Vrais Et Faux Mots D'ailleurs Quand L'emprunt Brouille Les
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PISTES
Sabine Albert
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1. MÉCANISMES DE L’EMPRUNT
1. 1. Typologie
Si l’on se réfère à la typologie dressée par John Humbley 1, on peut dis-
tinguer trois grands types d’emprunt. Le premier, appelé xénisme, concerne
à une réalité propre à une autre culture. Ainsi, le fish and chips cher aux
Britanniques ne renvoie à aucune réalité française, tout comme le cassoulet
demeure typiquement français, et même plus particulièrement propre au
Languedoc. Il serait absurde, voire impossible, de tenter de les traduire :
1. Cf. John Humbley, « Vers une typologie de l’emprunt linguistique », Cahiers de Lexicologie,
vol. XXV, Didier-Larousse, Paris, 1974 II, p. 46-70.
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comment rendre fish and chips ? « Débit de frites et de poissons frits » ? La
formule paraît étrange, pour ne pas dire inadaptée. Et pour cause : il n’existe
aucun référent disponible sur place.
Le deuxième type d’emprunt évoqué par John Humbley est le pérégri-
nisme. Dans son cas, l’élément emprunté a déjà subi différents niveaux de
transformation mais n’a pas encore acquis de véritable stabilité, phonétique
et graphique (packet-boat devenu paquebot, pied-de-grue devenu pedigree),
morphosyntaxique avec la mise en place de dérivations (stress, stresser) ou
encore sémantique quand le sens du mot emprunté est modifié ou déplacé.
Ainsi, si building désigne n’importe quelle construction en anglais, le mot
suggère en français la présence de plusieurs étages. Les différentes adapta-
tions dont ces termes ont fait l’objet et dont rendent compte les dictionnaires
renseignent sur le degré d’intégration du terme emprunté.
Le troisième type d’emprunt est le calque, qui peut se manifester de plu-
sieurs manières, qu’il s’agisse de traduire directement une expression étrangère
(bas-bleu pour blue stocking ou encore gratte-ciel pour skyscraper) ou encore
d’infléchir le sens d’un terme préexistant dans la langue emprunteuse (c’est
ainsi que le verbe contrôler, sous l’influence de l’anglais, a été investi d’un
sens supplémentaire, celui de « dominer »).
En plus de ces trois types, qui font l’objet d’un traitement particulier dans
les dictionnaires de langue, on peut également remarquer que les emprunts
portent parfois sur un domaine spécifique qui sera précisé. Une grande partie
du lexique politique français a ainsi été emprunté au cours du XVIIIe siècle à
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1. 2. Éléments empruntés
Bien évidemment, la plus grande majorité des emprunts concerne les lexies,
qu’elles soient simples ou complexes. Toutefois, lorsqu’on observe un peu
plus finement l’ensemble des emprunts, il apparaît nettement que des éléments
formants ont également traversé la Manche. Le suffixe -able en particulier
s’est révélé très productif en anglais comme en atteste ce commentaire de
l’Oxford English Dictionary :
Originally found in Eng[lish]. only in words from O[ld] Fr[ench] but soon by analysis
of such instances as pass-able, agree-able, amend-able, treated as a living suffix, and
freely employed to form analogous adjectives, not only on v[erbs] from Fr[ench], but
at length on native words, as bearable, speakable, breakable, wearable.
Le suffixe -ing emprunté à l’anglais a connu en France un destin relativement
parallèle, et fait l’objet d’une entrée dans le Trésor de la Langue Française
dans laquelle on trouve les précisions morphologiques suivantes :
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En angl[ais], les noms d’action en -ing sont le plus souvent dér[ivés] de verbes.
Cependant il existe des dér[ivés] à partir de subst[antifs] : caravaning, karting,
monitoring, shopping, yachting. Footing constitue un ex[emple] particulier, v[oir]
l’étymol[ogie] de ce mot en fr[ançais]. Il convient également de noter les consé-
quences de la troncation de termes déterminés, possible en fr[ançais] mais non en
angl[ais] : dancing, living, sleeping, etc. peuvent, en fr[ançais], désigner le lieu où
s’exerce l’activité.
Ces dernières sont assorties de remarques concernant la productivité de
ce suffixe :
Le nombre des empr[unts] en -ing est en progression constante. L’éd[ition] de 1977
de P[etit] Rob[ert]. ne supprime pas de mots de l’éd[ition] de 1967, mais en ajoute
une quinzaine, souvent assortis d’une proposition d’adaptation fr[ançaise] ou d’équi-
valence : aqua(-)plan(n)ing/aquaplanage, brushing, caravaning/caravanage, enginee-
ring/ingénierie, factoring/affacturage, franchising/franchisage, happening, leasing/
crédit-bail, lifting/déridage, listing/listage, merchandising/marchandisage, moni-
toring/monitorage, rating, rewriting, training. Zonage apparaît sans qu’il soit pré-
cisé qu’il s’agit d’une adaptation de zoning. Il reste que les empr[unts] en -ing n’ont
souvent qu’une existence éphémère et ne pénètrent pas réellement la lang[une]. J.
HUMBLEY (cit. infra, p. 86), observant la presse de 1959 à 1969, relève 54 vocables
dont 22 figurent dans les listes citées supra A et B. Le fait est révélateur de la pression
exercée sur le lex[ique] français.
Comme on peut le constater, l’utilisation de ces suffixes venus d’ailleurs
ouvre la porte à d’amples développements, qui montrent bien l’intérêt porté
par les lexicographes à ce type d’emprunts. La réflexion sur la productivité de
ces affixes apporte également une preuve de la vitalité de l’emprunt puisque
celle-ci se mesure aussi à sa capacité à dériver, composer ou encore entrer
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2. Cf. Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi, Mille ans de langue française : Histoire d’une
passion, p. 1201-1208.
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haute fidélité : en aucune manière on ne peut la rattacher désormais à son
origine, high fidelity.
Il arrive aussi que par le phénomène de l’emprunt se créent des sortes de
doublets, comme on avait déjà pu le constater en français quand les érudits de
la Renaissance avaient réemprunté des termes qui avaient déjà suivi le cours
naturel de leur évolution. C’est ainsi que sont nés les doublets nager/naviguer,
boutique/apothicaire, frêle/fragile, pour lesquels des nuances de sens peuvent
être parfois établies… Or ces doublets ne sont pas seulement le fruit du réem-
prunt aux langues anciennes. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner le cas du
gentilhomme, auquel le TLF propose le synonyme gentleman. A la consultation
de l’OED, on découvre que ce gentleman provient du français gentle auquel on
a ajouté man, sur le modèle de l’ancien français gentilz hom. En d’autres termes,
deux termes, de sens identique et de morphologie similaire, à ceci près que man,
d’origine germanique, remplace homme d’origine latine, coexistent au sein des
deux langues. Il s’agit là d’un emprunt-réemprunt direct qui aboutit à la création
d’un doublet lexical avant tout synonymique et dont la spécialisation pour ce
qui est du sens demeure infime, mais on peut également explorer d’autres voies.
3. Les précisions suivantes ont été recueillies dans l’article de Claudine Jurin « Etablissement d’une
nomenclature : principes méthodologiques », in Autour d’un dictionnaire : Le Trésor de la Langue
Française, témoignages d’atelier et voies nouvelles, Lexicographie et dictionnairique, 1, 1990.
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Le cas de l’OED s’avère sensiblement différent car la vocation affichée était
d’inclure tous les mots rencontrés en anglais, y compris les hapax. James Murray,
le maître d’œuvre du projet, se plaisait en effet à dire qu’il voulait y décrire
« the whole world of English words »… Encore fallait-il pour cela que les mots
étrangers fussent suffisamment naturalisés pour être inclus dans la nomenclature.
L’inclusion d’un mot dans un dictionnaire est sans conteste la première étape vers
la légitimation. Mais l’usage d’un étiquetage précis écarte la légitimation absolue.
À bien des égards, le traitement des mots étrangers de l’OED s’apparente à celui
des hapax qui sont explicitement indiqués en tant que tels ou en tant que formes
erronées. Ces mots sont donc reconnus comme étant apparus dans l’histoire du
lexique anglais, mais leur statut en tant que mots véritablement anglais est remis
en question. Dans un cas comme dans l’autre toutefois, on observe une volonté
inclusive très nette et une attitude avant tout descriptive. Ce sont effectivement et
avant tout les adaptations et arrangements vécus par les emprunts que cherchent
à retracer ces deux grands dictionnaires de langue.
2. ADAPTATION ET IDENTIFICATION
Louis Guilbert décrivait l’emprunt lexical dans les termes suivants : « l’em-
prunt consiste dans l’introduction, à l’intérieur du système, de segments lin-
guistiques d’une structure phonologique, syntaxique et sémantique conforme
à un autre système » (Guilbert, 1975 : 90). Il est indéniable qu’un mot venu
d’ailleurs, au moment de son introduction dans la langue cible, présente un
certain nombre de traits qui le distingue de cette dernière. Toutefois, au fil du
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2. 1. Aspect graphique
En tout premier lieu, un emprunt peut se reconnaître à son aspect graphique.
Certaines successions de graphèmes renvoient en effet inévitablement à une
orthographe étrangère. Ainsi, la succession <ow> de slow, <ck> de snack ou
de hockey indique une provenance anglaise, tout comme la présence d’accents
dans arrière-guard, crème fraîche ou crêperie montre de manière flagrante
l’origine française de ces termes. Il s’agit cependant là de mots dont la graphie
n’a absolument pas été assimilée. D’autres cas sont nettement plus trompeurs.
Il peut arriver que demeurent des hésitations quant à la graphie à adopter.
Le bifteck a ainsi connu de nombreux avatars, qu’on l’orthographie beefs-
teak (à l’anglaise), beefstake (comme George Sand dans sa Correspondance
en mai 1831), beefsteck (ainsi que le note Simone de Beauvoir dans Les
Mandarins) ou encore beefteak (ce que fait Balzac dans son roman Physiologie
du mariage) 4. On découvrira ainsi dans les remarques du TLF des informations
4. Ces exemples ont été puisés chez Maurice Grevisse, Le Bon Usage, 12e édition refondue par
André Goosse, § 152, p. 206.
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orthographiques sur la graphie originelle d’un mot. Dans l’article rosbif, par
exemple, une remarque présente la graphie roastbeef ou roast-beef comme
un « calque de la graph[ie] angl[aise] »
Ces emprunts restent faciles à identifier du fait de leur graphie exogène.
Cependant, dans le cas d’emprunts plus anciens, l’assimilation est telle que rien
ne laisse supposer à première vue qu’on ait affaire à des termes étrangers et des
mots tels que boulingrin ou redingote masquent bien leur origine anglaise, de
la même manière qu’il est difficile de rapprocher le kickshaw (« colifichet »)
anglais du quelque chose dont il est pourtant issu.
2. 2. Aspect phonétique
Un autre point mérite d’être considéré, celui de la phonétique. En effet,
même si la forme graphique originelle est respectée, la prononciation des
éléments empruntés est souvent modifiée de sorte que les sons étrangers se
trouvent remplacés par des équivalents de la langue cible : le cas du bas bleu
prononcé [bɑ:blø] en anglais avec le phonème /ø/ pourtant rare en anglais
demeure marginal. Ainsi, si le shampooing voit son orthographe calquée sur
le modèle anglais, sa prononciation est, pour sa part, très nettement francisée.
Le même phénomène peut être observé de l’autre côté de la Manche avec
l’amuse-bouche dont l’OED indique la prononciation [ə’m(j)u z,bu:ʃ].
Par ailleurs, le même graphème peut connaître diverses réalisations pho-
nétiques (<ea> peut être prononcé aussi bien [i], dans speaker par exemple,
que [ε], dans break) et la prononciation est même susceptible de varier d’un
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2. 4. Aspect sémantique
Le calque, nous l’avons déjà évoqué, consiste en une transposition d’un
mot étranger dans la langue cible. Gratte-ciel est ainsi une traduction calquée
de skyscraper et la cerise sur le gâteau reprend la formule usuelle en anglais
cherry on the cake. Dans ces conditions, on a affaire à de simples phénomènes
de traduction, et le TLF mentionne en général ce fait en introduisant le calque
à l’aide des mots « calque » ou « trad. », ce dernier indiquant une traduction.
En revanche, le calque est beaucoup plus sournois lorsqu’il est sémantique :
quand le signifiant ressemble au signifiant étranger, seul le sens, ou signifié, est
assimilé. En utilisant le terme opportunité pour désigner non l’« à propos », la
« convenance », en d’autres termes le caractère opportun, mais l’« occasion »,
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on calque le sens du mot anglais opportunity. Les calques sémantiques peuvent
même donner naissance à des doublets quand ils constituent une extension
de sens d’un mot préexistant en français alors qu’un autre signifiant est déjà
investi de ce signifié. Ainsi, le verbe contrôler en français signifie essentiel-
lement vérifier, mais il a reçu un sème supplémentaire venu d’Angleterre qui
le rapproche du verbe dominer qui possédait, lui, ce sens dès l’origine. Il faut
cependant reconnaître que certaines de ces innovations sémantiques auraient
pu avoir lieu même en-dehors d’un phénomène de calque, et le sens anglais
de « se rendre compte » pour réaliser aurait tout à fait pu survenir lors d’une
évolution naturelle. Inévitablement, il résulte de ces emprunts sémantiques
un accroissement de la polysémie.
Un autre aspect sémantique mérite d’être observé : au cours de son périple,
le sens de l’emprunt peut avoir tendance à se modifier, et toutes sortes d’exten-
sions, restrictions ou déplacements peuvent être observés. Dans le cas d’un
déplacement de sens, comme pour le verbe zapper, les explications concernant
les modifications sémantiques subies sont très précises :
Empr[unt] à l’angl[ais] to zap, zapp, terme d’arg[ot] d’orig[ine] nord-amér[icaine]
att[esté] dep[uis] 1942, prob[ablement] dér[ivé] de l’onomat[opée] zap suggérant
le bruit de certaines armes, et signifiant « éliminer, tuer » d’où « annuler, changer »
et « faire une action ou un mouvement brusque, rapide » d’où « sauter les annonces
publicitaires en accélérant la lecture sur un magnétoscope » et « passer rapidement
d’une chaîne de télévision à une autre ».
On voit bien ici que l’adaptation française s’éloigne considérablement
du sens que possédait le terme dans la langue source. Pour autant, l’emprunt
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5. Cité par John Humbley dans son article « Vers une typologie de l’emprunt linguistique »,
Cahiers de Lexicologie, vol. XXV, Didier-Larousse, Paris, 1974 II, p. 46-70.
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3. 1. Formes allogènes
Le prestige des langues est parfois tel qu’il peut amener à confectionner des
mots qui ressemblent à des emprunts alors qu’ils n’en sont pas. La suffixation en
-ing précédemment évoquée apporte une coloration anglaise ou anglo-américaine
à des termes forgés en France sans toutefois renvoyer véritablement à une réalité
en usage outre Manche. Ainsi le smoking correspond à dinner-jacket en anglais
britannique ou encore à tuxedo en anglais des Etats-Unis, le lifting n’existe en
anglais que sous la forme face-lift, et ce que l’on nomme brushing en français
se dit blow-drying en anglais. De la même manière, la particule -man a servi
en français à fabriquer un certain nombre de termes, tels que tennisman (tennis
player en anglais) ou rugbyman. Qui plus est, la composition a également pu
être utilisée pour élaborer des mots (baby-foot, camping-car, politique-fiction)
qui n’ont aucune existence en anglais. Dans ces conditions, on parle de pseudo-
emprunts, d’ailleurs signalés dans la notice étymologique du TLF par les mar-
queurs « pseudo- » ou « adapté de ». Notons que le phénomène n’est pas récent
et que dès le XVIe siècle, on pouvait observer des pseudo-emprunts faits à l’italien.
Au côté de ces pseudo-emprunts peuvent se ranger les hybrides qui mêlent
un ou plusieurs éléments de chaque langue. Ce phénomène s’observe en déri-
vation (stressant, débriefing) mais aussi en composition (porte-container).
Dans ces conditions, à quelle langue doit-on rattacher l’hybride ? Sans aucun
doute à celle dans laquelle il est employé, puisqu’il ne fait aucun sens dans la
langue prêteuse. Cependant, il n’est pas ressenti comme un terme véritablement
intégré du fait de ses caractéristiques nécessairement exogènes.
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6. L’entrée pour rampant existe dans le TLF et dans l’OED, mais la notice étymologique renvoie
dans chacun des cas au verbe (ramper/to ramp).
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Deux constats doivent en être tirés : le premier, que les mots poursuivent
leur évolution de toutes les manières, et qu’ils soient empruntés ou non n’y
change rien ; le second, que l’emprunt se loge parfois où on ne l’attend pas.
Il ne suffit pas qu’une forme paraisse « exotique » pour qu’il s’agisse d’un
emprunt, ni pour qu’on lui attribue péremptoirement une origine en fonction
de « signes distinctifs » qui, s’ils peuvent être des indicateurs, ne relèvent en
aucun cas de preuves. Et ce n’est pas parce qu’une forme paraît répondre à
tous les critères graphiques, phonétiques, morphosyntaxiques et sémantiques
d’une langue qu’elle n’est pas l’aboutissement d’un emprunt si bien intégré
qu’il passe désormais inaperçu. A la vérité, certains mots en arrivent même à
ne plus être des « mots d’ailleurs », mais bien plutôt des « mots de partout ».
7. Cf. Sergio Corrêa da Costa, Mots sans frontières, éd. Du Rocher, Paris, 1999.
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CONCLUSION
Si, comme le disait Pierre Lerat, « la définition de l’emprunt ne peut être
qu’explicitement diachronique (« depuis telle date ») et translinguistique
(« de telle langue ») » (Lerat, 1987 : 138), nul ne saurait présager de l’avenir
des emprunts, qui demeurent parfois des hapax. Ainsi, un certain nombre des
emprunts que dénonçait Étiemble 8 est désormais tombé en désuétude. Les gens
fashionable ne vont plus boire des drinks dans des snack-bars, et même si l’on
est très smart, au lieu de fréquenter une surprise-party, on préfère se rendre,
tout simplement, à une fête. Quant au spleen, il renvoie surtout à Baudelaire
et au XIXe siècle. De la même manière, en anglais, les mots français sont sujets
au vieillissement : on emploie plus volontiers les termes disease ou illness que
malady, par exemple. Le mot de Vaugelas est donc toujours d’actualité : « il
n’y a qu’un maître des langues qui en est le roi, c’est l’usage. » 9
Les langues, on le sait, se développent à partir d’un substrat et à l’aide
d’adstrats. Leur constitution ne peut donc s’effectuer sans recours à l’emprunt.
En effet, la langue n’est pas figée : l’arrêter dans son mouvement équivaudrait
à une condamnation à mort. Elle vit et s’enrichit de ce qui l’entoure dans un
va-et-vient incessant, dans lequel tantôt elle donne, tantôt elle prend des mots,
des sens, des structures : il n’existe pas de langue « pure », évoluant en autarcie
dans son propre système linguistique. Les lexiques français et anglais sont
étroitement entremêlés, mais n’est-ce pas, dans le fond, le souhait de toute
société que de recevoir en agrément les créations des autres ? La langue ne
s’en trouve pas pervertie, bien au contraire, elle en ressort enrichie. C’est ce
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Sabine ALBERT
Université de Cergy-Pontoise
CNRS UMR 7187 (LDI)
8. René Etiemble, Parlez-vous franglais ?, coll. « Folio actuel », éd. Flammarion, 1991.
9. Propos cité par Ana Goldis dans « “Calque linguistique” dans le cadre du contact de deux
langues apparentées : le français et le roumain » in Cahiers de Lexicologie vol. XXVIII, 1976 I,
p. 119.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES