. Certains membres de l’élite tzigane estiment, pour leur part, que la
diversité des communautés tziganes est un fait qui ne peut être contesté. Dès
lors, vouloir les unifier et les uniformiser nierait la réalité, et il reviendrait aux
Etats et aux organisations internationales de gérer cette complexité identitaire,
culturelle et représentative820. Certains activistes intègrent la multiplicité des
identités tziganes et considèrent qu’il faut considérer le groupe dans son en-
semble comme étant ethniquement mixte, considérant le « nationalisme tzi-
gane » comme étant analogue au nationalisme américain, c’est-à-dire fondé sur
un critère volontariste821.
525. La seconde difficulté provient de la méthode de désignation des repré-
sentants tziganes eux-mêmes, des fondements de leur légitimité et de leur re-
présentativité ; dans ce contexte, on observe des tensions entre le souhait de
préserver les mécanismes traditionnels claniques et un désir de basculer défi-
nitivement dans une approche moderne, fondée sur la volonté démocrati-
que822.
526. Ces questions sont étroitement liées à l’identification du cercle des
personnes représentées et, à l’heure actuelle, il est difficile de savoir précisé-
ment si les élites actives au niveau international sont les porte-paroles des or-
ganisations auxquelles elles appartiennent, ceux des minorités ethniques ou
nationales tziganes des Etats dans lesquels elles résident, ceux d’une nation
tzigane dispersée sur le continent européen ou encore ceux d’une minorité
« transnationale » européenne823.
527. Ces hésitations relatives à la méthode à employer pour se faire enten-
dre ne remettent toutefois pas en cause le sentiment des Tziganes d’appartenir
à une communauté globale dépassant leurs familles et clans. En effet, ils
s’expriment de manière de plus en plus organisée et concertée au sein des or-
ganismes internationaux824. En outre, la création en 2005 du Forum européen
pour les Roms et Gens du Voyage825 est un indice illustrant la légitimité et la
nécessité de considérer les Tziganes en tant que communauté unique, dont les
819
RAYKOVA, pp. 10-11.
820
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 7.
821
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 39 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 15.
822
Sur ces questions en particulier, voir PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 13-20.
823
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), p. 9.
824
Au sujet de l’activisme tzigane au sein des instances des Nations Unies, voir Ilona KLIMOVA-
ALEXANDER, The Romani Voice in World Politics – The United Nations and Non-State Actors, Alders-
hots 2005.
825
Au sujet de cet organisme créé sous l’égide du Conseil de l’Europe, infra Titre Troisième, Chapitre I,
Section C, 2.1.3, bb.
153
La situation juridique des Tziganes en Suisse
826
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 12.
827
MEYER, p. 287 et 297-299. MIRGA/GHEORGHE, p.33.
828
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 670. Sur ce débat en particulier, voir également Andrzej MIR-
GA/Nicolae GHEORGHE, The Roma in the Twenty-First Century : A policy, Princeton 1997; PROJECT ON
ETHNIC RELATIONS, Roma and the Question of Self-Determination : Fiction and Reality, Princeton
2003 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS, Leadership, Representation and the Status of the Roma, Prince-
ton 2001.
829
Pour un aperçu détaillé des différentes positions sur cette question, voir PROJECT ON ETHNIC RELATIONS
(2003), pp. 17-27.
830
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 19.
831
MEYER, p. 298.
154
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
la reconnaissance des Tziganes en tant que nation sans Etat, afin de faire de
cette communauté un sujet du droit international832.
532. Soutenue par la République tchèque, cette déclaration a suscité beau-
coup de critiques et commentaires. Toutefois, ces derniers ne portent pas sur le
principe même de l’affirmation de l’unité du peuple tzigane, mais sur
l’opportunité de souhaiter qu’elle soit reconnue juridiquement : pour les criti-
ques, la question essentielle n’est pas seulement liée à sa faisabilité du point de
vue du droit international, mais également sur ce qu’une telle reconnaissance
apporterait dans les faits aux Tziganes833. Nous reviendrons sur cette question
délicate834.
533. A notre sens, le concept d’autodétermination interne possède au-
jourd’hui un poids suffisamment important dans le discours concernant la
protection des « peuples » et des « peuples autochtones » pour ne pas refuser
la qualité de « peuple » aux Tziganes sur la base de l’absence de toute préten-
tion territoriale. Nous allons constater ci-après que cette revendication, cou-
plée à d’autres facteurs spécifiques, conduit à tirer suffisamment de parallèles
avec la situation des peuples autochtones pour que l’on analyse leur situation
sous l’angle du système de protection développé à l’égard de ces populations.
L’éventuelle valeur ajoutée qui pourrait en découler sera examinée dans un se-
cond temps.
832
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 33-34.
833
PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2001), pp. 35-41.
834
Infra Section D.
835
Sur la question centrale de la marginalisation socio-économique et politique des peuples indigènes,
voir VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO ,p. 381.
155
La situation juridique des Tziganes en Suisse
des Tziganes en Europe peut être considérée comme un véritable test pour
éprouver la bonne volonté des Etats du continent à se saisir des problémati-
ques ethniques et autochtones836.
536. Peuples autochtones et Tziganes ont connu une histoire de persécu-
tions étatiques837, une précarité socio-économique particulièrement aigue, une
dépréciation de l’identité culturelle et affirment le désir de perpétuer leurs tra-
ditions et leur identité propre.
537. Juridiquement, ce parallèle est illustré par leur possibilité commune de
se référer aux normes internationales protégeant un mode de vie traditionnel
et une identité culturelle spécifique, notamment l’article 8 CEDH838, ou encore
l’article 15 Pacte I839. De plus, à l’instar de ce qu’exige la protection des droits
des Tziganes, le respect des droits des peuples autochtones sous-entend une
approche des droits de l’homme remettant en cause les catégorisations effec-
tuées traditionnellement dans le domaine, tant du point de vue de leur indivi-
sibilité et interdépendance, que de celui des rapports existants entre droits in-
dividuels et droits collectifs840.
538. A ces facteurs viennent s’ajouter le manque de représentativité politi-
que adéquate de ces communautés et l’absence de participation et de consulta-
tion dans les processus décisionnels les concernant. Dans ce contexte précis,
l’exemple des Saamis et des droits qui leur sont reconnus en tant que peuple
indigène est expressément évoqué à titre de référence pour les Tziganes dans
leur quête d’autonomie culturelle et politique transfrontière841.
539. On évoquera également les difficultés matérielles ou juridiques de ces
groupes à accéder aux tribunaux pour faire valoir leurs droits842 mais égale-
836
THORNBERRY (2002), p. 291.
837
On soulignera, par exemple, les parallèles existant entre la pratique de l’Oeuvre des Enfants de la
grand route en Suisse (supra Titre Premier, Chapitre III, Section B, 2) et la politique australienne
ayant pris place entre la fin du XIXème siècle et les années 1970 et concernant le retraits d’enfants
appartenant à la communauté aborigène et leur placement au sein de la communauté occidentale
dans une optique d’assimilation forcée. A ce sujet, la commission australienne chargée d’évaluer
cette politique a conclu qu’elle était constitutive d’une violation de l’art. II let. e de la Convention
pour la prévention du génocide ; Australian Human Rights and Equal Opportunities Commission,
« Bringing them Home, Report of the National Inquiry into the Separation of Aboriginal and Torres
Strait Islander Children from the Families », pp. 270-275. Voir également SCHABAS, pp. 121-122.
838
Voir l’analyse combinée de la situation des Saamis et des Tziganes en Europe au regard de l’art. 8
CEDH, effectuée tant par THORNBERRY (2002), pp. 297-301 que par HOFMANN R. (2005), pp. 1016-
1018. Voir également notre analyse détaillée de la portée de cette norme, infra Titre Troisième,
Chapitre III, Section B.
839
Au sujet de l’importance fondamentale de l’art. 15 Pacte I pour les droits des peuples autochtones,
du fait que la « vie culturelle » inclut la notion de « culture en tant que mode de vie traditionnel »,
voir THORNBERRY (2002), pp. 194-197. Voir également infra notre analyse détaillée de la portée de
cette norme.
840
Sur l’importance de cette approche globale pour la protection de droits des peuples indigènes, voir
VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 380.
841
MEYER, p. 301.
842
Pour une description des problématiques liées aux droits de personnes indigènes et autochtones :
VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 381.
156
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
843
Voir ainsi Lukas MEYER, Transnational Autonomy : Responding to Historical Injustice in the Case of
the Saami and Roma Peoples, IJMGR, 2001, vol. 8, pp. 263-301 et en particulier, pp. 266-267.
844
HEINTZE (1993), p. 312. VAN GENUGTEN/PEREZ-BUSTILLO, p. 380, soulignent que le cadre émergent de la
protection des droits des peuples indigènes est formé par la relation interactive des procédures in-
ternationales, régionales et nationales.
845
Voir infra Chapitre IV, Section B.
846
Le Conseil d’administration est composé de 56 personnes, dont 28 représentant les gouvernements,
14 les employeurs et 14 les travailleurs (art. 7 al. 1 de la Constitution de l’OIT). L’OIT est composée
d’une Conférence générale des représentants des Etats membres, du Conseil d’administration, et
d’un Bureau international du travail, placé sous la direction du Conseil d’administration (art. 2 de la
Constitution de l’OIT).
847
Points II et III de la Déclaration dite « de Philadelphie » concernant les buts et les objectifs de
l’Organisation internationale du travail, adoptée le 10 mai 1944 par la Conférence générale de l’OIT.
157
La situation juridique des Tziganes en Suisse
848
EIDE, p. 202 ; HEINTZE (1993), p. 310 ; Mémorandum du BIT, 2001, § 22.
849
Art. 19 de la Constitution de l’OIT.
850
TOMEI/SWEPSTON, p. 1. Parmi ces instruments, huit sont considérés comme étant fondamentaux et
doivent être nécessairement ratifiés par les Etats membres, ainsi que l’exige la Déclaration sur les
droits et principes fondamentaux au travail du 18 juin 1998. Ces conventions ont trait à : la liberté
syndicale (Conventions n° 87 et n° 98), l’abolition du travail forcé (Conventions n° 29 et n°105),
l’égalité (Conventions n° 111 et n° 100), et l’élimination du travail des enfants (Conventions n°138
et n°182).
851
HEINTZE (1993), p. 310.
852
De ce fait, cette convention aborde des thèmes tels que les droits relatifs à la terre, le travail et
l’éducation, dépassant dès lors le strict cadre des conditions de travail. De plus, cet instrument re-
connaît le droit de ces groupes à maintenir une identité distincte par rapport aux Etats dans lesquels
ils vivent, ce qui, au vu de sa date d’adoption antérieure aux deux Pactes internationaux des Na-
tions Unies, est progressiste en soi ; SWEPSTON (2005), p. 55. Pour une présentation générale et cri-
tique des dispositions de cette convention, voir THORNBERRY (2002), pp. 327-338.
158
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
« sous-développées »853. Par ailleurs, son article 2 pose à titre d’objectifs non
seulement la protection mais également l’intégration progressive des groupes
concernés. Bien que l’article 4 let. b de la Convention indique clairement que
cette intégration doit être modérée854, la Convention n° 107 a finalement été
considérée comme un outil de colonisation855.
546. Répondant à ces critiques, l’OIT révise la convention, après avoir
consulté les principaux intéressés, et adopte au mois de juin 1989 la Conven-
tion n° 169856. Toutefois, la Convention n° 107 demeure en vigueur pour les
Etats qui l’ont ratifiée jusqu’à ce qu’ils fassent de même avec la Convention n°
169.
547. Ensemble, ces deux instruments représentent les seuls textes juridi-
quement contraignants en vigueur spécifiquement consacrés aux droits des
peuples autochtones857 et sont donc primordiaux en la matière. Bien
qu’adoptés dans le cadre de l’OIT, tous deux présentent la particularité
d’adapter, d’une part, des garanties individuelles universelles aux besoins des
peuples autochtones et, d’autre part, d’offrir des droits spécifiques qu’on ne
trouve dans aucun autre instrument858.
2.2.1. Généralités
853
THORNBERRY (2002), pp. 327-328.
854
Art. 4 let. b Convention n° 107 : « Dans l'application des dispositions de la présente convention re-
latives à l'intégration des populations intéressées, il faudra : (…) prendre conscience du danger que
peut entraîner le bouleversement des valeurs et des institutions desdites populations, à moins que
ces valeurs et institutions ne puissent être remplacées de manière adéquate et avec le consente-
ment des groupes intéressés. »
855
KETLEY, p. 342 ; SWEPSTON (2005), pp. 55-56.
856
TOMEI/SWEPSTON, pp. 3-4.
857
Les travaux des Nations Unies dans ce domaine n’ont d’ailleurs pas encore abouti à l’adoption d’un
quelconque texte spécifique, contraignant ou non, puisque la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones demeure à ce jour au stade de projet ; UN Doc.
E/CN.4/Sub.2/1994/Add.1.
858
THORNBERRY (2002), p. 320.
859
Base de données APLIS de l’OIT, http://webfusion.ilo.org [consulté le 11 août 2006].
860
ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, p. 2.
159
La situation juridique des Tziganes en Suisse
861
SWEPSTON (2005), p. 57 ; Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, Partie I, pp. 8-9.
862
Voir le Mémorandum soumis par le BIT à la Cour internationale de Justice, Affaire des réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ; BIT Bulletin officiel, vol.
XXXIV, n° 3, 1951, pp. 275-315.
863
Certains auteurs les considèrent comme les plus complets existant en matière de supervision de
l’application des normes internationales en matière de droits de l’homme ; SWEPSTON (1992), p. 115 ;
THORNBERRY (2002), pp. 323-324.
864
Ci-après : la Commission d’experts du BIT (site internet de l’Organisation internationale du travail,
http://www.ilo.org, [consulté le 11 août 2006]). Cet organe est composé de vingt juristes nommés
par le Conseil d’administration du BIT, pour un mandat renouvelable de trois ans.
865
A teneur de l’article 22 de la Constitution de l’Organisation internationale du travail du 28 juin 1919
(RS 0.820.1 ; RO 1948 891), les Etats membres doivent rendre des rapports périodiques à la
concernant l’état de leurs engagements contractés sous les conventions qu’ils ont ratifiées. A l’issue
de l’examen des rapports périodiques étatiques, la Commission d’experts du BIT émet des observa-
tions, qui sont des commentaires publiés sur les questions touchant à l’application des traités, ou
des demandes directes, qui sont des questions techniques non publiées adressées directement et
exclusivement aux gouvernements concernés. La reddition et l’évaluation de ces rapports périodi-
ques constitue le système de contrôle régulier du respect des obligations étatiques ; Site internet de
l’Organisation internationale du travail, http://www.ilo.org, [consulté le 11 août 2006]. En Suisse,
depuis 2000, la Commission fédérale tripartite pour les affaires de l’OIT est chargée de la rédaction
de ces rapports périodiques. En effet, la Suisse a ratifié en 2000 la Convention n° 144 concernant
les consultations tripartites destinées à promouvoir la mise en œuvre des normes internationales du
travail, du 21 juin 1976, qui emporte, à son art. 2 al. 1 l’obligation de créer une telle consultation
tripartite (RS 0.822.724.4 ; RO 2003 1620). Voir le Message du Conseil fédéral relatif à la Conven-
tion n° 144, FF 2000 I 292, 332-334.
866
KETLEY, p. 343 ; THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16.
867
La procédure de réclamation au sens des articles 24 et 25 consacre le droit de présenter au Conseil
d’administration du BIT une réclamation contre tout Etat membre qui, selon elle, « n’aurait pas as-
suré d’une manière satisfaisante l’exécution d’une convention à laquelle ledit Membre a adhéré ». Le
Directeur général examine premièrement si les conditions de recevabilité telles qu’énoncées à l’art.
2 al. 2 du règlement concernant la procédure pour l'examen de réclamations sont respectées. Puis,
un comité de trois membres du Conseil d’administration, de composition tripartite, examine la ré-
clamation et la réponse du gouvernement en cause et transmet un rapport au Conseil
d’administration, qui effectue à son tour un examen de la plainte (comp. l’art. 3 al. 1, ainsi que les
160
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
161
La situation juridique des Tziganes en Suisse
population du pays, une organisation sociale, des coutumes et des lois tradi-
tionnelles particulières873.
554. Quant au « peuple indigène », il est constitué de personnes vivant se-
lon un style de vie traditionnel, suivant un mode de vie et une culture différen-
tes des autres parties de la population du pays, qui ont une organisation so-
ciale ainsi que des institutions politiques propres et qui ont vécu historique-
ment dans la même région de façon continue, ou antérieurement à l’arrivée
d’autres populations874,875.
555. La Convention n° 169 cherche ainsi clairement à s’appliquer aussi à
d’autres peuples que ceux possédant un rapport culturel et traditionnel spéci-
fique à un certain territoire ou ayant connu la colonisation. L’expression de
« peuple tribal » est sensible, car elle est souvent associée à la notion de
« primitif » dans son sens négatif de « sous-développé ».
556. Néanmoins, si cette connotation péjorative peut effectivement ressortir
de la Convention n° 107876, elle n’est pas reprise dans le contexte de la Conven-
tion n° 169. Cette dernière reprend ce terme délicat afin de différencier entre
les peuples autochtones, qui se distinguent de la société dominante par des
traits caractéristiques culturels et structurels, formant ainsi des « sociétés dis-
tinctes », d’une part, et les peuples qui peuvent, face à des conquérants, se
prévaloir d’une présence antérieure et prioritaire sur un territoire auquel ils
sont traditionnellement rattachés, d’autre part877.
557. Par ailleurs, les deux lettres de cette disposition mettent en exergue
une autre différence entre ces deux catégories de peuples autochtones : si les
peuples indigènes possèdent certaines institutions politiques propres, les peu-
ples tribaux ne possèdent « que » des coutumes et traditions particulières878.
873
Art. 1er, al. 1, let. a : « La présente convention s'applique (…) aux peuples tribaux dans les pays in-
dépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions
sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes
ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale ».
874
Art. 1er, al. 1, let. b : « La présente convention s'applique (…) aux peuples dans les pays indépen-
dants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient
le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de
la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'Etat, et qui, quel que soit leur sta-
tut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou
certaines d'entre elles ».
875
TOMEI/SWEPSTON, p. 7.
876
Sur la notion de « peuple tribal » et « semi-tribal » au sens de la Convention n° 107, voir THORNBER-
RY (2002), pp. 43-44.
877
THORNBERRY (2002), pp. 39-40 et 43-45.
878
THORNBERRY (2002), p. 45.
162
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
558. A son article 1er al. 2, la convention énonce un critère cumulatif pour
déterminer l’appartenance à de telles communautés, ne dépendant pas de la
reconnaissance étatique879 ; il s’agit d’un critère subjectif qui pose deux princi-
pes. Premièrement, la personne qui s’identifie comme appartenant à un peuple
remplissant les critères objectifs doit être reconnue comme en faisant partie.
Deuxièmement, le groupe qui estime de lui-même qu’il remplit les conditions
de l’alinéa premier doit être reconnu comme étant protégé par la convention.
En ce sens, la Convention n° 169 est le premier instrument international qui re-
connaît explicitement l’auto-identification des peuples indigènes et tribaux à
titre de critère fondamental880.
879
Art. 1er, al. 2 : « Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un cri-
tère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente
convention ».
880
TOMEI/SWEPSTON, p. 8.
881
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 15.
882
Mémorandum du BIT, §10 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 16 et 20.
163
La situation juridique des Tziganes en Suisse
883
MEYER, p. 268 ; TRIFUNOVSKA, p. 186.
884
Rapport du Directeur général du BIT, p. 11, n° 19.
885
Dans ce sens, voir THORNBERRY (2002), p. 291.
886
Supra Section B.
887
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 10-11 ; SWEPSTON (2005), p. 689.
164
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
des sociétés dans lesquelles ils vivent, par l’établissement de droits minima
devant être reconnus et respectés par la pratique des Etats l’ayant ratifiée888.
566. Du fait de la précarité des conditions de vie matérielles et de
l’existence de situations juridiques difficiles, la Commission d’experts du BIT
estime que sa ratification entraîne potentiellement la modification des relations
entre l’Etat, la société majoritaire et les peuples indigènes et tribaux889, et que,
dès lors, son application est d’une « grande complexité » pouvant avoir des
« incidences profondes au sein même de l’ordre constitutionnel des Etats »890.
Son importance est donc significative, la doctrine n’hésitant pas à la qualifier
de « formidable instrument »891.
567. A la différence de la Convention n° 107, la Convention n° 169 utilise
expressément le terme de « peuples », alors qu’auparavant était employée
l’expression « populations », qui n’a aucune portée du point de vue du droit
international892 ; ce choix terminologique n’a donc rien d’anodin et est considé-
ré comme la démonstration de la reconnaissance de droits collectifs à l’égard
de ces groupes893.
568. Néanmoins, si la Convention n° 169 reconnaît par ce biais une certaine
personnalité juridique internationale à ces groupes, elle précise immédiate-
ment, à son article 1 al. 3, qu’il n’est pas de la compétence de l’OIT de se pro-
noncer sur le concept politique d’autodétermination, puisque son mandat ne
recouvre que les droits sociaux et économiques. De cette manière, l’OIT souli-
gne que l’objectif de la convention n’est pas de promouvoir l’autonomie ou
l’indépendance territoriale des peuples indigènes et tribaux, mais de faire naî-
tre une relation de respect entre ces derniers et les autorités étatiques894.
569. La notion de « peuple » qui est utilisée dans le cadre de cet instrument
n’a donc pas d’implication territoriale souverainiste, renvoyant à la facette ex-
terne de l’autodétermination. Cependant, cette restriction n’empêche pas la
Convention de reconnaître la facette interne de ce droit. En effet, elle pose le
principe d’auto-gestion (self-management) en faveur des communautés et af-
firme leur droit de décider de leurs propres priorités en matière économique et
sociale895.
888
Mémorandum du BIT, 2001, § 73.
889
Ainsi, la Commission d’experts du BIT souligne la capacité de la Convention n° 169 à influer sur le
droit positif des pays, en servant de point de repère pour certaines cours suprêmes du continent
américain dans le cadre de litiges opposant gouvernements et peuples indigènes et tribaux ; Mémo-
randum du BIT, 2001, § 74.
890
Mémorandum du BIT, 2001, § 73 ; Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, pp. 11-12.
891
THORNBERRY (2002), p. 417.
892
HEINTZE (1993), p. 316.
893
HEINTZE (1993), p. 315
894
HEINTZE (1993), p. 315 ; Mémorandum du BIT, 2001, §74.
895
TOMEI/SWEPSTON, p. 9.
165
La situation juridique des Tziganes en Suisse
570. La Convention n° 169 est également fondée sur le postulat que le peu-
ples autochtones ont le droit de continuer d’exister en conformité avec leurs
propres identités, de déterminer leurs priorités ainsi que leur propre rythme
de développement et la voie qu’elles souhaitent emprunter, à savoir si elles
souhaitent continuer d’exister en tant que populations distinctes ou non896.
Contrairement à la Convention n° 107, elle s’oppose ainsi à l’intégration pro-
gressive des peuples qu’elle protège897. Son objectif est de leur garantir le plus
grand degré d’autonomie socio-économique et administrative possible898.
571. S’inscrivant dans l’effort fourni par le BIT pour la promotion et la dé-
fense des droits économiques, sociaux et culturels dans le plein respect de
l’interdiction des discriminations, la Convention n° 169 souligne à son article 2
al. 2 let. b l’importance de cette catégorie de droits fondamentaux pour les
membres des peuples indigènes au sein des Etats899. Enfin, cet instrument est
profondément attaché à la reconnaissance des droits collectifs et est, à ce titre,
le premier traité formellement contraignant qui les consacre900.
572. L’approche des droits des peuples tribaux et indigènes qui est promue
par la Convention n° 169 est large. Le cœur de ses dispositions concerne la né-
cessité de respecter l’existence et les modes de vie de ces peuples et de les faire
pleinement participer aux processus décisionnels les concernant. Dans ce
contexte, l’octroi d’importants droits de participation dans un grand nombre
de domaines est l’une des caractéristiques de cette convention901.
573. Ainsi, l’article 2 al. 1er de la Convention peut être considéré comme la
clause générale de cet instrument, énonçant qu’il « incombe aux gouverne-
ments, avec la participation des peuples intéressés, de développer une action
coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de
garantir le respect de leur intégrité »902.
574. Dans ce cadre, des mesures positives doivent être prises, comme le
précise la lettre c de cette disposition : « Cette action doit comprendre des me-
sures visant à : (…) aider les membres desdits peuples à éliminer les écarts so-
cio-économiques qui peuvent exister entre des membres indigènes et d'autres
membres de la communauté nationale, d'une manière compatible avec leurs
896
Comp. l’art. 7 al. 1 de la Convention n° 169.
897
THORNBERRY (2002), p. 345.
898
SWEPSTON (2005), p. 57.
899
Art. 2 al. 2 let. b de la Convention n° 169 : « (…) promouvoir la pleine réalisation des droits sociaux,
économiques et culturels de ces peuples, dans le respect de leur identité sociale et culturelle, de
leurs coutumes et traditions et de leurs institutions. » Voir également SWEPSTON (2005), p. 60 ainsi
que L’administration de la justice, les droits économiques, sociaux et culturels, protection des peu-
ples autochtones et des minorités et prévention de la discrimination à leur égard, Mémorandum du
17 juillet 2001 présenté par le BIT à la Sous-commission de la promotion et de la protection des
droits de l’homme, 53ème session, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2001/24.
900
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16 ; THORNBERRY (2002), pp. 345-346 et 417.
901
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16 ; THORNBERRY (2002), p. 417.
902
HEINTZE (1993), p. 316.
166
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
903
THORNBERRY/MARTIN ESTEBANEZ, p. 16.
167
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ses ressources de façon à prendre en compte les besoins des peuples indigènes
prennent également du sens. Parmi ces derniers, l’article 14 joue un rôle cen-
tral904 : il protège notamment le droit d’accès aux terres qui sont nécessaires
aux peuples pour leurs activités traditionnelles et de subsistance, qui sont el-
les-mêmes promues et protégées par l’article 23 al. 1 de la Convention905.
579. En effet, la question de la création d’aires de stationnement temporaire
ou durable a directement trait au partage du territoire entre groupes nomades
et majorité sédentaire et à son accessibilité. La raréfaction des lieux de station-
nement disponibles trouve ses racines dans une vision de l’espace orientée ex-
clusivement en faveur du mode de vie majoritaire, fondé, dans les sociétés oc-
cidentales, sur la notion de propriété foncière. Or, nous avons déjà établi le lien
direct existant entre le nomadisme des Tziganes et leurs activités économi-
ques906.
580. A titre incident, on remarquera que s’il n’y a pas, en effet, d’antériorité
du point de vue de la présence historique sur les territoires nationaux, il est
possible d’établir une analogie entre, d’une part, le statut de terra nullius attri-
bué aux territoires conquis par les puissances occidentales et, d’autre part,
l’exclusion des besoins des populations tziganes nomades lors de
l’établissement initial des normes relatives à la gestion du territoire.
581. L’importance significative de ce rapport de force relatif à l’usage des
ressources territoriales est, à notre sens, mise en lumière par le fait que le pre-
mier pas vers une reconnaissance concrète des spécificités culturelles tziganes
en Suisse a été réalisé lorsque le Tribunal fédéral a affirmé que les besoins de
ce «groupe de population » devaient être pris en compte lors de
l’aménagement du territoire907.
582. Ce faisant, le Tribunal fédéral a clairement indiqué que, tant d’un
point de vue littéral que figuré, une place devait être aménagée pour cette
904
Art. 14 de la Convention n° 169 : « 1. Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils
occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés. En outre, des mesures
doivent être prises dans les cas appropriés pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d'utili-
ser les terres non exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès
pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Une attention particulière doit être portée à cet
égard à la situation des peuples nomades et des agriculteurs itinérants. 2. Les gouvernements doi-
vent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés
occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de
possession. 3. Des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique
national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples intéres-
sés. »
905
Art. 23 al. 1 de la Convention n° 169 : « L'artisanat, les industries rurales et communautaires, les
activités relevant de l'économie de subsistance et les activités traditionnelles des peuples intéressés,
telles que la chasse, la pêche, la chasse à la trappe et la cueillette, doivent être reconnus en tant
que facteurs importants du maintien de leur culture ainsi que de leur autosuffisance et de leur déve-
loppement économiques. Les gouvernements doivent, avec la participation de ces peuples, et, s'il y
a lieu, faire en sorte que ces activités soient renforcées et promues. »
906
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.1.
907
ATF 129 II 321, 328 Bittel.
168
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
908
Dans ce sens, concernant les Tziganes en Suisse, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp.
35-36.
909
Infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C.
910
Infra Chapitre IV, Section B, 2.
169
La situation juridique des Tziganes en Suisse
911
A titre d’exemple, on relèvera que le Brésil possède également une minorité tzigane, dont la situa-
tion préoccupe notamment le CERD : celui-ci a exprimé son inquiétude face à des allégations de
discriminations que subiraient les Tziganes dans ce pays, en matière d’inscription au registre d’état
civil de leurs enfants à la naissance et d’accès à l’école ; voir les Observations finales du CERD rela-
tives au Brésil, du 12 mars 2004, UN Doc. CERD/C/64/CO/2, § 17.
912
Voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.
170
Titre Deuxième - Le droit des peuples autochtones
le droit des peuples autochtones cherche à obtenir une véritable autonomie or-
ganisationnelle et à faire cohabiter plusieurs sociétés sur le même territoire. Du
point de vue de la place d’une communauté au sein de la société majoritaire,
ces deux mouvements poursuivent donc des objectifs divergents, bien que la
pratique du Comité des droits de l’homme et du Comité consultatif de la
CPMN démontre qu’un système de protection n’exclut pas l’autre913.
913
Supra Section A, 3.2.
171
La situation juridique des Tziganes en Suisse
172
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
173
La situation juridique des Tziganes en Suisse
598. Les différents rapports soumis durant ces dernières années par le gou-
vernement suisse aux organes de surveillance des traités internationaux que
sont le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l’élimination de la dis-
crimination raciale et le Comité consultatif de la CPMN indiquent que les au-
torités helvétiques conçoivent que les Tziganes forment une minorité ethnique
protégée par le droit international. Leur lecture révèle non seulement
l’évolution de la position des autorités sur cette question, mais également les
hésitations quant au nombre exact de personnes constituant les Tziganes suis-
ses, nomades et sédentarisés. Les chiffres présentés ci-dessous se réfèrent cha-
que fois à ceux employés dans les documents cités.
599. Lors de la présentation de son rapport initial au Comité des droits de
l’homme en 1995, le gouvernement suisse a déclaré qu’au sens de l’article 27
Pacte II, il n’existait pas de minorités ethniques stricto sensu en Suisse, mais que
l’on pouvait considérer toutefois que les 25'000 Tziganes suisses constituaient
un groupe susceptible d’être concerné à ce titre, devenant ainsi la seule minori-
té ethnique de Suisse914.
600. On peut en conclure, premièrement, que l’ensemble des Tziganes de
nationalité suisse – sédentarisés ou nomades – est pris en considération. Ils
forment un groupe ethnique protégé par le système universel des minorités,
l’accent étant placé non pas sur l’exercice du voyage, mais sur ses spécificités
ethno-culturelles. Deuxièmement, on constate que, selon cette approche, les
Tziganes étrangers de passage n’entrent pas dans le champ d’application de
l’article 27 Pacte II aux yeux de la Suisse.
914
Rapport initial présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/81/Add. 8, du 26 mai 1995, § 488.
MALINVERNI (MINORITES), p. 244.
174
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
915
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/CH/98/2, du 29 sep-
tembre 1998.
916
FF 1998 I 1033-1071.
917
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse au CDH, UN Doc. CCPR/C/CH/98/2, du 29 sep-
tembre 1998, §235 et 242.
918
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11.
919
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 25. Pour
une analyse plus approfondie de la situation de la langue jénisch dans le paysage linguistique suisse
au regard des engagements contractés sous l’égide de la CLMR, voir infra Titre Quatrième, Chapitre
IV.
175
La situation juridique des Tziganes en Suisse
607. Nous avons déjà évoqué le fait que le droit fédéral n’emploie pas la
notion de minorité ethnique. Ainsi, la loi fédérale du 7 octobre 1994 concernant
la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » n’utilise pas la no-
tion de minorité à l’égard de cette communauté. Si, dans son titre, elle consacre
formellement l’expression « gens du voyage », « Fahrende », « nomadi », elle
traite par la suite de la « population nomade », « fahrende Bevölkerung »,
« nomadi » (article 1er) et de la nécessité de préserver son identité culturelle.
608. Cette loi se fonde sur le rapport de la Commission de la sécurité so-
ciale du 28 août 1991 consacré à la situation des Tziganes suisses nomades923.
On peut dès lors en déduire que le législateur fédéral, dans ce cadre, en sus
d’approcher la question d’un point de vue culturel uniquement, circonscrit le
cercle des personnes concernées à celles et ceux vivant selon le mode de vie
itinérant. La dimension plus large de l’appartenance ethnique est donc ab-
sente.
609. Par ailleurs, l’article 3 al. 1er, 2ème phrase de la loi fédérale sur les droits
politiques924 précise que « les gens du voyage votent dans leur commune
d’origine ». Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur les fonde-
ments et l’opportunité de ce choix925, mais on peut constater à ce stade déjà
qu’il apparaît clairement que sont concernés ici les Tziganes exerçant un mode
920
Troisième rapport périodique présenté par la Suisse au CERD, UN Doc. CERD/C/351/Add.2, §20 et
§56-57, du 14 novembre 2000.
921
Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 101.
922
Infra Section 2.
923
FF 1991 IV 449.
924
Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (LDP ; RO 1978 685 ; RS 161.1).
925
Infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section C.
176
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
613. Dans son Message adressé aux Chambres en 1996 relatif à la ratifica-
tion de la CLMR, le Conseil fédéral affirme, sans autre précision quant à leur
qualité de groupe culturel ou ethnique, ni quant à l’exercice ou non d’un mode
de vie nomade, que « les tsiganes [sic] suisses ne sont ni des Roma ni des Sinti
926
ATF 129 II 321, 327 Bittel; RDAF 2004 I 59, 63.
927
ATF 129 II 321, 329 Bittel.
928
Infra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.3.2.
177
La situation juridique des Tziganes en Suisse
mais des Jenich [sic] »929. Cette affirmation n’est pas entièrement correcte, puis-
qu’une fraction des Tziganes suisses est d’origine sinti.
614. Six ans plus tard, dans son avis de droit du 27 mars 2002, l’Office fédé-
ral de la justice affirme que les « gens du voyage » en Suisse constituent une
minorité ethnique et culturelle au sens de l’article 27 Pacte II, du fait que les
membres de cette communauté partagent une langue, une culture, une his-
toire, des aspirations et une identité communes930.
615. Selon l’Office fédéral de la justice, dans le contexte suisse, la notion de
« gens du voyage » décrit les différents groupes de population vivant de façon
nomade ou quasi-nomade, et qui fondent leurs activités lucratives et leur
culture sur ce mode de vie.
616. L’OFJ précise que seul le critère du nomadisme actif est pertinent pour
déterminer le caractère ethnique de la minorité, à l’exclusion de ceux de
l’origine, de l’ascendance et de la langue : par ce biais sont protégés non seu-
lement les Jénischs, considérés comme un groupe tzigane « autochtone » par
l’OFJ931, mais également les Rroms/Sinti et les autres communautés, pour au-
tant que leurs membres exercent le mode de vie itinérant.
617. Pour cet office, la nationalité per se n’est pas un critère déterminant
pour délimiter le cercle des personnes concernées. Certes, elle permet de tracer
le champ d’application de la loi fédérale relative à la fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses » ; néanmoins, elle n’est pas pertinente
pour déterminer le contour de la minorité formée par les « gens du voyage ».
Pour cette raison, l’OFJ estime qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser le critère de
la nationalité ni dans la loi fédérale, ni dans le nom de la fondation932. En
conséquence, l’OFJ qualifie de minorité ethnique bénéficiant de la protection
de l’article 27 Pacte II les Tziganes nomades uniquement, quelle que soit leur
nationalité ou leur origine ethnique.
618. Enfin, en 2006, le rapport du Conseil fédéral relatif à la situation des
Tziganes en Suisse évoque le chiffre de 25'000 à 30'000 Tziganes suisses, dont
4’000 à 5'000 pratiquent le voyage. L’expression « gens du voyage » y est em-
ployée pour traiter des Tziganes nomades, qu’ils soient suisses ou étrangers,
jénisch ou rroms, tandis que le rapport parle de la « langue et culture » jénisch
lorsqu’il s’agit de distinguer la communauté jénisch des autres groupes d’un
point de vue culturel933.
929
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118.
930
OFJ (2002), pp. 582-583.
931
OFJ (2002), p. 590.
932
OFJ (2002), p. 591.
933
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 6-7. Au vu de cette distinction, on regrettera la confusion
générée par le Conseil fédéral lorsqu’il affirme, dans son deuxième rapport auprès du CDH en 1998,
que la Suisse « a expressément reconnu les Yéniches comme une minorité au sens de l’art. 27
[Pacte II] ». Ce rapport se référant à la minorité des « gens du voyage », en ne restreignant pas à
178
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
une certaine communauté, il n’est pas correct d’affirmer que seuls les Jénisch sont reconnus par la
Suisse en tant que minorité au sens de l’art. 27 Pacte II.
934
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 22-23.
935
MALINVERNI (Minorités), pp. 243-244.
936
Supra Chapitre II, Section A, 3.2.2., a.
937
A titre de rappel (voir supra Titre Premier, Chapitre III, Section 5), selon cette déclaration, consti-
tuent des minorités nationales suisses « les groupes de personnes qui sont numériquement infé-
rieurs au restant de la population du pays ou d'un canton, sont de nationalité suisse, entretiennent
des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont animés de la volonté de préserver en-
semble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou
leur langue ». Pour le gouvernement suisse, cette définition suit les éléments de la notion de
« minorité nationale » de l'art. premier du projet de protocole additionnel de l'Assemblée parlemen-
taire du Conseil de l'Europe du 1er février 1993. Elle s'inspire aussi de l'art. 2, paragraphe 1, du pro-
jet de Convention européenne pour la protection des minorités du 4 mars 1991 élaboré par la
Commission européenne pour la démocratie par le droit ; Rapport initial suisse, note 116.
938
FF 1998 1033, 1046-1048 ; Rapport initial suisse, § 95-96.
179
La situation juridique des Tziganes en Suisse
3. Appréciation
939
Rapport initial suisse, § 96 : « La communauté des gens du voyage compte en Suisse entre 25'000
et 30'000 personnes. Les Jenish (sic) forment le principal groupe des gens du voyage de nationalité
suisse; il existe cependant d'autres gens du voyage suisses, qui appartiennent le plus souvent au
groupe des Sinti (manouches) ».
940
OFJ (2002), p. 607 : « Die Fahrenden als Bevölkerungsgruppe mit schweizerischer Staatsangehörig-
keit und einer wirtschaftlich und kulturell auf Nichtsesshaftigkeit ausgerichteten Lebensweise gelten
als geschützte nationale Minderheit ».
941
OFJ (2002), p. 588.
942
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 25.
180
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
943
Comp. toutefois le Message du Conseil fédéral relatif à l’adoption du crédit-cadre pour les années
2007-2011, FF 2006 2956 : pour le Conseil fédéral, la loi relative à la fondation « Assurer l’avenir
des gens du voyage suisses » « a reconnu aux nomades pour la première fois le statut de minorité
culturelle suisse à part entière ».
944
ATF 129 II 321, Bittel.
181
La situation juridique des Tziganes en Suisse
945
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 22-23.
946
Conclusions du CERD relatives aux deuxième et troisième rapports périodiques présentés par la
Suisse, du 21 mai 2002, UN Doc. CERD/C/60/CO/14, §15.
947
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 23.
948
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 23.
949
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16.
950
Voir infra Titre Quatrième, Chapitre IV, nos développements concernant la place du jénisch dans le
cadre de la politique des langues de la Suisse.
951
Le Conseil fédéral admet sans réserve le caractère ethnique des Rroms/Sinti et des Manouches ;
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 6.
182
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
639. Les prises de position des autorités fédérales indiquent qu’il existe un
troisième problème touchant au cercle des personnes que le droit suisse entend
protéger. Lié à l’emploi de l’expression « Gens du voyage », ce problème surgit
952
Au sujet de la place de la langue jénisch dans le cadre de la politique des langues de la Confédéra-
tion, voir infra Titre IV, Chapitre IV.
953
Voir ainsi la prise de position de la Radgenossenschaft, du 31 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 2
(http://www.jenischinfo.ch [consulté le 12 avril 2006]). Voir également le Message du Conseil fédé-
ral relatif à l’approbation du crédit-cadre de la Fondation pour les années 2007-2011, du 10 mars
2006, FF 2006 2951, 2961.
183
La situation juridique des Tziganes en Suisse
en tout état de cause, que l’on accepte de qualifier les Tziganes de minorité
« ethnique» ou que l’on souhaite n’employer que l’expression de minorité
« culturelle». En effet, il nous semble particulièrement problématique que la
plupart des autorités, et notamment le législateur fédéral, considèrent la ques-
tion en réduisant la communauté tzigane à celles et ceux exerçant un mode de
vie nomade954.
640. D’une part, cette approche contredit les affirmations formulées auprès
des organismes internationaux concernant une communauté minoritaire oscil-
lant entre 25 et 35'000 personnes. Cette contradiction entre politique étrangère
et politique intérieure est problématique en soi. D’autre part, cette vision res-
trictive contredit également la volonté de sauvegarder et de promouvoir la
langue jénisch955.
641. La lecture des rapports périodiques rendus par la Suisse dans le cadre
de la CLRM indique que ce ne sont pas uniquement les Jénisch pratiquant en-
core le voyage en Suisse qui parlent cette langue et cherchent à la préserver et
à la promouvoir. Ceci reflète précisément la prise de conscience que les « gens
du voyage » ne sont pas seulement une population au mode de vie nomade,
mais que leur culture présente d’autres aspects956.
642. L’usage de l’expression « gens du voyage », utilisée originairement
pour ne pas employer des qualificatifs aux résonances douteuses, trouve donc
ses limites. On constate ainsi qu’un véritable problème de fond trouve ses ra-
cines dans un choix sémantique initial qui est erroné. En effet, le fait d’opposer
la « population nomade » à la société sédentaire a des conséquences directes
sur le statut de celles et ceux qui se sont sédentarisés, pour beaucoup malgré
eux, du fait des difficultés à pouvoir voyager mais également en raison des
problèmes administratifs, et des politiques coercitives pratiquées par le passé à
leur égard957.
643. Il nous paraît difficilement défendable de considérer qu’une personne
change d’ethnie et de culture lorsque son mode de vie, qui n’est qu’une ex-
pression de sa culture, se transforme. Ainsi, Andreas RIEDER estime que seuls
les Tziganes vivant encore selon la tradition nomade doivent être qualifiés de
minorité ethnique au sens de la CIERD958. Cette position est critiquable, car elle
implique que l’on conçoive l’origine ethnique comme étant une caractéristique
modifiable. Au contraire, il semble difficilement contestable que l’ascendance
954
Dans ce sens également, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.
955
FF 1997 I 1105. Voir également infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
956
Prise de position des ONG, p. 4.
957
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 6 ; HUONKER (2003), §1.
958
RIEDER (1999), p. 164.
184
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
959
Dans ce sens, HANGARTNER (2003A), p. 113.
960
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.
961
Robert HUBER, Président de la Radgenossenschaft, in : BAK/OFC/UFC 2001/4, p. 13 : « Heute ist es
so, dass viele oder die meisten jungen Jenischen wieder zu ihrer Kultur stehen und ohne Scham sa-
gen können : « Wir sind jenischer Abstammung ». »
962
Prise de position de l’association « schäft qwant »- Transnationaler Verein für jenische Zusamme-
narbeit und Kulturaustausch du 1er novembre 2005, relative à la procédure de consultation concer-
nant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, p. 3
(http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).
963
Dans ce sens également, Robert HUBER, Président de la Radgenossenschaft, in : BAK/OFC/UFC
4/2001, p. 13 : « Trotz der Erziehung durch Sesshafte ist mir im Innersten das « Jenisch-sein » ge-
blieben. »
964
Communication du CDH n° 24/1977, du 29 décembre 1977, Sandra Lovelace c. Canada, §16. JO-
SEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.12, p. 757.
185
La situation juridique des Tziganes en Suisse
965
Observation générale n°8 du CERD. Voir également THORNBERRY (2002), p. 410.
966
Voir, sur ce point, la Décision sur le bien-fondé du Comité européen des droits sociaux du 8 décem-
bre 2004 relative à la Réclamation n° 15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, §23.
967
Comp. l’art. 15 CPMN : « Les Parties s’engagent à créer les conditions nécessaires à la participation
effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et écono-
mique, ainsi qu’aux affaires publiques, en particulier celles les concernant. » Voir également infra,
Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3.
968
Voir également sur ce point les critiques fermes de l’association « schäft qwant »- Transnationaler
Verein für jenische Zusammenarbeit und Kulturaustausch à l’égard de la terminologie employées par
le Conseil fédéral, et exprimées dans sa prise de position du 1er novembre 2005, relative à la procé-
dure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, pp. 1-
2 (http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).
186
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
969
Selon nous, il est également important de reconnaître le rattachement de Tziganes requérants
d’asile à un groupe ethnique particulier. Dans ce contexte, la reconnaissance du caractère ethnique
de leur communauté conduit à l’application des normes protégeant contre la discrimination raciale,
et l’appartenance à une minorité spécifique sensibilise aux éventuelles situations d’exposition et de
vulnérabilité extrêmes dans leur pays d’origine. Comp. l’ACEDH Conka c. Belgique, n°51564/99, §
56-63, CEDH 2002-I, où la Cour européenne des droits de l’homme conclut pour la première fois à
la constatation d’une violation de l’art. 4 du Protocole additionnel n°1 à la CEDH, du fait de
l’expulsion collective d’un groupe de requérants d’asile rroms vers la Slovénie. Selon la doctrine, la
position extrêmement vulnérable de ces derniers semble avoir poussé les juges de Strasbourg à leur
octroyer une protection accrue ; HENRARD (2004), p. 186, note 14. Au sujet du contexte spécifique
de la migration internationale des Rroms – question liée aux persécutions de type racial et distincte
de l’exercice du mode de vie nomade traditionnel – voir l’analyse détaillée de MATRAS, § 16-17, ainsi
que les conclusions du Comité européen sur les migrations, avril 1997, publiées in : MG-S-ROM
(2000) 5. Voir également l’avis de droit de Walter KÄLIN, Die flüchtlingsrechtliche Situation asylsu-
chender Roma und Aschkali in der Schweiz, disponible intégralement à l’adresse http://www.raben-
net.ch/bods/dokumente/romagut.pdf [consulté le 9 août 2006] et notamment pp. 5-6.
970
Supra Chapitre II, Section B, 2.4.
971
Rapport d’expertise 2001, p. 46.
187
La situation juridique des Tziganes en Suisse
972
Voir ainsi infra Titre Troisième, Chapitre III.
973
Voir également nos développements relatifs à l’entrée, le séjour et la sortie des Tziganes nomades
étrangers au regard des libertés individuelles et notamment de l’accord sur la libre circulation des
personnes, infra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 4.
974
Le Conseil fédéral a eu une première occasion d’analyser la Convention n° 169 en 1991, mais a re-
fusé la ratification à cette époque pour donner priorité à l’adhésion à d’autres traités internationaux
en matière de droits de l’homme, notamment la CPMN ; Réponse du Conseil fédéral à la motion
n°99.3433 Rémo Gysin.
975
Rapport du 18 octobre 2006 du Conseil fédéral sur la situation des gens du voyage en Suisse, Partie
I : La Convention de l’Organisation internationale du Travail sur les peuples indigènes et tribaux :
conséquences d’une éventuelle ratification ; Partie II : Créations d’aires de séjour et de transit pour
les gens du voyage : possibilités d’action de la Confédération.
188
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
661. Entre 1999 et 2001, les autorités fédérales ont tout d’abord affirmé qu’il
n’était pas exclu de pouvoir considérer les Tziganes suisses comme un peuple
tribal978, puis ont fini par conclure qu’ils constituaient un tel peuple979. Cette
conclusion se fonde sur plusieurs points. Premièrement, le Conseil fédéral a
pris acte des arguments développés par le Directeur général du BIT qui estime
qu’il n’est pas possible d’exclure a priori les Tziganes du champ d’application
de la Convention n° 169980. Deuxièmement, il constate que les Tziganes suisses
976
Voir le septième rapport du Conseil fédéral sur la Suisse et les conventions du Conseil de l’Europe,
du 19 janvier 2000, FF 2000 I 1141, 1144 : « (…) une ratification n’a de sens que si la Suisse est en
mesure de respecter les engagements pris. Ces principes ont pour conséquences qu’il ne doit exister
entre une Convention et l’ordre juridique interne aucune divergence fondamentale qui ne pourrait
être couverte par une réserve (…). » Voir également FF 2004 3809, pour la confirmation de cette
pratique, dans le huitième rapport du Conseil fédéral sur la Suisse et les conventions du Conseil de
l’Europe, du 20 mai 2004. Concernant la ratification des conventions de l’OIT : FF 1986 II 937, 944 ;
FF 1974 II 1577, 1598 ; FF 1969 I 721, 729.
977
Dans ce sens, mais en se fondant sur un autre raisonnement, voir le Rapport du Conseil fédéral,
Partie I, pp. 14-15.
978
Réponse du Conseil fédéral du 24 novembre 1999 à la motion n° 99.3433 Rémo GYSIN.
979
BO/CN 2001, p. 516.
980
Rapport du Directeur général du BIT, pp. 8-14.
189
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ont affirmé leur volonté d’être considérés comme formant un peuple tribal981.
Enfin, il estime que le traitement des Tziganes dans le contexte des autres ins-
truments internationaux tend également à démontrer qu’ils remplissent les
conditions objectives de l’article 1er de la Convention982.
662. En 2006, dans son rapport, le Conseil fédéral analyse en détail
l’applicabilité des conditions objectives et subjective de la Convention n° 169
aux Tziganes. Il estime qu’il est difficile de déterminer dans quelle mesure cet
instrument est applicable à ces derniers, en raison des difficultés rencontrées
pour définir le cercle des personnes concernées, mais également pour qualifier
les Tziganes de « peuple »983.
663. Ainsi, le Conseil fédéral évoque tour à tour la question de l’inclusion
des Tziganes sédentarisés, des personnes au mode de vie itinérant mais n’étant
pas d’origine tzigane, ou encore le sort à réserver aux Tziganes étrangers de
passage en Suisse. Par rapport aux implications plus spécifiques du terme
« peuple », s’il reconnaît l’identité culturelle propre des Tziganes, l’Exécutif
doute néanmoins de l’existence d’une organisation structurelle interne suffi-
sante, en comparaison avec d’autres peuples nomades de par le monde.
664. Relevant qu’une majorité des Tziganes en Europe s’est sédentarisée, il
estime qu’il est alors difficile pour cette collectivité, prise dans son ensemble,
de parler de singularité de milieu, ou de mode de vie particulier par rapport à
la majorité sociale. En effet, si les particularismes culturels et linguistiques sont
incontestables, leurs activités économiques traditionnelles les lient nécessaire-
ment à la population majoritaire. Dès lors, loin d’être isolés, ils sont en défini-
tive intégrés au système normatif de cette dernière984. Le Conseil fédéral es-
time également que l’existence d’associations faîtières de défense des droits
des Tziganes suisses ne permet pas de pallier ce qu’il qualifie d’absence
d’organisation tribale985.
665. Aux yeux du Conseil fédéral, la question de l’inclusion des Tziganes
étrangers apparaît comme déterminante pour décider s’il est opportun ou non
de ratifier la Convention n° 169. En l’absence de pratique de l’OIT sur ce point,
il lui semble impossible de trancher la question de l’inclusion ou non des non-
ressortissants dans le cercle des bénéficiaires des droits de la Convention986. Il
souligne néanmoins que puisque l’article 14 de la Convention pose comme
981
Lettre ouverte de la Radgenossenschaft et de l’Association Action Sinti et Jenisch suisses, mars
2001 ; Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 18. Voir également la position clairement positive des
associations représentatives, notamment celle de la Radgenossenschaft, exprimée dans sa prise de
position du 31 octobre 2005 relative à la procédure de consultation concernant le Rapport du
Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 2 (http://www.jenischinfo.ch [consulté le 12 avril 2006]).
982
Troisième rapport périodique présenté par la Suisse au CERD, UN Doc. CERD/C/351/Add.2, p. 40.
983
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 20.
984
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 18-19.
985
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 18.
986
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 19.
190
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
1.2. Appréciation
666. Les difficultés soulevées par le Conseil fédéral pour tracer le cercle dé-
finissant le peuple tribal tzigane ne sont pas nouvelles, car on constate qu’elles
sont identiques à celles prévalant dans le contexte du droit des minorités. Tou-
tefois, les réflexions ayant particulièrement trait à la qualité de « peuple » des
Tziganes doivent être traitées ici.
667. Nous avons déjà conclu qu’il était possible de considérer qu’il existait
un « peuple tzigane » dispersé sur le continent européen. Or, dans le contexte
helvétique, le fait que la majorité des Tziganes suisses ne soit pas d’origine
rrom/sinti est un facteur de poids qui renforce les doutes exprimés sur la na-
ture de peuple tribal des Tziganes de manière générale. Pour notre part, nous
avons conclu que les Jénisch pouvaient être intégrés au peuple des Tziganes,
puisque nous reconnaissons sa dimension hétérogène.
668. Quant à l’inclusion ou non des Tziganes étrangers, il est nécessaire de
procéder à une distinction. Qu’ils soient citoyens suisses ou non, les Tziganes
font partie d’un seul peuple aux caractéristiques tribales. Si elle devait ratifier
la Convention n° 169, la Suisse serait toutefois légitimée à faire une différence
formelle dans le traitement des Tziganes étrangers transitant traditionnelle-
ment par la Suisse et les autres. Toutefois, on ne peut que constater les diffi-
cultés qu’il y aurait à mettre en oeuvre dans les faits ce régime distinct entre
Tziganes étrangers « habitués » et les nouveaux venus.
987
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 35-36.
191
La situation juridique des Tziganes en Suisse
988
Motion n° 99.3433 Rémo Gysin, du 2 septembre 1999.
989
Réponse du Conseil fédéral du 24 novembre 1999 à la motion n° 99.3433 Rémo Gysin.
990
BO/CN 2001, p. 516.
991
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 52.
192
Titre Deuxième - Le groupe minoritaire tzigane en Suisse
2.2. Appréciation
675. Bien que, sur le fond, la position des autorités soit demeurée constante
sur la question de l’opportunité de la ratification de la Convention n° 169, on
peut constater une évolution sensible dans leurs arguments. En 1999 et 2001,
les motifs avancés étaient non seulement liés à une crainte de créer un hiatus
entre droit international et droit interne en contractant des obligations juridi-
ques jugées nouvelles et irréalisables, mais également au refus d’octroyer des
« droits spécifiques» en faveur d’un groupe minoritaire, de peur de susciter
l’incompréhension et le mécontentement de la population majoritaire.
676. Les arguments avancés dans le rapport de 2006 sont plus nuancés. La
peur d’une mise à mal de la « paix civique » est ainsi écartée, et il est possible
de voir ici les effets de la jurisprudence du Tribunal fédéral de 2003995, qui
place les besoins spécifiques des Tziganes nomades suisses en matière de sta-
tionnement sur le même rang que les besoins de la population sédentaire996. A
travers la position du Conseil fédéral, les autorités fédérales reconnaissent déjà
avoir des obligations juridiques à l’égard des Tziganes en Suisse, mais qu’elles
ne sont pas soutenues par des mécanismes suffisamment contraignants qui
pousseraient les autorités à mettre une politique systématique de mise en œu-
vre.
677. Ce constat est correct, mais il convient de nuancer ses conséquences
directes pour les autorités suisses. Certes, les mécanismes de surveillance et de
mise en œuvre de la Convention n° 169 sont plus contraignants que ceux exis-
tant pour le Pacte II, respectivement la CPMN, puisque ces derniers ne
992
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 28 et 52.
993
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 19-20.
994
Résultats de la procédure de consultation relative à l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du
22 juin 2005, Partie I, pp. 23-27, disponibles sur http://www.bak.admin.ch [site consulté le 2 jan-
vier 2007].
995
ATF 129 II 321 Bittel.
996
Voir également infra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.
193
La situation juridique des Tziganes en Suisse
997
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 10.
998
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 10-11.
999
Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 octobre 2005, relative à le Rapport du Conseil
fédéral, du 22 juin 2005, pp. 2-3 (http://www.staedteverband.ch [consulté le 12 avril 2006]).
1000
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, notamment p. 19.
1001
Voir supra Section A, 1.1.
194
Titre Deuxième - Synthèse et conclusion
Synthèse et conclusion
195
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1002
Dans ce sens, voir le Rapport du Commissaire aux Droits de l’homme de l’OSCE, mars 2005, § 11.
196
Titre Deuxième - Synthèse et conclusion
197
La situation juridique des Tziganes en Suisse
198
Titre troisième:
La portée des droits fondamentaux
pour les Tziganes en Suisse
Introduction
1003
BIANCHI, pp. 109-110 ; KÄLIN (2000), p. 17.
1004
BIANCHI, pp. 110-111.
1005
BIANCHI, p. 113.
199
La situation juridique des Tziganes en Suisse
derniers sur leur interprétation. Leur mise en œuvre par le droit ordinaire
suisse et la pratique des autorités fera l’objet de notre Titre quatrième et per-
mettra de dégager le point d’équilibre théoriquement idéal entre l’intégration
et le respect des particularités.
699. Cette analyse se situe toutefois dans le contexte du droit des minorités,
tel qu’appliqué en Suisse. La capacité de l’ordre juridique suisse à prendre en
compte les particularités minoritaires tziganes sera évaluée à la lumière de la
politique et de la pratique usuelles du législateur et du juge suisses face aux
revendications des groupes minoritaires.
700. Nous pourrons constater qu’une meilleure intégration des normes et
de la pratique internationales s’avère nécessaire (Chapitre I). Après cette mise
en perspective, nous étudierons la portée du principe général d’égalité, en par-
ticulier des exigences découlant de l’interdiction de la discrimination et de la
réalisation de l’égalité en fait (Chapitre II). Enfin, nous nous focaliserons sur
les libertés individuelles et les droits sociaux qui protègent le mode de vie no-
made per se et les conditions de son exercice (Chapitre III).
701. Les différentes problématiques que nous allons aborder concernent à
la fois une pluralité de sources et un certain nombre de droits fondamentaux.
Dès lors, une remarque s’impose à titre liminaire au sujet de leur articulation.
Les rapports entre, d’une part, ces sources et, d’autre part, ces droits se déter-
minent en se fondant respectivement sur le principe de faveur et sur le prin-
cipe de la concordance pratique.
702. Le principe de faveur impose au juge national d’appliquer la source in-
ternationale ou nationale offrant la meilleure protection au titulaire d’un droit
fondamental, que cela soit en raison de son champ d’application ou en raison
de ses conditions de restriction. La qualité de la protection est déterminée par
l’interprétation des sources qu’effectuent les organes en charge de leur surveil-
lance1006.
703. Le principe de la concordance pratique permet de répondre au
concours de droits fondamentaux protégés par une même source. L’absence de
hiérarchie formelle entre ces droits impose de trouver, dans les cas d’espèce,
une solution permettant de coordonner les divergences découlant tant de leur
champ d’application que de leurs impératifs en matière de conditions de res-
triction1007. A cet effet, la doctrine souligne que les effets d’un examen cumulé
des griefs soulevés ne sont pas anodins et peuvent entraîner des exigences dif-
férentes que celles découlant de l’examen de chaque grief pris isolément1008.
1006
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 259-261; MARTENET (2005), p. 301. Voir également les art. 53
CEDH et 5 § 2 Pacte II.
1007
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 245-249; MARTENET (2005), pp. 298-301.
1008
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 251.
200
Titre Troisième - Introduction
704. Par ailleurs, l’éventuel défaut de justiciabilité d’un droit ne devrait pas
conduire le juge à refuser de prendre en considération les effets de sa portée
sur les autres griefs soulevés par le justiciable. Il est vrai que si, d’un point de
vue procédural, son absence d’applicabilité directe conduit au constat
d’irrecevabilité du grief soulevé1009, l’indivisibilité et l’interdépendance des
droits fondamentaux imposent que sa portée et sa signification soient prises en
compte lorsque l’on constate un lien entre l’état de fait et le droit invoqué, et ce
dans le cadre de la nécessaire pesée des intérêts1010. Nous pourrons constater
ci-après l’importance de cette démarche dans un contexte mettant en jeu le
droit des minorités1011.
1009
Comp. ainsi l’ATF 130 I 113, 123 A. au sujet de l’irrecevabilité d’un grief tiré de la violation de l’art.
13 al. 1 Pacte I.
1010
Dans ce sens, MARTENET (2005), pp. 299-300.
1011
Infra Chapitre I, Section C, 2.2.3.
201
La situation juridique des Tziganes en Suisse
202
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
705. Nous avons montré que le droit international des minorités est appli-
cable aux Tziganes en Suisse1012. Il s’agit à présent d’examiner ses effets non
seulement sur leur situation juridique en tant qu’individus, mais également
sur celle de leur communauté en tant que telle. Nous analyserons, dans un
premier temps, l’apport spécifique du droit des minorités, à savoir la facette
collective de sa protection (A.). Dans un deuxième temps, nous exposerons
comment la pratique suisse intègre le facteur minoritaire. Nous pourrons cons-
tater que cette intégration est essentiellement axée sur une approche indivi-
dualiste des droits garantis par le système du droit international des minorités
(B.). A la lumière de cette analyse, nous déterminerons quelle portée spécifi-
que possède la facette collective de ce système pour les Tziganes (C.).
706. Après avoir présenté ce que signifie la facette collective du droit des
minorités, en tant qu’apport spécifique de ce système par rapport aux droits de
l’homme individuels (1.), nous exposerons de quelle manière elle est prise en
considération au niveau universel (2.) et au niveau régional européen (3.).
707. Le droit des minorités replace l’individu dans son contexte collectif.
Certes, l’emploi de l’expression « les personnes appartenant à une minorité »
dans l’article 27 Pacte II, dans la Déclaration pour les minorités de 1992 et dans
la CPMN peut faire douter de la nécessité de protéger le groupe lui-même1013.
En effet, en ne reconnaissant la titularité des droits qu’aux membres, cette
terminologie entretient le doute quant à l’admissibilité d’une protection
juridique en faveur du groupe lui-même. A cet égard, l’essentiel du débat
entourant la question de l’existence de droits collectifs a trait à la possibilité ou
non de réduire les intérêts de la communauté à ceux des individus1014.
1012
Supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
1013
Comp. notamment l’art. 2 de la Déclaration des Nations Unies de 1992 et l’art. 3 CPMN. JOVANOVIC,
pp. 628-630.
1014
KYMLICKA (1995), p. 19 ; JOVANOVIC, p. 631.
203
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1015
Dans ce sens, comp. l’art. 1er de la Déclaration de 1992 : « 1. Les Etats protègent l'existence et
l'identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique des minorités, sur leurs territoi-
res respectifs, et favorisent l'instauration des conditions propres à promouvoir cette identité. 2. Les
Etats adoptent les mesures législatives ou autres qui sont nécessaires pour parvenir à ces fins. »
Voir également l’art. 1er CPMN distinguant entre la protection du groupe et celle des droits indivi-
duels de ses membres: « La protection des minorités nationales et des droits et libertés des person-
nes appartenant à ces minorités (…) ».
1016
Voir notamment les Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication n°
197/1985, I. Kitok, § 9.7. Dans cette affaire, l’auteur de la communication était un ressortissant
suédois appartenant à une famille saami. Son grief portait sur les effets d’une loi suédoise qui lui in-
terdisait d’exercer les droits reconnus aux Saamis en matière d’usage de l’eau et des terres. En ef-
fet, cette loi faisait une distinction entre les Saamis appartenant à un village saami (sameby), auto-
risés à élever traditionnellement des rennes et à exploiter les ressources naturelles par la chasse et
la pêche, et ceux qui n’y appartiennent pas et qui, en conséquence, ne peuvent exercer ces activi-
tés. L’Etat suédois justifiait cette mesure par l’objectif de préserver la culture et le peuple saami en
limitant le nombre de personnes pouvant exercer les activités traditionnelles, économiquement fra-
giles, de cette minorité. Le CDH a considéré qu’il fallait analyser l’impact de cette législation sur la
capacité des individus saamis à pouvoir jouir de leur culture avec d’autres membres de leur peuple
(§ 9.3). Le Comité a exprimé sa réticence face à une norme qui peut avoir pour effet qu’une per-
sonne appartenant objectivement à une minorité ne le soit pas aux yeux de la loi, et qu’en consé-
quence, elle ne puisse exercer ses droits minoritaires avec les autres membres de sa communauté
(§9.7) Cependant, le Comité a considéré que de telles restrictions portées aux droits des individus
étaient acceptables, si elles étaient objectives, raisonnables et nécessaire pour la viabilité de la mi-
norité per se. Dès lors, le Comité a conclu à une non-violation dans le cas d’espèce, jugeant que
bien que l’auteur ne fût pas titulaire du droit d’élever des rennes, de chasser et de pêcher sur les
terres traditionnelles, il en avait cependant malgré tout la possibilité (§9.8). Dans le même sens,
voir également les Constatations du CDH, du 26 mars 1990, relatives à la Communication n°
167/1984, Lubikon Lake Band c. Canada, §32-32. PENTASSUGLIA (2002b), pp. 100-102.
1017
EIDE (Commentaire), § 23.
1018
GROUPE DE TRAVAIL DES N.U., § 29.
204
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1019
THORNBERRY (1993), p. 57. Voir également JOVANOVIC, p. 633.
1020
Art. 5 let. e de la Convention contre le génocide.
1021
JOVANOVIC, pp. 633-634. Voir également GILBERT (art. 5), p. 173.
1022
Infra Section C, 2.2.
1023
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 671/1995, J. Läns-
man c. Finlande, § 10.7. Dans cette affaire, les auteurs de la communication appartenaient au
Muotkatunturi Herdsmen's Committee, un groupe de Saamis. Ils contestaient le projet du gouver-
nement finnois prévoyant une exploitation forestière intense et la construction d’une route sur 3000
mètres carrés. Cette surface se situait exactement dans une zone appartenant au Muotkatunturi
Herdsmen's Committee et était employée pour faire paître les rennes en hiver, ce qui constitue
l’activité économique traditionnelle des Saamis. Après avoir évalué l’impact économique de ce projet
sur l’élevage traditionnel de rennes, le CDH a considéré que la survie de cette activité ne serait pas
mise en danger et qu’en conséquence l’art. 27 Pacte II n’était pas violé in casu. Toutefois, le Comité
a attiré l’attention de l’Etat finnois sur le fait que si, une fois mis en oeuvre, ce projet d’exploitation
forestière devait avoir des effets plus sérieux que prévus, ou si d’autres mesures plus incisives de-
vaient être adoptées ultérieurement, cette disposition pourrait être violée. Le Comité a également
rappelé que l’Etat finlandais exploitait d’ores et déjà plusieurs entreprises forestières sur les terrains
des Saamis. Prises individuellement, aucune de ces entreprises ne violait les droits du peuple saami,
au sens de l’art. 27 Pacte II. Cependant, les autorités devaient prendre en considération les effets
cumulés de l’ensemble de ces exploitations sur la capacité des Saamis à exercer leurs activités éco-
nomiques traditionnelles: cette addition de restrictions pourraient, à terme, constituer une violation
de l’art. 27 Pacte II. PENTASSUGLIA (2002b), p. 102. Voir également infra Section C, 2.2.2.
1024
PENTASSUGLIA (2002b), p. 100.
205
La situation juridique des Tziganes en Suisse
714. L’article 27 Pacte II possède ainsi une portée qui va au-delà de ce que
sa lettre peut laisser entendre, en ne se réduisant pas à une obligation négative
de l’Etat de s’abstenir d’assimiler les membres d’une minorité. Il consacre éga-
lement l’obligation de prendre des mesures de promotion en leur faveur, no-
tamment dans le domaine culturel1025. Ces mesures développent des effets
aussi bien verticalement qu’horizontalement, puisque l’Etat doit agir de ma-
nière à ce que les droits découlant de l’article 27 Pacte II soient garantis contre
toute violation provoquée par des acteurs privés1026. Elles peuvent être illimi-
tées dans le temps et elles ne créent aucune inégalité de traitement injustifiée à
l’égard des membres de la majorité de la société, aussi longtemps qu’elles
poursuivent la réalisation des droits consacrés par l’article 27 Pacte II1027.
715. La nature des limitations pouvant être apportées aux droits garantis
par l’article 27 Pacte II est particulière. En effet, sa lettre le distingue des dispo-
sitions de ce traité qui consacrent les libertés individuelles, puisqu’il n’inclut
aucune clause de limitation spécifiant que les restrictions prévues par la loi,
poursuivant un intérêt public et respectant le principe de proportionnalité sont
acceptables aux yeux de cet instrument.
716. Selon la pratique du Comité des droits de l’homme, il n’est possible de
restreindre valablement les droits d’un particulier appartenant à une minorité
qu’à la condition que la mesure soit non seulement fondée sur des motifs ob-
jectifs et raisonnables, mais qu’elle s’avère par ailleurs nécessaire pour assurer
la viabilité et le bien-être de la minorité dans son ensemble1028. Cette seconde
exigence va jusqu’à imposer au particulier appartenant à une minorité de tolé-
rer une ingérence dans ses droits individuels, jusqu’à un certain degré défini
par le respect de la proportionnalité, lorsque la législation en cause a pour ob-
jectif de protéger le groupe lui-même1029.
717. Par ailleurs, dans le contexte de l’article 27 Pacte II, la question de
l’existence d’une éventuelle marge d’appréciation en faveur de l’Etat n’est pas
un facteur pertinent: le Comité des droits de l’homme évalue la légitimité de
l’ingérence uniquement au regard des obligations découlant de l’article 27
1025
Observation générale n° 23 du CDH, §6.2. NOWAK (art. 27) N. 39-52, pp. 657-666 ; SCHODER, pp.
166-169.
1026
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.1; PENTASSUGLIA (2002b), pp. 104-108 ; SCHODER, p. 165 ;
THORNBERRY (1993), p. 184.
1027
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2 ; MALINVERNI (MINORITES), pp. 241ss ; SCHODER, pp. 167-
168 ; THORNBERRY (1993), pp. 180ss. Voir également infra Section C, 2.1.2.
1028
Constatations du CDH, du 10 août 1988, relatives à la Communication N° 197/1985, Ivan Kitok c.
Suède, § 9.8. Voir également Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communi-
cation N° 547/1993, Mahuika c. Nouvelle-Zélande, § 9.6. JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, N. 24.19, p. 762.
1029
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 511/1992, I. Läns-
man c. Finlande, § 9.4. SCHODER, p. 176.
206
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
Pacte II, et examine notamment si les mesures ont pour effet d’interférer dans
la jouissance des droits protégés1030.
718. Pour sa part, en associant les interprétations littérale et téléologique de
la norme, la doctrine conclut que les droits de l’article 27 Pacte II ne connais-
sent pas la même logique de restriction que celle applicable aux libertés indi-
viduelles protégées par le Pacte II. Selon les auteurs, ils ne peuvent être res-
treints qu’en cas de conflit avec d’autres droits consacrés par le Pacte II et uni-
quement pour des motifs objectifs et raisonnables1031. L’interdiction de l’abus
de droit, consacrée à l’article 5 al. 1 Pacte II, est également réservée1032.
1030
Constatations du CDH, du 22 novembre 1996, relatives à la Communication N° 511/1992, I. Läns-
man c. Finlande, § 9.4. PENTASSUGLIA (2002B), p. 104.
1031
NOWAK (art. 27), N. 53-54, pp. 666-667; PENTASSUGLIA (2002b), pp. 108-109 ; PRITCHARD, pp. 260-
261. Comp. SCHODER, pp. 177-179 qui interprète l’art. 27 comme étant « eine Schranke der Schran-
ken ».
1032
PRITCHARD, p. 261 ; SCHODER, pp. 179-180.
1033
Voir HEINTZE (art. 1), pp. 86 et 94 ; HEINTZE (art. 3), p. 134.
1034
HEINTZE (art. 3), pp. 133-134.
1035
GILBERT (art. 5), p. 157.
1036
Voir le deuxième Avis du Comité consultatif relatif à l’Estonie, ACFC/INF/OP/II (2005) 001, § 57-65,
où le Comité analyse les mesures prises par l’Etat estonien pour soutenir les cultures minoritaires.
Comp. en outre le deuxième Avis du Comité consultatif relatif à l’Italie, ACFC/INF/OP/II (2005) 003,
§ § 35, où le Comité enjoint les autorités italiennes « de se fixer pour priorité de prendre les mesu-
res nécessaires dans le domaine législatif pour assurer une protection légale aux Rom, Sinti et Gens
du voyage, afin que ces personnes puissent mieux préserver leur identité et leur culture et conti-
nuer de les développer ». Voir également PENTASSUGLIA (2002b), p. 133.
207
La situation juridique des Tziganes en Suisse
208
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1043
Ainsi, en 2000, 16,6% de la population résidant en Suisse utilisait une langue non nationale contre
13,0% en 1990 et 4,5% de la population professait d’une religion qui n’est pas chrétienne, contre
2,4 % en 1990 ; Office fédéral de la statistique, Communiqués de presse des 21 décembre 2004 et
12 avril 2005.
1044
Voir en particulier sur ces différents aspects MALINVERNI (1998), pp. 360-371.
1045
BIANCHI, p. 105 ; MALINVERNI (1998), p. 372 ; WILSON (1999), pp. 193-195. Message du Conseil fédé-
ral relatif à la CPMN, FF 1998 I 1044 ; Rapport initial de la Suisse, § 38.
1046
Rapport initial de la Suisse, § 237 et 245.
1047
Voir également le second rapport de la Suisse auprès du CDH, § 235.
209
La situation juridique des Tziganes en Suisse
728. Par contre, la question s’avère pertinente pour déterminer si les sour-
ces internationales du droit des minorités trouvent également à s’appliquer. A
teneur des prises de position de la Suisse dans les enceintes internationales,
rappelons que seuls les groupes de personnes entretenant des « liens anciens,
solides et durables » avec la Suisse forment de telles minorités, à l’exclusion
des communautés nouvelles issues des migrations1048.
729. Pour déterminer si et de quelle manière le système du droit des mino-
rités influence la portée des droits fondamentaux individuels dans le contexte
suisse, nous effectuons ci-après un aperçu de la protection offerte aux groupes
minoritaires religieux (1.1.) et linguistiques (1.2.), avant d’exposer de quelle
manière le Tribunal fédéral interprète la portée de l’article 27 Pacte II (1.3.),
pour terminer par une appréciation critique (1.4.).
730. Les titulaires de la liberté religieuse sont toutes les personnes se trou-
vant sur le territoire helvétique1049 ; tant les confessions dominantes que mino-
ritaires sont protégées, ainsi que l’athéisme, l’agnosticisme ou l’indifférence re-
ligieuse1050.
731. Les articles 9 CEDH, 18 Pacte ONU II et 15 Cst. forment ensemble le
socle formel de la liberté de religion, en se concrétisant mutuellement1051. A ces
sources, on adjoindra les dispositions interdisant la discrimination fondée sur
la religion1052. A ce corpus s’appliquant à l’ensemble de la population
s’ajoutent les normes du droit des minorités que sont les articles 27 Pacte II et 8
CPMN1053, lorsqu’un particulier appartient à l’une des minorités religieuses
protégées par ce système. A ce jour, le Tribunal fédéral n’a pas eu l’occasion de
1048
Voir la déclaration suisse effectuée lors de la ratification de la CPMN : « La Suisse déclare que cons-
tituent en Suisse des minorités nationales au sens de la présente Convention-cadre les groupes de
personnes qui sont numériquement inférieurs au restant de la population du pays ou d’un canton,
sont de nationalité suisse, entretiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont
animés de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur
culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue. » Lorsque les membres de ces minorités histo-
riquement présentes sont des citoyens suisses, tant la CPMN que l’art. 27 Pacte II doivent être pris
en considération, tandis que les ressortissants étrangers ne peuvent se prévaloir que de la protec-
tion universelle exclusivement ; Rapport initial de la Suisse, § 101, renvoyant sur ce point à
l’Observation générale n° 23 du CDH, § 5.2.
1049
ATF 119 Ia 178 A. und M. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 461 ; MALINVERNI (Minorités), p. 238 ;
MÜLLER (1999), p. 87 ; ROUILLER, p. 946
1050
AUER (2003), p. 176 ; HÄFELIN/HALLER, N. 406 ; MALINVERNI (Minorités), p. 244 ; MÜLLER (1999), p. 82 ;
ROUILLER, p. 946.
1051
ROUILLER, p. 946.
1052
Art. 2§1 Pacte I, 2§1 et 26 Pacte II, 14 CEDH et 8 al. 2 Cst. La portée de l’interdiction de la discri-
mination basée sur la religion par rapport à la liberté religieuse reste encore à être précisée par le
Tribunal fédéral; AUER (2003), p. 179 ; RIENER/KUHN, p. 36.
1053
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1110 ; MÜLLER (1999), p. 80.
210
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1054
ATF 97 I 221, 230 Neuapostolische Kirche. KIENER/KUHN, pp. 36-37; MÜLLER (1999), p. 93.
1055
Voir notamment ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M.; ATF 107 Ia 304, 307
Fuchs ; ATF 103 Ia 369, 361 Wäffler. AUER (1986), pp. 18-20 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
166-167 et 783; BESSON, pp. 49-96 ; BIANCHI, pp. 102-103 ; HÄFELIN/HALLER, p. 82; MÜLLER (1999), p.
28 ; SUDRE (2005B), pp. 228-230; TSCHANNEN, p. 106. La Cour européenne des droits de l’homme re-
connaît également aux libertés consacrées par la CEDH une dimension positive, voir ainsi les ACEDH
Lopez Ostra c. Espagne, du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Airey c. Irlande, du 9
octobre 1979, série A n° 32, §25; ACEDH Marckx c. Belgique, du 13 juin 1979, série A n° 31, § 31.
1056
Au sujet de la dimension négative des obligations de l’Etat découlant des libertés, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 161 ; BESSON, pp. 64-65 ; EGLI, p. 135 ; HÄFELIN/HALLER, p. 80 ;
MÜLLER (1982), p. 47 ; TSCHANNEN, p. 106 ; TRACHSEL, p. 6.
1057
ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M. BESSON, pp. 62-66; KIENER/KUHN, p. 35.
1058
ATF 113 Ia 394, 307-308 Koch.
1059
Une bonne organisation interne de la prison, ainsi que l’égalité de traitement avec les autres prison-
niers, s’opposent à la reconnaissance de jours de congé supplémentaires en faveur de certains dé-
tenus en raison de leur religion, ce d’autant plus lorsque ladite religion n’interdit pas elle-même de
travailler ce jour-là ; ATF 129 I 74, 82-84 X..
1060
ATF 119 Ia 178, 190, A et M; ATF 117 Ia 311, 315 E. und H.S.; ATF 114 Ia 129, 133 R..
211
La situation juridique des Tziganes en Suisse
736. Reconnue à titre de droit constitutionnel non écrit en 1965 par le Tri-
bunal fédéral1066, la liberté de la langue est consacrée à l’article 18 Cst. En tant
que droit fondamental, elle appartient à toutes les personnes physiques et mo-
1061
Un élève adventiste a obtenu le droit d’être dispensé pendant les cinq jours consécutifs de fête reli-
gieuse, le Tribunal fédéral estimant qu’il était disproportionné de lui refuser cette dispense sous pré-
texte que les élèves de confession juive ne pouvaient pas demander plus de quatre jours consécu-
tifs de congé; ATF 114 Ia 129,137-138 R. SAHFELD, p. 336.
1062
Un règlement scolaire qui se révèle trop strict à l’égard des exigences en matière de repos hebdo-
madaire pour les religions minoritaires peut s’avérer disproportionné. Dès lors, les autorités canto-
nales ne peuvent l’appliquer sans réserve sans auparavant avoir procédé à une pesée des intérêts
concrète entre l’intérêt de l’école à pouvoir garantir une organisation efficace des cours et l’intérêt
privé de l’élève à exercer sa liberté religieuse in casu ; ATF 117 Ia 311, 321 E und H.S. Les cours
de natation ne représentent qu’une fraction des cours de gymnastique et ne sont pas une discipline
scolaire indispensable dont la dispense pourrait entraîner des lacunes importantes pour un élève,
notamment en matière de recherche d’emploi. Dès lors, il s’avère disproportionné de refuser une
dispense en faveur d’une écolière mineure de religion musulmane, ce d’autant lorsque le père
s’engage à lui enseigner la natation. ATF 119 Ia 178, 195-196 A et M.
1063
Toutefois, cette tolérance est fortement restreinte à l’égard du corps enseignant, soumis au devoir
de neutralité religieuse de l’Etat: le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l’interdiction faite à une
enseignante d’une école publique de porter un foulard répondant à ses yeux aux exigences du Co-
ran correspondait à un intérêt public important et respectait le principe de proportionnalité. En effet,
le Tribunal fédéral a jugé que le port du foulard constituait un « signe religieux fort » susceptible de
heurter la sensibilité religieuse des élèves et de leurs parents. Dès lors, il s’oppose au devoir de neu-
tralité confessionnelle de l’Etat, visant à préserver la paix religieuse, auquel est soumis l’enseignante
en tant que représentante de l’Etat. Son devoir de réserve l’emporte donc sur son droit à exprimer
son sentiment religieux par le biais du port du foulard ; ATF 123 I 296, 311-312 X. Suivant point par
point le raisonnement du Tribunal fédéral, la Cour de Strasbourg s’est montrée encore plus sévère à
l’égard de l’enseignante genevoise puisqu’elle a ultérieurement confirmé cette décision en déclarant
irrecevable le grief de violation de l’art. 9 CEDH, le jugeant manifestement mal fondé, au sens des
art. 35 § 3 et 4 CEDH ; Décision Dahlab c. Suisse, du 15 février 2001, p. 15, CEDH 2001-V.
1064
Les hommes de confession sikh ne peuvent pas se dénuder la tête en public. L’atteinte à la liberté
religieuse du recourant est proportionnée, puisqu’il a la possibilité d’enlever son turban pour mettre
son casque de protection à l’abri des regards et donc de concilier ses impératifs religieux avec ses
obligations légales découlant de l’art. 3 al. 3 OCR ; ATF 119 IV 260, 265 B.
1065
ATF 125 I 300, 309 M. KIENER/KUHN, p. 36.
1066
ATF 91 I 480, 485-486 Association de l’Ecole française.
212
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
rales, quelle que soit leur nationalité ou leur domicile1067. Elle consacre le droit
des individus de s’exprimer dans la langue de leur choix1068. Si ni le Pacte II ni
la CEDH ne la codifient en tant que droit individuel per se, ces instruments
interdisent néanmoins de procéder à des discriminations en se fondant sur le
fait de s’exprimer dans une langue particulière.
737. Le système international de protection des minorités apporte ici des
précisions supplémentaires1069. Ainsi, tant l’article 27 Pacte II et l’article 10
CPMN1070 protègent spécifiquement le droit des communautés linguistiques à
employer leur propre langue1071. Pour sa part, poursuivant un objectif culturel
et ne cherchant pas à protéger les minorités linguistiques en tant que telles, la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de
l’Europe, du 25 juin 19921072, consacre la protection des langues historiques de
l’Europe menacées de disparition1073, mais ne confère aucun droit spécifique à
leurs locuteurs1074. Comme l’interdiction de la discrimination ne suffit pas à
elle seule à garantir la survie des idiomes en voie de disparition, la CLRM en-
gage les Etats parties à prendre des mesures spéciales reflétant les intérêts et
les souhaits de leurs locuteurs pour les préserver et les développer1075.
738. En tant que droit fondamental appartenant à tout individu, la liberté
de la langue n’est pas restreinte aux langues nationales suisses qui sont, selon
l’article 4 Cst., l’allemand, le français, l’italien et le romanche1076. Leurs locu-
teurs sont toutefois les seuls à pouvoir être qualifiés de minorités linguistiques
au sens du droit international. Dans ce contexte, la liberté de la langue leur ga-
1067
ATF 128 V 34, 37 Office de l´assurance-invalidité c. Commission cantonale; ATF 127 V 219, 225 A.;
ATF 122 I 236, 238 Joanne Althaus. GUCKELBERGER, p. 615.
1068
MÜLLER (1999), pp. 140-142 ; Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997
I 1112.
1069
BIANCHI, p. 106 ; MORAND (1993), p. 13 ; MÜLLER (1999), pp. 140-141 et 148-150.
1070
La CPMN comporte d’autres dispositions engageant les Etats de respecter le choix de leurs minorités
nationales à utiliser et s’exprimer dans leur langue minoritaire ; voir ainsi les art. 5, 6, 9, 11 et 14
CPMN.
1071
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 638-639.
1072
RS 0.441.2 ; RO 2003 2507. La CLMR est entrée en vigueur le 1er mars 1998, également pour la
Suisse qui a ratifié cet instrument le 23 décembre 1997. Son mécanisme de surveillance est de na-
ture exclusivement non-contentieuse, puisque les Etats parties ne sont astreints qu’à la présentation
de rapports périodiques auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe (art. 15 al. 1). Les rap-
ports sont examinés par un Comité d’Experts (art. 16), composé de personnes compétentes et de
haute intégrité, nommées par le Conseil des Minisitres à raison d’un expert par Etat-membre (art.
17 al. 1), pour une période de six ans, et dont le mandat est renouvelable (art. 17 al. 2). Sur la
base des rapports soumis par les Etats, ainsi que des informations transmises au Comité par des or-
ganismes non gouvernementaux légalement constitués dans ces Etats (art. 16 al. 2), le Comité rend
ensuite un rapport au Comité des Ministres (art. 16 al. 3).
1073
Voir le Préambule de la Charte. La CLMR ne s’applique pas à toutes les langues minoritaires présen-
tes sur un territoire car elles ne sont pas nécessairement en voie de disparition ; Message du
Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1108 ; WILSON (1999), p. 187.
1074
WILSON (1999), p. 187.
1075
Rapport explicatif de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, §10.
1076
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 634.
213
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1077
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1112.
1078
KÄGI-DIENER (art. 70), p. 811.
1079
ATF 122 I 236, 242-243 Jorane Althaus. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 655. Commentaire sur la
genèse et la portée de l’avant-projet de loi sur les langues, 2001, p. 5.
1080
Parmi les mesures envisageables, on évoquera la promotion de la communication de bulletins
d’informations des agences de presse dans toutes les langues nationales, ou encore la promotion de
l’apprentissage de plusieurs langues notamment à l’école et par le biais d’échanges entre écoles ;
GUCKELBERGER, p. 623.
1081
BORGHI (2001), p. 600.
1082
BIANCHI, p. 105.
1083
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 9; Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de
CLMR, FF 1997 I 1115-1116. Voir également le Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de
la CPMN, FF 1998 1033, 1048. BORGHI (2001), p. 600.
1084
Rapport initial de la Suisse relatif à la CLMR, pp. 9-10.
1085
Rapport initial de la Suisse relatif à la CLMR, p. 11 ; Deuxième rapport périodique de la Suisse relatif
à la CLMR, p. 16. Voir en outre nos développements relatifs au statut de la langue jénisch en
Suisse, infra Titre Quatrième, Chapitre IV.
1086
MACHERET (2001), p. 376.
214
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1087
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus ; ATF 91 I 480, 487, Association de l’Ecole française de Zurich.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 668; WILSON (1999), p. 156.
1088
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus; ATF 116 Ia 345, 349 Bar Amici; ATF 106 Ia 299, 302-303 Brun-
ner; ATF 91 I 480, 487 Association de l’Ecole française. HÄFELIN/HALLER, p. 152.
1089
ATF 122 I 236, 238 Jorane Althaus; ATF 121 I 196, 198 René Noth; ATF 116 Ia 345, 351 Bar Amici;
ATF 106 Ia 299, 302-303 Brunner; ATF 91 I 480, 486-487 Association de l’Ecole française.
1090
ATF 122 I 236, 240-241 Jorane Althaus; ATF 121 I 196, 199 René Noth. WILSON (1999), p. 157.
1091
Comp. ATF 116 Ia 345, 349 Bar Amici; ATF 106 Ia 299, 302-303 Brunner; ATF 91 I 480, 486-487
Association de l’Ecole française.
1092
MACHERET (2001), pp. 376-377 ; MACHERET (2005), p. 116. Voir notamment BORGHI (2001), p. 616-
617 ;WILSON (1999), pp. 158-160 et 295s.
1093
Arrêt du 2 novembre 2001, en la cause Amrein, publié in : RFJ 2001 366, 373.
1094
MACHERET (2001), p. 377.
1095
ROUILLER, p. 950.
1096
HANGARTNER (2003a), pp. 105-106 ; MACHERET (2005), p. 116, note 37 ; MALINVERNI (Suisse), p. 72.
215
La situation juridique des Tziganes en Suisse
puisqu’il n’a pas déclaré le grief irrecevable motif pris d’un défaut
d’applicabilité directe.
746. Or, si elle admet sa justiciabilité, notre Haute Cour affirme, dans la
foulée et sans autre analyse, que l’article 27 Pacte II n’offre pas plus de garan-
ties que la protection de la vie privée et familiale consacrée à l’article 8 CEDH
tel qu’il protège le mode de vie tzigane1097. En effet, le Tribunal fédéral estime,
d’une part, que les champs d’application de ces deux normes sont identiques
et, d’autre part, que leur restriction est admissible aux mêmes conditions1098. Il
fonde alors exclusivement son raisonnement sur la pratique entourant la
norme européenne, plus développée en la matière que celle du Comité des
droits de l’homme. Ceci lui permet notamment d’appliquer pleinement la
théorie de la marge d’appréciation dont disposent les Etats parties ainsi que les
conditions de restriction découlant de la clause de limitation de l’article 8§2
CEDH1099.
747. Mis en perspective avec l’interprétation qu’en fait le Comité des droits
de l’homme1100, le raisonnement tenu par le Tribunal fédéral dans l’arrêt Bittel
à l’égard de la portée de l’article 27 Pacte II est critiquable pour plusieurs rai-
sons. Tout d’abord, on peut regretter que les juges de Mon-Repos ne se soient
pas donné la peine de s’exprimer clairement sur la qualité de minorité des Tzi-
ganes. En entrant plus avant en matière sur le grief de l’article 27 Pacte II, cette
prise de position se serait imposée.
748. Ensuite, notre Haute Cour contredit la pratique du Comité à l’égard de
l’article 27 Pacte II, tant du point de vue de ses objectifs que de ses conditions
de restriction, notamment au regard de l’applicabilité de la marge
d’appréciation des Etats en matière d’aménagement du territoire lorsque sont
en cause les droits de minorités. L’approche du Tribunal fédéral ignore que
cette disposition illustre l’un des apports du Pacte II par rapport à la protection
1097
Le Tribunal fédéral se réfère ici à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH
2001-I. Voir nos développements portant sur la portée de l’art. 8 CEDH pour la protection du mode
de vie nomade et les différentes facettes qui le composent, infra Chapitre III, Sections B et C.
1098
ATF 129 II 321, 329, Bittel : « (…) [l]e recourant a invoqué plusieurs garanties constitutionnelles ou
conventionnelles, en relation avec la protection de la dignité humaine (art. 7 et 10 Cst.), la liberté
d'établissement (art. 24 Cst.), la protection de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH - cf. également
art. 13 al. 1 Cst.), ou encore la protection de la vie culturelle des minorités ethniques (art. 27 Pacte
ONU II). Par cette argumentation, il se prévaut en définitive de son droit (ainsi que de celui de sa
famille) de conserver son identité tsigane et de mener une vie privée et familiale conforme au mode
de vie traditionnel des Tsiganes, dans le respect de son domicile. D'après la jurisprudence des orga-
nes de la CEDH, ce droit peut être déduit de l'art. 8 par. 1 CEDH (…) ; il importe peu de déterminer,
en l'espèce, s'il peut encore trouver un fondement dans d'autres garanties de nature constitution-
nelle. En effet, ce droit n'est de toute manière pas absolu, la Convention et la jurisprudence euro-
péennes admettant des "ingérences" dans son exercice (cf. art. 8 par. 2 CEDH) de la part des auto-
rités publiques (…) ».
1099
Voir nos développements relatifs à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à ce sujet, en particu-
lier infra Chapitre III, Section C, 2.
1100
Supra Section A, 2.
216
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
offerte par la CEDH, du fait précisément qu’il garantit aux personnes apparte-
nant à une minorité une couverture plus importante que la Convention1101.
749. A notre sens, tenu par le principe de faveur, le Tribunal fédéral devait
premièrement se référer à la pratique du Comité pour définir la portée exacte
de l’article 27 Pacte II. Deuxièmement, il était nécessaire d’analyser plus en dé-
tail de quelle manière la disposition universelle était à même d’offrir une
protection supplémentaire, ou du moins complémentaire, à celle de l’article 8
CEDH dans le cas d’espèce.
750. Il nous semble dès lors discutable que notre Haute Cour ait jugé que le
droit de personnes appartenant à une minorité ethnique de voir leur identité
culturelle préservée puisse être qualifié de synonyme du droit éminemment
individuel au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, on regrettera qu’elle
n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée de tracer le contour des obliga-
tions existant à l’égard des Tziganes, en l’occurrence de ceux qui sont encore
nomades.
1.4. Appréciation
1101
KÄLIN/KÜNZLI, p. 55.
217
La situation juridique des Tziganes en Suisse
754. Deuxièmement, hormis dans les litiges mettant en cause des Tziganes,
les recourants ne font pas valoir ces griefs spécifiques. En conséquence, la pro-
tection des droits fondamentaux ne s’effectuant pas d’office, les exigences du
principe d’allégation ne permettent pas au juge constitutionnel de se position-
ner sur leur portée1102.
755. Troisièmement, une partie de la doctrine suisse exprime des doutes
quant à l’utilité d’une telle démarche. En effet, au vu des développements ju-
risprudentiels entourant la portée de la liberté religieuse, les auteurs estiment
que les exigences posées par le droit international des minorités sont d’ores et
déjà remplies à l’égard des communautés religieuses minoritaires en Suisse1103.
756. Selon ROUILLER, il n’y aurait ainsi pas de place pour une référence utile
à ce système de protection dans ce contexte spécifique. En effet, le droit des
minorités serait pleinement assuré du fait que le Tribunal fédéral interprète la
liberté religieuse comme garantissant le respect et l’intégration des minorités
confessionnelles1104.
757. Or, les litiges les plus délicats qui ont récemment mis en cause des re-
vendications religieuses minoritaires concernent une communauté, celle des
Musulmans, dont la place croissante en Suisse n’est que récente et dont les
membres ne peuvent se prévaloir que des droits fondamentaux individuels, à
l’exclusion du droit des minorités1105.
758. Pour leur part, les minorités linguistiques connaissent un régime quel-
que peu différent. Tout d’abord, les langues nationales minoritaires bénéficient
de programmes législatifs prenant expressément en compte leur qualité de
minorités et qui sont destinés à les préserver. Elles sont donc au bénéfice d’un
encadrement et d’un soutien politiques que n’ont pas les minorités religieuses.
759. Ensuite, la prééminence du principe de territorialité qui prévalait dans
la jurisprudence du Tribunal fédéral jusqu’à récemment mettait à mal la liberté
de la langue des personnes appartenant à des minorités. Dans ce contexte, cer-
tains auteurs avaient émis des doutes sur la compatibilité de la jurisprudence
fédérale avec le Pacte II et notamment avec l’obligation de protection des mi-
norités linguistiques contre l’assimilation1106.
760. En effet, dans sa pratique, le Comité des droits de l’homme donne
priorité à la liberté de la langue, face à des législations qui octroient une impor-
1102
Art. 106 al. 2 LTF: « [Le Tribunal fédéral] n’examine la violation des droits fondamentaux ainsi que
celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par le
recourant ». Dans le cadre de l’ancien recours de droit public, comp. l’art. 90 al. 1 let. b aOJ.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1944 et 2028.
1103
MALINVERNI (Minorités), p. 244; ROUILLER (2003), pp. 945-946.
1104
ROUILLER (2003), p. 950.
1105
A titre d’exemple, en relation avec la création de carrés confessionnels permanents en faveur des
membres de la communauté musulmane, voir ATF 125 I 300, M.
1106
MALINVERNI (Minorités), p. 247 ; WILSON (1999), pp. 159-160.
218
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
763. La réalisation effective des garanties conférées par le statut des Tziga-
nes en tant que minorité suisse se heurte à des difficultés qui ont pour consé-
quence qu’il est nécessaire de dépasser l’approche individualiste du droit des
minorités. A leur égard, une application complète de ce dernier n’est pas seu-
lement souhaitable, mais s’avère nécessaire. En effet, il est premièrement im-
possible d’intégrer les Tziganes dans la structure institutionnelle qui garantit
la protection des minorités historiquement présentes en Suisse (2.1.) ; deuxiè-
mement, sans un véritable « réflexe minoritaire », il est ardu, voire irréalisable,
de concilier leurs besoins identitaires avec la notion d’intérêt public (2.2.).
1107
Constatations du CDH, du 5 mai 1993, relatives aux Communications n° 359/1989 et 385/1989 Bal-
lantyne et al. c. Canada; Constatations du CDH, du 15 août 1994, relatives à la Communication n°
455/1991 Singer c. Canada.
1108
WILSON (2001), p. 381.
219
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1109
MALINVERNI (1998), pp. 385-386 ; Rapport initial de la Suisse, § 66.
1110
ATF 129 II 321 Bittel.
1111
BIANCHI, p. 105 ; HENRARD (2005), p. 142 ; MALINVERNI (1998), p. 372 ; WILSON (1999), pp. 193-195.
Message du Conseil fédéral relatif à la CPMN, FF 1998 I 1044 ; Rapport initial de la Suisse, § 38.
1112
MALINVERNI (1998), pp. 385-386 ; WILSON (1999), pp. 193-194.
220
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1113
WILSON (1999), p. 195 ; WELLER (art. 15), p. 443.
1114
Voir à ce sujet la prise de position de l’association Schinagel, du mois de juillet 2005, relative à la
procédure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005,
p. 1 (http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]): cette association sou-
ligne que le nombre de membres de la minorité tzigane de Suisse est presque équivalent à celui de
la minorité romanche (35'000, respectivement 40'000).
1115
Rapport du Conseil fédéral, Parte I, p. 27.
1116
Prise de position de l’association „Schäft qwant“- Transnationaler Verein für jenische Zusammenar-
beit und Kulturaustausch, du 1er novembre 2005, relative à la procédure de consultation concernant
l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, du 22 juin 2005, p. 5.
(http://home.balcab.ch/venanz.nobel/qwant [consulté le 12 avril 2006]).
1117
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.
221
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ceux de sa fraction nomade, impose une action des autorités, qu’elles soient
fédérales, cantonales ou communales, et ce notamment en matière
d’aménagement du territoire. En ce sens, les obstacles liés à l’exercice d’un
mode de vie nomade sont amplifiés par la répartition des compétences entre
les différentes entités fédérées et l’Etat central1118.
774. Certes, le modèle fédéral a l’avantage d’offrir des solutions adaptées
aux conditions locales d’une manière qu’un système centralisé ne permet pas.
Par ailleurs, acceptées et conçues localement, ces solutions ont de meilleures
chances d’être mises en oeuvre et d’aboutir à des résultats concrets1119. Toute-
fois, une éventuelle compétence cadre octroyée à la Confédération, lui confé-
rant des moyens plus contraignants que ceux existant actuellement1120, permet-
trait une coordination et une gestion nationales des besoins, ainsi qu’une uni-
formisation des exigences quantitatives et qualitatives minimales.
775. L’absence de coordination fédérale est ainsi l’un des principaux fac-
teurs relevés par les expertises, ainsi que par les cantons eux-mêmes, pour ex-
pliquer les difficultés à parvenir à l’élaboration d’une politique satisfaisante
dans ce domaine1121. Au-delà de l’absence d’effets positifs sur sa représentati-
vité et son influence au sein de l’Etat fédéral, le fédéralisme se révèle être une
source supplémentaire de difficultés pour la préservation des spécificités eth-
no-culturelles de cette minorité1122.
776. Dans ce contexte, le fédéralisme ne forme pas un outil structurel et ins-
titutionnel protégeant cette communauté contre sa disparation par le biais de
son assimilation. Il est même possible de considérer que cette structure étati-
que constitue un facteur aggravant ce mouvement assimilatoire, en raison des
difficultés engendrées par la répartition des compétences pour créer un parc
d’aires de stationnement, et de l’absence de mesures destinées à contrer ses ef-
fets. On regrettera, dès lors, l’affirmation insuffisamment nuancée du Conseil
fédéral lorsque, dans son rapport initial relatif à la CPMN, il juge que la struc-
ture fédéraliste garantit aux minorités nationales une protection efficace contre
1118
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 17.
1119
Comp. ainsi la situation en vigueur en France, où depuis 1990, le législateur impose aux communes
de plus de 5000 habitants de « réserver » des terrains pour l’accueil des Tziganes nomades (art. 28
de la loi du 30 mai 1990, n° 90-449, Journal officiel du 2 juin 1990, remplacé par la loi du 5 juillet
2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, n° 2000-614, Journal officiel du 6 juillet
2000). A ce jour, les réticences des autorités locales à la mise en oeuvre de cette obligation ont
pour conséquence que l’objectif posé par la loi n’est pas encore rempli, puisqu’au 31 décembre
2004, le Ministère français de l’équipement indique que seules 20% des aires prévues sont ouver-
tes.
1120
La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » a pour objectif initial la
coordination des projets de création de place.
1121
Voir notamment l’Avant-projet de rapport, Partie II, p. 12 et 21-23; Rapport d’expertise 2001, p. 29.
1122
Prise de position des ONG, p. 5.
222
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
778. Ainsi que Martin Philipp WYSS le démontre1125, l’un des objectifs de la
poursuite de l’intérêt public, au sens large, est de préserver une certaine ho-
mogénéité sociale et de limiter au mieux l’émergence de conflits au sein de la
société civile. Selon cet auteur, il s’agit de l’un des principaux aspects de
l’obligation de protection de l’Etat à l’égard de sa population. Ainsi, le consti-
tuant, le législateur voire la jurisprudence conditionnent, dans plusieurs do-
maines, l’exercice des droits fondamentaux des individus au respect des
conceptions sociales majoritaires, afin de s’assurer que cet exercice ne remette
pas en cause la paix sociale1126.
779. Un domaine comme le droit des étrangers illustre cette exigence, puis-
que la capacité de l’étranger à respecter les mœurs et les coutumes nationales,
ainsi que l’ordre public, est un facteur déterminant pour autoriser et prolonger
son séjour sur le territoire suisse1127. L’Etat, en tant que garant de la paix so-
ciale, possède dans ce cadre un véritable mandat pour parvenir à
1123
Rapport initial suisse relatif à la CPMN, § 146.
1124
Dans ce sens, voir l’Opinion du Comité consultatif relatif à la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007,
§77 : « Les gens du voyage rencontrent des difficultés particulières en matière de participation aux
affaires les concernant en raison du fait qu’ils n’ont pas d’attache historique à un territoire particulier
et que, de ce fait, ils sont confrontés à une multitude d’autorités cantonales et communales lors-
qu’ils voyagent et exercent leurs activités économiques (…). »
1125
WYSS, pp. 247-259.
1126
A titre d’exemple, voir l’exercice du droit de grève, consacré à l’article 28 Cst. : le constituant fédéral
a imposé le maintien de la paix du travail en tant qu’intérêt public dont la violation rend l’exercice
de ce droit illicite (art. 28 al. 3 Cst.) ; WYSS, p. 257.
1127
Voir notamment l’art. 54 LEtr. En outre, voir l’art. 62 LEtr : celui qui, par sa conduite générale, ré-
vèle qu’il ne veut pas ou est incapable de s’adapter à l’ordre établi dans le pays peut faire l’objet
d’une mesure d’expulsion. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 515 ; Message du Conseil fédéral
concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469, 3553-3560.
223
La situation juridique des Tziganes en Suisse
l’assimilation, en facilitant les échanges entre des groupes issus de cultures dif-
férentes et en améliorant leur intégration, de façon à prévenir les conflits1128.
780. Dans la pratique de notre Haute Cour, les libertés individuelles offrent
la possibilité aux personnes appartenant à des courants sociaux minoritaires
de se défendre, jusqu’à un certain point, contre les ingérences de la société ma-
joritaire dans leurs croyances et leur mode de vie. La société pose certes des
règles générales applicables à tous, mais les droits fondamentaux permettent
d’exiger que des exceptions soient aménagées en faveur des communautés mi-
noritaires1129. Selon le Tribunal fédéral, les personnes appartenant à des cultu-
res minoritaires n’ont aucune obligation juridique de renoncer à leurs coutu-
mes et à leur mode de vie: on ne peut pas déduire du principe d’intégration
une règle les contraignant à accepter des restrictions disproportionnées à leurs
conceptions particulières1130.
781. Le garde-fou constitué par les droits fondamentaux est valable pour
tous les particuliers, qu’ils composent ou non des minorités protégées par le
droit international. Pour sa part, le droit des minorités impose des limites sup-
plémentaires à la politique générale d’assimilation, traçant ainsi une ligne en-
tre le devoir d’intégration existant à charge des membres des communautés al-
logènes et le droit à la différence des personnes appartenant à des minorités
historiquement ancrées dans un Etat. En effet, si l’objectif des droits de
l’homme est de garantir une protection juridique identique à celle des mem-
bres de la société majoritaire, celui du droit des minorités est de permettre aux
minorités de se démarquer et d’être différentes1131.
782. En Suisse, les minorités historiques sont reconnues et intégrées depuis
la création de la Suisse moderne en 1848, notamment par le biais de mécanis-
mes institutionnels, comme nous l’avons vu. Ceci a pour conséquence que le
maintien des équilibres sociaux ne remet en cause ni le contenu, ni
l’expression, ni l’existence même de ces identités minoritaires. Cette relation
entre le fait de constituer un élément de la société suisse et la possibilité
d’exprimer des particularismes identitaires transparaît clairement lorsqu’on
considère la situation des autres communautés. Ainsi, des groupes religieux
dont la présence en Suisse est récente – les Musulmans – ou qui ont été histori-
quement victimes de préjugés et de défiance – les Juifs – éprouvent plus de dif-
ficultés à pouvoir vivre leurs particularismes, en raison du fait que ces derniers
ne coïncident pas avec ce qui est conçu comme la conception sociale majori-
taire.
1128
Comp. l’art. 52 LEtr; Message du Conseil fédéral concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469,
3556-3557.
1129
WYTTENBACH/KÄLIN, p. 320.
1130
ATF 119 Ia 178, 196 A. und M..
1131
MARCHAND, p. 14.
224
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
784. Seule une pleine application du droit des minorités à l’égard des Tzi-
ganes mène à ce que la notion d’intérêt public intègre les particularismes tzi-
ganes. En effet, ce système a pour objectif d’empêcher l’adaptation forcée de la
culture traditionnelle de groupes dont le mode de vie ne correspond pas aux
conceptions sociales majoritaires1133. A défaut, les besoins identitaires des Tzi-
ganes sont condamnés à ne pas être pris en compte puisqu’en tant que tels, ils
ne s’intègrent pas à ces dernières.
785. De par ce qu’elle représente et conditionne, la sédentarité constitue
une approche de la vie en société qui est fondamentalement remise en ques-
tion par le mode de vie traditionnel nomade des Tziganes et la culture qui en
découle. Si les mesures coercitives pratiquées par le passé n’ont plus cours au-
jourd’hui, la reconnaissance très récente du mode de vie tzigane n’a pas encore
eu réellement d’effet sur les la gestion des autorités de la problématique. Ainsi,
affirmer que cette minorité n’est pas encore perçue comme étant un composant
à part entière de la société civile suisse, et ce malgré sa présence historique sur
le territoire helvétique, relèverait de l’euphémisme.
786. Cette opposition est clairement illustrée par le fait que la question de la
préservation de la paix sociale et de l’ordre public persiste à dominer dans le
discours des autorités quand elles doivent identifier les besoins et les efforts à
consentir vis-à-vis des particularités culturelles tziganes1134. Ainsi, en 2001 en-
core, le Conseil fédéral affirmait explicitement qu’une protection juridique des
besoins des Tziganes nomades allant au-delà de celle offerte par les droits in-
1132
WYSS, p. 249.
1133
Voir notamment les Constatations du CDH, du 15 novembre 2000, relatives à la Communication
n°547/1993 Mahuika c. Nouvelle-Zélande, §9.4. Le CDH considère que l’art. 27 Pacte II protège non
seulement les activités économiques traditionnelles des minorités, mais également leur adaptation
aux technologies modernes. In casu, le Comité a considéré qu’un accord, accepté par une majorité
des membres de la minorité, visant à réglementer l’exploitation des activités de pêche sur
l’ensemble du territoire néo-zélandais était conforme à l’art. 27. En effet, à travers cet accord, le
contrôle effectif d’un grand nombre d’installations de pêche a été passé sous le contrôle des Maoris.
De plus, ces derniers partagent également le contrôle effectif des pêcheries industrielles (§ 9.7). Le
Comité a toutefois attiré l’attention de l’Etat que toutes les mesures affectant les activités tradition-
nelles des Maoris devaient être réalisées de manière à permettre à ces derniers de continuer à exer-
cer leur culture en groupe (§ 9.9).
1134
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.
225
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1135
BO/CN 2001, p. 516 (réponse à la motion 00.3604 « Ratification de la Convention n° 169 de l’OIT
par la Suisse »).
1136
ATF 129 II 321, 329 Bittel.
1137
Au sujet de l’aménagement du territoire en tant que « bien commun », voir MOOR (vol. 1, 1994), p.
388.
1138
Comp., en France, la jurisprudence du Conseil d’Etat affirmant que la création d’aires d’accueil pré-
sente une utilité publique allant jusqu’à permettre l’expropriation d’une parcelle afin d’en aménager.
Voir notamment la Décision du 18 juin 1997, Association de quartier la Chambrière, l’Oisonnière, la
Gemmetrie, la Moricière, req. n° 152487, confirmant une jurisprudence établie notamment par les
Décisions du 11 juillet 1984, Martin, req. n° 47909 et du 1er janvier 1985, Carrier, req. n° 40900.
1139
ATF 125 I 300, 309, M.
226
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
tentes est appelé à interpréter les notions de paix sociale, de bien commun et
d’intérêt public, en incluant les besoins particuliers des Tziganes. En effet,
ceux-ci doivent ainsi être intégrés par ces autorités dans la pesée de tous les in-
térêts en présence exigée par l’article 3 al. 1 OAT1140. Ainsi, en tant qu’autorité
politique en charge de la définition des intérêts publics que l’action de l’Etat
doit poursuivre, il revient notamment au législateur de ne pas rester inactif. La
grille d’interprétation qu’offre le droit des minorités, pris sous ses facettes tant
individuelle que collective, s’avère à notre sens indispensable pour les assister
dans ce travail d’intégration.
791. Relevons qu’a priori, tous les intérêts en présence se valent et aucun n’a
plus de légitimité qu’un autre1141. Toutefois, les intérêts que le législateur dé-
cide de promouvoir dans une loi ont un poids particulier, car ils sont
l’expression de la volonté démocratique1142. Dans ce contexte, on peut d’autant
plus apprécier l’apport de l’interprétation de l’article 3 al. 3 LAT par le Tribu-
nal fédéral : la prise en compte des besoins des Tziganes ne constitue pas un
« simple » intérêt public parmi d’autres, mais bien l’un de ceux choisis par le
législateur.
792. L’activité étatique devant nécessairement poursuivre un but d’intérêt
public1143, seule cette intégration permet de légitimer la conception et le déve-
loppement d’une politique générale et coordonnée en faveur des différents as-
pects de la culture tzigane. Elle seule offre la garantie permettant à la balance
des intérêts de pencher, dans les cas d’espèce, en faveur des Tziganes.
793. A contrario, si leurs besoins sont uniquement considérés sous l’angle de
sources de trouble à l’ordre public, ils ne peuvent pas prévaloir lors de la pon-
dération des intérêts pour la simple raison qu’ils ne sont pas placés sur la ba-
lance au même titre que les autres. Ceci est d’autant plus important que le
principe de proportionnalité possède un rôle clé dans le cadre de litiges met-
tant en cause des minorités1144.
794. Dès lors, il est particulièrement intéressant de relever les arguments de
la Commission d’aménagement du canton de Genève en avril 2003. Cette com-
mission parlementaire a dû répondre aux oppositions formulées à l’encontre
du projet de loi destiné à modifier les limites de zones dans la commune de
Versoix, afin d’aménager un lieu de stationnement alternatif à celui de la place
dite du Molard, dans la même commune.
795. Se fondant explicitement sur la nécessité de protéger la minorité tzi-
gane, au regard notamment de l’article 27 Pacte II, ainsi que la dignité hu-
1140
NÜSSLE, p. 87.
1141
NÜSSLE, p. 88.
1142
NÜSSLE, pp. 89-90.
1143
Art. 5 al. 2 Cst.
1144
Voir en particulier infra Section C, 2.2.1.
227
La situation juridique des Tziganes en Suisse
3. Appréciation
1145
Rapport de la Commission d’aménagement du canton de Genève relatif au projet de loi 8836-A et à
la pétition 1418-A concernant le projet de loi, du 29 avril 2003, pp. 7-8.
1146
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 27.
228
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
801. Après avoir montré que la facette collective du droit des minorités
peut être qualifiée de garantie de l’Etat de droit au sens de la théorie suisse des
droits fondamentaux (1.), nous analyserons les différentes obligations qui dé-
coulent de sa dimension objective et institutionnelle, d’une part, et subjective,
d’autre part (2.).
1147
Voir notamment les conclusions du CDH relatives à la Communication n°1023/2001, J. et E. Läns-
man c. Finlande, du 6 novembre 2000, UN Doc. CCPR/C/83/D/1023/2001, § 10.1 et 10.3. Ainsi, les
mesures qui restreignent de façon limitée la jouissance des droits culturels protégés ne sont pas in-
compatibles avec l’art. 27 Pacte II. Le cas d’espèce concernait l’impact des exploitations forestières
prévues par l’Etat finlandais sur le rendement économique de l’élevage traditionnel des rennes pra-
tiqué par la communauté saami. Le CDH a relevé que ces exploitations pouvaient certes avoir un ef-
fet négatif, mais les expertises démontraient que le faible rendement de l’élevage traditionnel avait
d’autres causes sans rapport avec l’exploitation forestière. De plus, le Comité a jugé que malgré ces
difficultés, le nombre d’élevage demeurait élevé et qu’en conséquence, les activités étatiques
n’avaient qu’un impact limité sur la jouissance des droits culturels saamis. Dès lors, on ne pouvait
conclure à aucune violation (§ 10.3).
229
La situation juridique des Tziganes en Suisse
Cst. 1148, alors que selon le Comité des droits de l’homme, ce raisonnement ne
s’applique pas aux droits découlant de l’article 27 Pacte II.
803. A notre sens, du point de vue de la théorie suisse des droits fondamen-
taux, la facette collective du droit des minorités constitue une garantie de l’Etat
de droit1149. Encadrant la façon dont l’Etat accomplit ses fonctions à l’égard des
minorités et de leurs membres, le contenu de son activité se retrouve, en effet,
limité et conditionné. Ceci tend également à démontrer qu’il ne s’agit pas d’un
droit fondamental assimilable aux libertés individuelles, puisque ces dernières
ont pour leur part pour objectif de protéger certains aspects de l’activité hu-
maine contre l’intervention injustifiée des organes de l’Etat.
1148
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 172; RIEDER (2003), pp. 42-43.
1149
Au sujet des éléments constitutifs des garanties de l’Etat de droit, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER
(II), pp. 6-10 ; TSCHANNEN (2004), p. 108.
1150
TSCHANNEN (2004), pp. 109-110 et 112.
1151
HÄFELIN/HALLER, pp. 70-71 ; SCHWEIZER (art. 35), pp. 481-482.
1152
EGLI, pp. 136-138 ; HÄFELIN/HALLER, pp. 81-84 ; KIENER/KUHN, pp. 40-41 ; SCHWEIZER (art. 35), p.
481 ; TSCHANNEN (2004), pp. 109-110. ATF 130 III 353, 355-356, A SA c. B. ; ATF 126 V 70, 74, IV-
Stelle Schwyz ; ATF 126 II 324, 327-328, Glouchkov.
1153
KIENER/KUHN, p. 40 ; SCHWEIZER (art. 35), p. 482 ; TSCHANNEN (2004), pp. 113-114.
1154
KIENER/KUHN, pp. 40-41 ; SCHWEIZER (art. 35), p. 482 ; TSCHANNEN (2004), pp. 115-116.
230
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1155
KIENER/KUHN, p. 41.
231
La situation juridique des Tziganes en Suisse
des Tziganes, ne doit pas être ignoré lorsqu’il s’agit de déterminer les besoins
en cause.
812. Dans ce contexte, on ne peut que constater l’importance de
l’information et de la formation des autorités en charge d’appliquer et de met-
tre en œuvre le droit, et cela à tous les niveaux de l’Etat.
813. Tant l’article 27 Pacte II que l’article 5 CPMN imposent à l’Etat de créer
les conditions nécessaires permettant aux minorités de maintenir et de déve-
lopper les éléments constitutifs de leur identité, notamment en instituant un
environnement favorable à ce développement1156. En particulier, l’article 27
Pacte II exige la prise de mesures de protection, dans le respect du principe de
proportionnalité et dans la limite des ressources étatiques disponibles1157.
814. De plus, l’article 12 CPMN engage l’Etat à mettre sur pied des structu-
res de recherche et d’enseignement consacrées à l’étude des traditions et iden-
tités minoritaires dans une optique de préservation et de mise en valeur de la
société pluriculturelle1158. Le législateur a ainsi l’obligation, non justiciable1159,
de mettre sur pied des politiques et des programmes. Dans ce cadre, il est au
bénéfice d’une large marge d’appréciation dans le choix des moyens à sa dis-
position1160.
815. Puisque ce sont leurs traditions et leurs spécificités culturelles dans
leur ensemble qui distinguent les Tziganes, les mesures à prendre pour créer
les conditions cadres nécessaires pour pouvoir les vivre sont plus importantes
que lorsqu’il s’agit de préserver les particularités d’une minorité religieuse ou
linguistique1161. Cette nécessité est donc imposée aussi bien par leurs particula-
rités identitaires que par l’absence des relais institutionnels dont peuvent bé-
néficier les autres minorités suisses1162.
816. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
invite explicitement les Etats à prendre des mesures spécifiques en faveur des
1156
GILBERT (art. 5), p. 157. Voir également GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES, § 28-29.
1157
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.1, 6.2, 7 et 9. CAPOTORTI, § 217 ; RAMU, pp. 605-613 et ré-
férences.
1158
Pour une démonstration du lien indissociable entre ces deux dimensions de la promotion de
l’identité minoritaire, voir l’art. 4 de la Déclaration sur les droits des minorités de 1992. Sur la rela-
tion entre l’art. 5 et l’art. 12 CPMN, voir GILBERT (art. 5), p. 156.
1159
SCHODER, pp. 168-169.
1160
SCHODER, p. 168.
1161
GILBERT (art. 5), pp. 166-167.
1162
GILBERT (art. 5), pp. 170-171.
232
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
Tziganes et à mettre sur pied des institutions ayant pour objectif la protection
de leur langue, de leur culture, traditions et identité1163.
1163
Recommandation 1557 (2002) relative à la situation juridique des Roms en Europe, point 15, lettre
e. HENRARD, pp. 199-200.
1164
Voir notamment ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth; ATF 119 Ia 28, 31 M.; ATF 107 Ia 304, 307
Fuchs; ATF 103 Ia 369, 361 Wäffler. AUER (1986), pp. 18-20 ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
165-166; BESSON, pp. 49-96 ; BIANCHI, pp. 102-103 ; HÄFELIN/HALLER, p. 82; MÜLLER (1999), p. 28 ;
TSCHANNEN (2004), p. 106. La Cour de Strasbourg reconnaît également aux libertés consacrées par la
CEDH une dimension positive, voir ainsi les ACEDH Leempoel & S.A. Ed. Ciné Revue c. Belgique, n°
65772/01, § 78, 9 novembre 2006 ; ACEDH Novoseletski c. Ukraine, n° 47148/99, CEDH 2005-II, §
68-70, ; ACEDH Surugiu c. Roumanie, n° 48995/99, § 59, 20 avril 2004 ; ACEDH Lopez Ostra c.
Espagne, du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Marckx c. Belgique, du 13 juin
1979, série A n° 31, § 31; ACEDH Airey c. Irlande, du 9 octobre 1979, série A n° 32, §25.
1165
Au sujet de cette dimension négative des obligations de l’Etat, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II),
N. 161; BESSON, pp. 64-65 ; EGLI, p. 135 ; HÄFELIN/HALLER, p. 80 ; MÜLLER (1982), p. 47 ; TSCHANNEN
(2004), p. 106 ; TRACHSEL, p. 6.
1166
BESSON, pp. 62-66. ATF 126 II 300, 314, Ruth Gonseth ; ATF 119 Ia 28, 31 M.
1167
Nous examinerons en détail la nature et la portée des mesures pouvant être prises à titre de discri-
mination positive dans notre chapitre consacré à l’interdiction de la discrimination, infra Chapitre II,
4.
1168
Observation générale n° 23 du CDH, §4 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 93.
233
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1169
THORNBERRY souligne que le CERD lui-même ne distingue pas toujours clairement entre les mesures
découlant du statut de minorité d’un groupe et celles s’imposant en raison de l’interdiction de la dis-
crimination ; THORNBERRY (2005), pp. 256-257.
1170
GILBERT (art. 5), p. 156 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 92.
1171
GILBERT (art. 5), p. 156.
1172
Observation générale n° 18 du CDH, § 10.
1173
Au sujet des mesures découlant de l’art. 4 CPMN, et de leur limitation dans le temps, voir ALFREDS-
SON (art. 4), pp. 149-150 et le Rapport explicatif relatif à la CPMN, § 39. Au niveau universel, voir
également l’Observation générale n° 13 du CESCR, § 32.
1174
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2 ; EIDE (1995), pp. 87 et 101 ; CAPOTORTI, §587-588 ; JO-
VANOVIC, pp. 638-639 ; PENTASSUGLIA (2002B), pp. 91-92 ; SCHODER, pp. 167-168 ; THORNBERRY (2005),
pp. 256-257. Comp. également le texte des art. 4 et 5 al. 1 CPMN.
1175
PRITCHARD, pp. 49-50 ; RAMU, p. 603-604.
1176
JOVANOVIC, p. 639.
234
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
c) Conclusion intermédiaire
1177
Observation générale n° 23 du CDH, § 6.2. Voir également les Constatations du CDH, du 5 novem-
bre 1999, relative à la communication n°694/1996, § 10.4-10.6 : lorsque l’Etat décide d’octroyer des
subventions en faveur des écoles privées dirigées par la minorité religieuse catholique, sans faire de
même pour les établissements scolaires dirigés par d’autres minorités religieuses, il commet une
inégalité de traitement à l’égard de ces dernières. PENTASSUGLIA (2002B), p. 92.
1178
Dans ce sens, voir déjà la Résolution 13 (1975) du Comité des Ministres, du 22 mai 1975, portant
recommandation sur la situation sociale des populations nomades en Europe, point B.
1179
Voir infra Section C, 2.1.3.
1180
Voir infra Chapitre II, Section B, 4.
235
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ries d’obligations exigeant une action de la part de l’Etat. Dès lors, il est discu-
table d’affirmer que, dans l’absolu, ce système n’apporte rien de plus que les
libertés individuelles et l’interdiction de la discrimination, et que les respecter
à l’égard des personnes appartenant à des minorités signifie nécessairement
que l’ensemble de leurs droits sont respectés.
1181
Voir les art. 2§2, 2§3, 2§4, 2§5 et 4§5 de la Déclaration sur les minorités de 1992.
1182
§35 du Document de Copenhague : « Les Etats participants respecteront le droit des personnes ap-
partenant à des minorités nationales de participer effectivement aux affaires publiques, notamment
aux affaires concernant la protection et la promotion de l'identité de telles minorités. » Cette dispo-
sition a également servi de point de départ pour la rédaction des Recommandations de Lund de
1999 relatives à la participation effective des minorités nationales dans la vie publique et les War-
saw Guidelines to Assist National Minority Participation in the Electoral Process de 2001, rédigées
sous les auspices du Haut Commissaire sur les minorités nationales de l’OSCE. VERSTICHEL, pp. 25-
26 ; HENRARD (2005), p. 133.
1183
HENRARD (2005), p. 134. Comp. les points 17 et 18 des Recommandations de Lund de 1999. Voir
également l’analyse de Steven C. ROACH, Minority Rights and an Emergent International Right to Au-
tonomy : A Historical and Normative Assessment, IJMGR, vol. 11, 2004, pp. 411-432 et notamment,
pp. 425-426 et 429.
236
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
droit des minorités qui consiste à parvenir à une intégration des communautés
minoritaires sans les assimiler contre leur volonté1184.
831. L’octroi des droits politiques aux membres des minorités ne suffit
donc pas à réaliser en soi cette obligation. Bien plus, le droit des minorités
exige l’aménagement de mécanismes offrant un certain degré d’autonomie et
qui dépassent le simple droit d’exercer individuellement les différents droits
politiques reconnus en droit interne1185. Lorsqu’une minorité n’est pas concen-
trée géographiquement, c’est dans le domaine culturel que cette autonomie
acquiert une importance particulière1186.
832. Au niveau européen, l’article 15 CPMN affirme que les autorités doi-
vent impérativement prendre en considération l’opinion des minorités lors-
qu’elles adoptent des mesures concernant la préservation de leur identité, et ce
au moins par le biais d’une consultation. Cette inclusion dans le processus dé-
cisionnel englobe la question financière et l’allocation des ressources1187. En ce
sens, l’article 15 CPMN consacre l’étape la plus évoluée de la protection des
minorités puisqu’il instaure un régime d’intégration et de co-gouvernance. En
effet, il leur garantit une participation pleine et active dans les affaires publi-
ques, de manière à ne pas les confiner au statut d’objets de l’activité étatique,
mais bien à les transformer en sujets participant à cette activité1188.
833. Au niveau universel, la lettre de l’article 27 Pacte II demeure muette
sur la question, au contraire de la pratique du Comité des droits de l’homme.
Celui-ci traite de la participation des groupes minoritaires – qu’il s’agisse de
minorités stricto sensu ou de peuples autochtones – tant à la vie publique en
général qu’aux décisions touchant leur culture. Pour ce faire, le Comité em-
ploie aussi bien l’article 1er que l’article 27 Pacte II.
834. Sur le premier point, le Comité a notamment considéré que, dans un
processus d’autodétermination par voie électorale, il fallait interpréter l’article
25 Pacte II à la lumière de l’article 1er Pacte II. Cette démarche permet par
exemple d’évaluer la légitimité d’une définition du cercle du corps électoral
restreinte à la population indigène qui possède suffisamment d’attaches avec
le territoire en cause1189.
1184
HENRARD (2005), p. 134; THORNBERRY (1993), p.141.
1185
Dans ce sens, voir l’opinion concurrente de Martin SCHEININ annexée aux Constatations du CDH, du
6 septembre 2000, relatives à la Communication N° 760/1997 J.G.A. Diergaardt c. Namibie. Voir
également VERSTICHEL, p. 27.
1186
Point 18 des Recommandations de Lund de 1999. HENRARD (2005), p. 150.
1187
Opinion du Comité consultatif relative à l’Italie, ACFC/INF/OP/I (2002) 007, § 34. GILBERT (art. 5), p.
159 ; HENRARD (2005), p. 152.
1188
Ainsi WELLER (art. 15), pp. 429-430.
1189
Constatations du CDH, du 26 juillet 2002, relatives à la Communication N° 932/2000, Gillot c.
France. Cette affaire touchait aux conditions d’éligibilité pour pouvoir participer aux référendums or-
ganisés en Nouvelle-Calédonie, suite à l’accord dit de Nouméa passé entre le gouvernement français
et deux organisations politiques de Nouvelle-Calédonie. Ces référendums avaient pour objectif de
237
La situation juridique des Tziganes en Suisse
238
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
ternationale sont les plus poussées à l’heure actuelle. Dès lors, nous présentons
les propositions faites en la matière par le Comité des Ministres à l’adresse des
Etats membres (ba), ainsi que la mise sur pied du « Forum européen pour les
Roms [sic] et les Gens du Voyage » (bb).
1194
Recommandation (2005) 4, §6 et 8.
1195
Recommandation (2004) 14, §29.
1196
Recommandation (2004) 14, §32-33.
1197
Recommandation (2005) 4, §9.
1198
Recommandation (2005) 4, §35.
239
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1199
Les membres du Forum sont les fédérations nationales et les organisations internationales non
gouvernementales de Roms, Sinti, Kale, Gens du voyage et autres groupes apparentés, qui dési-
gnent des délégués. Les fédérations nationales doivent regrouper 75 pour cent des structures na-
tionales représentant cette population dans le pays concerné. Le FERV est composé de deux orga-
nes : une assemblée plénière, qui discute des grandes questions concernant les populations tziga-
nes et qui établit le programme de travail du Forum, ainsi qu’un comité exécutif chargé d'effectuer
les tâches qui lui sont confiées par l'assemblée plénière (Règles de procédure du FERV, adoptées le
15 février 2005). Le mandat du FERV est d’assurer le contrôle du respect des droits fondamentaux
des Tziganes, de promouvoir la lutte contre le racisme et la discrimination, de faciliter l’intégration
de ces communautés dans les sociétés européennes et de formuler des propositions pour l'améliora-
tion de leur condition sociale. Il peut également émettre des propositions au niveau national et in-
ternational et participe à la coopération européenne visant à promouvoir les intérêts de ces popula-
tions (Site internet de la Division 3 « Roms et Voyageurs » du Conseil de l’Europe,
http://www.coe.int/T/DG3/RomaTravellers [consulté le 7 novembre 2005]).
1200
Un accord de partenariat, signé entre le FERV et le Conseil de l’Europe le 15 décembre 2004, prévoit
une contribution financière et la mise à disposition de ressources humaines par le Conseil de
l’Europe et permet au Forum d’entretenir une relation privilégiée avec les organes du Conseil qui
traitent de questions intéressant les Roms et les Gens du voyage.
1201
Rapport d’activités du Coordinateur pour les questions concernant les Roms et les Gens du voyage,
2004, p. 6 ; PROJECT ON ETHNIC RELATIONS (2003), p. 31.
1202
A cet égard, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe estime que « Les conseils
et les compétences techniques apportés par le [FERV] seront sans doute très utiles pour que les
Etats soient mieux informés et donc mieux équipés pour s’acquitter de leurs obligations à l’égard
240
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
des populations roms et des Gens du voyage. Le forum dispose aussi d'un grand potentiel pour faire
émerger la voix des Roms aux niveaux national et local. Il est aussi probable qu'il renforcera les sy-
nergies des organisations roms travaillant à ces niveaux. » Rapport du Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, § 23.
1203
Compatibilité d'un éventuel forum européen pour les Roms et les gens du voyage avec le principe
de non-discrimination dans l'art. 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, GT-
ROMS(2003)3. Voir également l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello,
Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni
[GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, avril 2003, §16-23.
241
La situation juridique des Tziganes en Suisse
851. L’article 5 al. 2 in fine Cst. pose le principe que toute activité de l’Etat
doit être proportionnée au but visé. Ce principe est particulièrement important
dans le cadre des litiges opposant les revendications fondées sur des spécifici-
tés minoritaires et les exigences de l’ordre juridique basées sur les standards
majoritaires. C’est dans ce cadre que les tensions entre particularismes minori-
taires et valeurs majoritaires sont essentiellement résolues1204.
852. Lorsqu’il adopte des mesures restrictives à l’égard de particuliers,
l’Etat a plusieurs moyens à sa disposition pour ne pas violer leurs droits fon-
damentaux: il peut respecter leurs libertés individuelles, leur octroyer des au-
torisations dérogatoires, leur octroyer certaines prestations ou encore respecter
aussi bien l’égalité de traitement que l’interdiction de la discrimination. Dans
toutes ces situations, l’autorité doit effectuer une pesée des intérêts entre,
d’une part, celui que possède la personne ou le groupe à pouvoir exercer et vi-
vre ses particularités et, d’autres part, ce qu’exige l’intérêt public ou la protec-
tion des droits d’autrui1205.
1204
Supra Chapitre I, Section B, 1.1. et 1.2.
1205
WYTTENBACH/KÄLIN, pp. 320-321.
242
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
1206
MOOR (vol. 1, 1994), p. 399.
1207
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 212-215 ; MOOR (vol. 1, 1994), p. 399 ; TSCHANNEN (2004), p. 143.
1208
ATF 129 I 337, 344 A. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 215 ; MOOR (vol. 1, 1994), p. 412-413.
1209
Par exemple, la liberté de la presse ou la liberté d’association ne peuvent être restreintes que pour
des motifs de police ou pour protéger les droits des tiers ; HÄFELIN/HALLER, p. 98.
1210
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 213; HÄFELIN/HALLER, p. 98 ; TSCHANNEN (2004), p. 143 ; WYSS, pp.
201-202.
1211
MORAND (1996), p. 57.
1212
MORAND (1996), pp. 60 et 74-75.
243
La situation juridique des Tziganes en Suisse
soins d’une minorité « non traditionnelle » telle que celle des Tziganes, en rai-
son de sa vulnérabilité accrue et de son exposition aux préjugés et à la mécon-
naissance de la société majoritaire et donc des agents de l’Etat qui en sont is-
sus.
858. Il apparaît clairement que le droit international des minorités joue ici
un rôle de premier ordre. En effet, l’ensemble des dimensions de sa facette col-
lective impose au juge de donner un poids à leurs particularités minoritaires
qui s’avère plus lourd que celui reconnu aux groupes non protégés.
L’interprétation conforme au droit international imposera au juge de prendre
en compte notamment la pratique des organes internationaux sur la question
topique, tandis que l’obligation de protéger et de préserver la minorité en
cause exigera d’examiner les conséquences de la mesure sur le groupe dans
son ensemble, ainsi que nous le constaterons ci-dessous.
859. Dans le contexte de la protection des Tziganes nomades, on relèvera
l’opinion dissidente commune des juges minoritaires dans l’arrêt Chapman.
Ceux-ci mettent précisément en lumière le fait que le récent consensus euro-
péen en matière de protection des minorités impose de ne pas reconnaître au-
tomatiquement une marge d’appréciation complète en faveur des autorités, et
ce même dans un domaine gardé de l’Etat comme celui de l’aménagement du
territoire.
860. Au contraire, le facteur minoritaire confère un poids accru aux intérêts
des personnes appartenant à une minorité. La gravité potentielle d’une ingé-
rence qui interdit à une personne tzigane de continuer à vivre selon ses tradi-
tions dans un endroit donné, alors qu’il n’existe pas d’alternative légale qui
puisse lui être raisonnablement imposée, exige la présence de motifs impé-
rieux1213.
861. Ceci a par ailleurs pour conséquence qu’en l’absence d’allégation du
grief de violation du droit des minorités par le recourant, l’appartenance à un
groupe protégé par le droit international doit tout de même être intégrée dans
le cadre de l’examen de la proportionnalité. En effet, l’article 35 al. 1 Cst. rap-
pelle que la réalisation des droits fondamentaux constitue un intérêt public.
Ces garanties doivent donc nécessairement être incorporées dans la pesée des
intérêts lorsqu’elles sont concernées par la mesure1214, ce qui inclut logique-
ment le droit des minorités.
1213
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fis-
chbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I,
§ 3. Voir également nos développements relatifs à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en ma-
tière de protection contre les évictions lorsque des solutions de rechange en matière de logement
font défaut, infra Chapitre III, Section C, 2.3.
1214
TANQUEREL (1996), p. 193.
244
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
862. La pesée des intérêts au sens strict exige d’examiner si les effets
concrets d’une mesure restrictive ne déploient pas des conséquences négatives
disproportionnées sur la situation du particulier1215. Lorsque la personne ap-
partient à un groupe minoritaire, la facette collective du droit des minorités
impose une analyse supplémentaire intégrant la situation de cette dernière. La
pesée des intérêts lui confère donc un poids concret.
863. Selon les circonstances, en effet, la décision prise à l’égard d’une per-
sonne peut avoir un impact sur la situation de tous les membres du groupe
auquel elle appartient et, a fortiori, sur la minorité elle-même1216. A cet égard, la
position du Comité des droits de l’homme est claire : bien qu’une atteinte
puisse être proportionnée à l’égard d’un particulier, elle peut tout de même
s’avérer problématique au regard de l’article 27 Pacte II lorsque, par un effet
cumulatif avec d’autres mesures, elle est susceptible d’avoir des répercussions
disproportionnées sur la situation de la minorité.
864. Ainsi, l’empiètement sur les droits d’une minorité de jouir de sa pro-
pre culture peut résulter de l'effet conjugué de plusieurs actes ou mesures
adoptés pendant une certaine période et dans plusieurs secteurs du territoire
occupé par la minorité. Il s’impose de prendre en compte les effets globaux de
la combinaison de plusieurs mesures sur la capacité d’une minorité de conti-
nuer à pouvoir vivre sa culture. Les autorités ne doivent donc pas se limiter à
un examen des effets de ces mesures à un moment donné, mais doivent inté-
grer leurs effets passés, présents et futurs sur la capacité des personnes minori-
taires à jouir de leur culture en association avec d'autres membres de leur
groupe1217.
865. Le cas échéant, le non-respect du principe de la proportionnalité en-
traînera, premièrement, une violation des droits fondamentaux du justiciable.
Deuxièmement, il signifiera également une violation du droit des minorités en
raison d’une atteinte disproportionnée au droit du groupe de jouir de son
identité minoritaire. Autrement dit, l’Etat a manqué à son devoir de protection
et de préservation du groupe lui-même.
866. L’analyse qui s’impose aux autorités dans ce contexte doit être distin-
guée des exigences découlant de l’interdiction de la discrimination indi-
recte1218. Comme nous le démontrerons plus en détail ci-après, ce principe
oblige l’autorité à examiner si une mesure formellement neutre a des effets
1215
HÄFELIN/HALLER, p. 100.
1216
BIANCHI, p. 105 ; KÄLIN (2000), p. 61.
1217
Constatations du CDH, du 15 avril 2005, relatives à la Communication n°1023/2001, J. et E. Läns-
man c. Finlande, du 6 novembre 2000, § 10.2; Constatations du CDH, du 22 novembre 2996, relati-
ves à la Communication n° 671/1995 J. Länsman c. Finlande, §10.7. PENTASSUGLIA (2002b), p. 102.
1218
Au sujet de la relation entre les art. 26 et 27 Pacte II, voir SCHODER, p. 164.
245
La situation juridique des Tziganes en Suisse
869. Dans le cadre de notre analyse des sources protégeant les minorités,
nous avons souligné l’importance d’une protection renforcée de leurs droits
économiques, sociaux et culturels. Leur position non dominante a en effet pour
conséquence qu’en règle générale, les personnes appartenant à une minorité
1219
Voir nos développements relatifs à la notion de discrimination indirecte, infra Chapitre II, Section A,
2.2.2.
1220
ALFREDSSON (art. 4), p. 147. Voir, de manière plus détaillée, nos développements démontrant
l’importance de la reconnaissance de l’existence d’un groupe pour l’admission d’un cas de discrimi-
nation indirecte, infra Chapitre II, Section B, 3.2., b.
1221
HANGARTNER (2005), p. 618.
1222
Ainsi, le principe d’égalité et l’interdiction de la discrimination interdisent, par exemple, de prendre
des mesures qui ont pour but ou pour effet d’empêcher, sans motif objectif et raisonnable, les
membres d’une minorité religieuse ou linguistique de fonder une association. Pour sa part, le droit
des minorités exige des autorités qu’elles développent activement et entretiennent un environne-
ment qui permette aux membres de minorités de maintenir et perpétuer leur culture, tout en pré-
servant leur identité de groupe. A titre d’exemple, on évoquera le soutien à la création
d’associations représentatives, le soutien financier aux associations culturelles minoritaires, ou en-
core aux efforts de promotion et de diffusion d’une langue minoritaire.
246
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
sont plus vulnérables dans les domaines socio-économiques que les membres
de la majorité1223.
870. La situation des Tziganes illustre la réalité de cette vulnérabilité accrue
et donc l’importance d’une approche interdépendante des garanties juridiques
protégeant leurs besoins élémentaires. Aussi bien l’intégration sociale et éco-
nomique des Tziganes sédentarisés que celle des Tziganes nomades s’avère
particulièrement ardue.
871. Comme le démontre l’analyse effectuée par le « Groupe de spécialistes
sur les Roms [sic], Tziganes et Voyageurs »1224, aucun droit de nature économi-
que ou sociale ne peut être exercé de manière efficace si leurs titulaires ne sont
pas d’abord reconnus effectivement dans leur mode de vie particulier. En effet,
lorsque les conditions d’accès à ces droits sont conçues uniquement en fonc-
tion d’une population sédentaire, ces garanties deviennent un moyen détourné
pour pousser une population économiquement fragile à renoncer au noma-
disme. En outre, le mode de vie itinérant conditionne matériellement la réalisa-
tion des garanties économiques et sociales protégées, notamment pour accéder
à la clientèle afin d’assurer des moyens de subsistance. La possibilité de circu-
ler et de s’arrêter constitue donc un préalable nécessaire pour le respect des
droits économiques, sociaux et culturels des Tziganes nomades1225.
1223
Observation générale n° 9 du CESCR, § 10. Voir également supra Titre Deuxième, Chapitre II, Sec-
tion A, 2.2.2.
1224
Créé par le Comité des Ministres en 1995, le Groupe de Spécialistes sur les Roms, Tsiganes et
Voyageurs (MG-S-ROM) est la première et seule instance du Conseil de l’Europe établie de façon du-
rable dont le mandat est exclusivement consacré à la situation des Tziganes en Europe. Il est com-
posé de membres permanents provenant de quatorze Etats parties, mais les autres Etats peuvent
également envoyer des experts de leur propre initiative, qui auront alors le droit de vote. Tant
l’Assemblée parlementaire que le CPLRE ou encore l’ECRI ont la possibilité d’y envoyer des repré-
sentants. Le BIDDH, la Commission européenne, la Banque mondiale, le HCR, le PNUD, le Forum
européen des gens du voyage, et toute ONG compétente ayant le statut de membre consultatif au-
près du Conseil de l’Europe ont, quant à eux, la faculté de participer à titre d’observateurs. Le MG-
S-ROM est chargé d’étudier et analyser les politiques et pratiques courantes des Etats membres
concernant les « Roms, Tsiganes et Voyageurs ». Il doit par ailleurs élaborer des lignes directrices
pour le développement et la mise en oeuvre de politiques visant à promouvoir les droits des Tziga-
nes et doit suivre l’évolution de la situation de ces derniers dans les Etats membres, conformément
aux recommandations adoptées par le Comité des Ministres et en tenant compte des rapports éla-
borés par d’autres organes de suivi du Conseil de l’Europe. Le MG-S-ROM est également chargé de
conseiller le Comité des Ministres, par l’intermédiaire du Comité Européen sur les Migrations, sur les
questions relatives aux Tziganes. Il est ainsi à l’origine des trois dernières recommandations adop-
tées par le Comité des Ministres sur cette thématique. Il est également appelé à jouer un rôle
d’encouragement et de stimulus pour les activités et les initiatives en la matière. En collaboration
avec le Coordinateur des activités concernant les Roms/Tsiganes, il assume une fonction de coordi-
nation des projets sur cette question. Le Secrétariat du MG-S-ROM élabore régulièrement un docu-
ment d’information rassemblant les informations sur le travail effectués par les différents départe-
ments du Conseil de l’Europe concernés par les Tziganes. Les différents rapports rédigés par le MG-
S-ROM depuis sa création forment des sources détaillées analysant les conditions de vie et les pro-
blèmes rencontrés par les Tziganes sur l’ensemble du continent européen, quel que soit leur mode
de vie, sédentaire ou nomade.
1225
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 4. Voir également nos développements sur la portée de la liberté éco-
nomique, infra Chapitre III, Section D, 3.
247
La situation juridique des Tziganes en Suisse
872. Pour sa part, le Comité des Ministres a émis une série de recommanda-
tions touchant à l’importance de la garantie et de la mise en œuvre des droits
économiques, sociaux et culturels pour les membres de la minorité tzigane, sé-
dentarisés ou nomades.
873. La Recommandation (2000) 4, du 3 février 2000, sur l’éducation des en-
fants Roms/Tsiganes en Europe, se fonde sur le constat qu’une amélioration
de la position des Tziganes dans les sociétés européennes exige au préalable
une réalisation de l’égalité des chances dans le domaine de l’éducation, ce qui
inclut la possibilité pour les enfants de familles nomades d’accéder aux écoles.
Le Comité estime ainsi que cet aspect doit être une priorité des politiques na-
tionales menées en faveur des Tziganes1226.
874. La Recommandation (2001) 17, du 27 novembre 2001, sur
l’amélioration de la situation économique et de l’emploi des Rom/Tsiganes et
des voyageurs en Europe, relève que le fort taux de chômage de longue durée
et de pauvreté que connaissent les Tziganes résulte directement de l’exclusion
sociale et de la discrimination dont ils font l’objet et qu’ils sont liés aux pro-
blèmes relatifs au logement, à l’éducation et à la formation professionnelle. Le
Comité reconnaît, par ailleurs, qu’à court terme le marché du travail offre peu
de perspectives d’emploi aux Tziganes et que la résolution de ces problèmes
économiques passe par la réalisation de l’égalité des chances dans l’accès au
marché du travail et aux activités lucratives1227.
875. Les lignes directrices de cette recommandation insistent sur la recon-
naissance et la légitimation des activités économiques traditionnelles prati-
quées par les Tziganes. De plus, elles soulignent l’importance de la formation
professionnelle, de la prise en compte des traditions et de la culture tzigane
dans la conception de ces méthodes de formation, ainsi que du rôle que peut
jouer l’homologation des compétences professionnelles liées aux métiers et à
l’artisanat traditionnels et acquises hors du cadre d’apprentissage habituel1228.
876. Enfin, dans sa Recommandation (2005) 4, du 23 février 2005, relative à
l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en
Europe, le Comité des Ministres estime que les politiques nationales en ma-
tière de logement à l’égard des Tziganes devraient être globales et fondées sur
le fait que, lorsqu’elle concerne les Tziganes, cette question a bien d'autres ra-
mifications, puisqu'elle touche à l'économie, à l'éducation, aux domaines social
et culturel, et à la lutte contre le racisme et la discrimination1229.
1226
Recommandation (2000) 4, Préambule.
1227
Recommandation (2001) 17, Préambule.
1228
Recommandation (2001) 17, §35-38.
1229
Recommandation (2005) 4, Préambule. Le Comité énumère en outre les principales difficultés ren-
contrées par les Tziganes sur cette question, à travers l’Europe : harcèlement discriminatoire,
boycotts discriminatoires, ghettoïsation, ségrégation raciale et résidentielle pour les Tziganes séden-
248
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
tarisés, d’une part ; manque de places de stationnement, expulsions forcées, interdiction d’accès
aux sites et difficultés à accéder à la propriété pour les Tziganes itinérants, d’autre part.
1230
NÜSSLE, pp. 91-92.
1231
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004. Voir également nos développements
relatifs à cet arrêt infra Chapitre II, Section B, 3.1.2.
1232
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 35 et 85, 27 mai 2004. La Cour de Strasbourg a
considéré que ces circonstances constituaient une ingérence grave dans le droit au respect de la vie
privée et familiale du requérant. Elle a ensuite conclu à une violation de ce droit du fait que
l’éviction n’avait pas été effectuée de manière conforme aux exigences posées par la procédure ha-
bituelle, notamment sous l’angle de l’apport de motifs justificatifs suffisants au regard de la gravité
de l’atteinte subie ; § 95. Voir également nos développements relatifs à cet arrêt, infra Chapitre II,
Section B, 3.1.2.
249
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1233
Voir nos développements relatifs aux droits au respect du domicile et au logement et à leur portée
spécifique pour les Tziganes nomades, infra Chapitre III, Section C.
1234
Dans ce sens, voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straz-
nicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 4 et 5.
1235
ATF 119 Ib 439, 440 Gesamteigentümer R. NÜSSLE, p. 92.
1236
Pour une définition de la notion de l’interdiction de la discrimination indirecte et de sa portée, voir
infra Chapitre II, Section A, 2.2.2.
1237
DE SCHUTTER, pp. 79-84 ; ROSENBERG (2001), pp. 1027-1029.
1238
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-
IV, § 81, voir le commentaire de DE SCHUTTER, pp. 79-81 ; ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC] n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 111-113, voir le commentaire de ROSENBERG (2001), pp. 1028-1029.
1239
Infra Chapitre III, Section C, 2.3.2.
250
Titre Troisième - La portée du droit international des minorités
D. Synthèse et conclusion
251
La situation juridique des Tziganes en Suisse
d’égalité pour les Tziganes (Chapitre II) et des différents droits civils, politi-
ques, sociaux, économiques et culturels applicables lors de la pratique de
mode de vie traditionnel nomade (Chapitre III).
252
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1. Sources
891. Le principe d’égalité est garanti par toutes les conventions internatio-
nales générales en matière de droits de l’homme, aux articles 14 CEDH, 2 al. 2
et 3 Pacte I, 2, 3 et 26 Pacte II, ainsi que par les instruments spécifiques proté-
geant certaines catégories de la population : la CIERD, la CEDAW, l’article 2
CDE, l’article 18§1 de la Convention sur les travailleurs migrants, et l’article 14
CPMN1240.
892. En droit fédéral, le principe d’égalité est ancré à l’article 8 Cst. et cons-
titue l’une des garanties de l’Etat droit consacrées par la Constitution fédé-
rale1241. Cette disposition constitutionnelle se compose de deux volets géné-
raux. L’article 8 al. 1 Cst. affirme le principe de l’égalité de traitement au sens
strict, tandis que l’article 8 al. 2 Cst. pose celui de l’interdiction de la discrimi-
nation en incluant, d’une part, une clause générale de non-discrimination et en
énonçant, d’autre part, une liste de critères « sensibles », correspondant à des
caractéristiques personnelles1242, 1243. Pour leur part, les alinéas 3 et 4 cristalli-
1240
Comp. également l’art. 7 de la DUDH et l’art. 4 de la Déclaration sur la protection des minorités de
1992.
1241
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 20 ; MÜLLER (1999), p. 395 ; PULVER, pp. 5 et 132; RIEDER (2003),
p. 42 ; SCHWEIZER (art. 8), pp. 99-100.
1242
HANGARTNER (2003A), p. 98 ; KLEIN, p. 27 ; MARTENET (2003), p. 35 ; MÜLLER (2000), p. 117-118 ; Mes-
sage du Conseil fédéral relatif à la nouvelle constitution, FF 1997 I 144.
1243
La lettre de l’art. 8 Cst. ne permet pas de déterminer précisément si l’interdiction de la discrimina-
tion se limite à concrétiser l’égalité de traitement, si au contraire elle poursuit un autre but, ou en-
core si elle en constitue le noyau dur ; MARTENET (2003), p. 3 ; PULVER, p. 126. La doctrine suisse es-
time toutefois que les deux principes constituent une catégorie juridique propre, chacun fondant des
prétentions justiciables ; KLEIN, p. 25 ; MARTENET (2003), p. 2 ; MÜLLER (2000), p. 105 ; PULVER, p.
84 ; RIEDER (2003), p. 39. Au niveau international, la question reste encore ouverte. Selon les au-
teurs, il n’est pas encore possible de déterminer si, du point de vue du droit international, ce sont
deux synonymes, ou si, au contraire, les deux notions sont deux principes distincts, aux portées dif-
253
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2. Notions et portée
férentes ; VANDENHOLE, p. 34 et références. La pratique des comités n’offre pas de réponse uniforme
sur ce point, mais elle affirme que l’élimination de la discrimination et la promotion de l’égalité sont
deux objectifs différents ; voir notamment l’Observation générale n° 16 du CESCR, §6-9 et §10-14 :
le Comité déduit de l’art. 3 Pacte I – qui évoque le « droit égal » de l’homme et de la femme à jouir
des droits garantis – aussi bien l’égalité de traitement dans et devant la loi que le principe de non-
discrimination. PENTASSUGLIA (2002B), p. 89 ; VANDENHOLE, pp. 83-84.
1244
Ces deux protections particulières découlent du principe d’égalité de traitement consacré à l’art. 8
al. 1 Cst. MARTENET (2003), p. 2 ; PULVER, p. 125 ; RIEDER (2003), p. 41 ; WALDMANN (2003), pp. 61ss.
1245
Une différenciation basée sur la nationalité ne se justifie que lorsque cette dernière est un critère
pertinent au regard de la problématique en cause; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 482; MAHON
(art. 8), p. 74.
1246
ATF 6, 174 Jäggi. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1027-1029 ; E. GRISEL, p. 41 ; MAHON (art. 8), p.
75 ; PULVER, p. 12 ; RIEDER (2003), pp. 42-43.
1247
RIEDER (2003), p. 42.
1248
Voir notamment MARTENET (2003), pp. 118-120, RIEDER (2003), p. 43 et WALDMANN (2003), pp. 422ss.
1249
Infra Section 2.3.2.
1250
WALDMANN (2003), pp. 63 et 65-66.
1251
ATF 6, 173 Jäggi. RIEDER (2003), pp. 43-44 ; E. GRISEL, p. 41.
254
Titre Troisième - Le principe d’égalité
qui se distinguent entre elles, et impose de traiter de manière semblable les si-
tuations identiques1252.
896. L’égalité de traitement dans la loi est violée lorsqu’un acte normatif
effectue une distinction, respectivement une assimilation, entre deux situations
analogues, sans avancer de motifs justificatifs raisonnables1253. L’égalité de
traitement devant la loi n’est pas respectée lorsque plusieurs décisions, éma-
nant de la même autorité et conformes à la loi1254, produisent des résultats
contradictoires alors que les situations sont identiques, respectivement quand
elles aboutissent à des résultats similaires alors que les situations sont différen-
tes, bien qu’analogues1255.
897. Le respect du principe d’égalité présuppose ainsi la capacité
d’identifier les critères spécifiques, objectivement raisonnables, qui poussent à
traiter différemment deux situations dans un cas d’espèce. En outre, il exige
également d’examiner si les motifs justificatifs employés pour distinguer ou
assimiler sont précisément objectifs et raisonnables1256. Ceci implique de pren-
dre en compte la réalité sociale et, en particulier, les besoins des personnes
concernées.
898. Le principe d’égalité est de ce fait une notion relative, variant dans le
temps et l’espace, mais également d’un point de vue culturel1257. Selon la juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le caractère raisonna-
ble de ces motifs justificatifs s’évalue au regard de la légitimé du but que la
mesure poursuit par rapport à ce qu’exige une société démocratique, et de la
proportionnalité des moyens utilisés pour le réaliser1258.
1252
ATF 131 I 91, 103, Munizipalgemeinde Ausserbin ; ATF 123 I 112, 114 Rolf Himmelberger.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1030 ; MÜLLER (2000), p. 104 ; RIEDER (2003), pp. 43-44 ; WEBER-
DÜRLER, p. 5. Pascal MAHON distingue trois hypothèses : lorsque la distinction est insoutenable, car le
critère utilisé est non pertinent ; quand l’assimilation est insoutenable, car le critère de distinction
est impératif ; et finalement, lorsque tant l’assimilation que la distinction se défendent, du fait que
le critère employé est pertinent mais non impératif; MAHON (art. 8), pp. 75-76. Pour sa part, Vincent
MARTENET critique la formule du Tribunal fédéral, en la qualifiant de tautologique et de trompeuse,
du fait de sa fausse simplicité. Pour conclure au respect ou non du principe, il est, en effet, néces-
saire de procéder en deux étapes : premièrement, en déterminant si le principe d’égalité lui-même
doit s’appliquer au cas d’espèce, au moyen de l’examen de la comparabilité – et non de l’identité –
des situations ; deuxièmement, en analysant la justification avancée pour traiter de façon identique,
respectivement différente, le cas d’espèce; MARTENET (2003), p. 3.
1253
ATF 125 II 326, 345; ATF 124 I 297, 299, Luc Meylan ; ATF 123 I 112, 141 Rolf Himmelberger.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), p. 483 ; RIEDER (2003), pp. 44-45.
1254
Il n’y a pas d’égalité dans l’illégalité : le principe de la légalité l’emporte, dans la règle, sur les exi-
gences de l’égalité de traitement et il n’est pas admissible de faire valoir le grief tiré de l’art. 8 al. 1
Cst. pour exiger de bénéficier du même traitement qu’un autre administré lorsque celui-ci a profité
d’une erreur de l’autorité ; ATF 131 V 9, 20, A. ; ATF 127 I 1, 2 Martin Stoll.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1067 ; HÄFELIN/HALLER, N. 770-773.
1255
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1061-1072.
1256
SCHWEIZER (art. 8), p. 102.
1257
SCHWEIZER (art. 8), pp. 101-102.
1258
ACEDH Karner c. Autriche, n° 40016/98, § 37-41, CEDH 2003-IX ; ACEDH Sheffield et Horsham c.
Royaume-Uni, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, §75 ; ACEDH Hoff-
255
La situation juridique des Tziganes en Suisse
mann c. Autriche, arrêt du 23 juin 1993, Série A n°255-C, § 33. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N.
1033 et 1050; MARTENET (2003), p. 240 ; HÄFELIN/HALLER, pp. 217-218.
1259
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1056.
1260
ATF 131 I 291, 305 Hauseigentümerverband Schwyz ; ATF 125 I 173, 179 H.. Voir notamment E.
GRISEL, p. 53 ; MARTENET (2003), pp. 128-129, et références; SCHWEIZER (art. 8), p. 103.
1261
Comp. l’art. 1er CIERD et l’art. 1er CEDAW. VANDENHOLE, p. 34. Les comités de surveillance des autres
conventions des Nations Unies ont repris à leur compte cette définition ; voir ainsi l’Observation gé-
nérale n° 18 du CDH, §13 ; Observation générale n° 16 du CESCR, § 10-11. VANDENHOLE, p. 86.
1262
VANDENHOLE, p. 86.
256
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1263
ACEDH Affaire linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, §10; ACEDH Abdulaziz, Ca-
bales et Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, §94. PENTASSUGLIA (2002B), p. 89 ; SUDRE
(2005B), p. 254 ; VANDENHOLE, p. 83. Si l’article 14 CEDH énumère une série de critères prohibés,
cette liste n’est pas exhaustive : toute discrimination est interdite, quel que soit le critère qui la
fonde ; SUDRE (2005B), pp. 254-255.
1264
Les travaux préparatoires relatifs à la nouvelle Constitution ne permettent pas de déterminer quel
contenu exact le constituant a souhaité lui donner, en laissant apparaître plusieurs approches de la
notion, sans que l’une ou l’autre soit clairement favorisée. Voir le Message du Conseil fédéral relatif
à une nouvelle constitution, FF 1997 I 144-145, qui, d’une part, affirme que seul un emploi dépré-
ciatif de l’un des critères énoncés constitue une discrimination, et d’autre part considère que ces
mêmes critères ne peuvent être utilisés pour justifier des différences de traitement. Voir également
PULVER, pp. 130-131 ; RIEDER (2003), p. 38.
1265
ATF 130 I 352, 357 X ; ATF 130 I 26, 54 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärtze, Sektion
Zürich; ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 223-224, Emmen; ATF 129 I
232, 239-240 Zurich ; ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A.
1266
ATF 130 I 352, 357 X. ; ATF 129 I 392, 397 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen;
ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A.
1267
ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen et références; ATF 126
II 377, 393 F.A. et A.A. MAHON (art. 8), p. 80 ; PULVER, p. 75.
257
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1268
ATF 130 I 352, 357 X. ; arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 8.2 ;
ATF 129 I 392, 397-398 A und Mitb. sowie G. ; ATF 129 I 217, 224, Emmen. MARTENET (2003), p.
425.
1269
ATF 129 I 217, 223-224 Emmen ; ATF 127 III 207, 216 K.; ATF 113 Ia 107, 116 D. et W. c. Dame
A. HANGARTNER (2003A), pp. 102-103 ; MARTENET (2003), pp. 50-52 et références ; SCHWEIZER (art. 8),
p. 110 ; WALDMANN (2003), p. 364. Contra, apparemment, AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1040,
qui, en estimant que l’une des difficultés liées à la discrimination indirecte tient à ce qu’il « n’est pas
facile d’apporter la démonstration de l’intention de discriminer», laissent sous-entendre qu’une telle
intention est nécessaire. Pour sa part, PULVER, p. 140, se contente d’exprimer des doutes quant à la
possibilité d’exiger la preuve d’une volonté dépréciative.
1270
Principalement celle de Walter KÄLIN et de Martina CARONI, in : KÄLIN/CARONI, p. 77.
1271
ATF 130 I 352, 357 X. Sur cette question, voir WALDMANN (2003), p. 305.
1272
KLEIN, pp. 26-27 et 29 ; MAHON (art. 8), pp. 79-80 ; MÜLLER (2000), pp. 109 et 113-114 ; SCHWEIZER
(art. 8), p. 110.
1273
MAHON (art. 8), pp. 79-80.
1274
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1081-1082; MARTENET (2003), p. 35.
258
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1275
WALDMANN (2003), p. 300. A cet égard, Yvo HANGARTNER dénonce tant la dimension collective elle-
même que la protection asymétrique ; selon cet auteur, ces deux visions s’opposent à la notion de
justice, qui est le but même de la non-discrimination, puisqu’elle est indivisible. Ainsi, selon
l’approche individuelle, une personne hétérosexuelle de sexe masculin, de physionomie cauca-
sienne, et de religion chrétienne, peut également invoquer le grief de la violation de l’article 8 al. 2
Cst., ce qu’exclut l’approche collectiviste de la notion; HANGARTNER (2003A), pp. 104-105 ; HANGART-
NER (2005), pp. 618-619.
1276
Dans ce sens, HANGARTNER (2005), pp. 618-619.
1277
Contra PULVER, pp. 156-157.
1278
Voir PULVER, pp. 156-157 pour des exemples, ainsi que nos développements relatifs à la réalisation
de l’égalité en fait, infra Section 2.3.2.
1279
WALDMANN (2003), pp. 300-303 et 346-347. A notre sens, Vincent MARTENET est également tenant de
cette « troisième voie ». Se montrant également très critique de l’approche exclusivement collective,
et donc nécessairement asymétrique, il estime, d’une part, qu’elle contredit les interprétations litté-
rale, historique et systématique de la norme constitutionnelle, et d’autre part, que les tenants de
l’asymétrie confondent droit à l’interdiction de la discrimination, fondé sur l’article 8 al. 2 Cst., et oc-
troi de mesures positives, visant à réaliser l’égalité en fait, que l’on ne peut déduire de cette même
disposition. La titularité de ce droit ne saurait être limitée aux groupes historiquement dénigrés, du
fait que sa ratio legis n’est pas la correction d’erreurs commises par le passé, mais consiste en la
protection de la dignité humaine. Il est néanmoins nécessaire, pour cet auteur également, de pou-
voir envisager des mesures positives, à l’effet obligatoirement asymétrique, mais ce uniquement en
259
La situation juridique des Tziganes en Suisse
b) L’exigence de la dépréciation
faveur des catégories de la population historiquement dénigrées; MARTENET (2003), pp. 424-433.
Voir également infra Section 2.3.2.
1280
L’art. 4 let. a CIERD impose, en effet, aux Etats parties l’adoption de mesures, notamment pénales,
ayant pour objectif de lutter contre la discrimination raciale. Voir également le Message du Conseil
fédéral relatif à la ratification de la CIERD, FF 1992 III 265, 302. NIGGLI, p. 93.
1281
MAHON (art. 8), p. 82 ; PULVER, pp. 295 et 331-334 ; WALDMANN (2003), p. 638.
1282
ATF 123 IV 206, 207. CORBOZ, p. 298.
1283
La race, l’ethnie et la religion ; CORBOZ, p. 300.
1284
GUYAZ, p. 986, rappelle que la doctrine pénaliste ne restreint pas le champ d’application de l’article
261bis CP aux groupes historiquement persécutés.
1285
Voir le recensement des opinions doctrinales effectué par PULVER, pp. 84-93, en particulier pp. 84-
86, ainsi que le Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre
personnes du même sexe, FF 2003 1192, 1207. Pour sa part, Vincent MARTENET conteste que la dé-
préciation soit une condition nécessaire pour conclure à une discrimination, et affirme au contraire
qu’il ne faut prendre en compte que le résultat discriminatoire, qu’il définit comme étant « le désa-
vantage injustifié subi (…) en raison d’une caractéristique personnelle (…)». Pour l’essentiel, MARTE-
NET argumente que l’on peut conclure à l’existence d’une discrimination dès lors qu’une différence
de traitement basée sur l’un des critères suspects est injustifiée, sans qu’il y ait nécessairement dé-
nigrement. Il estime, par ailleurs, que conditionner de telle manière la constatation d’une discrimi-
nation ne prend pas en compte l’hypothèse de l’assimilation de deux personnes ou groupes présen-
tant des caractéristiques distinctes; MARTENET (2003), p. 49. Cette définition semble, par ailleurs,
s’approcher de celle du CERD, qui propose le test de la « conséquence distincte abusive » pour la
qualité discriminatoire d’une mesure; Observation générale n° 14 du CERD, § 2.
1286
AUER (2003), pp. 179-180; KÄLIN/CARONI, pp. 76-77 ; MÜLLER (2000), p. 110 ; PULVER, pp. 136 et 138.
1287
Ainsi, PULVER, pp. 134 et 136 :« Ce qui rend une distinction discriminatoire est (…) son caractère
dépréciatif», ou encore AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1076, « Le principe de non-discrimination
interdit que l’on traite différemment une personne sur la base de certains critères, lorsque ces critè-
res sont pris comme des motifs pour la déprécier», approche reprenant par ailleurs l’avis du Conseil
fédéral, in Message du Conseil fédéral relatif à la nouvelle constitution, FF 1997 I 144. Voir égale-
260
Titre Troisième - Le principe d’égalité
ment WALDMANN (2003), pp. 248-259, qui conçoit également la discrimination comme une atteinte à
la dignité d’un individu en tant qu’être humain.
1288
PULVER, p. 145. Dans ce sens également, WALDMANN (2003), p. 254.
1289
PULVER, pp. 134-135.
1290
KÄLIN/CARONI, p. 77. Comp. ATF 130 I 26, 54 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärtze,
Sektion Zürich; ATF 129 I 217, 223-224 Emmen; ATF 129 I 232, 239-240 Zurich ; ATF 129 I 392,
397-398 A und Mitb. sowie G.; ATF 126 II 377, 393 F.A. et A.A. Voir également MARTENET (2003), p.
57.
1291
PULVER, pp. 182-183. Les opinions de Bernhard PULVER et Vincent MARTENET paraissent relever d’une
approche a priori irréconciliable de la notion de discrimination. En effet, le premier auteur évacue en
quelque sorte de la notion les critères suspects pour se focaliser sur l’aspect dépréciatif, tandis que
le second écarte la dépréciation pour se concentrer sur le désavantage injustifié subi lors de l’emploi
de l’un des critères sensibles. Il y a ainsi une différence fondamentale entre l’interdiction du but ou
de l’effet dénigrant promue par PULVER et celle du résultat discriminatoire que défend MARTENET.
1292
Voir également WALDMANN (2003), p. 248.
1293
PULVER, pp. 136-137, 141 et 148. Voir également MAHON (art. 8), p. 80.
1294
MÜLLER (2000), p. 112. Voir également KLEIN, p. 56. La littérature minoritaire qui écarte l’exigence de
la dépréciation ne présente pas non plus un front uni : certains interdisent en principe toute distinc-
tion fondée sur ces critères, sans évoquer la dépréciation, en voyant en l’art. 8 al. 2 une obligation
absolue de traiter de manière égale les individus, opposée à l’obligation relative consacrée par le
261
La situation juridique des Tziganes en Suisse
premier alinéa de la disposition constitutionnelle; HANGARTNER (2001), p. 254, dont la position est
confirmée et approfondie in : HANGARTNER (2003A), pp. 111-113. Cet auteur admet toutefois des ex-
ceptions lorsqu’un traitement identique crée une situation d’injustice, ou lorsque des mesures pas-
sagères s’imposent pour favoriser un groupe.
1295
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 144. Voir également le Message du Conseil fédéral relatif à la
nouvelle constitution, FF 1997 I 142, ainsi que MÜLLER (1999), pp. 1-2.
1296
ATF 131 V 9, 15, A. ; ATF 130 I 352, 357, X. ; ATF 126 II 377, 393 F.A. und A.A. E. GRISEL, p. 75 ;
KÄLIN/CARONI, p. 78. Comp. cette position avec celle MARTENET (2003), pp. 50 et 55, qui ne prend pas
en compte la dépréciation: seul l’apport d’un motif justificatif « qualifié » permet de conclure au
respect de l’art. 8 al. 2 Cst; il n’est pas possible de se limiter à exiger des motifs justificatifs uni-
quement « objectifs et raisonnables », le contrôle du juge se confondant alors pratiquement avec
celui effectué dans le cadre de l’interdiction de l’arbitraire. Bien plus, il s’agit de procéder à un exa-
men strict des justifications avancées. Relevons que puisque l’examen de l’existence d’un motif qua-
lifié s’effectue à l’aune de la légitimité du but poursuivi et du respect de la proportionnalité, on peine
à constater une différence dans leurs résultats entre cette opinion doctrinale et celle de KÄLIN et de
CARONI.
262
Titre Troisième - Le principe d’égalité
923. A l’instar des article 14 CEDH et 26 Pacte II, l’article 8 al. 2 Cst. énonce
une série de critères prohibés, qui ne se recoupe pas complètement avec ceux
prévus dans les dispositions internationales1301. Tous ont pour trait commun
leur relation étroite avec la dignité humaine, ainsi que leur caractéristique de
qualités personnelles inhérentes à l’être humain, relevant de la sphère person-
nelle des individus1302. Leur hétérogénéité incontestable, aussi bien du point de
vue de leurs origines que de leur nature, pousse la majorité de la doctrine à en
effectuer une classification variant selon les auteurs, bien que la disposition
constitutionnelle n’en effectue aucune.
1297
MÜLLER (2000), p. 112 ; PULVER, pp. 147-148.
1298
PULVER, p. 145 ; WALDMANN (2003), pp. 258-259.
1299
Sur cette question, voir infra Section 2.2.3.
1300
PULVER, p. 183.
1301
MARTENET (2003), p. 392.
1302
MARTENET (2003), p. 392 ; PULVER, p. 186.
263
La situation juridique des Tziganes en Suisse
924. Aux yeux de cette partie de la littérature, ces classifications ont une in-
fluence directe sur les motifs justificatifs à apporter1303. En effet, elles permet-
tent d’expliquer pourquoi tant la doctrine que la jurisprudence posent des exi-
gences moins élevées pour certains critères que pour d’autres, tant par rapport
à l’exigence de l’intérêt public prépondérant qu’à celle de la proportionnalité.
Ainsi, plus un critère est considéré comme suspect, plus la présomption de dé-
préciation qui lui est rattachée est forte, et plus il sera difficile pour l’autorité
de la renverser1304.
925. Parmi les différentes approches prônées par les auteurs1305, nous sui-
vons la proposition de Bernhard WALDMANN, pour distinguer entre, d’une
part, ce qui touche aux origines d’une personne, à ses caractéristiques physi-
ques et psychiques acquises à la naissance, toutes en principe immuables, et
d’autre part, ce qui relève d’aspects liés à la vie en société, au développement
social et intellectuel, et à son expression1306.
926. La présomption de dénigrement sera très forte à l’égard des premiers
critères, voire irréfragable pour les mesures se rattachant par exemple au sexe
ou à la couleur de la peau qui n’ont pas pour but de favoriser les membres de
ces groupes1307, mais sera moindre et variera selon les cas d’espèce pour les se-
conds. Ainsi, les autorités auront plus de facilité à démontrer l’absence de dé-
nigrement de mesures se rattachant à l’âge ou à la situation sociale que pour
celles touchant la religion ou le mode de vie1308.
927. Nous nous montrons toutefois critique face à l’opinion de plusieurs
auteurs qui estiment que la caractéristique fondamentale des critères touchant
aux libertés personnelles, et qui les distingue des autres, consistent en ce qu’ils
relèvent d’un choix personnel. Sont ainsi concernés la langue, la religion, les
opinions politiques, la perception du monde, et le mode de vie. Au contraire,
1303
SCHWEIZER (art. 8), p. 113.
1304
PULVER, p. 183.
1305
Parmi les auteurs, Jörg Paul MÜLLER place la race, le sexe et la déficience physique ou mentale dans
une première catégorie, la religion, la langue et l’opinion personnelle dans une seconde, et la situa-
tion sociale dans une troisième. Selon cet auteur, ces trois ensembles relèvent de problématiques
différentes, le premier étant composé de facteurs liés à des groupes historiquement fortement dis-
criminés, le second concernant l’exercice de libertés individuelles, et le troisième touchant au do-
maine des buts et droits sociaux; MÜLLER (2000), pp. 110-117. Voir également KLEIN, p. 27, en parti-
culier à la note 97. Vincent MARTENET procède à une énumération moins compartimentée. Il exa-
mine, dans un premier temps, ce qui relève des impératifs physiologiques que sont le sexe, la cou-
leur de la peau et la race, tout en plaçant le handicap physique ou mental à part, puis, dans une se-
conde étape, ce qui touche aux libertés, pour finir avec la langue et la situation sociale, qui offrent
aux autorités une plus grande liberté d’utilisation que les autres critères en raison de la réalité juri-
dique; MARTENET (2003), pp. 400-401. Bernhard PULVER, quant à lui, n’effectue pas de catégorisation
et préfère une approche « individuelle », en examinant la portée de chaque critère, ainsi que les
nuances apportées aux motifs justificatifs, les uns après les autres; PULVER, p. 183.
1306
WALDMANN (2003), p. 672.
1307
MARTENET (2003), pp. 398-399.
1308
E. GRISEL, p. 74.
264
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1309
KLEIN, p. 42 ; MÜLLER (1999), p. 411; WALDMANN (2003), p. 627.
1310
Voir également MARTENET (2003), p. 397.
1311
PULVER, p. 186
1312
Ainsi, MÜLLER (2000), p. 106, considère que le mode de vie itinérant des Tziganes est une caractéris-
tique que les personnes concernées n’ont pas librement choisie, contrairement à WALDMANN (2003),
pp. 627 et 692-693.
265
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1313
WALDMANN (2003), pp. 689-693.
1314
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, notamment Sections B, 4.2. et C, 1.2.4.
1315
Infra Titre Quatrième.
266
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1316
MARTENET (2003), pp. 463 et 466.
1317
Sur la notion en droit international : VANDENHOLE, pp. 35-36. Sur la notion en droit suisse : MARTENET
(2003), p. 53 ; RIEDER (2003), pp. 95-96; WALDMANN (2003), p. 308.
1318
En droit international : JOSEPH/SCHULTZ/CASTAN, p. 694 ; VANDENHOLE, pp. 35-36. En droit suisse :
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1103; KÄLIN/CARONI, pp. 86-88 ; HANGARTNER (2003A), pp. 105-
106 ; MARTENET (2003), pp. 99-100 et 103 ; MÜLLER (1999), pp. 441-442 ; PULVER, p. 151 ; RIEDER
(2003), p. 102 ; WALDMANN (2003), p. 348.
1319
GILBERT (2002), p. 746 ; VANDENHOLE, p. 35. Comp. l'art. 1 CIERD qui prohibe les distinctions qui ont
pour « but ou effet » d’empêcher la jouissance des droits fondamentaux des particuliers.
1320
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1103 ; HANGARTNER (2003A), p. 122 ; MARTENET (2003), pp. 99 et
152; RIEDER (2003), pp. 150-162.
1321
En effet, la discrimination indirecte est également prohibée par le principe d’égalité au sens large ;
MARTENET (2003), pp. 100-101 et 152. En lieu et place de l’expression d’« interdiction de
la discrimination indirecte », Vincent MARTENET propose, par ailleurs, la notion d’« égalité au-delà de
la loi », car lorsque les normes sont formellement neutres, la discrimination sera constatée dans leur
impact distinct sur certains groupes ; MARTENET (2003), p. 101.
1322
Le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation de l’interdiction de la discrimination indi-
recte en raison de l’impact injustifié et disproportionné de la législation hollandaise concernant les
267
La situation juridique des Tziganes en Suisse
péenne des droits de l’homme affirme, dans son arrêt Zarb Adami que « when a
general policy or measure has disproportionately prejudicial effects on a particular
group, it is not excluded that it may be considered as discriminatory notwithstanding
that it is not specificially aimed or directed at that group »1323.
941. Pour sa part, le Tribunal fédéral affirme qu’«il y a discrimination indi-
recte lorsqu’une norme qui – a priori – ne semble pas désavantager des groupes
spécifiquement protégés contre la discrimination, a en réalité des effets qui
portent un préjudice particulièrement lourd aux personnes appartenant à ces
groupes, et sans que cela soit justifié par des motifs objectifs»1324.
942. Le concept de neutralité formelle peut laisser croire qu’a contrario, seu-
les les distinctions employant explicitement l’un des critères sensibles peuvent
être qualifiées de discriminations directes. Or, il sied de ne pas confondre
l’hypothèse d’un acte formellement neutre et l’hypothèse d’un acte qui em-
ploie implicitement, de manière cachée, l’un des critères prohibés.
943. Dans ce second cas, on parle de discrimination directe implicte : la me-
sure intègre un standard défini par et pour le groupe social dominant, en fonc-
tion de ses propres caractéristiques. L’inégalité est alors contenue dans l’acte
lui-même et n’apparaît pas uniquement lors de son application. La mesure ne
peut être qualifiée de « neutre ». Bien plus, elle cristallise une situation de dis-
crimination qui trouve ses origines dans un certain contexte socio-culturel
prévalant dans la société majoritaire et qui est donc de nature structurelle1325.
rentes d’orphelins sur le groupe des enfants nés hors mariage avant le 1er juillet 1996. En effet, dès
cette date, les enfants nés hors mariage ont droit à cette rente, alors que ceux nés avant cette date
continuent à ne pas pouvoir en bénéficier, en étant soumis à l’ancien régime légal. Les enfants for-
ment ici un groupe indirectement touché, car à teneur de la loi, ce n’est pas le statut de l’enfant qui
est le critère déterminant, mais l’état civil du parent survivant. Constatations du CDH, du 15 juin
2004, relatives à la Communication n° 976/2001, Derksen c. Les Pays-Bas, § 9.3. Voir également:
Observation générale n° 14 du CERD, §2 ; Observations finales du CERD relatives à Madagascar,
§16. Constatations du CDH, du 22 septembre 2003, relatives à la Communication N° 998/2001, Al-
thammer et al. c. Autriche, §10.2. Observation générale n° 16 du CESCR, §12-13.
1323
ACEDH Zarb Adami c. Malte, n° 17209/02, § 80, 20 juin 2006. Voir également ACEDH Kelly et au-
tres c. Irlande, n° 30054/96, § 148, 4 mai 2001. MARTENET souligne que la jurisprudence de la Cour
est, sur ce point, encore très limitée; MARTENET (2003), p. 100. On relèvera, en effet, que ce n’est
que très récemment, avec l’arrêt Thlimmenos, que les juges de Strasbourg ont conclu à une viola-
tion de l’art. 14 CEDH lorsqu’une mesure, sans motifs objectifs et raisonnables, ne distingue pas en-
tre deux situations différentes; ACEDH Thlimmenos c. Grèce [GC], n° 34369/97, § 44, CEDH 2000-
IV. Jusqu’à cet arrêt, la Cour n’avait en effet conclu à la violation de l’art. 14 CEDH que lorsque des
Etats traitaient de façon distincte deux situations analogues, sans justification objective et raisonna-
ble; voir ainsi l’ACEDH Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A n° 126, § 36. GILBERT (2002),
pp. 746-747, SUDRE (2006), p. 265. On constate, ainsi, que la jurisprudence de Strasbourg relative à
la portée de l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination est encore limitée.
1324
RDAF 2005 I 182, 203; ATF 130 I 26, 35-36 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte,
Sektion Zürich; ATF 129 I 217, 222-223 Emmen; ATF 126 II 377, 393-394 F.A. et A.A.
1325
Comp. BOSSUYT, § 25, qui ne fait aucune distinction entre discrimination indirecte et discrimination
directe implicite: « La notion de discrimination structurelle recouvre en substance toutes les mesu-
res, procédures, actions ou dispositions juridiques qui paraissent neutres à première vue par rapport
à la race, au sexe, à l’appartenance ethnique, etc., mais qui ont des conséquences négatives surtout
pour les groupes défavorisés sans raison objective. Cette forme de discrimination peut se manifester
de deux façons. On peut délibérément dissimuler ses intentions derrière des critères objectifs; ou
268
Titre Troisième - Le principe d’égalité
alors on peut très bien agir de bonne foi en exigeant certaines compétences professionnelles. Mais,
dans les deux cas, on aboutit à une discrimination indirecte ou occulte. »
1326
RIEDER (2003), pp. 96 et 210-212 ; WALDMANN (2003), pp. 312 et 350.
1327
RIEDER (2003), p. 210.
1328
Comp. d’une part MARTENET (2003), p. 110-111, et WALDMANN (2003), p. 350, qui donnent à titre
d’exemple de discrimination directe cachée les exigences de taille minimale pour exercer certaines
fonctions, exigences qui là aussi excluent une majorité de femmes, et de l’autre, RIEDER (2003), p.
211, qui place cet exemple dans la catégorie des discriminations indirectes. BOSSUYT, §25, évoque
également les exigences de taille minimale qui ne sont pas nécessaires en soi pour effectuer un tra-
vail et qui prétéritent particulièrement les femmes, ou encore les Asiatiques.
1329
MARTENET (2003), p. 94 ; PREVITALI, p. 50 ; ROSENBERG (2005), p. 190.
1330
MARTENET (2003), p. 95 ; WALDMANN (2003), p. 368.
1331
MOOR (vol. 2), pp. 258-259. En droit fédéral, voir l’art. 12 PA.
1332
MARTENET (2003), p. 96.
269
La situation juridique des Tziganes en Suisse
948. Afin de pallier cet obstacle pratique, qui pénalise la mise en œuvre ef-
ficace de la norme constitutionnelle, une partie de la doctrine défend l’idée que
l’emploi direct ou indirect de l’un des critères sensibles, cumulé à la présence
d’un contexte discriminatoire, crée une présomption d’illicéité inversant le
fardeau de la preuve, en défaveur de l’autorité1333. Cette présomption est ré-
fragable, car ces critères ne sont non pas interdits, mais suspects : l’autorité
mise en cause doit pouvoir se justifier1334.
949. Cette proposition reflète le constat que poser l’exigence d’un critère de
preuve dépassant le doute raisonnable en matière de discrimination semble
« irréel, irréaliste [et] irréalisable »1335 et rend la protection offerte par la garan-
tie « illusoire et hypothétique »1336. La Cour européenne des droits de l’homme
se montre plus conservatrice, toutefois. En effet, dans les affaires Nachova et
Bekos et Koutropolos, elle considère que les carences des autorités pour enquêter
sur la présence de motifs racistes derrière des actes de violence policière1337 ne
permettent pas à elles seules de décharger du fardeau de la preuve la victime
alléguant la violation de l’article 14 CEDH1338.
950. En l’absence de législation spécifique ou de révision des lois générales
de procédure administrative tendant à renverser le fardeau de la preuve, il se
justifie de reconnaître cette faculté au juge, de façon subsidiaire, lorsque celui-
ci est appelé à mettre en œuvre l’interdiction de la discrimination1339. Il s’agira
cependant de poser quelques conditions préalables pour admettre ce renver-
sement procédural, car il est loin d’être anodin. On distinguera ici entre les
hypothèses de discriminations directes (a) et indirectes (b).
1333
KÄLIN/CARONI, pp. 78-79 ; MARTENET (2003), pp. 54-55 et 96-97; MÜLLER (1999), p. 416 ; PREVITALI, p.
50 ; PULVER, pp. 89-90 et références; RIEDER (2003), p. 95.
1334
KIENER (2000), p. 217 ; PULVER, p. 143-144.
1335
Opinion dissidente du juge Bonello relative à l’ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH
2002-IV, § 13.
1336
PLESE, p. 111 ; ROSENBERG (2005), pp. 182-185.
1337
Voir nos développements relatifs à ces deux affaires ci-après.
1338
Relevons que l’arrêt du 6 juillet 2005 de la Grande Chambre relatif à l’affaire Natchova et al. ren-
verse partiellement celui rendu par la Première section de la Cour de Strasbourg dans la même af-
faire le 26 février 2004. Dans son arrêt, la Première section avait opéré une quasi révolution en rela-
tivisant – sans encore la bannir explicitement – l’exigence en matière d’apport de preuve « au-delà
de tout doute raisonnable » lorsque le grief tiré de l’art. 14 était invoqué en rapport avec les art. 2
et 3 CEDH. En effet, la Première section conditionnait le respect de l’art. 14, pris sous son angle
procédural, à l’obligation pour les autorités d’effectuer une enquête efficace visant à rassembler les
preuves d’une éventuelle discrimination, lorsque certains indices précis et concordants vont dans ce
sens (ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie, n° 43577/98 et 43579/98, § 171, 26 février 2004) : ce
faisant, elle transférait la charge de la preuve de la non-discrimination sur l’Etat défendeur. Voir sur
cette question, l’analyse détaillée de ROSENBERG (2005), en particulier, pp. 192-194, 198 et 200.
Dans son arrêt de juillet 2005, la Grande Chambre n’a pas suivi la Première section sur ce point et a
refusé de procéder à un renversement du fardeau ; ACEDH Natchova et al. c. Bulgarie [GC], n°
43577/98 et 43579/98, § 157, CEDH 2005-…
1339
MÜLLER (1999), p. 447.
270
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1340
MARTENET (2003), pp. 98-99 et références ; WALDMANN (2003), p. 371.
1341
ATF 129 I 217, 224 Emmen.
1342
ATF 129 I 217, 226 Emmen.
1343
Voir supra Section 2.2.1., b et 2.2.1., c.
1344
ATF 131 V 9, 15, A. ; ATF 130 I 352, 357, X. ; ATF 126 II 377, 393 F.A. und A.A. E. GRISEL, p. 75 ;
KÄLIN/CARONI, p. 78.
271
La situation juridique des Tziganes en Suisse
est, pour sa part, examiné dans une seconde étape, dans le cadre de l’article 8
al. 1 Cst.1345.
1345
PULVER, p. 143. Voir également KIENER (2000), p. 217 ; MÜLLER (1999), p. 416. Comp. MARTENET
(2003), p. 98.
1346
MARTENET (2003), pp. 101-103, estime ainsi que de cette manière, « l’impact distinct » de l’acte est
rendu vraisemblable; WALDMANN (2003), pp. 370-371.
1347
KIENER (2000), p. 217 ; WALDMANN (2003), p. 371.
1348
ATF 112 Ib 65, 67 X.
1349
WALDMANN (2003), pp. 368-371. MARTENET (2003), p. 103, précise que l’emploi de statistiques ne doit
pas occulter le fait que l’autorité doit statuer au cas par cas de l’existence ou non d’une discrimina-
tion indirecte, et qu’il faut donc faire preuve de circonspection en les utilisant.
1350
ATF 129 I 217, 223 Emmen.
1351
ATF 125 I 71, 80, Section bernoise de l'Association professionnelle suisse des infirmières et infir-
miers ; ATF 124 II 409, 428, Maya Alincic et consorts.
272
Titre Troisième - Le principe d’égalité
959. Pour définir les différentes obligations à charge des autorités décou-
lant du principe général de l’égalité, nous nous fondons sur la typologie déve-
loppée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Celui-ci
subdivise les engagements étatiques en trois catégories, en rattachant à chaque
droit une obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre. Cette
troisième catégorie est elle-même composée de trois sous-obligations supplé-
mentaires : celle de faciliter l’exercice du droit, de l’assurer et de le promou-
voir1353. Or, bien qu’élaborée dans le contexte des droits économiques, sociaux
et culturels, cette typologie trouve à s’appliquer à l’ensemble des droits de
l’homme1354.
960. Nous distinguerons entre le devoir de respecter, de protéger et de met-
tre en oeuvre le principe général d’égalité. La réalisation de l’égalité en droit se
rattache à l’obligation de respect (2.3.1.), tandis que la réalisation de l’égalité en
fait englobe l’obligation de protection et de mise en œuvre (2.3.2.).
961. A titre liminaire, on relèvera qu’il est très difficile de garantir une mise
en œuvre effective de ce principe sans que soient adoptées certaines normes
minimales en la matière : l’action du législateur est cruciale dans ce do-
maine1355. Toutefois, au contraire de certains aspects de l’égalité en fait, la ré-
alisation de l’égalité en droit ne peut pas faire l’objet d’une mise en œuvre
progressive par le législateur, et il n’est pas possible d’opposer des arguments
tirés du manque de ressources disponibles pour justifier un retard sur ce point.
En effet, bien que bénéficiant d’une marge de manœuvre dans le choix des me-
sures à prendre, les Etats voient leur responsabilité immédiatement engagée en
la matière1356.
1352
KIENER (2000), p. 217. Comp. MARTENET (2003), p. 103.
1353
Voir l’Observation générale n° 14 du CESCR, § 33 et l’Observation générale du CESCR n°16, §17.
1354
VANDENHOLE, p. 187. Voir également EIDE (2006), § 7, qui applique par exemple ce schéma aux
droits des minorités.
1355
Observation générale n° 3 du CESCR, § 3. VANDENHOLE, p. 224.
1356
Observation générale n° 3 du CESCR, § 1 ; Observation générale n° 16 du CESCR, § 1 et 32. Voir
également, les Conclusions du CERD relatives au rapport de Madagascar, § 16, UN Doc.
CERD/C/65/CO/4. Voir également les Principes de Limburg relatifs à la mise en œuvre du Pacte in-
ternational relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, UN Doc. E/C.12/2000/13. VANDEN-
HOLE, pp. 64-65 et 188-189.
273
La situation juridique des Tziganes en Suisse
964. L’égalité en fait est réalisée lorsque, d’une part, les discriminations
existant entre les individus sont éliminées (réalisation de l’obligation de pro-
tection, correspondant à l’effet dit horizontal des droits fondamentaux1359) et
que, d’autre part, on démantèle les discriminations dites structurelles, ou sys-
tématiques (réalisation de l’obligation de mise en œuvre)1360. La discrimination
structurelle désigne les mesures discriminatoires qui ne sont pas directement
imputables à des actes juridiques ou matériels étatiques, mais qui sont le fait
de la société civile et des institutions, en étant issues d’un contexte socio-
culturel majoritaire1361.
1357
Voir les art. 2§1 let. d, 4, 5, et 6 CIERD. Observation générale n° 16 du CESCR, § 18 ; Observation
générale n° 27 du CERD, §1. VANDENHOLE, p. 187.
1358
VANDENHOLE, p. 188. Observation générale n° 16 du CESCR, § 17.
1359
Au sujet de l’effet horizontal des droits fondamentaux en droit suisse, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 124-136.
1360
WALDMANN (2003), pp. 388-390. Observation générale n° 16 du CESCR, § 19-21.
1361
A ce sujet, voir notamment Päivi GYNTER, On the Doctrine of Systemic Discrimination and its Usabili-
ty in the Field of Education, IJMGR, vol. 10, 2005, pp. 45-54, en particulier pp. 46-49.
274
Titre Troisième - Le principe d’égalité
965. Tendant ainsi à assurer une égalité sociale réelle, l’égalité en fait com-
plète l’égalité en droit qui, par définition, ne peut pas être dirigée contre les at-
teintes causées par les stéréotypes et préjugés prévalant dans la réalité quoti-
dienne. Autrement dit, si les exigences découlant de l’égalité formelle impo-
sent d’adapter le droit à la diversité sociale, l’égalité matérielle tente de corri-
ger les inégalités sociales elles-mêmes1362. En cela, elle est donc nécessaire pour
atteindre les objectifs d’équité, de justice et de protection de la dignité humaine
qui sous-tendent le principe général d’égalité1363.
966. La lutte contre la discrimination structurelle exige ainsi de prendre en
compte la situation des groupes les plus vulnérables et exposés de la société.
L’attention est portée non pas sur la situation d’individus isolés, mais sur
l’existence de situations permanentes, qui conduisent à un état de répression et
de marginalisation1364.
967. Dès lors, la poursuite de l’égalité matérielle ne concerne pas unique-
ment, ni nécessairement, les personnes appartenant à une minorité au sens du
droit international. Premièrement, l’interdiction de la discrimination couvre un
nombre de groupes sociaux vulnérables plus large que ceux concernés par le
droit des minorités, comme les femmes, les homosexuels ou encore les person-
nes handicapées. Deuxièmement, les membres de certaines minorités, comme
la minorité romande en Suisse, ne souffrent pas d’inégalités sociales structurel-
les.
968. Cependant, les membres d’une minorité comme les Tziganes sont sou-
vent confrontés à des inégalités matérielles qui se fondent sur des stéréotypes
ou des préjugés ancrés au sein de la société majoritaire et exprimés à l’égard de
la communauté à laquelle ils appartiennent. Ils seront donc susceptibles d’être
au bénéfice à la fois des mesures découlant du droit des minorités1365, et qui vi-
sent la protection de leur groupe, et de celles exigées pour parvenir à la réalisa-
tion de leur égalité en fait par rapport aux membres de la majorité sociale.
1362
GYNTER, p. 49.
1363
CHEVALLIER, pp. 418-419 et 423 ; MARTENET (2003), p. 121 ; WALDMANN (2003), pp. 422-423. En tant
que mandat et règle programmatique, la réalisation de l’égalité matérielle constitue à première vue
une simple faculté d’agir pour l’autorité législative. Elle n’est donc pas a priori justiciable en soi,
contrairement à l’égalité en droit qui relève avant tout du juge constitutionnel. Cette absence de
justiciabilité conduit d’ailleurs MARTENET (2003), pp. 120 et 122, à nier à l’égalité matérielle une exis-
tence juridique autonome similaire à celle de l’égalité en droit. Cependant, selon cet auteur, certai-
nes situations de discrimination peuvent conduire à reconnaître l’existence d’une véritable obligation
à charge du législateur dont la très mauvaise voire la non-exécution prolongée peut justifier
l’intervention limitée du juge constitutionnel ; MARTENET (2003), p. 118-119, et références, notam-
ment MÜLLER (1999), p. 448 et SCHWEIZER (art. 8), p. 112. Voir également WALDMANN (2003), p. 513.
Nous rejoignons ici la thèse de cet auteur qui affirme qu’en raison de son rattachement à la dimen-
sion objective de l’interdiction de la discrimination, consacrée à l’article 35 Cst., tous les organes de
l’Etat, ainsi que les personnes privées exécutant des tâches publiques, sont tenus de réaliser
l’égalité matérielle dans le cadre de leurs attributions ; WALDMANN (2003), pp. 512-513.
1364
GYNTER, pp. 46 et 50-51.
1365
Voir supra Chapitre I, Section C, 2.1.2.
275
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1366
Observation générale n° 16 du CESCR, § 19-20, VANDENHOLE, p. 187. Pour une analyse approfondie
de cette question, voir WALDMANN (2003), pp. 399-422.
1367
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1104-1105 ; CHEVALLIER, p. 419 ; VANDENHOLE, p. 188.
1368
AUER (1993), p. 1337 ; KLEIN, pp. 89-90. Voir la synthèse établie par PULVER, pp. 318-319, mais éga-
lement, de façon plus approfondie, la présentation effectuée par WALDMANN (2003), pp. 439-474.
1369
BOSSUYT, § 7.
1370
KLEIN, p. 88 ; MARTENET (2003), p. 120 ; WALDMANN (2003), p. 439 ; WALDMANN (2005), p. 952.
1371
CHEVALLIER, p. 428.
276
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1372
Comp. ainsi les art. 1§4, 2§2 et 3 CIERD, l’Observation générale n°5 du CERD, l’Observation géné-
rale n° 4 du CDH, § 2, l’Observation générale n° 18 du CDH, § 10, l’Observation générale n° 16 de
CESCR, §15. BOSSUYT, § 76-82 ; CAHN, p. 2.
1373
BOSSUYT, § 82 et références.
1374
STRAUSS, p. 111.
1375
Conclusions du CERD relatives au rapport des Etats-Unis, UN Doc. A/56/18, § 399. Dans ce sens
également, THORNBERRY (2005), note 96, p. 256 ; VANDENHOLE, p. 207. Voir également l’Observation
générale n° 18 du CDH, § 10.
1376
STRAUSS, p. 113.
1377
Rapport explicatif de la CPMN, p. 27, § 9. ALFREDSSON (art. 4), p. 148.
1378
WALDMANN (2003), pp. 465-472. Comp. la position des tenants de la protection asymétrique de
l’article 8 al. 2 Cst. qui estiment que le désavantage subi par les différentes majorités sociales ne
peut être constitutif d’une discrimination à leur égard, puisqu’elles ne bénéficient pas de la protec-
tion de cette norme ; elles ne peuvent faire valoir qu’une inégalité de traitement au sens de l’article
8 al. 1 Cst., qui, dans ce cadre, est justifiée par des motifs raisonnables ; voir ainsi notamment
KLEIN, pp. 92-93 et MÜLLER (1999), p. 415. Concernant les critères que doivent remplir les mesures
positives pour être considérées comme valables du point de vue constitutionnel, voir MÜLLER (1999),
p. 450-452.
277
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1379
Comp. l’art. 2§2 CIERD. Voir également les conclusions du CERD relatives au rapport des Îles Fidji,
UN Doc. CERD/C/62/CO/3, § 15, ainsi que l’Observation générale n° 16 du CESCR, § 15. BOSSUYT, §
74-75 ; STRAUSS, p. 113 ; VANDENHOLE, p. 207.
1380
FF 2000 2814. Au sujet de l’initiative, voir le Message du Conseil fédéral du 17 mars 1997 concer-
nant l’initiative populaire « Pour une représentation équitable des femmes dans les autorités fédéra-
les (Initiative du 3 mars), FF 1997 III 489.
1381
Arrêt du 19 janvier 2006, cause 2P.277/2004, consid. 3.2; ATF 131 II 361, 373-374 Balmelli; ATF
125 I 21 Grüne Bewegung Uri; ATF 123 I 152 Kanton Solothurn. Dans le cadre de l’examen de la
proportionnalité, le Tribunal fédéral distingue entre les quotas flexibles, donnant la préférence aux
femmes à qualifications égales ou équivalentes à celles des hommes, et les quotas fixes, qui accor-
dent la préférence aux femmes, indépendamment de leurs qualifications, en raison du seul critère
du sexe. Dans l’ATF 123 I 152, 169-171 Kanton Solothurn, de tels quota fixes ont été qualifiés de
contraires au principe de proportionnalité.
1382
MÜLLER (1999), p. 448 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 112 ; WALDMANN (2003), p. 423 ; WYSS, p. 195. Comp.
MARTENET (2003), pp. 120-122, qui estime que l’article 2 al. 2 et 3 Cst. peut fonder des mesures po-
sitives souples affectant peu la situation juridique des personnes n’en bénéficiant pas, tandis que
l’adoption de mesures plus restrictives exige l’existence de bases constitutionnelles claires, comme
les articles 8 al. 3, 2ème phrase et 8 al. 4 Cst. Sur ce point, WALDMANN (2003), pp. 513-514, n’exige
qu’une base légale formelle explicite.
278
Titre Troisième - Le principe d’égalité
au contraire, que seules des normes telles que les articles 8 al. 3, 2ème phrase, et
8 al. 4 Cst., autorisent ce genre de mesures1383.
980. A notre sens, tant les engagements internationaux de la Suisse présen-
tés ci-dessus que la dimension objective de l’interdiction de la discrimination
incitent à suivre les premiers auteurs. En effet, l’article 35 al. 3 Cst. impose à
l’Etat d’adopter des normes spécifiques transposant dans les relations entre
particuliers les droits et obligations découlant des droits fondamentaux. En ce
sens, la réalisation de l’égalité en fait découle de la dimension objective et pro-
grammatique de l’interdiction de la discrimination1384. Dès lors, la poursuite de
l’égalité matérielle oblige les autorités à prendre des mesures contre les déni-
grements subis par certains groupes de personnes au sein de la société ci-
vile1385.
981. L’adoption d’une nouvelle base constitutionnelle n’est requise que
pour attribuer un nouveau domaine de compétences à la Confédération dans
lequel elle sera légitimée à adopter de telles mesures, et non pour l’autoriser à
en adopter dans le cadre de la réalisation de ses compétences déjà existantes.
En conséquence, dans le cadre de la répartition des compétences prévues aux
articles 3 et 42ss Cst., les législateurs fédéral et cantonaux peuvent adopter des
législations spécifiques afin de respecter leurs obligations découlant de l’article
35 al. 1 Cst. Une action du législateur est nécessaire : elles ne sont pas déducti-
bles directement de la Constitution1386.
1383
E. GRISEL, N. 138 ou encore HÄFELIN/HALLER, p. 220, affirment que l’article 8 al. 2 Cst. ne contient
aucune obligation générale en matière de réalisation de l’égalité en fait. En cela, ces derniers au-
teurs sont rejoints par le Tribunal fédéral (voir ainsi ATF 126 II 377, 392 F.A. et A.A.).
1384
Comp. HÄFELIN/HALLER, pp. 222 et 226-227, qui estiment qu’en soi, l’interdiction de la discrimination
consacrée à l’art. 8 al. 2 Cst. ne comporte aucun mandat de réalisation de l’égalité en fait, et que
seul l’art. 8 al. 3 Cst., touchant à l’égalité entre hommes et femmes, engage le législateur sur ce
point. Ces auteurs se fondent sur une comparaison de la lettre de ces deux alinéas, l’alinéa 3 étant
le seul à affirmer explicitement que « la loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait» des hommes et
des femmes. A notre sens, cette interprétation est trop littérale et ne prend ni en considération l’art.
35 al. 3 Cst. et les conséquences de la dimension objective de l’interdiction de la discrimination, ni
les engagements internationaux de la Suisse.
1385
MÜLLER (1999), p. 447 ; PULVER, pp. 314-318 ; WALDMANN (2003), p. 422-423 ; WALDMANN (2005), p.
952.
1386
PULVER, p. 320 ; WALDMANN (2003), p. 513.
279
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1387
Cette question est notamment au centre des débats entourant la question de la constitutionnalité de
la naturalisation ordinaire par le biais du vote à l’urne. Sur ce point voir notamment Andreas AUER et
Nicolas VON ARX, Direkte Demokratie ohne Grenze ?, PJA 2000 pp. 923-935, ainsi que les avis de
droit de l’OFJ en 2001 (JAAC 65 [2001] n° 35) et en 2004 (JAAC 68 [2004] n° 82). Voir également
WALDMANN (2003), pp. 448-455. Cette question est importante pour notre problématique, voir nos
développements à ce sujet, infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section C, 3.2.
1388
ALFREDSSON (art. 4), p. 150 ; PULVER, pp. 318-319.
1389
Pour un aperçu des différentes mesures adoptées au niveau fédéral pour lutter contre certaines
formes de discrimination factuelle, se référer à PULVER, pp. 334-346. Pour des exemples des diffé-
rentes mesures positives envisageables pour la mise en œuvre de l’égalité en fait, voir WALDMANN
(2003), pp. 439-474.
1390
WALDMANN (2003), pp. 469-471.
1391
Pour rappel, voir notamment l’art. 1§4 et l’art. 2§2 CIERD.
280
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1392
WALDMANN (2003), pp. 462-465.
1393
Voir supra Section 2.2.1., a.
1394
BOSSUYT, § 21, § 74 ; WALDMANN (2003), pp. 456-457.
1395
VANDENHOLE, p. 188. Au sujet de la portée de l’obligation de faciliter la mise en œuvre d’un droit, voir
sur ce point la position du CESCR dans plusieurs de ses observations générales, notamment
l’Observation générale n° 14, § 37.
1396
WALDMANN (2003), p. 463. A noter toutefois que l’homogénéité ne doit pas être parfaite, du moins
aux yeux du CERD, 577ème Réunion (1982), UN Doc. CERD/C/SR.577, p. 29. STRAUSS, pp. 111-112.
1397
BOSSUYT, § 10 ; VANDENHOLE, pp. 207-208 ; WALDMANN (2003), p. 463.
1398
Voir ainsi les art. 8 al. 3, 2ème phrase et 8 al. 4 Cst. respectivement. WALDMANN (2003), pp. 462-463.
281
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1399
Voir supra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 1. Voir également les explications de la Sous-
Commission des Nations Unies pour la Prévention de la Discrimination et la Protection des Minorités,
relatives à son mandat : « 1. Prevention of Discrimination is the prevention of any action which de-
nies to individuals or groups of people equalité of treatment which they may wish. 2. Protection of
minorities is the protection of non-dominant groups which, while wishing in general for equality of
treatment with the majority, wish for a measure of differential treatment in order to preserve basic
characteristics which they possess and which distinguish them from the majority of the population…
[if] a minority wishes for assimilation and is barred, the question is one of discrimination» ; UN Doc.
E/CN.4/52, Section V.
1400
ALFREDSSON (art. 4), pp. 141-142.
1401
Voir cependant les Conclusions du CERD relative à la Communication n° 31/03, L.R. et al c. Slova-
quie, UN Doc. CERD/C/66/D/31/2005, dans laquelle le CERD s’est prononcé sur les mesures prises
par des autorités locales en Slovaquie en matière de logement, en l’occurrence l’abandon d’un pro-
jet de construction d’habitations à loyer modéré en faveur de Tziganes, suite à une pétition de la
population locale. Selon la doctrine, cette décision constitue une étape importante pour la recon-
naissance de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ; JOSEPH, p. 349.
282
Titre Troisième - Le principe d’égalité
res ne doivent pas être perçues comme des actes discriminatoires à l’égard de
la majorité1402.
995. Par les garanties qu’il offre aux personnes tziganes prises individuel-
lement, le principe général d’égalité, et en particulier l’interdiction de la dis-
crimination, constitue donc l’un des piliers de la protection de la minorité tzi-
gane en tant que telle1403. Du fait des préjugés et des stéréotypes, toutefois,
l’égalité de traitement et l’interdiction de la discrimination sont les droits fon-
damentaux individuels les plus malmenés à l’égard des Tziganes. Leur respect
fait ainsi l’objet de la majorité des questions et de recommandations du Comité
consultatif de la Convention-cadre sur les minorités, en relation avec l’article 4
CPMN1404.
996. Pour leur part, le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne et l’OSCE
rappellent systématiquement à leurs Etats membres l’importance fondamen-
tale de ces droits à l’égard des Tziganes, en invitant les Etats à modifier leurs
législations et à sensibiliser leurs agents dans ce contexte1405.
997. En particulier, on renverra à la Recommandation de politique générale
n° 3 de la Commission européenne contre le racisme (ECRI)1406 relative à la
lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms/Tsiganes, du 6 mars
1998, consacrée spécifiquement aux formes modernes de discrimination dont
sont victimes les Tziganes1407.
998. En sus d’une série de propositions relatives au démantèlement effectif
des pratiques et législations discriminatoires, la Commission souligne tour à
tour l’importance de l’accès à l’école pour les enfants, de l’adaptation du maté-
riel pédagogique pour que la culture et l’identité tziganes soient revalorisées,
du respect du mode de vie nomade et la création d’un cadre juridique adéquat
1402
GILBERT (1996), p. 180-181 ; PENTASSUGLIA (2002B), p. 89.
1403
SCHODER, p. 49 ; WALDMANN (2003), p. 433.
1404
ALFREDSSON (art. 4), p. 146. Voir ainsi les avis du Comité consultatif sur l’Irlande, ACFC/INF/OP/I
(2004) 003, 2003, §34-43, sur la Serbie-Monténegro, ACFC/INF/OP/I (2004) 002, 2003, §39-44, sur
la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007 2003, § 28 et sur la Lituanie, ACFC/INF/OP/I (2003) 008 2003,
§32-34.
1405
Voir supra Titre Deuxième, Chapitre I.
1406
L’ECRI a été instituée par le Conseil de l’Europe sur la base de la Déclaration et le Plan d’action
adoptés le 9 octobre 1993 à Vienne par le premier Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle est composée d’experts juristes, politologues, histo-
riens, sociologues, et anthropologues. Les membres sont désignés à raison d’un par Etat partie du
Conseil de l’Europe (art. 2 al. 1 du Statut de l’ECRI) et siègent à titre individuel, de façon indépen-
dante et impartiale (art. 2 al. 3 du Statut de l’ECRI). Son objectif est de lutter, sous la direction du
Conseil de l’Europe, contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. Travaillant à la
fois sur des thèmes à portée générale que sur des sujets touchant chaque pays en particulier, elle
émet des recommandations à l’attention des Etats membres. L’ECRI est également autorisée à ef-
fectuer des visites dans ces Etats, à l’occasion desquelles elle étudie l’ordre juridique et la pratique
étatique pour ce qui a trait à ses domaines de compétence ; Comité d’experts sur les questions rela-
tives aux minorités nationales, Activités du Conseil de l’Europe intéressant les travaux du DH-MIN,
du 9 mars 1998, DH-MIN (98) 2, pp. 7-8.
1407
CRI (98) 29.
283
La situation juridique des Tziganes en Suisse
999. A titre liminaire, rappelons que la diversité des origines ethniques des
Tziganes ainsi que le fait que la plupart sont sédentarisés, imposent de ne pas
se limiter à l’identification d’un seul critère de rattachement pour qualifier les
éventuelles situations discriminatoires auxquelles ils peuvent être confrontés.
Certains des développements qui vont suivre peuvent être mis en parallèle
avec le débat portant sur la qualification des Tziganes en tant que minorité du
point de vue des autorités suisses1408.
1000. Les Tziganes sont concernés par trois critères sensibles : le mode de vie
(2.1.), l’origine (2.2.) et la culture (2.3.). Les deux premiers sont expressément
énoncés par l’article 8 al. 2 Cst., et la non-exhaustivité de cette disposition, dé-
montrée par l’emploi de l’adverbe «notamment »1409, permet à notre sens d’y
inclure le troisième. En tant que caractéristique personnelle relevant de
l’identité d’un être humain qui le distingue d’autrui et dont on ne peut exiger
qu’il la modifie1410, nous allons montrer qu’il est justifié de faire entrer la
culture per se dans la liste de ces critères.
2.1.1. Généralités
1001. Le critère du mode de vie recouvre une notion floue, aux contours lar-
ges. Mentionné explicitement à l’article 8 al. 2 Cst., il distingue ce dernier des
sources internationales en matière d’interdiction de la discrimination, puisque
ces dernières ne l’énoncent pas expressément1411. Pour sa part, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme, concevant de façon extensive la vie privée et
familiale au sens l’article 8 CEDH, interprète cette disposition comme proté-
geant également le mode de vie1412. Dès lors, le grief de violation de l’article 14
1408
Supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.
1409
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1083 ; MÜLLER (1999), p. 419 ; PULVER, pp. 137 et 184-185; RIEDER
(2003), p. 36.
1410
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1081; MARTENET (2003), p. 35 ; PULVER, p. 142.
1411
MÜLLER (2000), p. 117 ; WALDMANN (2003), p. 633.
1412
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 73, CEDH 2001-I. BENOIT-ROHMER (2001),
pp. 1003-1004 ; SUDRE (2005B), pp. 372-373.
284
Titre Troisième - Le principe d’égalité
CEDH peut être invoqué lorsqu’une ingérence dans le mode de vie d’un re-
quérant est constatée.
1002. Le droit suisse partage cette conception. Bernhard PULVER définit ce
critère comme recouvrant « la manière dont une personne mène sa vie, no-
tamment dans les domaines privés et, en particulier, intimes [et se réfère éga-
lement] à l’expression extérieure […] des choix personnels élémentaires d’un
individu », afin de ne pas lui conférer une portée trop étendue qui le rendrait
inutilisable1413. La protection du mode de vie dans le cadre de l’article 8 al. 2
Cst. a ainsi également un lien étroit avec le droit au respect de la vie privée et
la liberté personnelle, consacrés respectivement aux articles 13 et 10 Cst.1414.
1003. La lecture des travaux préparatoires révèle que la caractéristique du
mode de vie a pour but premier de protéger l’orientation homosexuelle. La
Constitution ne désigne pas cette dernière explicitement afin de ne pas étendre
la protection constitutionnelle à toutes les préférences sexuelles, dont celles
punissables pénalement comme la pédophilie, mais également pour ne pas res-
treindre ce critère à ces questions sensibles1415. Il est ainsi admis que celui-ci
protège l’union libre, mais aussi la vie en communauté d’habitation1416.
1413
PULVER, p. 267.
1414
Ces garanties feront l’objet d’un examen approfondi, infra Chapitre III. Par ailleurs, pour importante
que soit cette relation, il nous semble trop restrictif de suivre WALDMANN en ne rattachant à l’article 8
al. 2 Cst. que les aspects couverts par les libertés individuelles; WALDMANN (2003), pp. 634-636 ;
WALDMANN (2005), p. 950.
1415
BO/CN 1998 656. HANGARTNER (2001), pp. 252-254; MAHON (art. 8), p. 84 ; MÜLLER (2000), p. 122 ;
PULVER, p. 268 ; WALDMANN (2003), p. 633.
1416
HANGARTNER (2001), p. 252 ; PULVER, p. 269 ; WALDMANN (2003), pp. 635-636.
1417
Voir, par exemple, la position du Conseiller national PELLI, BO/CN 1998 p. 656. Voir, également,
l’intervention de la Conseillère nationale VALLENDER, BO/CN 1998 p. 692, qui renvoie explicitement
sur ce point à la jurisprudence rendue par la Cour de Strasbourg relative à l’article 8 CEDH, dans le
cadre de l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, du 15 septembre 1996, Rec. 1996-IV.
1418
MÜLLER (1999), p. 426 et MÜLLER (2000), p. 122.
285
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1419
MÜLLER (2000), p. 117.
1420
On rappellera ici également la persécution dont ont fait l’objet les homosexuels sous le Troisième
Reich.
1421
Ainsi AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1099 ; MAHON (art. 8), p. 84 ; MARTENET (2003), pp. 67 et
414 ; PULVER, p. 267 ; RIEDER (1999), pp. 164-165 ; WALDMANN (2003), pp. 689-706. Relevons que
SCHWEIZER (art. 8), p. 116, n’évoque pas la situation des Tziganes.
1422
Ainsi, RIEDER (1999), pp. 164-165, et PULVER, pp. 269-270, évoquent d’autres critères de rattache-
ment possibles mais se concentrent par la suite sur les questions liées au nomadisme.
1423
WALDMANN (2003), p. 689.
1424
On ne manquera pas cependant de souligner que, d’une part, cet auteur semble vouloir utiliser
« Fahrende » à la place de « Zigeuner », terme générique ne recouvrant pas seulement les noma-
des, mais qu’à d’autres occasions, il évoque spécifiquement et uniquement les « Sinti und Roma »
(WALDMANN (2003), p. 586), ou encore le triplet « Jenisch, Sinti und Roma » (WALDMANN (2003), p.
653) .
1425
WALDMANN (2003), p. 653.
1426
WALDMANN (2003), p. 690 ; WALDMANN (2005), p. 951.
286
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1427
WALDMANN (2003), p. 689.
1428
Voir les extraits du Report on the Provision and Condition fo Local Authority Gypsy/Traveller Sites in
England (Octobre 2002), par le Bureau du Vice Premier Ministre britannique (ci-après : Extraits du
rapport britannique 2002), reproduits dans l’ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai
2004, § 56ss, notamment §57.
1429
WALDMANN (2003), p. 689, note 457.
1430
Extraits du rapport britannique 2002, § 57 in fine.
1431
Infra Titre Quatrième, Chapitre I.
1432
OFJ (2001), p. 364 et OFJ (2002), p. 591.
287
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2.2. L’origine
2.2.1. Généralités
1433
ATF 129 II 321, 326-327, Bittel.
1434
PULVER, p. 271.
1435
L’article 4 al. 1 aCst. prévoyait que la Suisse ne devait connaître « ni sujets, ni privilèges de lieu, de
naissance, de personnes ou de familles ».
1436
AUER/HOTTELIER/MALINVERNI (II) N. 1084 ; MAHON (art. 8), pp. 81-82 ; MÜLLER (2000), p. 118.
1437
E. GRISEL, p. 76 ; KÄLIN/CARONI, p. 68 ; PULVER, p. 190 ; WALDMANN (2003), pp. 579-586. Sans être
aussi exhaustif sur la question de ce qui se rattache à l’origine, MARTENET (2003), p. 398, voit éga-
lement un lien entre origine et appartenance ethnique.
288
Titre Troisième - Le principe d’égalité
Sous cette notion générale, ces auteurs englobent tous les aspects précédem-
ment évoqués et y incorporent également les éléments constitutifs du critère
de la « race », par ailleurs explicitement énoncé à l’article 8 al. 2 Cst.1438.
1018. Cette expression est en effet préférable à celle de « race »1439. Certes, le
droit international conçoit celle-ci comme une notion large, définie selon son
acception sociologique et non scientifique1440, et couvrant dès lors une pluralité
de conflits fondés sur les préjugés et une dépréciation1441. Elle possède toute-
fois une importance fondamentale du point de vue de l’histoire de la non-
discrimination, de son rapport étroit avec la construction idéologique qu’est le
racisme et de son acceptation et ancrage au sein des consciences individuelles.
Dès lors, on ne s’étonnera pas de sa persistance dans l’ordre juridique suisse,
aussi bien en droit constitutionnel qu’en droit ordinaire, et ce en raison de
l’influence internationale, principalement de la CIERD.
1019. La discrimination raciale est sans doute celle qui porte le plus grave-
ment atteinte à la dignité humaine, comme l’illustre la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme, qui affirme que cette forme de dis-
crimination est si grave qu’elle est synonyme de traitement dégradant au sens
de l’article 3 CEDH1442. Ces différents facteurs font donc de la race un critère a
priori incontournable au moment de traiter de la non-discrimination1443.
1020. En droit constitutionnel suisse, il est néanmoins nécessaire de s’y réfé-
rer avec précaution et de l’interpréter le plus strictement possible, en la limi-
tant aux caractéristiques morphologiques des individus1444. Le texte de l’article
8 al. 2 Cst. distinguant explicitement entre race et origine, les deux notions
1438
KÄLIN/CARONI, pp. 68 et 75; WALDMANN (2003), pp. 579-586. SCHWEIZER (art. 8), p. 114, affirme que la
notion d’origine « überschneidet sich mit jenem der Rasse ». Pour sa part, tenant également d’une
définition étendue de l’origine, PULVER traite distinctement de la race ; s’il s’interroge dans un pre-
mier temps sur la pertinence du lien entre ethnie et origine, comprise au sens de provenance géo-
graphique, cet auteur conclut que puisque l’ethnie doit être entendue comme l’appartenance à un
« groupe de personnes ayant très souvent une origine géographique, une histoire et/ou une ascen-
dance communes », il se justifie tout de même de la rattacher à ce critère; PULVER, pp. 191-192.
1439
Rappelons que le terme de « race » est en soi controversé, et que son usage est extrêmement criti-
quable du fait de son absence de fondements scientifiques objectifs, puisque dans une perspective
biologique et anthropologique, il n’existe qu’une seule race humaine; MÜLLER (2000), p. 118 ; PULVER,
pp. 213-216 ; STRAUSS, p. 6.
1440
STRAUSS, p. 25.
1441
L’art. 1 al. 1 CIERD renvoie aux caractéristiques physiques apparentes d’une personne, ainsi qu’à
son appartenance ethnique et à son origine ; Observation générale n° 14 du CERD, § 2. STRAUSS, p.
26 ; THORNBERRY (2005), p. 250.
1442
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), req. n° 41138/98 et 64320/01, § 111, CEDH 2005-…(extraits).
Voir nos développements relatifs à cette jurisprudence, qui concernait des Tziganes roumains, infra
Section 3.1.1. Voir déjà East African Asians c. Royaume-Uni, Rapport de la Commission européenne
des droits de l’homme, du 14 décembre 1973, DR 78, p. 62.
1443
MAHON (art. 8), p. 82 ; MÜLLER (1999), p. 420 ; PULVER, pp. 213-214 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 115 ;
STRAUSS, pp. 8 et 24-25.
1444
Soulignons que WALDMANN (2003), pp. 580-582, rattache à l’ethnie également un certain nombre
d’aspects physionomiques, ce qui justifie à ses yeux la possibilité d’englober la race dans
l’expression « identité ethnique et culturelle ».
289
La situation juridique des Tziganes en Suisse
doivent donc être clairement différenciées. Ceci est rendu possible par la for-
mulation de la disposition, qui énumère un nombre de critères suspects que le
droit international rattache quant à lui à la race1445,1446 .
1021. Une interprétation stricte ne signifie donc pas une protection juridique
amoindrie. Au contraire, elle garantit un droit absolu à la non-discrimination
fondée sur la physionomie. Cette démarche restrictive et pointue a également
pour avantage de faire perdre à un terme objectivement discutable et imprécis
sa prééminence dans les débats concernant la discrimination1447.
1022. Enfin, malgré l’éventualité que la nationalité d’une personne ne coïn-
cide pas avec ses origines nationales initiales, il n’en demeure pas moins que
les deux notions sont étroitement liées. La nationalité d’une personne n’est pas
expressément énumérée par l’article 8 al. 2 Cst., alors que la thématique du
traitement des étrangers par rapport aux nationaux ne peut être écartée. La
doctrine n’est pas unanime quant à son rattachement à l’un des critères prévus
par la disposition constitutionnelle, notamment quant à son rapport avec celui
de l’origine.
1023. Selon une première approche, origine et nationalité sont synonymes, la
seconde pouvant être intégrée à la première1448. On peut considérer, en effet,
que puisqu’en principe, la nationalité découle de l’origine géographique ou
héréditaire (acquisition par le droit du sol, respectivement par le droit du
sang), il s’agit là de l’une de ses « expressions les plus directes […] [consistant
en l’une de ses] cristallisations les plus évidentes » et qu’il est donc logique de
l’y rattacher1449.
1024. Un second mouvement doctrinal s’oppose à cette acception, en affir-
mant que la discrimination fondée sur la nationalité d’une personne ne saurait
être interdite par le biais du critère de l’origine, motif pris que si le rapport ju-
ridique qu’un particulier entretient avec un Etat est modifiable, ce n’est pas le
cas de l’origine1450. Se fondant également sur l’article 1 al. 2 CIERD, ces auteurs
déduisent de l’exclusion du traitement différencié entre ressortissants et non-
1445
PULVER, pp. 214-215 ; WALDMANN (2003), p. 580 ; contra MÜLLER (2000), pp. 118-119, qui suit
l’approche internationale et interprète le critère de la race tel qu’énoncé à l’art. 8 al. 2 Cst. comme
étant une notion générale englobant la discrimination fondée sur l’apparence physique, la langue, et
l’origine. WALDMANN (2003) (ibidem) conçoit pour sa part la CIERD comme comprenant à la fois une
définition large et une définition stricte de la race.
1446
STRAUSS, p. 25.
1447
PULVER, pp. 215-216.
1448
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1084; MAHON (art. 8), p. 82. MARTENET (2003), p. 471, se montre
plus circonspect, estimant qu’ « il ne semble pas exclu que l’interdiction des discriminations fondées
sur « l’origine » soit interprétée de façon à offrir, dans certains cas du moins, une protection parti-
culière aux étrangers.»
1449
PULVER, pp. 192-193.
1450
KÄLIN (1998), p. 572 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 114. Pour autant, cette partie de la littérature ne ratta-
che pas la nationalité à un autre critère, voire rejette explicitement son intégration à l’article 8 al. 2
Cst., considérant que le silence de cette norme à ce sujet ne peut être contourné au moyen de son
caractère non-exhaustif; KÄLIN/CARONI, p. 72.
290
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1451
KÄLIN/CARONI, pp. 72-74; RIEDER (1999), p. 163 ; PULVER, p. 204 ; SCHWEIZER (art. 8), p. 114.
1452
ATF 129 I 392, 398 A und Mitb. sowie G. Voir également l’ATF 114 Ia 8, 12-14 Guerino Gaioni : lors
de l’octroi d’un permis de chasse, exiger une redevance plus élevée à des chasseurs étrangers éta-
blis dans un canton constitue une discrimination fondée sur le critère de la nationalité qui est injusti-
fiée. En effet, la nationalité des chasseurs est sans rapport soutenable avec le droit concédé par la
délivrance du permis. Certes, la nature régalienne du droit de chasse autorise un canton a faire une
distinction entre résidents et non résidents, mais non entre Suisses et étrangers.
1453
Comp. Bernhard WALDMANN, qui doute de la qualité de critère suspect de la nationalité en affirmant
qu’une distinction fondée uniquement sur la nationalité ne peut avoir pour effet de dénigrer un indi-
vidu dans sa qualité d’être humain. Selon cet auteur, la discrimination à l’égard d’étrangers se fonde
en réalité sur des considérations ethniques, raciales, culturelles ou encore religieuses. A ses yeux, il
importe de distinguer clairement entre discrimination des étrangers, xénophobie et racisme, et il es-
time que les différences de traitement opérées sur la base de la nationalité doivent être étudiées à
l’aune de l’art. 8 al. 1 Cst. et non de l’alinéa 2 ; WALDMANN (2003), p. 579. A notre sens, il existe
néanmoins des situations où une distinction, respectivement une assimilation, fondée sur la nationa-
lité uniquement présente un risque réel de dépréciation. A titre d’exemple, on évoquera l’absence
presque absolue de droits et de garanties de contrôle judiciaire dans le domaine de la législation
suisse sur les étrangers qui, dans la règle, laisse à l’autorité compétente une complète liberté
d’appréciation en matière d’octroi d’autorisation de séjour (comp. l’art. 4 LSEE). En n’offrant pas aux
étrangers de garanties de l’Etat de droit sur cette question, cette législation porte ainsi atteinte à
leur dignité et il est indéniable à notre sens que seule la nationalité entre ici en ligne de compte.
Dans ce sens, voir MARTENET (2003), p. 472, qui estime avec raison que le Tribunal fédéral « est te-
nu d’examiner attentivement les différences de traitement dont sont victimes les étrangers en raison
du risque que ces différences présentent pour leur dignité […] », ainsi que PULVER, pp. 207-209.
1454
PULVER, pp. 192-193.
291
La situation juridique des Tziganes en Suisse
questions touchant aux domaines encore réservés aux Etats comme la naturali-
sation1455, les conventions bilatérales de réciprocité en la matière étant réser-
vées1456. De plus, il nous semble qu’il y a ici confusion entre la détermination
du champ d’application de l’article 8 al. 2 Cst. et l’examen de la validité de la
distinction opérée1457, c’est-à-dire la détermination de l’existence ou non d’une
dépréciation1458.
1455
Dans ce sens, voir l’Observation générale n° 11 du CERD sur les non-ressortissants, § 1.
1456
KÄLIN/CARONI, p. 73. On pensera ici aux différentes clauses existant en droit international traitant de
la question du traitement des non-ressortissants que sont le traitement minimal réciproque, la
clause de la nation la plus favorisée et le traitement national ; MARTENET (2003), p. 518.
1457
PULVER, pp. 192-193.
1458
Conformément à leur approche de la discrimination, Walter KÄLIN et Martina CARONI estiment que la
nationalité constitue en elle-même des « sachliche Gründe » qui justifient le traitement différencié.
En conformité avec celle que nous défendons, l’apport de motifs objectifs et raisonnables ne permet
pas encore d’exclure l’absence de dénigrement de la personne ou du groupe considéré dans un cas
d’espèce.
1459
PULVER, pp. 269 et 271 ; RIEDER (1999), p. 164; STRAUSS, p. 276 ; WALDMANN (2003), pp. 639 et 689-
670. Voir également l’Observation générale n° 27 du CERD ainsi que les Observations finales de ce
même comité, relatives au premier rapport périodique rendu par la Suisse en application de l’article
9 CIERD, CERD/C/304/Add.44 (1998), p. 62.
1460
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, CEDH 2005-… (extraits) ; ACEDH Natchova et
al. et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 168, CEDH 2005-… ; ACEDH Moldovan c.
Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §139-140, CEDH 2005-… (extraits). Voir également in-
fra Section 3.1.1.
1461
Contra RIEDER (1999), p. 164, qui estime que seuls les Tziganes vivant encore selon la tradition no-
made doivent être qualifiés de membres d’une minorité ethnique au sens de la CIERD. Voir notre
critique de cette position supra Titre Deuxième, Chapitre IV, Section 3.2.
1462
MARTENET (2003), p. 398, souligne le caractère particulièrement suspect du critère de l’origine pour
effectuer des distinctions « entre des citoyens suisses ou […] sur la base de l’appartenance ethni-
que ».
292
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1463
Dans le canton de Nidwald, par exemple, la commune de Stans ne met sa place de stationnement
temporaire qu’à disposition des Tziganes « indigènes ». Voir également les interventions parlemen-
taires au sein du parlement zougois, BO/ZG du 18 novembre 2003, p. 2518-2520.
1464
Et ce, même si l’on suit la théorie de l’apport de motifs objectifs et raisonnables permettant de
conclure à l’absence de discrimination.
1465
ATF 130 IV 111, 118 X.; ATF 128 I 218, 222, X.. CORBOZ, p. 300 ; WALDMANN (2003), p. 638 et réfé-
rences.
293
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2.3. La culture
2.3.1. Généralités
1466
MÜLLER (1999), pp. 428-429 ; WALDMANN (2003), pp. 585-586. Jörg Paul MÜLLER propose ainsi de re-
connaître de lege lata l’interdiction de la discrimination fondée sur les particularités culturelles.
Bernhard Waldmann (2003) estime pour sa part que les aspects qui ne sont pas énoncés expressé-
ment sont protégés implicitement par l’art. 8 al. 2 Cst. ; WALDMANN (2003), p. 586.
1467
GROUPE DE FRIBOURG, p. 9; MÜLLER (1999), p. 428.
1468
MARTENET (2003), pp. 463 et 466.
1469
Dans ce sens, voir la position de Jörg Paul MÜLLER, in : MÜLLER (1999), pp. 412, 428-429, et in : MÜL-
LER (2000), p. 124.
1470
MARTENET (2003), pp. 467 et 469.
1471
MÜLLER (1999), p. 429 ; MÜLLER (2000), p. 124. Concernant les rapports entre l’identité culturelle
(rattachée à l’origine) et l’immigration, voir également WALDMANN (2003), pp. 594-600. Walter KÄLIN
et Martina CARONI, p. 67, pour leur part, semblent limiter l’interdiction de la discrimination des
étrangers aux aspects culturels expressément énoncés par l’article 8 al. 2 Cst.
294
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1472
GLAUS, pp. 144-145. Voir également le postulat zurichois PRELICZ-HUBER/WEBER n° 314/2004, du 23
août 2004 : ces deux députés enjoignent le gouvernement cantonal à agir afin que « die Fahrenden
in der Ausübung ihrer Kultur nicht länger diskriminiert werden ».
1473
GLAUS, p. 146.
1474
Contra RIEDER (1999), p. 164.
1475
Voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Loren-
zen, Fischbach et Casadevall, relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95,
CEDH 2001-I, § 3.
1476
Selon nous, ce couplet recouvre l’ensemble des groupes tziganes, car l’auteur qualifie également les
Jénisch de groupe ethno-culturel spécifique ; WALDMANN (2003), p. 653.
295
La situation juridique des Tziganes en Suisse
représentation du monde. Pour cet auteur, ces aspects-là sont, en effet, cou-
verts par la notion d’identité ethno-culturelle1477.
1043. Au vu de ce qui précède, nous pouvons conclure que l’ascendance tzi-
gane d’une personne est couverte par le critère de l’origine, tandis que
l’expression de la culture tzigane, qu’il s’agisse du voyage, de la langue ou des
activités économiques traditionnelles, doit être protégée par le biais du critère
de la culture. Elever cette dernière au rang de caractéristique sensible offre aux
traditions tziganes une protection complète contre la discrimination.
1477
WALDMANN (2003), p. 586. Soulignons ici que pour cet auteur, on peut aussi rattacher la discrimina-
tion subie par ces deux ethnies de Tziganes au critère de la «race », interprété restrictivement en le
limitant aux caractéristiques physiques externes.
1478
PULVER, p. 270 ; WALDMANN (2003), pp. 689-690.
296
Titre Troisième - Le principe d’égalité
ainsi dire, leurs lettres de noblesse. Cette qualification juridique peut mener, à
terme, à la reconnaissance concrète de la valeur de cette minorité aux yeux de
la société sédentaire et, par la même occasion, de sa fragilité et de la nécessité
de la préserver. Ce processus de valorisation représente ainsi une importante
première étape pouvant conduire au démantèlement des stéréotypes persis-
tant au sein de la société majoritaire.
1049. Au regard de l’article 8 al. 2 Cst. lui-même, ce cumul de critères a pour
conséquence de rendre éminemment sensibles et suspectes les mesures prises
par les autorités qui sont amenées à légiférer ou à statuer dans les domaines
concernant l’itinérance traditionnelle tzigane. Ainsi, ces dernières doivent se
montrer très attentives au risque élevé de discrimination de certains de leurs
actes. Par conséquent, les distinctions ou les assimilations effectuées par ces
derniers doivent être présumés dépréciatifs1479.
1479
PULVER, p. 270.
1480
Rapport final du Commissaire aux droits de l’homme sur la situation en matière de droits de
l’homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe, Strasbourg, février 2006, Comm-
DH(2006)1.
1481
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, § 13-14.
1482
Observation générale n° 27 du CERD, § 27-33. Voir également les Conclusions du CERD relatives
aux rapports de la Finlande, UN Doc. CERD/C/304/Add. 7, § 10, de la République tchèque, UN Doc.
CERD/C/304/Add. 109, §9, de la Bulgarie, UN Doc. CERD/C/304/Add. 29, §8. Voir également VAN-
DENHOLE, p. 98.
297
La situation juridique des Tziganes en Suisse
tons ci-après plusieurs affaires ayant été portées devant la Cour européenne
des droits de l’homme1483.
1053. Ces cas d’espèce illustrent comment un contexte de discrimination ra-
ciale généralisée à leur égard influence le respect de leurs droits fondamentaux
individuels. Ils mettent en exergue les obstacles que connaissent les Tziganes
pour faire valoir le respect de ces droits. Ils soulignent également les difficultés
que connaît une autorité judiciaire, en l’occurrence la Cour de Strasbourg,
pour parvenir, d’une part, à un constat de violation substantielle de
l’interdiction de la discrimination, d’autre part, à une violation de
l’interdiction de la discrimination indirecte.
1483
Au niveau universel, le CDH n’a pas encore eu l’occasion d’être saisi de communications déposées
par des particuliers tziganes faisant grief de la violation de l’art. 26 Pacte II à leur égard. Il n’est
donc pas possible d’effectuer une comparaison entre la pratique de cet organe et de la Cour euro-
péenne des droits de l’homme.
1484
Observation générale n° 27 du CERD, § 12.
1485
Observation générale n° 27 du CERD, § 13.
1486
Voir ainsi notamment le deuxième rapport de l’ECRI relatif à la Grèce, du 27 juin 2000, § 26-27,
ainsi que le troisième, du 8 juin 2004, § 105-106.
298
Titre Troisième - Le principe d’égalité
dence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, les juges de Stras-
bourg ont conclu à plusieurs reprises à la violation des articles 2 et 3 CEDH,
pour manquement aux obligations en matière de garanties de procédure en re-
lation avec des affaires mettant en cause des Tziganes. Ces derniers avaient été
soit victimes de violences policières1487 (a), soit victimes de violences et de des-
truction de leurs biens par la population1488 (b).
1057. Dans les affaires Natchova et al., d’une part, et Bekos et Koutropolos,
d’autre part, qui mettaient en cause des violences policières, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme a affirmé que la violence raciste constitue une
atteinte particulièrement grave à la dignité humaine, qui impose aux autorités
une vigilance et une réactivité accrues. Les autorités ont ainsi le devoir
d’ouvrir une enquête approfondie sur la présence possible de motifs racistes
ayant engendré des actes violents de la part d’agents de l’Etat ; à défaut d’une
telle enquête, elles ne respectent pas leurs obligations au regard de
l’interdiction de la discrimination1489.
1058. Confrontée au grief de violences racistes, la Cour considère que
l’article 14 CEDH est matériellement violé lorsqu’elle peut établir que le ra-
cisme a été le facteur causal déterminant pour expliquer la violence des agents
de l’Etat1490. Dans ces deux affaires, toutefois, la Cour n’a retenu la violation de
l’article 14 CEDH que dans son aspect procédural : elle n’a pas constaté de vio-
lation substantielle, en estimant qu’il n’avait pas été démontré que les actes de
violence policière avaient bel et bien été motivés par des considérations racis-
1487
Violences policières ayant entraîné la mort, qualifiées de violation du droit à la vie au sens de l’art. 2
CEDH: ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH 2002-IV ; ACEDH Natchova et al. c. Bul-
garie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, CEDH 2005-… Violences policières qualifiées de traitements
inhumains et dégradants au sens de l’art. 3 CEDH : ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n°
15250/02, CEDH 2005-… (extraits); ACEDH Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998,
Recueil des arrêts et décisions, 1998-VIII; concernant ce dernier arrêt, voir également le commen-
taire de ROSENBERG (1999), pp. 392-393.
1488
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, CEDH 2005-…(extraits).
1489
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 69-75, CEDH 2005-… ; ACEDH ACEDH Nat-
chova et al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 158-164, CEDH 2005-… Comp. toutefois
l’ACEDH Osman c. Bulgarie, n° 43233/98, § 88-91, 16 février 2006 : selon la Cour de Strasbourg, le
fait que les requérants – des Bulgares d’origine turque – aient été insultés par les forces de l’ordre
en étant traités de « Tziganes » n’exigeait pas l’ouverture d’une enquête sur l’attitude raciste des
auteurs, du fait que les propos injurieux ne faisait pas référence à l’origine ethnique réelle des re-
quérants. L’absence de contexte de discrimination générale à l’égard des Bulgares turcs a égale-
ment pesé sur la conclusion de la Cour de Strasbourg. A notre sens, ce raisonnement est très
contestable. En effet, il est difficile de nier le caractère raciste et dénigrant d’une insulte utilisant le
nom d’une ethnie, aussi bien à l’égard de la personne insultée que de l’ethnie en cause, ce d’autant
plus quand cette dernière souffre d’un statut particulièrement vulnérable au regard de la discrimina-
tion dans l’Etat en question, comme le relève elle-même la Cour de Strasbourg dans cet arrêt (§
90).
1490
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 64, CEDH 2005-…
299
La situation juridique des Tziganes en Suisse
tes1491. Or, la Cour estime qu’en matière de violences racistes, il est difficile de
se contenter de l’apport de la preuve d’un résultat discriminatoire et qu’au
contraire, l’apport de la preuve de la volonté subjective de l’auteur de l’acte est
nécessaire1492.
1059. Malgré cette conclusion en demi-teinte, ce constat de violation procé-
durale représente une évolution de sa jurisprudence, puisqu’en 2002 encore,
dans son arrêt Anguelova touchant également à des violences policières ayant
entraîné la mort d’un Tzigane bulgare, la Cour n’avait conclu à aucun man-
quement à l’article 14 CEDH. En effet, malgré l’aspect éminemment sérieux
des arguments avancés par la requérante, l’absence de preuve établie au-delà
de tout doute raisonnable avait alors constitué un obstacle dirimant aux yeux
des juges1493.
1060. Cette approche extrêmement restrictive avait d’ailleurs suscité de vi-
ves critiques de la part de la minorité dissidente de la Cour, qui avait dénoncé
la persistance de « [l’]incapacité [de la Cour] à établir un lien entre des abus
physiques et l'origine [tzigane] » des victimes, malgré les rapports concordants
des organisations non gouvernementales et internationales sur ce point1494.
1061. Incidemment, on relèvera que dans l’arrêt Assenov, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme a constaté une violation du droit au recours in-
dividuel au sens de l’ancien article 25 al. 1 CEDH1495, car la victime et sa fa-
mille avaient fait l’objet de pressions de la part des autorités en vue de les dis-
suader de saisir les instances conventionnelles. Les juges ont expressément mis
en avant la relation entre l’importance et le poids de ces pressions et
l’appartenance des victimes à la minorité tzigane, reconnaissant que c’est le
1491
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 63-68, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et
al. c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 155-157, CEDH 2005-…..
1492
ACEDH Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 65, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et al. c.
Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 157, CEDH 2005-… Au regard des éléments constitutifs
de l’art. 8 al. 2 Cst. dégagés par le Tribunal fédéral, où la motivation subjective derrière l’acte de
l’autorité n’est pas pertinente, on peut estimer que notre Haute Cour ne parviendrait pas à une
conclusion similaire.
1493
ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, §163-168, CEDH 2002-IV. Dans cet arrêt, le fils de la
requérante était décédé au poste de police, à la suite de son arrestation pour tentative de vol. La
requérante a fait valoir que les policiers se référaient de manière réitérée aux origines tziganes de
son fils, et que les actes des autorités bulgares devaient placés dans le contexte plus large de ra-
cisme et d’hostilité systématique à l’égard des Tziganes en Bulgarie, dénoncés par de nombreuses
ONG. La Cour de Strasbourg a admis que l’établissement d’une preuve „au-delà de tout doute rai-
sonnable“ pouvait résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves, répétés et concordants.
Bien que qualifiés de „sérieux“, les arguments de la requérante n’ont pas conduit la Cour à admettre
que la preuve avait été établie au-delà de tout doute raisonnable. Voir également l’ACEDH Velikova
c. Bulgarie, n° 41488/98, §94, 2000-VI: dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg avait également sou-
ligné que les autorités n’avaient pas procédé à toutes les enquêtes nécessaires qui auraient pu
éclaircir la situation. Toutefois, elle avait jugé que dans ce cas non plus, la requérante n’avait pas
apporté de preuve suffisante.
1494
Opinion dissidente du juge Bonello relative à l’ACEDH Anguelova c. Bulgarie, n° 38361/97, CEDH
2002-IV, § 5.
1495
Correspondant à l’art. 34 CEDH depuis l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n°11.
300
Titre Troisième - Le principe d’égalité
statut vulnérable de ce groupe qui avait permis aux autorités d’exercer ces
contraintes1496.
1496
ACEDH Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Rec. 1998-VIII, §169-171. Voir
également l’état de fait de cet arrêt, § 50-53, évoquant la campagne de presse dénonçant
l’assignation de l’Etat bulgare à Strasbourg par des « activistes tsiganes » ayant « trompé Amnesty
International ». ROSENBERG (1999), pp. 394-396.
1497
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 139, CEDH 2005-… (extraits).
1498
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 102, CEDH 2005-… (extraits).
1499
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, § 109, CEDH 2005-… (extraits).
1500
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §108-114, CEDH 2005-… (extraits).
Rappelons, à cet égard, que la Cour qualifie la violence raciste d’affront particulier à la dignité hu-
maine, qui exige de la part des autorités une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse ; ACEDH
Bekos et Koutropolos c. Grèce, n° 15250/02, § 63, CEDH 2005-… ; ACEDH Natchova et al. c. Bulga-
rie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-…..
1501
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §129-131, CEDH 2005-… (extraits).
1502
ACEDH Moldovan c. Roumanie (n°2), n° 41138/98 et 64320/01, §139-140, CEDH 2005-… (extraits).
301
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1503
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 92, 27 mai 2004.
1504
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 23 et 92, 27 mai 2004
1505
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004. Bien que la Cour de Strasbourg recon-
naisse aux Etats une large marge d’appréciation en matière de politique sociale et économique,
cette marge est plus restreinte lorsque sont en cause des droits fondamentaux pour l’identité et
l’intégrité personnelle des particuliers ; ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004,
§ 82 ; ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109, § 55 ; ACEDH
Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n°28957/95, § 90, CEDH 2002-VI.
1506
Pour la Cour, les Etat bénéficient d’une marge d’appréciation en matière de politique de logement
qui a pour effet qu’elle respecte les intérêts publics et les objectifs qu’ils poursuivent. Toutefois,
dans ce contexte, la Cour s’estime légitimée à analyser si les individus ont accès à des garanties
procédurales suffisantes. Dans le cas contraire, elle considère que la marge d’appréciation des auto-
rités n’a pas été respectée; ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 82-84, 27 mai 2004.
Nous analyserons ultérieurement de manière détaillée la portée de la jurisprudence de la Cour pour
la protection du logement, en particulier dans le contexte des caravanes tziganes; infra Chapitre III,
Section C, 2.2.
1507
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 85-86, 27 mai 2004.
302
Titre Troisième - Le principe d’égalité
terrains1508. Les juges ont ainsi conclu que le contexte spécifique du noma-
disme tzigane n’exigeait pas de réglementation spéciale sur ce point1509.
1068. Dès lors, on regrettera que la Cour de Strasbourg ait jugé qu’aucune
question complémentaire ne se posait au regard de l’article 14 CEDH dans
cette affaire1510. En effet, on peut considérer qu’un tel traitement distinct injus-
tifié, se fondant sur le mode de vie particulier des personnes concernées, cons-
titue une discrimination directe, in casu du requérant et de sa famille, mais éga-
lement, d’une manière plus générale, des Tziganes vivant encore de manière
traditionnelle.
1069. Les juges n’ont pas manqué de souligner que le gouvernement britan-
nique portait une part de responsabilité dans les difficultés rencontrées par les
Tziganes à pouvoir vivre leur mode de vie nomade de manière active. Ils ont
également mis en exergue le fait qu’en parallèle, ceux qui souhaitaient arrêter
leurs caravanes de manière durable sur des terrains gérés par les autorités
étaient exclus des garanties habituelles en matière de procédure d’éviction1511.
1070. En somme, la Cour a tout d’abord estimé que du fait de leur mode de
vie et de leur culture, les Tziganes ne peuvent pas être assimilés à des person-
nes appartenant à la majorité sociale et culturelle. Ensuite, elle a conclu que le
cadre juridique entourant l’exercice de leur mode de vie rendait ce dernier par-
ticulièrement difficile à vivre et les soumettait à des incertitudes inadmissibles
en matière de jouissance de leurs droits individuels les plus fondamentaux. Il
s’agit là d’une situation de discrimination directe au sens de l’article 14 CEDH
que la Cour européenne des droits de l’homme aurait pu et dû constater expli-
citement.
1508
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 88-89, 27 mai 2004. Ainsi, la Cour de Strasbourg
n’a pas été convaincue qu’un tel procédé était nécessaire pour pouvoir offrir un certain nombre de
places suffisantes pour faire face aux besoins des Tziganes nomades, du fait que la majorité des
Tziganes vivant de manière traditionnelle en Grande-Bretagne ne voyagent presque plus. Les juges
n’ont pas non plus considéré que la lutte contre les comportements anti-sociaux imposait de telles
mesures, ce d’autant plus que ce risque existe également dans les logements habituels et les autres
types de terrains de stationnement. Enfin, le fait que les frais de location du terrain aient atteint in
casu le double de ceux exigés pour des logements habituels tenus par l’Etat a rendu nul l’argument
des autorités consistant à affirmer que les coûts engendrés par des procédures devant les tribunaux
risqueraient d’être répercutés sur les tarifs de location des places, et qu’en conséquence la commu-
nauté tzigane dans son ensemble risquerait d’être prétéritée par la perte des avantages liés à des
frais de location peu élevés.
1509
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, §94-95.
1510
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 97.
1511
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 94 in fine.
303
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1072. Dans l’arrêt Chapman, la requérante avait acquis un terrain situé dans
une zone agricole de haute valeur paysagère et souhaitait pouvoir y établir sa
caravane. Elle avait décidé d’opter pour cette solution après avoir passé plu-
sieurs années à devoir se déplacer, sous la pression des autorités, entre des ai-
res d’accueil officielles temporaires et des sites non officiels. Les autorités lui
refusaient toutefois le permis d’aménagement nécessaire en raison de la nature
du terrain acquis1513. Elle invoquait une violation de l’article 8 CEDH, ainsi que
l’article 14 CEDH en combinaison avec cette première disposition.
a) Le raisonnement de la Cour
1512
ROSENBERG (1999), p. 389.
1513
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 10-16, CEDH 2001-I.
1514
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 73, CEDH 2001-I.
1515
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 76. Comp. l’opinion
dissidente du juge Pettiti. Pour une critique de l’approche restrictive adoptée par la Cour à cette oc-
casion, voir DE SCHUTTER, p. 77 ; SUDRE (2001), p. 910.
1516
MORAWA, p. 103.
1517
Au sujet de cette analyse, voir notre critique infra Chapitre III, Section C, 2.3.
304
Titre Troisième - Le principe d’égalité
b) Appréciation
1518
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 113, CEDH 2001-I.
1519
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 97, CEDH 2001-I. Pour une critique de cette
assimilation, voir SUDRE (2001), p. 913.
1520
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 95 et 129, CEDH 2001-I.
1521
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 129-130, CEDH 2001-I.
1522
ROSENBERG (2001), p. 1030.
305
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ciale. En effet, les difficultés qu’elle rencontre pour trouver un lieu de station-
nement ne sont pas analogues à celles que connaissent les sédentaires pour
pouvoir trouver un logement1523.
1079. Ensuite, l’analyse du grief de violation de l’article 14 CEDH laisse ap-
paraître quelques contradictions. Alors que la Cour affirme quelques considé-
rants auparavant que l’on ne saurait appliquer de régime distinct aux Tziganes
et qu’il était légitime de traiter ces derniers de manière similaire aux non-
Tziganes, elle constate malgré tout la présence de motifs objectifs et raisonna-
bles justifiant l’inégalité de traitement dont a fait l’objet la requérante1524.
1080. Enfin, de manière surprenante, le grief de violation de l’article 14
CEDH perd, dans cet arrêt, toute dimension autonome : considérant que dès
lors que la restriction apportée à l’article 8 était légitime, l’inégalité de traite-
ment était motivée objectivement et raisonnablement, la Cour vide de son sens
la portée autonome de l’article 14.
1081. Dans la décision sur la recevabilité en l’affaire The Gypsy Council et al. c.
Royaume-Uni1525, les requérants faisaient grief d’une violation des articles 8, 11
et 14 CEDH en raison du refus des autorités d’autoriser la tenue d’une foire
traditionnelle aux chevaux. Concernant l’article 8 CEDH, ils ont fait valoir que
cette foire était un événement social et culturel particulièrement important
pour les Tziganes britanniques et qu’elle faisait donc partie de l’expression de
leur identité culturelle minoritaire1526.
1082. La consécration, un an auparavant, du « standard Chapman » n’a pas
trouvé de suite dans cette décision. Pourtant, des éléments identitaires cultu-
rels minoritaires étaient incontestablement en cause et ils exigeaient des juges
qu’ils étudient la question au moyen de cette grille d’analyse1527. Or, tout
d’abord, la Cour n’examine pas le grief tiré de l’article 8 CEDH. Ensuite, elle
déclare manifestement mal fondé celui basé sur l’article 11 CEDH au motif
qu’organiser la foire en prévoyant des conditions logistiques de sécurité et
d’ordre plus strictes n’aurait pas nécessairement empêché les troubles à l’ordre
public qui étaient prévisibles1528. Ce faisant, elle n’attache aucune attention
1523
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenezen,
Fischbach et Casadevall, relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH
2001-I, §8. HENRARD (2004), p. 187 ; MORAWA, p. 102 ; ROSENBERG (2001), pp. 1024-1033 ; SUDRE
(2001), p. 913.
1524
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 129, CEDH 2001-I
1525
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.
1526
Voir l’état de fait de la décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n°
66336/01, 14 mai 2002.
1527
MORAWA, pp. 104-105 et 109.
1528
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002,
partie II, A, 1.
306
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1529
Par ailleurs, le raisonnement de la Cour de Strasbourg est également sujet à caution même si l’on
élimine le facteur identitaire minoritaire de la problématique : l’interdiction complète d’une manifes-
tation est la mesure la plus incisive qui puisse être ordonnée ; MORAWA, p. 109.
1530
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002,
partie II, A, 2.
1531
Le rapport des autorités, cité par MORAWA, p. 99, énonce : « Whilst the Order may disproportionate-
ly impact on gypsies and travellers in respect of this event, it is not in itself discrimantory in that it
applies equally to any person trespassing or intending to trespass within the area to which the Or-
der applies. »
1532
Voir les documents cités par MORAWA, p. 99, absents de l’arrêt de la Cour.
1533
Les documents produits par les autorités devant la Cour de Strasbourg laissent transparaître les
peurs et les préjugés de la population locale ; MORAWA, note 49, p. 105 et p. 109.
1534
MORAWA, pp. 104-105
307
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1087. L’affaire D.H. et al. c. République tchèque1535 montre qu’il est délicat de
constater l’existence d’une ségrégation systématique cachée qui transparaîtrait
par le biais de statistiques.
1088. Les requérants, des Tziganes tchèques mineurs représentés par
l’organisation European Roma Rights Center, invoquaient une violation de
l’article 14 CEDH en relation avec l’article 2 du Protocole n° 1, consacrant le
droit à l’instruction1536. S’étant trouvés durant plusieurs années dans des écoles
spécialisées destinées à des enfants présentant des déficiences intellectuelles,
ils estimaient que leur placement avait été effectué en suivant une pratique
établie ayant pour effet une discrimination raciale de facto à l’égard des enfants
tziganes. Selon eux, celle-ci se traduisait par l’existence de deux systèmes sco-
laires distincts, à savoir les écoles spéciales pour les Tziganes, d’une part, et les
écoles primaires « ordinaires » pour la population majoritaire, d’autre part.
1089. Avant d’analyser le bien-fondé de ces griefs (b), on relèvera, dans un
premier temps, que la question de l’existence d’un contexte de discrimination
généralisé à l’égard des Tziganes en République tchèque a eu un effet direct
sur la recevabilité de la requête (a).
a) La recevabilité de la requête
1535
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, 7 février 2006.
1536
Comp. les Observations finales du CDESC relatives à la République tchèque, du 5 juin 2002, UN
Doc. E/C.12/1/Add.76, § 23 : le Comité affirme être « profondément inquiet » au regard de la sur-
représentation d’enfants tziganes dans les écoles spécialisées destinées aux enfants souffrant
d’handicaps mentaux. Pour le Comité, cela a pour conséquence de perpétuer la discrimination de
cette communauté, ainsi que les retards en matière d’éducation et les stéréotypes à l’égard de leurs
capacités mentales.
1537
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 28, 7 février 2006.
308
Titre Troisième - Le principe d’égalité
b) Le bien-fondé de la requête
1538
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 29, 7 février 2006.
1539
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 30-31, 7 février 2006.
1540
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 39, 7 février 2006.
1541
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 36, 7 février 2006.
1542
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, § 52-53, 7 février 2006. Le 19 juillet 2006,
la Cour a accepté le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre, suite à la demande des re-
quérants ; communiqué de presse du 19 juillet 2006.
1543
Opinion concordante du juge Costa relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, §1 et 3-4.
309
La situation juridique des Tziganes en Suisse
c) Appréciation
1544
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 2. Voir également les §38-39 de l’arrêt sur la nature des tests.
1545
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 4.
1546
Opinion dissidente du juge Barreto relative à l’ACEDH D.H. et al. c. République tchèque,
n° 57325/00, 7 février 2006, § 5.
1547
Comp. les conclusions de la Cour de Strasbourg dans cette affaire et la position du CERD relative à
la pratique en matière de placement d’enfants tziganes dans des écoles spéciales, et l’importance de
la sensibilisation des enseignants et des professionnels de l’éducation aux particularités identitaires
des enfants tziganes ; Observation générale n° 27 du CERD, § 17-18 ; Observations finales du
CERD relatives à la Hongrie, 2003, § 386. THORNBERRY (2005), p. 259. Voir également sur cette
question les opinions du Comité consultatif de la CPMN relatives à la République tchèque
(ACFC/INF/OP/I (2002) 001, 2001, § 61), la Croatie (ACFC/INF/OP/I (2002) 003, 2001, § 49), et la
Hongrie (ACFC/INF/OP/I (2001) 004, 2000, § 43). THORNBERRY (art. 12), pp. 388-389.
310
Titre Troisième - Le principe d’égalité
3.3. Synthèse
1101. Tous les états de fait rapportés dans la jurisprudence que nous venons
d’exposer ne décrivent pas le quotidien des membres de la minorité tzigane en
Suisse. Ceux-ci ne sont notamment pas confrontés à un contexte aussi violent
que celui que connaissent les Tziganes en Bulgarie, par exemple, que cela soit
de la part de la population majoritaire que des agents de l’Etat. A priori du
moins, la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme
dans les affaires mettant en cause des Tziganes nomades au Royaume-Uni
s’avère dès lors plus intéressante pour analyser la situation prévalant d’une
manière générale en Suisse.
1102. Toutefois, les exigences posées par la Cour de Strasbourg en matière
d’enquête approfondie pour établir l’existence d’un contexte de discrimination
raciale peuvent être transposées sans difficulté en Suisse1550. Ces affaires met-
tent notamment en lumière que la qualité de Tzigane d’une personne peut en-
gendrer à son égard des attitudes violentes, des réactions de rejet, ou encore la
relativisation, voire la négation, de la réalité des dommages et des ingérences
subies, et ce tant de la part de la population que des autorités. Elles indiquent
également que les Tziganes peuvent rencontrer des difficultés à faire reconnaî-
tre le tort subi devant les instances nationales en raison des préjugés à connota-
tion raciste: les stéréotypes peuvent être si fortement ancrés et répandus qu’il
devient impossible ou du moins difficile de les voir, de les admettre et de les
dépasser.
1548
THORNBERRY (art. 12), p. 392.
1549
Observations finales du CDESC relatives à la République tchèque, du 5 juin 2002, UN Doc.
E/C.12/1/Add.76, § 23.
1550
Comp. également les Conclusions du CERD relatives à la communication Dragan Durmic,
n° 29/2003, du 8 mars 2006 : le CERD a conclu à une violation de l’art. 6 CIERD (droit à une pro-
tection judiciaire effective de leurs droits), car les autorités de Serbie-Monténégro n’avaient pas en-
quêté sur les allégations de discrimination raciale dont faisait état le requérant, d’origine tzigane.
Celui-ci avait été refusé à l’entrée d’une discothèque alors que ses compagnons, non-Tziganes,
avaient été acceptés, alors même qu’ils n’étaient pas non plus au bénéfice d’une invitation et que
tous étaient habillés et se comportaient correctement.
311
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1103. Dans l’arrêt D.H. et al., nous avons pu constater la réticence de la Cour
à se fonder sur des statistiques, même officielles, pour conclure à une violation
de l’article 14 CEDH lorsque la preuve d’une discrimination directe n’a pas été
apportée. Or, le contexte discriminatoire que connaissent aujourd’hui les Tzi-
ganes, en particulier en Suisse, n’est pas explicite.
1104. Il s’exprime avant tout par le biais de mesures formellement neutres,
mais lorsque la sédentarité est employée à titre de standard majoritaire, le
contexte s’avère directement – mais implicitement – discriminatoire. En toute
hypothèse, on ne saurait sous-estimer ni le poids et l’importance des préjugés,
ni celui des statistiques, et encore moins ce qu’enseigne l’expérience générale
dans le cadre des relations entre Tziganes et non-Tziganes.
1105. La prise en compte de ces facteurs devrait permettre de faciliter
l’apport si ce n’est de la preuve formelle, du moins de l’existence d’un ratta-
chement vraisemblable à l’un des critères suspects qui qualifient les membres
des différentes communautés tziganes. La démarche est éminemment délicate
et il est indiscutable que les autorités nationales sont plus à même de
l’effectuer qu’une instance internationale, que cela soit la Cour européenne des
droits de l’homme ou un comité des Nations Unies. Ceci rend d’autant plus
important le rôle de la sensibilisation des autorités nationales et locales, puis-
que l’effectivité de l’enquête en dépendra.
1551
Voir l’Opinion du CERD, du 1er novembre 2000, relative à la Communication N° 13/1998, Anna Kop-
tova c. Slovaquie, §10.3, UN Doc. CERD/C57/D/13/1998.
1552
Se référer à notre Titre Premier pour nos développements relatifs à cette problématique.
312
Titre Troisième - Le principe d’égalité
ment en raison de leur mode de vie traditionnel et de leur culture, sans que
des motifs objectifs et raisonnables pussent justifier cette atteinte particulière.
La cause de la discrimination étant juridique, il s’agissait bien d’un problème
touchant au respect de l’égalité en droit1553.
1109. Toutefois, les difficultés juridiques rencontrées pour la réalisation et la
mise en œuvre de l’égalité formelle en faveur des Tziganes, notamment sous
l’angle de l’interdiction de la discrimination indirecte, trouvent principalement
leurs fondements dans la perception faussée et stéréotypée qu’a la majorité so-
ciale à leur égard.
1110. En conséquence, il est particulièrement important de s’attaquer égale-
ment à la discrimination structurelle et aux préjugés présents au sein de la so-
ciété civile à l’égard de tous les Tziganes présents en Suisse, qu’ils soient no-
mades ou sédentarisés, de nationalité helvétique ou non. Au vu de cette situa-
tion, les obligations de protection et de mise en œuvre rattachées au principe
général d’égalité imposent aux autorités de prendre une série de mesures des-
tinées à s’attaquer à cette réalité des faits.
1111. Nous avons conclu ci-dessus que pour être bénéficiaires de mesures
positives stricto sensu, selon la terminologie de WALDMANN, également appe-
lées mesures spéciales temporaires dans le cadre des conventions internationa-
les, les Tziganes doivent répondre à une série de critères qui sont, à nos yeux,
remplis1554.
1112. En effet, en tant que minorité au sens du droit international, les Tziga-
nes sont aisément identifiables en tant que groupe1555, dont les membres sont
solidaires. Par ailleurs, leur vulnérabilité sociale est attestée et les désavantages
subis atteignent un certain degré d’intensité et de répétition systématique, ain-
si que l’attestent tant la pratique internationale que les faits et les statistiques.
Dès lors, ils sont légitimés à être destinataires de ce type de mesures1556.
1113. Pour leur part, les organes internationaux n’éprouvent aucune diffi-
culté à parvenir à cette conclusion, puisqu’ils soulignent l’importance des me-
sures positives en faveur des Tziganes, y compris celles plus contraignantes,
tant du point de vue de leur situation générale1557 qu’en ce qui concerne leur
situation en Suisse précisément1558.
1553
Comp. PULVER, p. 343, qui semble considérer que l’adoption de la LComIt doit être rattachée à la ré-
alisation de l’égalité en fait.
1554
Supra Section A, 2.3.2., b.
1555
L’homogénéité du groupe en question ne doit pas être parfaite aux yeux du CERD ; CERD, 577ème
Réunion (1982), UN Doc. CERD/C/SR.577, p. 29. STRAUSS, pp. 111-112 souligne ainsi que les Tziga-
nes peuvent donc également être intégrés dans cette catégorie de groupes particulièrement expo-
sés. Voir également WALDMANN (2003), p. 463.
1556
Dans ce sens, voir WALDMANN (2003), p. 463.
1557
Voir l’Observation générale n° 27 du CERD, § 2 et 32 notamment, mais également ses conclusions
relatives aux rapports périodiques des Etats, par exemple UN Doc. CERD/C/65/CO/6, §13 (Portu-
gal); UN Doc. CERD/C/304/Add.7, §25 (Finlande). A ce sujet, voir VANDENHOLE, p. 210. Dans le
313
La situation juridique des Tziganes en Suisse
contexte de l’article 26 Pacte II, le CDH admet également qu’il est nécessaire de prendre ce genre
de mesures en faveur des Tziganes, alors que sa pratique est beaucoup plus restrictive et sélective
que celle du CERD sur cette question ; UN Doc. CCPR/CO/80/DEU, §21 (Allemagne); UN Doc.
CCPR/CO/78/PRT, §20 (Portugal). VANDENHOLE, pp. 223-224. Au niveau régional, se référer notam-
ment à la Recommandation de politique générale n° 3 de l’ECRI, à la Recommandation (2005) 4 du
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, § 18-22 et à la Recommandation 1557 (2002) de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, § 15 let. c, d, e, f.
1558
Voir l’Avis du Comité consultatif relatif au rapport initial de la Suisse, § 28 et 37 ; comp. également
le troisième rapport de l’ECRI concernant la Suisse, du 27 juin 2003 (CRI [2004] 5), §49-50.
1559
Observation générale n° 27 du CERD, § 12-17.
1560
Observation générale n° 27 du CERD, § 27-35.
1561
Observation générale n° 27 du CERD, § 17-26 .
1562
Observation générale n° 27 du CERD, § 36-40.
1563
Observation générale n° 27 du CERD, § 41-45.
314
Titre Troisième - Le principe d’égalité
C. Appréciation
1564
UN Doc. CERD/C/63/CO/11, §23 (Royaume-Uni); UN Doc. CERD/C/62/CO/9, § 10 (Slovénie); UN
Doc. CERD/C/63/CO/4, §13 (République tchèque). Voir également l’Observation générale n° 27 du
CERD, §4.
1565
UN Doc. CERD/C/64/60/6, §15 (Espagne); UN Doc. CERD/C/63/CO/5, §16 (Finlande); UN Doc.
CERD/C/304/Add.91, §16 (France).
1566
UN Doc. CERD/C/63/CO/4, § 16 (République tchèque).
315
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1567
Comp. RIEDER (1999), p. 160, qui estime que lorsque la discrimination indirecte est causée par
l’ensemble du système juridique, elle perd sa justiciabilité directe. A notre sens, il y a là confusion
entre justiciabilité et effectivité du droit en question.
1568
Opinion dissidente du juge Pettiti. Voir également l’opinion dissidente commune des juges Pastor
Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman
c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 4.
316
Titre Troisième - Le principe d’égalité
la résolution judiciaire des conflits dont l’origine se situe dans une norme fédé-
rale. En effet, si le Tribunal fédéral accepte de contrôler la constitutionnalité
des lois fédérales, il n’est pas en mesure de sanctionner les éventuelles viola-
tions de la Constitutions qu’il pourrait constater1569.
1127. Dans ce domaine, l’absence d’indépendance de l’article 14 CEDH et la
réserve de la Suisse sur la portée de l’article 26 Pacte II restreignent fortement
l’apport du contrôle de conventionnalité développé par le Tribunal fédéral et
qui lui permet de refuser d’appliquer une loi contraire à un traité protégeant
des droits de l’homme1570. Or, le droit actuel, encore essentiellement axé sur les
besoins des sédentaires, possède un réservoir important de conflits potentiels
avec l’interdiction de la discrimination fondé sur le mode de vie nomade et les
exigences du droit des minorités. Saisi de griefs fondés sur les articles 8 al. 2
Cst. et 27 Pacte II, le Tribunal fédéral n’est donc pas actuellement en mesure de
sanctionner les éventuelles violations contenues dans la législation fédérale.
1128. Face à la situation factuelle et socio-culturelle des Tziganes, ces obsta-
cles ne sont pas confinés au domaine théorique. Ces différents facteurs illus-
trent l’importance de la réalisation de l’égalité en fait et donc le rôle de la prise
de conscience politique de l’existence de discriminations structurelles. En effet,
lorsque l’égalité en fait n’existe pas en raison des préjugés, une pleine égalité
en droit est potentiellement irréalisable, l’inverse étant également vrai.
1129. Ces facteurs démontrent également le poids d’une prise en compte
pleine et entière du droit des minorités pour une communauté telle que les
Tziganes. Les obligations découlant de ce système, telles que nous les avons
analysées1571, viennent renforcer le principe d’égalité et soulignent la nécessité
d’une politique étatique active ne se limitant pas à une abstention de la part
des autorités étatiques. Dans le contexte suisse, il est d’ailleurs possible de rat-
tacher la création et le financement de la Fondation « Assurer l’avenir des gens
du voyage suisses » dans la catégorie des mesures positives destinées à sensi-
biliser le grand public et les autorités sur les problèmes rencontrés par la mi-
norité tzigane en Suisse1572.
1130. De plus, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme concernant des requérants tziganes met en lumière les réticences des
juges de Strasbourg pour conclure à une violation matérielle de l’article 14
CEDH. Cette jurisprudence fait ressortir les limites consubstantielles du sys-
tème de protection individuelle des droits de l’homme pour parvenir à plei-
1569
Selon la formule désormais classique du Tribunal fédéral, « Art. 191 BV statuiert in diesem Sinne ein
Anwendungsgebot, kein Prüfungsverbot » ; ATF 129 II 249, 263 X. ; ATF 125 III 209, 216 X. ; ATF
123 II 9, 11 C.
1570
Au sujet du contrôle de conventionnalité, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1882-1888.
1571
Supra Chapitre I.
1572
PULVER, p. 342.
317
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1573
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I.
1574
DE SCHUTTER, pp. 79 et 85-87 ; SUDRE (2001), p. 913. Nous renvoyons également à nos développe-
ments relatifs à l’importance de la prise en compte de la facette collective du droit des minorités
dans le cadre de la pesée des intérêts pour pouvoir déterminer si les droits des personnes apparte-
nant à une minorité sont concrètement respectés, supra Chapitre I, Section C, 2.2.
1575
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.
1576
ACEDH D.H. et al. c. République tchèque, n° 57325/00, 7 février 2006.
318
Titre Troisième - Le principe d’égalité
1577
Voir nos développements infra Titre Quatrième, Chapitre III, Section B, 1.3.
1578
THORNBERRY (art. 12), p. 392.
319
La situation juridique des Tziganes en Suisse
320
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1138. L’exercice du mode de vie nomade tzigane est encadré par plusieurs
libertés et droits sociaux et économiques individuels, qu’il ne faut pas écarter
au profit d’une analyse exclusivement axée sur le droit des minorités et du
principe d’égalité1579. Ceci apparaît d’autant plus important que l’approche
traditionnelle du droit des minorités est de nature individualiste et que la ré-
alisation de l’égalité en fait des Tziganes s’avère être encore politiquement sen-
sible.
1139. Dès lors, l’objectif de notre analyse est double : elle vise tout d’abord à
dresser le tableau complet des enjeux juridiques que pose l’exercice du mode
de vie traditionnel tzigane. Ceci permet d’identifier l’ensemble des facteurs
devant être pris en considération au moment où les autorités envisagent de
prendre des mesures concernant cette minorité, qu’elles soient répressives ou
au contraire destinées à faciliter leur mode de vie.
1140. Ensuite, cet examen rappelle, s’il le faut encore, qu’avant même de
former une minorité protégée par le droit international et devant bénéficier de
mesures spécifiques de protection, les Tziganes nomades, suisses ou étrangers,
sont des particuliers, titulaires de droits individuels. L’atteinte portée à ces ga-
ranties doit ainsi nécessairement être légitimée sous peine de se transformer en
violation.
1141. Après avoir apporté quelques précisions au sujet de la légitimité des
restrictions pouvant être imposées aux droits à connotation socio-économique
(A.), nous rappellerons que le mode de vie nomade est, en tant que tel, protégé
par le droit au respect de la vie privée et familiale (B.). Par ailleurs, la protec-
tion de ce mode de vie demeure théorique si ni le moyen permettant le voyage,
la caravane, ni le lieu de stationnement n’est protégé en tant que tel. Plusieurs
libertés et de droits sociaux entrent donc ici en considération (C.). Enfin, le
respect des droits fondamentaux des Tziganes pratiquant le nomadisme im-
plique logiquement la possibilité même de voyager. Ceci signifie non seule-
ment pouvoir se déplacer, mais également pouvoir s’arrêter. Ces deux facultés
sont également garanties par un certain nombre de droits fondamentaux en
Suisse (D.).
1579
Comp., mutatis mutandis, l’analyse d’Adriano PREVITALI relative au droit à la mobilité des personnes
handicapées, en tant que garantie protégée à la fois par la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.)
et l’interdiction de la discrimination des personnes handicapées (art. 8 al. 4 Cst.), in: Adriano PREVI-
TALI, La LHand et les barrières architecturales, arrêt du Tribunal fédéral du 20 décembre 2005
(1A.65/2005, à paraître dans le Recueil officiel), Droit des constructions 2006, pp. 58-60, p. 60.
321
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1142. Aucun des droits que nous examinons ci-après1580 n’offre de protection
absolue. En effet, leur exercice peut être légitimement restreint par les condi-
tions posées par l’article 36 Cst., c’est-à-dire par une base légale suffisante, un
intérêt public pertinent et le respect du principe de proportionnalité.
1143. Selon le Tribunal fédéral, bien que conçue pour s’appliquer aux liber-
tés individuelles, cette triade peut néanmoins trouver une application analogi-
que aux droits sociaux1581. Cette jurisprudence s’analyse à la lumière de la pra-
tique du Tribunal fédéral à l’égard des droits sociaux, qui s’avère très restric-
tive.
1144. En effet, partant du concept que les droits sociaux nécessitent des
prestations de l’Etat pour être mis en œuvre, et considérant que le juge n’a pas
la compétence d’ordonner de lui-même l’octroi de prestations, notre Haute
Cour considère qu’en l’absence de concrétisation législative, les droits sociaux
ne peuvent fonder que des prétentions minimales de la part de l’Etat1582. Dès
lors, lorsque le législateur adopte des mesures concrétisant ces droits, le
Tribunal fédéral se réfère par analogie à l’article 36 Cst. pour déterminer si
elles sont compatibles avec le contenu minimal de ces garanties1583.
1145. A ce stade, rappelons que nous opposons la pratique très restrictive du
Tribunal fédéral, qui écarte par principe la mise en œuvre des droits sociaux
de son champ de compétence en renvoyant au législateur, et la démarche
nuancée du Comité des droits économiques, sociaux et culturels à l’égard de la
nature des obligations découlant du Pacte I1584. La nécessité de démontrer une
plus grande souplesse à l’égard de la distinction entre les obligations décou-
lant des droits civils et politiques, d’une part, et droits économiques, sociaux et
culturels, d’autre part, est par ailleurs illustrée par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme.
1146. Celle-ci doit composer entre son souhait de se limiter à protéger les
droits civils et politiques, comme l’impose la lettre de la Convention, et son ob-
1580
A savoir, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect du domicile, le droit à un
logement adéquat, la liberté de circulation, la liberté d’établissement et la liberté économique.
1581
ATF 131 I 166, 176-177 X.; ATF 129 I 12, 20 V.
1582
ATF 131 I 166, 176-177 X .; ATF 129 I 12, 20 V. ; ATF 121 I 367, 373 V..
1583
ATF 131 I 166, 176-177 X.; ATF 129 I 12, 20 V. Le Tribunal fédéral se réfère ici à l’opinion de An-
dreas AUER, Giorgio MALINVERNI, et Michel HOTTELIER, afin de justifier son renvoi à l’art. 36 Cst. Toute-
fois, ces auteurs n’appliquent pas cette disposition ; bien plus, ils considèrent qu’en principe, elle
n’est pas utilisable et ils préfèrent faire une analogie avec la démarche employée à l’égard des ga-
ranties de l’Etat de droit et qui a pour conséquence que soit une mesure respecte le minimum ga-
ranti, soit elle ne le fait pas ; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 31.
1584
Pour rappel, voir la pratique du Tribunal fédéral à l’égard du Pacte I, notamment ATF 130 I 113 A.,
supra Titre Deuxième, Chapitre II, Section A, 2.2.
322
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1585
Dans ce sens, ROMAN, p. 276. Voir infra Chapitre III, Section C.
1586
Comp. les clauses de restriction prévues aux articles 8§2, 9§2, 10§2 et 11§2 CEDH.
1587
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, §82 ; ACEDH Immobiliare Saffi c. Italie
[GC], n° 22774/93, § 49, CEDH 1999-V ; ACEDH Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 dé-
cembre 1989, série A n° 169, § 45.
1588
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97 et 100, CEDH 2003-VIII ; ACEDH Po-
well et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, § 44; ACEDH James et au-
tres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A n° 98, § 46.
1589
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 82 ; ACEDH Hatton et autres c.
Royaume-Uni, [GC] n° 36022/97, §§ 103 et 123, CEDH 2003-VIII.
323
La situation juridique des Tziganes en Suisse
face à une atteinte qui ne met pas en cause les deniers publics, et ce, quelle
qu’en soit la source formelle.
1152. Toutefois, l’applicabilité du droit des minorités à la communauté tzi-
gane en Suisse a également un impact sur les conditions des restrictions appor-
tées à leurs droits individuels, notamment socio-économiques, en particulier
lors de l’analyse de la pesée des intérêts en présence et la proportionnalité de
la mesure au sens strict1590. Dès lors, le juge prendra garde à ne pas oublier la
dimension minoritaire d’un cas d’espèce pour déterminer si l’ingérence subie
par un Tzigane dans ses droits économiques, sociaux ou culturels entre dans la
marge de manœuvre du législateur en matière de politique sociale, ou si elle
s’avère à ce point disproportionnée qu’elle ne peut pas être qualifiée de légi-
time.
1153. En droit suisse, le droit au respect de la vie privée et familiale est pro-
tégé par les articles 13 al. 1 Cst., 8 CEDH et 17 Pacte II. C’est avant tout autour
de l’article 8 CEDH que la notion du respect du « mode de vie » tzigane s’est
développée, pour désigner l’itinérance traditionnelle des Tziganes, première-
ment dans le cadre de l’ACEDH Buckley en 19961591 puis, de façon plus appro-
fondie, dans l’ACEDH Chapman en 20011592.
1154. A l’instar des effets de la jurisprudence abondante de la Cour de Stras-
bourg sur les notions de « vie privée et familiale » dans le domaine du regrou-
pement familial en matière de droit des étrangers1593, les arrêts des juges euro-
péens sont donc appelés à avoir un profond impact sur l’interprétation des
normes pertinentes pour les Tziganes nomades en Suisse. Ainsi, la décision de
principe rendue par le Tribunal fédéral en 2003 révèle l’importance de la juris-
prudence Chapman pour les autorités helvétiques1594.
1155. Dans ce contexte, nous rappellerons ici l’importance du « standard
Chapman », qui pose la nécessité de donner une « attention spéciale » aux be-
soins des Tziganes dans le cadre de l’article 8 CEDH. Nous avons d’ores et dé-
jà relevé que les arrêts Chapman et Gypsy Council1595 étaient décevants puisque,
1590
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.
1591
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 88.
1592
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 96, CEDH 2001-I.
1593
Sur cette question, voir Philip GRANT, La protection de la vie familiale et de la vie privée en droit des
étrangers, Bâle, Genève, 2000, notamment pp. 536-539.
1594
ATF 129 II 321, 326-327Bittel.
1595
Décision sur la recevabilité The Gypsy Council et al. c. Royaume-Uni, n° 66336/01, 14 mai 2002.
324
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
s’ils consacrent formellement ce principe, ils ne lui ont pas octroyé de subs-
tance concrète1596. Une partie de ce contenu matériel a toutefois été précisée
par l’arrêt Connors1597, qui a permis de mieux définir la portée des obligations
positives découlant de l’article 8 CEDH dans le contexte minoritaire tzigane.
1156. Ainsi, nous suivons CAHN pour affirmer que l’arrêt Connors, sous
l’angle du droit au respect du mode de vie nomade, oblige les autorités à
s’assurer du respect de plusieurs obligations à l’égard des Tziganes noma-
des1598. Premièrement, l’Etat doit prévoir un cadre réglementaire et factuel
permettant l’exercice du mode de vie tzigane. En particulier, il est nécessaire
de porter une « attention spéciale » à leurs besoins du fait de leur position vul-
nérable en tant que minorité.
1157. Deuxièmement, ce cadre ne doit pas rester lettre morte, et il sied de dé-
finir clairement les responsabilités des diverses autorités et de les répartir.
1158. Troisièmement, il ne doit pas y avoir d’obstacles s’opposant arbitrai-
rement à l’utilisation de ce cadre. Son efficacité doit être notamment évaluée à
l’aune des éventuels bénéfices qui en découleront en faveur des Tziganes.
1159. Enfin, au sein de ce cadre, il est nécessaire de s’assurer que les droits
fondamentaux individuels soient effectivement garantis.
1160. Parce qu’elles symbolisent leur mode de vie identitaire, parce que leur
stationnement se trouve au centre des conflits les opposant à l’Etat et à la so-
ciété majoritaire, mais également parce qu’elles constituent tout simplement
leurs logements et donc le cœur de leur vie privée et familiale, il importe de
porter une attention particulière à la protection juridique des caravanes des
Tziganes nomades. En outre, en raison du fait qu’il serait artificiel d’opérer
une distinction stricte entre les conditions environnementales entourant la ca-
ravane et son lieu de stationnement, nous nous proposons de les traiter en
même temps.
1161. A cet effet, nous commencerons par déterminer la portée des différents
aspects du droit au respect du domicile et du droit au logement. Après avoir
exposé les sources et la portée générale de ces droits, telles que définies par les
1596
Voir nos développements relatifs à la décision Gypsy Council et sur le refus apparent de la Cour de
Strasbourg à appliquer ce standard dans le contexte d’une autre disposition conventionnelle, supra
Chapitre II, Section B, 3.2.2.
1597
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004.
1598
CAHN, pp. 7-8. Cet auteur considère toutefois que ces mesures relèvent de l’action positive décou-
lant de l’interdiction de la discrimination.
325
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1.1.1. Sources
1162. Consacré aux articles 17 Pacte II, 8 al. 1 CEDH et 13 al. 1 Cst., le droit
au respect du domicile, au sens commun d’habitation1599, est souvent assimilé
au droit au respect de la vie privée, du fait des liens étroits existant entre ces
deux facettes de la liberté personnelle1600. En tant que telle, toutefois, sa portée
présente des spécificités intéressantes dans le cadre du nomadisme tzigane.
1599
Au sujet du domicile au sens de lieu de rattachement juridique à une autorité territoriale au sens de
23 CC, infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section B.
1600
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 405 ; MÜLLER (1999), p. 118.
1601
VON GUNTEN, p. 106. Cet auteur considère qu’il n’est pas possible d’employer la terminologie des
droits réels pour limiter la titularité de ce droit au possesseur au sens des droits réels ; VON GUNTEN,
pp. 107-109.
1602
VON GUNTEN, pp. 110-112. ATF 128 IV 81, 84 L. ; SJ 1992 389, 393, A., P. et W ; ATF 112 IV 31, 34
E. c. Fa. R. AG .
1603
HÄFELIN/HALLER, p. 117 ; MAHON (art. 13), p. 128 ; MÜLLER (1999), pp. 118-119 ; THÜ-
RER/AUBERT/MÜLLER, p. 703.
326
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
nal fédéral, cette garantie ne vise qu’à assurer la protection du domicile contre
les interventions illicites des pouvoirs publics1604.
1165. Cette approche restrictive n’est que partiellement conforme à la prati-
que européenne développée autour de cette notion. En effet, la Cour euro-
péenne des droits de l’homme reconnaît certes que le droit au respect du do-
micile tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre les ingérences illégi-
times de l’autorité. Toutefois, sa portée dépasse ce cadre strict, qui correspond
au devoir d’abstention de l’Etat1605. En effet, pour la Cour, ce droit est particu-
lièrement important puisqu’il protège aussi bien la sécurité de l’individu que
son bien-être personnel.
1166. Selon les juges de Strasbourg, le droit au respect du domicile englobe
non seulement la protection d’un certain espace physique, mais également la
jouissance, en toute tranquillité, de cet espace. Les atteintes au droit au respect
du domicile ne sont pas uniquement matérielles ou corporelles, comme
l’irruption d'une personne non autorisée, mais peuvent aussi être immatériel-
les ou incorporelles, tels que les bruits, les émissions, ou encore les odeurs. A
certaines conditions que nous développerons ci-dessous, la Cour considère
que ces atteintes peuvent priver une personne de son droit au respect du do-
micile du fait qu’elles l'empêchent de jouir pleinement de celui-ci1606.
1167. Dans cette perspective, la Cour reconnaît à l’article 8 CEDH une di-
mension environnementale, en rattachant à la protection du domicile le prin-
cipe d’un droit à ce que celui-ci se trouve dans un environnement sain. De ce
fait, faisant ici appel aux obligations positives qu’elle dégage pour assurer
l’effectivité des droits garantis1607, la Cour confère à la protection du domicile
une facette socio-économique qui offre à l’article 8 CEDH une certaine ouver-
ture vers le droit au logement, analysé ci-après1608.
1604
ATF 115 Ia 207, 209 Emile Vittoz; ATF 103 Ia 455, 458 Hasler. La notion d’intervention illicite ren-
voie ici aux exigences posées par le droit pénal et le droit des poursuites et faillites : est illégale
toute intrusion domiciliaire qui n’en respecte pas les prescriptions formelles. Comp. également la
position du CDH relative à la portée de l’art. 17 Pacte II, dans son Observation générale n° 16, § 1-
4.
1605
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, du 24 novembre 1986, série A n° 109, § 47 et 55-58. SUDRE (2005B),
p. 400.
1606
ACEDH Moreno Gómez c. Espagne, n° 4143/02, § 53, CEDH 2004-…; ACEDH Hatton et autres c.
Royaume Uni , n° 36022/97, § 96-97, 2 octobre 2001 (confirmé par la Grande-Chambre, dans son
arrêt du 8 juillet 2003, § 96-98); ACEDH Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil
des arrêts et décisions 1998-I, § 57; ACEDH López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, sé-
rie A n° 303-C, § 51 ; ACEDH Powell et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n°
172, § 40. MARGUENAUD, pp. 223-224. Contra toutefois VON GUNTEN, pp. 85-86, qui considère que le
droit à l’inviolabilité du domicile ne protège que contre les immissions matérielles, à l’exclusion de
toute immission immatérielle.
1607
SUDRE (2005B), pp. 400-401.
1608
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109, p. …, § 55. SUDRE
(2005B), pp. 405-406.
327
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1.2.1. Sources
1168. Le droit au logement n’existe pas en tant que tel en droit fédéral
suisse : l’article 41 al. 1, let. e, Cst. affirme que les autorités étatiques s’engagent
à ce que « toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-
même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables ». Se
trouvant dans la catégorie des buts sociaux, cette disposition ne confère au-
cune prétention justiciable aux particuliers, ainsi que le précise explicitement
l’article 41 al. 4 Cst. Certaines constitutions cantonales garantissent également
expressément le droit au logement à titre de but social1609.
1169. En droit international, l’article 11 al. 1 Pacte I affirme que « les Etats
parties (…) reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffi-
sant pour elle-même et sa famille, y compris (…) un logement suffisant[…]
(…) »1610. La portée du droit au logement peut être dégagée principalement des
prises de position du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, en
tant qu’organe chargé du contrôle de cette convention, et du Rapporteur spé-
cial de la Commission des droits de l’homme sur le droit à un logement adé-
quat en tant que composant du droit à un niveau de vie suffisant.
L’interdiction de la non-discrimination dans ce contexte permet également de
dégager un certain nombre d’obligations en la matière.
1170. La pratique de la Cour européenne des droits de l’homme tend à re-
connaître à l’article 8 CEDH une certaine dimension qui, au travers le respect
du domicile et de la vie privée et familiale, protège les conditions de vie entou-
rant le logement des particuliers. Cette disposition s’avère donc être également
une source pertinente en la matière. Toutefois, la Cour distingue, première-
ment, entre les situations tombant dans le champ d’application de l’article 1er
du Protocole additionnel n° 1, et celles relevant de l’article 8. En effet, pour les
juges de Strasbourg, cette seconde disposition touche des droits dont
l’importance est primordiale pour l’individu puisqu’elle concerne son identité,
son intégrité psychique et physique, ses relations avec autrui et sa place dans
la société1611.
1609
Voir ainsi notamment les art. 25 Cst./AG, 17 Cst./BL, 22 al. 1 Cst./JU, art. 22 Cst./SO. A souligner
que l’art. 10A al. 1er Cst./GE affirme que « le droit au logement est garanti ». La doctrine n’est pas
unanime quant à sa portée exacte: ainsi, CHATTON, p. 8, considère qu’il s’agit là de la consécration
d’un droit individuel, tandis que AUER (1999), p. 88, n’y voit que l’affirmation d’un principe dépourvu
de justiciabilité.
1610
Voir également l’art. 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du 10 décembre 1948.
Au sujet du lien étroit entre le droit à un logement décent et un niveau de vie suffisant, voir LAM-
BERT, p. 47.
1611
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004, § 82 ; ACEDH Pretty c. Royaume-Uni,
n° 2346/02, §32, CEDH 2002-III; ACEDH Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95,
328
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
§90, CEDH 2002-VI; ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, série A n° 109,
§ 55.
1612
Comp. également l’ACEDH Velosa Barreto c. Portugal, arrêt du 21 novembre 1995, série A n° 334,
§ 24, où la Cour de Strasbourg entre en matière sur le grief du requérant qui conteste une mesure
étatique qui ne lui permet pas de se défaire du bail qui le lie à son locataire : la Cour de Strasbourg
considère que l’art. 8 CEDH ne confère pas de droit à la jouissance exclusive de son foyer. Comp. la
position en droit suisse DE VON GUNTEN, pp. 100-101, qui va dans le sens de la Cour de Strasbourg, et
celle de SALADIN, p. 111, qui considère que la reconnaissance d’un droit à l’accès à un logement est
une condition matérielle préalable pour la pleine réalisation du droit à l’inviolabilité du domicile. Voir
également ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 99 : « Il importe
de rappeler que l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas
plus que la jurisprudence de la Cour. Il est à l’évidence souhaitable que tout être humain dispose
d’un endroit où il puisse vivre dans la dignité et qu’il puisse désigner comme son domicile, mais il
existe malheureusement dans les Etats contractants beaucoup de personnes sans domicile. La ques-
tion de savoir si l’Etat accorde des fonds pour que tout le monde ait un toit relève du domaine poli-
tique et non judiciaire ». ROMAN, p. 274. Pour une critique, voir BENOIT-ROHMER (2001), pp. 1009-
1010 ; SUDRE (2001), p. 914. Du fait que cette jurisprudence concernait une famille de Tziganes,
voir également notre critique de cette affirmation dans le contexte du nomadisme tzigane et des dif-
ficultés rencontrées pour l’exercer, infra Section 2.2. Voir par ailleurs ACEDH Marzari c. Italie, § 101,
où la Cour de Strasbourg ne constate aucune violation de l’art. 8 CEDH lorsqu’une personne handi-
capée est expulsée de logements adaptés à son handicap. ROMAN, pp. 273-274. Comp. également
l’ACEDH Velosa Barreto c. Portugal, arrêt du 21 novembre 1995, série A n° 334, § 24, où la Cour de
Strasbourg entre en matière sur le grief du requérant qui conteste une mesure étatique qui ne lui
permet pas de se défaire du bail qui le lie à son locataire : la Cour de Strasbourg considère que l’art.
8 CEDH ne confère pas de droit à la jouissance exclusive de son foyer. Comp. la position en droit
suisse DE VON GUNTEN, pp. 100-101, qui va dans le sens de la Cour de Strasbourg, et celle de SALADIN,
p. 111, qui considère que la reconnaissance d’un droit à l’accès à un logement est une condition
matérielle préalable pour la pleine réalisation du droit à l’inviolabilité du domicile.
329
La situation juridique des Tziganes en Suisse
bien-être des individus, afin de les intégrer dans la société et d’abolir les iné-
galités socio-économiques1613.
1613
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 18.
1614
Observation générale n° 4 du CESCR, § 9.
1615
Le concept de « droit à un logement adéquat » tel que développé au sein des Nations Unies a été
repris par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à titre de standard en la matière. Comp.
ainsi la Recommandation n° (2005) 4 du 23 février 2005, ainsi que son annexe, « I. Définitions ».
330
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1616
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8, let. c.
1617
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8.
1618
Comp. la Recommandation n° (2005) 4 du Comité des Ministres, § 11.
1619
Comp. l’Observation générale n° 14 du CESCR, § 15.
1620
Observation générale n° 4, § 8, let. f.
1621
Observation générale n° 4 du CESCR, § 7.
1622
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8, let. b.
1623
Observation générale n° 14 du CESCR, § 11 ; Observation générale n° 15 du CESCR, § 8.
1624
Observation générale n° 14 du CESCR, §43, en particulier let. c.
1625
ACEDH Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A n° 169, § 208. ROMAN,
p. 253.
331
La situation juridique des Tziganes en Suisse
privée1626. Se voir privé d’une pleine jouissance de son domicile suffit à consta-
ter l’ingérence : la santé de la personne ne doit donc pas nécessairement être
atteinte1627.
1183. Cependant, lorsque sont avancés des griefs relatifs à la salubrité de
l’environnement du logement, l’atteinte doit constituer une véritable ingérence
dans la sphère intime de la personne concernée, posséder un minimum de
gravité et ne pas être négligeable par rapport aux risques inhérents à la vie
dans une ville moderne1628.
1184. La casuistique des juges de Strasbourg sur cette question révèle que les
constats de violation de l’article 8 CEDH ont tous été rendus lorsque les autori-
tés nationales n’ont pas respecté les exigences posées par leur propre droit in-
terne1629. Par contre, lorsque celui-ci a été correctement appliqué, la Cour se
contente d’examiner si l’Etat a ménagé un juste équilibre entre les différents in-
térêts qui s’opposent. Dans ce contexte, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient
pas de déterminer en quoi pourrait consister une politique optimale en matière
de logement1630.
1185. Se fondant sur la marge d’appréciation des Etats, la Cour refuse ainsi
d’accorder un statut spécial aux « droits environnementaux » des particuliers,
ni à l’environnement en tant que tel1631. Néanmoins, elle étudie l'ensemble des
éléments procéduraux, notamment le type de politique ou de décision en jeu,
la manière dont les points de vue des individus ont été pris en compte tout au
long du processus décisionnel, ainsi que les garanties procédurales disponi-
1626
Ce glissement de l’art. 8 CEDH vers le droit à la protection d’un environnement sain a débuté au
moyen du droit au respect du domicile avec l’ACEDH Powell et Rayner c. Royaume-Uni, du 21 fé-
vrier 1990, série A n° 172, § 44 en 1990, pour ensuite être rattaché au droit au respect de la vie
privée et familiale avec l’ACEDH Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des ar-
rêts et décisions 1998-I, en 1995, pour enfin revenir vers le droit au respect du domicile avec
l’ACEDH Moreno Gomez c. Espagne, n° 4143/02, CEDH 2004-… en 2004; MARGUENAUD, pp. 218-219
et 222-223.
1627
Voir ainsi ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni, n° 36022/97, §96, 2 octobre 2001 (confirmé par la
Grande-Chambre, dans son arrêt du 8 juillet 2003, § 96, CEDH 2003-VIII); ACEDH Guerra et autres
c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 227, § 57; ACEDH López
Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, § 51; ACEDH Powell et Rayner c.
Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, § 40.
1628
ACEDH Fadeïeva c. Russie, n°55723/00, §70-71, CEDH 2005-….
1629
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 120, CEDH 2003-VIII ; ACEDH Guerra et
autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 25-27; ACEDH
López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, §§ 16-22.
1630
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97 et 100, CEDH 2003-VIII; ACEDH Po-
well et Rayner c. Royaume-Uni , arrêt du 21 février 1990, série A n° 172, p. 19, § 44; ACEDH James
et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A n° 98, § 46.
1631
ACEDH Fadeïeva c. Russie, n°55723/00, § 68, CEDH 2005-...; ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni
[GC], n° 36022/97, § 104 et 122, CEDH 2003-VIII; ACEDH Kyrtatos c. Grèce, n° 41666/98, § 52,
CEDH 2003-VI. MARGUENAUD, p. 221. Au vu de ses arrêts Buckley et Chapman, la position de la Cour
de Strasbourg sur cette question est paradoxale, puisqu’à cette occasion, elle a bel et bien rattaché
la protection de l’environnement lui-même à la protection des „droits d’autrui“ pour restreindre le
droit au respect de la vie privée et familiale de familles tziganes, infra Section 2.3. Voir également
MARGUENAUD, p. 228.
332
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
bles1632. Les obligations positives déduites par la Cour de l’article 8 CEDH sont
donc ici de nature procédurale et non substantielle1633.
1186. Lorsqu’un litige met en cause le logement d’un particulier et des ques-
tions d’environnement touchant à l’aménagement du territoire, la Cour de
Strasbourg considère également que l'Etat jouit d'une marge d'appréciation
étendue. Dans ce contexte, en effet, les plans d'aménagement urbain et rural
impliquent l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire des autorités nationales.
1187. Ici, encore plus qu’ailleurs, la Cour estime ne pas pouvoir substituer
son propre point de vue sur ce que pourrait être la meilleure politique en ma-
tière d'aménagement foncier, ou encore les mesures individuelles les plus adé-
quates dans les affaires ayant trait à ce domaine.
1188. Toutefois, elle admet que les intérêts de la communauté doivent être
mis en balance avec le droit de l’individu et de sa famille au respect de son
domicile, puisque celui-ci concerne sa sécurité et à son bien-être personnel.
Dans ce cadre, la Cour examine à nouveau avec attention quelles ont été les
garanties procédurales à disposition de l'individu pour déterminer si l’Etat n’a
pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire1634.
1189. On relèvera que le Tribunal fédéral a intégré la jurisprudence euro-
péenne dans sa pratique, en admettant également que les effets nuisibles d’une
installation polluante constituent une ingérence dans le droit au respect de la
vie privée et familiale des personnes qui vivent à proximité.
1190. Lorsque la source est une ligne électrique à haute tension, notre Haute
Cour considère que les intérêts des particuliers sont pris en considération au
moment de l’adoption des plans d’aménagement pertinents. Le Tribunal fédé-
ral estime que les garanties découlant de l’article 8 CEDH sont respectées, car à
ce stade, si les droits des propriétaires affectés sont atteints, le droit fédéral
leur offre la possibilité de prétendre à une indemnité d’expropriation par-
tielle1635.
1191. Enfin, pour le Comité européen des droits sociaux, l’importance cen-
trale du logement pour les familles a pour conséquence que, sur la base de
l’article 16 CSE, les autorités doivent prendre leurs besoins en compte lors de
l’adoption de leurs politiques en la matière, de manière à garantir une offre
quantitativement et qualitativement suffisante dans ce domaine1636. Par ail-
leurs, l’article 31§1 CSE impose aux autorités de fournir à l’ensemble de la po-
pulation présente sur son territoire un logement adéquat qui soit sûr d’un
1632
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 104 et 122, CEDH 2003-VIII.
1633
MARGUENAUD, p. 222.
1634
ACEDH Hatton et al. c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 101, CEDH 2003-VIII; ACEDH Buckley c.
Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 74-77.
1635
ATF 129 II 420, 431-432, A. et B.
1636
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation collective n°15/2003, Co-
mité européen des Roms c. Grèce, §24.
333
La situation juridique des Tziganes en Suisse
point de vue sanitaire, c’est-à-dire qui possède toutes les infrastructures mini-
males nécessaires, qui ne soit pas surpeuplé et qui soit protégé par la loi1637.
1192. La protection contre les évictions abusives est l’une des facettes du
droit au logement dégagées par le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels1638. Cette garantie justiciable1639 est ainsi couverte par le biais de
l’article 11 Pacte I pour le Comité.
1193. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme la rattache au
droit au respect du domicile lato sensu1640, ce qui souligne encore une fois les
liens étroits qui unissent droit au logement et droit au respect du domicile. On
distinguera entre la dimension formelle de cette protection, qui octroie des ga-
ranties procédurales aux particuliers mis en demeure de quitter leur habitation
(ba), et sa dimension matérielle, qui pose des limites à l’exécutabilité des me-
sures d’éviction en cas d’absence de possibilité de relogement (bb).
1637
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 35.
1638
Observation générale n° 4 du CESCR, § 8.
1639
Voir la pratique du CESCR telle que rapportée par CRAVEN, pp. 339ss ; KÜNZLI/KÄLIN, p. 128.
1640
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 68 et § 92, 27 mai 2004; ACEDH Larkos c. Chypre
[GC], n° 29515/95, § 28, CEDH 1999-I. SUDRE (2005B), p. 406. Voir également infra Section aa.
1641
Observation générale n° 7 du CESCR, § 3.
1642
Observation générale n° 7 du CESCR, §9; KOHTARI, § 16.
334
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1196. Doivent également être imputés les frais liés au logement provisoire,
aux taxes administratives et aux frais de justice, au logement de remplacement,
aux coûts de réinstallation et de transport. Les effets sur la santé physique et
affective ne doivent pas être négligés et peuvent être entre autres induits par la
perte d’espace vital, par les tracasseries administratives, par les conséquences
sur l’unité de la famille, sur l’éloignement de la communauté ou encore sur la
vulnérabilité accrue face à de nouvelles violations1643.
1197. Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, les garan-
ties procédurales entourant l’éviction doivent comprendre plusieurs points :
une consultation effective des intéressés doit avoir été organisée ; un délai de
préavis raisonnable a dû être communiqué à toutes les personnes concernées ;
toutes les informations nécessaires sur l’expulsion à venir et sur le relogement
envisagé ont dû être transmises ; des représentants du gouvernement doivent
être présents lors de l’expulsion, ce qui est particulièrement nécessaire lorsque
sont concernés des groupes de personnes ; il doit être possible d’identifier tous
les agents de l’autorité qui exécutent l’arrêté d’expulsion ; il est interdit de pro-
céder à l’éviction par mauvais temps ou de nuit, sauf consentement des inté-
ressés ; les recours prévus par la loi doivent être accessibles ; enfin, une aide
judiciaire doit être octroyée si nécessaire1644.
1198. Dans sa pratique relative au respect du domicile et à la protection
contre les évictions, la Cour européenne des droits de l’homme insiste égale-
ment sur l’importance de l’existence de garanties procédurales et de leur res-
pect pour pouvoir juger de la légitimité des expulsions1645.
1199. Enfin, aux yeux du Comité européen des droits sociaux, l’article 31§2
CSE exige des Etats qu’ils s’assurent que les évictions sont justifiées et exécu-
tées dans des conditions respectant la dignité des personnes concernées. De
plus, toute éviction doit être susceptible de recours et il est nécessaire d’offrir
une aide juridique à ceux qui souhaitent saisir les tribunaux1646.
1643
KOHTARI, § 68.
1644
Observation générale n° 7 du CESCR, §15; KOHTARI, § 17.
1645
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 83, 27 mai 2004; ACEDH Chapman c. Royaume-
Uni [GC], n° 27238/95, § 92, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre
1996, Rec. 1996-IV, § 76. Voir également ACEDH Larkos c. Chypre [GC], n° 29515/95, § 22-32,
CEDH 1999-I, où la Cour de Strasbourg a constaté la violation de l’art. 14 CEDH en rapport avec
l’art. 8 du fait qu’en tant que locataire d’un immeuble appartenant à l’Etat, le requérant n’était pas
protégé contre l’éviction à la fin de son bail.
1646
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation collective n° 27/2004, Co-
mité européen des Roms c. Italie, § 41.
335
La situation juridique des Tziganes en Suisse
dont le non respect a pour conséquence que des évictions qui sont en soi licites
deviennent abusives du fait qu’elles constituent une ingérence disproportion-
née dans les droits des personnes concernées.
1201. En effet, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels consi-
dère également que lorsqu’un individu, une famille ou une communauté ont
été expulsés de leur logement, l’Etat a à sa charge un devoir de relogement, et
ce même lorsque l’occupation des lieux était illicite. Ainsi, les autorités ont
l’obligation de mettre les personnes expulsées au bénéfice d’un logement de
substitution adéquat avant de procéder à l’exécution de la mesure1647. Cette ré-
installation doit avoir lieu à une distance raisonnable du lieu précédent, avec
une infrastructure suffisante et adéquate1648.
1202. La Cour européenne des droits de l’homme tient un raisonnement si-
milaire, mais semble poser des exigences moins strictes à l’égard de l’Etat. En
effet, pour juger de l’adéquation de l’hébergement de rechange, elle met en ba-
lance les besoins particuliers de l’individu au vu de ses exigences familiales et
de ses ressources financières, et l’intérêt public poursuivi in casu par l’Etat
pour légitimer l’expulsion, en lui accordant, le cas échéant, une marge
d’appréciation plus ou moins importante1649.
1203. Imposer cette obligation aux autorités restreint donc l’exécutabilité de
procédures d’expulsion ordonnées à l’égard d’occupations illicites
d’immeubles. Or, ceci revient à admettre que le champ d’application du droit
au respect du domicile et du droit au logement s’étend aux individus occupant
des logements de manière illicite.
1204. En Suisse, la doctrine n’est pas unanime sur cette extension1650. Les au-
teurs s’exprimant en faveur d’une telle inclusion soulignent que du point du
vue des droits fondamentaux, le droit au respect du domicile ne doit pas se li-
miter à se référer aux rapports de droit privé existant entre un particulier et
son habitation, mais doit également prendre en compte la réalité des faits.
1205. En effet, les garanties constitutionnelles et conventionnelles cherchent
à protéger l’intimité et la vie privée des individus qui peuvent naître et se dé-
velopper également dans un domicile établi illicitement. Il importe avant tout
que des indices objectifs démontrent qu’un lieu appartient à la sphère privée
1647
Voir notamment KOHTARI, §77 et les Observations finales du CESCR relatives au Royaume-Uni, UN
Doc. E/C.12/1/Add. 19, §17. Voir également, en Belgique, l’ordonnance du Tribunal de première ins-
tance de Namur, du 11 mai 1994, qui a jugé qu’une expulsion en soit licite mais annoncée sans of-
fre de solution alternative concrète au locataire était contraire à l’art. 23 de la Constitution belge qui
garantit le droit à un logement décent, et ce malgré le caractère non justiciable de cette disposi-
tion ; voir LAMBERT, pp. 50-52.
1648
Observation générale n° 7 du CESCR, §16; Observations finales du CESCR, du 19 décembre 1994,
relatives à la République dominicaine, E/C.12/1994/15, §11. KOHTARI, § 16.
1649
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 103-104, CEDH 2001-I.
1650
Ainsi, MÜLLER (1999), p. 122, note 20, est favorable à l’application de l’art. 13 al. 1 Cst., tandis que
BREITENMOSER (1986), pp. 271 et 275 et SCHWEIZER (2001), N. 27, s’y opposent.
336
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1651
Voir MÜLLER (1999), p. 122, ainsi que sa note 20 et ses références doctrinales.
1652
Voir notamment ACEDH Moreno Gomez c. Espagne, n° 4143/02, §53, CEDH 2004-… et supra Sec-
tion 1.2.2.
1653
ACEDH Oneryildiz c. Turquie , n° 48939/99, § 142, 18 juin 2002; ACEDH Chapman c. Royaume-Uni
[GC], n° 27238/95, § 82, 102 et 105, CEDH 2001-I ; ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25
septembre 1996, Rec. 1996-IV, § 52-54. Dans cette dernière affaire, on relèvera que le gouverne-
ment britannique niait l’existence d’une ingérence dans les droits de Mme Buckley, jugeant que l’art.
8 CEDH ne protège que les domiciles « légalement établis » (§52). La Cour n’a pas retenu cet ar-
gument.
1654
Ces affaires ont été rendues sous l’angle de l’art. 1 Protocole n°1 : ACEDH Oneryildiz c. Turquie, n°
48939/99 , n° 48939/99, § 141, 18 juin 2002, confirmé par la Grande-Chambre : ACEDH Oneryildiz
c. Turquie [GC] n° 48939/99, §106 et 127, CEDH-2004…: la construction entreprise par l'intéres-
sé s'avérait contraire à la réglementation en matière d'urbanisme. Cependant, nonobstant cette
contravention et l'absence d'un titre quelconque portant sur la parcelle occupée, la Cour de Stras-
bourg a considéré que le requérant était bien matériellement propriétaire de l’habitation qu'il avait
construit ainsi que de tous les biens ménagers et personnels qui pouvaient s'y trouver. Depuis 1988,
il vivait dans cette habitation, sans jamais avoir été inquiété par les autorités, grâce à quoi il avait
assuré l'hébergement de ses proches, ce qu’il faut analyser comme une tolérance implicite de l’Etat.
Les manquements de ce dernier à son égard constituent donc une violation de l’art. 1 Protocole n°1.
Voir également ACEDH Osman c. Bulgarie, n° 43233/98, §96-97, 16 février 2006 : les requérantes
ne pouvaient se considérer propriétaires du terrain occupé. Toutefois, les autorités avaient toléré
son occupation depuis 1983, et les requérantes avaient bâti et fait usage des constructions en ques-
tion pendant plusieurs années, sans être inquiétées par les autorités. Pour la Cour de Strasbourg,
ceci signifie une reconnaissance de facto de l’intérêt patrimonial des requérants tenant à leurs cons-
tructions.
337
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1.3. Appréciation
1655
ATF 119 Ia 28, 31-32 M. EGGER-ROCHAT, pp. 388-389. Il sied toutefois de relever qu’en l’espèce, le
propriétaire de l’immeuble a obtenu gain de cause car étant au bénéfice d’un jugement exécutoire
ordonnant l’évacuation de son immeuble, il avait droit à l’appui des forces de l’ordre pour réaliser
son exécution et que, partant, le refus de coopération du Procureur général était arbitraire; ATF 119
Ia 28, 32-34 M. Comp. cet arrêt à l’ACEDH Scollo c. Italie, du 28 septembre 1995, Série A n° 315-C
, § 30-31 : la Cour européenne juge conformes à la poursuite de l’intérêt général des mesures légi-
slatives qui suspendaient l’expulsion de locataires en attendant que des solutions pour les reloger
dans des conditions adéquates soient trouvées.
1656
Infra Section 2.3.
338
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1657
Comp. notamment les Observations générales n°12, 13, et 14 du CESCR, notamment § 33 de
l’Observation générale n° 14.
339
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1658
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, § 37.
1659
Recommandation (2004) 14, § 12.
1660
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 11.
340
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1661
MG-S-ROM (2002), p. 11.
1662
ZUFFEREY (2001), p. 762.
1663
MG-S-ROM (2002) 10 rev., point 1.2.2., ba).
1664
Recommandation (2004) 14, §8.
1665
VON GUNTEN, p. 51.
1666
BREITENMOSER (art. 13 al. 1), p. 201 ; MAHON (art. 13), p. 128 ; MÜLLER (1999), pp. 121-122 ; VON
GUNTEN, p. 51.
1667
Dans ce sens, voir l’arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 6 avril 2004, causes
A/1278/2003-GC et A/1439/2003-GC, p. 14: „Du moment qu’elles servent à l’habitation des gens du
voyage, [des] caravanes doivent être considérées comme des maisons d’habitation dont le regrou-
pement constitue plusieurs logements“.
1668
NOWAK (art. 17), p. 302.
341
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1669
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c. Royaume-
Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV. SUDRE (2005B), p. 375.
1670
NOWAK (art. 17), p. 302 ; TRECHSEL (1997) p. 693 ; VON GUNTEN, p. 50.
1671
Voir ainsi VON GUNTEN, pp. 50-51, qui estime que des terrains qui ne sont pas clairement délimités
ne peuvent être protégés par le droit au respect du domicile.
342
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1233. Dès lors, nous ne pouvons que souscrire à la position du Comité des
Ministres sur cette question. Dans le contexte du nomadisme tzigane, celui-ci
définit tout d’abord la notion de « logement» comme incluant non seulement
les caravanes mais également les lieux de stationnement1672. Ensuite, il invite
les Etats membres à reconnaître qu’un certain périmètre autour d’une caravane
fait partie intégrante du domicile de ses habitants1673.
1234. Le lien étroit existant entre le lieu de stationnement et la protection du
logement et du domicile est particulièrement bien illustré par l’affaire
Connors1674. En effet, dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme
juge que le fait d’expulser une famille tzigane d’un lieu de stationnement per-
manent consiste, dans les faits, à les priver de leur logement1675. La Cour
considère ainsi que ce n’est pas seulement la caravane elle-même qui doit être
conçue comme le logement des Tziganes, mais également l’endroit où ils
stationnent1676.
1235. Les éléments constitutifs que nous avons dégagés de la portée générale
du droit à un logement adéquat se situant dans un environnement sain témoi-
gnent de l’importance particulière de cette garantie pour la protection des
droits des Tziganes nomades. D’une manière générale, on constate un manque
de terrains de stationnement appropriés dans tous les pays membres du
Conseil de l’Europe, Suisse comprise. Lorsqu’ils existent, il sont logiquement
surpeuplés, mais également souvent sous-équipés.
1236. Dans ce contexte, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe in-
vite les Etats à mettre sur pied une politique coordonnée en matière de loge-
1672
Voir également la Recommandation (2005) 4, chiffre I : « on entend par « logement » différents
modes d'habitation tels que les maisons, les caravanes ou les mobile homes ou les sites de halte ».
1673
Recommandation (2004) 14, § 34.
1674
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, 27 mai 2004.
1675
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 85, 27 mai 2004.
1676
Comp. sur ce point la Décision n°94-359 du Conseil constitutionnel français, du 19 janvier 1995,
concernant la constitutionnalité de la loi relative à la diversité de l’habitat (JO du 21 janvier 1995, p.
1136). L’article 7 de la loi relative à la diversité de l’habitat avait modifié l’article L. 302-7 du Code
de la construction et de l’habitation en prévoyant que les sommes non investies par les communes
dans la réalisation de logements sociaux seraient notamment allouées dans la création de terrains
d’accueil des Gens du Voyage. Ce faisant, le législateur français intégrait les aires d’accueil dans une
loi sur l’habitat. Le Conseil constitutionnel va lui donner raison, en combinant le principe de dignité
avec les dispositions des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution française de 1946. Il dé-
clare que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent devient un objectif
à valeur constitutionnelle ». En rattachant les aires d’accueil à cette loi, le législateur prend en
compte l’article 28 de la loi du 31 mai 1990 qui impose un schéma départemental prévoyant les
conditions spécifiques d’accueil des Gens du Voyage. Ce faisant, le logement se retrouve réaffirmé
dans son lien avec la dignité, en tant que signe distinctif de la personne humaine, qui peut y « or-
ganiser sa vie privée et mener une vie familiale normale».
343
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ment à l’égard des Tziganes. Les autorités nationales, régionales et locales doi-
vent faire en sorte que chaque individu bénéficie de toutes les conditions né-
cessaires à la pratique de son mode de vie, en fonction des ressources disponi-
bles et des droits des tiers, dans le cadre juridique relatif aux constructions, à
l'aménagement du territoire et à l'accès à des terrains privés1677.
1237. Outre les recommandations du Comité des Ministres, on se référera
également au Mémorandum préparé par le Secrétariat sur les problèmes auxquels
sont confrontés les Roms/Tsiganes en matière de logement, du 17 mars 20001678, ré-
alisé par le Groupe de Spécialistes sur les Roms, Tsiganes et Voyageurs. Ce
rapport expose en détail la situation prévalant actuellement dans les pays
membres du Conseil de l’Europe et formule une série de recommandations1679.
La jurisprudence pertinente du Comité européen des droits sociaux1680 peut se
montrer également utile pour délimiter précisément la signification du droit
au logement dans le contexte du nomadisme tzigane.
1238. Le respect du droit à un logement adéquat à l’égard des Tziganes im-
pose la création de places de stationnement en nombre suffisant (2.2.1.). En-
suite, il exige que ces places répondent à certains critères qualitatifs, par rap-
port à leur environnement (2.2.2.), leur infrastructure (2.2.3.) et le respect de la
capacité de paiement de leurs utilisateurs (2.2.4.). Ce sont donc aussi bien des
exigences quantitatives que qualitatives qui sont imposées aux Etats1681.
1677
Recommandation (2005) 4, §3.
1678
MG-S-ROM (2000) 3.
1679
Voir également le rapport du Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux
et plus particulièrement l’aperçu comparé de la situation dans le domaine des conditions de loge-
ment des Tziganes dans différents Etats membres de l’UE, pp. 49-52.
1680
En application de l’art. 7, §1 et 2 du Protocole de 1995, l’organisation non gouvernementale
« Centre européen des droits des Roms » a déposé trois réclamations collectives, respectivement
contre la Grèce (Réclamation n°15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, enregis-
trée le 4 avril 2003), l’Italie (Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Ita-
lie, enregistrée le 28 juin 2004) et la Bulgarie (Réclamation n° 31/2005, Centre européen des droits
des Roms c. Bulgarie, enregistrée le 22 avril 2005). A ce jour, le Comité s’est prononcé sur le bien-
fondé des réclamations formulées contre l’Italie (Décision sur la bien-fondé du 7 décembre 2005 re-
lative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Italie) et contre la
Grèce (Décision sur le bien-fondé du 7 février 2005 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre eu-
ropéen des droits des Roms c. Grèce).
1681
Voir la Recommandation (2004) 14, §8 et §22-23 ; Recommandation (2005) 4, §33-34.
1682
Comp. ainsi l’arrêt du 7 novembre 1995 de la première chambre civile de la Cour de Cassation, Ville
de Grenoble c. consorts Vicedomini-Duverts: aux yeux du droit français, « le droit à l’accueil des
Gens du Voyage dans les communes de plus de 5000 habitants est l’adaptation à cette population
particulière du droit au logement, consacré principe général du droit par la constitution et mis en
œuvre par une loi particulière d’ordre public », à savoir la loi du 31 mai 1990.
344
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
matière est mis en avant par l’ensemble des différentes instances du Conseil de
l’Europe1683. Le Comité des Ministres, notamment, insiste sur la nécessité
d’intégrer les facteurs de l’évolution démographique et de la fréquence des
passages pour évaluer ces besoins. L’accueil des Tziganes nomades étrangers
doit également être pris en compte par le biais de la création de plus grandes
places d’arrêt1684.
1240. L’existence d’un nombre suffisant de lieux de halte est un prérequis
nécessaire pour que la marginalisation sociale, économique et culturelle des
Tziganes puisse être progressivement réduite. Rappelons qu’en sus de l’impact
que cela implique sur les conditions de logement, devoir se contenter de sta-
tionnements illégaux affecte tous les aspects de la vie des principaux intéres-
sés, de la capacité des enfants à aller à l’école à celle des adultes à pouvoir
exercer leurs droits politiques, en raison du risque permanent de devoir quitter
les lieux de façon précipitée1685.
1241. Selon le Comité des Ministres, l’aménagement de ces lieux de station-
nement devrait se faire en tenant compte des sites utilisés traditionnelle-
ment1686. En outre, le stationnement licite ne doit pas être restreint aux haltes
sur des sites gérés par les autorités : il est nécessaire d’offrir une pluralité
d’options en la matière1687. Dans ce contexte, on s’interrogera sur la conven-
tionnalité d’une mesure sanctionnant pénalement par une peine de six mois
d’emprisonnement, d’une amende de 3’750 Euros et par la confiscation des
véhicules motorisés, tout stationnement, même temporaire, s’effectuant sans
autorisation sur un terrain public ou privé, lorsque la collectivité locale met à
disposition une aire d’arrêt1688.
1242. Il est également important que les législations et les règles en matière
d'urbanisme permettent à ceux qui ont acquis leur propre terrain d’y station-
ner leur caravane1689. Relevons que ces terrains privés sont, en règle générale,
non constructibles du fait qu’ils sont les seuls dont le prix est abordable pour
les membres de cette minorité.
1243. Comme nous le montrerons ultérieurement, les autorités doivent faire
preuve d’une certaine tolérance à l’égard de l’utilisation de ce type de terrain
pour aménager une aire lorsque aucune alternative n’est à disposition1690. Par
1683
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, § 36 et 39 ; Deuxième rapport de l’ECRI sur
l’Irlande, doc. CRI(2002)3, § 71-72; Troisième rapport de l’ECRI sur la Suisse, doc. CRI(2004)5, §
47 ; Avis du Comité consultatif de la CPMN relatif à l’Irlande, ACFC/INF/OP/I(2004)003, § 48-57.
1684
Recommandation (2004) 14, §23-24.
1685
Dans ce sens, OSCE, p. 117.
1686
Recommandation (2004) 14, §22.
1687
Recommandation (2004) 14, §25.
1688
Art. 322-4-1 du Code pénal français, inséré par Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003, art. 53 1º Jour-
nal Officiel du 19 mars 2003.
1689
Recommandation (2004) 14, §27. MG-S-ROM (2000) 3.
1690
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 2.
345
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1691
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.
1692
Concernant l’art. 16 CSE et le nombre suffisant de places, voir la décision sur le bien-fondé du 8 dé-
cembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre européen des droits des Roms c. Grèce, §
25. Concernant l’art. 31 CSE dans ce contexte, voir la décision sur le bien-fondé du 7 décembre
2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen des droits des Roms c. Italie, § 34-37.
1693
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 20 et 25.
1694
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 99, CEDH 2001-I.
1695
Dans ce sens également, ROMAN, p. 274.
346
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1696
ACEDH Oneryildiz c. Turquie [GC], n° 48939/99, CEDH 2004-… : la Cour de Strasbourg a condamné
la Turquie en raison de la destruction d’un bidonville pour violation de l’art. 1 du Protocole n°1. Voir
également l’ACEDH Hasan Ilhan c. Turquie, n° 22494/93, 9 novembre 2004, dans lequel la destruc-
tion de la maison du requérant et de sa famille a constitué une violation combinée de l’art. 8 CEDH
et 1 du Protocole n°1. ROMAN, p. 275.
1697
Recommandation (2005) 4, §5. Comp. la description des conditions environnementales entourant
les campements tziganes dans plusieurs pays de l’UE effectuée par le RESEAU U.E. DES EXPERTS INDE-
PENDANTS EN MATIERE DE DROITS FONDAMENTAUX, pp. 49-50.
1698
Recommandation (2005) 4, §48.
347
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1699
Voir le MGC du 16 mars 2000, interpellation urgente IU 828 MEYLL. En 2003, le terrain dit « de la
Bécassière », dans la commune de Versoix, a été déclassé aux fins de construction d’une nouvelle
place de stationnement fixe. A cette date, il doit encore être aménagé pour pouvoir être investi. Voir
également infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D, 1.3.
1700
MG-S-ROM (2000) 3, § 13.
1701
Observation générale du CERD n° 27, § 30-33 ; MG-S-ROM (2000) 3, § 24-25 ; KOHTARI, p. 64.
1702
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 23.
348
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1703
MG-S-ROM (2000) 3, § 33. Comp. ainsi, en France, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nan-
cy, 3° chambre, du 4 décembre 2003, Commune de Verdun, N° 98NC02526. La Cour a confirmé le
raisonnement de juges de première instance en considérant que la création d’une aire de station-
nement ne répondant pas aux exigences qualitatives de la loi du 31 mai 1990 a pour effet que
l’obligation des autorités découlant de cette réglementation n’est pas respectée. La responsabilité de
la commune est donc engagée lorsque les conditions d'aménagement minimales, notamment sur le
plan sanitaire, ne sont pas remplies et la collectivité doit donc indemniser le requérant du préjudice
moral qui en découle.
1704
MG-S-ROM (2000) 3, § 14. Comp., en France, le référé du Tribunal grande instance de Montauban,
du 3 mai 2002, Mairie de Montauban c. M. Georges C. et autres. Le tribunal rappelle que ces aires
d’accueil ayant une vocation d’habitat, la mairie de Montauban n’a pas respecté les exigences sani-
taires et les conditions de sécurité auxquelles doivent répondre les aires d’accueil et de stationne-
ment des Tziganes nomades en application de la loi du 31 mai 1990, et de la loi du 5 juillet 2000 re-
lative à l’accueil et à l’habitat des Gens du Voyage. En outre, le tribunal a rappelé que l’obligation de
fournir aux Tziganes nomades une aire d’accueil présentant des capacités suffisantes découle de
l’art. 8 CEDH, en ce qu’il s’agit ici de respecter le mode de vie nomade, le droit au respect de leur
vie privée, de leur vie familiale et de leur domicile.
1705
Observation générale n° 15 du CESCR, § 16 let. e. Henri SMETS, Reconnaissance et mise en oeuvre
du droit à l’eau, RTDH 2002, pp. 837-852, p. 850.
349
La situation juridique des Tziganes en Suisse
sieur Michaël Bittel qui souhaitait pouvoir raccorder son terrain aux collecteur
d’eaux usées1706.
1261. L’instance cantonale a souligné qu’il résultait de l’arrêt du Tribunal
fédéral de 20031707 que Monsieur Bittel quitterait son terrain de stationnement
illégal dès lors que l’aire de stationnement officielle en cours de construction
au lieu-dit « La Bécassière » serait terminée. Il a également relevé que
l’installation prévue était de nature temporaire et aisément démontable. Le
Tribunal administratif en a conclu que non seulement il existait un impératif
d’intérêt public et privé important – la garantie de conditions de vie décentes -,
mais également que le principe de proportionnalité était respecté in casu. Ceci
justifiait « pleinement » une dérogation, alors même que la construction en
cause n’était pas conforme à la zone agricole, Monsieur Bittel n’étant pas agri-
culteur1708.
1262. Du fait de la vulnérabilité et de la marginalité de cette communauté,
les Etats ont ainsi l’obligation immédiate d’adopter des programmes
d’approvision-nement en eau à leur égard1709. En outre, les éventuelles barriè-
res physiques ou les clôtures entourant les aires de stationnement ne devraient
pas porter atteinte à la dignité des personnes ni à leur liberté de mouvement
par un phénomène de ghettoïsation. L’accès aux infrastructures scolaires et de
santé doit être par ailleurs aisé et rapide1710.
1263. Ainsi, le Comité européen des droits sociaux a constaté qu’en Grèce,
les conditions environnementales et de sûreté entourant des campements tem-
poraires, destinés à disparaître, ainsi que leurs commodités n’étaient pas satis-
faisantes. Il a conclu à une violation de l’article 16 CSE en raison de l’inaction
des autorités locales pour sélectionner des sites appropriés, mais également du
fait de leur réticence à procéder aux nécessaires travaux d'infrastructure, ce qui
a pour conséquence que les Tziganes disposent d'un nombre insuffisant de si-
tes de campement appropriés1711.
1264. En outre, dans sa décision sur le bien-fondé relative à une réclamation
collective déposée contre l’Italie, le Comité a conclu à une violation combinée
des articles 31 et E (interdiction de la discrimination) CSE en constatant que
l’Etat italien ne mettait pas suffisamment de places présentant les infrastructu-
res adéquates à disposition des Tziganes vivant en caravane sur son territoire.
1706
Arrêt du TA/GE, cause ATA/448/2006 du 31 août 2006, Commune de Céligny c. Monsieur Michael
Bittel, p. 10.
1707
ATF 129 II 321 Bittel.
1708
Arrêt du TA/GE, cause ATA/448/2006 du 31 août 2006, Commune de Céligny c. Monsieur Michael
Bittel, pp. 10-11.
1709
Observation générale n° 15 du CESCR, § 37 let. h.
1710
Recommandation (2005) 4, § 33-34.
1711
Décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 relative à la Réclamation n°15/2003, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Grèce, § 46-47. Voir également la Résolution ResChS(2005)11, adop-
tée par le Comité des Ministres le 8 juin 2005.
350
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1265. Par définition, les haltes dites spontanées sont réalisées hors d’aires de
stationnement prévues à cet effet, qu’elles soient gérées par les autorités ou des
particuliers, tziganes ou non1713. L’objectif de ce type d’arrêt est de permettre le
stationnement temporaire sur l’ensemble du territoire helvétique sans qu’il
soit nécessaire d’aménager une aire1714. Il en résulte que dans cette hypothèse,
le raccordement aux services d’eau et électricité ne peut pas être prévu à
l’avance. Le caractère temporaire de l’utilisation du lieu rend toutefois inutile
la mise sur pied d’installations durables.
1266. Traditionnellement, les haltes spontanées s’effectuent sur le terrain de
propriétaires fonciers avec l’accord de ces derniers, généralement dans le cadre
d’une relation de confiance établie au cours des années. Le propriétaire met
alors à disposition ses réseaux d’eau et d’électricité et l’évacuation des déchets
se fait avec sa collaboration. Ces arrêts peuvent aussi être réalisés sur une par-
celle appartenant à l’Etat1715. Dans ces circonstances, l’accès à l’eau et
l’électricité, ainsi que l’évacuation des déchets, se fait suite à des négociations
entre les parties en cause.
1712
Décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre euro-
péen des droits des Roms c. Italie, § 34-37.
1713
Nous examinerons ultérieurement sur quels droits fondamentaux ce type de halte se fonde (voir in-
fra Section D) ainsi que la nature du cadre légal qui s’impose pour le légitimer (infra Titre IV, Chapi-
tre I, Section B).
1714
Au sujet de l’importance de la possibilité de stationner temporairement sur l’ensemble du territoire
suisse, voir infra Section D, 2.2.
1715
Voir infra Titre IV, Chapitre I, Section B, 4., nos développements relatifs à l’utilisation accrue du
domaine public et du patrimoine administratif dans ce contexte.
1716
En Suisse, l’Association des Gens de la Route juge acceptable un tarif variant entre 4 et 7 francs par
jour, par place, le plafond de 12 francs étant acceptable lorsque les infrastructures sont particuliè-
rement bonnes; Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9, note 12.
351
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1717
Comp. dans ce sens la Recommandation du CdM n° R (2004) 14, §30. Voir également l’Observation
générale du CESCR n° 7, § 15 in fine. Comp. également la conclusion de violation de l’art. 31§2 CSE
à laquelle est parvenu le Comité européen des droits sociaux à l’encontre de l’Italie du fait que le
gouvernement italien n’a pas pu apporter la preuve que les évictions ordonnées à l’encontre de
campements tziganes avaient respecté les exigences de garanties de procédure en la matière ; Dé-
cision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005 relative à la Réclamation n° 27/2004, Centre européen
des droits des Roms c. Italie, § 42.
1718
Libération des 16 et 17 janvier 2006 ; Le Nouvel Observateur des 18 et 19 janvier 2006. Le 15 mai
2006, le maire en question a été condamné à une peine de six mois de prison avec sursis et 5000
euros d’amende; Libération du 16 mai 2006.
352
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1274. En l’état actuel, dans l’ensemble des Etats du continent européen, les
Tziganes nomades sont confrontés à d’extrêmes difficultés pour accéder à des
lieux de stationnement légaux, en raison de l’hostilité générale à leur égard.
Cette opposition entraîne le blocage de tout développement et de toute mise
en oeuvre efficace d’une politique concrète en matière de création de places de
stationnement.
1719
ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01, § 94, 27 mai 2004. En effet, les occupants de lieux
d’accueil gérés par les autorités ne bénéficient que d’une protection limitée en matière d’expulsion.
A teneur de la loi, leur expulsion est soumise aux règles d’éviction sommaire, les autorités n’ayant
aucune obligation de justifier leur décision par des motifs pouvant être contrôlés par un tribunal im-
partial et indépendant.
1720
Selon le Groupe de spécialistes sur les Roms et Voyageurs, seul un quart des Etats ayant répondu à
l’enquête internationale organisée par ce groupe exige qu’une autorité judiciaire soit saisie. Dans les
autres Etats, les forces de police interviennent de leur propre initiative. MG-S-ROM (2002), p. 16.
Voir également l’Observation générale n° 7, § 3: „The term "forced evictions" as used throughout
this general comment is defined as the permanent or temporary removal against their will of indivi-
duals, families and/or communities from the homes and/or land which they occupy, without the
provision of, and access to, appropriate forms of legal or other protection [c’est nous qui souli-
gnons]“.
1721
Deuxième rapport de l’ECRI sur l’Irlande, CRI(2002)3, § 72; Rapport du Commissaire européen aux
droits de l’homme, § 40.
1722
Arrêt de la première chambre civile de la Cour d’appel de Toulouse, n° 2001/01246, du 26 juillet
2001, Mme A., Consorts B. c. Commune C.
353
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1275. Les importantes lacunes dans ce domaine ont pour conséquence que
les principaux concernés se retrouvent quasi systématiquement dans une si-
tuation contraire au droit en vigueur quand ils s’arrêtent et s’exposent à des
sanctions administratives, voire pénales. En étant généralement contraints à
stationner de manière illicite, les Tziganes nomades sont donc particulièrement
exposés à des évictions a priori légales, où ils ne peuvent faire valoir la protec-
tion de leurs droits fondamentaux1723.
1276. Or, la pression que cette situation exerce sur les principaux concernés
est suffisamment forte pour pousser nombre d’entre eux à renoncer à leur
mode de vie et à se sédentariser1724. Le devoir des autorités d’offrir une alter-
native de relogement qui soit adéquate et conforme au mode de vie des per-
sonnes en cause prend ainsi une importance considérable. Cette exigence de
relogement des Tziganes nomades sur des lieux de stationnement, conformes
aux standards minimaux et ne devant pas entraîner de ségrégation supplé-
mentaire, est soulignée par tous les organismes internationaux ayant analysé
cet aspect de la problématique1725.
1277. Le Groupe de spécialistes sur les Roms, Tziganes et Voyageurs (MG-S-
ROM) propose que sous réserve d’une menace grave et imminente pour
l’ordre public, toute expulsion d’un Tzigane nomade soit subordonnée à
l’autorisation préalable d’un juge, après constatation de la réunion de trois
conditions cumulatives : l’illégalité du stationnement, l’existence de places suf-
fisantes dans les aires d’accueil existant dans la zone concernée, ainsi
que l’équipement suffisant et le bon entretien de ces aires1726.
1278. La solution proposée par le MG-S-ROM, que nous venons d’exposer,
implique des autorités qu’elles tolèrent la perpétuation de situations contraires
au droit et qu’elles protègent des particuliers qui sont conscients de l’illégalité
de leurs actes. Nous avons constaté ci-avant que si la Cour européenne des
droits de l’homme accepte l’existence d’une ingérence dans les droits de re-
quérants occupant illicitement un logement, elle se refuse, en règle générale, à
avaliser cette infraction et à constater une violation lorsque l’Etat ordonne sa
1723
JACKSON-PREECE (art. 16), p. 473.
1724
Comp. notamment la situation de la famille Connors, ACEDH Connors c. Royaume-Uni, n° 66746/01,
27 mai 2004, § 35.
1725
Voir notamment le deuxième rapport de l’ECRI sur l’Irlande, CRI(2002)3 § 71-72; Rapport du Com-
missaire européen aux droits de l’homme, § 40 ; Recommandation du CdM 2004 (14), § 30 ; Re-
commandation du CdM 2005 (4), §26 ; Décision sur le bien-fondé, du 8 décembre 2004, du Comité
européen des droits sociaux relative à la Réclamation collective n°15/2003 Centre européen des
droits des Roms c. Grèce, §50-51 ; Observation générale n° 27 du CERD, §30-31; OSCE, pp. 110-
111.
1726
MS-G-ROM (2002) 10 rev., p. 32. Voir également la recommandation de l’ONG Gypsy and Traveller
Law Reform Coalition consistant à prévoir plus de sites et à instaurer un moratoire sur les évictions
jusqu’à ce que les besoins en matière de sites de transit aient été comblés. GYPSY AND TRAVELLER LAW
REFORM COALITION, Social Exclusion and Gypsies and Travellers –with a focus on forced move-
ment/experiences of Gypsies and Travellers living on « unauthorised encampments », Brighton
2005, pp. 7-9.
354
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1727
ACEDH Gillow c. Royaume-Uni, du 24 novembre 1986, série A n° 109, p. 19, §46.
1728
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV §53-54.
1729
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 78, CEDH 2001-I.
1730
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, notamment § 104; ACEDH
Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, §62-63, Rec. 1996-IV. Nous avons déjà ex-
primé nos doutes quant à la légitimité de rattacher la protection de l’environnement à la
« protection des droits d’autrui » dans le contexte de la Convention, étant donné la position néga-
tive de la Cour de Strasbourg quant à la reconnaissance d’un droit à un environnement sain déduc-
tible de l’art. 8 CEDH ; voir supra Section 1.2.2.
1731
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 115, CEDH 2001-I; ACEDH Buckley c.
Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, § 84, Rec. 1996-IV.
1732
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 103, CEDH 2001-I : « Il est une autre
considération pertinente dont les autorités nationales en premier lieu doivent tenir compte : si au-
cun hébergement de rechange n’est disponible, l’ingérence est plus grave que dans le cas contraire.
De même, plus l’hébergement de rechange convient, moins est grave l’ingérence découlant de
l’obligation imposée à l’intéressé de quitter l’endroit où il est installé. » Voir également KRENC, p.
107. Comp. ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, § 81, Rec. 1996-IV.
355
La situation juridique des Tziganes en Suisse
situation que la majorité des juges a réalisé dans ces deux affaires se prête en
l’occurrence à la critique, ainsi que l’ont souligné une minorité des juges et cer-
tains auteurs1733.
1283. Dans l’arrêt Chapman, par exemple, la Cour a, en effet, considéré que
bien que le manque de sites officiels fût attesté, il était possible d’exiger de la
requérante d’utiliser des sites non officiels ou de se rendre hors du comté sur
un site officiel ayant des places à disposition1734. D’une manière très discutable,
elle a conclu à l’existence d’alternatives acceptables parce que la requérante
n’avait pas produit de renseignements quant à sa situation financière, quant
aux critères géographiques qui lui paraissaient essentiels, ni sur les recherches
qu’elle aurait menées pour trouver un autre lieu de stationnement1735.
1284. Or, l’adéquation d’une solution de relogement doit s’analyser non
seulement par rapport à la situation concrète de l’intéressé, et notamment sa
capacité financière, mais également en considérant des facteurs objectifs. Si
l’on se réfère aux critères du Comité des droits économiques, sociaux et cultu-
rels, pour qu’une réinstallation soit valable et exigible envers les personnes
concernées, elle doit notamment avoir lieu à une distance raisonnable du lieu
précédent et posséder une infrastructure suffisante et adéquate1736. Ce sont là
des critères objectifs qui doivent s’analyser sans la collaboration des intéressés.
1285. Dans ce contexte, on rapportera l’opinion dissidente individuelle du
juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman. Constatant que les autorités britan-
niques ont failli à leur obligation consacrée par le droit interne de créer des
capacités d’accueil suffisantes, le juge Bonello considère qu’il n’est pas légitime
de sanctionner des particuliers se retrouvant obligés de violer le droit en vi-
gueur pour pouvoir exercer leurs droits fondamentaux en raison des défaillan-
ces des autorités publiques1737.
1286. Estimant que ces manquements ont provoqué ceux commis par Ma-
dame Chapman, le juge Bonello conclut que cette dernière se trouvait dans une
situation comparable à un état de nécessité. A ses yeux, il n’est pas défendable
de considérer que les autorités ont pris des mesures « prévues par la loi »
1733
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, §82, 102, 105, CEDH 2001-I. Cette évaluation
de la réalité des faits est cependant critiquable, ainsi que le soulignent certains juges minoritaires
dans leur opinion dissidente commune : voir l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridrue-
jo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c.
Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I, §4-6. Voir également ROSENBERG (2001), pp. 1028-
1029. Voir déjà les critiques de la minorité des juges dans l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt
du 26 septembre 1996, Rec. 1996-IV, et notamment l’opinion minoritaire du juge Pettiti constatant
le manque de places officielles et l’impossibilité pour la requérante de s’installer ailleurs.
1734
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 111, CEDH 2001-I.
1735
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 112-113, CEDH 2001-I.
1736
Observation générale n° 7 du CESCR, §16; Observations finales du CESCR, du 19 décembre 1994,
relatives à la République dominicaine, E/C.12/1994/15, §11. KOHTARI, § 16.
1737
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 4 et 6.
356
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1738
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I, § 5 et 7. A cet égard, la jurisprudence Bittel du Tribunal fédéral consa-
cre, selon nous, en droit suisse une obligation analogue en intimant aux autorités compétentes de
prendre en considération les besoins de la communauté tzigane nomade lorsqu’elles aménagent le
territoire ; ATF 129 I 321, 327-328 B.
1739
JACKSON-PREECE (art. 16), p. 473 ; Observation générale n° 4 du CESCR, § 3 ; OSCE, p. 117.
1740
Opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Straznicka, Lorenzen, Fis-
chbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, CEDH 2001-I,
§5 in fine et 9.
1741
Dans ce sens, BENOIT-ROHMER (2001), p. 1011, ainsi que WALDMANN (2004), pp. 960-961.
1742
Arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation, du 7 novembre 1995, Ville de Grenoble
c. consorts Vicedomini-Duvert.
357
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1743
Arrêt de la première chambre, section C, de la Cour d’appel de Bordeaux, du 14 novembre 2002, Ri-
vière, Perdon et al. c. Syndincat mixte développement agglomération Angoulême.
1744
Arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, 3° chambre, du 4 décembre 2003, Commune de
Verdun, N° 98NC02526.
1745
ATF 129 II 321, 330-331 Bittel.
1746
Voir l’état de fait de l’arrêt du TA/GE, ATA/448/2006, du 31 août 2006, cause Commune de Céligny
c. Monsieur Michaël Bittel, p. 3.
358
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1747
Recommandation (2004) 14, §20 et § 28. Voir également MGS-ROM (2002) 10 rev.
1748
A savoir : le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect du domicile, le droit à
un logement adéquat.
359
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ment adéquat des Tziganes nomades. Elles exigent que des garanties procédu-
rales minimales soient respectées lors d’expulsions, mais également que les au-
torités fassent preuve de retenue en la matière lorsqu’une éviction en soi licite
peut avoir des conséquences extrêmement négatives pour les personnes
concernées, en raison d’absence d’alternatives pour les reloger de manière
convenable.
1301. Au vu des carences généralisées en matière de stationnement des Tzi-
ganes nomades dans les Etats du continent européen, Suisse comprise, la
réalisation de ces standards semble difficilement réalisable sans la mise sur
pied d’une politique appropriée en la matière, combinée à des campagnes
d’information et de sensibilisation coordonnées par les autorités nationales
compétentes.
1302. Dans ce contexte, notre analyse a souligné le rôle fondamental que
jouent le droit des minorités et le principe général d’égalité pour la protection
des droits des Tziganes, en particulier nomades. Tant ce système que ce prin-
cipe offrent une grille de lecture indispensable pour déterminer, d’une part, les
besoins et les lacunes en matière de ressources à disposition et, d’autre part, les
effets que peuvent avoir des mesures législatives, administratives et judiciaires
sur le groupe lui-même, mais aussi sur ses membres, en raison de leur appar-
tenance à cette communauté.
1303. En sus de ce qu’exige la mise en œuvre pleine et efficace du droit au
logement et du droit au respect du domicile eux-mêmes, il sied ainsi d’ajouter
les obligations que nous avons dégagées de la facette collective du droit des
minorités et du principe général d’égalité1749. De ce fait, la pression juridique et
politique pour que les autorités agissent et développent des solutions s’accroît.
1304. A titre de rappel, en effet, la création de places de stationnement fait
partie des mesures spéciales permettant de sauvegarder l’identité ethno-
culturelle de la minorité tzigane. Le droit des minorité exige également la par-
ticipation et la collaboration systématique des Tziganes aux mesures suscepti-
bles de les concerner1750.
1305. Rappelons par ailleurs qu’une mise en perspective globale des effets
des mesures s’impose, en prenant en compte la situation de la minorité sur
l’ensemble du territoire suisse, ainsi que les besoins socio-économiques de ses
membres, et en cessant de perpétuer leur ségrégation géographique et sociale
en les contraignant à stationner à l’extérieur des réseaux sociaux et économi-
ques1751.
1749
Supra Chapitre I, Section C, 2.1.2. et Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.3.2.
1750
Supra Chapitre I, Section C, 2.1.3.
1751
Supra Chapitre I, Section C 2.2.3. Au sujet des rapports entre la liberté économique des Tziganes
nomades et la possibilité de voyager et de stationner sur l’ensemble du territoire, voir infra Section
D, 3.2.
360
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1306. Ceci est bien entendu important lorsque des autorités planifient la
création de places. Cela s’avère d’autant plus nécessaire lorsque des évictions
de lieux de stationnement illicites sont envisagées. En effet, l’estimation de
l’existence d’alternatives pour reloger les personnes concernées ne peut se faire
correctement si la réalité factuelle et juridique de la situation de la minorité
n’est pas correctement évaluée.
1307. En outre, la proportionnalité d’une telle mesure pour le particulier doit
également être jugée à l’aune de ses effets sur la situation générale du groupe
puisque, comme nous l’avons démontré, le maintien des membres d’une mi-
norité dans une situation socio-économique vulnérable a nécessairement des
conséquences négatives sur la préservation de la communauté elle-même1752.
En effet, lorsque la seule alternative licite et acceptable est la sédentarisation, il
paraît difficile de considérer, d’une part, que l’ingérence est proportionnée
pour l’individu et, d’autre part, que la culture traditionnelle tzigane est respec-
tée et protégée par l’Etat.
1308. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, si la Cour euro-
péenne des droits de l’homme avait pleinement intégré le facteur minoritaire
dans son analyse et s’était montrée sensible au contexte indirectement discri-
minatoire généré par une législation ne prenant en compte que les besoins des
sédentaires, il lui aurait été alors difficile de considérer que les situations des
requérantes résultaient de leur simple « préférence individuelle »1753 et de
conclure à l’existence d’alternatives de relogement acceptables et raisonnable-
ment exigibles1754.
1309. Le déplacement des caravanes d’un lieu à un autre et leur arrêt – au-
trement dit, le voyage lui-même – est protégé par la liberté de mouvement (1.)
ainsi que par la liberté d’établissement (2.) A ceci, nous adjoignons la liberté
économique (3.). Dans une quatrième section, nous traiterons séparément du
régime encadrant l’entrée, la circulation, le séjour, l’exercice d’une activité éco-
nomique et la sortie des Tziganes nomades étrangers en transit en Suisse (4.).
1752
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.3.
1753
ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre 1996, p. 1294, § 81, Rec. 1996-IV; ACEDH
Chapman c. Royaume-Uni [GC], n° 27238/95, § 112-113, CEDH 2001-I.
1754
Opinion dissidente du juge Pettiti relative à l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 26 septembre
1996, Rec. 1996-IV ; opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens,
Straznicka, Lorenzen, Fischbach, Casadevall relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC], n°
27238/95, CEDH 2001-I, § 6. ROSENBERG (2001), pp. 1028-1030 ; SUDRE (2001), pp. 913-914.
361
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1. La liberté de mouvement
1.1.1. Sources
1755
BAUMANN, p. 508.
1756
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 344-345 ; BAUMANN, p. 508 ; HÄFELIN/HALLER, p. 108 ; MÜLLER
(1999), p. 32.
1757
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 369; BAUMANN, pp. 505-506. ATF 125 I 257, 260 J. H.; ATF 116 Ia
149, 151 X.. Voir cependant MÜLLER (1999), pp. 32-42 qui ne considère cette liberté que sous l’angle
de l’interdiction de l’emprisonnement injustifié, ainsi que SCHWEIZER (2001), p. 700.
1758
Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 1, 150-151. BAU-
MANN, p. 507.
1759
Le système régional européen garantit également la liberté de circulation, aux art. 2 et 3 du Proto-
cole additionnel n° 4, que la Suisse n’a pas ratifié.
1760
Infra Section 3.
362
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
chacun doit pouvoir jouir du droit de circuler librement à l’intérieur d’un Etat
sans subir de restriction fondée sur la discrimination raciale1761.
1316. Tant le Comité des droits de l’homme que le Tribunal fédéral souli-
gnent que la possibilité de circuler est une liberté individuelle fondamentale
pour le développement personnel et entretient des liens étroits avec d’autres
droits garantis1766. Selon le Comité des droits de l’homme, cette liberté consa-
cre la faculté de se déplacer sans contrainte sur l’ensemble du territoire des en-
tités fédérées d’un Etat fédéral. Elle inclut le droit de se mouvoir, mais égale-
ment de demeurer en un endroit librement choisi : aucun but ou motif particu-
lier ne doit être avancé pour exercer ce droit1767.
1761
Voir également l’art. 2 du Protocole additionnel n° 4 à la CEDH, non ratifié par la Suisse.
1762
ATF 123 I 221, 226 Demokratische Jurist/Innen der Schweiz et renvois. BAUMANN, pp. 512-513 ; MA-
HON (art. 10), N. 6.
1763
BAUMANN, p. 530 ; SCHWEIZER (2001), p. 700, note 19 et références.
1764
Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats mem-
bres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999 (ALCP ; RS 0.142.112.681 ;
RO 2002 1529).
1765
Infra Section 4.
1766
Observation générale n° 27 du CDH, § 1. ATF 124 I 170, 171 B. ; ATF 106 Ia 277, 280 Groupe Ac-
tion Prison.
1767
Observation générale n° 27 du CDH, § 5.
363
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1768
ATF 130 I 369, 373 S.; arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 5.2.
Des consignes d’accès ou des mesures en vue de créer une zone interdite portent atteinte à cette
liberté : ATF 82 I 235, 238. L’existence d’éventuelles mesures de remplacement est une question
s’examinant au niveau du principe de la proportionnalité, ATF 128 I 327, 345 Botta et consorts.
BAUMANN, pp. 508-509; SPOENDLIN, p. 37.
1769
Arrêt destiné à publication du 25 janvier 2006, 1P.579/2005, consid. 5.2 : l’interdiction faite à un
groupe de personnes de se réunir dans l’enceinte de la gare de Berne et ses environs, afin de
consommer de l’alcool, constitue une ingérence dans la liberté de mouvement.
1770
BAUMANN, pp. 510-511
1771
ZBl (99) 1998 379, 385; ZBl (96) 1995 508, 510, 515. Voir également BAUMANN, p. 527.
1772
Observation générale n° 27 du CDH, § 17.
364
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1773
Observation générale n° 27 du CDH, § 7, 11, 18.
1774
STEINBERGER/KELLER, p. 4.
1775
Recommandation (2004) 14, Préambule.
1776
MG-S-ROM (2002) 10 rev.
1777
MG-S-ROM (2002) 10 rev., p. 4.
1778
Dans ce sens, WALDMANN (2003), p. 692, qui y voit également une violation de l’interdiction de la
discrimination.
365
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1326. Felix BAUMANN considère que l’absence de lieux de halte constitue une
atteinte à la liberté d’établissement des Tziganes nomades suisses et non à leur
liberté de circulation. Selon cet auteur, l’absence de places n’entrave pas leur
faculté d’accéder à certaines communes mais rend uniquement matériellement
impossible leur séjour prolongé sur leur territoire1779.
1327. Contrairement à BAUMANN, sans sous-estimer l’importance de la liber-
té d’établissement dans ce contexte1780, nous considérons que la liberté de cir-
culation est tout de même restreinte en l’absence de sites à disposition. En ef-
fet, savoir qu’en telle ou telle commune, il n’existe aucune possibilité de sta-
tionnement licite peut avoir pour conséquence que les Tziganes nomades vont
éviter la région en cause pour ne pas devoir se retrouver en conflit avec les au-
torités compétentes s’ils doivent s’arrêter, et ce même pour une nuit.
1328. L’absence de complaisance de la majorité des autorités locales face à
des arrêts illicites, voire la franche hostilité de certaines d’entre elles, sont des
facteurs suffisamment connus au sein de la communauté nomade pour que
celles et ceux qui ne souhaitent pas s’exposer au risque de telles tensions évi-
tent les régions problématiques. A notre sens, dans ce contexte, l’ingérence
dans la liberté de circulation est alors indéniable. En outre, cette situation illus-
tre également l’importance de solutions juridiques légalisant le stationnement
temporaire, hors des places spécifiquement créées à cet effet1781. Nous aurons
l’occasion de développer ultérieurement des propositions en la matière1782.
1329. En sus de cette restriction causée par l’absence de places, d’autres hy-
pothèses illustrent les limitations apportées à la liberté de circulation des Tzi-
ganes nomades en Suisse. Le Tribunal fédéral a reconnu que le fait d’empêcher
un particulier d’accéder durablement à une ville constituait une atteinte à sa
liberté de mouvement1783. Dès lors, nous sommes en présence d’une ingérence
lorsque des autorités cantonales redirigent des colonnes de caravanes tziganes,
afin de les empêcher de parvenir à un endroit déterminé, en les sommant de se
rendre dans autre canton1784.
1330. De même, lorsque des digues sont construites aux sorties des autorou-
tes, ou des poutrelles sont placées à l’entrée des places, afin de les rendre inac-
1779
BAUMANN, p. 530.
1780
Infra Section 2.
1781
Comp. la situation engendrée par la législation néerlandaise en vigueur entre 1968 et 1999 qui pré-
voyait cinquante sites officiels imposés, alors que les besoins faisaient état de 3000 places, et inter-
disait le stationnement des caravanes en tout autre endroit. Il était également interdit de quitter un
site si une place ne s’était pas libérée ailleurs. La loi fut abrogée en 1999 et les municipalités furent
désignées responsables de la création de places de stationnement, opération rendue néanmoins dif-
ficile en raison de l’opposition des populations locales; RESEAU D’EXPERTS UE SUR LES DROITS FONDAMEN-
TAUX, p. 52.
1782
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.
1783
ATF 130 I 369, 373 S.
1784
ZÜRCHER-BERTHER, pp. 27-28.
366
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
2. La liberté d’établissement
1785
BO/FR du 15 septembre 2004, intervention du député François ROUBATY: « Ces dernières années, les
gens du voyage s'arrêtent où ils veulent. Sur la commune de Givisiez, une digue a été construite;
plus de possibilités. Sur les places d'arrêt de Fillistorf, des poutrelles ont été placées à l'entrée des
places, inaccessibles pour les caravanes. A Vaulruz, une digue a aussi été construite à la sortie de
l'autoroute pour empêcher l'accès aux caravanes. »
1786
Comp. l’exigence légale imposée en France aux Tziganes nomades de pouvoir produire, à tout mo-
ment, un « permis de voyage » pour avoir l’autorisation de circuler sur le territoire national ; Rap-
port de la Direction générale Emploi et Affaires sociales de la Commission européenne, p. 43.
1787
Recommandation (2004) 4, §23, let. iii.
367
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1336. Aux termes de l’article 24 al. 1 Cst., la liberté d’établissement est garan-
tie à tous les citoyens suisses, à l’exclusion des étrangers. Selon la lettre de cette
disposition, il s’agit non pas d’un droit de l’homme mais d’un droit du ci-
toyen1790.
1337. Cette approche est un peu différente de celle de l’article 12 § 1 Pacte II,
in fine, puisque celui-ci pose le principe du droit à un libre établissement pour
tout individu, ressortissant ou non de l’Etat en cause, et qui se trouve légale-
ment sur le territoire d’un Etat. En conséquence, la Suisse a émis une réserve
lors de la ratification du Pacte, en raison des exigences du régime ordinaire du
droit des étrangers, qui prévoit que les autorisations de séjour et
d’établissement délivrées aux étrangers ne sont valables que pour un can-
ton1791.
1338. Toutefois, l’entrée en vigueur de l’ALCP a partiellement modifié ce ré-
gime restrictif en faveur des ressortissants communautaires. La question du li-
bre choix en matière de lieu de séjour étant également pertinente dans le
contexte du transit en Suisse des Tziganes nomades étrangers, nous discute-
rons ultérieurement des effets de l’ALCP sur la situation juridique des Tziga-
nes nomades d’origine communautaire dans ce contexte particulier1792.
1788
MAHON (art. 24), p. 205 ; ZUFFEREY (2001), p. 755.
1789
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), NN. 752-753 ; MAHON (art. 24), pp. 206-207 ; MÜLLER (1999), pp.
151-152 ; ZUFFEREY (2001), p. 759. Nous reviendrons ci-après sur les liens entre liberté
d’établissement et liberté économique des Tziganes, infra Section 3.
1790
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 769.
1791
RO 1993 747.
1792
Infra Section 4.
368
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
fédéral, cette liberté est conçue comme ayant aussi bien une portée intercanto-
nale qu’intracantonale1793.
1340. D’une manière générale, la notion d’«établissement» signifie effectuer
un arrêt, en un lieu déterminé, durant une certaine période de temps. Le terme
peut être compris au sens strict comme au sens large. Stricto sensu, il signifie
créer un « domicile », au sens de l’article 23 al. 1 CC, bien qu’il faille souligner
qu’un établissement de longue durée n’emporte pas nécessairement sa créa-
tion, car il est possible de posséder plusieurs lieux d’établissement en même
temps, au contraire du domicile1794. Lato sensu, le terme est synonyme de
« séjour », c’est-à-dire un arrêt qui est plus long qu’un simple passage sur le
territoire1795.
1341. On se référera au droit cantonal pour déterminer les situations ratta-
chables au « séjour » et celles qui sont qualifiables « d’établissement »1796. Ain-
si, la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés associe
l’établissement exclusivement au fait de créer un domicile, toute autre forme
de présence étant qualifiée de séjour1797.
1342. Tout obstacle juridique ou matériel ne permettant ni de s’établir à un
endroit, ni d’y rester une fois établi, ni d’y séjourner, ni de le quitter constitue
une ingérence dans cette liberté1798. Ainsi, la liberté d’établissement subit éga-
lement une restriction lorsque le prix du terrain ou les loyers d’habitation dans
une région deviennent si prohibitifs pour une fraction de la population qu’elle
ne peut envisager de s’y installer1799.
1343. Dans sa facette négative, ce droit interdit à l’autorité communale
d’expulser les citoyens suisses de son territoire. En outre, ceux-ci ne doivent se
voir opposer aucun obstacle à leur intention de quitter leur commune de do-
micile, ni à leur souhait de revenir ultérieurement1800. Le fait d’être à
l’assistance publique ne peut donc pas empêcher un citoyen suisse de s’établir
dans une commune. En conséquence, ni un canton ni la commune de domicile
ne peut refuser sur son territoire ni expulser un Confédéré devenu indésirable
du fait de son indigence1801.
1793
ATF 128 I 280, 282 B.; ATF 108 Ia 248, 249 Schwemmer. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 754 ;
BAUMANN, p. 529-530 ; MAHON (art. 24), p. 205 ; ZUFFEREY (2001), p. 756.
1794
RDAF 1995 253, 255.
1795
ATF 93 I 17, 23 Storck ; ATF 42 I 303. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 772 ; MAHON (art. 24), p.
206 ; ZUFFEREY (2001), pp. 754-755 ; ZÜRCHER-BERTHER, pp. 18-19.
1796
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 767 ; ZUFFEREY (2001), p. 755.
1797
Comp. ainsi les art. 4 et 5 de la loi sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16 décembre
1983, RS/GE F 2 05.
1798
ATF 113 V 22, 32 H.. MÜLLER (1999), pp. 155-156 et 164-165.
1799
MÜLLER (1999), p. 164.
1800
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 774.
1801
Voir la loi fédérale sur la compétence en matière d’assistance des personnes dans le besoin, du 24
juin 1977 (RS 851.1; RO 1978 221), qui détermine la collectivité compétente pour prendre en
369
La situation juridique des Tziganes en Suisse
charge les indigents qui ont changé de domicile ou sont sans domicile en Suisse. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 776; HÄFELIN/HALLER, p. 189 ; ZUFFEREY (2001), p. 763.
1802
HÄFELIN/HALLER, p. 169.
1803
Le Tribunal administratif réserve en effet les cas de domicile fictif au sens de l’art. 24 CC, ou
d’utilisation du domaine public, dès lors qu’il juge que dans ces deux hypothèses, aucun domicile
n’est établi ; Arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 11 avril 1984 Dame L., SJ
1985 5, 11.
1804
Arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 11 avril 1984 Dame L., SJ 1985 5, 10-11.
1805
Comp. ainsi les art. 5 et 6 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16
septembre 1983.
1806
En matière de liberté d’établissement, l’essentiel de la pratique du Tribunal fédéral porte sur la légi-
timité de l’obligation imposée aux fonctionnaires de résider dans la collectivité où ils travaillent, sur
la base du rapport de droit spécial existant entre ces derniers et l’Etat. Alors que cette obligation
porte une atteinte grave, voire supprime, la liberté d’établissement des intéressés, le Tribunal fédé-
ral considère, de façon surprenante et critiquée par la doctrine, que l’existence d’intérêts publics
particulièrement importants permet de pallier l’éventuelle absence de base légale expresse allant
dans ce sens. ATF 106 Ia 28 Nievergelt. Pour une critique de cette jurisprudence, voir
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 778-779, qui la qualifient «d’insoutenable au regard du principe
de la légalité ». Voir également HÄFELIN/HALLER, p. 169 ; ZUFFEREY (2001), p. 762.
370
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
blissement ou à son séjour sont, pour leur part, toutes considérées comme illé-
gitimes.
1349. Dès lors, on peut se demander si les cantons ont une quelconque
marge de manœuvre dans ce contexte. A tout le moins, il semble difficilement
contestable qu’une mesure visant à empêcher la venue d’un Confédéré ou à
l’expulser ne pourra faire appel à la clause générale de police et devra néces-
sairement se fonder sur une base légale formelle expresse, poursuivre un but
d’intérêt public précis qui ne saurait être de nature financière, et respecter
strictement le principe de proportionnalité, en prenant en considération
l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
1350. Enfin, relevons que traditionnellement, la liberté d’établissement est
conçue en droit suisse comme une liberté classique, imposant un devoir
d’abstention de la part de l’Etat, à l’exclusion de prestations positives. La doc-
trine énonce ainsi l’impossibilité d’en déduire le droit à l’obtention de soutiens
financiers à la mobilité estudiantine, ni de subventions en matière de construc-
tion, d’acquisition de logements ou encore d’infrastructures pour le trans-
port1807. Nous examinerons ci-après la compatibilité de cette vision avec
l’exercice de cette liberté par les Tziganes nomades.
1353. Comme nous l’avons d’ores et déjà établi ci-dessus, tout obstacle, ma-
tériel ou juridique, s’opposant à la possibilité de s’arrêter dans une commune
constitue une atteinte à la liberté d’établissement, et ce même pour une courte
durée.
1807
ZUFFEREY (2001), p. 753.
371
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1808
BAUMANN, p. 530 ; SAMBUC/SAMBUC BLOISE, p. 10 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 19. Voir également le Rapport
du Conseil fédéral, Partie I, p. 37.
1809
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 1.
1810
Comp., en France, la Décision du Conseil d’Etat, du 20 juin 1965, Ministre de l’Intérieur c. dame
Veuve Vicini: « Un préfet porte une atteinte illégale à la liberté individuelle en interdisant de façon
permanente et absolue le stationnement et le séjour des nomades sur tout ou partie du territoire
d’un département ; ainsi que par la suite et en l’absence de circonstances exceptionnelles, le préfet
des Alpes-Maritimes ne pouvait interdire totalement le stationnement et le séjour des nomades sur
le territoire de 79 communes du département ».
1811
Comp. la position de WALDMANN, qui estime également que toutes les communes n’ont pas
l’obligation de créer des places, mais qui par contre considère que les droits fondamentaux sont
respectés lorsqu’un plan d’affectation en prévoit au niveau cantonal; WALDMANN (2003), p. 702;
WALDMANN (2004), p. 958.
1812
Voir nos développements infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B.
372
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1813
Infra Section 3.
1814
Prise de position de l’association jénisch Transnationaler Verein für jenische Zusammenarbeit und
Kulturaustauch relative à la procédure de consultation portant sur la révision partielle de
l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, p. 3. (http://www.humanrights.ch [consulté le 12
avril 2006]).
373
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1815
Voir nos développements relatifs à la notion de domicile au sens de l’art. 23 CC dans le contexte du
mode de vie nomade, infra Titre Quatrième, Chapitre II, Section B.
1816
Comp. WALDMANN (2004), p. 960, qui estime que dans l’arrêt Chapman, la requérante avait aban-
donné son mode de vie nomade du fait qu’elle ne se déplaçait plus depuis plusieurs années, bien
qu’elle continue à vivre dans une caravane. Cette appréciation ne prend pas en considération que
l’exercice de l’identité culturelle traditionnelle tzigane ne se limite pas à un nomadise actif: la néces-
sité de places de stationnement durable, notamment pour les personnes âgées, démontrent que ne
plus voyager ne signifie pas chercher à adopter le mode de vie de la population majoritaire séden-
taire.
1817
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
1818
Mise à jour du rapport d’expertise 2006, p. 26. Voir également supra Titre Premier, Chapitre IV,
Section C, 1.
374
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
par l’absence de sites officiels à disposition pour l’arrêt durable sont particuliè-
rement graves par rapport aux exigences posées par le droit des minorités.
1368. Il existe ainsi une tension insoluble entre la possibilité d’exercer libre-
ment sa liberté d’établissement, d’une part, et les garanties offertes par le sys-
tème du droit des minorités, d’autre part, notamment en matière de droit au
maintien de son identité culturelle et d’interdiction de la discrimination. En ef-
fet, s’ils acceptent de vivre en appartement, rien n’empêche des Tziganes suis-
ses de s’établir dans une commune.
1369. Sans solution de rechange, s’ils veulent pouvoir librement s’établir, les
Tziganes doivent renoncer à leur mode d’habitat traditionnel, ainsi qu’aux ré-
seaux familiaux habituels. Pour celles et ceux qui s’y refusent, les conditions de
vie sur les sites surchargés peuvent être pénibles, voire poser des problèmes de
salubrité et de risque pour l’intégrité des personnes et des biens.
1370. Or, en matière de stationnement durable, toutes les communes n’ont
pas non plus l’obligation d’aménager des lieux de halte. Par contre, elles doi-
vent offrir la possibilité de stationner légalement, sur le long terme, en un en-
droit du territoire communal. Il est donc également important de développer
d’autres solutions que la création de places officielles. En effet, force est de
constater que, même avec une augmentation du nombre de places adéquates
pour atteindre les besoins minimaux, les Tziganes qui souhaitent pouvoir
continuer à vivre en suivant leurs traditions en matière d’habitat ne peuvent
pas exercer leur droit de choisir librement une commune pour pouvoir s’y éta-
blir durablement.
1371. Toutefois, il est plus difficile de développer des alternatives légalisant
le stationnement hors des aires prévues à cet effet que dans celui des arrêts
transitoires. En effet, la durée de ce type d’arrêt a pour conséquence que le ca-
dre juridique est sensiblement différent dans ce contexte par rapport à ce que
nous avons exposé ci-devant en matière de séjour temporaire.
1372. L’unique option permettant de pallier les manques en la matière, mais
également la seule permettant d’offrir des garanties logistiques équivalentes,
consiste à ce que des particuliers – Tziganes ou non - puissent acquérir et amé-
nager des terrains privés dans le but d’y stationner des caravanes. Au regard
de l’aménagement du territoire et du droit des constructions, cette alternative
ne peut se réaliser que dans certaines conditions, plus complexes que dans le
cadre du stationnement temporaire hors d’une aire destinée à cet effet, que
nous détaillerons ultérieurement1819.
1373. En conséquence, nous pouvons conclure que, dans l’hypothèse de
l’arrêt durable, la création d’aires de stationnement adéquates, en nombre et
qualité suffisantes pour répondre aux besoins des Tziganes nomades suisses,
1819
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section D.
375
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1820
A titre incident, cette pratique n’aurait pas permis à la commune en cause de contourner la LAS si la
requérante était par hypothèse tombée dans le besoin. En effet, même en refusant de considérer
que Mme X était domiciliée dans cette commune, celle-ci aurait tout de même été chargée de son
assistance, puis l’art. 12 al. 2 LAS impose à la commune de séjour de prendre en charge les person-
nes dans le besoin sans domicile.
1821
Rapport annuel de l’Ombusdman du Canton de Bâle-Campagne, 2000, point 9
(http://www.baselland.ch [consulté le 12 avril 2006]).
376
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
2.2.3. Appréciation
1822
Relevons que cette pratique communale violait également le droit cantonal supérieur. En effet, la
Gesetz über Niederlassung und Aufenthalt du canton de Bâle-Campagne, du 20 mars 1972 (RS/BL
111) impose aux citoyens suisses désireux de s’établir dans une commune de s’annoncer dans les
quatorze jours depuis leur arrivée au contrôle communal de l’habitant (art. 1 et 2), sous peine d’une
amende de 5000.- (art. 18). Parallèlement, l’autorité a l’obligation de délivrer l’autorisation
d’établissement à tout citoyen suisse et ne peut ni la refuser, ni la retirer (art. 5).
1823
Arrêt du 9 mai 1990 du Tribunal administratif du canton de Bâle-Campagne.
377
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1824
Comp. les Conclusions du CERD relatives à la communication Anna Koptova c. République slovaque,
n° 13/1998, du 8 août 2000, § 10.1 : un arrêté municipal qui n’accepte pas de citoyens d’origine
tzigane sur son territoire ou qui prévoit leur expulsion inconditionnelle en cas de stationnement illi-
cite est contraire à l’art. 5 let. d (i) CIERD (liberté d’établissement et de circulation sans discrimina-
tion).
1825
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, pp. 28 et 39, ainsi que le Rapport du Conseil fédé-
ral, Partie II, pp. 8-9.
1826
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section C.
378
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1827
ATF 130 I 369, 381 G.; ATF 126 I 112, 118, S.; ATF 121 I 22, 27-28 Anouk Hasler; ATF 111 Ia 246,
248 Parti socialiste vaudois. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 207.
1828
ATF 111 Ia 246, 248 Parti socialiste vaudois. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 207.
379
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1394. En outre, on sera plus strict à l’égard de mesures expulsant des cara-
vanes d’ores et déjà installées à un endroit que lors de l’accueil de nouveaux
arrivants. Il faudra également se montrer plus sévère dans le contexte de
l’établissement que lors d’un simple transit : les conséquences sont moins
lourdes pour les intéressés qui ne souhaitent que séjourner temporairement
dans une commune.
1395. Ainsi, il nous semble dans tous les cas disproportionné d’exiger de
Tziganes suisses vivant encore en caravane, mais ne voyageant plus, qu’ils se
rendent dans un autre canton pour élire domicile. On relèvera par ailleurs que
lorsque l’arrêt durable est effectué pour scolariser des enfants, même un chan-
gement de commune au sein du même canton peut entraîner de sérieuses dif-
ficultés pour les intéressés.
3. La liberté économique
3.1. Généralités
1396. Après avoir énoncé les sources et les fonctions de la liberté économi-
que (3.1.1.), nous tracerons les grandes lignes de sa portée (3.1.2.).
1829
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 897-912; HOFMANN D., pp. 9-15 et 79ss.
1830
Voir la jurisprudence concernant la question de la titularité de la liberté économique pour les étran-
gers dès 1982, ATF 108 Ia 148 Werner. Le Tribunal fédéral considère depuis 1997 que l’étranger ti-
tulaire d’un permis de séjour peut se prévaloir de cette liberté pour autant qu’il ait droit au renou-
vellement de son permis et que les mesures de limitation ne lui soient pas applicables ; ATF 125 I
182, 198 IATA. Pour une critique de cette jurisprudence restrictive, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER
(II), N. 933. Voir également HOFMANN D., pp. 53-55.
1831
HOFMANN D., pp. 80-82. Exprimant des réserves sur la thèse de cet auteur, le Tribunal fédéral est ré-
ticent à reconnaître que l’art. 94 al. 1 Cst. puisse fonder, en soi, un droit au justiciable. En l’état, il
laisse toutefois la question ouverte ; arrêt du 26 janvier 2006, cause 2P.83/2005, consid. 2.3. Comp.
l’arrêt du 6 septembre 2004, cause 2P.134/2003, consid. 5.2, où le Tribunal fédéral s’est montré
plus catégorique en considérant que sous réserve d’exceptions, l’art. 94 al. 1 Cst. ne confère aucun
droit au justiciable.
380
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1832
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 903-908 ; HOFMANN D., pp. 11-13.
1833
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 909-912 ; HOFMANN D., pp. 13-15.
1834
ZUFFEREY (2001), p. 754 et p. 759.
1835
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 918; BIAGGINI, p. 791 ; VALLENDER, pp. 355-356.
1836
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 428.
1837
ATF 125 I 276, 279 X.; ATF 125 I 322, 325 S. HOFMANN D., p. 504.
1838
L’art. 3 al. 1 aLMI disposait que les cantons et communes du lieu de destination peuvent restreindre
l’accès au marché des offreurs externes, lorsque trois conditions cumulatives sont respectées: elles
s’appliquent de la même façon aux offreurs locaux, elles sont indispensables à la préservation
d’intérêts publics prépondérants, et elles répondent au principe de proportionnalité ; Message du
Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 428.
1839
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 429-430.
381
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1840
Modifications adoptées le 16 décembre 2005, FF 2005 6981.
1841
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005 421, 437. HOFMANN D., p. 505-
506. La révision a introduit la reconnaissance des certificats de capacité selon la procédure de re-
connaissance de l’UE (art. 4 al. 3bis LMI), ainsi qu’un droit de recours de la Commission de la
concurrence (art. 9 al. 2bis LMI); Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LMI, FF 2005
421, 437-438 et HOFMANN D., p. 506-513.
1842
ATF 100 Ia 169, 175 Stump. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 939-943 ; BIAGGINI, p. 781 ; HÄFE-
LIN/HALLER, p. 187 ; HOFMANN D., p. 11.
1843
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 944-947 ; VALLENDER, p. 356. ATF 128 I 92, 94; ATF 128 I 19, 29.
1844
BIAGGINI, p. 782. ATF 124 I 107, 113; ATF 123 I 201, 209; ATF 123 I 12.
1845
ATF 119 Ia 445, 447 Circus Gasser Olympia AG; ATF 121 Ia 129, 135, Margot Knecht ; ATF 121 Ia
279, 282 Circus Gasser Olympia AG. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 951; BELLANGER (Domaine
public), pp. 51-53 ; BIAGGINI, p. 784-785 ; HOFMANN D., pp. 74-78.
1846
Nous suivons ici la démarche de David HOFMANN qui s’éloigne de la méthodologie du Tribunal fédéral
pour distinguer entre l’analyse des mesures dérogeant au principe de la liberté économique, d’une
part, et de celles restreignant la liberté économique, d’autre part ; HOFMANN D., pp. 100-101 et 126.
En raison de notre problématique, nous nous concentrons sur ces dernières et nous renvoyons donc
à cet auteur pour une analyse approfondie du régime des dérogations au principe de la liberté éco-
nomique ; HOFMANN D., pp. 126-145.
1847
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 976. Voir toutefois HOFMANN D., p. 99, qui estime que cette condi-
tion n’apporte rien de plus du fait que le principe de la liberté économique exige, en soi, que cette
égalité soit respectée.
382
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
cipe de neutralité concurrentielle de l’Etat, qui exige que les concurrents di-
rects soient traités de la même manière1848. A l’exclusion des motifs fiscaux1849,
tout intérêt public peut être invoqué pour légitimer une restriction à la liberté
économique1850 : peuvent être ainsi avancés des motifs touchant à la protection
de l’ordre public lato sensu1851, mais également le respect de l’aménagement du
territoire1852 ou encore de l’environnement1853.
1407. Enfin, la doctrine est divisée quant à la nature des obligations décou-
lant de cette liberté. Suivant l’approche restrictive du Tribunal fédéral1854, cer-
tains auteurs ne lui confèrent qu’une nature protectrice à l’encontre des ingé-
rences de l’Etat, à l’exclusion de toute prestation positive telle que l’octroi de
subventions ou de droit à l’obtention d’une autorisation de travail pour les
étrangers. Ils considèrent ainsi que le droit conditionnel à l’octroi d’une autori-
sation d’usage accru du domaine public ne doit pas être qualifié de prestation
positive, mais correspond au contraire à l’obligation de l’Etat de s’abstenir de
s’ingérer dans l’exercice de la liberté économique des particuliers1855.
1408. Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI et Michel HOTTELIER soulignent
que la jurisprudence du Tribunal fédéral néglige le fait qu’en raison de la por-
tée institutionnelle de cette garantie, l’Etat est bel et bien obligé de définir et de
promouvoir certaines politiques dans ce domaine, qui exigent de nombreuses
mesures actives de sa part, telle que la mise en œuvre et la réalisation de la li-
berté d’accès au marché1856.
1848
ATF 123 II 16, 35, X. HOFMANN D., p. 95.
1849
HOFMANN D., p. 121.
1850
Du fait que nous suivons la méthodologie défendue par David HOFMANN, nous considérons que les
motifs de « politique économique » ne doivent pas être analysés dans le contexte de l’art. 36 al. 2
Cst. et des restrictions apportées à la liberté économique en tant que droit individuel, au sens de
l’art. 27 Cst., mais dans celui des dérogations apportées au principe de la liberté économique, au
sens de l’art. 94 al. 1 et 4 Cst. HOFMANN D., p. 121 et note 969.
1851
ATF 125 I 322, 326 S.
1852
ATF 111 Ia 93, 100, Schweizerische Kreditanstalt ; ATF 1P.500/2002, du 9 janvier 2003, consid. 5.2.
1853
ATF 125 I 182, 199 IATA.
1854
ATF 130 I 26, 40 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte ; ATF 125 I 161, 166, M.
1855
BIAGGINI, pp. 784-785. Voir également ATF 126 I 133, 140: le refus d’une autorisation d’usage ac-
cru du domaine public est analysé, dans ce contexte, comme constitutif d’une ingérence dans la li-
berté économique.
1856
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 952. L’adoption de la LMI est ainsi un exemple de mise en œuvre
de l’obligation de permettre cet accès libre au marché. Voir également HÄFELIN/HALLER, p. 189, qui
nient l’existence d’obligations positives découlant de la fonction individuelle de cette liberté, mais qui
réservent toutefois les obligations des autorités en matière de réalisation de sa fonction institution-
nelle.
383
La situation juridique des Tziganes en Suisse
de la nature des obligations à charge des autorités fondées sur cette liberté, no-
tamment dans le contexte du processus d’harmonisation du marché intérieur
suisse (3.2.2.).
1410. Soulignons que les Tziganes nomades étrangers en transit sont tous
des ressortissants communautaires. Dès lors, nous examinerons ci-après les
conditions de l’exercice de leur liberté économique dans le contexte spécifique
de l’ALCP1857.
1411. Comme pour tous les individus qui peuvent s’en prévaloir, la liberté
économique des Tziganes nomades implique que ces derniers puissent exercer,
sans restriction illégitime, leurs activités lucratives. Nous avons déjà eu
l’occasion de présenter les activités lucratives traditionnelles des Tziganes en
Suisse, ainsi que l’évolution des exigences administratives en matière d’octroi
de patentes pour exercer du commerce ambulant sur l’ensemble du territoire
suisse1858. Nous nous focalisons ici sur le lien existant entre la possibilité de sé-
journer sur l’ensemble du territoire suisse et la faculté d’exercer ces métiers in-
dépendants, autrement dit, d’exercer sa liberté économique.
1412. Cette relation est particulièrement étroite, voire indissociable. En effet,
l’activité itinérante est au cœur de l’existence économique des Tziganes noma-
des1859. Ceci implique que les marchés potentiels où ils seraient à même
d’écouler leurs produits et d’offrir leurs services soient proches de leurs lieux
d’habitation et de production.
1413. Autrement dit, leurs aires de halte doivent se trouver à proximité de
leur clientèle, qu’elles soient prévues pour le transit uniquement ou pour le sé-
jour durable1860. D’un point de vue économique, il est donc nécessaire que le
stationnement transitoire soit possible tant dans les régions urbaines que rura-
les, du fait de la globalité des réseaux commerciaux entretenus par ces der-
niers. Par ailleurs, on relèvera qu’une aire de transit est considérée comme
économiquement acceptable lorsque le séjour est possible pendant un mois1861.
1414. Ce rapport entre nomadisme et activité économique est d’ailleurs si
étroit qu’il a des conséquences directes sur la nature des zones qui peuvent
être utilisées pour aménager des places de stationnement temporaire et dura-
ble1862.
1857
Infra Section 4.
1858
Supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.
1859
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 6.
1860
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 35 et Partie II, p. 7.
1861
Rapport d’expertise 2001, p. 18.
1862
Voir nos développements à ce sujet infra, Titre Quatrième, Chapitre I, Section C, 1.2.2.
384
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1863
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9.
385
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1864
Comp. les art. 3 al. 1 let. a aLMI et 3 al. 1 let. a LMI.
1865
Comp. les art. 3 al. 1 let. b aLMI et 3 al. 1 let. b LMI.
1866
Comp. les art. 3 al. 1 let. c aLMI et 3 al. 1 let. c LMI, à lire avec les art. 3 al. 2 let. c aLMI et art. 3
al. 2 let. c LMI.
1867
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 3.
386
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1424. Enfin, le fait que la liberté économique puisse créer un droit condi-
tionnel à l’usage accru du domaine public prend une importance particulière.
En effet, dans certaines circonstances, cette faculté devrait offrir une option
permettant le stationnement temporaire spontané sur un lieu rattaché au do-
maine public ou au patrimoine administratif1868.
1868
Infra Titre Quatrième, Chapitre I, Section B, 4.2.
1869
ATF 130 I 156, 164 Canton de Genève. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 912 ; HOFMANN D., p. 71.
1870
On soulignera qu’en l’état, la LMI ne fonde aucune prétention en matière de libre établissement
dans un canton puisque les justiciables demeurent assujettis aux conditions fixées par les législa-
tions cantonales quand ils souhaitent s’établir pour exercer leurs activités ; ATF 125 I 276, 279 X.
HOFMANN D., p. 72.
387
La situation juridique des Tziganes en Suisse
base de l’article 95 al. 1 Cst. Cette loi avait pour objectif d’abroger les régle-
mentations cantonales en matière d’autorisations pour exercer du commerce
itinérant qui prétéritaient particulièrement la liberté économique des Tziganes
nomades suisses, et par la même occasion leur libre circulation sur le territoire
suisse1871.
1430. Or, les restrictions cantonales et communales au libre accès au marché
font perdre l’essentiel de l’intérêt de l’adoption de la LComIt. A notre sens, s’il
n’y a effectivement plus d’obstacles juridiques à l’exercice du commerce itiné-
rant sur l’ensemble du territoire suisse, les obstacles matériels sont encore suf-
fisamment lourds pour invalider les effets positifs de l’unification de la procé-
dure d’autorisation en matière de commerce itinérant.
1871
Voir supra Titre Premier, Chapitre IV, Section C, 2.3.
1872
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 40. Dans ce contexte, il importe de souligner que nous ne
traitons ici que des Tziganes étrangers qui pratiquent un mode de vie nomade et qui transitent par
la Suisse dans ce contexte. Dès lors, ne sont pas concernés les Tziganes étrangers présents en
Suisse à d’autre titre, en tant que requérants d’asile ou d’immigrés économiques, et qui provien-
nent, pour leur part, d’Etats tiers. Comp. ainsi le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 7, note 47.
1873
Art. 1er LSEE. ATF 130 II 493, 497 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 424 ; HOFMANN D., p. 406 ;
NGUYEN, p. 340.
388
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
ayant trait à leur libre circulation, à leur séjour et à leur départ une fois la fron-
tière franchie (4.2.).
1874
Art. 1er de l’ordonnance concernant l’entrée et la déclaration d’arrivée des étrangers, du 14 janvier
1998 (OEArr ; RS 142.211 ; RO 1998 194). Comp. toutefois l’art. 4 OEArr qui énumère les cas de li-
bération de l’obligation du visa. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 465 ; NGUYEN, pp. 161-170.
1875
Les Etats parties à l’Association européenne de libre échange (AELE) ont par ailleurs amendé la
Convention instituant cette organisation de façon équivalente. Les règles prévues par l’ALCP peu-
vent donc être appliquées mutatis mutandis aux ressortissants des Etats membres de l’AELE ; FF
2001 4792. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 420.
1876
Depuis le 25 septembre 2005, l’ALCP s’applique également aux dix nouveaux Etats membres ayant
accédé à l’UE le 1er mai 2004 ; FF 2004 5523 et 6685. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 422.
1877
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 429 ; HOFMANN D., p. 405 ; NGUYEN, p. 337. Voir également l’art.
1§1 al. 1 de l’annexe I-ALCP.
1878
Art. 1 let. a et d ALCP ; voir également les art. 2 et 24 de l’annexe I-ALCP.
1879
NGUYEN, pp. 354-355.
389
La situation juridique des Tziganes en Suisse
cipe puisque, le cas échéant, elles peuvent se voir refuser l’entrée si elles ne
sont pas en mesure d’apporter ces garanties1880.
1439. En outre, l’article 3 de l’annexe I de l’ALCP prévoit le principe du re-
groupement familial en faveur des membres de la famille1881 des ressortissants
communautaires au bénéfice d’un droit d’entrée en Suisse. Ceci est valable
même si les membres de la famille sont citoyens d’un pays tiers, pour autant
qu’ils soient titulaires d’une autorisation de séjour dans un Etat partie. Ces
derniers ont ainsi le droit d’obtenir le visa éventuellement requis par le régime
ordinaire, du fait de leur nationalité, et de pénétrer sur le territoire suisse 1882.
1440. Des développements qui précèdent, nous pouvons conclure que le
droit d’entrée sur le territoire suisse est garanti aux Tziganes nomades com-
munautaires souhaitant transiter par la Suisse. Ce droit est étendu aux mem-
bres de leur famille au sens de l’article 3 al. 2 de l’annexe I-ALCP, y compris
pour celles et ceux qui auraient éventuellement une nationalité non commu-
nautaire. A ce sujet, au vu de du rôle des liens familiaux et de la forte solidarité
existant entre les générations au seins des familles tziganes, on ne peut que
souligner l’importance de pouvoir inclure, dans le cercle familial, les ascen-
dants à charge et les enfants jusqu’à 21 ans.
4.2.1. Le séjour
1880
NGUYEN, p. 355. Voir ainsi l’art. 6 ALCP et l’art. 24 de l’annexe I-ALCP.
1881
Le cercle de ces membres est défini par l’art. 3 al. 2 de l’annexe I-ALCP : il comprend le conjoint et
leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge (let. a), les ascendants et ceux du conjoints qui
sont à charge (let. b). Si le ressortissant communautaire est étudiant, seuls son conjoints et leurs
enfants à charge peuvent bénéficier du regroupement familial (let. c).
1882
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 439-440. Voir également NGUYEN, p. 356, concernant le statut des
membres de la famille qui ne sont pas des ressortissants communautaires, et notamment leur droit
à l’obtention d’un visa lorsque les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour au sens de l’ALCP
sont remplies.
1883
Les conditions entourant l’établissement stricto sensu continuent de relever du régime ordinaire de
la LSEE, le cas échéant par les traités bilatéraux existant en la matière. Voir ainsi l’art. 5 OLCP.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 430 ; HOFMANN D., p. 406 ; NGUYEN, pp. 359-360.
390
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1884
NGUYEN, pp. 358-359.
1885
Comp. les art. 7 § 1 et 13 § 1 de l’annexe I-ALCP : est qualifié de frontalier le ressortissant commu-
nautaire « qui a sa résidence sur le territoire d’une partie contractante et qui exerce une activité […]
sur le territoire de l’autre partie contractante en retournant à son domicile en principe chaque jour,
ou au moins une fois par semaine. » Ce cas de figure est en l’occurrence inapplicable aux Tziganes
nomades.
1886
Pour un aperçu détaillé de la nature juridique et de la typologie des différentes autorisations de sé-
jour octroyées sous le régime de l’ALCP, voir NGUYEN, pp. 358-391. Voir également
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), NN. 430-438.
1887
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 40 ; Partie II, p. 7.
1888
HOFMANN D., pp. 406-408.
391
La situation juridique des Tziganes en Suisse
professions libérales »1889, sans pour autant s’établir sur le territoire helvéti-
que1890.
1446. Le régime prévu à l’article 5 ALCP impose de déterminer, dans un pre-
mier temps, si les Tziganes nomades communautaires bénéficient du droit de
fournir leurs services, au sens de l’article 5 § 1 ALCP, autrement dit, s’ils jouis-
sent de la libre circulation des services. En effet, à teneur de l’article 5 § 2
ALCP, si l’intéressé a le droit de fournir ses services, il est alors titulaire d’un
droit de séjour.
1447. De ce fait, seul l’aspect économique des règles ordinaires du droit des
étrangers lui est alors applicable, à l’exclusion de celui touchant à la police des
étrangers. En l’occurrence, dès lors que la durée des prestations effectuées par
des Tziganes nomades communautaires en transit ne dépasse pas 90 jours par
année civile, ils sont au bénéfice du droit de les fournir et donc du droit de sé-
journer en Suisse1891.
1448. Depuis le 1er juin 2004, la Suisse et ses partenaires communautaires
sont entrés dans la deuxième phase d’application de l’ALCP, qui en compte
trois au total1892. Avant cette date, le droit de séjour pour les prestataires de
services fournis sur une période inférieure à 90 jours n’était pas acquis ex lege.
En effet, ils demeuraient soumis à l’obligation d’obtenir une autorisation de sé-
jour de courte durée, analogue à celle de l’article 13 let. d OLE1893. Dès cette
date, cette exigence est non seulement tombée, mais les prestataires de services
ont également été libérés des limitations qualitatives imposées durant la pre-
mière phase d’application de l’ALCP, aux termes des articles 5 §4 ALCP et 10 §
2 de l’annexe I-ALCP1894.
1449. A teneur de l’article 20 § 1 ALCP, à l’instar des autres prestataires de
services communautaires, les Tziganes nomades en transit bénéficient du ré-
gime de libéralisation partielle des services prévue par l’ALCP1895. En effet, ils
peuvent désormais exercer leurs activités lucratives sans devoir requérir
d’autorisation, ni pour fournir leurs services, ni pour demeurer en Suisse, lors-
que leur temps de présence sur le territoire helvétique ne dépasse pas 90 jours
par année. Ils sont toutefois assujettis à une obligation de déclaration1896.
1889
Message du Conseil fédéral relatif aux accords bilatéraux, FF 1999 5490, 5618.
1890
Dans ce sens également, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 44.
1891
NGUYEN, pp. 382-383.
1892
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 447.
1893
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 434 ; NGUYEN, p. 384.
1894
A teneur de l’art. 10 § 2 ALCP, ces limitations donnaient la priorité au travailleur intégré sur le mar-
ché du travail interne et exigeaient de procéder à un contrôle des condition de salaire et de travail.
Sur ce point, NGUYEN, pp. 385-386, souligne la difficulté pour établir ces comparaisons dans le do-
maine de la prestation de services fournie par des indépendants.
1895
HOFMANN D., pp. 408-409 .
1896
NGUYEN, pp. 384-387. Voir également AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 434.
392
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1897
Le régime des personnes inactives est couvert par les art. 3 de l’annexe I-ALCP (membres de la fa-
mille bénéficiant du regroupement familial), art. 4 de l’annexe I-ALCP (ressortissants demeurant
dans un Etat partie après la cessation de leurs activités lucratives), 5 § 3 ALCP et 23 de l’annexe I-
ALCP (destinataires de services). En sus de ces normes couvrant des situations particulières, il faut
également se référer à l’art. 24 de l’annexe I-ALCP. Celui-ci encadre les conditions du séjour des
inactifs qui sont en mesure de subvenir à leurs besoins financiers et en matière d’assurances socia-
les. Voir NGUYEN, pp. 392-394.
1898
Ce régime reprend celui instauré par la LSEE ; comp. ainsi l’art. 2 LSEE. NGUYEN, pp. 170-171 et
393.
1899
Art. 24 § 7 de l’annexe I-ALCP a contrario.
1900
NGUYEN, p. 386 ; voir également p. 145.
393
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1901
NGUYEN, p. 347.
1902
Supra Section 2.2.
1903
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 6-7.
1904
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 10.
394
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
quement prévues à cet effet. De plus, celles qui sont destinées aux Tziganes
nomades étrangers doivent être distinctes de celles prévues pour les Tziganes
nomades suisses : les deux types d’offres se complètent et sont nécessaires
l’une et l’autre.
1460. A teneur des rapports d’expertise, il n’existe actuellement que neuf
grandes aires de transit à destination des Tziganes étrangers de passage ; les
rapports évaluent les besoins en la matière à vingt aires au total : à l’heure ac-
tuelle, l’offre n’atteint donc pas la moitié du nombre requis1905. Or, le station-
nement illicite hors de ces aires a des effets particulièrement lourds sur la ges-
tion du mode de vie nomade d’une manière générale en Suisse. En effet, nous
avons déjà eu l’occasion de souligner que ce sont avant tout les conflits générés
par les arrêts illicites des convois étrangers qui créent les réticences des autori-
tés locales à accueillir les Tziganes nomades suisses1906. C’est pour cette raison
que le facteur de l’accueil des Tziganes nomades étrangers fait partie inté-
grante de la politique que les autorités sont appelées à développer à l’égard de
la communauté tzigane suisse1907.
1461. En conséquence, la nécessité de créer des places de stationnement ap-
propriées, qui découle non seulement de la nature brève de leur séjour, mais
également de la taille importante de leurs convois, a pour effet que les possibi-
lités matérielles de séjour des Tziganes communautaires en transit sont néces-
sairement plus restreintes que celles des Suisses. Cette restriction apportée à
leur liberté de circulation ne sera toutefois proportionnée que lorsque le nom-
bre minimal de places répondant spécifiquement à leurs besoins logistiques
aura été atteint.
1462. Nous avons conclu qu’en tant que ressortissants communautaires de-
meurant moins de trois mois en Suisse, les Tziganes nomades étrangers en
transit ne sont pas assujettis à l’obligation de posséder un titre de séjour. Dès
lors, lorsqu’elle n’est pas volontaire, la fin de celui-ci ne peut pas prendre la
forme d’une révocation du titre de séjour ou d’un refus de prolongation1908.
Seule demeure l’hypothèse des mesures d’éloignement du territoire, applica-
bles à l’égard de tous les étrangers, qu’ils soient communautaires ou non1909, et
valables pour l’ensemble de la Suisse1910.
1905
Rapport d’expertise 2001, pp. 24ss ; Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 9-10.
1906
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 9.
1907
Voir ainsi les travaux entrepris par la Fondation « Assurer l’avenir des Gens du voyage suisses »,
rapportés dans le Message du Conseil fédéral du 10 mars 2006 relatif à l’octroi d’un crédit de finan-
cement pour les années 2007-2011, FF 2006 2957-2960.
1908
Art. 23 al. 1 OLCP a contrario. Comp. également l’art. 6 al. 6 de l’annexe I-ALCP.
1909
FF 1999 VI 5617. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 442.
1910
Art. 24 OLCP.
395
La situation juridique des Tziganes en Suisse
E. Appréciation
1911
NGUYEN, p. 621.
1912
ATF 130 II 493, 498 X. ; 130 II 176, 182 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 442.
396
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
1468. Chaque liberté en cause offre des garanties particulières qui doivent
être prises en considération lorsque des mesures de soutien, ou au contraire
restrictives, sont envisagées ou doivent être analysées a posteriori. En ce sens,
chacune constitue une source importante qui ne doit pas être écartée au profit
de la seule interdiction de la discrimination ou du droit au respect de la vie
privée et familiale.
1469. Ainsi, la création de places de stationnement doit non seulement ré-
pondre aux exigences quantitatives et qualitatives du droit à un logement adé-
quat, mais doit également être réalisée de manière à ce que la liberté économi-
que de leurs occupants soit respectée en leur permettant d’exercer leurs activi-
tés lucratives et leur garantissant l’accès au marché. L’éviction d’un terrain de
stationnement doit non seulement répondre aux conditions posées par le droit
à un logement adéquat, mais les autorités communales en cause doivent éga-
lement veiller aux conséquences qu’un renvoi sur un terrain dans une autre
commune peut avoir sur la liberté d’établissement et la liberté de circulation
des intéressés.
1470. De même, on constate que la pratique habituelle donne priorité à la li-
berté économique face à la liberté d’établissement lorsque toutes deux sont en
cause. Or, le fait que l’itinérance traditionnelle tzigane inclut, mais ne se limite
pas à des objectifs économiques, ne permet pas de faire l’impasse sur la se-
conde. En effet, le cas échéant, une partie de la problématique – par exemple
les impacts sociaux et familiaux liés à l’impossibilité de séjourner ou de
s’établir– est alors occultée.
1471. Nous avons pu constater que ces libertés présentent des liens si étroits
dans le contexte du nomadisme qu’il est souvent difficile de déterminer la-
quelle conditionne l’exercice de l’autre. En effet, les obstacles matériels qui
empêchent, par exemple, d’accéder physiquement à une commune, voire à un
canton, au moyen d’une caravane constituent, dans un premier temps, une in-
gérence dans la liberté de mouvement des intéressés, puis, par ricochet, dans
leur liberté d’établissement et leur liberté économique1913.
1472. Par ailleurs, lorsque des places de stationnement sont fermées, ou
converties en camping, ou que des terrains occupés illicitement sont évacués et
que, faute d’alternative, les principaux concernés doivent quitter la commune
concernée, voire le canton. Si ce sont en premier lieu le droit à un logement
adéquat et la liberté d’établissement qui sont alors remis en cause, la liberté
économique et la liberté de mouvement sont elles aussi immédiatement res-
treintes.
1473. Une autre raison pousse à ne pas restreindre l’analyse d’un cas
d’espèce à un grief. Bien qu’ayant de nombreux points communs dans le
contexte de la jurisprudence européenne, les garanties offertes par le droit au
1913
BAUMANN, p. 530, note 197.
397
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1914
Voir l’ACEDH Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996-IV, §76 et § 84.
1915
ROSENBERG (2001), pp. 1026-1027.
1916
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 146.
1917
Supra Chapitre I, Section B, 2.
1918
Supra Chapitre II, Section B, 4.
1919
ATF 129 II 321 Bittel.
398
Titre Troisième - Les libertés et les droits socio-économiques
qu’une seule décision de principe peut avoir dans le cadre de notre probléma-
tique. Pour parvenir à ce résultat, cependant, les principaux intéressés doivent
connaître leurs droits et saisir les tribunaux, ce qui n’est pas non plus encore
entré dans leurs propres habitudes. Dès lors, un travail d’information et de
sensibilisation doit également être effectué auprès des membres de la minorité
tzigane suisse.
399
La situation juridique des Tziganes en Suisse
400
Titre Troisième - Synthèse et conclusion
Synthèse et conclusion
1479. L’objectif du présent Titre a été de déterminer la portée, pour les Tzi-
ganes en Suisse, du droit des minorités, d’une part, et des droits individuels,
d’autre part. L’applicabilité du droit des minorités aux Tziganes suisses
s’avère ainsi un complément nécessaire pour garantir la protection pleine et
entière des droits des membres de cette communauté, et en particulier celles et
ceux vivant selon leur mode de vie nomade.
1480. En effet, le droit des minorités pose le principe de la protection du
groupe minoritaire lui-même et impose en conséquence des obligations parti-
culières à l’Etat pour que la minorité puisse trouver sa place au sein de la so-
ciété civile et de l’ordre juridique de l’Etat dans lequel elle évolue, à travers no-
tamment la consultation et la participation systématiques de ses membres aux
processus qui la concernent.
1481. Du fait de l’histoire particulière de la minorité tzigane suisse par rap-
port aux autres minorités historiques helvétiques, le droit des minorités, dans
ses dimensions objective et subjective, est loin de constituer une source annexe,
analogue au système individuel des droits de l’homme. Bien plus, elle offre à
cette communauté le socle indispensable pour faire admettre la validité de ses
spécificités identitaires, reconnaître ses besoins et intégrer la société civile.
1482. Il est donc nécessaire d’appliquer à l’égard des Tziganes aussi bien sa
facette individuelle que collective, ainsi que d’adopter des mesures destinées à
soutenir leur communauté et à perpétuer leur identité. Il faut prendre en
considération l’impact de mesures individuelles sur le groupe dans son en-
semble et ne pas analyser un cas d’espèce en ne voyant dans l’expression de
l’identité minoritaire qu’une simple préférence personnelle1920.
1483. Nous avons également pu constater l’importance primordiale du prin-
cipe général d’égalité, et notamment de l’interdiction de la discrimination,
pour la protection juridique des Tziganes en général, et de ceux pratiquant le
nomadisme en particulier. Exigeant des autorités qu’elles soient sensibles aux
cas de discriminations indirectes, mais aussi à celles directes cachées, cette ga-
rantie de l’Etat de droit prend également une signification particulière dans le
cadre de notre problématique, lorsqu’elle vise à lutter contre la discrimination
raciale.
1484. Formant un groupe minoritaire extrêmement vulnérable, ayant fait
l’objet de politiques et de pratiques discriminatoires par le passé, mais toujours
victimes de stéréotypes et de préjugés portant atteinte à leur dignité humaine,
les Tziganes suisses doivent bénéficier de l’ensemble des mesures qu’impose le
principe général d’égalité. Parmi celles-ci se trouvent également des mesures
1920
Supra Chapitre I, Section C, 2.2.2.
401
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1921
Supra Chapitre II, Section B, 4.
1922
Supra Chapitre III, Section C, 2.2. et 2.3.
402
Titre Troisième - Synthèse et conclusion
1923
Notamment supra Chapitre III, Section C, 2.3.2.
1924
Opinion dissidente individuelle du juge Bonello relative à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni [GC],
n° 27238/95, CEDH 2001-I.
403
La situation juridique des Tziganes en Suisse
404
Titre quatrième:
L’intégration des droits fondamentaux
des Tziganes dans le droit
ordinaire suisse
Introduction
1494. L’objectif du présent Titre est de déterminer de quelle manière les dif-
férents droits fondamentaux que nous avons analysés sont intégrés dans le
droit ordinaire suisse. Nous tâcherons d’identifier les lacunes et le potentiel
que la législation en vigueur possède pour les réaliser de façon satisfaisante. A
cet effet, nous avons sélectionné plusieurs problèmes saillants, mettant en
cause l’intégration de l’identité minoritaire tzigane dans l’ordre juridique.
1495. Nous débuterons par un examen approfondi de la question centrale et
délicate du stationnement des caravanes tziganes au regard du droit de
l’aménagement du territoire et du droit des constructions (Chapitre I). Nous
continuerons avec une étude de la compatibilité de l’exigence de posséder un
domicile avec l’exercice du mode de vie nomade (Chapitre II). Nous analyse-
rons ensuite de quelle manière la scolarité obligatoire des enfants cohabite
avec les exigences culturelles des Tziganes, en particulier nomades (Chapitre
III). Enfin, nous étudierons le statut de la langue jénisch dans le contexte de la
politique linguistique de la Confédération (Chapitre IV).
405
406
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1496. Nous avons conclu que l’exercice serein du mode de vie nomade des
Tziganes exige au préalable que le stationnement des caravanes puisse être ef-
fectué légalement sur le territoire de l’ensemble des communes suisses1925. Le
nœud et la clé de la problématique résident donc dans l’adaptation des normes
en matière d’aménagement du territoire et du droit des constructions. En effet,
l’aménagement du territoire a pour principal objectif de parvenir à une utilisa-
tion du sol qui permette d’articuler de façon convenable la multitude des re-
vendications formulées à son égard1926.
1497. Ce n’est toutefois qu’avec la jurisprudence Bittel du Tribunal fédé-
ral1927 que les revendications des Tziganes nomades en matière d’usage du sol
ont acquis en Suisse une légitimité jusqu’alors inconnue1928. Une fois le prin-
cipe de la prise en compte des besoins des Tziganes nomades posé et admis, il
reste à déterminer quel sens concret il convient de lui donner au regard de la
répartition des compétences entre les différentes collectivités, ainsi que des ins-
truments en matière d’aménagement du territoire et du droit des construc-
tions.
1498. La problématique est complexe et ne peut être résolue d’une seule ma-
nière. En effet, les problèmes juridiques diffèrent selon que sont en cause les
conditions entourant la création de nouvelles places, ou qu’il s’agit de gérer
une situation de stationnement hors d’un lieu prévu à cet effet. En outre, dans
certains cantons, les normes générales en matière de construction sont complé-
tées par des dispositions touchant spécifiquement le stationnement des roulot-
tes tziganes ; nous les examinerons donc également pour déterminer leur ap-
port aux règles générales.
1499. Nous commencerons par rappeler les grands principes régissant le
droit de l’aménagement du territoire et du droit des constructions (A.). Dans
une seconde étape, nous examinerons dans quelles circonstances les caravanes
tziganes peuvent être qualifiées de « constructions », au sens de l’article 22
LAT, et à quelles conditions elles peuvent être soustraites à l’assujettissement à
l’autorisation de construire (B.). Troisièmement, nous traiterons de la question
de la création d’aires de stationnement, en déterminant de quelle manière les
instruments de la planification doivent prendre en compte les droits fonda-
mentaux des Tziganes (C.), puis en analysant à quelles conditions il est envisa-
1925
Supra Titre Troisième, Chapitre III.
1926
MOOR (Introduction), N. 81-89 et 108; SCHMID, p. 15 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 19.
1927
ATF 129 II 321 Bittel.
1928
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.
407
La situation juridique des Tziganes en Suisse
geable d’aménager des aires hors d’une zone à bâtir (D.). Enfin, nous discute-
rons de la participation et du droit de recours des Tziganes dans le cadre du
droit de l’aménagement du territoire (E.).
1929
HÄNNI (2002), pp. 81-85 ; RUCH (Einleitung), N. 7-10 ; TSCHANNEN (art. 1), N. 12-14; ZEN-
RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 19-22, ainsi que pp. 50-62. Voir également le commentaire de l’art. 1 LAT
effectué par WALDMANN/HÄNNI.
1930
HÄNNI (2002), pp. 81-82; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 59-61 ;
1931
HÄNNI (2002), p. 80 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 3), N. 3-4 ; TSCHANNEN (art. 1), N. 6 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, p. 50.
1932
HÄFELIN/MÜLLER, N. 357-358 ; HÄNNI (2002), p. 86 ; JOST (2000), p. 34 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
pp. 54-57.
1933
Arrêt du 13 août 2001, cause 1P.218/2001 ; ATF 115 Ia 350, 353 Itin AG ; ATF 114 Ia 364, 368 Ob-
felden. FLÜCKIGER (art. 15), N. 14 ; JOST (2000), p. 33.
1934
JOST (2000), pp. 34-35.
408
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1935
MOOR (Introduction), N. 86-87.
1936
On entend ici la protection du sol, de l’air, de l’eau, de la forêt et du paysage ; voir TSCHANNEN (art.
1), N. 27-28.
1937
On entend ici les atteintes causées par la pollution de l’air, le bruit ou les trépidations. Comp. les
art. 1er al. 2 let. a et art. 3 al. 3 let. b LAT. GRIFFEL (2001), p. 274 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p.
300.
1938
OAT (RS 700.1 ; RO 2000 2047).
1939
HÄNNI (2002), pp. 86-88. Voir également WALDMANN/HÄNNI (art. 3), N. 4.
1940
HÄNNI (2002), pp. 436-437 ; MOOR (introduction), N. 108-110.
1941
Mais également la législation en matière de droit de l’environnement : voir entre autres la LPE, la
LPN ou encore la LFo ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 301-302.
1942
Comp. les art. 2 al. 1er, 7 al. 1er et 3 LAT qui exigent que les plans d’aménagement respectent les
buts et principes directeurs de l’aménagement du territoire et concordent entre eux.
1943
Les art. 25a al. 1 et 33 al. 4 LAT qui exigent la désignation d’une autorité chargée de la coordina-
tion des « décisions », c’est-à-dire tous les actes nécessaires à l’implantation ou à la transformation
d’une construction ou d’une installation, ce qui inclut les autorisations, les approbations, les conces-
sions et les décisions préparatoires ; TANQUEREL (2001), p. 119 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 303-
304.
1944
MOOR (introduction), N. 130-132 ; RUCH (Einleitung), N. 15-16 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 297,
et 300-301. Au sujet de la coordination matérielle, voir en particulier la contribution d’André JOMINI,
Coordination matérielle : l’approche de la jurisprudence du Tribunal fédéral, DEP 19 (2005), n°5,
pp. 444-464.
409
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1945
GRIFFEL (2001), p. 363.
1946
TSCHANNEN (art. 2); ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 63.
1947
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1014 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 23-25.
1948
GRIFFEL (2001), p. 274.
1949
Voir également nos développements relatifs aux plans directeurs cantonaux, infra Section 3.1.1.
1950
ATF 121 I 245, 248 B.; ATF 112 Ia 281, 285-286 Hombrechtikon. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 67-
68.
410
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1951
TSCHANNEN (Art. 6-12), N. 6-10 et 19-22 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 105-106.
1952
TSCHANNEN (Art. 6-12), N. 7 ; WALDMANN/HÄNNI (Art. 6-12), N. 7-8.
1953
JOST (2000), p. 35.
1954
GRIFFEL (2001), p. 274.
1955
HÄNNI (2002), pp. 99-100 ; HEER, p. 20 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 116.
1956
HÄNNI (2002), pp. 97-99 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 107-108.
1957
HÄNNI (2002), p. 98 ; RUCH (2005), p. 329.
1958
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2021 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 114-115.
1959
Arrêt 1P.110/2001, du 30 juillet 2001, consid. 2b; ATF 119 Ia 285, 294 Winterthur ; ATF 111 Ia
129, 130 Wiesendangen. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2021 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 75.
411
La situation juridique des Tziganes en Suisse
contraire, les particuliers ne peuvent les attaquer que de manière indirecte, lors
d’un recours dirigé contre un plan d’affectation1960. Il est nécessaire d’attendre
la future pratique du Tribunal fédéral dans le cadre du recours en matière de
droit public pour savoir si cette ligne sera maintenue.
1511. Les plans directeurs doivent être réexaminés et modifiés périodique-
ment, afin de les adapter. L’article 11 LAT prévoit qu’après chaque modifica-
tion, le Conseil fédéral les approuve s’ils sont conformes au droit fédéral, et
s’ils tiennent notamment compte des tâches de la Confédération et des cantons
voisins qui ont un effet sur l’aménagement du territoire.
1512. Les plans d’affectation attribuent une certaine destination aux diffé-
rentes sections du territoire et permettent précisément de déterminer quelles
zones sont constructibles ou non1961. Dans l’écrasante majorité des cantons, ce
sont les communes qui sont compétentes pour adopter les plans d’affectation,
l’exécutif communal se chargeant de leur élaboration, tandis que leur adoption
et modification incombent au pouvoir législatif, ce qui peut comporter la parti-
cipation du corps électoral communal1962.
1513. Lorsqu’elles adoptent des plans d’affectation, les autorités compéten-
tes doivent tenir compte aussi bien des buts et principes généraux de
l’aménagement du territoire que du plan directeur. En conséquence, si le projet
envisagé est important, elles doivent adopter une vision régionale, et non pas
uniquement locale, pour évaluer les besoins, les conditions d’équipement et les
effets du projet1963.
1514. Les plans d’affectation doivent définir en détail l’ensemble des intérêts
en présence1964 au moyen d’une pesée globale, qui doit être effectuée aussi bien
lors de l’adoption du plan que lors de ses modifications ultérieures1965.
1960
ATF 119 Ia 285, 289-290 Winterthur ; ATF 113 Ib 299, 302 Puidoux. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I),
N. 2021.
1961
HÄNNI (2002), p. 142 ; Rapport d’expertise 2001, pp. 35-36 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 123.
1962
Les cantons-villes se réservent la compétence en la matière, en ne prévoyant qu’un préavis commu-
nal. A titre d’exemple, voir l’art. 16 al. 3 de la loi genevoise d’application de la loi fédérale sur
l’aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LaLAT ; RS/GE L 1 30). MOOR (Introduction), N. 139 ;
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 189.
1963
ATF 120 Ib 436, 454, Crissier. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 62.
1964
Ces derniers recouvrent notamment le maintien des terres arables, la protection de l’eau, la garantie
d’un espace vital suffisant pour la faune et la flore, ou encore la protection contre le bruit et la pure-
té de l’air. Voir, à ce sujet, les développements détaillés de JOST (2000), pp. 170-334.
1965
ATF 123 I 175, 183, 188 Bäumle ; ATF 123 II 88, 93 Rickli; ATF 119 Ib 480, 486 Schwerzenbach.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 827 ; GRIFFEL (2001), p. 275 ; FLÜCKIGER (art. 15), N. 25 ; HAL-
LER/KARLEN, N. 256 et N. 399 ; JOST (2000), p. 167
412
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1515. Dans ce contexte, un plan d’affectation peut prendre des options diffé-
rentes de celles prévues dans le plan directeur lorsqu’elles sont de moindre
importance, qu’elles sont objectivement justifiées et qu’une modification pré-
alable de ce dernier n’est pas raisonnable. Il peut aussi le contredire lorsque de
nouvelles connaissances justifient de changer de politique, mais aussi lorsque
le plan directeur apparaît comme contraire au droit lors de la procédure
d’adoption du plan d’affectation1966.
1966
RUCH (2005a), p. 330 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 116-117 et jurisprudence citée.
1967
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 125-126.
1968
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 8.
1969
Rapport d’expertise 2001, p. 27.
1970
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 100.
1971
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 105-130 ; HÄNNI (2002), pp. 223 et 225-227 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
pp. 125-126. Au sujet de l’option entre l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé et l’octroi d’une
autorisation extraordinaire au sens des art. 24ss LAT, voir infra Section 3.2.2, b.
413
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1519. Les plans d’affectation lient non seulement les autorités, mais égale-
ment la population1972. En conséquence, leur adoption doit se faire dans le res-
pect de la protection juridique (art. 33ss LAT) et de la participation démocrati-
que (art. 4 LAT). Ainsi, les exigences découlant du droit d’être entendu ont
pour effet que cet instrument peut faire l’objet d’une contestation, par exemple
par le biais d’une opposition, auprès des autorités communales par les per-
sonnes démontrant un intérêt juridique ou de fait susceptible d’être lésé1973.
1520. Pour sa part, l’article 33 al. 3 let. a LAT, reprenant les exigences posées
par l’article 111 al. 1 LTF, impose aux cantons de prévoir que la qualité pour
recourir soit reconnue dans les mêmes limites que pour le recours en matière
de droit public devant le Tribunal fédéral1974. Ainsi, aussi bien le propriétaire
touché par la mesure que tout tiers possédant un intérêt digne de protection et
particulièrement atteint possède la qualité pour agir1975.
1521. Ces particuliers ont ensuite la qualité pour recourir devant l’autorité
cantonale compétente1976, l’article 86 al. 2 LTF imposant aux cantons de prévoir
que la dernière instance cantonale soit judiciaire1977. On relèvera que si
l’autorité cantonale n’a pas approuvé le plan communal1978, ou lorsqu’elle
adopte un plan d'affectation en se substituant à la commune, voire crée une
zone spécifique1979, une commune a également qualité pour recourir en raison
de l’atteinte portée à son autonomie1980.
1522. Au niveau fédéral, la voie du recours en matière de droit public, au
sens des articles 82ss LTF, est ouverte contre la décision de dernière instance
cantonale. En effet, le recours au Tribunal administratif fédéral est exclu, car il
1972
Art. 14 al. 1 et 21 al. 1 LAT. TANQUEREL (art. 21), N. 15 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 4.
1973
Au sujet de cette notion, voir infra Section E, 2.1.1.
1974
Art. 33 al. 3 let. a LAT, tel que modifié le 1er janvier 2007 par l’entrée en vigueur de la loi fédérale
sur le Tribunal administratif (LTAF ; FF 2005 3875). WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 2a. Voir égale-
ment LUGON/POLTIER/TANQUEREL, p. 121.
1975
Art. 89 al. 1 LTF. WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 29a. Il sied de relever qu’en sus de cette légitimation
active générale, l’art. 89 LTF octroie également, à son alinéa 2, let. a à d, une légitimation active
spéciale à certains organismes et autorités. Comp., sous l’ancienne organisation judiciaire fédérale,
les conditions similaires posées par l’art. 103 let. a aOJ ; TANQUEREL (2001), p. 116. Sur la notion
d’intérêt digne de protection, voir nos développements infra Section E, 2.1.1.
1976
Art. 33 al. 3 let. b LAT.
1977
Cette obligation concrétise le droit de l’accès au juge, au sens de l’art. 29a Cst. ;
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 1978. WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 80a, (art. 34), N. 75. Repre-
nant les exigences imposées aux cantons par l’art. 98a aOJ en matière de recours de droit adminis-
tratif, cette obligation ne devrait pas engendrer de difficultés majeures pour les cantons ayant déjà
adapté leur organisation judiciaire ; LUGON/POLTIER/TANQUEREL, p. 110.
1978
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.127/2001, consid. 2b ; ATF 119 Ia 300, 301 Zauggenried.
1979
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.127/2001, consid. 2b ; ATF 114 Ia 291, 292 Bütikofer; ATF 111 Ia
67, 68-69 Trimbach.
1980
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 699.
414
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
a) L’exigence de l’autorisation
1981
A mettre en relation avec l’art. 86 al. 1 let. d LTF. BELLANGER (2006), pp. 51-52 ; WALDMANN/HÄNNI
(art. 34), N. 73 ; LUGON/POLTIER/TANQUEREL, pp. 112-113.
1982
MOOR (Introduction), N. 93 ; RUCH (art. 22), N. 6.
1983
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 372.
1984
HÄNNI (2002), pp. 306-307 ; RUCH (art. 22), N. 10 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 207-208.
1985
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 211-212.
415
La situation juridique des Tziganes en Suisse
une incidence sur son affectation (…) »1986. Le critère décisif consiste à déter-
miner si, selon l’expérience générale de la vie, l’établissement de la construc-
tion ou de l’installation en question a de telles incidences sur l’aménagement
du territoire que l’intérêt public ou celui des voisins impose un contrôle pré-
alable1987.
1526. Les droits cantonaux détaillent l’article 22 LAT, par le biais de disposi-
tions d’exécution au sens de l’article 33 al. 2 LAT. On relèvera que les cantons
ont la possibilité d’exempter certaines catégories de petites constructions de
l’exigence d’autorisation. Ils peuvent également faciliter la procédure
d’obtention de l’autorisation en vertu du principe de proportionnalité. En ou-
tre, le droit cantonal peut soumettre à autorisation les constructions et installa-
tions affranchies par le droit fédéral1988.
1527. Il découle de l’article 33 al. 2 LAT et de la LTF que les exigences procé-
durales évoquées en matière de plans d’affectation sont également valables
pour les autorisations de construire fondées sur la LAT et sur les dispositions
cantonales et fédérales d’exécution1989. Ainsi, l’autorisation de construire peut
faire l’objet d’un recours, le droit fédéral exigeant qu’une autorité judiciaire
cantonale assure en dernière instance le contrôle de la décision1990.
1528. En outre, la qualité pour agir devant les instances cantonales doit être
en tout cas identique à celle ouvrant la voie d’un recours en matière de droit
public. En conséquence, il résulte de l’article 89 al. 1 LTF que toute personne
pouvant démontrer qu’elle est particulièrement atteinte par la décision dans
l’un de ses intérêts dignes de protection possède la légitimation active1991.
1529. La voie du recours en matière de droit public est ensuite directement
ouverte contre la décision de dernière instance cantonale. En effet, le recours
au Tribunal administratif fédéral est ici également exclu, du fait qu’il ne s’agit
pas d’une décision émanant d’une autorité énoncée à l’article 33 LTAF1992.
1986
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz gegen Pilatus-Bahn-Gesellschaft; ATF 120 Ib 379, 384
Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 119 Ib 222, 226; ATF 118 Ib 1, 9. ZEN-
RUFFINEN/GUY -ECABERT, p. 214.
1987
ATF 120 Ib 379, 384 Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 114 Ib 312; ATF
119 Ib 222, 227.
1988
HÄNNI (2002), p. 308 ; RUCH (art. 22), pp. 2-3; TANQUEREL (2001), p. 114 ; ZEN-RUFFINEN/G UY-E CABERT,
p. 213 et pp. 226-227.
1989
WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 18 et 70.
1990
WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 75 ; ZEN-RUFFINEN/GUY -ECABERT, p. 686.
1991
Sur la notion d’intérêt digne de protection, voir nos développements infra Section E, 2.1.1.
1992
A lire en relation avec l’art. 86 al. 1 let. d LTF. Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence organisa-
tion judiciaire fédérale, la jurisprudence du Tribunal fédéral a tenté de définir ce que recouvrait la
416
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
notion de décision fondée sur la LAT et ses prescriptions d’exécution, la question étant cruciale pour
déterminer si la voie du recours de droit administratif était ouverte ; TANQUEREL (2001), pp. 114-115.
En raison de l’entrée en vigueur de la LTF et de l’instauration du recours unifié en matière de droit
public, cette question a perdu son importance, puisque cette voie est ouverte contre toute décision
fondée sur du droit public fédéral ou cantonal, émanant d’une autorité désignée à l’art. 86 al. 1 LTF.
1993
La construction hors d’une zone à bâtir est ainsi l’un des rares domaines du droit des constructions
et de la planification régi dans sa quasi totalité par le droit fédéral, aux art. 16 à 16b, 24 à 24d, et
37a LAT et aux art. 33 à 43 OAT. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 254.
1994
Les art. 24a à 24d et 37a LAT traitent des autorisations concernant des travaux sur des construc-
tions et installations existantes.
1995
MARTI, pp. 356-357.
1996
Arrêt du 1er février 2005, causes 1A.161/2004 et 1P.363/2004, consid. 2 ; ATF 129 II 63, 68 Cham-
péry ; ATF 124 II 252, 255 Mühlberg. WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 8-12. Au sujet de la notion
d’implantation imposée par la destination de l’ouvrage, voir infra Section D, 2.1.1.
1997
A ce sujet, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 21-25.
1998
SJ 2005 I 237, 241 ; ATF 123 II 499, 508 Reinach ; ATF 123 II 256, 261 Schweizer Heimatschutz.
WALDMANN (2005), pp. 782-783 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 21 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p.
262.
1999
ATF 117 Ib 28, 31 Samnaun ; ATF 115 Ib 473, 486 Reihnaubund. HALLER/KARLEN, N. 717 ; GRIFFEL
(2001), p. 276 ; MARTI, p. 357 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 272-273.
417
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2000
GRIFFEL (2001), p. 276. Voir également supra Section 1.
2001
Pour trancher entre les deux alternatives, on se référera aux buts et principes de l’aménagement du
territoire (art. 1 et 3), au plan directeur cantonal (art. 6 à 8) et à l’importance du projet, par rapport
aux exigences des art. 4 et 33 LAT. Le critère de l’impact environnemental est particulièrement im-
portant dans ce contexte. Ainsi, si un projet est susceptible de faire l’objet d’une étude d’impact sur
l’environnement, la voie de la planification devient obligatoire ; BRANDT/MOOR (art. 18), N. 132 et
136 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 27 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 138-139.
2002
Arrêt non publié du 31 mars 2006, cause 1A.246/2005, consid. 2.3. ; ATF 129 II 321, 329 Bittel ;
ATF 120 Ib 207, 212 Wangen. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 131 ; MARTI, p. 358 ; WALDMANN/HÄNNI (art.
2), N. 27 ; WIDMER-DREIFUSS, p. 138 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 257-263. Voir également infra
Sections C, 1 et D, 1.
2003
MARTI, pp. 357-358 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 31.
2004
ATF 129 II 321, 326 Bittel ; ATF 117 Ib 270, 278 WWF ; ATF 116 Ib 53, 53-54 Egg und Oetwil.
2005
ATF 116 Ib 50, consid. 3a, Chrüzlen. MARTI, pp. 356-358 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 27.
2006
WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 5.
2007
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 102 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 160-161. Cet auteur souligne qu’il n’existe pas
d’accord unanime quant à la dénomination de ce type de zone spécialisée ; ibidem, p. 162. Rappe-
lons qu’à teneur de l’art. 15 LAT, appartiennent à la zone à bâtir les « terrains propres à la construc-
tion » qui soit sont « déjà largement bâtis » (let. a), soit « seront probablement nécessaires à la
construction dans les quinze ans à venir et seront équipés dans ce laps de temps » (let. b).
2008
BRANDT/MOOR (art. 18), N. 2.
2009
ATF 124 II 391, 393-394, Ersigen ; ATF 121 I 245, 248 Wangen ; ATF 113 Ib 225, consid. 2c,
Lommiswil. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 4 ; MARTI, p. 359 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N. 30 ; WIDMER-
DREIFUSS, pp. 165-166 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 262. Au sujet du principe de regroupement
des constructions, voir FLÜCKIGER (art. 15), N. 17-18.
418
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2010
ATF 124 II 391, 393-394, Ersigen ; ATF 115 Ib 508, 514 Sempach. MARTI, p. 359 ; TSCHANNEN (art.
2), N. 33 ; WIDMER-DREIFUSS, pp. 160-163 et 164 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 262.
2011
1A.246/2005 Urteil vom 31. März 2006 consid. 2.3 ; ATF 124 II 391, 393 Ersigen ; ATF 121 I 245,
248 Wangen. WIDMER-DREIFUSS, pp. 165-166. Pour une critique, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 2), N.
30 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 263.
2012
Art. 86 al. 1 let. d LTF. Comp. l’art. 31 LTAF.
2013
WALDMANN/HÄNNI (art. 34), N. 41a.
2014
RUCH (2005b), p. 543.
419
La situation juridique des Tziganes en Suisse
limitent les possibilités d’utilisation d’un bien-fonds par son propriétaire, no-
tamment en définissant les zones constructibles2015.
1538. A l’instar des autres libertés, la garantie de la propriété ne peut être
restreinte sans respecter les exigences de l’article 36 Cst.2016. Si le droit de
l’aménagement du territoire et des constructions constitue la base légale néces-
saire exigée par l’article 36 al. 1 Cst., une mesure doit également poursuivre un
intérêt public et être proportionnée.
1539. Nous avons relevé ci-dessus que l’aménagement du territoire poursuit
un nombre important d’intérêts publics, qui peuvent s’avérer contradictoires,
et qui sont évalués et sélectionnés lors de l’établissement des plans
d’affectation. Au regard de l’article 36 al. 2 Cst., les principes et les buts de
l’aménagement du territoire constituent donc des intérêts publics2017. Les exi-
gences découlant de la coordination matérielle ont pour conséquence qu’il est
difficile de contester l’absence d’intérêt public sous-tendant une mesure plani-
ficatrice2018. Toutefois, les circonstances peuvent évoluer et avoir pour effet
qu’une mesure de planification n’est plus justifiée par un intérêt public pré-
pondérant. Dès lors, la garantie de la propriété n’est plus respectée2019.
1540. Dans ce contexte, nous avons déjà souligné l’importance de la pesée
des intérêts pour déterminer la légitimité d’un acte de planification in concreto.
C’est au regard de cette pesée que la condition de la proportionnalité de
l’atteinte sera respectée ou non2020.
2015
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 821 ; JOST (2000), pp. 363-364.
2016
JOST (2000), pp. 365-368 et références.
2017
ATF 129 II 321, 329 Bittel. WALDMANN (2005), p. 953.
2018
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 825-828.
2019
ATF 121 II 317, 348 Jeanneret. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 828; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT,
p. 45. Au sujet de la notion d’évolution sensible des circonstances, voir également infra Section C,
1.2.4.
2020
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 829-831.
2021
WALDMANN (2005), p. 783.
2022
TANQUEREL (1988), pp. 76-77 et références.
420
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2023
KIENER/KUHN, p. 38 ; RUCH (2005b), p. 543 ; WALDMANN (2005), p. 783.
2024
WALDMANN (2005), p. 783.
2025
Supra Titre Troisième, Chapitres I, II et III.
2026
ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, §72, CEDH 2001-I. Voir également l’avant-projet
de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 5.
2027
ATF 129 II 321, 330, Bittel. BOVAY, p. 96.
2028
Voir supra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2.
2029
Voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.
421
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1547. Une caravane qui stationne sur un terrain est normalement qualifiée
de « construction », la durée de l’arrêt étant toutefois un facteur à prendre en
considération pour parvenir à cette qualification (1.). Face à l’importance de
l’arrêt temporaire spontané pour l’exercice du mode de vie nomade, nous ana-
lyserons de quelle manière les droits fondamentaux des Tziganes peuvent in-
fluencer le droit cantonal et communal pertinent (2.). Nous examinerons éga-
lement le régime applicable à l’arrêt durable effectué sur une aire prévue à cet
effet (3.). Enfin, nous traiterons des réglementations additionnelles à prendre
en considération lorsque l’arrêt spontané se fait sur un terrain rattaché au do-
maine public ou au patrimoine administratif de l’Etat (4.).
2030
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz gegen Pilatus-Bahn-Gesellschaft; ATF 120 Ib 379, 384
Gentechnologie und Mitbeteiligte gegen Ciba-Geigy AG; ATF 119 Ib 222, 226 WWF; ATF 118 Ib 1, 9
Misoxer Kraftwerke. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 214. Supra Section A, 3.2.1, b.
2031
ATF 99 Ia 113, 120 Rinderknecht. WALDMANN (2003) p. 695.
2032
ATF 99 Ia 113, 120-121 Rinderknecht.
422
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
pas considérées comme des bâtiments, car de tels véhicules ne peuvent pas
être comparés à celui de la recourante en raison de leur mode d’utilisation : ils
ne sont pas dépendants d’un lieu déterminé »2033.
1550. Deux conclusions s’imposent. Premièrement, ce n’est pas la qualité de
caravane qui est pertinente au regard du droit des constructions. Un ouvrage
mobilier ou facilement déplaçable est soumis à autorisation dès qu’il est consi-
déré comme étant fixé au sol2034.
1551. C’est donc bien la durée du stationnement qui fera ici la différence
pour déterminer la situation de la caravane par rapport à l’exigence du permis
de construire2035. Une jurisprudence ultérieure a par ailleurs confirmé que le
stationnement d’une caravane, en un endroit déterminé, pour une durée dé-
passant la période usuelle pour des vacances de courte durée, exigeait
l’obtention d’une autorisation de construire2036.
1552. En règle générale, le droit cantonal a repris ce critère de la durée de
stationnement. Dans les mesures cantonales détaillant l’article 22 LAT, toute
caravane arrêtée sur un terrain pour un certain temps est en principe considé-
rée comme une construction soumise à autorisation lorsqu’elle stationne hors
d’une place de camping reconnue comme telle2037. Dans ces circonstances, pas-
sé un certain délai, l’arrêt de caravanes tziganes hors d’une aire de stationne-
ment sans autorisation de construire est illégal, quand bien même le proprié-
taire du terrain y consentirait2038.
1553. Or, le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence Rinderknecht, opère une
distinction entre Tziganes nomades, d’une part, et sédentaires vivant en cara-
vanes, d’autre part. L’arrêt indique clairement que la recourante n’étant pas
« foraine ou autre », elle ne va pas employer sa caravane comme une personne
appartenant à la communauté tzigane.
1554. Il ressort de cette jurisprudence que des caravanes – appartenant ou
non à des Tziganes nomades – qui ne restent pas longtemps au même endroit
ne doivent pas être assimilées à des bâtiments traditionnels, assujettis à une
autorisation2039. Dans ce contexte, les droits fondamentaux des Tziganes, et no-
tamment l’interdiction de la discrimination, la liberté de circulation, la liberté
économique et la liberté d’établissement, poussent à l’ouverture et à une inter-
prétation qui ne soit pas trop stricte par rapport à l’obligation d’assujet-
tissement à l’autorisation de construire.
2033
ATF 99 Ia 113, 121 Rinderknecht.
2034
ATF 123 II 256, 259, Schweizer Heimatschutz. RUCH (art. 22), p. 14.
2035
RUCH (art. 22), p. 14.
2036
ATF 100 Ib 482, 490-491 Bucher. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 215.
2037
Voir, par exemple, l’art. 20 al. 2 let. a de l’ordonnance valaisanne sur les constructions, du 2 octobre
1996 (RS/VS 705.100).
2038
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 13 ; Rapport d’expertise 2001, p. 26.
2039
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 216.
423
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2040
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 2.2.1. et 2.2.2, a.
2041
Voir nos développements relatifs à la portée de la liberté de mouvement et de la liberté
d’établissement, supra Titre Troisième, Chapitre III, Sections D, 1.2. et D, 2.2.
2042
BO/FR du 25 mars 2003, p. 368.
2043
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20 ; Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 oc-
tobre 2005, http://www.staedteverband.ch, p. 3. Voir également le BO/AG du 18 novembre 2003,
p. 2520 et BO/JU du 19 mai 2004, p. 303, où les parlementaires soulignent que lorsque toutes les
parties en cause font preuve de bonne volonté, la situation ne devient pas nécessairement conflic-
tuelle, ce qui rend cette option acceptable.
424
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
pour effet positif d’abaisser les coûts imposés à la collectivité en lien avec la
création de nouveaux lieux de stationnement2044.
1559. Dans certains cantons, toutes les roulottes, qu’elles appartiennent à des
Tziganes ou à des sédentaires, sont exemptées d’autorisation de construire2045.
D’autres ont déjà adopté des dispositions créant des exceptions explicites en
faveur des caravanes tziganes en leur permettant de stationner sur des terrains
privés, avec l’accord du propriétaire, et parfois celui de la commune, sans être
assujetties à l’autorisation de construire2046. La durée de stationnement sans
autorisation varie alors, selon les cantons, entre quelques jours2047 et quelques
mois2048. Parfois, l’appréciation est laissée à l’autorité compétente qui doit in-
terpréter des notions juridiques indéterminées telles que « installation prolon-
gée » de caravanes hors des terrains autorisés2049.
1560. On constate ainsi dans quelques cantons l’existence d’une réglementa-
tion spécifique concernant les Tziganes. A Schwytz, tandis l’article 70 al. 1er de
la Planungs- und Baugesetz, du 14 mai 19872050, interdit le stationnement de ca-
ravanes hors d’un camping pour plus de 48 heures, l’alinéa 2 prévoit que les
2044
Prise de position de l’Union des villes suisse, du 27 octobre 2005, http://www.staedteverband.ch, p.
3.
2045
Comp. l’art. 6 al. 1 let. d de la loi cantonale d’Appenzell-Rhodes intérieur sur die Raumplanung,
Umweltschutz und Bauwesen, du 19 janvier 1993 (RS/AI 713.100), qui fixe le seuil à deux mois.
2046
Voir l’art. 6 al. 2 du Décret jurassien concernant le permis de construire du 11 décembre 1992
(RS/JU 701.51).
2047
Voir ainsi les quatre jours fixés par l’art. 27 al. 1 de la loi vaudoise sur les campings et caravanings
résidentiels, du 11 septembre 1978 (RS/VD 935.61). Après cette période, tout stationnement né-
cessite une autorisation de construire de la part de l’autorité communale, au sens de l’art. 68 let. h
du règlement d’application de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions, du 19 sep-
tembre 1986 (RLATC; RS/VD 700.11.1). Comp. par contre la limite de 20 jours prévue pour les ca-
ravanes par l’art. 39 let. g de la Bauverordnung du canton d’Appenzell-Rhodes extérieures, du 2 dé-
cembre 2003 (RS/AR 721.11), exécutant l’art. 93 al. 2 let. e de la loi cantonal sur die Raumplanung
und das Baurecht, du 12 mai 2003 (RS/AR 721.1). Aucun accord de principe de la part de la com-
mune n’est exigé dans ce cas. On soulignera qu’avant 2003, la limite de stationnement sans autori-
sation de construire se situait à 14 jours dans ce canton ; voir le Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2048
Comp. l’art. 5 al. 1 let. k du Décret bernois concernant la procédure d’octroi du permis de cons-
truire, du 22 mars 1994 (RS/BE 725.1) : l’arrêt de caravanes est possible jusqu’à six mois, avec
l’accord du propriétaire du terrain et de la commune. L’art. 4 de la Campingverordnung du canton
d’Appenzell-Rhodes intérieures, du 12 juin 1973 (RS/AI 1019), autorise pour sa part le « camping »
sur le terrain d’un privé, avec son accord, pendant au plus un mois par an, et sous réserve qu’aucun
intérêt public prépondérant ne s’y oppose. L’art. 71 al. 1 de la loi fribourgeoise sur l’aménagement
du territoire et des constructions, du 19 mai 1983 (RS/FR 710.1), autorise l’implantation de carava-
nes hors d’une zone affectée au camping et caravaning jusqu’à un mois, sous réserve de l’accord de
l’autorité communale (art. 170 al. 2 de la loi cantonale). L’art. 170 al. 3 de la loi permet en outre
aux communes d’interdire ce type de stationnement.
2049
Comp. l’art. 78 let. l de la loi saint-galloise über die Raumplanung und das öffentliche Baurecht, du
6 juin 1972 (RS/SG 731.1) ou encore l’art. 54 al. 2 let. h de la Baugesetz du canton de Schaffhouse,
du 1er décembre 1997 (RS/SH 700.100).
2050
RS/SZ 400.100.
425
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2.3. Appréciation
2051
RS/LU 735.
2052
Comp., en France, la décision du Conseil d’Etat, du 2 décembre 1983, Ville de Lille c. Ackermann.
Les autorités n’ont pas le droit d’interdire le stationnement de caravanes tziganes pour une durée
inférieure au temps minimum nécessaire pour les Tziganes nomades. Lorsque les besoins des Tzi-
ganes nomades ne peuvent être satisfaits en raison d’une durée limitée de stationnement et d’un
nombre de places insuffisant et qu’en outre, il leur est interdit de stationner sur le rester du terri-
toire communal, l’autorité abuse de son pouvoir.
2053
La rentabilité économique d’un stationnement temporaire est atteinte à partir d’un mois ; Rapport
d’expertise 2001, pp. 14 et 17.
426
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1565. Au-delà d’une certaine période, une caravane installée sur un terrain
est assujettie à une autorisation de construire. Il est également nécessaire de
prévoir un régime légal particulier en faveur des caravanes tziganes arrêtées
sur une aire de stationnement durable pour les mois d’hiver.
1566. Les tentes et caravanes de sédentaires ne sont soumises à aucune auto-
risation de construire lorsqu’elles sont installées sur un terrain de camping au-
torisé, et ce quelle que soit la durée de leur présence2058. En conséquence, un
régime similaire mutatis mutandis doit être appliqué aux caravanes tziganes
stationnant durablement sur une aire prévue à cet effet.
1567. Dans le cas contraire, il existe un risque important de discrimination,
puisqu’il nous semble difficile d’avancer des motifs justificatifs démontrant
qu’une telle mesure ne porte pas atteinte à la dignité des Tziganes vivant selon
leur mode de vie traditionnel. De plus, on peut égaleemnt conclure à une iné-
galité de traitement, puisque le fait d’arrêter un camping-car durablement
dans un camping est suffisamment semblable au fait de stationner une cara-
vane tzigane sur une aire qui est destinée à cette minorité pour qu’une diffé-
rence de traitement soit injustifiée.
2054
Voir également les propositions du Rapport d’expertise 2001, p. 45.
2055
L’art. 24 LAT n’entre en effet pas en ligne de compte dès lors que l’on n’est pas en présence d’une
construction ou installation au sens de l’art. 22 LAT et du droit cantonal qui met en œuvre cette dis-
position ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 2. Voir également le Rapport d’expertise 2001, p. 33.
2056
Rapport d’expertise 2001, p. 45.
2057
Infra Section D.
2058
Comp. l’art. 78 let. l a contrario de la loi saint-galloise über die Raumplanung und das öffentliche
Baurecht, du 6 juin 1972 (RS/SG 731.1).
427
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2059
Art. 28 de la loi vaudoise sur les campings et caravanings résidentiels, du 11 septembre 1978
(RS/VD 935.61).
428
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
tion applicable en la matière. Dès lors, après un bref rappel des règles entou-
rant ce type d’usage (4.1.), nous déterminerons de quelle manière il peut
s’appliquer au stationnement temporaire spontané de caravanes tziganes (4.2.).
4.1.1. Notions
2060
HÄFELIN/MÜLLER, p. 496.
2061
HOTTELIER, pp. 123-124 et références ; TRACHSEL, p. 270. ATF 101 Ia 477.
2062
HOTTELIER, pp. 124-125 ; MOOR (vol. 1) 1994, p. 12. SJ 2001 I 557, 561-562.
2063
ATF 107 II 44, 48 Regionalspital St Maria ; ATF 103 II 227, 233-234 Zehtner Armierung.
2064
A. GRISEL, pp. 525-526 ; HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; HOTTELIER, p. 126 ; KNAPP, p. 387.
2065
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497; JAAG, pp. 162-165 ; KNAPP, pp. 393-394. Contra A. GRISEL, p. 543. Comp.
également MOOR (vol. III), p. 324, qui considère que, puisqu’il est nécessaire de faire fonctionner le
patrimoine administratif pour qu’il réponde à son affectation, il ne peut pas être directement utile à
des tierces personnes qui ne cherchent pas à l’employer ordinairement. Dès lors, cet auteur consi-
dère que les règles qui régissent son usage se distinguent de celles concernant le domaine public.
429
La situation juridique des Tziganes en Suisse
à la réalisation des buts initiaux prévus des rues ou des places, et qu’elle ne re-
quiert pas de contrôle ou de surveillance spéciale2066. Reste également dans
l’usage commun la mise à contribution individuelle du domaine public qui
n’emploie pas d’installation particulière2067. Au demeurant, on considère que
l’utilisation du patrimoine administratif est ordinaire lorsqu’elle est conforme
aux objectifs et à l’affectation du bien en cause et aux éventuelles activités qui
y sont réalisées : son utilisation est donc plus restreinte que lorsqu’il s’agit du
domaine public2068. Selon le Tribunal fédéral, les autorités doivent lui donner
la priorité2069.
1577. A l’opposé, l’usage exclusif du domaine public et du patrimoine ad-
ministratif prive, temporairement ou définitivement, les tiers de leur emploi en
faveur de particuliers désignés. L’individu qui en bénéficie se retrouve ainsi
dans la possibilité d’exclure autrui de tout usage de la chose en cause. Dès lors,
l’Etat doit lui octroyer une concession, à des conditions strictement réglemen-
tées2070.
1578. Entre ces deux extrêmes, on conclut à un mode accru d’utilisation du
domaine public lorsqu’une utilisation commune n’est plus possible, ou encore
quand elle va au-delà de l’affectation initiale de la chose et qu’un contrôle po-
licier s’impose, et qu’elle empêche les tiers d’en faire un usage commun ou ex-
clusif2071. De façon analogue, le patrimoine administratif est employé de ma-
nière extraordinaire lorsque des personnes privées s’en servent temporaire-
ment dans un but qui ne correspond pas à son affectation originale2072. Selon la
nature du bien employé, un usage extraordinaire, voire privatif, peut être donc
admis2073, sous réserve toutefois qu’un retour à un usage normal soit garanti
en tout temps2074.
2066
ATF 100 Ia 392, 396 Komitee für Indochina. TRACHSEL, p. 270.
2067
HÄFELIN/MÜLLER, pp. 508-509 ; MALINVERNI (2004), p. 28.
2068
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; JAAG, pp. 162-163.
2069
ATF 127 I 84, 89 P.
2070
HÄFELIN/MÜLLER, pp. 497-498 et 513-515 ; JAAG, pp. 164-165.
2071
ZBl 2006 254, 260 ; ATF 100 Ia 131, 137 Pirovano ; ATF 88 I 18, 24 Verband der Wasserfahrer. HÄ-
FELIN/MÜLLER,
pp. 507-508 ; TRACHSEL, p. 270.
2072
HÄFELIN/MÜLLER, p. 497 ; JAAG, pp. 163-164.
2073
KNAPP, p. 393, distingue ainsi correctement selon nous entre le souhait d’utiliser les locaux de
l’administration pour tenir une réunion n’ayant aucun rapport avec cette dernière, et l’organisation
de cette réunion dans les locaux d’une université.
2074
JAAG, pp. 163-164. Comp. KNAPP, p. 393, qui affirme que « l’utilisation normale des locaux ne doit
pas être perturbée ».
430
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2075
ATF 126 I 133, Stadt Zurich; ATF 124 I 267 Verein gegen Tierfabriken Schweiz. HÄFELIN/MÜLLER, p.
510 ; MALINVERNI (2004), p. 27 ; SAXER, p. 249.
2076
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2. HOTTELIER, p. 130.
2077
ATF 125 I 209, 222 Decaux. Cette clémence du Tribunal fédéral à l’égard des autorités en matière
de légalité reflète une approche du domaine public remise en cause par les développements en ma-
tière d’exercice des droits fondamentaux sur le domaine public, comme nous le constaterons ci-
après.
2078
Arrêt destiné à publication du 18 avril 2006, cause 2P.89/2005, consid. 2.2 ; ATF 130 I 26, 40 Ver-
band Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte, Sektion Zürich ; ATF 126 I 250, 255 A. X. und B. X.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 685. Sur l’historique de l’évolution de la jurisprudence du Tribunal
fédéral en la matière, voir HOTTELIER, pp. 136-140, MALINVERNI (2004), pp. 34-36, et de façon détail-
lée, SAXER, pp. 79-120.
2079
Arrêt destiné à publication du 18 avril 2006, cause 2P.89/2005, consid. 2.2.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 952 ; HOTTELIER, pp. 130-131 et 136 ; MÜLLER (1999), p. 211 ;
TRACHSEL, p. 269.
2080
ATF 126 I 133, 140 Stadt Zurich ; ATF 127 I 164, 167. HÄFELIN/MÜLLER, p. 512.
431
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2081
ATF 127 I 84, 89 P. Voir également ZBl 93/1992 40, 43ss ; Arrêt du 19 mars 1980, Unité juras-
sienne Péry-La Heutte, consid. 3. HÄFELIN/MÜLLER, p. 498.
2082
JAAG, p. 164.
2083
ATF 127 I 84, 89 P. HANGARTNER (2003B), p. 1466 ; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 498 et 510 ; JAAG, pp. 165
2084
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2 ; ATF 127 I 164, 170 Partei der
Arbeit. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 686; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 498 et 511-512 ; JAAG, p. 165.
2085
Arrêt destiné à publication 2P.89/2005, du 18 avril 2006, consid. 2.2 ; ATF 126 I 250, 255 A. X. und
B. X.; ATF 121 I 279, 292 Circus Gasser Olympia. HÄFELIN/MÜLLER, p. 512 ; HOTTELIER, p. 138.
2086
Voir notamment les critiques d’AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 702-704; HÄFELIN/MÜLLER, pp. 509-
510 ; HOTTELIER, p. 139. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une vio-
lation de la liberté de réunion en jugeant que le refus d’octroyer une autorisation pour une réunion
ne se fondait sur aucune base légale ; ACEDH Djavit An, du 20 février 2003, §65-67, CEDH 2003-
III.
2087
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 708.
2088
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 694.
432
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2089
Dans ce sens, ZÜRCHER-BERTHER, p. 19, et de manière indirecte, le Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2090
Comp. ainsi l’ATF 108 Ia 111, 113, où le fait de parquer une voiture toute la nuit ou durant une
grande partie des heures de travail constitue un usage accru du domaine public.
2091
WALDMANN (2003), p. 692.
2092
Dans ce sens, WALDMANN (2003), p. 692 ; WALDMANN (2005), pp. 953 et 959. Voir également GLAUS,
pp. 144-146 ; MARTENET (2003), p. 67 ; RIEDER (1999), p. 169.
433
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2093
SCHEFER, p. 113.
2094
WALDMANN (2003), p. 693, qualifie à juste titre ce type de réglementation de discriminatoire en rai-
son de l’assimilation injustifiée qu’elle opère, du fait qu’elle ne prend pas en considération
l’existence du mode de vie protégé des nomades. Considérant que ce genre de règles n’est pas neu-
tre, il préfère ainsi cette qualification à celle de discrimination indirecte proposée par Andreas RIE-
DER, in : RIEDER (1999), pp. 167-169.
2095
WALDMANN (2005), p. 953.
2096
JAAG, pp. 163-164.
434
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
4.3. Conclusion
2097
Comp. ainsi l’art. 9 du règlement genevois d’exécution de la législation fédérale sur la circulation
routière, du 30 janvier 1989 (RS/GE H 1 05.1) qui interdit le parcage des caravanes sur les places
de parc et les voies publiques d’un certain nombre de communes du canton de Genève pour plus de
24 heures, dimanches et jours fériés non compris.
2098
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section D, 1.2., 2.2. et 3.2.2.
2099
Supra Section 4.1.3.
435
La situation juridique des Tziganes en Suisse
5. Appréciation
436
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1607. Une aire de stationnement constitue une installation qui est soumise à
une autorisation de construire et, dès lors, elle doit en principe se trouver en
zone à bâtir. Pour le Tribunal fédéral, les autorités compétentes doivent pré-
voir des zones appropriées ou adapter les zones à bâtir existantes de manière à
aménager les infrastructures requises2100.
1608. Selon le Tribunal fédéral, en effet, il résulte de l’article 3 al. 3 LAT que
les besoins des Tziganes nomades en matière d’aires de stationnement doivent
être pris en considération par les autorités en charge de l’aménagement du ter-
ritoire2101. Doivent être interprétés dans ce sens aussi bien l’obligation générale
2100
ATF 129 II 321, 327-328 Bittel.
2101
ATF 129 I 321, 327-328 Bittel. WALDMANN (2005), p. 953. Voir également nos développements supra
Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2. Comp., en France, l’interprétation effectuée par le
Conseil d’Etat de la portée de la loi du 31 mai 1990 qui impose aux communes de plus de 5000 ha-
bitants de réserver des terrains permettant le passage et le séjour des Tziganes nomades. Pour le
Conseil d’Etat, cette loi n’a pas le caractère d’une réglementation en matière d’aménagement et
d’urbanisme. En conséquence, l’obligation d’accueil n’est pas opposable aux documents de planifica-
tion et les communes ne doivent pas nécessairement prévoir, lors de leur adoption, modification ou
révision, de terrains réservés à cet effet ; Décision du 12 décembre 1997, Ehrard et autres. Toute-
fois, aussi longtemps qu’un département ne possède pas de schéma départemental d’accueil ap-
prouvé au sens de l’art. 1er de cette loi, une commune de plus de 5000 habitants demeure dans
l’obligation de réserver des terrains aménagés à cet effet ; Décision du 10 décembre 2001, Com-
mune de Saint-Jean-de-Lurz c. M. Menschel et al.. En effet, comme le confirme la première chambre
civile de la Cour de Cassation, en droit français, « le droit à l’accueil des Gens du Voyage dans les
communes de plus de 5000 habitants est l’adaptation à cette population particulière du droit au lo-
gement, consacré principe général du droit par la constitution et mis en œuvre par une loi particu-
lière d’ordre public » ; arrêt du 7 novembre 1995, Ville de Grenoble c. consorts Vicedomini-Duverts.
437
La situation juridique des Tziganes en Suisse
de planification (art. 2 LAT), que les plans directeurs cantonaux (art. 6ss LAT),
ou encore les plans d’affectation (art. 14ss LAT)2102.
1609. Selon la jurisprudence, il est en principe exclu d’appliquer la procé-
dure d’autorisation dérogatoire au sens des articles 24ss LAT à des caravanes
installées durablement sur un terrain non constructible2103. Le Tribunal fédéral
considère que la création d’une aire de stationnement s’inscrit dans le cadre de
l’obligation spéciale de planifier à charge des autorités face à certains types de
constructions et installations2104. La voie de la planification est donc en prin-
cipe la procédure à suivre pour créer et aménager de nouvelles aires de sta-
tionnement2105.
1610. Dès lors, il s’agit de déterminer de quelle manière les droits fondamen-
taux des Tziganes peuvent être intégrés par les autorités à chaque étape de
cette procédure afin de créer des aires de stationnement dans la zone à bâtir
(1.). Puis, nous analyserons le cadre juridique entourant le stationnement des
caravanes sur ces aires (2.). Enfin, nous identifierons les obstacles qui expli-
quent les difficultés constatées pour parvenir à la création d’aires par le biais
de la procédure de planification (3.). Malgré la position du Tribunal fédéral,
nous examinerons ultérieurement si, et à quelles conditions, il est envisageable
d’en aménager hors d’une zone constructible2106.
1611. A ce jour, deux cantons ont édicté une disposition constitutionnelle to-
pique engageant les autorités cantonales et communales compétentes à trouver
des solutions pour l’arrêt des Tziganes nomades sur leur territoire. Ainsi,
l’article 109 Cst./BL prévoit que « Kanton und Gemeinden helfen Fahrenden bei der
Suche nach Standplätzen», et l’article 48 Cst./AG dispose que «der Kanton kann
in Zusammenarbeit mit den Gemeinden nicht-sesshaften ethnischen Minderheiten
geeignete Örtlichkeiten für einen befristeten Aufenthalt zur Verfügung stellen».
1612. La norme argovienne est plus restrictive que la disposition bâloise,
puisque la coopération entre canton et communes n’est prévue que pour les
places destinées aux arrêts temporaires. Le constituant argovien donne la pos-
sibilité aux autorités compétentes de garantir juridiquement le séjour de courte
durée aux Tziganes, en leur conférant l’obligation d’agir pour développer des
2102
HANGARTNER (2003b), p. 1466.
2103
Voir toutefois nos développements infra Section D.
2104
ATF 129 II 321, 328 Bittel. Comp. ATF 115 Ib 148, 150 Bäretswil. B RANDT/MOOR (art. 18), N. 131-
132 ; MOOR (art. 14), N. 84.
2105
Dans ce sens, voir notamment le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.
2106
Infra Section D.
438
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2107
BO/AG du 17 mars 1998, pp. 765-766. EICHENBERGER, pp. 169-170.
2108
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12 ; Rapport d’expertise 2001, p. 29ss ; SEIDEL, p. 56. Voir
également le Rapport de la Commission de l’aménagement du canton de Zoug, du 29 octobre 2003,
pp. 5 et 17. Comp. le projet initial qui prévoyait pour sa part « Der Kanton und die Gemeinden si-
chern gemeinsam die Standplätze für die Fahrenden und schaffen mindestens einen Durchgangs-
platz. »
2109
BO/FR du 25 mars 2003, p. 394. Voir l’art. 37 de la loi cantonale sur l’aménagement du territoire et
des constructions, du 9 mai 1983 (LATeC ; RS/FR 710.1).
2110
Rapport n°139 du 14 juin 2004 du Conseil d’Etat fribourgeois au Grand Conseil sur le postulat
n°216.02 Antoinette B ADOUD concernant le stationnement des gens du voyage.
2111
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, p. 35 ; WALDMANN (2004), p. 957.
439
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2112
Rapport d’expertise 2001, p. 62. Comp. la position de RUCH par rapport à l’intérêt du plan directeur
en matière de liberté religieuse ; RUCH (2005B), p. 546.
2113
Comp. la situation dans la ville de Wil (SG) : Deux familles de Tziganes suisses avaient établi leur
résidence d’hiver depuis 1977 dans cette ville. L’aire de stationnement de la première famille se
trouvait depuis près de trente ans en zone agricole. Le lieu de stationnement de la seconde avait dû
être modifié plusieurs fois au fil des ans en raison de projets de construction sur les terrains qu’elle
avait successivement occupés. La dernière parcelle mise à disposition par les autorités se trouvait
en zone industrielle, et l’autorisation dérogatoire qui permettait leur stationnement était destinée à
arriver à échéance le 1er août 2006. Le plan directeur de Saint-Gall exigeant que les autorités trou-
vent des solutions, le canton a endossé une fonction de coordination et a assumé les coûts décou-
lant de l’aménagement des places. Les autorités communales ont finalement décidé de classer les
deux parcelles utilisées à l’heure actuelle afin de rendre le stationnement conforme à la zone. Com-
muniqué de presse de la ville de Wil, du 13 juillet 2005, http://wap.stadtwil.ch/news [consulté le 8
août 2006].
2114
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.
2115
Voir ainsi la position du canton du Jura, BO/JU du 19 mai 2004, p. 303.
440
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2116
Art. 5 al. 2 let. a OAT. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 112.
2117
Rapport d’expertise 2001, p. 54 ; WALDMANN (2005), p. 954. Voir également supra Section B, 2.
2118
Le fait que la constitution fédérale n’octroie aucune compétence à la Confédération pour régler spé-
cifiquement la question de l’aménagement de places pour les Tziganes suisses a pour effet que les
plans sectoriels et les conceptions qu’elle est habilitée à adopter ne peuvent intégrer ce facteur ;
Rapport d’expertise 2001, p. 35.
2119
Dans ce sens, WALDMANN (2004), p. 957. A titre d’exemples, voir le Rapport d’examen du plan direc-
teur du canton de Saint-Gall du 3 décembre 2002, p. 9, le Rapport d’examen du plan directeur du
canton de Berne du 19 mai 2003, p. 15, ou encore le Rapport d’examen du plan directeur du canton
de Zoug du 11 avril 2005, p. 12, présentés par l’Office fédéral du développement territorial. Ces
rapports de synthèse sont élaborés sur la base de l’art. 10 al. 2 OAT et sont soumis ensuite au
Conseil fédéral, dont la décision n’est pas susceptible de recours ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 120.
2120
Dans ce sens, Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20 ; Rapport d’expertise 2001, p. 61.
441
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2121
FF 2003 458 (dans la version allemande de la Feuille fédérale uniquement). WALDMANN (2004), p.
957.
2122
Se fondant sur l’art. 8 OAT, cet office a ainsi publié Le plan directeur cantonal, Guide de la planifica-
tion directrice, Berne 1997.
2123
Avant-projet de rapport, Partie II, p. 20 ; Rapports d’experts 2001, p. 61.
2124
BO/FR du 25 mars 2003, p. 395. WALDMANN (2004), p. 957.
2125
ATF 129 II 321, 328 Bittel ; SJ 2005 I 529, 534-535.
442
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2126
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2. et Chapitre II, Section B, 4.
2127
ATF 129 II 321, Bittel.
2128
RUCH (2005b), pp. 546-547.
2129
Supra Section 1.2.
2130
WALDMANN (2004), p. 957. Comp. ainsi l’art. 25 de la loi cantonale fribourgeoise sur l’aménagement
du territoire et les constructions, du 9 mai 1983 (RS/FR 710.1), qui autorise le département canto-
nal compétent à établir des plans d’affectation cantonaux pour atteindre un certain nombre
d’objectifs, lorsque la réalisation de ces buts ne peut être atteinte par la voie des plans d’affectation
communaux.
443
La situation juridique des Tziganes en Suisse
d’un projet déterminé, ce type de plan offre des perspectives plus précises que
le plan directeur quant à leur réalisation effective.
1635. Les rapports d’expertise indiquent qu’actuellement les aires de séjour
et de transit existantes sont situées dans tous les types de zones2131. Or, une
majorité de ces aires ne sont pas conformes aux zones dans lesquelles elles se
trouvent en raison du mode de vie tzigane qui fait des caravanes tant un lieu
d’habitation qu’un lieu de travail.
1636. En effet, les zones destinées exclusivement à l’habitation sont exclues
du fait des immissions sonores causées par les activités économiques des Tzi-
ganes. De même, les zones industrielles posent un problème eu égard aux nui-
sances que subiraient les occupants de caravanes stationnant dans une aire qui
y serait aménagée. En outre, les Tziganes n’utilisant pas leurs caravanes pour
camper et se délasser, mais pour y vivre et travailler, les zones de camping et
de délassement ne sont pas non plus adaptées, puisque seules les construc-
tions conformes à ces buts peuvent y être autorisées selon la procédure ordi-
naire de l’article 22 LAT2132.
1637. Ce type de zone n’étant pas principalement consacré à l’implantation
d’habitations, mais à la préservation de la nature et du paysage, aucune aire
destinée à accueillir les Tziganes nomades ne peut y être aménagée, dès lors
que les caravanes ne constituent pas des constructions nécessaires aux activités
de loisirs des sédentaires. Dans ce contexte, l’obtention d’une autorisation dé-
rogatoire au sens des articles 24ss LAT demeure réservée2133.
1638. Une zone mixte d’habitation et d’artisanat peut s’avérer pertinente
puisque les perturbations générées par l’activité des Tziganes, bien
qu’existantes, n’en demeurent pas moins limitées2134. De même, les autorités
peuvent employer la zone de bâtiments et aménagements publics destinée à
accueillir des constructions d’utilité publique dans la zone à bâtir2135. Enfin,
2131
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12. Le Rapport d’expertise de 2001 indique par exemple que
les emplacements permanents qui existent actuellement sont situés pour certains dans la zone spé-
ciale destinée à l’aéroport, en zone de détente, ou encore en zone d’exploitation forestière, tandis
que les aires de transit se retrouvent en zone agricole ou encore dans la zone réservée à des bâti-
ments et aménagements publics ; Rapport d’expertise 2001, pp. 20 et 22 ainsi que 26-27.
2132
WALDMANN/HÄNNI (art. 22), N. 53.
2133
ATF 118 Ib 503, 506-507Thalwil. BRANDT/MOOR (art. 18), N. 11 et 48 ; Rapport d’expertise 2001, p.
36. Voir également infra Section D.
2134
Au sujet de ce type de zone, voir WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 11. Comp. également WALD-
MANN/HÄNNI (art. 22), N. 37-38, au sujet des constructions autorisées dans les zones mixtes.
2135
Rapport d’expertise 2001, pp. 36-37. Au sujet de ce type de zone, voir BRANDT/MOOR (art. 18), N.
21 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 18), N. 19-20. Comp. la situation dans le canton de Genève : tous les
projets développés par les autorités cantonales et communales ont trait au déplacement de l’aire de
stationnement permanent existant depuis 1966 sur le terrain du Molard, dans la commune de Ver-
soix. En effet, ce dernier étant considéré comme impropre à cette fonction du fait de son exiguïté,
des difficultés d’accès et de son insalubrité, la commune de Versoix et le canton de Genève ont ten-
té depuis 1986 de trouver une alternative offrant des conditions de vie acceptables. Après seize
échec, le législateur genevois a adopté, le 16 mai 2003, la loi n°8836 modifiant les limites de zones
de la commune de Versoix, en créant au lieu dit « La Bécassière » deux zones, une première « zone
444
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
4B affectée à l’habitation des forains et des gens du voyage » et deuxième rattachée à la catégorie
des « zones des bois et forêts ». Les deux périmètres en question étaient auparavant inclus dans la
zone agricole du plan général d’affectation genevois. Affectée uniquement aux caravanes
d’habitation, cette nouvelle zone 4B présente la particularité d’être exclusivement destinée au relo-
gement des forains et Tziganes se trouvant sur le terrain du Molard. Tant la réalisation de
l’emplacement lui-même que des installations annexes qui permettent de l’aménager sont, en outre,
déclarées d’utilité publique, permettant par ce biais l’acquisition, par voie d’expropriation, des im-
meubles et des droits nécessaires à leur réalisation ; art. 1 al. 2 et 3 de la loi n° 8836 ; SJ 2005 I
529, 530 ; Rapport de la Commission d’aménagement du canton relatif au projet de loi PL8836-A du
29 avril 2003, p. 2.
2136
Voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12 ; Rapport d’expertise 2001, p. 37.
2137
BO/AG du 18 novembre 2003, p. 2520.
2138
Communiqué de presse de la Direction des constructions et de la protection de l’environnement du
canton de Bâle-Campagne du 20 avril 2004 : le canton a adopté une « Zone spéciale pour les Tzi-
ganes ».
2139
L’art. 23 LAT ne suffit pas, en soi, pour fonder une prétention visant à l’octroi d’une telle autorisa-
tion ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 256.
2140
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 256-257.
2141
Infra Section 1.3. A ce sujet, voir WALDMANN (2004), p. 959. Comp. RUCH (2005b), p. 554, au sujet
de la possibilité d’obtenir, sur la base de la liberté religieuse, une dérogation à la conformité de la
zone, dans une zone à bâtir, pour des constructions cultuelles lorsque le plan de zones ne prévoit
rien à leur égard.
445
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2142
SJ 2005 529, 541.
2143
Rapport d’expertise 2001, pp. 14 et 17.
2144
Memorandum MG-S-ROM (2000) 3 ; SIEDEL, p. 56. Dans ce sens également, Rapport d’expertise
2001, p. 16.
2145
Rapport d’expertise 2001, p. 19.
2146
SJ 2005 I 529, 540.
446
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1647. Selon la doctrine, il n’est pas possible de déduire des droits fondamen-
taux un droit justiciable permettant d’exiger des autorités qu’elles adoptent un
plan d’affectation comprenant des mesures spécifiques2147. Ainsi, pour Bern-
hard WALDMANN, le propriétaire tzigane d’une parcelle inadaptée pour le sta-
tionnement de caravanes ne peut pas exiger des autorités qu’elle soit classée
de manière à la rendre conforme au droit2148. A notre sens, cette affirmation
mérite toutefois d’être nuancée, au regard de la légitimité des propriétaires
fonciers de demander, dans certaines circonstances, à ce que le plan
d’affectation de leur terrain soit révisé.
1648. En effet, dans son arrêt Bittel, le Tribunal fédéral a jugé qu’en toute
hypothèse, la parcelle du recourant ne pouvait pas être employée pour faire
stationner des caravanes du fait des impératifs découlant de la législation fédé-
rale en matière de protection des eaux et des forêts2149. Se fondant sur ce cons-
tat, le Tribunal fédéral a affirmé qu’il était « exclu de régulariser la situation du
recourant moyennant l’adoption préalable d’un plan d’affectation »2150. A
contrario, il semble possible de considérer que, dans d’autres circonstances, il
aurait été envisageable d’examiner la question de la régularisation a posteriori,
par le biais d’une planification adéquate, de la situation du recourant.
1649. Une telle démarche va certes à l’encontre des principes de la force
obligatoire des plans, qui limite la faculté d’usage du propriétaire découlant de
son droit de propriété2151, et de leur stabilité, synonyme de sécurité juridique,
qui sont consacrés à l’article 21 al. 1 LAT2152. L’article 21 al. 2 LAT pose toute-
fois en contrepoint le principe de l’adaptation obligatoire des plans lorsque les
circonstances se sont sensiblement modifiées et qu’une révision s’avère néces-
saire2153.
1650. Dès lors, bien qu’en principe le plan d’affectation ne puisse être atta-
qué que par la voie d’un contrôle direct, le Tribunal fédéral admet son contrôle
préjudiciel dans certaines circonstances2154. Or, la loi n’octroie aux particuliers
aucun droit d’initiative pour réviser un plan : le droit cantonal ou communal
confère cette faculté aux autorités, la population étant cependant parfois légi-
timée à lancer une pétition ou une initiative populaire.
2147
HÄNNI (2002), p. 510 ; RIEDER (1999), pp. 172-173 ; WALDMANN (2004), p. 958. Comp. également
mutatis mutandis KIENER/KUHN, pp. 636 et 643.
2148
WALDMANN (2004), p. 958.
2149
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2150
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2151
TANQUEREL (art. 21), N. 10 et 18.
2152
TANQUEREL (art. 21), N. 12-13.
2153
TANQUEREL (art. 21), N. 14 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 13-14.
2154
ATF 127 I 103, 106 Lausen, ATF 120 Ia 227, 233 Pully, ATF 106 Ia 383, 385-386 Zuoz. TANQUEREL
(art. 21), N. 25-26 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 23 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.
447
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1651. Cette ouverture vers le contrôle incident du plan a donc pour effet de
consacrer, par voie jurisprudentielle, un droit d’initiative en faveur des parti-
culiers pour lancer la procédure de révision2155. Un propriétaire foncier est no-
tamment légitimé à requérir la révision du plan applicable à sa parcelle lors-
que l’on constate une évolution « sensible » des circonstances ou une modifica-
tion des dispositions légales2156. Dans ce cas, plusieurs facteurs doivent être
pris en considération.
1652. Le degré de l’atteinte portée aux intérêts en présence est un critère im-
portant2157. Les changements de comportements et l’apparition de nouveaux
besoins, notamment en matière de logement, qui n’avaient pas été intégrés au
moment de la planification, pèsent aussi dans la balance2158. Les principes gé-
néraux de l’aménagement du territoire découlant de l’article 3 LAT constituent
également des motifs importants justifiant la révision d’un plan2159.
1653. Lorsqu’ils sont significatifs, ces changements ont pour effet que le plan
d’affectation relatif à une parcelle ne poursuit plus d’intérêt public2160. C’est
donc bien le défaut d’intérêt public, l’une des conditions exigées par l’article 36
Cst. pour légitimer l’atteinte à la garantie de la propriété, qui justifie cette re-
quête opposée au principe de la stabilité des plans2161. On rappellera qu’en
tant que mesure portant atteinte à un ou plusieurs droits fondamentaux, un
plan d’affectation doit également respecter le principe de proportionnalité
sous peine de violer les droits fondamentaux atteints2162.
1654. Au regard des différents droits fondamentaux concernés par la possi-
bilité de créer une aire de stationnement, la nécessité de réviser un plan peut
s’avérer d’autant plus nécessaire pour un propriétaire tzigane. La précarité
particulière des conditions de vie de la minorité tzigane en Suisse, ainsi que les
exigences découlant du droit des minorités, sont des facteurs oeuvrant en fa-
veur d’une ouverture vers une régularisation a posteriori d’une aire créée en
violation avec la conformité de la zone.
1655. En effet, l’intérêt public reconnu à la protection de la minorité tzigane
par le biais du respect des besoins minimaux de ses membres, ainsi que le res-
pect de la proportionnalité, qui exige d’analyser l’impact particulier d’une me-
2155
TANQUEREL (art. 21), N. 52-53 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 22 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.
2156
L’adoption de nouvelles normes ou une modification de la jurisprudence exigent de procéder à une
révision ; TANQUEREL (art. 21), N. 38; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 15.
2157
TANQUEREL (art. 21), N. 34.
2158
ATF 124 II 391, 396 Ersigen. TANQUEREL (art. 21), N. 35 et N. 44.
2159
WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 20, et références jurisprudentielles à la note 54.
2160
ATF 121 II 317, 345, Aéroport de Cointrin; ATF 120 Ia 227, 231-233, Pully. TANQUEREL (art. 21), N.
26; WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 16 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 187.
2161
A ce sujet, ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 182-184.
2162
WALDMANN/HÄNNI (art. 21), N. 8.
448
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
sure de planification sur la situation concrète d’un individu, au regard des cir-
constances d’espèce, s’imposent aux autorités et doivent être pris en compte.
1656. Ces critères sont renforcés par le fait que ce n’est que depuis l’arrêt Bit-
tel de 2003 que la LAT est interprétée en faveur de l’intégration des besoins des
Tziganes lors de l’aménagement du territoire. En conséquence, l’écrasante ma-
jorité des politiques d’aménagement du territoire en Suisse n’a pas encore pris
en considération cet intérêt et nous pourrons constater ci-après qu’il existe de
nombreux obstacles s’opposant à une amélioration rapide de la situation2163.
1657. Les développements récents de la jurisprudence fédérale et de la poli-
tique des autorités à l’égard de la minorité tzigane et de ses besoins constituent
une « évolution sensible des circonstances ». Ce constat devrait permettre à un
propriétaire foncier tzigane de requérir des autorités, de manière incidente,
qu’elles envisagent la modification du plan d’affectation qui touche sa parcelle.
En soi, cette ouverture ne signifie pas nécessairement que le particulier obtien-
dra ce qu’il souhaite, puisque les conditions légales devront être remplies. Par
exemple, si la parcelle se trouve hors d’une zone à bâtir, le respect des exigen-
ces matérielles de l’article 24 LAT devra être assuré pour que la révision soit
envisageable2164.
1658. Sans pour autant garantir de résultat inconditionnel aux propriétaires
privés tziganes ayant acquis un terrain non constructible pour y aménager une
aire durable de stationnement, cette ouverture vers le contrôle indirect du plan
d’affectation présente l’intérêt incontestable de contraindre les autorités à se
préoccuper de la problématique de la création d’aires en nombre et qualité suf-
fisants. La pesée des intérêts qui s’imposera dans ce contexte permettra de
prendre en considération les impératifs découlant des droits fondamentaux et
il n’est pas exclu qu’elle conduise à une régularisation du cas d’espèce.
2163
Infra Section 3.
2164
TANQUEREL (art. 21), N. 50. Voir également supra, Section A, 3.2.2., a et infra Section D, 2.1.
2165
WALDMANN (2004), p. 959.
2166
HÄNNI (2002), pp. 191-192 ; RUCH (2005b), p. 559 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 227.
449
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1662. Lorsqu’une aire a été aménagée dans une zone adaptée, la question du
stationnement de caravanes ne se pose pas sous l’angle de sa légitimité, mais
sous celui des conditions entourant l’utilisation des aires. Au regard des garan-
ties conférées par les droits fondamentaux, il sied de déterminer s’il est accep-
table d’exiger une autorisation pour leur utilisation (2.1.), ainsi que les critères
qualitatifs qu’elles doivent offrir (2.2.).
1663. Nous avons d’ores et déjà établi que des caravanes stationnant
temporairement ne devaient pas être assujetties à un permis de construire, que
cela soit à l’intérieur ou hors d’une aire de stationnement2171. De même, nous
avons expliqué pourquoi nous jugeons problématique d’exiger une
autorisation de construire pour un stationnement durable, durant les mois
2167
HÄNNI (2002), pp. 193-194 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 228.
2168
WALDMANN (2003), p. 697 ; WALDMANN (2004), p. 959.
2169
HÄNNI (2002), p. 192 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 19), N. 30-31; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 256. La
notion d’équipement est une notion de droit fédéral, au sens de l’art. 19 al. 1 LAT. Cette disposition
qualifie un terrain d’équipé lorsque des voies d’accès qui le desservent sont adaptées à son utilisa-
tion prévue, et qu’aucun frais disproportionné ne doit être engagé pour l’alimenter en eau, en éner-
gie et pour évacuer les eaux usées ; WALDMANN/HÄNNI (art. 19), N. 18-28 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, pp. 317-319 et 322-324.
2170
L’équipement de la parcelle est une condition d’affectation d’un terrain en zone à bâtir, ainsi qu’une
condition d’octroi de l’autorisation de construire; ZEN-RUFFINEN (2005), p. 790 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-
ECABERT, pp. 317-335.
2171
Supra Section B, 2.
450
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
construire pour un stationnement durable, durant les mois d’hiver, sur une
aire destinée à cet effet2172. Nous examinons ci-dessous s’il est envisageable
d’exiger une autorisation dite « de camping ».
1664. Lorsque l’aire de stationnement est une place gérée par l’Etat, il est ac-
ceptable de prévoir un règlement d’utilisation, précisant par exemple les
conditions et les tarifs pour occuper les places. Appartenant au patrimoine
administratif de l’Etat, il est normal que des règles définissant l’usage normal
de ce type d’équipement public soient posées et respectées.
1665. Dans ce cadre, on peut admettre l’obligation de payer une taxe, ainsi
qu’un devoir de s’annoncer à l’autorité chargée de ces aires, dans une optique
de gestion optimale des ressources à disposition. Il importe que seuls des critè-
res liés à une gestion correcte des ressources à disposition soient pris en
compte, à l’exclusion de toute exigence supplémentaire qui aurait un effet di-
rectement ou indirectement vexatoire.
1666. Le principe d’égalité de traitement exige que les normes réglementant
l’usage de ces lieux soient spécifiques à l’égard du mode de vie minoritaire
tzigane. Ainsi, il n’est pas justifié que l’on y applique sans autres les règles va-
lables dans les campings à l’égard des sédentaires passant des vacances en ca-
ravanes, ni celles encadrant le stationnement de caravanes hors d’un site de
camping.
1667. En 2001, le Conseil d’Etat vaudois a édicté un arrêté destiné à créer en
urgence une aire de stationnement temporaire. Ce projet n’a toutefois pas vu le
jour, pour des raisons que nous examinerons ultérieurement2173. Cette tenta-
tive avortée est cependant intéressante car elle illustre, à notre sens, les pro-
blèmes qui surgissent lorsque aucune réglementation spécifiquement adaptée
au stationnement de caravanes tziganes n’existe.
1668. En effet, du fait que le droit vaudois ne traite le stationnement de cara-
vanes que sous l’angle du camping de sédentaires, il était prévu que le station-
nement des Tziganes nomades sur le projet d’aire soit soumis aux règles en vi-
gueur pour le camping hors des sites prévus à cet effet2174. A teneur de l’article
27 al. 1 de la loi vaudoise sur le camping-caravaning résidentiel, du 11 sep-
tembre 19782175, « le camping occasionnel, hors des places autorisées, n'est
permis qu'avec l'assentiment du propriétaire du fonds ou, le cas échéant, du
fermier ou du locataire. Pour une durée de plus de 4 jours, l'autorisation de la
commune est requise. »
1669. D’autres cantons connaissent également ce régime. A titre d’exemples,
l’article 2 de la Campingverordnung du canton d’Appenzell-Rhodes Intérieures,
2172
Supra Section B, 3.
2173
Infra Section D, 1.2.
2174
Voir également le quotidien La Cote, du 31 mai 2001.
2175
RS/VD 935.61.
451
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2176
RS/AI 1019.
2177
RS/UR 70.2331.
2178
RS/FR 710.1.
2179
Supra Section 1.2.2.
2180
Au sujet des notions de discrimination directe et indirecte, voir supra Titre Troisième, Chapitre II,
Section A, 2.2.2.
452
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2181
Les autorités ont toutefois le droit de veiller à ce que l’arrêt sur une aire de transit ne soit pas si
long qu’il devienne permanent.
2182
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.2.
453
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2183
Rapport d’expertise 2001, pp. 23-24.
2184
Rapport d’expertise 2001, pp. 22-23.
2185
Le Rapport d’expertise indique ainsi que parmi les aires existant d’ores et déjà, près d’une place de
transit sur cinq n’est disponible que sur demande et qu’elle est autrement utilisée à d’autres fins ;
Rapport d’expertise 2001, p. 23.
2186
Rapport d’expertise 2001, p. 21.
2187
Infra Chapitre IV.
454
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1686. Les difficultés pour adopter des plans d’affectation sont de nature fi-
nancière, premièrement, car en raison de la répartition des compétences opérée
généralement par le droit cantonal, la création d’aires d’accueil relève de la
responsabilité des communes. Or, celles-ci estiment pour leur part que de tels
aménagements – et les coûts y relatifs – sont des tâches appartenant au can-
ton2189. Elles affirment être démunies lorsqu’elles sont confrontées à la situa-
tion et en appellent au canton pour agir, en équipant le territoire cantonal2190.
1687. Les obstacles sont aussi juridiques, car pouvant faire l’objet d’une op-
position, puis d’un recours, de la part de tout particulier pouvant démontrer
l’existence d’un intérêt digne de protection, la réalisation de ce type de plans
est mise en échec, ou tout du moins retardée2191. On rappellera, par ailleurs,
que quand le droit cantonal le permet, lorsque le canton décide d’adopter un
plan d’affectation en se substituant à une commune, ou quand il crée lui-même
une zone spécifique, les communes ont également qualité pour s’opposer2192.
2188
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2189
BO/FR du 25 mars 2003, p. 369 ; BO/JU du 19 mai 2004, p. 302.
2190
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 368-369.
2191
A titre d’exemple, voir le recours de droit administratif déposé par des riverains contre la loi n° 8836
adoptée le 16 mai 2003 par le Grand Conseil genevois modifiant les limites de zones du territoire de
la commune de Versoix pour créer une zone 4B affectée au stationnement des Tziganes nomades.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours ; SJ 2005 529.
2192
Supra Section A, 3.1.2., c.
455
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1690. Les difficultés les plus importantes pour parvenir à l’approbation des
plans d’affectation créant des places de stationnement surgissent lorsque le
droit applicable prévoit la participation du peuple pour l’adoption des plans
nécessaires2197. Dans ce cadre, le peuple n’exprime pas sa volonté politique,
d’une manière libre, mais agit en tant qu’organe de l’Etat, dans le contexte
d’une procédure administrative et des règles applicables en la matière2198.
L’approbation électorale ne modifie pas la place hiérarchique de l’acte adopté.
L’ensemble du droit supérieur, y compris les droits fondamentaux, doit être
respecté et la liberté de vote ne légitime pas le résultat d’un scrutin contraire à
ces garanties2199.
1691. Or, les débats touchant aux naturalisations ordinaires par le biais des
urnes ont illustré les difficultés pouvant surgir lorsque le souverain s’exprime
en tant qu’autorité administrative et que des droits fondamentaux individuels
2193
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2194
Rapport d’expertise 2001, p. 32. Plus spécifiquement, dans le canton de Bâle-Campagne, voir le
communiqué de presse de la Direction des constructions et de la protection de l’environnement, du
20 avril 2004. Dans le canton de Genève, sur quarante-cinq communes consultées par le canton
pour créer une aire de stationnement, quarante-trois ont répondu non, puis une s’est rétractée pour
des raisons économiques car une industrie de luxe refusait la proximité de caravanes tziganes.
Seule la commune de Versoix a accepté ; voir le MGC, séance du 16 mars 2000, interpellation IU
828 MEYLL. Pour le canton de Fribourg, voir également le quotidien La Gruyère, du 24 novembre
2005.
2195
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.2.
2196
Rapport d’expertise 2001, p. 32.
2197
BO/AG du 19 mars 1998, p. 766 ; OFJ (2001), p. 361.
2198
ATF 129 I 232, 240 Zürich. Voir également AUER/VON ARX, pp. 924-925; OFJ (2004), p. 1066 ; WALD-
MANN (2003), pp. 449-455.
2199
ATF 129 I 217, 224-227 Emmen, ATF 129 I 232, 240, 247, Zürich. TANQUEREL (2006), pp. 562-563.
456
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2200
Sur cette notion, voir supra Titre Troisième, Chapitre II, Section A, 2.2.2.
2201
AUER/VON ARX, pp. 927-928 ; TANQUEREL (2006), p. 564.
2202
AUER/VON ARX, pp. 927-928; OFJ (2004), p. 1065 ; OFJ (2001), pp. 368-369. Pour une critique de
cette dichotomie et de ses effets sur la démocratie directe, voir HANGARTNER (2004), p. 14.
2203
WALDMANN (2004), p. 956.
2204
On relèvera, à cet égard, qu’en raison de la précision de ce type de projet, son adoption ou son re-
fus est qualifié de décision; RDAF 1995, p. 88. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 124-125 et 676.
2205
HANGARTNER (2004), p. 14 ; TANQUEREL (2006), p. 565. Voir également NÜSSLE, p. 231-232. Comp.
toutefois l’avis de droit de l’OFJ qui estime que lors de l’adoption d’un acte de planification, aucun
individu n’est atteint directement dans sa situation juridique; OFJ (2004), p. 1074.
457
La situation juridique des Tziganes en Suisse
cilement discutable. Dans le cas plus courant où le projet de plan concerne une
aire créée et gérée par les autorités, nous constaterons ci-après que tout Tzi-
gane nomade peut être qualifié de « tiers intéressé » à l’adoption d’un plan
d’affectation, général ou spécial, puisqu’il porte sur la création d’un lieu de
stationnement qu’il pourrait utiliser lors de ses déplacements2206. Certes, cette
situation concerne un groupe de personnes, et non pas quelques particuliers
isolés et indentifiables individuellement. Toutefois, on constate que, dans ce
cadre bien particulier, le cercle de personnes concernées est large, entre 2'500 et
3'000 personnes, mais demeure toutefois limité, défini et identifiable.
1696. Cette hypothèse se trouve à mi-chemin entre une situation strictement
individuelle, lorsque le projet touche le terrain d’un propriétaire privé, et une
situation véritablement générale, où un nombre indéterminé de personnes non
identifiables est concerné par la mesure de planification. Elle se distingue par
rapport à la modification d’un plan d’affectation général portant sur la créa-
tion d’une zone de délassement, ou encore à l’adoption d’un plan d’affectation
spécial prévoyant un terrain de camping. En effet, dans ces cas, un nombre in-
connu de sédentaires en vacances sont potentiellement intéressés par le projet
d’aménagement, ce qui lui confère un caractère général incontestable. Lorsque
l’on projette la création d’une aire de stationnement de caravanes tziganes, ce
n’est pas l’ensemble du corps électoral qui voit sa situation juridique particu-
lièrement affectée par le refus ou l’acceptation du plan, mais bien les membres
d’une certaine minorité2207.
2206
Voir infra Section E, 2.2.
2207
Comp. AUER/VON ARX, p. 928.
2208
WALDMANN (2003), pp. 448-449 notamment ; WALDMANN (2004), p. 955. Voir également HANGART-
NER/KLEY, NN. 335ss.
2209
WALDMANN (2003), p. 449 ; WALDMANN (2004), p. 955.
458
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1699. En se focalisant sur des exigences statistiques pour conclure à une dis-
crimination systématique, l’approche de cet auteur est trop restrictive, à notre
sens. Elle ne prend pas suffisamment en considération le fait que la mise en
œuvre d’autres droits fondamentaux individuels dépendent du résultat positif
de ces référendums populaires.
1700. Plus important encore, le droit des minorités impose que les personnes
appartenant à une minorité au sens du droit international puissent jouir de
leur identité culturelle et, par ricochet, que la survie du groupe lui-même ne
soit pas remise en cause. Ces obligations ne permettent pas d’attendre que l’on
soit parvenu à un certain seuil statistique de refus systématiques pour évaluer
s’il devient nécessaire d’agir pour trouver une solution alliant nécessité de
planification et protection de l’identité culturelle minoritaire tzigane.
1701. On peut se demander si le critère de la statistique est tout simplement
réaliste : il sous-entend qu’un nombre important de projets de planification
soient entrepris et lancés par les autorités communales. Or, la réalité politique
veut que les autorités communales refusent d’entreprendre des démarches, car
elles anticipent l’opposition de la population, ou abandonnent toute tentative
après avoir essuyé un premier échec populaire, ou alors attendent plusieurs
années avant de recommencer. Cet état de fait a pour conséquence que ce fac-
teur n’est pas utilisable à notre sens.
1702. Le critère statistique fondé uniquement sur le résultat des votations
nous semble en outre trop formaliste. De plus, cela revient à négliger le fait
que l’existence de statistiques n’est que l’un des moyens pour mettre en lu-
mière les inégalités significatives subies par les membres d’un groupe spécifi-
quement protégé. En effet, leur notoriété ou l’expérience générale de la vie
permettant également de les rendre vraisemblables2210.
1703. En l’occurrence, on peut considérer comme étant de notoriété publique
que les Tziganes sont discriminés au sein de la population sédentaire et qu’une
majorité de cette dernière ne voit pas d’un bon œil la création de places de sta-
tionnement dans son voisinage. L’existence d’un contexte discriminatoire est
d’ores et déjà avérée à leur égard2211.
2210
ATF 125 I 71, 80, Section bernoise de l'Association professionnelle suisse des infirmières et infir-
miers ; ATF 124 II 409, 428, Maya Alincic et consorts.
2211
Dans ce sens, voir l’avis de droit de l’OFJ (2001), p. 361 ; MARTENET (2003), p. 98. Voir également
les commentaires ayant suivi la votation négative organisée à Versoix en juin 2000, et notamment
ceux de L. Moutinot, chef du Département de l'aménagement, équipement et logement, in : La Tri-
bune de Genève du 26 juin 2000; A. Rességuié, ancien maire de Versoix et conseiller administratif,
in : Le Temps du 23 juin 2000; P. A. Monnet, conseiller municipal, in : La Tribune de Genève du 26
juin 2000.
459
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2212
Au sujet de cette tension dont l’appréciation relève d’un « jugement de valeur » entre tenants de la
participation et défenseurs de la propriété foncière, voir TANQUEREL (1988), pp. 77-78.
2213
ATF 129 I 217 Emmen ; ATF 129 I 232 Zurich .
2214
Au sujet de cette qualification, voir AUER/VON ARX, p. 928
2215
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich ; ATF 129 I 212, 231 Emmen.
460
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2216
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich ; ATF 129 I 212, 231 Emmen. HANGARTNER (2004), p. 13 ; TANQUEREL
(2006), pp. 563-564 ; WALDMANN (2004), p. 956.
2217
WALDMANN (2004), p. 956. Voir également OFJ (2004), pp. 1074-1076.
2218
Supra Section 3.2.1.
461
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2219
OFJ (2004), pp. 1072-1073 ;TANQUEREL (2006), pp. 564-565. Voir également ATF 129 I 212, 241-242
Zurich ainsi que le commentaire d’HANGARTNER (2004), p. 16.
462
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
tion en ne se fondant pas uniquement sur des motifs juridiques, mais émo-
tionnels ou politiques2220.
1719. Certes, le lieu choisi ou les options d’aménagement définies dans le
projet lui-même peuvent être discutables et fonder des raisons objectives et lé-
gitimes expliquant un rejet. Toutefois, le contexte discriminatoire a pour effet
qu’il existe un risque avéré qu’un nombre important, voire majoritaire, de voix
négatives ait pour cause des motifs inacceptables au regard de l’obligation,
pour toute autorité, de réaliser les droits fondamentaux dans le cadre de son
activité.
1720. A notre sens, le fait que l’identité des bénéficiaires d’un plan
d’affectation joue un rôle pour la création de la volonté populaire a pour effet
de personnaliser l’objet de la votation, et ce même si l’on juge que le cercle des
personnes concernées est si large que l’on doive parler de référendum admi-
nistratif général.
1721. Ce constat devrait conduire à appliquer, si ce n’est directement, du
moins par analogie, les règles dégagées par le Tribunal fédéral à l’égard du ré-
férendum administratif individuel. Or, la jurisprudence Emmen démontre clai-
rement qu’on ne peut pas renoncer à l’obligation de motiver une décision lors-
que, non seulement le débat porte sur l’identité de certaines personnes distinc-
tes, mais qu’en sus, il existe une présomption de discrimination, en raison des
préjugés exprimés à l’égard des Tziganes ou à l’égard de certaines nationalités
ou religions2221.
1722. Ainsi, du fait qu’il présente les mêmes risques et les mêmes lacunes
que le référendum portant sur la naturalisation ordinaire, le référendum ad-
ministratif portant sur des mesures d’aménagement destinées à l’accueil de
Tziganes nomades ne devrait pas être organisé. En soi, cette soustraction au
vote du peuple peut être qualifiée de mesure correctrice de nature procédu-
rale2222.
2220
TANQUEREL (2006), p. 565.
2221
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich.
2222
Au sujet de ce type de mesures en tant que solution aux conflits pouvant surgir entre démocratie
directe et droits fondamentaux, WALDMANN (2004), p. 952.
463
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1727. Nous avons déjà évoqué ci-dessus le fait que dans le contexte d’une
votation portant sur un plan d’affectation, les éventuels problèmes découlant
de l’impossibilité de connaître la motivation du corps électoral sont suscepti-
bles d’être corrigés ultérieurement, à l’occasion du contrôle effectué par le
juge. Dans un contexte « normal », les exigences de l’article 29 al. 2 Cst. sont
donc remplies a posteriori.
1728. A notre sens, lorsque l’identité des bénéficiaires possède le poids que
nous décrivons dans le contexte des Tziganes nomades, cet effet guérisseur ne
fonctionne pas. En effet, il ne s’agit plus uniquement d’un problème de respect
du droit d’être entendu et de l’obligation de motiver une décision. Dès lors que
2223
NÜSSLE, p. 232-234.
2224
Voir infra Section E, 1.
464
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2225
Nous analyserons ci-après quelles sont les personnes physiques et morales qui possèdent la qualité
pour recourir contre le refus d’acceptation d’un plan d’affectation spécial prévoyant la création d’une
aire de stationnement ; infra Sections E, 2.2. et 2.3.
2226
Voir, pour l’essentiel, nos développements supra Titre Troisième.
2227
Au sujet du rattachement de ces besoins à la notion d’intérêt public, voir supra Titre Troisième,
Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2228
Au sujet de l’analyse de l’impact d’une mesure de planification sur l’ensemble de la minorité tzigane,
voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.2.2.
465
La situation juridique des Tziganes en Suisse
renversée. Dès lors, le juge n’aura d’autre choix que de conclure à une viola-
tion de l’article 8 al. 2 Cst.2229.
1735. On constatera ainsi qu’il importe peu, en réalité, que les raisons ayant
motivé une majorité du corps électoral aient été réellement ou non de nature
discriminatoire. Le simple fait qu’il soit impossible d’apporter les motifs justi-
ficatifs pouvant renverser la suspicion extrêmement forte de discrimination
suffit à rendre problématique une telle procédure au regard des impératifs dé-
coulant de l’article 8 al. 2 Cst., qui exigent des autorités qu’elles éliminent tou-
tes les sources de discrimination structurelle2230.
2229
ATF 129 I 232, 240-241 Zurich. OFJ (2004), p. 1067.
2230
Comp. le raisonnement de Bernahrd WALDMANN relatif à la naturalisation par la voie des urnes :
s’opposant à la démarche d’Andreas AUER et de Nicolas VON ARX, cet auteur estime qu’au regard de
l’art. 8 al. 2 Cst., ce procédé doit être aboli non pas en raison de l’impossibilité de connaître la moti-
vation du peuple – car en matière de discrimination, la volonté n’est pas un facteur pertinent -, mais
en raison de l’obligation incombant aux autorités de démanteler les sources de discrimination qui se
trouvent au sein de la société ; WALDMANN (2003), pp. 453-454. Comp. AUER/VON ARX, pp. 928-929,
suivis par KIENER (2000), p. 220.
2231
Art. 15 al. 1 et 2 LaLAT/GE.
2232
Art. 16 al. 3 LaLAT/GE et art. 30 al. 1 let. q et 33 de la loi genevoise sur l'administration des com-
munes, du 13 avril 1984 (LAC/GE ; RS/GE B 6 05). Le référendum peut être déposé dans un délai
de 60 jours à compter de la réception des observations, à teneur de l’art. 16 al. 3 LaLAT/GE. RDAF
2004 I 55, 57.
2233
Comp. l’art. 16 al. 4 LaLAT/GE qui prévoit qu’après la phase de préconsultation portant sur l’avant-
projet de loi tendant à modifier les limites des zones, le Conseil d’Etat se contente d’auditionner le
conseil administratif ou le maire de la commune ayant donné un préavis négatif.
2234
RDAF 2004 I 55, 57.
2235
ATF 109 Ia 217, 225 ; RDAF 2004 I 55, 57.
2236
ATF 104 Ia 226, 233 Fauquex. TANQUEREL (1988), p. 84.
466
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
une telle hypothèse, le Conseil d’Etat est certes politiquement sous pression,
mais sa responsabilité demeure entière au regard, notamment, de ses obliga-
tions découlant de l’article 35 Cst.2237.
1739. La nature de l’acte par lequel le Conseil d’Etat renonce à soumettre un
projet de modification au Grand Conseil pour donner suite à ce préavis néga-
tif2238 demeure encore indéterminée. Selon le Tribunal fédéral, il est douteux
qu’il constitue une décision, mais du fait que les justiciables n’ont pas la légi-
timation active pour pouvoir reprocher au Conseil d’Etat de ne pas s’être écar-
té de ce résultat, voire de ne pas l’avoir annulé en vertu de son pouvoir de
surveillance sur les communes2239, la question peut rester ouverte2240.
1740. Cette jurisprudence a été rendue suite au recours déposé par un Tzi-
gane suisse contre le résultat négatif du référendum communal de Versoix
(GE) organisé le 25 juin 2000, d’une part, et contre la décision du Conseil d’Etat
de donner suite à ce résultat. A cette occasion, en effet, le Conseil d’Etat avait
décidé de suivre le préavis négatif exprimé par le corps électoral communal,
en considérant notamment que « la situation qui résult[ait] du vote mis en
cause [était] certainement regrettable mais sa légalité [était] indiscutable »2241.
1741. Or, nos développements relatifs à l’existence d’une discrimination
structurelle remettent en cause cette appréciation de la conformité au droit su-
périeur du résultat de la consultation populaire. En outre, les obligations dé-
coulant du droit des minorités, en particulier en matière de préservation et de
soutien à l’identité minoritaire, auraient dû conduire le Conseil d’Etat à consi-
dérer que des intérêts prépondérants s’opposaient à la prise en compte du ré-
sultat du vote populaire. Dans ce contexte, seuls des intérêts objectifs, liés à
l’impact du projet sur l’environnement par exemple, devraient être pris en
considération, à l’exclusion de considérations politiques en lien avec
l’opportunité de principe de créer une aire de stationnement sur le territoire
cantonal.
3.2.4. Synthèse
2237
TANQUEREL (1988), p. 77.
2238
Comp. l’art. 16 al. 4 LaLAT/GE.
2239
Comp. l’art. 67 let. b LAC/GE qui prévoit que le Conseil d’Etat annule toute délibération du conseil
municipal prise en violation des lois et règlements en vigueur.
2240
RDAF 2004 I 55, 57-58.
2241
RDAF 2004 I 55, 57.
467
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2242
A ce sujet, voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.2.
2243
NÜSSLE, p. 234, renvoie au législateur fédéral pour modifier la LAT, mais sa proposition s’inscrit dans
l’hypothèse d’une soustraction des plans d’affectation spéciaux assimilables aux autorisations de
construire à l’ensemble du processus démocratique prévu à l’art. 4 LAT.
468
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1749. Au vu de l’exemple offert par les arrêts sur les naturalisations par les
urnes, mais également au regard des conséquences de l’arrêt Bittel sur la situa-
tion des Tziganes, seule une jurisprudence claire du Tribunal fédéral, souli-
gnant le conflit entre l’article 8 al. 2 Cst. et le vote populaire dans ce contexte,
sera à même de susciter la réaction politique requise.
1750. Enfin, la situation diffère quelque peu lorsque le résultat du référen-
dum n’a aucun effet contraignant à l’égard de l’autorité qui adopte le plan
d’affectation en cause, comme à Genève. Dans ce cadre, le préavis négatif ex-
primé par le corps électoral ne devrait pas être suivi en raison de l’existence
d’une discrimination structurelle, mais également parce que le droit des mino-
rités donne aux besoins des Tziganes nomades un poids particulièrement im-
portant.
1751. Nous avons constaté que tout recours formulé dans ce contexte est ir-
recevable. Dès lors que le correctif judiciaire est ici indisponible, la prise de
conscience de l’autorité politique à l’égard de ses obligations légales, constitu-
tionnelles et conventionnelles envers la minorité tzigane s’avère d’autant plus
importante.
4. Conclusion
469
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2244
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
2245
A ce sujet, voir le communiqué de presse de la Direction de la construction et de la protection de
l’environnement du canton de Bâle-Campagne, du 20 avril 2004.
2246
Voir l’intervention de Laurent MOUTINOT, Conseiller d’Etat du canton de Genève, dans le MGC du 16
mai 2003, relatif au projet de loi PL 8836-A. Comp. également, en ville de Berne, le résultat positif
en 1997 de la votation populaire organisée au sujet de l’affectation d’un terrain situé à Buech, après
vingt ans d’études et de projets infructueux ; SANCAR-FLÜCKIGER, pp. 33-36. Voir également à ce su-
jet, le Message du Conseil fédéral relatif à l’octroi d’un crédit-cadre pour la Fondation « Assurer
l’avenir des gens du voyage suisses » pour les années 2001-2006, FF 2001 1583, 1589.
470
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
471
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1764. Avant son arrêt Bittel de 2003, le Tribunal fédéral avait eu l’occasion,
en 2001, d’évaluer la légitimité de mesures d’urgence prises par le canton de
Vaud pour créer provisoirement trois terrains de stationnement2251.
1765. Se fondant sur les articles 5 et 7 Cst., l’article 36 al. 2 LAT et l’article 5
de la loi vaudoise du 4 décembre sur l’aménagement du territoire et les cons-
tructions2252, le Conseil d’Etat vaudois avait, le 8 janvier 2001, pris un « arrêté
relatif à la création de trois aires provisoires de stationnement temporaire pour
les gens du voyage ».
1766. Les motifs de cet arrêté étaient énoncés à son article premier, à savoir
le « manque avéré d’aires de stationnement pour les gens du voyage sur le
territoire cantonal, (...) la récente dégradation des relations entre la population
et les gens du voyage, ainsi que (les) risques importants pour la sécurité
publique et pour la propriété qui en [découlaient]».
1767. A teneur de l’article 2, trois aires furent désignées sur le territoire can-
tonal, dont deux étaient propriétés du canton, et une propriété de la commune
de Nyon. L’article 3 disposait que les Tziganes nomades étaient autorisés à
utiliser ces aires pendant les mois de mars à novembre pour de courts séjours.
L’article 4 comportait une dérogation aux procédures ordinaires de la LATC,
2247
ATF 129 II 321, 322-323 Bittel.
2248
ATF 129 II 321, 328-329 Bittel. Voir également le Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 5-6.
2249
Au sujet de la problématique existant entre l’option du plan d’aménagement et de l’autorisation ex-
ceptionnelle, voir ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 257-263 ainsi que supra, Section A, 3.2.2., b.
2250
ATF 129 II 321, 327 Bittel ; voir également SJ 2005 I 529, 534-535. Voir supra nos développe-
ments, Section C, 1.
2251
Arrêt du 30 juillet 2001, cause 1P.110/2001.
2252
LATC ; RS/VD 700.11.
472
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
puisqu’il prévoyait que ces aires pouvaient être aménagées de « manière pro-
visoire, sommaire et réversible ».
1768. L’article 5 chargeait pour sa part le département cantonal compétent,
le Département de la sécurité et de l’environnement, d’engager les procédures
ordinaires au sens du droit cantonal pour obtenir dans un délai maximal de
trois ans la planification adéquate et les permis de construire nécessaires pour
chaque aire prévue2253. L’article 6 prévoyait que l’exploitation et la gestion de
ces places seraient assurées par les services cantonaux.
1769. Saisi d’un recours par l’une des communes concernées, mais égale-
ment d’un second déposé par des membres de la minorité tzigane, le Tribunal
fédéral a qualifié cet arrêté « d’insolite », du fait qu’il recoupait, dans ses diffé-
rentes dispositions, plusieurs types de mesures et de prescriptions en matière
d’aménagement du territoire2254.
1770. Il a ainsi conclu que l’article 3 n’était pas une norme générale et abs-
traite qui définirait précisément les modalités d’usage des places envisagées, et
ne créait donc ni droits ni obligations pour les particuliers qui seraient suscep-
tibles d’affecter leur situation juridique. Pour le Tribunal fédéral, cette disposi-
tion fournissait de simples indications générales de manière à préciser l’objet
des autorisations de construire à venir2255.
1771. En outre, l’article 4 devait être qualifié d’autorisation dérogatoire au
sens des articles 24ss LAT, prise implicitement par le Conseil d’Etat vau-
dois2256. Il a par ailleurs jugé que l’article 5 de cet arrêté contenait « sous l'angle
du droit de l'aménagement du territoire [des] mesures équivalant à celles pou-
vant être adoptées dans le cadre du plan directeur cantonal (cf. art. 8 LAT) ou
dans une procédure débouchant sur l'établissement d'un plan d'affectation
cantonal ou communal (cf. art. 14 ss LAT) »2257. Il a considéré que cette disposi-
tion constituait en réalité une ordonnance interne, destinée au Département
cantonal de la sécurité et de l’environnement, qui ne créait pas d'obligations à
la charge des tiers ou des communes concernées2258.
1772. Notre Haute Cour a jugé que l’ensemble de ces mesures avait pour ef-
fet que la création de ces aires de stationnement ne suivait pas la procédure
usuelle, et qu’en conséquence, cet arrêté ne valait pas planification. Elle a esti-
mé qu’il n’était pas admissible d’aménager des aires de stationnement par le
2253
Pour le texte complet de l’arrêté, voir RDAF 2004 I 59, 60.
2254
RDAF 2004 I 59, 61.
2255
RDAF 2004 I 59, 63-64.
2256
Arrêt du 3 avril 2001, cause 1P.110/2001, consid. 2 et 3 b.
2257
Arrêt du 3 avril 2001, cause 1P.110/2001, consid. 2.
2258
Arrêt du 30 juillet 2001, 1P.110/2001, consid. 2 bb.
473
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2259
Arrêt du 30 juillet 2001, 1P.110/2001, consid. 2 c, cc. BOVAY, p. 98.
2260
BOVAY, p. 96.
2261
ATF 129 II 321, 328 Bittel.
2262
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
474
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1.3.2. Une analyse confuse de l’atteinte portée aux droits fondamentaux des
Tziganes
1780. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner que le Tribunal fédéral n’a
pas su, dans l’arrêt Bittel, intégrer correctement le droit des minorités, en parti-
culier sa facette collective2267. A notre sens, il a également réalisé une analyse
confuse de l’atteinte portée aux droits fondamentaux individuels des Tziganes.
Dans cet arrêt, notre Haute Cour a premièrement conclu que le refus
d’octroyer une autorisation dérogatoire constituait une restriction admissible
des droits fondamentaux du recourant, sans examiner plus en avant si les
conditions de l’article 36 Cst. étaient respectées, alors qu’une analyse attentive
du respect du principe de proportionnalité semblait s’imposer dans ce
contexte.
1781. Dans un second temps, toutefois, le Tribunal fédéral indique aux auto-
rités cantonales de ne pas ordonner la démolition des installations nécessaires
à l’habitation du recourant et de sa famille, en attendant qu’une véritable aire
2263
Voir supra Section C, 1.
2264
Voir infra nos développements Section D.
2265
Supra Section A, 3.2.1., b.
2266
Infra Section D.
2267
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.3.2.
475
La situation juridique des Tziganes en Suisse
soit construite. Ainsi, le canton doit faire preuve de retenue en raison des
conséquences engendrées par une expulsion sans alternative pour le recourant
et sa famille. Autrement dit, sans vouloir en donner l’impression, le Tribunal
fédéral cherche ici à garantir le respect du droit à un logement adéquat du
Monsieur Bittel2268.
1782. En effet, le Tribunal fédéral a dû prendre en compte l’absence effective
de zones appropriées pour l’arrêt des caravanes du recourant dans le canton
de Genève, a fortiori dans la commune de Versoix. Il évoque les efforts consen-
tis par les autorités cantonales genevoises pour trouver une solution en ma-
tière de stationnement durable et il renvoie aux deux projets de modification
des limites de zones sur la commune de Versoix2269. Or, il ne pouvait que cons-
tater qu’en l’état, ces projets n’avaient pas donné de résultat concret.
1783. En effet, le projet dit « des Hôpitaux », datant de 1999, a été abandonné
suite au préavis négatif émis par le corps électoral communal en juin 2000. Le
second, dit « de la Bécassière », a été mis à l’enquête publique en 2002. Le plan
d’affectation a été adopté par le Grand Conseil en 20032270 et a fait l’objet d’un
recours de droit administratif et d’un recours de droit public en 2005, déclarés
respectivement mal fondé et irrecevable par le Tribunal fédéral2271. La réalisa-
tion de cette place n’est toujours pas achevée à ce jour et l’aire n’est pas encore
disponible pour ses futurs utilisateurs. Au vu de ces projets, notre Haute Cour
estime que les autorités remplissent leurs obligations à l’égard des Tziganes au
regard des articles 2 et 3 al. 3 LAT.
1784. Aux yeux de la doctrine, cette conclusion signifie que les Tziganes
nomades ne bénéficient que d’un droit général de pouvoir disposer d’une zone
d’utilisation qui leur serait destinée2272. Ainsi, Yvo HANGARTNER déduit de
cette jurisprudence que, quelles que soient les circonstances, l’Etat n’a pas
d’obligation de trouver d’alternative lorsqu’un stationnement est jugé illicite.
En effet, bien que le devoir de planifier le territoire en prenant en compte les
besoins des Tziganes soit rattachable aussi bien à la dimension objective que
subjective des droits fondamentaux, les particuliers ne peuvent exiger direc-
tement de l’Etat qu’il mette à leur disposition des aires de stationnement. Ce-
lui-ci en a la faculté, mais pas l’obligation2273.
1785. Cette approche est critiquable. Si l’on reconnaît une obligation à
charge des autorités en matière de planification, il faut alors également traiter
2268
Voir également nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.3.2.
2269
ATF 129 II 321, 328-329 Bittel.
2270
Loi n° 8836 du canton de Genève, du 16 mai 2003, modifiant les limites de zones sur le territoire de
la commune de Versoix (création d’une zone 4B affectée à l’habitation des forains et des gens du
voyage et d’une zone des bois et forêts situées au lieu dit « La Bécassière ») et déclarant d’utilité
publique la réalisation des équipements nécessaires à l’aménagement de cette zone.
2271
SJ 2005 529.
2272
SIEDEL, p. 56.
2273
HANGARTNER (2003B), pp. 1466-1467.
476
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1.3.3. Appréciation
2274
Comp. l’opinion dissidente commune des juges Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Loren-
zen, Fischbach, Casadevall dans l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, CEDH 2001-I.
2275
Voir l’art. 1er de l’arrêté du Conseil d’Etat vaudois du 8 janvier 2001.
2276
ZBl 2005 369, 372-374, et le commentaire d’Arnold MARTI, p. 379. Voir également MARTI, p. 359.
477
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1793. L’article 24 LAT admet les constructions hors de la zone à bâtir quand
leur implantation est imposée par la destination de l’ouvrage (let. a) et lors-
qu’elles sont adaptées aux besoins qu’elles doivent satisfaire (let. b).
2277
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 12. Voir également le Rapport d’expertise 2001, p. 29.
478
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2278
Arrêt du 1er février 2005, cause 1A.161/2004, consid. 2 ; ATF 129 II 64, 68 Pro Natura. WALDMAN
(2005), p. 781 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 24), N. 10; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 266-267.
2279
Supra Section A, 3.2.2, a
2280
ATF 123 II 499, 509 Reinach. WALDMANN (2005), pp. 785-786 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 267-
268.
2281
SIEDEL, p. 56.
2282
WALDMAN (2005), p. 783, note 22 ; WALDMAN (2004), pp. 959-960; WALDMANN (2003), p. 229. Voir
également HANGARTNER (2003B), p. 1467.
2283
Dans ce sens également, au sujet de la liberté religieuse et de la construction de bâtiments de culte
hors d’une zone à bâtir, voir KIENER/KUHN, p. 39.
479
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2284
Voir notamment nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.3.
2285
WALDMANN (2005), p. 783 ; WALDMANN (2004), pp. 959-960. Voir également l’avant-projet de rapport
du Conseil fédéral, Partie II, p. 12.
2286
Dans ce sens, voir WALDMANN (2005), p. 783, note 22.
480
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
tes, ce critère impose l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé – et nous re-
trouvons ici le problème des obstacles à son adoption2287 – mais la zone ainsi
créée n’est pas rattachée à la zone à bâtir, et la validité du projet est jugée à
l’aune du respect matériel des conditions de l’article 24 LAT2288.
1804. Dans un contexte de pénurie d’aires à disposition, et face à l’absence
d’alternatives disponibles en zone constructible, la création d’une aire de sta-
tionnement d’une taille importante hors d’une zone à bâtir est donc envisa-
geable, moyennant l’adoption d’un plan d’affectation spécialisé respectant
l’article 24 LAT. Cette possibilité est d’autant plus intéressante pour les pro-
priétaires privés tziganes, mais également pour les autorités à la recherche de
solutions, que les garanties à présenter en matière d’équipement, au sens de
l’article 19 al. 1 LAT, sont moindres hors d’une zone à bâtir.
1805. Certes, un projet effectué sous le régime de l’autorisation dérogatoire
doit posséder un certain équipement, puisque l’article 24 LAT constitue une
exception à l’article 22 al. 2 let. a LAT exclusivement. Les autres conditions de
l’article 22 LAT doivent donc être respectées2289. Toutefois, hors d’une zone à
bâtir, les autorités compétentes doivent respecter le principe de proportionna-
lité et se montrer moins strictes à l’égard de cette exigence2290.
1806. Dans l’arrêt Bittel, le Tribunal fédéral a jugé que la parcelle du recou-
rant était « largement inconstructible », en raison des impératifs découlant de
la législation fédérale sur la protection des eaux et des forêts2291. Se fondant sur
ce constat, il a considéré qu’il était « exclu de régulariser la situation du recou-
rant moyennant l’adoption préalable d’un plan d’affectation »2292.
1807. Le caractère sommaire de ce considérant a déjà été critiqué. Toutefois,
notre proposition ne contredit pas nécessairement cet arrêt dans son résultat,
car les intérêts prépondérants découlant de la protection des eaux et forêts au-
raient certainement mis en échec la condition de l’article 24 let. b LAT.
2.2. Appréciation
2287
Supra Section C, 3.
2288
Supra Section A, 3.2.2, b.
2289
WALDMANN/HÄNNI (Vorbemerkungen Art. 24ss), N. 6 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, pp. 320-321.
2290
ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 321.
2291
ATF 129 II 321, 330 Bittel. Voir également supra Section 1.1.
2292
ATF 129 II 321, 330 Bittel.
481
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2293
BOVAY, pp. 97-98.
2294
WALDMANN (2004), p. 960.
2295
Dans ce sens, WALDMANN (2004), p. 960. Voir également l’opinion dissidente commune des juges
Pastor Ridruejo, Bonello, Tulkens, Stránická, Lorenzen, Fischbach et Casadevall, ainsi que celle ind-
viduelle du juge Bonello, relatives à l’ACEDH Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95, CEDH 2001-I.
2296
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 20.
482
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
pendant, cette pratique a été mise à mal en raison des normes en matière de
droit des constructions ou encore de camping2297.
1814. Dès lors, les associations tziganes expriment leur intérêt dans le projet
de révision de l’article 24b LAT en cours. Ils y voient la possibilité de faire
coïncider à la fois les intérêts des entrepreneurs agricoles et ceux des Tziganes
nomades, en permettant de développer une nouvelle solution pour créer des
aires permanentes2298. Toutefois, nous allons constater que si le concept envi-
sagé s’avère théoriquement très intéressant pour ces derniers, les détails de sa
mise en oeuvre suscitent des réserves.
1815. A teneur de l’article 24b al. 1er LAT actuel, les entrepreneurs agricoles
ont la possibilité de mettre en place, à certaines conditions, une activité acces-
soire non agricole dans des bâtiments existants, mais seulement à condition
que la survie de leur entreprise dépende de ce revenu complémentaire2299. La
réglementation s’applique donc aujourd’hui uniquement aux exploitations qui
se trouvent dans une situation financière critique. Le projet de révision de la
LAT apporte des nouveautés sur ce point, afin d’élargir le cercle des entrepri-
ses habilitées à exploiter ce genre d’activités2300.
1816. Le nouvel article 24b al. 1erbis LAT prévoit que « les activités accessoi-
res qui sont, par leur nature, étroitement liées à l’entreprise agricole peuvent
être autorisées indépendamment de la nécessité d’un revenu complémentaire;
des agrandissements mesurés sont admissibles lorsque les constructions et ins-
tallations existantes sont trop petites »2301.
1817. Cette modification entraîne donc deux nouveautés. Premièrement, le
critère de la situation financière critique ne serait désormais plus que partiel-
lement retenu : il ne demeure valable que lorsque l’activité envisagée ne pos-
sède pas de rapport étroit avec l’entreprise agricole, afin de préserver au
mieux la séparation entre zone à bâtir et zone non constructible2302. A contrario,
2297
Rapport d’expertise 2001, p. 18. Voir également la prise de position de l’association jénisch schäft
qwant, relative à la procédure de consultation portant sur la révision partielle de l’aménagement du
territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3 (http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]). Voir
également supra Section B.
2298
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant, relative à la procédure de consultation por-
tant sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2299
Art. 24b al. 1er LAT : « Lorsqu’une entreprise agricole ne peut subsister sans un revenu complémen-
taire, les travaux de transformation destinés à l’exercice d’une activité accessoire non agricole pro-
che de l’exploitation dans des constructions et installations existantes peuvent être autorisés.
L’exigence découlant de l’art. 24, let. a, ne doit pas être satisfaite. »
2300
Projet de révision de la LAT, FF 2005 6651.
2301
Cette modification entraîne également celle des art. 36 et 37 OAT.
2302
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6638.
483
La situation juridique des Tziganes en Suisse
les activités qui présentent ce genre de lien peuvent être désormais exercées
par des entreprises financièrement viables2303. Pour le Conseil fédéral, une
« activité accessoire non agricole proche de l’exploitation » inclut la possibilité
de mettre à disposition des chambres d’hôtes ou de dormir dans le foin, mais
ne recouvre pas les activités liées directement ou indirectement à l’agriculture
qui ne dépendent pas nécessairement de l’existence d’une entreprise agri-
cole2304.
1818. Deuxièmement, les agrandissements nécessaires seront autorisés s’ils
demeurent mesurés et si le volume existant n’est pas suffisant pour exercer les
activités envisagées. A cet égard, le Conseil fédéral propose de fixer, à l’article
40 al. 2 bis OAT une limite maximale de 100 m2 de surface brute de plan-
cher2305.
1819. L’article 27a du projet autorise expressément les cantons qui ne sou-
haitent pas faire usage de tout ou partie des nouvelles possibilités offertes par
le droit fédéral de prévoir des conditions plus restrictives dans la loi ou dans
les plans. Ainsi, les cantons peuvent notamment décider de limiter l’exercice
d’activités accessoires aux bâtiments existants, sans permettre d’agrandis-
sements2306.
1820. Le Conseil fédéral estime que la gestion d’une aire de transit par des
exploitants agricoles pourrait être considérée comme une « activité accessoire
non agricole », assimilable à la création de chambres d’hôte. Ainsi, un agri-
culteur pourrait déposer une demande d’autorisation pour l’aménagement
d’une aire de transit et n’aurait pas à prouver que l’implantation de ces équi-
pements est imposée par leur destination2307.
1821. Pour les associations de défense des intérêts des Tziganes également,
le développement de « l’agritourisme » possède un potentiel intéressant pour
le stationnement temporaire de caravanes hors des aires officielles prévues à
cet effet. L’Association tzigane pour la coopération et l'échange culturels voit
dans l’autorisation de pratiquer l’agritourisme une possibilité réelle permet-
tant d’augmenter les emplacements disponibles pour les Tziganes nomades
sur l’ensemble du territoire. A ses yeux, la révision serait susceptible
2303
Soulignons néanmoins que la possibilité de créer une activité accessoire non agricole ne s’applique
pas aux exploitations agricoles les plus petites. Dans le cadre de la révision, cette possibilité de-
meure réservée aux entreprises agricoles au sens de la loi fédérale sur le droit foncier rural, du 4
octobre 1991 (LDFR ; RO 1993 1410; RS 211.412.11).
2304
L’ordonnance apportera également des éléments de précision à cet égard ; Message du Conseil fé-
déral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6643.
2305
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6643-6644.
2306
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6647.
2307
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 13.
484
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2308
http://www.agriculture.ch [site consulté le 15.8.2006].
2309
Le Parti socialiste, les Verts, la Radgenossenschaft, la Fondation « Assurer l’avenir des gens du
voyage suisse », schäft qwant, l’Association suisse pour les droits de la personne. Office fédéral du
développement territorial, Evaluation de la procédure de consultation, Berne, septembre 2005, p. 5.
2310
Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la LAT, FF 2005 6640.
485
La situation juridique des Tziganes en Suisse
3.4. Appréciation
1829. On ne peut que regretter que le projet de révision de la LAT soit resté
muet sur l’hypothèse du stationnement de caravanes tziganes, car une fois en-
core, l’incertitude juridique qui en découle ne favorise pas une amélioration de
la situation des Tziganes nomades, voire risque de la péjorer. Une interpréta-
tion du projet d’article 24b LAT conforme aux droits fondamentaux est donc
nécessaire.
1830. Toutefois, une telle interprétation ne devrait concerner que la création
d’aires de stationnement temporaire, destinées à perdurer, sans pour autant
exclure la possibilité du stationnement temporaire spontané effectué avec
l’accord du propriétaire, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui2313. Dans ce cas, la
première hypothèse est assimilable à la création durable de lieux de halte, tan-
dis que la seconde entre dans la catégorie des offres légitimant les haltes spon-
tanées. Cette préoccupation illustre bien la nécessité de distinguer entre la
question de l’arrêt spontané et temporaire – non soumis à autorisation de cons-
truire – et la création d’aires permanentes de stationnement. En tout état de
cause, il serait judicieux que les dispositions topiques de la LAT intègrent ex-
2311
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant, relative à la procédure de consultation por-
tant sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 3-4
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2312
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant relative à la procédure de consultation portant
sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2313
Voir supra Section B, 2.
486
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2314
Office fédéral du développement territorial, Evaluation de la procédure de consultation, Berne, sep-
tembre 2005, p. 12.
2315
Prise de position de l’association jénisch schäft qwant relative à la procédure de consultation portant
sur la révision partielle de l’aménagement du territoire, du 1er juillet 2005, pp. 2-3
(http://www.humanrights.ch [consulté le 12 avril 2006]).
487
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1835. Les associations de défense des intérêts des Tziganes souhaitent ainsi
ne pas prétériter les exploitants agricoles désireux d’accueillir des Tziganes en
empiétant sur leurs possibilités d’exercer un autre type d’activité accessoire
non agricole, offrant un rendement plus régulier que l’accueil sporadique de
quelques familles tziganes. Ces propositions ont également le mérite de ratta-
cher la création de places de stationnement transitoire sur un terrain non cons-
tructible au régime dérogatoire des articles 24ss LAT. De ce fait, elle consacre
formellement sa légitimité juridique, tout en ne pénalisant pas les propriétaires
agricoles.
4. Conclusion
2316
ATF 129 II 321, 328 Bittel.
488
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
zone à bâtir indique que le facteur de la taille n’est pas en réalité un obstacle
s’opposant à toute implantation d’aires de stationnement hors du milieu bâti.
1841. Si l’on préfèrera effectivement le choix de la zone constructible pour
une aire de grande taille, la situation précaire, le constat d’urgence et la diffi-
culté à trouver une parcelle en zone à bâtir doit également conduire à exami-
ner l’option du plan spécialisé, conforme aux exigences de l’article 24 LAT.
Dans cette hypothèse, la seule réserve que l’on peut émettre réside dans le fait
qu’en conséquence, les obstacles liés à la voie de la planification réapparais-
sent.
1842. Lors de notre analyse relative à la portée du droit des minorités pour
les Tziganes en Suisse, nous avons mis en avant la nécessité de leur consulta-
tion systématique lors de la mise sur pied et la réalisation de mesures visant à
promouvoir et protéger leur identité culturelle, de façon à leur conférer une
certaine autonomie en la matière2317. Cette participation est particulièrement
requise dans le cadre du processus de la planification et peut s’effectuer en
amont, par le biais de la consultation des Tziganes, et en aval, par la possibilité
de recourir contre les actes portant atteinte à leurs droits fondamentaux.
1843. Or, il n’existe actuellement aucun mécanisme spécifique destiné aux
Tziganes. Leur participation et leur consultation ne peuvent s’effectuer que par
le biais des moyens ordinaires existant aux niveaux communal, cantonal et fé-
déral. En outre, la qualité pour agir dans les procédures d’opposition et de re-
cours est construite autour de deux postulats.
1844. D’une part, on considère que les personnes qui saisissent les instances
de recours sont dans la règle des particuliers isolés, cherchant à défendre leurs
intérêts individuels, qu’ils soient juridiques ou de fait. D’autre part, on cherche
à garantir une protection juridique efficace aux justiciables, tout en prenant
garde de restreindre le cercle des titulaires de la légitimation active de manière
à ne pas ouvrir la voie à l’action populaire2318.
1845. Ainsi, la possibilité de faire entendre les besoins de la minorité tzigane
en tant que groupe doit s’insérer dans ce cadre pour pouvoir être prise en
considération par le juge constitutionnel. Il est donc nécessaire de déterminer
2317
Voir supra Titre Troisième, Chapitre I, Section C, 2.1.3., et comp. les développement de MOORE rela-
tifs à l’accession des Irish Travellers à un certain degré d’autonomie et d’auto-détermination cultu-
relles sur la base du droit international des minorités ; MOORE, pp. 176 et 188-189 notamment.
2318
ATF 130 II 514, 516 X. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2035 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 691.
489
La situation juridique des Tziganes en Suisse
s’il existe une solution médiane et acceptable, à mi-chemin entre l’action indi-
viduelle et l’action populaire.
1846. Dans un premier temps, nous constaterons que dans les premières
étapes du processus de planification, les mécanismes participatifs et consulta-
tifs en vigueur ne sont employés que de manière limitée à l’égard des Tziga-
nes. En conséquence, leur participation souffre de ces lacunes2319(1.). Ensuite,
nous examinerons comment les conditions entourant la reconnaissance de la
qualité pour agir permettent aux Tziganes (2.), ainsi qu’à leurs associations de
défense (3.), de faire valoir leurs griefs tirés des droits fondamentaux.
2319
Contra l’Union des villes suisses, dans sa prise de position du 27 octobre 2005, relative à la procé-
dure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral pp. 1-2
(http://www.staedteverband.ch, [consulté le 12 avril 2006]).
2320
RDAF 1999 I 45, 59 : si les cantons sont libres d’établir à leur convenance l’étendue de la participa-
tion démocratique à l’élaboration des plans de zones, « le poids politique d’une décision de la portée
du plan communal d'affectation des zones et l'imprécision de la loi inhérente à la complexité et à la
multiplicité des cas qu'elle est destinée à régler supposent une participation adéquate de la popula-
tion à son élaboration ». Voir également ATF 124 I 40, 43. WALDMANN/HÄNNI (art. 4), N. 3 ; NÜSSLE,
p. 128.
2321
La notion de « population » est comprise ici dans un sens large, dépassant aussi bien le cercle du
corps électoral de la région concernée par la planification envisagée que celui des personnes ayant
la qualité pour recourir au sens de l’art. 33 LAT ; MUGGLI (art. 4), N. 13; NÜSSLE, p. 130. Au sujet des
différents aspects de cette participation, et notamment de ses fondements et objectifs, voir Thierry
TANQUEREL, La participation de la population à l’aménagement du territoire, Genève 1988.
2322
C’est-à-dire notamment les plans directeurs cantonaux et les plans d’affectation ; voir MUGGLI (art.
4), N. 16-19.
2323
NÜSSLE, p. 127.
2324
MUGGLI (art. 4), N. 3-9. La participation au processus de planification prévue par l’art. 4 LAT garantit
que la population puisse s’exprimer à un moment donné. L’éventuelle sanction du corps électoral
dépend uniquement du droit cantonal; WALDMANN/HÄNNI (art. 4), N. 2 ; NÜSSLE, pp. 127-128.
490
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2325
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 29.
2326
L'enquête menée auprès de quelques cantons par l’administration fédérale pour réaliser l’avant-
projet de rapport du Conseil fédéral n’a pas donné de résultat concluant ; Rapport du Conseil fédé-
ral, Partie I, p. 29.
2327
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 29-30.
2328
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 368-369.
2329
BO/FR du 25 mars 2003, pp. 394-395.
2330
Dans ce contexte, on constatera que toutes les associations représentatives, y compris celles créées
par l’OFC lui-même, ne figuraient pas sur la liste des organisations consultées par la Chancellerie fé-
dérale dans le cadre de la procédure de consultation relative à le Rapport du Conseil fédéral du 22
juin 2005. A ce sujet, voir la prise de positon de l’association “Schäft qwant“ – Transnationaler Ve-
rein für jenische Zusammenarbeit und Kulturaustausch, du 1er novembre 2005, concernant le Rap-
port du Conseil fédéral du 22 juin 2005, pp. 4-5.
491
La situation juridique des Tziganes en Suisse
des communautés tziganes nomades qui ont l’habitude d’y transiter. Une solu-
tion plus pertinente encore consisterait à inclure de façon systématique les as-
sociations représentatives des Tziganes présentes en Suisse. Combinée à un
renforcement de la collaboration de la Confédération et des cantons avec la
Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », ceci devrait per-
mettre de garantir la légitimité de ses représentants par rapport aux membres
de la minorité2331.
1854. Le renvoi aux associations peut être la solution la plus appropriée. En
effet, les réticences des autorités locales s’expliquent également par leurs diffi-
cultés à concevoir les Tziganes comme constituant un groupe à consulter, faute
d’interlocuteur clairement identifiable. Le nomadisme actif renforce cette im-
précision et augmente les obstacles à une consultation effective2332. La création
de sections cantonales pourrait donc s’avérer nécessaire.
1855. Le gouvernement zurichois souligne à cet égard que c’est bien
l’absence d’interlocuteur officiel organisé au niveau cantonal qui a pour
conséquence que, jusqu’à présent, les Tziganes nomades n’ont pas été consul-
tés sur les projets les concernant et ce, bien que le droit cantonal impose de les
entendre quand leurs intérêts sont particulièrement touchés par une mesure, à
l’instar de tout autre particulier2333.
1856. La clé de la question de la participation réside donc dans la communi-
cation de l’information et dans la prise de contact entre autorités et organisa-
tions de défense des droits des Tziganes. Nous constaterons ci-après que
l’éventuelle reconnaissance d’un droit de recours spécial en faveur de ces asso-
ciations aurait également des conséquences en amont de la procédure et garan-
tirait leur consultation systématique et obligatoire lors de l’ouverture de toute
procédure pertinente pour la création de places de stationnement2334.
2331
Dans ce sens, voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 19.
2332
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 29-31. Voir également la prise de position de l’Union des
villes suisses, du 27 octobre 2005, relative à la procédure de consultation concernant l’avant-projet
de rapport du Conseil fédéral p. 2 (http://www.staedteverband.ch, [consulté le 12 avril 2006]).
2333
Prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005
(http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2334
Infra Section 2.3
492
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
trième étape, nous ferons une incursion dans le contentieux de la CEDH pour
déterminer quelles personnes – physiques ou morales – sont légitimées à se
qualifier de « victime » au sens de l’article 34 CEDH (2.4).
1858. Après avoir analysé la qualité pour recourir des particuliers (2.1.1.),
nous examinerons celle des associations (2.1.2.).
2335
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2050.
2336
Supra Sections A, 3.1.2, c, 3.2.2, c, et 3.2.3., c.
2337
Au sujet de cette condition désormais explicitement énoncée par la loi et résultant de la pratique à
l’égard de l’intérêt digne de protection, voir BELLANGER (2006), pp. 61-63.
2338
ATF 121 II 176, 177 Leisinger-Bolleter ; ATF 118 Ia 46, 51 Verein Scientology Kirche Zürich ; ATF
112 Ib 154, 158 Obfelden. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2035 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 1999 ;
TANQUEREL (1996), p. 57 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 174.
2339
ATF 127 V 80, 82 Roche Pharma; ATF 124 II 297, 304 Glattfelden; ATF 116 Ib 321, 323-324 Nieder-
lenz ; ATF 113 Ib 225, 228 Lommiswil. ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 697 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p.
171.
493
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2340
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2036 ; BELLANGER (2006), pp. 59-60. Comp., sous le régime du re-
cours de droit administratif, ATF 125 II 497, 499 Claude Tamborini. Voir également TANQUEREL
(2005), p. 194 et les exemples cités par cet auteur : le propriétaire d’un lieu, celui qui y réside ou
qui y travaille possède un intérêt de fait digne de protection, tandis qu’un promeneur régulier ou un
client ne l’ont pas. Dans ce sens également, voir ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 169-171.
2341
ATF 118 Ia 232, 234 Küsnacht. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2036-2037.
2342
Comp. l’art. 103 let. a aOJ qui n’incluait pas la notion d’atteinte « particulière », puisqu’il n’évoquait
que la condition de l’ « atteinte ». Toutefois, une partie de la doctrine souligne le caractère restrictif
de la jurisprudence du Tribunal fédéral à l’égard de cette condition. Dès lors, elle estime que l’art.
89 al. 1 let. b LTF ne fait que formaliser cette pratique et qu’il ne devrait pas y avoir de changement
sur ce point sous le nouveau régime; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 31a. Comp.
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2038.
2343
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2042 ; BELLANGER (2006), pp. 59-60 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N.
1999-2000 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 33.
2344
ATF 130 V 560, 563 Schweizerische Bundesbahnen ; ATF 125 V 339, 342 SWICA ; ATF 125 II 497,
499 Claude Tamborini ; ATF 125 II 264, 269 Interkantonale Landeslotterie ; ATF 123 II 376, 379
Gonseth; TANQUEREL (1996), pp. 57-58 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 33 ; ZEN-RUFFINEN/ GUY-
ECABERT, pp. 694-695 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 174.
2345
ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 174-184. Ainsi, le Tribunal fédéral considère qu’il est implicite qu’un voisin
immédiat subisse une atteinte particulière (voir notamment ATF 121 II 171, 174 D. et H. ; ATF 110
Ib 145, 147 Rainer Pflum). Lorsque les fonds sont plus distants l’un de l’autre, notre Haute Cour se
base sur l’intensité et la gravité des nuisances causées par les immissions matérielles et immatériel-
les émises par la parcelle en cause pour déterminer si l’on peut constater la présence d’une atteinte
particulière ( voir notamment ATF 121 II 171, 174 D. et H. ; ATF 110 Ib 99, 102 Dr. Reiser).
494
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1866. Lorsqu’une association est elle-même touchée dans ses droits par une
décision, elle est soumise aux mêmes conditions que les personnes physi-
ques2350. Le régime est toutefois sensiblement différent lorsque ce ne sont pas
ses propres droits qui sont mis en cause2351. Le recours corporatif égoïste auto-
rise une organisation à attaquer une décision afin de défendre les intérêts de
ses membres (a). Le recours corporatif spécial lui permet de défendre un but
d’intérêt public (b). Ces deux types de recours sont clairement distincts et ne
répondent ni aux mêmes exigences ni aux mêmes objectifs.
2346
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2000 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 36. Comp. ATF 121 II 176, 178 Lei-
singer-Bolleter. TANQUEREL (1996), pp. 58-59.
2347
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2044 ; BELLANGER (2006), pp. 60-61. Voir également la pratique
rendue sous l’ancienne organisation judiciaire fédérale : ATF 128 II 156, 158 R. ; ATF 125 II 417,
419 A. A ce sujet, ZEN-RUFFINEN (2004), p. 171.
2348
ATF 128 II 156, 159 R. ; ATF 107 Ib 391, 392 Associazione ticinese. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I),
N. 2046 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2000 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 171.
2349
BELLANGER (2006), pp. 60-61.
2350
BELLANGER (2006), p. 60.
2351
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2051 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2352
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2353
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2051 ; GRIFFEL (2006), p. 98 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ;
WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 45.
495
La situation juridique des Tziganes en Suisse
nal fédéral exige qu’elle remplisse quatre conditions cumulatives : elle doit
posséder la personnalité morale, la défense des intérêts de ses membres consti-
tue son but statutaire, ces derniers doivent être effectivement touchés dans
leurs intérêts, et ils doivent individuellement posséder la qualité pour recou-
rir2354.
1868. Cette dernière exigence renvoie ainsi aux conditions posées par
l’article 89 al. 1 LTF à l’égard des particuliers. De fait, le Tribunal fédéral ana-
lyse si une grande partie2355 des membres de l’association possède individuel-
lement la qualité pour recourir à la lumière de sa pratique relative aux tiers re-
courant2356, examinée ci-dessus. Lorsque ces conditions sont remplies, toute
organisation se voit reconnaître la qualité pour recourir devant le Tribunal fé-
déral. En outre, rappelons qu’en vertu de l’article 111 al. 1 LTF, elle possède
également la qualité de partie devant les instances cantonales2357.
1869. Lorsqu’elle agit par le biais d’un recours corporatif spécial, une asso-
ciation procède en son nom propre pour défendre un but d’intérêt public, dont
elle a le rôle de gardien2358. Du fait de cette rupture avec le principe de
l’existence d’une atteinte particulière à des intérêts individuels, ce recours n’est
possible qu’à condition que son principe et son champ d’action soient prévus
par la loi2359. A cet égard, les articles 48 al. 2 PA et 89 al. 2 let. d LTF reconnais-
sent à ces organisations la qualité pour recourir devant le Tribunal administra-
tif fédéral, respectivement le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière
de droit public2360.
1870. En droit fédéral, ce type de recours est rare et n’existe que dans cer-
tains domaines, en faveur d’associations déterminées : des organisations éco-
2354
ATF 130 II 514, 519 X.; ATF 130 I 26, 30 Verband Schweizerischer Assistenz- und Oberärzte, Sek-
tion Zürich; ATF 127 V 80, 82-83 Roche Pharma. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 2052 ; BELLANGER
(2006), p. 60 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; HÄNNI (2002), p. 547 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N.
45.; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 698.
2355
Et non pas tous les membres, ni même la majorité d’entre eux; ATF 130 II 514, 519 X. HÄFE-
LIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; ZEN-RUFFINEN/GUY-ECABERT, p. 698. Contra BELLANGER (2006), p. 60, qui
exige qu’une majorité soit atteinte.
2356
ATF 127 V 80, 82-83 Roche Pharma.
2357
En matière d’aménagement du territoire et d’adoption de plans d’affectation cantonaux, rappelons
que dans sa version modifiée par l’adoption de la LTAF et de la LTF, l’art. 33 al. 3 let. a LAT impose
aux cantons de prévoir qu’à l’encontre des plans d’affectation « la qualité pour recourir [soit] recon-
nue dans les mêmes limites que le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral » ; ch. 64
de l’annexe de la LTAF ; FF 2006 3937.
2358
NÜSSLE, p. 102 ; ZEN-RUFFINEN (2004), p. 205.
2359
BELLANGER (2006), p. 65 ; GRIFFEL (2006), p. 98 ; HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013.
2360
HÄFELIN/HALLER/KELLER, N. 2013 ; WALDMANN/HÄNNI (art. 33), N. 29a et 54-63.
496
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2361
Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage, du 1er juillet 1966 (LPN ; RS 451 ; RO
1966 1694).
2362
L’art. 46 al. 3 de la loi fédérale sur les forêts, du 4 octobre 1991 (LFo ; RS 921.0 ; RO 1992 2521)
renvoie par ailleurs à l’art. 12 LPN pour ouvrir notamment aux organisations pour la défense de la
nature et du paysage le droit de recours contre certaines décisions prises en vertu de la LFo.
2363
Loi fédérale sur la protection de l’environnement, du 7 octobre 1983 (Loi sur la protection de
l’environnement, LPE ; RS 814.01 ; RO 1984 1122).
2364
Loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre, du 4 octobre 1985
(LCPR ; RS 704 ; RO 1986 2506).
2365
Le droit de recours des organisations écologiques fait actuellement l’objet de débats nourris portant
sur l’opportunité de son abrogation. A ce sujet, voir NÜSSLE, pp. 103-104, ainsi que Alain GRIFFEL
(2006), Das Verbandsbeschwerderecht im Brennpunkt zwischen Nutz- und Schutzinterssen, DEP 20
(2006), n°2, pp. 95-126, ou encore Thierry TANQUEREL, Les opposants à la construction, Journée de
droit des constructions 2005, pp. 185-202.
2366
Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées, du 13 décembre
2002 (Loi sur l’égalité pour les handicapés, LHand ; RS 151.3 ; RO 2003 4487).
2367
Comp. les art. 12 al. 1er LPN, 55 LPE, 7 LEg et 9 LHand et 5 de l’Ordonnance sur l’élimination des
discriminations frappant les personnes handicapées, du 19 novembre 2003 (Ordonnance sur
l’égalité pour les handicapés, OHand ; RS 151.31 ; RO 2003 4501).
2368
Pour les organisations écologiques en particulier, voir ZEN-RUFFINEN (2004), p. 207-208.
2369
Comp. ainsi l’art. 12 LPN, restreignant l’objet du recours aux décisions prises en exécution de tâches
fédérales au sens de l’art. 78 al. 2 Cst. et 2 LPN, l’art. 55 LPE, limitant l’objet du recours aux déci-
sions relatives à des installations soumises à étude d’impact au sens de l’art. 9 LPE et annexe de
l’Ordonnance relative à l’étude de l’impact sur l’environnement, du 19 octobre 1988 (OEIE ; RS
814.011 ; RO 1988 1931), ainsi que l’art. 14 al. 1er let. b LCPR désignant les décisions relatives à la
497
La situation juridique des Tziganes en Suisse
ailleurs, bien que par définition, elles n’aient pas à prouver que leurs membres
possèdent un intérêt personnel à l’admission du recours, les associations doi-
vent tout de même démontrer qu’elles ont un intérêt actuel et pratique à cet ef-
fet2370.
1874. Les organisations titulaires d’un droit de recours spécial doivent
participer à l’ensemble de la procédure2371. Dès lors, les autorités compétentes
ont l’obligation de notifier à ces associations lorsqu’elles rendent une décision
susceptible de faire l’objet d’un tel recours2372. Si une procédure d’opposition
précède la prise de décision, les associations doivent également être informées
afin de pouvoir intervenir à titre de partie à la procédure2373.
1875. Enfin, en matière d’aménagement du territoire, les organisations titu-
laires d’un droit de recours en matière de protection de la nature et de
l’environnement ont la possibilité d’agir lorsque des mesures de planification
entreprises pour réaliser un mandat fédéral touchent les intérêts publics dont
elles ont la charge. Dès lors, elles ont la faculté de recourir contre les autorisa-
tions de construire dérogatoires, au sens des articles 24ss LAT2374. Dans ce
contexte, la doctrine souligne que le recours spécial a pris une importance de
premier ordre en l’absence de justiciable pouvant démontrer posséder un inté-
rêt particulier pour s’opposer à l’octroi de ce type d’autorisation2375.
1876. A l’instar de tout justiciable, la légitimation active d’un Tzigane est ac-
quise dès lors qu’il est destinataire d’une décision affectant directement ses in-
térêts, que cela soit à l’occasion d’une éviction de son lieu de stationnement,
du refus de classer son terrain non constructible, ou encore du refus d’une au-
torisation de construire, ordinaire ou dérogatoire.
1877. La réponse est moins évidente lorsqu’il n’existe pas de destinataire in-
dividuel précis, lorsque l’impulsion de créer une aire de stationnement pro-
vient des autorités. De même, lorsqu’un Tzigane nomade est touché personnel-
lement par une décision, ou s’il s’agit d’un exploitant agricole qui souhaite
suppression d’un chemin pour piéton ou d’un chemin de randonnée pédestre figurant sur un plan.
Voir également ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 210-220.
2370
ATF 123 II 285, 286, Helvetia Nostra. ZEN-RUFFINEN (2004), p. 205.
2371
Comp. les art. 12a al. 2 et 3 LPN, 9 al. 3 LHand, 14 al. 3 et 4 LCPR, et 55 al. 4 LPE. ZEN-RUFFINEN
(2004), p. 220.
2372
Comp. les art. 12a al. 1 LPN, 9 al. 4 LHand, 14 al. 3 LCPR, et 55 al. 4 LPE. ZEN-RUFFINEN (2004), p.
220-221.
2373
Comp. les art. 12a al. 2 LPN, 9 al. 5 LHand, 14 al. 3 LCPR, et 55 al. 5 LPE.
2374
En outre, bien que la planification ne soit pas un mandat de la Confédération, ces organisations ont
la possibilité de recourir contre des plans d’affectation spéciaux lorsque ces derniers ont pour objet
des questions environnementales qui les concernent. En effet, dans cette hypothèse, des questions
se posent au regard de la LPN ou encore de la LPE ; NÜSSLE, pp. 105-106.
2375
NÜSSLE, pp. 105-106.
498
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2376
ATF 131 II 587, 588. ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 173-174.
2377
Comp. mutatis mutandis, cet intérêt digne de protection avec celui, reconnu, de la personne qui ha-
bite sur le lieu concerné, voire qui y travaille. TANQUEREL (2005), p. 194.
2378
Supra Titre Troisième.
2379
Comp. ZEN-RUFFINEN (2004), pp. 170-171.
499
La situation juridique des Tziganes en Suisse
1882. Ces atteintes sont spécifiques aux Tziganes par rapport au public en
général. En effet, seule la communauté tzigane est concernée, puisqu’au
contraire des Tziganes nomades, les non-Tziganes n’ont aucun intérêt propre -
juridique ou de fait - à la réalisation de places de stationnement. Autrement
dit, les Tziganes nomades sont ici touchés plus que n’importe qui d’autre au
sein de la population dans leurs intérêts dignes de protection2380.
1883. A notre sens, les trois caractéristiques cumulatives composant la
condition matérielle du lien suffisant avec l’objet du litige, à savoir le caractère
personnel, direct et spécial du rapport, sont en conséquence remplies2381.
1884. Il nous paraît plus difficile de reconnaître l’existence d’un intérêt digne
de protection en faveur de tout Tzigane nomade lorsqu’un Tzigane, proprié-
taire d’un terrain, se retrouve en conflit avec les autorités compétentes à son
sujet. En effet, lorsque cette personne envisage d’utiliser son terrain à des fins
personnelles et familiales uniquement, un refus de classement en zone cons-
tructible, un refus d’autorisation de construire ordinaire, ou encore un refus
d’autorisation de construire extraordinaire ne portent atteinte qu’à ses propres
intérêts, à l’exclusion de ceux de tout autre Tzigane.
1885. La situation est toutefois différente si le propriétaire destine également
son terrain à l’accueil de Tziganes nomades de passage qui n’appartiennent
pas à son noyau familial. Dans ce contexte, on peut également considérer
qu’ici aussi, les Tziganes nomades peuvent chacun avoir un intérêt juridique à
pouvoir utiliser ce terrain privé un jour, au gré de leurs voyages2382.
1886. Toutefois, il paraît indiscutable que dans le cadre d’un recours contre
une décision d’éviction d’un lieu de stationnement, seuls ses destinataires di-
rects possèdent la qualité pour recourir. Certes, on peut défendre l’idée que le
renvoi d’un lieu d’arrêt, sans autre alternative pour pouvoir stationner dans
une certaine commune, crée également un préjudice de nature idéale, voire ju-
ridique, à tous les Tziganes nomades. Cependant, il nous paraît ici difficile de
conclure qu’une autre personne hormis le destinataire puisse démontrer que
cette mesure la touche directement, ou qu’ils se trouvent dans un tel « rapport
étroit, spécial et digne d’être pris en considération » qu’il pourrait être considé-
ré comme un tiers recourant.
2380
Comp. ATF 123 II 376, 379 Gonseth, où le Tribunal fédéral considère que des consommateurs ré-
unis en association ne sont pas plus touchés que le public en général par une décision d’autorisation
en matière de produits à base de soja génétiquement modifié. Comp. également ATF 130 II 514,
519 SGR SSR Idée suisse, où les membres d’une association de téléspectateurs ne sont pas consi-
dérés comme étant plus particulièrement touchés par un reportage audio-visuel que le reste des té-
léspectateurs.
2381
BELLANGER (Partie), pp. 44-45.
2382
A notre sens, on appliquera mutatis mutandis le même raisonnement face à un propriétaire foncier
qui, tout en n’étant pas Tzigane, décide d’aménager une partie de sa parcelle pour l’accueil de Tzi-
ganes nomades de passage. Sur cette hypothèse, voir nos développements relatifs au projet de ré-
vision de l’art. 24b LAT, supra Section D, 3.
500
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2383
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section A, 1.
501
La situation juridique des Tziganes en Suisse
mode de vie, et qu’il a soit dû l’abandonner par le passé, soit qu’il souhaiterait
pouvoir l’adopter pour la première fois.
1894. Dans ce contexte, si cette personne rend vraisemblable la reprise d’un
nomadisme actif en cas de mise à disposition d’aires en nombre et qualité suf-
fisants, elle possède à notre sens un intérêt personnel, direct et spécial par rap-
port au reste de la population à pouvoir agir dans le contexte de litiges mettant
en cause la création de places. En conséquence, dans le cadre d’une procédure
de planification touchant à la création d’une aire privé, il serait discutable
d’exclure a priori et sans autre analyse la qualité individuelle pour recourir de
tout Tzigane sédentarisé.
2384
SEIDEL, pp. 57-58.
2385
ATF 129 II 321, Bittel.
502
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
toriale des projets, mais également des membres de cette communauté, ren-
force cette difficulté.
1899. Ensuite, dans le même ordre d’idée, les associations n’auront pas les
réticences des individus à saisir les instances compétentes, et ce même lors-
qu’un membre de la communauté tzigane est directement destinataire d’une
décision. Ce facteur est d’autant plus important en raison de la méfiance des
particuliers tziganes envers l’appareil de l’Etat et de leur méconnaissance du
fonctionnement de ses institutions.
1900. Troisièmement, les associations bénéficient de compétences et de res-
sources financières et personnelles pour mener à bien ces procédures que n’ont
pas la majorité des Tziganes en Suisse. A cet égard, le Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe invite les Etats à adapter leurs règles procédurales et no-
tamment les conditions entourant la qualité pour recourir lors d’expulsions. Le
Comité recommande, en effet, d’autoriser les associations représentatives des
Tziganes à exercer les droits individuels des personnes expulsées de lieux de
stationnement2386.
1901. Enfin, confrontées à des associations de défense de droits de la minori-
té tzigane, les autorités compétentes auront également plus de difficultés à
continuer à ne voir, dans les questions entourant l’accueil des Tziganes noma-
des, qu’un problème de police et d’ordre public.
1902. La participation de ces associations aux litiges ne peut se faire, toute-
fois, que dans le cadre des conditions d’ores et déjà existantes entourant le
droit de recours des organisations. Or, nous allons constater que les deux types
de recours corporatifs que connaît le droit suisse présentent chacun des avan-
tages et des inconvénients dans le contexte de notre problématique spécifique.
2386
Recommandation n° R (2004) 14, § 32.
503
La situation juridique des Tziganes en Suisse
et particulier à ce que les limites d’une zone soient modifiées, qu’une aire de
stationnement soit aménagée ou qu’une autorisation de construire soit oc-
troyée2387.
1905. Outre les mesures de planification stricto sensu, les associations sont
également légitimées à recourir contre les normes générales et abstraites desti-
nées à encadrer l’utilisation des aires de stationnement, comme les conditions
d’admission, le nombre de caravanes admises par emplacement, ou encore la
durée de stationnement2388. Ces facteurs, en effet, peuvent restreindre les
droits fondamentaux des Tziganes.
1906. Les considérations qui précèdent s’appliquent sans autres difficultés
aux associations suisses destinées à défendre les droits des Tziganes suisses.
Du fait de l’existence d’associations internationales actives dans plusieurs
Etats d’Europe pour défendre les droits des Tziganes dans chaque pays, telles
que le European Roma Rights Center, il convient de s’interroger sur leur capacité
à exercer un droit de recours corporatif égoïste en Suisse.
1907. Le Tribunal fédéral n’exige pas qu’une association soit constituée au
sens du droit suisse pour être titulaire de ce droit de recours2389. En soi, le ca-
ractère international d’une organisation de défense n’est donc pas pertinent.
La question centrale est à nouveau la démonstration de la qualité pour recourir
d’une grande partie des membres de ces associations.
1908. La seule hypothèse où cette qualité pour recourir pourrait être admise
serait celle mettant en cause une procédure de planification pour la création de
places de transit pour des Tziganes nomades étrangers. Dans ce cadre très res-
treint, une grande partie des membres d’une association internationale de-
vraient être des Tziganes nomades étrangers, dont les voyages les conduisent
régulièrement à traverser la Suisse. On pourrait éventuellement considérer
qu’une mesure de planification traitant de places de transit à leur égard les
concerne directement et les touche de façon particulière.
1909. Par contre, du fait que seul un nombre restreint des membres de ces
associations internationales sont des Tziganes de nationalité suisse, exerçant
leur mode de vie traditionnel essentiellement en Suisse, une grande partie des
membres de l’association ne subirait aucun préjudice causé par des mesures
planificatrices destinées à l’accueil de Tziganes nomades suisses. A fortiori, ce
raisonnement vaut également dans le contexte de mesures touchant un pro-
priétaire et son terrain privé.
2387
Supra Section 4.2.1.
2388
Dans ce sens, à notre avis, RDAF 2004 I 59, 64.
2389
ATF 124 II 293, 305 Flughafen Zurich. AEMISEGGER/HAAG (art. 33), N. 44.
504
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2390
Prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure
de consultation concernant le Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2005, p. 3
(http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006]).
2391
Message du Conseil fédéral relatif à la LEg, FF 1993 I 1163, 1218.
505
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2392
Voir ainsi JT 2004 I 446, 447-448. Il sied de rappeler ici la position, en 2003, de la Commission
chargée de l’aménagement du canton de Genève qui affirme précisément que la réalisation d’aires
de stationnement est une nécessité dictée par un objectif d’intérêt public, à savoir la protection de
la minorité tzigane et le respect de la dignité de ses membres, et qu’on ne saurait confondre ce but
avec des efforts visant à améliorer les conditions de logement de la majorité de la population ; Rap-
port de la Commission d’aménagement du canton de Genève relatif au projet de loi 8836-A et à la
pétition 1418-A concernant le projet de loi, du 29 avril 2003, pp. 7-8. Voir également supra Titre
Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2393
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.2.2.
2394
Supra Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 2.1.
2395
GRIFFEL (2006), p. 104-107 ; TANQUEREL (2005), p. 191.
506
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
2396
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 19.
2397
ACEDH Gorraiz Lizarraga et al. c. Espagne, n° 62543/00, § 34-35, CEDH 2004-III ; affaire Comité
des médecins à diplômes étrangers et autres c. France (déc.), n° 39527/98 et 39531/98, 30 mars
1999 ; décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association des amis de Saint-Raphaël et de
Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p. 124; décision de la Commission du 4 décem-
bre 1995,Tauira et autres c. France, n° 28204/95, D.R. 83-A, p. 112
2398
ACEDH Brudnicka et autres c. Pologne, n° 54723/00, § 26, CEDH 2005-… ; ACEDH Gorraiz Lizarra-
ga et al. c. Espagne, n° 62543/00, § 35; Décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association
des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p.
131 ; Décision de la Commission du 4 décembre 1995, Tauira et autres c. France, n° 28204/95,
D.R. 83-A, p. 112. SUDRE (2005b), p. 526.
2399
Voir déjà la décision de la Commission du 14 décembre 1988, Wasa liv Omsesidigt c. Suède, D.R.
58, p. 163 ; décision de la Commission du 4 juillet 1983, Association X c. France, D.R. 34, p. 213.
507
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2400
Voir notamment décision de la Commission du 1er juillet 1998, Association des amis de Saint-
Raphaël et de Fréjus et autres c. France, n° 38192/97, D.R. 94-A, p. 131.
2401
ACEDH Gorraiz Lizarraga et al. c. Espagne, n°62543/00, § 34-35 et 38-39, CEDH 2004-III. SUDRE
(2005b), p. 569. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs égale-
ment reconnu la qualité de victime de l’association elle-même, § 36, car le grief portait sur une vio-
lation alléguée de l’art. 6 § 1 CEDH, sous l’angle du respect du droit d’être entendu.
508
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
1928. Dès lors, sous réserve que les membres de l’association ne soient pas
uniquement des non-Tziganes, la jurisprudence de la Cour européenne rela-
tive aux recours corporatifs égoïste devrait également trouver à s’appliquer
aux recours corporatifs spéciaux. En conséquence, la requête devrait égale-
ment être déposée devant la Cour par des membres tziganes de ces associa-
tions, touchés dans leurs droits protégés.
3. Conclusion
1929. Le recours corporatif égoïste offre de bonnes solutions pour les asso-
ciations de défense des intérêts des Tziganes dans plusieurs hypothèses de
contentieux. Une importante fraction, voire la totalité, des membres de ces or-
ganisations possède la qualité pour recourir lorsque sont en jeu les possibilités
de stationnement de tout Tzigane nomade suisse. Ceci exige toutefois au pré-
alable que l’on interprète les notions d’intérêt digne de protection et d’atteinte
particulière à la lumière de la dimension collective du droit des minorités.
1930. D’une importance incontournable pour l’admissibilité du recours cor-
poratif égoïste, ces conclusions ont également pour conséquence que tout Tzi-
gane peut agir hors contexte associatif, seul ou avec d’autres membres de sa
communauté, contre des actes attaquables réglementant le stationnement des
caravanes. Cette possibilité est implique néanmoins un engagement financier
et des moyens, ainsi qu’une exposition publique que peu de particuliers sont
encore disposés à prendre. Ces inconvénients disparaissent précisément grâce
au recours corporatif égoïste.
1931. La reconnaissance d’un recours corporatif spécial en faveur des plus
grandes associations tziganes de Suisse aurait également l’avantage de
s’assurer que les intérêts des Tziganes soient systématiquement entendus dans
le cadre des procédures pertinentes. Elle nécessite toutefois une intervention
du législateur pour que celui-ci ancre dans la loi ce type de recours en faveur
des organisations tziganes. A cet égard, on peut s’interroger sur l’identité de
cette loi. La solution la plus aisée serait une modification de la LAT, sur la base
du modèle offert par la LPN ou la LPE.
1932. Par ailleurs, nos développements relatifs aux exigences de recevabilité
de l’article 34 CEDH indiquent que, sous réserve d’une approche très restric-
tive de la part de la Cour européenne des droits de l’homme, les associations
de défense de Tziganes seraient à même de démontrer leur qualité de victime
au sens de l’article 34 CEDH, qu’elles aient agi par le biais d’un recours égoïste
ou d’un recours spécial.
1933. En soi, admettre l’applicabilité et la pertinence de ces deux types de
recours corporatifs n’est pas contradictoire. Tous deux concerneraient
d’ailleurs certainement les mêmes associations de défense. En effet, ils ne
509
La situation juridique des Tziganes en Suisse
F. Synthèse
510
Titre Quatrième - Nomadisme et stationnement des caravanes
effort ne doit pas être restreint aux seules autorités cantonales chargées
d’élaborer des solutions en collaboration avec leurs communes. Un proprié-
taire privé, tzigane ou non, est également légitimé à entreprendre des démar-
ches dans ce sens. Dans ce contexte, autorités et particuliers doivent normale-
ment privilégier la procédure de planification et l’option d’une parcelle située
en zone constructible. Les droits fondamentaux des Tziganes doivent alors être
pris en considération à chaque étape du processus, par les différentes autorités
compétentes.
1939. La précarité de la situation et l’urgence reconnue pour parvenir à la sa-
tisfaction des besoins minimaux de la minorité tzigane nécessitent toutefois
une ouverture vers les zones non constructibles et la procédure dérogatoire
des articles 24ss LAT. Si l’importance du projet d’aire est réduite, cette voie
procédurale peut trouver directement à s’appliquer. En cas de projet plus im-
portant, la voie de la planification est requise, mais il est néanmoins envisa-
geable d’implanter l’aire hors de la zone constructible, sous réserve du respect
des conditions matérielles de l’article 24 LAT.
1940. Le développement de ces deux aspects permettant d’augmenter la ca-
pacité en matière d’accueil légal des caravanes tziganes peut être généralement
réalisé sans modifier formellement le droit en vigueur. Toutefois, cette absence
de modification impose un effort et une souplesse dans l’interprétation des
normes qui ne s’impose pas comme une évidence. Bien plus, il nécessite au
préalable une sensibilisation juridique et politique des autorités compétentes et
de toutes les collectivités en cause qui, en l’état, n’existe pas.
1941. Dès lors, nous ne partageons pas entièrement l’optimisme du Conseil
fédéral, qui estime que le droit fédéral en vigueur ne nécessite qu’une adapta-
tion lors de son application2402. Au contraire, il nous semble plus approprié de
chercher à inscrire formellement les besoins des Tziganes nomades dans la loi
fédérale sur l’aménagement du territoire, en suivant par exemple les proposi-
tions des associations de défense des Tziganes en matière de révision de
l’article 24b LAT2403. Il est également nécessaire d’adapter les législations et les
réglementations cantonales topiques2404. Bien que politiquement sensible, cette
démarche aurait l’avantage d’ouvrir officiellement et ouvertement le débat de
la place offerte à la minorité nationale tzigane en Suisse.
1942. Nous suivons les observations du Comité consultatif de la CPMN
lorsqu’il souligne que le fédéralisme et la répartition des compétences en ma-
tière d’aménagement du territoire engendrent, pour les Tziganes en Suisse,
une pluralité d’interlocuteurs, fédéraux, cantonaux et communaux qui rendent
particulièrement difficiles le développement de solutions locales, a fortiori glo-
2402
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 53.
2403
Dans ce sens, voir le Rapport d’expertise 2001, p. 59, qui conseille de répercuter le concept de be-
soin des Tziganes nomades dans les différentes législations applicables.
2404
Dans ce sens, voir le Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 53.
511
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2405
Opinion du Comité consultatif relatif à la Suisse, ACFC/INF/OP/I (2003) 007, § 76-77.
2406
NÜSSLE, pp. 108-109.
2407
Rapport du Conseil fédéral Partie II, p. 22.
2408
Voir ainsi l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 21-22 ; Prise de position du
Conseil d’Etat du Canton de Zurich, du 19 octobre 2005, relative à la procédure de consultation
concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, p. 3 (http://www.regierungsrat.zh.ch,
[consulté le 12 avril 2006]). Prise de position de l’Union des villes suisses, du 27 octobre 2005, rela-
tive à la procédure de consultation concernant l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, p. 4
(http://www.staedteverband.ch [consulté le 12 avril 2006]).
512
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
2409
Supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.
2410
BRÜCKNER, n° 312.
513
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2411
Art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (RS 832.10 ; RO 1995 1328) ;
art. 1a al. 1 let. a de la loi fédérale sur l’assurance vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (RS
831.10 ; RS 8 451)
2412
RS 851.1.
2413
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II) N. 776 ; HÄFELIN/HALLER, N, 584.
2414
Art. 1er al. 2 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés, du 16 septembre
1983, RS/GE F 2 05.
2415
Art. 6 de la loi genevoise sur le séjour et l’établissement des Confédérés.
514
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
Cst. (2.). Enfin, nous tâcherons de déterminer si les solutions développées par
les Tziganes nomades dans la pratique rendent envisageable une interpréta-
tion conforme au droit supérieur des normes actuelles, ou si une reformulation
s’impose (3.).
1. L’état du droit
1957. A teneur de l’article 23 al. 1 CC, le domicile civil est le lieu où toute
personne « réside avec l’intention de s’y établir ». La jurisprudence a interprété
très tôt cette notion comme étant constituée, d’une part, de la volonté de rester
dans un endroit de façon durable, et d’autre part, de la manifestation de cette
volonté par une résidence effective dans ce lieu2417. Si les déplacements ne sont
bien entendu pas interdits, cette disposition trouve ses fondements sur la créa-
tion du centre d’existence des particuliers, qui permet de garantir au séjour
une réelle stabilité2418.
1958. On peut identifier ce lieu par différentes méthodes : en déterminant
l’endroit où la personne séjourne habituellement, c’est-à-dire où elle passe la
nuit en règle générale ; par rapport à la situation familiale, c’est-à-dire le lieu
de résidence des membres de la famille du particulier; ou encore en relation
avec la situation sociale, où les activités sociales, amicales, voire politiques de
la personne se développent ; en se référant finalement au lieu où s’exercent les
activités lucratives de l’individu2419.
1959. Ces hypothèses ne sont pas compatibles avec l’itinérance traditionnelle
des Tziganes. En effet, le cas classique sur lequel se basent les solutions juris-
prudentielles est le suivant : pour des raisons professionnelles, une personne
se voit obligée de voyager ; toutefois, elle possède ses attaches familiales et so-
ciales en un endroit déterminé, et sa famille ainsi que la plupart de ses rela-
tions sociales sont concentrées en un même lieu.
1960. Or, les membres d’une famille tzigane voyagent tous ensemble. Leurs
relations sociales et familiales se tissent et se maintiennent au gré des ren-
2416
BRÜCKNER, n° 324 ; STAEHLIN (art. 23), n° 30 ; STAEHLIN (art. 24), n°1.
2417
ATF 109 Ia 41, 52 Grenchen. SCYBOZ/GILLIERON (art. 23 CC), p. 34.
2418
SCYBOZ/GILLIERON (art. 23 CC), pp. 34-35. Voir FF 1993 III 405, 436.
2419
ARNOLD, p. 453.
515
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2420
Recommandation R n° (2004) 14, § 16.
2421
STAEHLIN (art. 24), n° 6.
2422
ATF 119 III 54, 56 S. c. S. ; ATF 86 II 7, 10 Hirschberg. STAEHLIN (art. 24), n° 10.
2423
ATF 94 I 318, 325-326 Erben X.
2424
BRÜCKNER, n° 340 ; STAEHLIN (art. 23), n° 26.
2425
ARNOLD, pp. 451-453.
516
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
1965. L’article 23 CC entre en conflit avec l’article 8 al. 2 Cst. en raison de son
silence à l’égard de la situation particulière des Tziganes nomades. En effet, la
loi traite de manière similaire deux situations différentes, se distinguant sous
l’angle du mode de vie des personnes concernées, qui n’est pas justifiée par
des motifs objectifs et raisonnables. Alors que l’itinérance des Tziganes est un
mode de vie reconnu officiellement par l’ordre juridique comme constituant
une spécificité distinctive, la loi envisage de la même manière la situation fa-
miliale, sociale et professionnelle des sédentaires, et celle des personnes qui ne
le sont pas.
1966. Or, seuls les membres nomades de la minorité tzigane se retrouvent
dans une situation juridique et pratique difficile à vivre au quotidien, du fait
du silence de la loi à leur égard. La norme ne prenant pas en compte
l’existence de l’itinérance culturelle, elle semble remettre en cause sa validité
du fait qu’elle ne consacre que l’hypothèse de la sédentarité. Dès lors, par son
absence de reconnaissance de leur mode de vie, elle atteint les Tziganes noma-
des dans leur dignité.
1967. A priori, du fait de la formulation neutre de l’article 23 CC, cette dis-
crimination peut être qualifiée d’indirecte. Toutefois, on relèvera que la séden-
tarité est un standard représentant clairement une caractéristique fondamen-
tale du groupe social dominant, que ne peuvent réaliser les membres d’une
certaine minorité sociale, à moins de renoncer à l’un des éléments fondamen-
taux qui constituent leur identité2426.
1968. En conséquence, il est également possible de soutenir qu’il s’agit d’une
discrimination directe, en estimant que le critère de la sédentarité est employé
ici de façon implicite. La discrimination est contenue dans la loi et cette der-
nière ne peut pas être considérée comme « neutre » car elle consacre la séden-
tarité sans prévoir d’exception ou de nuance en faveur du mode de vie no-
made
1969. Dès lors, l’article 23 CC ne respecte pas l’un des critères spécifiques de
distinction prévus à l’article 8 al. 2 Cst et doit être présumé comme portant di-
rectement atteinte à la dignité des Tziganes nomades. Seul l’apport de motifs
justificatifs démontrant l’absence d’effets négatifs sur la dignité de ces person-
nes permettrait de conclure à l’absence de violation de l’article 8 al. 2 Cst.
2426
Voir nos développements et notre prise de position relatifs à cette approche de l’interdiction de la
discrimination, supra Titre Troisième, Chapitre II, Section 2.2.2.
517
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2427
Du point de vue des autorités fédérales, l’art. 23 CC est incompatible avec le nomadisme ; FF 1993
III 405, 436.
2428
ZUERCHER-BERTHER, p. 20.
2429
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 45-46.
2430
Arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich, du 3 août 2004, cause VB 2004.00153, in : Re-
chenschaftsbericht des Verwaltungsgerichts Zürich 2004, n° 34, p. 84.
2431
Pour la reconnaissance du lieu de stationnement d’hiver à titre de domicile au sens de l’art. 23 CC,
voir STAEHLIN (art. 23), n° 26. BRÜCKNER, n° 340, semble également pencher pour cette solution, sans
518
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
évoquer nommément les Tziganes nomades, en désignant comme domicile effectif le lieu d’arrêt le
plus long des personnes vivant en caravane ou sous une tente.
2432
MERMOUD, p. 3.
2433
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, p. 7.
2434
Rapport du Conseil fédéral, Partie II, pp. 7ss, en particulier p. 22.
519
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2435
HANGARTNER/KLEY, p. 65. Voir par ailleurs la prise de position du Conseil d’Etat du Canton de Zurich,
du 19 octobre 2005, relative à la procédure de consultation concernant le Rapport du Conseil fédé-
ral du 22 juin 2005, p. 4 (http://www.regierungsrat.zh.ch [consulté le 12 avril 2006].
2436
Infra Section C, 2.
520
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
2437
Supra Titre Premier, Chapitre II.
2438
LIFD ; RS 642.11; RO 1991 1184.
2439
ARNOLD, p. 452 ; NOËL, p. 406.
2440
ASA 39 (1970), p. 284 ; ASA 36 (1967), p. 103. ARNOLD, p. 453 ; NOËL, p. 406.
2441
ARNOLD, p. 454 ; NOËL, p. 406.
521
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2442
ARNOLD, pp. 454-456.
2443
HANGARTNER/KLEY, pp. 49-50.
522
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
soumis qu’aux lois que l’on s’est soi-même données2444. La Constitution fédé-
rale affirme clairement à son article 39 al. 2, 1ère phrase, que les droits politi-
ques s’exercent « au lieu du domicile » des citoyens.
1996. A teneur de l’article 3 al. 1 de la loi fédérale sur les droits politiques2445,
ce domicile est « la commune où l’électeur habite et s’est annoncé à l’autorité
locale ». Cela correspond généralement au domicile civil, la Confédération et
les cantons pouvant prévoir des exceptions2446. Cet exercice constitue un droit
fondamental qui confère au citoyen domicilié sur le territoire communal une
prétention justiciable2447.
1997. La domiciliation des membres du corps électoral est ainsi une question
centrale en matière de droits politiques. Impliquant l’inscription des ayant-
droits dans un registre, elle permet à l’administration d’identifier l’individu
comme appartenant au corps des citoyens, et par la même occasion de déter-
miner son intégration dans une communauté territoriale qui se décline en
Suisse en trois volets : communale, cantonale et nationale.
1998. Historiquement, cette démarche s’explique par l’exigence de la créa-
tion d’un lien juridique fort entre le citoyen et le territoire. La fixation territo-
riale poursuit plusieurs objectifs : empêcher autant que possible la création
d’un corps d’électeurs « flottant », qui n’auraient que peu ou pas de liens avec
leur lieu de domicile, ainsi que maîtriser le « nomadisme électoral » qui, poten-
tiellement, pourrait transformer les différentes majorités politiques2448.
1999. Aujourd’hui, bien que les Tziganes nomades suisses soient des Suisses
de l’intérieur, leur tradition d’itinérance les rapproche de la situation des Suis-
ses de l’étranger, sans qu’il soit cependant possible de leur appliquer la même
réglementation. Ils constituent ainsi une catégorie spécifique d’électeurs qui,
jusqu’à récemment, n’était prise en compte à aucun des trois niveaux étatiques
suisses.
2000. Les Tziganes nomades étant considérés comme n’ayant officiellement
pas de domicile au sens de l’article 23 CC2449, il s’agissait de trouver une solu-
tion qui permette de respecter les garanties offertes par l’égalité de traitement
et l’interdiction de la discrimination, ainsi que l’obligation de garantir
l’exercice des droits politiques au sens des articles 34 Cst. et 25 Pacte II2450. Le
2444
HANGARTNER/KLEY, p. 64 ; MAHON (2001), § 28.
2445
Loi fédérale sur les droits politiques, du 17 décembre 1976 (LDP ; RS 161.1 ; RO 1978 688).
2446
Art. 39 al. 2, 2ème phrase, Cst. HANGARTNER/KLEY, p. 64 ; KÖLZ, pp. 7-8 ; VOUTAT/SCHORDERET, p. 23.
2447
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 32-37 ; HANGARTNER/KLEY, p. 64.
2448
VOUTAT/SCHORDERET, pp. 21-22.
2449
FF 1993 III 405, 436.
2450
HANGARTNER/KLEY, p. 50.
523
La situation juridique des Tziganes en Suisse
principe de territorialité trouve ici une exception en raison du fait que la no-
tion même de domicile ne peut pas s’appliquer2451.
2. Les solutions
2451
HANGARTNER/KLEY, p. 64-65.
2452
RO 1994 2422 ; FF 1993 III 405.
2453
On remarquera que certains auteurs n’évoquent pas du tout cette disposition et ce cas de figure ;
comp. ainsi AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 716 ; HÄFELIN/HALLER, N. 1368-1370.
2454
MAHON (2001), N. 37 ; KLEY (art. 39), N. 7.
2455
FF 1993 III 405, 436. Relevons que leur situation particulière n’était pas prise en compte aupara-
vant par la doctrine s’exprimant sur la question du domicile politique ; ainsi, KÖLZ, pp. 7-8.
2456
Message du Conseil fédéral relatif à un projet de loi sur les élections et les votations fédérales, du
24 juin 1872, FF 1872 II 811-827.
2457
Art. 136 al. 1 Cst.. HANGARTNER/KLEY, pp. 30-31.
2458
Sur l’évolution historique de la composition du corps électoral fédéral et des motifs d’exclusion, voir
VOUTAT/SCHORDERET, pp. 24-26.
2459
FF 1993 III 405, 436.
524
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
2460
Voir ainsi : art. 1 al. 2 de la Verordnung zum Gesetz über die politischen Rechte argovienne, du 25
novembre 1992 (RS/AG 131.111) ; art. 2 al. 1 de la Gesetz über die politischen Rechte du canton
de Bâle-Campagne, du 7 septembre 1981 (RS/BL 120) ; art. 3 al. 1 de la Gesetz über die Wahlen
und Abstimmungen an der Urne glaronaise, du 7 mai 1989 (RS/GL I B/22/2) ; art. 2 al. 3 de la loi
jurassienne sur les droits politiques, du 26 octobre 1978 (RS/JU 161.1) ; art. 5 al. 1, 2ème phrase,
de la Stimmrechtsgesetz lucernoise, du 25 octobre 1988 (RS/LU 10); art. 5 al. 1, 2ème phrase de la
Gesetz über die Wahlen und Abstimmungen schwyzoise, du 15 octobre 1970 (RS/SZ 120.100) ; art.
17 Cst./ZH (qui renvoie directement à la notion fédérale de domicile politique au sens de l’art. 3 al.
1, 2ème phrase, LDP) .
2461
HANGARTNER/KLEY, p. 43. Voir ainsi l’absence de disposition topique dans les législations suivantes :
art. 2 et 4 de la Verordnung über die politischen Rechte du canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures,
du 11 juin 1979 (RS/AI 121) ; art. 4 de la Gesetz über die politischen Rechte du canton d’Appenzell
Rhodes-Extérieures, du 24 avril 1988 (RS/AR 131.12) ; art. 6 de la loi bernoise sur les droits politi-
ques (RS/BE 141.1) ; art. 2 de la Gesetz über Wahlen und Abstimmungen du canton de Bâle-Ville,
du 21 avril 1994 (RS/BS 132.100) ; art. 2 et 3 de la loi fribourgeoise sur l’exercice des droits politi-
ques, du 6 avril 2001 (RS/FR 115.1) ; art. 1 et 3 de la loi genevoise sur l’exercice des droits politi-
ques, du 15 octobre 1982 (RS/GE A 5 05) ; art. 9 Cst./GR et art. 5 de la Gesetz über die Ausübung
der politischen Rechte grisonne (RS/GR 150.100) ; art. 2, 3 et 5 de la loi neuchâteloise sur les droits
politiques, du 17 octobre 1984 (RS/NE 141) ; art. 8 et 10 Cst./NW ; art. 32 Cst./SG ; art. 5 de la
Gesetz über die politischen Rechte soleuroise, du 22 septembre 1996 (RS/SO 113.111) ; art. 4 de la
Wahlgesetz schaffousoise, du 15 mars 1904 (RS/SH 160.100) ; art. 2 et 3 de la legge sull’esercizio
dei diritti politici tessinoise, du 7 octobre 1998 (RS/TI 1.3.1.1) ; art. 3 de la Gesetz über das Stimm-
und Wahlrecht thurgovienne, du 15 mars 1995 (RS/TG 161.1) ; art. 4 et 5 de la loi vaudoise sur
l’exercice des droits politiques, du 16 mai 1989 (RS/VD 160.1) ; art. 6, 8 et 9 de loi valaisanne sur
les élections et les votations, du 17 mai 1972 (RS/VS 160.1) ; art. 17 Cst./UR ; art. 2 de la Gesetz
über die Wahlen und Abstimmungen zougoise, du 23 janvier 1969 (RS/ZG 131.1).
2462
Art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur les droits politiques des Suisses de l’étranger (RS 161.5 ; RO 1976
1805), qui ne fait que rappeler ce que la Constitution fédérale prévoit déjà (art. 3 et 40 al. 2 Cst.).
HÄFELIN/HALLER, N. 1377 ; HANGARTNER/KLEY, p. 51 ; KLEY (art. 39), N. 9.
2463
HANGARTNER/KLEY, p. 50.
525
La situation juridique des Tziganes en Suisse
3. Appréciation et critique
2464
Dans ce sens, HANGARTNER/KLEY, p. 50.
2465
Voir ainsi l’art. 3 LEDP/FR. Par contre, l’art. 1 LEDP/GE, par exemple, laisserait une place à cette
approche (« les citoyens et citoyennes (…) domiciliés dans le canton (…) »). HANGARTNER/KLEY, p. 49,
soulignent que cette exigence exclut également le vote des Suisses de l’étranger.
2466
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 716 ; KLEY (art. 39), N. 12 ; MAHON (2001), N. 35.
526
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
al. 1, 2ème phrase, LDP2467 révèle les limites de cette expression employée pour
qualifier d’une façon générale les Tziganes suisses dans leur ensemble. En ef-
fet, elle illustre la vision très étroite des autorités fédérales – mutatis mutandis,
des autorités cantonales – par rapport à ce qu’elle recouvre et ce qu’elle signifie
dans les faits.
2012. Cette restriction de la qualité de « Tzigane » aux individus pratiquant
encore le voyage n’est pas correcte d’un point de vue socio-culturel et ethni-
que. Il est très réducteur de considérer qu’un Tzigane sédentarisé ne fait plus
partie de la communauté des gens du voyage, alors que le nomadisme n’est
qu’une facette de leur culture spécifique.
2013. En outre, le concept même de « Tzigane sédentarisé » n’est pas univo-
que : une personne ne voyageant plus, mais vivant encore en caravane et ayant
besoin pour cela d’une aire de stationnement durable, fait partie des Tziganes
suivant encore leur mode de vie traditionnel, même si son nomadisme n’est
plus actif.
2014. Si l’on tient à employer la terminologie officielle, cette personne doit
donc être comptée au nombre des « gens du voyage ». Or, il ne fait aucun
doute que dans le contexte de la LDP, la notion de « gens du voyage » est em-
ployée pour s’appliquer uniquement aux Tziganes suisses vivant de façon
nomade. Dans ce cadre, il est en effet nécessaire d’interpréter cette expression
strictement.
2015. Une approche plus large signifierait que même les Tziganes ne voya-
geant plus seraient dans l’obligation d’aller voter dans leur commune
d’origine, ce qui serait conduirait à un résultat absurde. En effet, une fois éta-
blis dans une commune, vivant toujours en caravane ou dans une habitation
usuelle, les Tziganes connaissent le régime de la LDP valable pour les citoyens
« ordinaires », en votant au domicile politique établi à leur lieu de résidence. Il
n’y a aucune justification à dissocier ici les deux domiciles pour les Tziganes
ne voyageant plus, mais ce souci rationnel conduit à un constat insatisfaisant
du fait des termes employés par la loi.
2016. Dans le contexte général de la politique suisse à l’égard de la minorité
tzigane, il n’est pas possible de considérer que la communauté des « gens du
voyage » ne comporte que des personnes qui voyagent encore. Dès lors, em-
ployer cette expression dans la LDP est problématique et susicte des interroga-
tions quant aux modalités de sa mise en œuvre.
2017. En effet, une personne tzigane, vivant en caravane mais qui s’est ins-
tallée sur une aire de stationnement durable et qui ne cherche plus à voyager,
fait toujours partie des « gens du voyage ». La commune dans laquelle elle ré-
side peut-elle refuser de l’inscrire au registre des électeurs en appliquant
strictement la loi, ou peut-elle faire primer, contra legem, la solution rationnelle
du lieu de domicile? Cette personne doit-elle, le cas échéant, exercer malgré
2467
Mais également les dispositions cantonales qui ont repris formellement la solution fédérale.
527
La situation juridique des Tziganes en Suisse
lieu de domicile? Cette personne doit-elle, le cas échéant, exercer malgré tout
ses droits politiques dans sa commune d’origine ?
2018. Si l’option du lieu d’origine devait être maintenue, seule une modifica-
tion terminologique de la LDP, qui insisterait sur l’itinérance véritablement ac-
tive des particuliers, et non sur leur rattachement à une certaine minorité,
permettrait de faire coïncider la solution juridique avec la réalité socio-
culturelle de ces communautés.
2468
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (I), N. 719 ; MAHON (2001), N. 40.
2469
Révision de l’art. 161 CC, selon le Chiffre II de la loi fédérale du 23 mars 1990, en vigueur depuis le
1er janvier 1992, RO 1991 1034, 1043.
528
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
2470
Les Suisses de l’étranger exercent leurs droits politiques fédéraux dans leurs communes de vote qui
sont soit l’une de leurs communes d’origine, soit celles où ils avaient leurs domiciles antérieurs ; art.
5 al. 1 de loi fédérale sur les droits politiques des Suisses de l’étranger. Les cantons sont autorisés à
limiter le nombre de communes dans lesquelles les Suisses de l’étranger peuvent exercer leurs
droits politiques (art. 5 al. 2 LDPE).
2471
HANGARTNER/KLEY, pp. 50-51, 53.
529
La situation juridique des Tziganes en Suisse
pondent réellement aux centres d’existence des particuliers, estimant que dans
le cas contraire, elle ne peut être retenue, car elle avaliserait la constitution
d’un domicile fictif2472.
2030. Ces objections se heurtent aux exigences posées par l’article 8 Cst..
Nous venons d’évoquer les raisons qui nous poussent à critiquer le texte même
de la LDP au regard de cette norme, et de ses difficultés d’application.
L’argument de l’exigence de la réalité du centre d’existence pour la reconnais-
sance de la validité du domicile au sens de l’article 23 CC ne prend pas en
compte que cette disposition elle-même, nous l’avons également vu, est pro-
blématique par rapport à l’article 8 Cst..
2031. Ainsi, l’incapacité de l’interpréter littéralement et téléologiquement en
faveur du nomadisme impose que l’on ne se montre pas trop exigeant avec la
réalité du centre d’existence des Tziganes nomades sur leurs places de station-
nement durable. En outre, la dimension financière, limitée en l’occurrence, ne
doit pas constituer, à notre sens, un argument suffisant pour faire peser la ba-
lance contre cette solution.
2032. Enfin, à titre de dernier argument, on relèvera la nécessité d’essayer de
faire coïncider les différents domiciles – civil, fiscal, et politique. Or, le domi-
cile politique ne permet pas de fonder en tant que tel le domicile fiscal2473. Dès
lors que, pour les Tziganes nomades, ce dernier renvoie également au lieu de
stationnement hivernal, il nous paraît plus raisonnable de plaider qu’à terme
cette solution soit retenue pour le domicile politique.
2033. Nous avons eu l’occasion de souligner les difficultés qu’il peut y avoir
à qualifier les caravanes tziganes de domicile, au sens d’habitation. Le droit
genevois illustre cette difficulté, et se trouve en contradiction avec les exigen-
ces découlant du principe d’égalité (1.) et du droit au respect du domicile et du
droit au logement (2.).
2034. En droit cantonal genevois, l’article 111 al. 1, première phrase, de la loi
sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril 19882474, s’avère
problématique au regard du principe d’égalité. En effet, cette disposition pré-
2472
HANGARTNER/KLEY, p. 51 ; voir cependant la position de ces auteurs, ibidem, p. 65.
2473
ARNOLD, p. 453.
2474
LCI/GE; RS/GE L 5 05.
530
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
voit que « l’utilisation de roulottes comme logement n’est permise qu’aux fo-
rains professionnels ».
2035. Par « forains professionnels », le droit genevois entend celles et ceux
pratiquant un métier de forain, défini notamment par le règlement sur
l’assurance-responsabilité civile des exploitants de métiers forains ou analo-
gues et d’appareils mécaniques et électriques, du 12 juin 19702475 . Pratiquent
ainsi une telle profession les particuliers exploitant un stand, des attractions,
des manèges ou des carrousels. Or, ceci ne correspond pas aux activités exer-
cées par les Tziganes nomades, qui ne sont donc pas inclus dans cette excep-
tion.
2036. Le législateur genevois a pris ainsi en compte le fait que l’activité lu-
crative des forains nécessite de faire une distinction entre ces derniers et les
personnes ne pratiquant pas ce travail. Cette activité lucrative représente ainsi
un motif objectif et raisonnable qui justifie de les autoriser à vivre en caravane
et de les traiter donc différemment de celles et ceux dont l’activité ne les oblige
pas à vivre en roulotte. Or, en définissant précisément ce qu’il entend par
« forain » et en ne créant pas d’exception similaire en faveur des Tziganes,
l’article 111 al. 1, première phrase, LCI/GE paraît les assimiler sans motifs ob-
jectifs et raisonnables aux non-forains.
2037. Ainsi, le mode de vie traditionnel des Tziganes, qui inclut par ailleurs
l’exercice de certaines activités lucratives itinérantes, n’est pas pris en considé-
ration. Le droit cantonal procède donc ici à une assimilation déraisonnable des
Tziganes nomades à l’ensemble de la population sédentaire et des non-forains.
2038. En outre, la loi ne prend pas suffisamment en compte les similitudes
existant entre les exigences professionnelles des forains et celles des Tziganes
nomades, alors qu’elles constituent une justification objective et raisonnable
pour appliquer un traitement différencié à ces derniers par rapport au reste de
la population. Au regard des exigences de l’égalité de traitement, ces disposi-
tions apparaissent problématiques.
2039. Par ailleurs, l’absence de prise en compte du mode de vie traditionnel
des Tziganes par le droit cantonal a un effet négatif sur leur dignité. Les Tzi-
ganes nomades semblent avoir été « oubliés » par les normes genevoises. Cette
présomption de discrimination paraît difficilement réfragable en l’espèce, car
le législateur cantonal a pris la peine de se pencher sur le cas des forains, qui
constituent un groupe professionnel, qui, par ailleurs, n’est pas protégé par
l’article 8 al. 2 Cst..
2040. Le critère sensible qui fonde la présomption de discrimination est ici
l’origine ethnique, et non le mode de vie itinérant, puisque l’hypothèse des fo-
rains est prévue par la loi. Il paraît douteux de ne voir ici qu’un effet indirect
2475
RS/GE I 2 03.08.
531
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2476
Voir par ailleurs la conclusion de WALDMANN (2004), p. 954, qui, sans employer l’approche de l’emploi
implicite des critères suspects, parvient également à la constatation d’une discrimination directe.
2477
Voir nos développements supra Titre Troisième, Chapitre III, Section C, 2.
2478
Règlement genevois d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 27
février 1978 (RLCI/GE ; L 5 05.01).
2479
Comp. toutefois l’arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève, du 6 avril 2004, causes
A/1278/2003-GC et A/1439/2003-GC, pp. 14-15 : « Du moment qu'elles servent à l'habitation des
gens du voyage, [des] caravanes doivent être considérées comme des maisons d'habitation dont le
regroupement constitue plusieurs logements. […] Cette interprétation ne saurait être remise en
cause par les articles 216 et suivants [RALCI], en particulier par l'article 216 alinéa 3 RALCI qui
prescrit que l'utilisation des roulottes, caravanes ou autre véhicule semblable comme logement n'est
permise qu'aux forains professionnels et aux personnes vivant avec eux en communauté domesti-
que. Ces dispositions, de rang réglementaire, doivent s'interpréter conformément au droit supé-
rieur. »
532
Titre Quatrième - Nomadisme et domicile
F. Synthèse
533
La situation juridique des Tziganes en Suisse
534
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
2480
ATF 130 I 352, 354 X ; ATF 129 I 12, 16 V.; ATF 128 I 35, 38 M. X.. AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II),
N. 1534; KIENER (2001), pp. 906-907 ; PLOTKE, p. 554 ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 15.
2481
Voir la recension des opinions doctrinales effectuée par PLOTKE, pp. 557-559.
2482
Ainsi notamment MAHON (art. 19), N. 6.
2483
Dans ce sens, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1539 ; BORGHI (art. 27), n° 45 ; WALDMANN
(2003), p. 705. Il sied de mettre ces dispositions en rapport avec l’art. 41 al. 1 let. f et g Cst., qui
posent comme buts sociaux les objectifs de fournir à la population une formation initiale et une
formation continue correspondant à ses aptitudes, d’une part, et d’encourager les enfants et les
jeunes à devenir indépendants et responsables, en étant intégrés socialement, culturellement et po-
litiquement ; KIENER (2001), p. 905.
2484
ATF 130 I 352, 354 X. ; ATF 129 I 12, 16 V. ; ATF 129 I 35, 38 M. X.
535
La situation juridique des Tziganes en Suisse
raient sur le territoire communal que pour une courte durée2485. A teneur de
l’article 62 al. 2, 2ème phrase, Cst., ce droit constitue également une obligation à
charge des parents qui doivent scolariser leurs enfants2486.
2053. L’article 62 alinéa 1 Cst. rappelle2487 que les cantons sont compétents
en matière d’instruction publique. Ces derniers disposent d’une grande auto-
nomie pour organiser la structure et l’encadrement scolaires2488. L’accueil des
enfants tziganes nomades dans les écoles et la gestion de leur scolarité est ainsi
de leur ressort.
2054. La tension existant entre l’obligation de donner aux enfants une éduca-
tion de base et les exigences posées par le respect de l’identité minoritaire tzi-
gane est illustrée de deux manières. Premièrement, nous allons examiner de
quelle façon les autorités scolaires s’efforcent de concilier la pratique effective
d’un mode de vie nomade avec la scolarisation obligatoire (1.).
2055. Deuxièmement, nous analyserons la compatibilité de la transmission
des connaissances et des compétences traditionnelles tziganes en matière
d’activités professionnelles avec la scolarisation obligatoire, d’une part, et
l’interdiction du travail des mineurs, d’autre part (2.).
2056. Le Comité des droits de l’enfant, interprétant l’article 29 al. 1 let. c2489
et d2490 CDE, convient que la réalisation de ces deux dispositions peut parfois
2485
Un tel refus serait également constitutif d’une violation de l’interdiction de la discrimination, sur la
base du mode de vie ; WALDMANN (2003), p. 706.
2486
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 1535; HÄFELIN/HALLER, N. 206
2487
Cette compétence est déjà déductible de l’art. 3 Cst. ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 5.
2488
ATF 130 I 352, 354 X. PLOTKE, p. 555.
2489
Art. 29 al. 1 let. c CDE: « Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à: (...)
inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs cultu-
relles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut
être originaire et des civilisations différentes de la sienne ».
2490
Art. 29 al. 1 let. d CDE: « Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à : (...)
préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de
compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et
groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ».
536
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
mener à un conflit opposant des valeurs peu compatibles entre elles. Toutefois,
il souligne que leur intérêt réside précisément dans le fait qu’elles exigent une
approche pondérée et souple de l’éducation, qui permette de concilier les va-
leurs potentiellement conflictuelles de la culture de l’enfant et de la culture du
pays dans lequel il vit2491.
2057. La doctrine souligne que dans le domaine de la scolarité comme ail-
leurs, les droits fondamentaux des personnes appartenant à des communautés
minoritaires possèdent une fonction défensive à l’égard de l’Etat, contre une
assimilation culturelle et identitaire non souhaitée dans la société majori-
taire2492.
2058. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels insiste sur le
principe stipulant que l’éducation doit être disponible, accessible, acceptable et
adaptable pour tous les enfants2493. Ce quatrième critère signifie que
l’enseignement « doit être souple de manière à pouvoir être adapté aux (...) be-
soins des étudiants dans leur propre cadre social et culturel »2494.
2491
Observation générale n° 1 du Comité des droits de l’enfant, § 4.
2492
WYTTENBACH/KÄLIN, p. 320. Egalement : ATF 119 Ia 178, 196 A. und M. Voir par ailleurs nos déve-
loppements à ce sujet supra, Titre Troisième, Chapitre I, Section B, 1.
2493
Observation générale n° 13 du CESCR, § 6.
2494
Observation générale n° 13 du CESCR, § 6.
2495
Judith WYTTENBACH et Walter KÄLIN qualifient ce type de conflits d’intérêts de « multipolare Grun-
drechtskonflikte » ; WYTTENBACH/KÄLIN, p. 321.
2496
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 47 ; RIEDER (1999), p. 166 ; WALDMANN (2003), p. 705.
2497
ZBl 2005 430 ; Arrêt du 29 novembre 2005, cause 2P.198/2005, consid. 1.1.1. ; ATF 129 I 12, 16 V.
BORGHI (art. 27), N. 49 ; SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 23.
537
La situation juridique des Tziganes en Suisse
rant les mois d’hiver, soit la famille reste sur une aire de stationnement dura-
ble le temps d’une année scolaire, voire de la totalité de la scolarité obliga-
toire2498. Ces difficultés poussent en règle générale les familles à arrêter leurs
caravanes durant toute la période de scolarisation, voire à se sédentariser en
abandonnant leur mode de vie2499.
2062. Or, ce n’est pas uniquement le mode de vie lui-même qui est alors re-
mis en cause : les liens étroits entre nomadisme et exercice d’une activité lucra-
tive ont pour conséquence que les exigences relatives à l’éducation des enfants
et celles relatives aux professions des parents s’opposent directement.
2063. En effet, les métiers pratiqués par les Tziganes nomades ne
s’accommodent pas de la sédentarité, puisqu’ils sont étroitement liés au mode
de vie nomade. Dès lors, il existe un risque important que les parents perdent
leur source de revenu. Ne disposant pas, en règle générale, des qualifications
nécessaires pour postuler à des emplois du troisième secteur, et pratiquant des
professions indépendantes, les difficultés économiques deviennent lourdes,
puisque les Tziganes n’ont alors pas accès aux prestations de l’assurance-
chômage2500.
2064. En outre, la scolarisation obligatoire au sein du système éducatif clas-
sique comporte un risque réel de déracinement socio-culturel des enfants par
rapport à leur famille et leur communauté. Ainsi, la formation qui y est offerte
est souvent perçue comme déformante par les parents en raison des risques
d’acculturation qu’elle possède: nombreux sont les enfants tziganes qui, ayant
suivi le cursus scolaire classique, se retrouvent déracinés au sein de leur com-
munauté, tout en continuant à être perçus comme des personnes non assimila-
bles par la société majoritaire. On ajoutera également le rejet et l’ostracisme
dont peuvent être l’objet les enfants tziganes se retrouvant dans une classe
d’enfants sédentaires et qui rendent leur quotidien très pénible2501.
2065. A priori, il existe ainsi un conflit entre le droit individuel de l’enfant à
obtenir une éducation de base équivalente à celle des autres, et le droit collectif
à la perpétuation de l’identité minoritaire tzigane. Dès lors, bien que
l’obligation de scolariser les enfants poursuive un intérêt public justifiant la
restriction des parents dans leur droit de choisir s’ils souhaitent envoyer leurs
enfants à l’école ou non, ces différents facteurs indiquent que le principe de
2498
Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 452.
2499
RIEDER (1999), p. 166 ; WALDMANN (2003), p. 705 ; ZÜRCHER-BERTHER, pp. 47-48.
2500
Il résulte de l’art. 2 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas
d’insolvabilité, du 25 juin 1982 (RS 837.0 ; RO 1982 2184) que seules les personnes salariées sont
assurés en vertu de cette loi. Voir également l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, p.
46 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 50.
2501
ZÜRCHER-BERTHER, p. 49.
538
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
2502
HÄFELIN/HALLER, N. 373-374.
2503
Dans ce sens, voir l’art. 3 al. 1 CDE: « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles
soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération
primordiale ».
2504
WILSON (1999), pp. 20-27, en particulier p. 27.
2505
Observation générale n° 1 du Comité des droits de l’enfant, du 17 avril 2001, Les objectifs de
l’éducation, UN Doc. CRC/GC/2001/1.
2506
Observation générale n° 13 du CESCR, du 8 décembre 1999, Le droit à l’éducation (art. 13 du
Pacte), UN Doc. E/C.12/1999/10.
2507
WYTTENBACH/KÄLIN, p.322.
2508
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.
539
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2509
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48. Voir également LIEGEOIS (1994), p. 206 ; ZÜRCHER-
BERTHER, p. 113.
2510
LIEGEOIS (1994), p. 216.
2511
WILSON (1999), p. 76.
2512
Comp. ainsi dans le canton de Vaud, pour l’année 2003-2004 : dix dispenses de cours pour plus
d’un mois (mars-juillet) ont été accordées par le département cantonal compétent à des enfants tzi-
ganes nomades en âge de scolarité obligatoire, sur la base des art. 167 et 168 du règlement de la
loi scolaire vaudoise, du 12 juin 1984 (RS/VD 400.01).
2513
Par exemple, en Ville de Berne, dans les communes de Bâle-Campagne, et dans la commune de
Versoix (GE) ; DFJP (1983), p. 32 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 113.
2514
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 47-48.
540
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
à celle donnée dans leurs établissements scolaires2515. Ainsi, les parents qui
souhaitent prendre eux-mêmes en charge l’éducation de leurs enfants doivent
obtenir une autorisation ; dans la plupart des cantons, cette éducation doit être
donnée par des professeurs diplômés, et si les conditions ne semblent pas
remplies, les autorités compétentes peuvent ordonner le renvoi dans une école
publique2516.
2515
SCHMID/SCHOTT (art. 62), N. 26. Les cantons peuvent toutefois interdire les écoles privées ; BORGHI
(art. 27), N. 39 et 50.
2516
DFJP (1983), pp. 30-31.
2517
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.
2518
Supra Titre Troisième, Chapitre II, Section B, 3.2.3.
2519
Rapport du Conseil fédéral, Parte I, p. 48.
541
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2520
WALDMANN (2003), p. 706.
2521
LIEGEOIS (1994), p. 209 ; WILSON (1999), p. 76 ; ZÜRCHER-BERTHER, p. 115.
2522
Comp. l’art. 29 al. 2 CDE. Comp. également l’art. 2§4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
minorités de 1992 qui, en posant le principe que les minorités ont le droit de créer et de maintenir
leurs propres associations, recouvre également le droit de créer des institutions scolaires propres
aux minorités; THORNBERRY (art. 13), p. 398.
2523
THORNBERRY (art. 13), pp. 395-396.
542
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
2524
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 31-32.
2525
DFJP (1983), p. 11 ; LIEGEOIS (1994), pp. 199 et 202 ; THODE-STUDER, pp. 97-98 ; ZÜRCHER-BERTHER,
p. 48.
2526
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 44-45.
2527
Loi fédérale sur la formation professionnelle, du 13 décembre 2002 (LFPr ; RS 412.10 ; RO 2000
4557).
2528
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 45.
543
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2088. Traditionnellement, et ce dès leur plus jeune âge, les enfants tziganes
se forment professionnellement auprès de leurs parents, en les aidant dans le
cadre de leurs activités. Or, la limite d’âge imposée par les normes en matière
de travail des enfants crée un obstacle non négligeable à l’instruction de la
jeune génération. Cette situation est d’autant plus problématique que, nous
l’avons vu, l’éducation et la formation « classiques » données par les écoles ne
sont pas nécessairement en adéquation avec les besoins spécifiques des com-
munautés tziganes.
2089. Le droit international érige en règle l’interdiction du travail des mi-
neurs de moins de dix-huit ans2530, des exceptions étant néanmoins possibles
selon le type d’activité envisagée. Ainsi, l’article 4 de la Convention n°138 de
l’OIT prévoit qu’en cas de nécessité et à certaines conditions, il est possible de
ne pas appliquer la convention à des catégories professionnelles limitées si son
application devait générer, dans ce contexte, des difficultés d'exécution spécia-
les et importantes. A teneur de l’article 7, entre treize et quinze ans, les mi-
neurs peuvent être employées à des travaux légers, sauf s’il existe un risque
pour leur santé ou leur développement, ou si leur assiduité scolaire est remise
en question.
2529
Rapport du Conseil fédéral, Partie I, p. 48.
2530
L’art. 32 CDE interdit d’exposer les enfants de moins de dix-huit ans à l’exploitation économique et à
des travaux présentant un danger pour leur santé physique, psychique ou morale, et oblige les
Etats à fixer des âges minimum. Pour leur part, la Convention n° 138 de l’OIT du 26 juin 1973
concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi (RS 0.822.723.8 ; RO 2001 1427) impose aux
Etats la règle de l’âge de quinze ans minimum pour commencer à travailler, tandis que la Conven-
tion n° 182 de l’OIT du 17 juin 1999 concernant l’interdiction des pires formes de travail (RS
0.822.728.2 ; RO 2003 927) élève, dans ce contexte spécifique, la limite d’âge à dix-huit ans.
544
Titre Quatrième - Nomadisme et scolarisation obligatoire
2090. En droit fédéral, l’article 4 al. 3 LComIt renvoie aux dispositions topi-
ques de la loi fédérale sur le travail2531 en ce qui concerne l’âge minimum exigé
pour pouvoir exercer les métiers itinérants des Tziganes. L’article 30 al. 1 LTr
pose le principe de la limite inférieure de quinze ans, sous réserve d’exceptions
en faveur des mineurs de plus de treize ans, prévues par l’ordonnance
d’application de la loi2532. Etant donné qu’à cet âge les enfants sont soumis à la
scolarité obligatoire, les articles 52 et 53 de l’OLT 1 précisent que seules quel-
ques activités professionnelles légères leur sont permises, pendant un nombre
d’heures quotidiennes limitées, restreintes au cadre de magasins de vente au
détail et d’entreprises sylvicoles à partir de treize ans, puis étendues à d’autres
travaux légers à partir de quatorze ans.
2091. Ces professions ne recouvrant pas l’essentiel des métiers traditionnel-
lement exercés par les Tziganes, on pourrait donc a priori en conclure que seuls
les enfants tziganes ayant quinze ans révolus sont autorisés à travailler. Ce-
pendant, lorsqu’ils travaillent avec leurs parents, les jeunes gens le font dans le
cadre d’une entreprise familiale. Or, à teneur de l’article 4 LTr, ces activités
sortent du champ de la loi, les dispositions légales touchant à l’âge minimum
n’étant alors pas applicables.
2092. Toutefois, les articles 4 al. 3 LTr et 3 OLT 1 réservent l’application des
articles 29 al. 1 à 3, 30 et 31 LTr lorsque les jeunes gens travaillent dans
l’entreprise familiale conjointement avec d’autres travailleurs qui
n’appartiennent pas à la famille. Dans ce contexte, le régime ordinaire, no-
tamment en matière d’âge minimum, s’applique avec un plancher absolu de
treize ans pour certaines activités très légères2533. De même, lorsque le travail
envisagé implique l’emploi de matériel et d’outils dangereux, les jeunes de
moins de dix-huit ans ne peuvent le pratiquer2534.
2093. Ces deux hypothèses peuvent survenir dans le cadre de
l’apprentissage des compétences professionnelles traditionnelles des Tziganes,
générant un conflit entre les besoins culturels et professionnels de la minorité
et des familles tziganes, d’une part, et les exigences légales en matière de pro-
tection des droits fondamentaux des enfants dans le contexte professionnel,
d’autre part2535.
2531
Loi fédérale du 13 mars 1964 sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (Loi sur le tra-
vail ; LTr ; RO 1966 57 ; RS 822.11).
2532
Ordonnance 1 du 10 mai 2000 relative à la loi sur le travail (OLT 1 ; RO 2000 1581 ; RS 822.111).
2533
Art. 30 al. 2 LTr.
2534
Art. 47 let. a OLT 1.
2535
Voir l’avant-projet de rapport du Conseil fédéral, Partie I, pp. 31-33.
545
La situation juridique des Tziganes en Suisse
C. Appréciation
546
Titre Quatrième - La langue jénisch
2097. D’un point de vue linguistique, le jénisch est une langue tirant ses ra-
cines de l’allemand, du yiddish et du romani. Il est parlé par les communautés
jénisch de Suisse, de Belgique, d’Allemagne et d’Autriche et se distingue du
romani stricto sensu des communautés rroms/sinti2536. Le jénisch est qualifié de
"sociolecte"2537, de "dialecte ethnique de langue allemande"2538 ou encore
d'"ethnolecte"2539.
2098. Historiquement, cette langue a été développée au sein de la minorité
tzigane pour marquer sa différence avec la population majoritaire dans la-
quelle cette communauté évoluait. Dès lors, pour de nombreux Tziganes suis-
ses, le jénisch est considéré comme un langage secret, qui constitue un symbole
important de leur identité collective. Jusqu’à 2001, date de la publication du
premier dictionnaire jénisch, cette langue ne se transmettait que par oral et
n'avait jamais été écrite2540.
2099. Le caractère secret de cette langue demeure un facteur important,
ayant pour conséquence que la prise d’éventuelles mesures étatiques pour la
soutenir ou la promouvoir nécessite au préalable une concertation approfondie
au sein de la communauté elle-même. En effet, certains membres ne souhaitent
pas qu’elle sorte du cercle restreint de ses locuteurs2541. En l’occurrence, la mi-
2536
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR, p. 10. On soulignera, à la page 13 de ce premier
rapport, la confusion provoquée par une mauvaise citation du rapport initial suisse par le Comité
d’Experts, qui affirme que le gouvernement suisse reconnaît « les langues roms ».
2537
Réponse du Conseil fédéral au troisième rapport de l’ECRI sur la Suisse, du 17 juin 2003, CRI
(2004) 5, p. 33.
2538
Raymond G., Jr. GORDON (éd.), Ethnologue: Languages of the World, 15ème éd., Dallas, 2005.
2539
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 38.
2540
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 38.
2541
Réponse du Conseil fédéral du 15 septembre 2004 relative à l’interpellation 04.3347 Müller-Hemmi
du 16.06.04, Politique des minorités en Suisse, notamment pour les gens du voyage.
547
La situation juridique des Tziganes en Suisse
norité tzigane n’a pour l’instant émis aucun désir allant dans le sens de son en-
seignement dans les écoles publiques2542.
2100. Toutefois, l’existence et la pérennité de cette langue ont été mises en
danger par les politiques systématiques d’assimilation forcée qu’ont connues
les Tziganes suisses jusqu’à récemment. Ces dernières ont eu pour consé-
quence que les jeunes générations ne l’ont pas apprise en tant qu’enfants, ce
qui tendrait à faire penser que sa diffusion a diminué, voire régressé ces der-
nières années. Néanmoins, cette situation est certainement appelée à évoluer
du fait de l’intérêt croissant démontré à l’égard de cette langue par les jeunes
générations, comme de la culture jénisch de manière générale2543. Ainsi, des
échanges de vue entre la Confédération et la Radgenossenschaft der Landstrasse
ont démontré que les plus jeunes générations de Tziganes suisses sont désor-
mais de plus en plus sensibles à un apprentissage du jénisch2544.
2102. Le sort de la langue jénisch ne laisse pas indifférentes les autorités fé-
dérales. Lors de la ratification de la Charte européenne, en effet, la Suisse a
constaté que cette langue pouvait être qualifiée de « langue nationale non terri-
toriale » suisse au sens de cet instrument (article 1er let. c)2545, plus précisément
de « langue traditionnelle dépourvue de territoire »2546. En 2002, le Conseil fé-
déral a publiquement déclaré reconnaître le jénisch, au sens de l’article 3§1
CLRM, lors de l’adoption du deuxième rapport de la Suisse relatif à la
2542
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 39.
2543
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16. Voir également le Premier rapport du Comité
d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, pp. 10 et 14.
2544
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 38-39.
2545
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118. Voir également le
site de l’Office fédéral de la culture consacré aux « Gens du voyage » http://www.bak.admin.ch
[site consulté le 12 août 2006].
2546
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 16.
548
Titre Quatrième - La langue jénisch
CLRM2547. Selon le Conseil fédéral, « il ne fait ainsi aucun doute que le [jé-
nisch] est officiellement reconnu comme faisant entièrement partie du patri-
moine culturel suisse »2548.
2103. Dans le paysage plurilinguistique que connaît la Suisse, avec ses qua-
tre langues nationales, la situation du jénisch est atypique. En effet, considérée
comme étant une « langue nationale » protégée par le droit international, elle
n’est toutefois pas formellement consacrée comme telle dans la Constitution
fédérale, au contraire des autres langues nationales.
2104. A notre sens, qualifier le jénisch de « langue nationale sans territoire »,
ou encore de « langue traditionnelle», lui octroie clairement une position privi-
légiée par rapport à d’autres idiomes employés par des fractions plus
importantes de la population résidant en Suisse, comme l’espagnol, le turc ou
encore le serbo-croate, issus de l’immigration2549. Ceci signifie également que
le jénisch n’est pas considéré comme un simple dialecte car, a contrario, la
CLRM ne pourrait pas lui être appliquée (article 1er, let. a, ii).
2105. La politique de soutien que nous allons présenter ci-dessous démontre
que le jénisch, à l’instar de la minorité qui le parle, semble effectivement pos-
séder un statut particulier, à mi-chemin entre celui dont bénéficient les langues
nationales historiques de la Suisse, et celui des langues issues de
l’immigration. Nous constaterons que ce statut n’est pas très satisfaisant.
2547
Communiqué de presse du 20 décembre 2002 ; voir également le troisième rapport suisse relatif à
la CLMR, p. 39.
2548
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 37.
2549
Comp. la position de DESSEMONTET, p. 7, antérieure à la ratification de la CLMR, qui affirme que
« notre Etat central n’est pas tenu de prendre des mesures quelconques en faveur des minuscules
minorités qui parlent le jiddisch du Surbtal ou le jenisch des Tziganes ».
2550
AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 655.
2551
Au sujet du droit fédéral des langues, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (II), N. 642.
549
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2552
Message du Conseil fédéral relatif à la ratification de la CLMR, FF 1997 I 1118. Voir également le
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11.
2553
Recommandation RecChL (2004) 5 du Comité des Ministres relative à l’application de la Charte des
langues minoritaires ou régionales par la Suisse, du 22 septembre 2004.
2554
Avant-projet de rapport, Partie I, p. 48-50 ; troisième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 39-41.
2555
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 11.
2556
Troisième rapport suisse relatif à la CLMR, pp. 39-40.
550
Titre Quatrième - La langue jénisch
2111. Une langue protégée par la CLMR ne doit pas nécessairement être une
langue minoritaire au sens du droit des minorités : les deux statuts peuvent se
compléter mais ce n’est pas une nécessité. Dès lors, en sus de l’admission du
caractère national et non territorial du jénisch, on s’interrogera sur la possibili-
té de considérer que les Tziganes suisses forment une minorité linguistique, au
sens du droit international des minorités.
2112. Dans son rapport initial présenté au Secrétaire général du Conseil de
l’Europe en vertu de l’article 15 CLRM, le Conseil fédéral répond par la néga-
tive. En effet, il considère que les Tziganes suisses ne forment pas une minorité
linguistique, mais une minorité « culturelle ».
2113. Selon le Conseil fédéral, le soutien dont cette langue bénéficie ne peut
donc pas être attribué à la politique linguistique de la Suisse, mais est accordé
au titre de promotion culturelle uniquement, et dans le cadre du soutien finan-
cier que la Confédération apporte aux organisations représentatives de ses lo-
cuteurs, à savoir la Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses »
et la Radgenossenschaft2557. A notre sens, cette vision renforce le caractère hy-
bride du statut du jénisch que nous évoquions précédemment.
2114. S’exprimant précisément sur la situation de cette langue en Suisse, le
Comité d’Experts de la CLRM considère que le soutien financier d’institutions
à but culturel n’a pas le même poids et la même importance qu’une reconnais-
sance officielle, qui fait d’une langue l’expression de la richesse du patrimoine
culturel d’un Etat, au sens de l’article 7 § 1 let. a CLRM2558. Le Comité souligne
également que vouloir préserver l’identité culturelle des Tziganes suisses
d’une manière générale n’est pas synonyme de prise de mesures facilitant ou
encourageant l’emploi du jénisch lui-même. En conséquence, il encourage la
Suisse à ouvrir le dialogue dans ce sens avec les membres de sa communauté
jénisch2559.
2115. Concrètement, la position défendue par la Suisse sur cette question a
pour effet qu’une disposition comme l’article 70 al. 3 Cst., qui encourage la
compréhension et l’échange mutuels entre les diverses communautés linguis-
tiques, ne paraît pas pouvoir s’appliquer au jénisch, puisque la politique lin-
guistique suisse se concentre sur les quatre langues nationales2560.
2557
Rapport initial suisse relatif à la CLMR, p. 11 ; Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR rela-
tif à la Suisse, p. 13.
2558
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 13.
2559
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 14.
2560
Premier rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 14.
551
La situation juridique des Tziganes en Suisse
2116. L’approche des autorités fédérales est donc discutable car, en tant que
langue méconnue et atteinte par l’assimilation forcée de ses locuteurs, la fragi-
lité de l’existence du jénisch est semblable, voire supérieure, à celle du roman-
che. Par ailleurs, le contexte historique et sociologique des relations entre tzi-
ganes suisses et société majoritaire renforce cette nécessité d’intégration2561.
2117. En conséquence, des efforts accrus en matière de compréhension et
d’échanges entre les communautés seraient particulièrement appropriés, aussi
bien pour le jénisch lui-même que pour la minorité tzigane dans son ensem-
ble2562. De tels efforts devraient permettre aux membres de cette minorité de
tisser des liens de confiance avec les autorités et la majorité sociale qui font en-
core défaut. La réticence des Tziganes suisses à l’égard des initiatives de la
Confédération envers le jénisch se fonde essentiellement sur la crainte de la
stigmatisation dont ils pourraient faire l’objet. Un travail de communication et
d’échange constituerait la première étape pour permettre à terme de soulager
ces craintes.
2118. La situation est cependant susceptible d’évoluer puisque, dans le
deuxième rapport périodique suisse, le gouvernement suisse indique que
l’Office fédéral de la culture étudie la possibilité de faire figurer dans la nou-
velle loi fédérale sur les langues les conditions nécessaires à la promotion du
jénisch et aux échanges entre les communautés2563. En outre, les autorités fédé-
rales considèrent que le programme national de recherche 56, consacré à la
« Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse » et devant ser-
vir de base scientifique aux objectifs de la politique nationale linguistique,
permettra de prendre en compte les exigences de la langue jénisch, à l’instar de
celles des autres « minorités linguistiques reconnues de Suisse »2564.
2119. Si elles devaient être réalisées, ces différentes démarches tendraient à
rapprocher le statut spécial de cette langue à celui, ordinaire, des quatre lan-
gues nationales au sens de la Constitution fédérale. Toutefois, l’avant-projet de
loi fédérale sur les langues2565, soumis à consultation et ayant récolté une large
approbation, ne contenait aucune disposition consacrée au jénisch.
2120. En outre, le Conseil fédéral a finalement renoncé à présenter le projet
au Parlement en 2004, considérant le droit en vigueur suffisant2566. Cependant,
suite à une initiative parlementaire2567, le Parlement s’est saisi lui-même de la
2561
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 11.
2562
Deuxième rapport du Comité d’Experts de la CLMR relatif à la Suisse, p. 12.
2563
Deuxième rapport suisse relatif à la CLMR, p. 39.
2564
Avant-projet de rapport, Partie I, pp. 49-50. On soulignera que le programme national de recherche
51 « Intégration et exclusion », courant de 2002 à 2006, comporte pour sa part trois projets consa-
crés à l’histoire des Tziganes en Suisse.
2565
Disponible sur le site de l’OFC, http://www.bak.admin.ch [consulté le 6 juin 2006].
2566
Communiqué de presse du Conseil fédéral du 29 avril 2004 « Le Conseil fédéral renonce à la loi sur
les langues ».
2567
Initiative parlementaire Levrat, 04.429, Loi fédérale sur les langues.
552
Titre Quatrième - La langue jénisch
2568
Deuxième rapport périodique présenté par la Suisse conformément à l’art. 15 CLMR, du 14 janvier
2004, MIN-LANG/PR (2003) 3, p. 35 ; Réponse du Conseil fédéral du 15 septembre 2004 à
l’interpellation 04.3347 Müller-Hemmi du 16 juin 2004, Politique des minorités en Suisse, notam-
ment pour les gens du voyage.
553
La situation juridique des Tziganes en Suisse
554
Titre Quatrième - Synthèse et conclusion
Synthèse et conclusion
555
La situation juridique des Tziganes en Suisse
556
Conclusion générale
557
La situation juridique des Tziganes en Suisse
558
Conclusion générale
dans tous les pays, leur action ne peut être ignorée. En créant le FERV, le
Conseil de l’Europe a ainsi permis aux Tziganes de devenir les interlocuteurs
des Etats au niveau international, afin qu’ils puissent donner leur opinion
quant aux mesures qui les concernent.
2142. Le droit des minorités exige que la participation de la communauté tzi-
gane soit également rendue possible aux niveaux locaux et nationaux. En
Suisse, il convient de systématiser la consultation des organisations de défense
des droits des Tziganes et de leur reconnaître la qualité pour recourir dans les
procédures portant sur des mesures affectant leur identité minoritaire.
2143. Si la consécration d’un droit de recours spécial pourrait s’avérer à
terme la meilleure solution, une première étape serait déjà franchie en inter-
prétant la qualité pour recourir des Tziganes nomades, voire des Tziganes sé-
dentarisés, à la lumière des exigences du droit des minorités. L’admission de
leur légitimation active dans le cadre de recours contre des actes touchant
leurs possibilités d’exercer leur mode de vie culturel protégé ouvrirait de nou-
veaux horizons au recours corporatif égoïste de leurs associations.
2144. Le fédéralisme et la répartition des compétences en matière de gestion
du territoire et de ses ressources ont pour conséquence que les solutions
concrètes pour développer les possibilités de stationnement légal des carava-
nes tziganes doivent se trouver au niveau communal. Toutefois, une coordina-
tion cantonale, régionale et même nationale est impérative, afin d’assurer la
concrétisation des projets d’aménagement de places. En conséquence, un en-
gagement politique, juridique et financier doit être réalisé par toutes les collec-
tivités qui sont solidairement responsables à l’égard de cette minorité.
2145. Leur responsabilité juridique découle de l’article 35 Cst. et leurs autori-
tés ne sauraient opposer des arguments d’opportunité politique fondés essen-
tiellement sur des réticences trouvant leurs racines dans des préjugés. Il est
ainsi fondamental de ne plus gérer la question de l’accueil des Tziganes no-
mades uniquement comme un problème de police.
2146. Ainsi que l’a affirmé le Tribunal fédéral, les Tziganes suisses font par-
tie de la population, leurs besoins doivent être pris en compte et leur réalisa-
tion poursuit un intérêt public légitime qui doit être soutenu. Parmi toutes les
collectivités suisses, la Confédération a à sa charge l’obligation la plus impor-
tante : s’assurer que la minorité tzigane suisse ne disparaisse pas à terme, par
un effet d’assimilation indirecte. Il lui revient donc d’encourager les autorités
locales, d’informer la population au niveau national, d’agir dans le champ de
ses compétences, de proposer des lignes directrices, voire des modifications
législatives.
2147. Au regard des droits fondamentaux impliqués dans le cadre de
l’exercice du mode de vie nomade, il est nécessaire de procéder à leur interpré-
tation en prenant en compte les besoins particuliers qui accompagnent ce
559
La situation juridique des Tziganes en Suisse
560
Index
Index
-A-
Aménagement du territoire
-autorisation ordinaire de construire (22 LAT)
-principe 1524-1529
-soumission d’une caravane à l’--- 1547-1554
-exemption à l’assujettissement d’une
caravane 1547-1554 ; 1555-1564
-soumission d’une aire à l’- 1659-1661
-autorisation de construire dérogatoire (24 LAT)
-principe 1530-1536
-et création d’aires 1243 ; 1657 ; 1757-1812 ; 1836-1841 ; 1939
-autorisation de police 1565-1571
-domaine public (voir cette entrée)
-droits fondamentaux et --- (voir aussi Discrimi- 1537-1546 ; 1611-1613
nation, Droit des minorités, Droit au logement,
Droit au respect de la vie privée et familiale, Droit
au respect du domicile, Egalité, Liberté
d’établissement, Liberté économique, Liberté de
mouvement)
-planification 1607-1661
-plan d’affectation
-contenu 1512-1522
-et création d’aires de
stationnement 1629-1658
-modification 1647-1658
-obstacles à l’adoption (voir
également Référendum) 1684-1756
-plan directeur
-contenu 1508-1511
-et création d’aires de
stationnement 1614-1628
-zones adéquates (voir Aire de stationnement –
création d’une aire)
Aire de stationnement
-création d’une aire
-hors d’une zone à bâtir (voir
Aménagement du territoire – autorisa-
tion dérogatoire)
-par la voie de la planification (voir
Aménagement du territoire –
planification)
-par la voie de l’autorisation dérogatoire
(24 LAT) (voir Aménagement du terri-
561
toire – autorisation dérogatoire)
-par des exploitants agricoles 1813-1835
-zones adéquates 1414 ; 1607-1610 ; 1634-1640
-durable
-nécessitée d’un réseau suffisant
d’aires -- 1239-1243 ; 1364-1373
-lacunes 220-232
-équipement minimal de l’aire (voir également
Droit au logement) 1678-1683
-en tant que domicile 1228-1234
-temporaire (voir Arrêt temporaire hors d’une
aire)
Associations tziganes (voir également Droit 154 ; 188 ; 211 ; 552 ; 770 ; 839 ; 1363 ; 1813-
de recours) 1835 ; 1961
Autodétermination
-et peuples 483-488 ; 517-519
-et minorités 506-510
-externe 485
-interne 485 ; 517-519
-notion 483-488
-B-
Besoins socio-économiques des Tziganes
(voir également Droits économiques, sociaux et 218-254 ; 787 ; 869-883 ; 933 ; 1040 ; 1043 ;
culturels, Liberté économique) 1047 ; 1050 ; 1305
562
Index
-C-
Cantons
-compétences en matière de création d’aires 1506 ; 1508-1511 ; 1614-1623
-obligations au regard des droits fondamentaux
des Tziganes 1559-1561 ; 1614-1623
Caravane
-arrêt (voir cette entrée)
-en tant que logement 1211-1227 ; 2033-2043
-en tant que construction
-sujette à autorisation de construire 1548-1554
-sujette à autorisation de police 1565-1571 ; 1586-1603
Communes
-compétences en matière de création d’aires 1506
-obligations au regard des droits fondamentaux 1572-1603 ; 1663-1677 ; 1686-1756
des Tziganes
Confédération
-compétences en matière de création d’aires 1506 ; 1848
-obligations au regard des droits fondamentaux
des Tziganes 1624-1628 ; 1848 ; 1944-1946
563
Convention internationale pour l’élimination 326-335 ; 823
de toutes les formes de discrimination raciale
-Comité pour l’élimination de toutes les formes de 332-335 ; 455-457
discrimination raciale
-discrimination des Tziganes 456 ; 630-631 ; 455 ; 1051 ; 1055 ; 1114-1116
-droit des minorités 330-335 ; 643 ; 974 ; 998
-portée en Suisse 326 ; 953
-portée pour les Tziganes 630-631 ; 643 ; 1028 ; 1051
-D-
Discrimination
-critères de rattachement concernant les Tziganes 999-1049
-directe
-à l’égard des Tziganes 995
-fardeau de la preuve 951-955
- jurisprudence de la CEDH 1054-1070
-notion 937-945
-en général
-critères de rattachement 923-936
-et dignité humaine 914-917
-motifs justificatifs 918-922
-notion 901-936
-indirecte
-à l’égard des Tziganes 1809
-fardeau de la preuve 956-958
- jurisprudence de la CEDH 360-363 ; 882-883 ; 1071-1100
-notion 937-945
-implicite
-à l’égard des Tziganes 1103-1105 ; 1967-1969 ; 2034-2041
-notion 942-945 ; 951
-mesures spéciales 817-826 ; 971-974 ; 998 ; 1111
-structurelle (voir aussi Egalité en fait) 1110 ; 1128 ; 1115-1117
Domaine public
-droit à l’usage accru du--- 1424 ; 1572-1603
Domicile
-droit au respect du domicile (voir cette entrée)
-domicile civil 1948-1987 ; 2044-2048
-domicile et caravane 2033-2043
-domicile fiscal 1988-1992
-domicile politique 1993-2032
Droit au logement
-notion 1174-1219
-portée spécifique pour les Tziganes 1235-1295 ; 1300-1308
-exigences qualitatives minimales 1250-1267
-exigences quantitatives minimales 1239-1249
-protection contre les évictions abusives 1268-1295 ; 1300-
-sources 1167-1173
564
Index
Droit de recours
-individuel 1859-1865
-qualité pour recourir des Tziganes
-nomades 1878-1886
-sédentaires 1887-1894
-des associations
-intérêt du --- pour les Tziganes 839 ; 1896-1902 ; 1929-1933
-égoïste 1867-1868 ; 1903-1904
-spécial 1869-1875 ; 1920-1921
-et contentieux CEDH 1922-1928
-E-
Education
-conflits d’intérêts 250-254 ; 2054-2095
-droit à l’éducation des enfants tziganes 250-254 ; 873 ; 998 ; 1240 ; 2051-2053
-écoles séparées (minoritaires) 720 ; 2074-2081
565
-écoles spéciales 1087-1100 ; 1135-1137
-et lutte contre le racisme anti-tzigane 984 ; 998
Egalité
-en droit des Tziganes 68 ; 938 ; 959-962; 972 ; 985 ; 991-998 ; 1106-
1108; 1121 ; 1484 ; 1748
-en fait des Tziganes 959-961 ; 963-989 ; 991-998 ; 1137-1138 ;
1484-1485 ; 1809 ; 1880
-mesures spéciales en faveur des Tziganes 819 ; 969-989 ; 1111-1117 ; 1128 ; 1484
-obligation de réaliser l’égalité des Tziganes 1106-1117 ; 1137
Eugénisme
-mesures médicales (voir Stérilisation)
-notion 97-103
-Oeuvre des Enfants de la Grand Route (voir
cette entrée)
-F-
Fédéralisme 767-769 ; 773-776 ; 1942-1946
Forum européen pour les Roms et les Gens 841-847
du voyage
-G-
Génocide
-des Tziganes sous le IIIème Reich 163-167 ; 403
-et enlèvement des enfants d’une communauté 155-159 ; 711
-notion 323-324
-sources 321-325
Gens du voyage
-limites de l’expression 26 ; 186-187 ; 601-624 ; 639-652 ; 932-934 ;
1006-1013 ; 2001-2018
-origine de l’expression 191-193
-H-
Heimatlosat (lutte contre l’) 63-73
-I-
Intérêt public
- réalisation des besoins des Tziganes en tant 777-800 ; 1731
qu’intérêt public
Interprétation conforme aux droits 787-795 ; 805 ; 808-812 ; 848 ; 858 ; 1011 ;
fondamentaux (principe de l’) (voir égale- 1154 ; 1501 ; 1542 ; 1791 ; 1796-1812 ; 1829-
ment Droit des minorités – dimension objective) 1830 ; 1836-1841 ; 1940-1941 ; 1971-1982 ;
1987 ; 2043-2045
-J-
Jénisch
-en tant que communauté tzigane 603 ; 616 ; 630 ; 634-635
-langue 603 ; 618 ; 632-633 ; 640-641 ; 741 ; 1040 ;
2096-2122
566
Index
-origines 30-36
-L-
Liberté de mouvement
-généralités 1311-1321
-historique pour les Tziganes 74-78
-portée spécifique pour les Tziganes 1108 ; 1322-1333 ; 1471-1472 ; 1556 ; 1489 ;
1590 ; 1603
Liberté d’établissement
-généralités 1334-1350
-portée spécifique pour les Tziganes 1326-1327 ; 1351-1395 ; 1471-1472 ; 1556 ;
1590
-M-
Mesures de répression des Tziganes
-eugéniques (voir également Oeuvre des
Enfants de la Grand Route ; Stérilisation)
-policières et administratives 80-96
-persécutions physiques 40-62
-O-
Oeuvre des Enfants de la Grand Route 128-159
-bases légales des activités 136-147
-collectivités responsables 148-154
-et Convention internationale pour la prévention 155-159
et la répression du crime de génocide
-et vision eugénique de la société 128-129
567
-objectifs et activités 131-135
-P-
Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
-Comité des droits de l’homme
-portée en Suisse
-portée pour les Tziganes en tant que minorité 653-654 ; 657 ; 713-718 ; 813
Peuple
-notion 482-488 ; 492-496
-peuple autochtone 489-491 ; 492-496 ; 498-510
-tzigane
- peuple autochtone tzigane 534-540 ; 585-591
- peuple autochtone tzigane en Suisse 658-668
Proportionnalité
-dans le processus de prise de décision 862-867
-et droits des minorités 851-867
-et évictions de terrains 1288-1295 ; 1307
-R-
Référendum populaire
-et aménagement du territoire 1693-1696
-conflit avec droits fondamentaux des Tziganes 1690-1692 ; 1697-1756
-S-
Sédentarisation des Tziganes nomades
-indirecte 776 ; 1892 ; 1976
-en tant que moyen d’assimilation forcée 68-72 ; 131-135 ; 255 ; 648 ; 787
Stérilisation
-et eugénisme 105-106
-et Tziganes 102 ; 116-118
-indemnisation des victimes 119-127
568
Index
-T-
Tziganes
-données socio-économiques et culturelles 211-254 ; 422-438 ; 875 ; 1411-1416 ; 2082-
2093
-données historiques en Suisse
- avant le XXème siècle 39-78
- au XXème siècle 79-254
- l’Oeuvre des Enfants de la Grand
Route (voir cette entrée)
- reconnaissance en tant que minorité 206-207 ; 620-624
nationale
-étrangers 653-657 ; 1431-1463 ; 1489
-intégration au sein de la société suisse 764-795
-origines 22-36 ; 40-49 ; 422-438
-sédentaires en tant que membres de la minorité 427-428 ; 599-606 ; 620-624 ; 639-652 ; 1028-
tzigane 1034 ; 1039-1043 ; 1044-1049 ; 1374 ; 1887-
1894 ; 2012-2013
-statistiques 37-38
-suisses 206-207 ; 592-652 ; 658-694
-en tant que minorité culturelle 626-638
-en tant que minorité ethnique 423-436 ; 455-457 ; 591-601
-en tant que minorité nationale 206-207 ; 620-624
-en tant que peuple 422-438 ; 511-540 ; 559-564; 658-694
-et nomadisme transfrontalier 439-453
569
CG
Collection
Liste des ouvrages Genevoise
Droit administratif
Bellanger, François/ 2002
Tanquerel, Thierry (éd.)
Les contrats de prestations
Tanquerel, Thierry /
Bellanger, François (éd.) 2002
L’administration transparente
En Suisse, les Tziganes forment la minorité nationale qui est
non seulement la plus méconnue de toutes, mais qui en outre
connaît le plus de difficultés à faire respecter ses particularités.
Ces difficultés perdurent en raison des relations historiques
complexes et heurtées entre cette communauté, la société
civile majoritaire et les autorités. Toutefois, les Tziganes suisses
peuvent aujourd’hui se fonder sur un important corpus de
normes pour affirmer leur droit à la reconnaissance et au respect
de leurs spécificités, ainsi qu’à l’exercice actif de leur mode de
vie minoritaire.