Education Et Art
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Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ere/2686
ISSN : 2561-2271
Éditeur
Centr'ERE
Référence électronique
Sylviane Blanc-Maximin et Angela Barthes, « L’art contemporain dans un territoire rural : quelle
contribution à l’éducation relative à l’environnement ? », Éducation relative à l'environnement [En ligne],
Volume 14 - 1 | 2017, mis en ligne le 15 septembre 2017, consulté le 23 novembre 2018. URL : http://
journals.openedition.org/ere/2686
1 L’art contemporain répond à un impératif pour les artistes d’investir le réel. L’adjectif
« contemporain » revêt ici deux sens. Il signifie bien sûr « ce qui est de notre temps »
mais, accolé au mot « art », il cherche à dénigrer ou transgresser ce qui est banal, dépassé
ou ce qui défigure un lieu, et dégage alors, par son acuité, une valeur d’ordre polémique
ou a minima réflexive.
2 En 1976, Swidzinski propose de traiter l'art comme les autres domaines non lucratifs de
l'activité humaine. Pour lui, l'art constitue l’une des formes de l'activité culturelle de
l’humain, et non un domaine autonome avec des règles qui lui seraient propres. Les
artistes doivent se considérer simplement comme une partie de la réalité avec laquelle ils
veulent établir un contact. L’art contemporain va se définir comme « l’art en train de se
faire » (Ardenne, 2009), comme fondement d’une nouvelle esthétique.
3 Cette conception implique deux changements importants. D’une part, il engage les
artistes vers des créations multiformes, vers des ruptures avec la tradition de la
production et de la réception qui incitent à s’intéresser à des lieux, des techniques, des
outils et des démarches divers. La notion de contexte (étymologiquement : tisser avec) est
alors essentielle et exige de l’art qu’il soit vécu, incarné, et partagé. D’autre part, le
territoire est fréquemment sollicité ainsi que les humains qui l’habitent. La notion de
territoire rêvé, mise au jour en 1990, a pour base les représentations sociales d’un
territoire. On peut penser que l’aspect symbolique du territoire présent dans la notion de
territorialité (Le Berre, 1992) et la spécificité symbolique de l’art contemporain peuvent
s’enrichir l’un l’autre.
4 Des liens entre l’art contemporain et les territoires sont tissés graduellement et
concourent à l’existence de formes d’art contemporain. L’art contemporain contextualisé
peut être ainsi mis en lien avec l’éducation relative à l’environnement, car celle-ci prend
également appui sur des réalités socio-écologiques, en l’occurrence celles qui
caractérisent le territoire. Des courants de cet art, illustrés par des exemples de
productions artistiques, vont nous permettre d’examiner comment se tissent
graduellement ces liens potentiels avec les territoires, et, in fine, comment ils s’articulent
avec l’éducation relative à l’environnement.
5 L’art du « réel » et l’art de l’« expérience » (Ardenne, Beausse et Goumarre, 1999),
développés à la fin du XX° siècle, sont précurseurs de la prise en compte des contextes.
Des artistes se qualifient alors d’expérimenteurs au sens où ils prennent appui sur
l’expérience réelle pour créer et non sur leur imagination brute ex nihilo hors du champ
du réel. Ces artistes, souvent des performers, vont chercher à s’éloigner du code artistique
« classique », en produisant des situations plus que des œuvres physiques, et en
investissant l’espace public. Par exemple, Gordon Matta Clark adopte une approche
anarchique de l’architecture, par une méthode de "déconstruction" ou de
"déstructuration" au lieu de créer une structure architecturale et développe une
approche révolutionnaire qui cherche à révéler, grâce à l’art, les problèmes sociaux.
6 Dans l’art contextualisé de nature micropolitique, l’artiste agit dans l’ici et maintenant en
situation, à petite échelle, et impulse des esthétiques occasionnelles (Ardenne, 2009).
Citons l’œuvre emblématique de tendance interventionniste Chicago Compost Shelter (1988)
de Dan Peterman. Cet art engagé dénonce les problèmes de consommation de la société
post-industrielle (surabondance pour les uns et dénuement pour d’autres, pollution de
l'environnement) et engage une réflexion de type complexe articulant le global et le local.
7 L’art contextuel se caractérise donc par la matérialisation d’une intervention artistique
dans un contexte particulier (Swidzinski, 1976). C’est en ce sens que cet art interagit et
s’intègre à l’ensemble des circonstances prédites et involontaires. Il s’adresse avant tout à
la population et à l’opinion publique (Ardenne, 2002) et peut être mobilisé dans une
finalité éducative.
8 Signalons à ce propos, une autre forme d’art contemporain, l’art déceptif qui questionne
l’essence de l’art et prend parti d’interdire tout stéréotype de la relation artistique. Ses
artistes ne proposent plus des œuvres ou des objets, mais changent de paradigme, car
leur objectif est d’engager les individus « non-artistes » dans des propositions de
situations à vivre, inhérentes à des contextes, les invitant à éprouver, à expérimenter en
commun. C’est cet aspect participatif et social – qui relève plutôt de l’éducation
informelle – qui caractérise cette forme artistique.
9 L’éducation à l’environnement, celle des militants de la première heure dépassant les
stéréotypes et ancrée dans le réel et le présent, trouve alors une résonnance d’une part,
dans le paradigme de l’art déceptif et d’autre part, dans celui de l’art contextualisé.
10 L’art contemporain peut donc devenir un médium dans le champ de l’ERE. Ici, la posture
et l’action de l’artiste engagent potentiellement les acteurs quotidiens du territoire dans
une réflexion sur leur environnement proche, urbain ou rural. Mais au-delà de ce
positionnement général, il nous importe d’investiguer plus précisément la fonction
éducative de cette forme d’art en matière d’environnement, en clarifiant les liens entre
art, éducation et territoire. Nous poursuivrons cette exploration avec deux études de cas
d’art contemporain participatif, afin de vérifier si l’intention éducative donne réellement
lieu à l’amélioration du rapport au territoire chez les participants.
23 Le besoin d’éducation lié aux territoires pour les populations locales va croissant et
s’associe à la montée en puissance des « éducations à » (Barthes, Lange et Tutiaux, 2017)
depuis l’ERE jusqu’à l’éducation au développement durable et/ou au patrimoine. Girault
et Barthes (2016), reviennent sur les aspects théoriques des liens entre l’ERE et les
territoires, nous permettant de repositionner la problématique précise des fonctions
éducatives environnementales de l’art contemporain dans les territoires. Ainsi, sont
mobilisés successivement dans les rapports de l’éducation aux territoires et à l’art
contextualisé, divers courants, approches ou stratégies de l’ERE.
24 Pour agir sur les rapports de l’être humain avec l’environnement, la visée éducative du
courant de l’écoformation (Pineau et al, 1992 ; Cottereau, 1999) cible un être global dans
ses facultés logiques et cognitives mais aussi dans sa capacité d’intuition et d’imagination.
La rencontre avec le domaine de l’art apparaît alors particulièrement pertinente, la
sensibilité étant repérée comme une valeur éducative à investiguer.
25 Quant au courant de l’éco-ontogenèse de Berryman (2003), la focale est mise sur la prise
en compte du rapport à la nature et à l’environnement dans le développement humain à
tout âge. Y sont sollicitées les relations à la nature (plaisir d’y être et de la connaître), la
prise en compte de ses problèmes et de ceux associés à son utilisation à des fins socio-
économiques. L’art contemporain, parce qu’il peut trouver un écho chez des individus de
tous âges et parce qu’il donne lieu à interprétation et s’adresse à l’imaginaire, pourrait
faciliter l’intégration du rapport à la nature et à l’environnement dans le développement
de chaque être humain.
26 La stratégie de l’autobiographie environnementale peut contribuer ici à la qualité du
développement humain, en clarifiant la manière dont l’individu se développe en relation
avec ses environnements et en mettant au jour les facteurs qui génèrent ou freinent les
comportements pro-environnementaux (Bachelart, 2009). La production et l’analyse des
histoires de vie permet de clarifier ou de repérer une éthique et une esthétique de
l’habiter humain que l’artiste en résidence sur un territoire, tel un anthropologue
employant une méthode de l’ethnos, peut accueillir. Il se nourrit alors de ces
connaissances et de ces représentations du territoire d’habitation pour conceptualiser
son œuvre.
27 D’autres modes d’intervention en éducation relative à l’environnement rejoignent la
double perspective relationnelle de l’humain avec son milieu et avec ses pairs. Le modèle
d’intervention de Pruneau et Chouinard (1997) s’appuie sur le constat de la diminution de
la qualité de la relation de l’humain avec le milieu biophysique et avec la communauté
humaine. Malmberg (1992) analyse ce changement en termes de perte d'identité, de non-
conscience de l'espace et du temps, d'oubli du rythme de la vie et du sens du territoire
tandis que Pyle (1992) avance que la plupart des gens ne sont plus exposés régulièrement
aux couleurs, formes, sons et magie de paysages riches et vivants. Or il s’agit d’outils et de
thématiques propres à certains artistes (Uriburu, Oppenheim).
se situe dans sa fonction heuristique, qui aide à comprendre, à appréhender le monde tel
qu’il existe.
34 Mais ce travail artistique peut déclencher chez les populations un autre mouvement : le
glissement du concret du terrain à un symbolisme voire à une identité qui se dégage d’un
territoire, d’un environnement. Ce type de démarche contemporaine participe alors à la
prise de conscience de questions environnementales dans un processus de
territorialisation autrement que par une approche purement rationnelle des
problématiques environnementales. Le domaine de la sensibilité, du « vécu », du « senti »,
de l’imagination, est réhabilité à travers des valeurs que l’on peut qualifier d’esthétiques,
au sens de la sensation. Ce type d’éducation au sensible par le sensible modifie
considérablement la hiérarchie épistémologique habituellement convenue dans le monde
occidental. Le sensible est ici considéré comme une forme de l’intelligible et permet de
promouvoir une éducation holistique visant un épanouissement, une élévation
harmonieuse et accomplie dépassant la dichotomie cartésienne du corps et de l’esprit.
35 Cette invention du quotidien (De Certeau, 1990) par une intervention d’artiste rejoint
d’importants objectifs de l’ERE : l’épanouissement des personnes, le bien-être, et le
développement de nos démocraties. Les habitants ne sont plus uniquement cantonnés à
une posture de spectateurs. Ils peuvent exprimer une visée prospective qui, pour Berger
et al. (2007), est une attitude pour regarder vers le futur, ici le futur du territoire. Ils sont,
par exemple, sollicités avant l’élaboration de l’œuvre par l’artiste mais c’est l’artiste, in
fine, qui crée en s’inspirant de leurs témoignages. Ou bien, l’artiste développe un concept
et offre aux habitants d’en réaliser une mise en œuvre concrète. Une relation
participative peut alors s’installer entre l’œuvre et les habitants de deux façons : par une
réflexion prospective suivie d’une réception de l’œuvre de l’artiste, ou par une
production créative suivie d’une réflexion sur le sens de cette action. Les perspectives
sensible et réflexive sont alors engagées.
36 Ainsi, des œuvres participatives comme les workshops engagent une production
dynamique de groupe qui interroge des formes et des organisations sociales. Explorer
d’autres formes de groupes et d’autres géométries de travail vise à faire émerger d’autres
modalités de construction d’un « commun », une manière autre de faire « société » :
active et toujours en mouvement. Ces pratiques participent alors de la démarche
fondamentale de l’intelligence territoriale (Girardot, 2004) qui consiste à vouloir
redonner prise sur eux-mêmes à des habitants et des acteurs locaux dépossédés de la
maîtrise de leur « destin », aussi bien collectivement qu’individuellement.
37 Les processus d’individuation et de socialisation sont alors à l’œuvre grâce au pouvoir
éducatif de l’art qui s’adresse à chacun au plus près de lui-même et à la fois permet à
chacun de s’ouvrir à l’autre, aux autres, au plus près de lui-même (Kerlan et Langar,
2015). Et ce « plus près de lui-même » peut aussi être entendu comme le territoire qu’il
habite, dans son attachement viscéral à ce lieu (Low et Altman, 1992).
38 Le territoire peut apparaître alors non plus comme un simple support mais comme un
acteur central de l’œuvre car certains artistes s’inscrivent dans des projets dont le but est
de rassembler, d’exprimer l’être ensemble, enfin, d'agir concrètement sur le réel par le
médium artistique. Le territoire est alors au centre de l’œuvre.
39 Au bilan, il est possible d’identifier les principaux éléments de convergence entre l’art
contemporain et l’ERE en lien avec les territoires : une visée éducative pour tous, le
passage par le sensible, la restauration d’un lien social, un rapport au territoire renforcé
Contexte
43 En 2011, dans les Alpes franco-italiennes, une route pour l’art contemporain (VIAPAC : Via
per l’arte contemporanea : route pour l’art contemporain) s’est matérialisée sur le territoire
par l’installation pérenne d’œuvres d’art en lien avec les richesses de l’environnement
local en pleine nature ou dans des lieux patrimoniaux le long d’un itinéraire routier. Cette
route participe de la mise en patrimoine dans le cadre de la labellisation des territoires,
ici réserves géologiques, puis géoparcs. L’objectif visé est une appropriation dans la
durée, de l’art contemporain par les populations locales. Pour ce faire, des projets
participatifs (Anne-James Chaton, Ecritures du quotidien, 2012) et des actions éducatives
(Alessandro Quaranta, The changing of the guard, 2011-2012) sont initiés à partir et autour
des œuvres, sous la forme de créations collectives.
44 Par ailleurs, nous examinerons la dynamique d’ateliers artistiques (workshops) qui
consistent à associer habitants et artiste dans la création éphémère d’une œuvre avec des
45 Ce projet est issu d’une initiative citoyenne : des groupes d’habitants avec leurs élus ont
élaboré un programme de type « nouveaux commanditaires » financés par la VIAPAC. La
Figure 1 identifie les premières étapes du projet.
s’inscrire dans son histoire passée, présente et à venir. Il apparaît que le processus
éducatif se situe plus dans le cheminement qui a précédé que dans la réception de
l’œuvre.
49 L’intervention artistique s’est concrétisée dans deux lieux : une chapelle abandonnée et
un champ. D’une part, le processus de dégradation de la chapelle du hameau a été stoppé
et les ruines de celle-ci ont été transformées en abri de nuit pour randonneurs. D’autre
part, le champ a accueilli une œuvre nommée Edge-stones constituée de pierres alignées
placées dans le lieu pour en marquer les limites et les liens : une ligne relie le moulin à
l’école, une autre l’église au village, une troisième le village aux autres hameaux habités
d’où les enfants venaient à l’école.
50 Ce cas rappelle la démarche proposée par Pruneau et Chouinard (1997), où les
participants sont invités à explorer leur environnement (pour l'apprécier, le critiquer et
le connaître), à partager leurs impressions à son sujet, à projeter une vision de celui-ci
dans le futur puis à s'impliquer dans une action d'amélioration.
51 Enfin, le territoire est ici pensé comme lieu de pouvoir dans le cadre d’un empowerment
(Villemagne, 2005) puisque ce sont les habitants qui ont sollicité la venue d’un artiste
pour « sauver » une partie de leur territoire et de sa mémoire humaine vouée à l’abandon,
pour lui redonner une seconde vie.
52 Il s’agit d’un workshop 1arbre animé par deux artistes Andréa Caretto et Raffaella Spagna.
Cette œuvre 1arbre a permis à des élèves des Beaux-Arts de la ville de Digne-les-bains, des
élèves de la section bois du lycée professionnel et à quelques habitants de réaliser une
œuvre participative.
53 A l’origine, un peuplier noir est tombé de façon naturelle sur les berges de la rivière.
L’arbre a été entièrement débité en morceaux sur place.
Les fragments ont été distribués aux participants de l’atelier qui ont ensuite eu la
possibilité de les transformer librement. Seules trois règles ont été imposées aux
participants : 1. l’œuvre ne devait avoir aucune valeur utilitaire si ce n’est sa valeur
esthétique ; 2. l’œuvre devait être réalisée uniquement avec le morceau de bois à
disposition (ni colle, ni clou, ni feutre, ni peinture, etc.) ; 3. les déchets de bois issus
du travail artistique devaient être conservés ou réutilisés dans l’œuvre produite.
Toutes les sculptures en bois ont été exposées au musée Gassendi puis déplacées
dans le lit de la rivière, à l’endroit où l’arbre était tombé, afin que se poursuive le
processus de dégradation. (VIAPAC, 2011, p. 4).
54 La description de cet atelier permet de saisir d’entrée de jeu comment différents courants
et approches de l’ERE en lien avec l’éducation aux territoires sont convoqués. En effet, la
pédagogie du sensible, de l’émotionnel et de l’imaginaire correspondent aux spécificités
du courant de l’écoformation de Pineau et de Cottereau. La médiation artistique
contemporaine favorise ce type de démarche : le workshop dans un environnement local
en lien avec des éléments naturels a permis à un ensemble de participants accompagnés
par l’artiste, de toucher, sentir, créer et imaginer en vue de réaliser une production
commune.
55 Dans ces deux projets, nous nous sommes intéressés aux ressentis, à la réception des
œuvres d’art contextuel par les acteurs non-artistes (habitants et participants du
workshop) suite à leurs vécus d’expériences esthétiques et de démocratisation par le
sensible. Nous avons examiné l’impact de ces projets en termes d’éducation relative au
territoire. Pour ce faire, un questionnaire a été administré aux participants de chacun des
cas et une analyse de la documentation sur ces deux projets a été réalisée.
Méthodologie de recherche
56 Nous présentons ici la démarche méthodologique que nous avons conçue pour étudier les
deux cas (Tableau 2).
Résultats et discussion
61 Nous procédons à la présentation des résultats des deux cas. Ceux-ci seront soumis
ensuite à discussion.
62 L’analyse des données livre un retour contrasté sur le dispositif de la VIAPAC en ce qui
concerne la réception réelle de ce projet par les habitants.
perdus et la présence d’un objet d’art » ; « ça embellit le paysage » ; cela aide à se rappeler le vécu
des gens des pays) et une réflexion écologique : « ces œuvres servent à se poser des questions sur
ce qu’on fait à la nature » « on se demande pourquoi c’est là ». Les répondants déclarent à cet
effet vouloir soit respecter, soit protéger, soit s’adapter à leur environnement. Mais c’est
l’impact sur le développement touristique et économique qui domine : « ça fait un but pour
des touristes qui ne seraient jamais allés dans ces endroits » ; « cela invite les touristes à découvrir
des endroits perdus avec une thématique artistique » ; « cela permet de créer une autre forme de
tourisme » et du coup, « ça aide les artistes et ça aide notre pays à vivre ».
67 La démarche expérientielle du workshop a ouvert des horizons à ses participants pour une
nouvelle relation à l’environnement naturel, mais on constate qu’elle ne s’adresse qu’à un
public déjà sensibilisé.
68 La démarche expérientielle proposée par les artistes a été plébiscitée par certains
participants grâce à la dimension coopérative (« l’envie de participer à un travail collectif avec
des artistes … il y en avait qui avait de supers idées »), à la reconnaissance sociale proposée (
« ce qui m’a fait plaisir c’est que notre œuvre soit entrée dans le musée, c’est un peu comme si on
avait fait quelque chose d’important »), à l’acculturation artistique (« ça me fait évoluer encore
sur l’art et les artistes parce que les techniques passent après »). Cependant, ces retours doivent
modérer car ces quelques participants étaient a priori sensibilisés à l’art ou à
l’environnement (tableau 5) ce qui a certainement influencé leurs réponses concernant
leur motivation à participer, leur ressenti et la réflexion sur la place d’œuvres d’art en
pleine nature.
Discussion
71 Notre objectif était de repérer en quoi et sous quelles conditions un projet d’art
contemporain nourrissant des ambitions éducatives dans un contexte rural pouvait
participer à une éducation des habitants concernant leur territoire dans un cadre
informel.
72 Les résultats apparaissent mitigés cinq ans après cette expérience esthétique en terme
d’éducation à l’environnement et au territoire. En effet, la question d’une véritable
participation active des habitants pour le cas n°1 reste posée tandis que les participants
au workshop (cas n° 2) plébiscitent cette pratique sensible et coopérative, même si les
propos d’un tiers des répondants ne montrent que des amorces de réflexion non
problématisée sur le regard qu’ils portent sur leur territoire.
73 Le résultat semble bien mince par rapport à l’investissement financier et humain
consacré. Cela amène à formuler deux questions : Une seule expérience esthétique suffit-
elle à nourrir le processus éducatif d’une réflexion concernant une réalité
environnementale complexe ? Quelle préoccupation domine : le projet éducatif ou le
développement touristique durable ?
74 La réussite d’un processus d’éducation au territoire repose sur une double condition : la
multiplicité d’expériences esthétiques se déployant sur un long terme. Le seul projet
VIAPAC ne permet pas de développer une reliance écologique chez les habitants. Celle-ci
a besoin de répétitions, de confirmations, de nouveaux couplages (Cottereau, 2000), d’où
la nécessité de penser cette éducation en termes de parcours de territoire parsemé
d’évènements artistiques et culturels. Même s’il existe une motivation réelle des artistes
et des élus pour éduquer les habitants au territoire, le processus d’empowerment
timidement amorcé ne peut perdurer car aucun suivi éducatif auprès des habitants n’est
assuré depuis 5 ans.
75 Dans ces deux études, une différence assez importante apparaît entre la littérature
produite sur ces projets et les discours des populations concernées en ce qui concerne
leur empowerment. Une pseudo éducation des adultes servirait-elle d’alibi pour faciliter un
développement économique de territoires isolés ?
76 Ces actions s’inscrivent dans la mouvance de développement du territoire de manière
durable plutôt que dans le cadre de l’ERE. En effet, l’aspect touristique et économique
prédomine dans les discours des acteurs et supplante des objectifs éducatifs peu
explicites.
77 On retrouve ici la même problématique identifiée dans les orientations internationales de
l’UNESCO et dans des projets scolaires partenariaux d’éducation formelle et non formelle
au patrimoine, où les dynamiques de projet de développement des territoires impactent
très largement l’atteinte des objectifs éducatifs de ces projets (Barthes, Blanc-Maximin,
Alpe, Floro, 2014 ; Blanc-Maximin, Floro, 2017).
Conclusion
78 A la question initiale que nous avions posée sur les fonctions éducatives de l’art
contemporain concernant le rapport au territoire rural, de nombreuses réponses
théoriques ont été apportées, même si l’art contemporain est par ailleurs soumis à des
dilemmes entre ses fonctions économiques de marchandisation, et ses fonctions créatrice
et heuristique.
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10.4000/ vertigo.
RÉSUMÉS
Cet article a pour objectif d’explorer les fonctions éducatives de l’art contemporain dans le
domaine de l’éducation relative à l’environnement (ERE), plus spécifiquement en ce qui concerne
le développement territorial. L’art contemporain contextuel qui prend appui sur le territoire
pour exister, est considéré ici comme une contribution potentielle à l’éducation relative à
l’environnement. Nous proposons d’abord une mise en lien de ces deux champs retraçant
l’histoire de l’art contextualisé et rappelant les visées et valeurs de l’ERE. Puis, l’étude de deux
dispositifs participatifs d’art contemporain à visée éducative dans des territoires ruraux du Sud
de la France, l’un provenant d’une demande de la population, l’autre d’une initiative d’artistes,
permettent de comprendre, au-delà des postures théoriques, ce qui se joue en réalité. La genèse
des dispositifs, puis les effets sur les habitants participants ont été étudiés. Les résultats mettent
en évidence que les expériences artistiques participatives n’impactent que modestement le
rapport au territoire de vie de certains habitants. Si elles mobilisent successivement l’expérience
esthétique et la démocratisation par le sensible, le décalage entre le processus éducatif qui
nécessite du temps et la réalisation d’un projet artistique ponctuel en limite les effets. On observe
aussi un dévoiement des objectifs réellement éducatifs vers une utilisation de l’art comme source
de développement économique et touristique.
This article aims to identify educative functions of contemporary art to target environmental
subjects, methods and practices of territorial education. We studied two participative projects of
contemporary included in an informal educational device destinated to french population living
in rural environment. This study aims to prove the existence of these functions of contemporary
art. This methodology includes, on one hand, the analysis of literature based on these projects
and, on the other hand, an anlysis of inquiries from sample of local population. Results are two
fold because, first these artistic events participate in the social link and change opinions on the
local environment and the territories. Anyway, they also have a great impact on economic and
touristic development.
INDEX
Mots-clés : éducation relative à l’environnement, éducation non formelle, territoires, ruralité,
art contemporain, éducations à
Keywords : environmental adult education non formal, territorial education, rural population,
contemporary art.
AUTEURS
ANGELA BARTHES
Professeure des universités à Aix-Marseille, Angela Barthes enseigne dans le domaine de
l'environnement. Elle effectue ses recherches en éducation dans le développement des territoires
ruraux. Elle s'intègre dans les réseaux nationaux et internationaux des éducations à
(développement durable, patrimoine, citoyenneté, territoires.....). Elle est coordinatrice du «
dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à » avec Jean-Marc Lange et Nicole
Tutiaux-Guillon. (Courriel : angela.barthes@univ-amu.fr)