Université Du Québec Montréal: Quivalà
Université Du Québec Montréal: Quivalà
Université Du Québec Montréal: Quivalà
QUIVALÀ:
MÉMOIRE PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN THÉÂTRE
PAR
PETER BATAKLIEV
FÉVRIER 2018
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques
Avertissement
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commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
REMERCIEMENTS
Les réflexions et les idées énoncées dans ce mémoire ont été inspirées par le travail
de centaines de camarades de travail, acteurs et metteurs en scène avec lesquels j'ai
collaboré pendant des années. Je ne pourrais tous les nommer. Tout de même, je veux
remercier certaines personnes plus particulièrement. Premièrement, je remercie mon
père, Vladimir Batakliev, la personne qui m'a fait découvrir le théâtre, qui a été mon
premier mentor et metteur en scène et qui m'a encouragé à poursuivre ce chemin sur
le plan professionnel. Lors de mon arrivée au Canada, la personne qui m'a donné un
immense soutien, qui a rallumé la petite flamme d'espoir et qui m'a convaincu qu'il
était possible de faire du théâtre dans une autre langue que ma langue maternelle,
c'est Alexandre Marine. Merci Sacha! Je tiens à remercier ceux et celles qui m'ont
fait confiance et qui m'ont donné la chance de travailler comme acteur, metteur en
scène et enseignant dans les institutions qu'ils dirigeaient. Merci, Danièle de·
Fontenay, Wajdi Mouawad, Michel Nadeau, Denise Guilbault, Martine Beaulne et
Robert Reid.
Notre recherche a été inspirée par les réflexions sur le temps de certains philosophes
que nous avons tenté d'intégrer dans la pratique théâtrale du contexte d'aujourd'hui.
Notre étude a commencé par l'hypothèse que la création d'une dramaturgie
temporelle du personnage serait envisageable si nous obligions l'acteur à inventer et
à développer ses actions comme s'il était sous l'influence d'événements très
percutants et précis, même s'ils n'existent pas dans 1' écriture dramatique.
Le premier chapitre clarifiera et établira les mots de vocabulaire qui nous permettront
de préciser notre pensée et soutenir notre terminologie tout au long de la recherche.
Divers théoriciens de théâtre et philosophes tels qu'Aristote, Étienne Klein, Merleau-
Ponty, Anne Ubersfeld et Maria Knebel contribueront à notre réflexion théorique.
Avant tout, nous sommes acteur et comme chaque acteur, nous avons rêvé
d'interpréter le rôle principal dans chacune des pièces proposées, mais la réalité fait
en sorte que nous sommes parfois obligé de jouer des rôles de moindre importance.
Avec le recul, nous avons pu constater que comme acteur, sur scène ou devant la
caméra, nous avons toujours voulu nous démarquer par notre façon de jouer.
Se démarquer ou être remarqué en jouant un rôle principal est plus simple, car les
pièces sont écrites pour raconter l'histoire des protagonistes. Mais jouer un petit rôle
et faire en sorte que le personnage devienne mémorable avec peu de texte et de temps
scénique rend la tâche plus difficile et stimulante. Comment peut-on rendre un
personnage important et mémorable sur scène, même si ses fonctions dans la pièce se
retrouvent au deuxième plan? Cette question nous a toujours préoccupé.
Autour des années 2000, nous avons visionné une série de conférences de Peter
Brook conçues pour les enseignants en théâtre en France. Lors d'une de ces
conférences intitulée Autour de l'espace vide, Peter Brook énonce ceci: «Le théâtre,
c'est une concentration de l'espace et du temps.» Nous avons cru comprendre
parfaitement cette pensée de Brook. Nous la trouvions très juste et nous l'avons
adaptée à notre vocabulaire théâtral. C'est cette même constatation de Brook qui a été
le point de départ de notre réflexion et qui a orienté notre champ de recherche. La
2
Durant plusieurs années, en tant que metteur en scène et enseignant, nous avons
essayé de trouver la façon de communiquer aux acteurs et aux étudiants que le temps
au théâtre est concentré. Bien que cette phrase semble assez claire à première vue,
elle recèle beaucoup d'ambiguïtés. Nous avons constaté qu'il est difficile de traduire
pour les acteurs cette notion de temps concentré de façon claire pour qu'ils puissent
l'intégrer à leur pratique. Qu'est-ce que veut dire temps concentré? Premièrement,
peut-on concentrer le temps? li s'agit d'un concentré de quoi? Concentré en quoi?
Concentré avec quoi? Concentré pour qui? Pour le public ou pour le personnage?
Veut-on concentrer véritablement ou créer l'impression de concentration? Quel est
l'élément qui produit l'impression de concentration du temps? Veut-on dire que le
temps concentré possède des qualités? Si oui, comment peut-on détecter ces qualités?
Existe-t-il un lien entre la concentration du temps et sa durée? Quelle est la différence
dans la concentration du temps pour les différents personnages? D'où vient cette
concentration et comment peut-on la produire? Voilà donc tout le questionnement qui
a surgi pendant que nous essayions de diriger les acteurs en leur expliquant la
particularité du temps au théâtre. C'est ce qui a ranimé notre intérêt et a provoqué
cette recherche. Répondre à ces questions fut 1' impulsion qui a animé ce mémoire-
création.
Dans le premier chapitre, nous présentons certaines expériences liées aux œuvres
issues de la nouvelle dramaturgie en nous interrogeant sur la nécessité de créer une
dramaturgie temporelle du personnage. Nous avons examiné les notions de temps et
de temporalité en termes physique et philosophique à partir des œuvres d'Aristote,
d'Étienne Klein et de Merleau-Ponty et à partir des réflexions d'Anne Ubersfeld sur
le temps au théâtre et ses particularités. Puis, nous avons exposé notre hypothèse
concernant la création d'une temporalité de départ du personnage comme préalable
3
pour déterminer la qualité de son action. Ensuite, nous avons analysé le terme
« dramaturgie » à partir des écrits de Patrice Pavis et nous avons fait le lien entre
Face aux œuvres théâtrales issues des nouvelles dramaturgies, les acteurs et les
metteurs en scène ont souvent le défi de se situer précisément dans l'univers de
l'auteur. Ce qui caractérise cette nouvelle écriture dramatique, c'est l'aspect
fragmenté des textes où la narration de l'histoire n'est pas nécessairement une
priorité. Parfois, la forme d'écriture est si éclatée qu'elle en devient déroutante.
Dans Le Théâtre postdramatique, Hans-Thies Lehmann observe les caractéristiques,
les catégories ainsi que le mode d'utilisation du signe dans le théâtre postdramatique:
« Le "style" ou plus exactement la palette stylistique du théâtre postdramatique fait
apparaître les caractéristiques suivantes : parataxe, simultanéité, jeu avec densité des
signes, mise en musique, dramaturgie visuelle, corporalité, irruption du réel,
situation/événement. » (Lehmann, 2002, p. 134)
Chacune de ces caractéristiques vient avec ses propres signes, souvent emmêlés, et
cela crée de nouvelles structures théâtrales qui s'opposent sans équivoque à la
tradition théâtrale. Lehmann constate que les discours de la scène se rapprochent
davantage de la structure des rêves, et que «le théâtre, l'art d'évènement par
excellence, devient le paradigme de l'esthétique» (Lehmann, 2002, p. 130).
Donc, il devient évident que le théâtre postdramatique oblige 1' acteur à réviser ses
connaissances théoriques et pratiques et à développer les outils nécessaires pour
répondre aux nouvelles exigences qui surgissent de cette différente palette stylistique
de spectacles. La question qui s'impose pour l'acteur est: sur quoi peut-il s'appuyer
pour agir et évoluer adéquatement dans cette nouvelle forme esthétique et
conceptuelle, tout en étant empreint d'une humanité sensible et manifeste?
À titre de metteur en scène et acteur, nous avons travaillé, depuis plusieurs années,
sur nombre de textes issus des nouvelles dramaturgies et nous avons été confrontés au
problème que nous venons d'exposer. Nous avons constaté que, pour analyser un
texte ou un personnage, certaines notions de la méthode stanislavskienne, comme le
monologue intérieur, la surobjectivité ou l'action transversale, pouvaient être
appliquées, mais que ce n'était jamais dans une logique intégrale. Les acteurs avaient
souvent l'impression d'être en décalage avec leur personnage. En cherchant l'élément
manquant qui aurait pu unir la méthode de Stanislavski à l'écriture postdramatique,
notre attention a été attirée par une caractéristique de la nouvelle dramaturgie définie
par J.-P. Sarrazac, « l'infradramatique ». Cette nouvelle dramaturgie ne porte plus son
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attention sur la relation interpersonnelle, mais elle oriente 1' intérêt dramatique sur
l'homme seul (Sarrazac, 1999, p. 212). L'homme seul de Sarrazac est devenu, pour
moi, le personnage qui existe dans une écriture hors contexte et hors temps. Ainsi,
nous avons accepté que l'analyse du personnage ne se base plus sur les données
issues de l'écriture ni sur les relations interpersonnelles. Nous avons cherché à
trouver comment l'acteur pourrait analyser la pièce et son personnage et comment il
amènerait l'intérêt dramatique sur l'homme seul. En fait, c'est cette solitude du
personnage perdu dans 1' espace et le temps de la pièce postdramatique qui a orienté
notre réflexion vers les possibilités d'analyse de son comportement selon la durée et
la qualité de son temps scénique. Autrement dit, 1' idée est de lui créer une temporalité
qui va 1' animer et devenir le moteur principal de son comportement physique et
psychologique. Voilà comment l'expression « temporalité du personnage » a surgi
dans notre vocabulaire théâtral.
L'importance des moments que traverse le personnage est plus facilement saisissable
dans les textes issus du répertoire, car la trame narrative de l'histoire est claire et
chronologique. L'importance de ce que vit un personnage, dans une œuvre
postdramatique, est souvent difficile à comprendre en raison de l'absence d'indices
sur les enjeux, sur les circonstances et sur le contexte dans lequel il évolue. Cela vaut
aussi pour les personnages principaux, car il faut admettre que nous focalisons sur
l'importance des moments vécus par les protagonistes; les rôles secondaires restant,
en règle générale, dans 1' ombre. Les personnages secondaires sont souvent sous-
développés et ils sont au service des personnages principaux. Leur pertinence dans la
fable et l'importance de leur temps scénique sont moins définies. Dans les deux cas, il
subsiste un piège: que, dans leur analyse, l'acteur et le metteur en scène passent à
côté de ce qui est déterminant pour le personnage, qu'il soit principal ou secondaire.
déterminant pour leur vie. Nous n'observons aucun changement dramatique, les
actions des personnages sont linéaires et prévisibles, donc leur temps scénique est
inhabité et sans importance. lis n'ont alors aucune raison valable d'être sur scène.
C'est probablement la raison pour laquelle ces premières répliques et même la scène
intégrale est souvent coupée dans les productions théâtrales.
Avec les textes de la nouvelle dramaturgie, un des pièges est de passer à côté de ce
qui est important pour le personnage provient de la forme de 1' écriture, car la
narration de l'histoire n'est pas nécessairement une priorité. La dépsychologisation et
la fragmentation de ces textes pourraient orienter le metteur en scène vers la
recherche d'une forme théâtrale et le laisser insensible au développement
psychologique de ses personnages. Détecter et évaluer l'importance du moment que
vit le personnage devient alors très difficile.
Nous prendrons encore en exemple la pièce Hamlet, mais celle de Heiner Müller
(1979). La pièce commence sans explications sur le lieu, le temps de l'action et les
enjeux du personnage. Un narrateur dit: «J'étais Harnlet. » Ici, l'analyse
traditionnelle est incompatible avec ce texte. Dans le Hamlet de Shakespeare, nous
avions une certaine information, des paramètres avec lesquels nous pouvions nous
situer sur le plan de l'espace et du temps physique, même si le temps scénique des
personnages est inhabité. Avec Müller, il n'y a pas d'information sur le lieu ou sur les
personnages et il n'y a même pas de temps. Donc, comment peut-on analyser le
temps scénique du personnage et le remplir avec signification et importance?
l'acteur. Nous avons trouvé que la qualité et l'importance du temps scénique sont
nettement décrites par Anne Ubersfeld :
«La seconde qui s'enfuit a dit ce que la seconde qui suit ne pourra dire.
[ ... ] Si le théâtre est irremplaçablement à la fois plaisir et savoir c'est
qu'il lui est demandé à chaque moment de saisir ce qui sépare ce
moment de 1' instant qui 1' a précédé, de comprendre du même coup le
pourquoi du changement, le sens de la transformation. » (Ubersfeld,
2011, p. 21-23)
Nous comprenons parfaitement ce qu'Ubersfeld voulait dire par «La seconde qui
s'enfuit a dit ce que la seconde qui suit ne pourra dire», mais nous constatons qu'en
réalité une telle qualité de temps scénique est très rarement observée dans la pratique
théâtrale. Nous dirions que c'est plutôt un souhait, ce à quoi devrait ressembler le
théâtre (le temps au théâtre) dans un monde idéal. Néanmoins, l'importance
qu'Ubersfeld accorde au temps scénique est en fort lien avec la pensée de Peter
Brook pour qui le théâtre est une concentration de 1'espace et du temps. Ces deux
réflexions ont stimulé notre recherche sur le plan de la direction d'acteurs : concentrer
le temps au théâtre en chargeant avec importance chaque seconde du temps scénique
du personnage qui s'enfuit. Nous avons expérimenté différents moyens pour donner
de l'importance à chaque instant que le personnage passe sur scène. Nous avons
cherché les outils nous permettant de rendre visible et sensible la transmission de
l'histoire d'une seconde à l'autre et qui créent la concentration du temps sur scène.
une recherche sur les notions de temps et de temporalité d'un point de vue physique
et philosophique et nous avons tenté d'appliquer nos découvertes à notre pratique
théâtrale. Le cadre théorique de notre recherche sur les spécificités physiques et
philosophiques du temps s'édifie autour des travaux de Merleau-Ponty, Étienne
Klein, Aristote et Anne Ubersfeld.
L'idée que le temps peut être mesuré en comptabilisant un nombre d'instants de façon
subjective n'est pas nouvelle, car Aristote avait déjà réfléchi sur le sujet. La définition
du temps comme « nombre du mouvement selon 1' antérieur et le postérieur »
(Aristote, 1999, p. 219) lui permet de montrer que la réalité du temps dépend de la
relation entre le mouvement physique et celui de l'acte de l'âme. Donc, selon lui, le
temps est ce qui, dans le mouvement, est mesuré ou enregistré par l'âme. Pour
Aristote, la réalité du temps comme mouvement, et comme acte de 1' âme, est
immédiatement présent à la conscience qui perçoit le temps. ll écrit que « nous
percevons en même temps (ama) le mouvement et le temps» (Aristote, 1999, p. 219).
C'est à partir de la plus simple expérience psychologique qu'Aristote élabore sa
11
Selon Merleau-Ponty, l'analyse du temps ne consiste pas à tirer des conclusions sur
une conception préétablie de la subjectivité, mais à accéder, à travers le temps, à sa
structure concrète. ll nous suggère de considérer le temps en lui-même, et c'est en
suivant sa dialectique interne que nous érigerons notre idée du sujet. Ce qui est passé
ou futur, pour l'individu, c'est le présent dans le monde. Cette préexistence des trois
éléments de temps, l'auteur la nomme l'image de l'effondrement du temps.
Donc, l'auteur affirme qu'il ne peut y avoir de temps que s'il n'est pas déployé, si
passé, présent et avenir ne sont pas dans le même sens. li ·est important, pour le
temps, de se faire et de n'être pas, de n'être jamais complètement constitué. Le temps
constitué, la série des relations possibles selon l'avant et l'après, ce n'est pas le temps
même, mais un enregistrement final, c'est le résultat du passage que la pensée
objective présuppose toujours et ne réussit pas à saisir ainsi, «la conscience est
contemporaine de tous les temps» (Merleau-Ponty, 1945, p. 474).
La question qui survient à partir de cette réflexion est la suivante : peut-on percevoir
une position temporelle sans un avant et un après, sans apercevoir la relation entre les
trois termes? La réponse que l'auteur donne réside dans l'image de l'effondrement du
temps. C'est là qu'on voit un avenir glisser au présent et au passé. On doit
comprendre que, dans chaque moment qui vient, le moment précédent subit une
modification : «Le temps est l'unique mouvement qui convient à soi-même dans
toutes ses parties, comme un geste enveloppe toutes ses contractions musculaires qui
sont nécessaires pour le réaliser.» (Merleau-Ponty, 1945, p. 479) Si nous pouvons
saisir notre présent qui est vivant, avec tout ce qu'il implique, nous allons constater
une « extase » vers 1' avenir et vers le passé qui fait apparaître les dimensions du
temps, non comme rivales, mais comme inséparables. Donc, on dit qu'être à présent,
c'est être de toujours, et être à jamais.
Merleau-Ponty explique comment notre conscience navigue dans nos plus anciennes
expériences, mais que cela se fait « à travers des champs de présence par lesquels cet
accès au passé lui-même est garanti. » Merleau-Ponty appelle «synthèse du temps »,
La question qu'il se pose est la suivante: quel est, en nous et dans le monde, le
rapport du sens et du non-sens? ll analyse les différentes perceptions temporelles
développées par notre conscience comme «créateurs» du sens. L'accent est mis sur
notre capacité de comprendre, de construire et d'opérer la synthèse de l'objet qui
devient porteur du sens : «La chose n'est qu'une signification, c'est la signification
"chose".» (Merleau-Ponty, 1945, p. 490) D'après lui, la signification d'une chose ne
se révèle que si nous les regardons d'un certain point de vue, avec une certaine
distance et dans un certain sens.
1.3.2 La temporalité
Donc, si l'on ne peut connaître la temporalité des autres, comment peut-on connaître
la temporalité d'un personnage qui, par définition, est une fiction? Au théâtre, lorsque
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nous analysons un texte, nous avons l'obligation de créer les conditions propices pour
que l'acteur invente la temporalité de son personnage.
Les réflexions de Merleau-Ponty sur le temps sont ici très inspirantes. De lui, nous
retenons ceci : «La conscience chemine librement d'un passé et d'un avenir», et elle
déploie ou constitue le temps. ll met aussi 1' accent sur notre capacité à comprendre, à
construire et à opérer la synthèse de 1' objet qui devient porteur du sens : « Le temps
n'est donc pas un processus réel, une succession effective que je me bornerais à
enregistrer. ll naît de mon rapport avec les choses. » Dans notre recherche, nous
voulions que 1' acteur devienne le créateur de sens de sa temporalité. Que
consciemment, il fasse des choix pour assurer l'effondrement du temps, ce voyage
entre 1' avenir et le passé, tout en étant présent sur scène.
Si le temps naît de notre «rapport avec les choses», au théâtre, c'est à l'acteur de
choisir les éléments avec lesquels le personnage peut avoir un rapport sur scène. C'est
à l'acteur de donner du sens, d'élaborer la signification et l'importance de chacune de
ces « choses » que le personnage va découvrir. ll doit expérimenter comment ce
rapport formera « le caractère de ce qui est dans son temps » et provoquera un
déroulement de celui-ci « "en ligne brisée" avec une fluidité variable ». Autrement
dit, l'acteur crée de façon consciente une nouvelle temporalité à son personnage.
Pour ce qui est de la définition d'Aristote concernant le temps qui est mesurable par
le nombre de mouvements selon l'antérieur et le postérieur, nous aimerions retenir
que le temps peut être visible seulement à travers le mouvement, et que sans
mouvement il n'y a pas de temps. Si nous traduisons cette pensée en langage théâtral,
ce qu'Aristote appelle «mouvement» serait l'équivalent d'un changement dans
l'action physique ou psychique du personnage. Donc, à partir de ce moment, nous
chercherons à mesurer ou plutôt à évaluer le temps scénique du personnage à travers
le nombre des changements que l'acteur va lui imposer. Ces changements peuvent
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être physiques ou psychiques, et ils devraient surgir comme une succession d'instants
temporels issus du passé ou de 1' avenir du personnage. Ces changements devront être
perceptibles pour le public. L'importance du temps scénique du personnage est
proportionnelle au nombre de changements que le personnage subira sur scène et
évaluable selon ce nombre de changements. Si, dans une période de temps donné, par
exemple la durée d'une scène théâtrale, nous augmentons le nombre de changements
subis par le personnage, cela pourrait créer la sensation d'une compression du temps
au théâtre.
En parallèle avec la recherche sur le temps d'un point de vue philosophique, nous
avons analysé les différentes théories sur le temps au théâtre. Compte tenu de la
direction dans laquelle se poursuit notre réflexion, les énoncés d'Anne Ubersfeld,
universitaire française et spécialiste du théâtre, nous ont semblé des plus pertinents.
Pour Ubersfeld, la question fondamentale que pose le texte de théâtre est celle de son
inscription dans le temps. L' auteure distingue deux temporalités dans le « fait
théâtral » : celle de la représentation et celle de 1' action représentée. Elles se
manifestent dans la zone médiatisée (celle du public), là où se fait l'inversion des
signes. Le temps théâtral est le rapport entre les deux temporalités et le mode de
représentation choisi.
Le problème fondamental du temps au théâtre est qu'il se situe par rapport à l'ici et
maintenant, qui se trouve être l'ici et le maintenant de la représentation, mais qui est
aussi le présent pour le spectateur. L'écriture théâtrale est donc une écriture au
présent et les indices de temps qui y sont contenus sont inévitablement compris dans
un rapport au présent. Mais ces signifiants désignent un référent nécessairement hors
scène, qu'on ne peut donc pas montrer. Le temps de l'histoire et la durée vécue ne
peuvent fonctionner comme référents construits sur scène. Ubersfeld suggère de faire
une distinction entre le texte et la représentation. la représentation arrête le temps
ordinaire et forme un autre temps. D'après l'auteure, ce qu'indique le texte de théâtre,
c'est un temps rapporté que la représentation montrera comme déplacement de 1' ici et
maintenant. Donc, la représentation ne se déroule pas vraiment dans un autre temps,
mais dans un non-temps. Ubersfeld articule ici une réflexion ultime qui touche le
cœur de notre futur travail de recherche : « Le temps est ce qui ne se voit pas, mais se
dit seulement, ce dont il faudra, pour en rendre compte, perpétuellement inventer les
signes visuels. » ( 1996, p. 160)
Une autre réflexion très pertinente est celle du temps comme référence, c'est-à-dire le
renvoi de 1' action théâtrale à un moment déterminé du passé lointain ou immédiat.
Cet aspect du problème du temps touche davantage la représentation que le texte.
C'est à la représentation de fabriquer les signes renvoyant à cette référence
temporelle, quitte à modifier cette référence ou à inventer un autre système : «Dire le
temps, c'est déplacer l'ici maintenant, inscrire le fait-théâtre (texte plus
représentation) dans un certain cadre temporel, lui donner ses limites en même temps
qu'on assure son ancrage référentiel.» (Ubersfeld, 1996, p. 164) C'est ce que
Ubersfeld appelle « cadrage ». Selon elle, le début de tout texte théâtral est plein
d'indices de temporalité (didascalies d'ouverture et début du dialogue). L'exposition
suppose un ancrage dans la temporalité, s'il y a une temporalité, les didascalies sont
là pour marquer ou non le temps et elles sont relayées par le dialogue. Présentes dans
le texte, elles marquent un moment de l'histoire par une série d'indices. Elles peuvent
être aussi précises et détaillées qu'abstraites.
Voilà comment l'énoncé de ce cadrage temporel d'Ubersfeld fait un lien avec notre
idée de création d'une dramaturgie temporelle de personnage. C'est exactement ce
degré zéro de l'historicité, ce cadre temporel abstrait du théâtre postdramatique qui
est le plus déroutant pour les acteurs et les metteurs en scène. Voilà pourquoi nous
supposons que la création d'un «cadrage» temporel au début de chaque pièce ou de
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chaque scène est nécessaire pour créer un ancrage dans la temporalité proposée par le
metteur en scène.
Notre hypothèse est que, pour créer une dramaturgie temporelle, il est nécessaire de
proposer à l'acteur une «temporalité de départ» pour le personnage qui définira le
début de sa scène. La création de cette temporalité de départ est la première étape
obligatoire pour entamer la création d'une dramaturgie temporelle du personnage et
elle est préalable à 1' action scénique du personnage. Elle se construit à partir des
instants qui précèdent 1' apparition du personnage sur scène et définit la qualité de son
premier mouvement. Le but est de positionner l'acteur dans l'ordre des événements
qui influenceront l'état physique et mental du personnage. Pour ce faire, l'acteur et le
metteur en scène seront appelés à créer une autre couche de fiction sur la fiction de
l'écriture théâtrale, celle de la temporalité du personnage. L'invention de cette
nouvelle bulle temporelle peut s'inspirer du texte dramatique déjà existant ou du
rapport de l'acteur avec l'environnement scénique.
"Ce que nous croyons" qu'il est, voilà le hic. En associant les
mots à l'expérience, et l'expérience aux mots, nous passons
au crible des histoires qui font écho ou nous préparent à une
20
Ensuite, nous présumons que l'acteur et le metteur en scène sont dans l'obligation de
concrétiser le contexte dans lequel le personnage agit et d'établir son rapport
sensoriel avec l'espace et les autres composantes de l'environnement scénique. À la
suite de ce nouveau rapport sensoriel, l'imaginaire de l'acteur provoquera les
changements qui bousculeront 1' action physique ou mentale du personnage. Son
temps deviendra donc complètement subjectif et il se déroulera « en ligne brisée
et avec "une fluidité variable" », comme le dit Klein. Notre hypothèse est que ces
changements sont produits par la création des événements. Lorsque nous parlons de
création des événements pour le personnage, nous sous-entendons que ceux-ci ne
sont pas nécessairement présents dans la fable de la pièce. Et s'ils ne sont pas
présents dans 1' écriture, cela implique que nous avons un pouvoir décisionnel sur le
genre d'événements que nous allons créer. La nature des événements créés définira
« le caractère de ce qui est dans le temps » du personnage et formera sa temporalité
de départ. L'invention d'événements non présents se fait dans le but de clarifier, de
canaliser l'action principale du personnage et d'empêcher le déroulement prévisible
de cette même action. Elle crée aussi des contraintes au déroulement de 1' action
envisagée et provoque des changements dans sa direction et sa qualité. Donc, en
résumé, pour créer une temporalité de départ du personnage, l'acteur peut s'appuyer
sur le texte de la pièce, le contexte dans lequel l'action se déroule et le rapport
sensoriel qu'il entretient avec l'espace. L'acteur fait un choix parmi toutes les
possibilités et prendre un seul facteur qui pourrait être essentiel pour la création de la
temporalité de son personnage. D se concentre sur ce facteur essentiel qui 1' aidera à
trouver un état de corps et d'esprit de départ à son personnage. Ensuite, il s'engage
dans une action et permet ainsi l'apparition d'événements de toutes sortes qui
1
Alberto Mangue!, auteur de l'essai« Nouvel éloge de la folie »est un écrivain et
critique littéraire argentino-canadien
21
1
Mélanie Demers - chorégraphe et interprète montréalaise
24
1
cf. 1.5.3 les circonstances supposées
25
sur l'action n'est jamais final. C'est une première étude pour rendre l'action du
personnage plus intéressante, surprenante et théâtrale. L'essentiel doit se nuancer,
évoluer et se transformer avec chaque répétition. La prise de position personnelle de
l'acteur qui cherche les événements susceptibles d'influencer l'action principale du
personnage est incontournable dans ce processus.
1.5 L'essentiel
26
«Le but de mon espace, c'est de montrer des hommes qui sont
d'un côté très emprisonnés et de l'autre côté très exposés, très
délaissés, très seuls. Souvent, je n'utilise aucun objet non plus
sur scène. Le comédien n'a affaire à rien d'autre qu'à l'auteur,
à lui-même et à son partenaire. n ne dispose d'aucun
accessoire, d'aucun intérieur, d'aucun meuble auxquels il
pourrait s'accrocher. Tout est réduit et on se trouve face à
l'acteur nu confronté à soi-même. C'est ça l'intérêt de l'espace
et nous partons toujours du principe : y a-t-il une
scénographie?!» (Ortolani, entretien avec Thalheimer dans
OutreScène, 2005)
La recherche de l'essentiel chez Thalheimer est évidente aussi dans son approche et
son travail avec le texte.
li s'autorise à faire des abréviations dans 1' écriture originale en ne supprimant pas
seulement des répliques, mais aussi des personnages. Pour lui, les personnages ne
sont que des figures qui peuvent être radiées subjectivement sans impact ni influence
sur le flux de la pièce ou le message principal de la pièce. Mais il ne touche pas aux
personnages qui sont importants pour la ligne principale de la pièce: «Je veux être
"fidèle à la pièce" dans tous les sens, mais cela n'a rien à voir avec le fait d'être
"fidèle au texte". [... ] li n'existe pas de spectacle" authentique" au théâtre. Être près
du dramaturge ne signifie pas nécessairement dire chacun de ses mots. »
(Thalheimer par Boenisch 2008.) D'après lui, les coupures dans les textes classiques
sont obligatoires, car les pièces ont été écrites dans une époque et un contexte
différents qui obligeaient les auteurs et les personnages à s'exprimer d'une façon qui
n'est plus actuelle aujourd'hui. li insiste sur le fait que de couper les textes n'est pas
signe d'une sorte d'impatience envers les auteurs et leur écriture originale, mais qu'il
s'agit plutôt d'un plaisir de trouver la pureté ou l'essence de l'œuvre. Pour lui, la
version coupée n'est pas mise en scène dès le début du processus de répétition, c'est
quelque chose qui se développe au fil du temps :
27
Voici pourquoi il est essentiel pour chacun des acteurs qui travaillent avec
Thalheimer de comprendre en profondeur sa lecture de la pièce.
1.5.1 Le mouvement
Ce qui déclenche l'impulsion pour chaque nouveau mouvement est habituellement lié
à un événement. La suite et 1' ensemble des événements vécus dans une vie forment la
personnalité et la subjectivité de chaque individu. Leur ampleur, mélangée avec la
spécificité culturelle, sociale et politique et le niveau de conscience, définit le
caractère de chaque être humain. Cependant, la fiction dessinée par 1' écriture
théâtrale donne très peu d'information sur le passé du personnage et elle ne nous
permet de déduire ni le nombre ni 1' ampleur des événements vécus. Raconter notre
vie, c'est facile parce qu'on connaît le contexte dans lequel chaque événement
marquant s'est produit et on se souvient de tous les détails importants. Raconter la vie
de quelqu'un d'autre est très difficile, car nous sommes privés de sa mémoire.
Raconter la vie d'un personnage fictif est un acte de création de sa mémoire.
29
Tous les événements sont provoqués par les découvertes issues de l'imagination de
l'acteur. Chaque événement provoque un mouvement chargé d'une certaine qualité et
doté d'une certaine durée. Nous avons analysé comment l'ampleur d'un événement et
l'importance qui y est accordée vont jouer sur la durée et la qualité de mouvement.
Notre attention vise à comprendre comment un geste, un mot ou un son saisis par
l'acteur peuvent devenir un événement. Nous avons cherché à comprendre avec
quelle logique nous pourrions inventer les événements non présents et comment ils
produiraient un effet visible dans l'état de corps et d'esprit de l'acteur. L'événement
qui précède l'arrivée du personnage sur scène détermine sa temporalité et définit la
qualité de son action. Souvent ce même événement est aussi le déclencheur de
1' action du personnage, car 1' exécution de 1' action influence directement le
comportement physique du personnage. L'événement que l'acteur produira devant le
public aura pour but de changer la temporalité de son personnage, d'où émergera la
30
L'analyse des actions du personnage à partir des circonstances dans lesquelles il agit
est à la base de la méthode de Stanislavski. ll a emprunté le terme «circonstances
supposées » à Alexandre Pouchkine pour nourrir sa méthode et il 1' a modifié en
«circonstances proposées». D'après Stanislavski, il s'agit de la fable de la pièce, ses
faits, ses événements, le temps et le lieu de l'action, les conditions de vie des
personnages, la façon personnelle dont nous, comédiens et metteurs en scène,
comprenons la pièce, ce que nous ajoutons (mise en scène, mise en place, décors,
costumes, accessoires, lumières, sons, environnement sonore). Voilà donc tout ce
qu'un acteur doit croire, résume Maria Knebel dans son livre L'Analyse-Action
(1961).
31
Comprendre l'époque dans laquelle les personnages évoluent, pour 1' au te ure, c'est
l'une des circonstances proposées les plus importantes. Cependant, elle ajoute qu'il
ne s'agit pas seulement de représenter 1' époque, mais aussi de comprendre qu'en
dehors de leur présent, les personnages ont un passé et un futur. Avec des exemples,
Knebel nous fait réaliser que notre imagination est le seul véhicule pour pénétrer dans
le passé e~ l'avenir de nos personnages. Nous pensons qu'analyser le personnage et
ses actions à partir des circonstances proposées est applicable pour une écriture
classique, mais, comme nous l'avons déjà souligné, cela est complètement
inapproprié pour une pièce postdramatique. Le manque de circonstances précises
nous oblige à chercher une autre façon d'analyser la pièce. Même s'il y a un certain
nombre de circonstances que nous pouvons déduire de l'écriture, nous croyons que
l'acteur ne peut jouer qu'une chose à la fois. n est impossible de résumer dans le jeu
d'acteur toutes les circonstances comme le suggère Stanislavski. Nous sommes
absolument d'accord avec Knebel que l'imagination est le seul véhicule pour recréer
le passé et l'avenir du personnage. Nous nous appuyons sur la notion énoncée par
Pouchkine, les circonstances supposées, car les suppositions engendrent plus de
choix pour notre imaginaire.
pour articuler sa pensée autour des liens existants entre « la vie du corps humain » et
« la vie de 1' esprit humain » et de la façon dont cette relation peut se manifester dans
une action scénique avec une vérité authentique. Le chemin vers cette vérité
authentique passe par la capacité de 1' acteur à déterminer à chaque instant comment
les pensées et les désirs du personnage 1' animent et comment ils vont se traduire ou
s'exprimer dans son comportement physique.
L'au te ure affirme que la ligne continue des actions physiques joue un rôle
considérable dans la création des personnages et qu'elle peut provoquer une action
intérieure, un processus pour ressentir le personnage, ce que Stanislavski avait appelé
« pérezivanie ». Knebel précise que ce mot «est composé de la racine "vivre" et d'un
Même si 1' idée de développer une dramaturgie temporelle du personnage est issue de
mon travail sur les textes postdramatiques, pour 1' expérimentation pratique, j'ai
choisi de travailler sur un texte du répertoire classique. Dans les textes de la nouvelle
dramaturgie, le manque de structure narrative et d'informations sur les personnages,
de références et de recul limite la recherche, bien que, dans le champ de l'invention et
de l'expérimentation, tout puisse devenir sujet à réflexion. Par contre, avec un texte
de répertoire, la narration de l'histoire nous est familière, nous avons des référents
concernant l'œuvre et nous savons ce qui a été fait et comment l'œuvre a été montée.
Surprendre et déjouer les attentes du public est 1'une des façons de vérifier si notre
proposition est pertinente. Pour valider nos hypothèses, notre choix s'est arrêté sur les
premières répliques de la scène 1 de 1' acte 1 de Hamlet de William Shakespeare
(2002). Le travail sur Hamlet nous a permis d'inventer une dramaturgie temporelle à
partir d'une scène qui ne comporte presque pas d'informations sur les personnages, le
lieu et la situation. En même temps, il a fallu tenir compte du contenu et de la
problématique de la pièce dans son intégralité.
En règle générale, les didascalies dans les œuvres de Shakespeare ne sont pas trop
nombreuses ni trop descriptives, ce qui laisse beaucoup de place à l'imagination et à
1' interprétation de 1' acteur et du metteur en scène. Au début de la première scène de
Hamlet, la didascalie de l'auteur nous indique le lieu dans lequel l'action prendra
place (le Danemark, dehors, la nuit) ainsi que la fonction assignée aux deux
personnages : le gardien n° 1 (Fransisco) est en faction et le gardien n° 2 (Bernardo)
34
arrive pour le remplacer. Voilà toute l'information que l'on possède sur les
personnages et sur les circonstances entourant l'action. Nous n'avons aucun détail sur
le château d'Elseneur, ni sur la nuit qui l'entoure, ni sur les deux personnages.
Pour pouvoir observer comment la qualité des actions des personnages évolue avec le
changement de leurs temporalités, nous avons établi une série d'actions physiques de
routine entre les gardiens pour marquer clairement le moment de transfert d'une
faction à l'autre. Par exemple, chacun des gardiens détient une épée, mais celui qui
est en faction possède aussi une lance et un trousseau de clés qu'il confie à celui qui
arrive pour le remplacer. En instaurant une action claire, nous pourrons ainsi observer
et analyser le déroulement et mieux percevoir comment la création d'une dramaturgie
temporelle change la qualité des actions des personnages. Nous avons créé un
éclairage de base pour situer le lieu de 1' action et stimuler 1' imagination des acteurs et
des spectateurs et une ambiance sonore permettant de souligner les différentes
circonstances supposées.
35
Voici l'extrait du texte de cette première scène sur laquelle nous allons travailler.
Hamlet1
Actel
Scène 1
Elseneur. Une plate-forme devant le château.
Francisco est en faction. Bernardo vient à lui.
1
Traduction de Jean-Michel Déprats, Édition Gallimard. 2002
36
Au départ, pour cette scène, nous avons mis en place une proposition neutre avec
l'action telle qu'elle est indiquée par l'auteur, sans chercher les particularités des
personnages et sans explorer plus avant les circonstances supposées. La scène
commence avec l'action du gardien n° 1, un soldat en faction. Quelques instants
suffisent à la compréhension des fonctions et de l'action principale de ce personnage.
Le garde n° 2 arrive ensuite et s'arrête dès qu'il aperçoit son camarade. La première
réplique est envoyée avec une voix autoritaire qui exige une réponse immédiate. Le
gardien n° 1 se tourne et répond de la même façon. Après cet échange de départ, les
deux soldats se reconnaissent et le reste de leur texte s'écoule tandis qu'ils font la
routine de relève. Ensuite, le garde n° 1 s'en va et le garde n° 2 reprend ses fonctions.
Interprétée de cette manière, la scène n'a aucun intérêt théâtral, ni dans sa forme ni
dans son contenu. Le texte et les actions des gardiens n'apportent aucune information,
ni sur les personnages, ni sur la pièce, ni sur le contexte de 1' action. Du point de vue
de notre recherche, le temps scénique des personnages est insignifiant et inhabité. ll
n'y a pas d'événements qui se produisent durant la scène et, par conséquent, il n'y a
pas de changement dans les actions et les intentions des personnages. Le déroulement
est linéaire et prévisible.
dans l'espace qui l'empêche de bien voir? Mais pourquoi serait-il mal positionné?
Pourquoi le gardien qui arrive ne voit-il pas l'autre? Voit-il quelque chose? Si oui,
qu'est-ce que c'est? Ou a-t-il entendu quelque chose? Bref, pourquoi parle-t-il en
premier? Cette réplique est-elle une simple erreur de Shakespeare qui ne connaissait
pas les règles de l'armée? Ou y a-t-il autre chose que l'auteur a voulu sous-entendre?
Bien sûr, nous ne saurons jamais ce que Shakespeare voulait vraiment dire, mais ce
sont des interrogations qui ont surgi en analysant la première réplique de la pièce. ll
n'y a probablement rien à découvrir et rien de codé dans ce texte, mais ce
questionnement nous est apparu fertile, pertinent pour notre recherche et susceptible
de nous servir dans la création d'une temporalité de départ des personnages.
Nous avons donc fait une deuxième mise en place qui tentait de justifier cette
première réplique, de façon logique. Nous avons demandé que le garde n° 1 fasse
lentement les cent pas autour de la tour, comme une routine pour s'assurer que tout
est calme. À son arrivée, le garde n° 2, ne retrouvant pas son camarade à sa place
habituelle, commence à regarder aux alentours et se demande où son collègue
pourrait être. ll entend alors derrière lui des pas dans la noirceur et cela déclenche sa
première réplique: «Qui est là?» Les deux acteurs agissent de façon logique dans
cette proposition. Cependant, cela n'apporte pas le résultat escompté. En effet, après
la troisième réplique (« Vive le roi », qui est apparemment un mot de passe pour les
gardiens), la scène se déroule comme la première fois. Le spectateur comprend bien
les actions et les fonctions des personnages, mais le temps scénique de ceux-ci est
inhabité et inintéressant. Pendant le déroulement de la scène, il n'y a aucun
événement qui puisse produire un changement dans la qualité des actions des
personnages ou modifier leur relation. Le jeu des acteurs illustre les actions des
personnages plutôt que de chercher les motivations qui provoquent ces actions. La
38
fonction de cette scène dans la pièce est d'introduire le lieu de l'action (« Elseneur.
Une plate-forme devant le château») et, interprétée de cette façon, elle n'ajoute rien
d'essentiel, ni sur la pièce ni sur les personnages.
Dans un premier temps, nous avons essayé de contextualiser la scène. Que pouvons-
nous faire avec le peu d'informations que nous avons? Quelles circonstances
supposées pouvons-nous tirer du texte? Comme nous l'avons mentionné plus haut,
dès le départ, les didascalies nous informent du moment de la journée durant laquelle
la scène se déroule, c'est-à-dire la nuit. Notre première circonstance supposée serait
donc la noirceur. Puis en lisant la deuxième didascalie, «le Danemark», nous nous
sommes demandé s'il était important que l'action se déroule dans ce pays-là. Nous
avons abordé cette information sur le lieu de l'action en tenant compte de son aspect
39
Nous avons d'abord demandé à l'acteur d'exécuter les actions de son personnage en
se concentrant sur deux circonstances supposées tirées de son environnement
physique, soit la noirceur et le froid. Notre hypothèse est que, si l'action de l'acteur
est axée sur la circonstance choisie, et qu'elle produit une suite d'événements, le
temps scénique du personnage va trouver son importance. Nous pensons en effet que
la circonstance choisie deviendra le moteur principal de 1' action du personnage et
produira des événements non existants dans 1' écriture.
2.1.3.1 La noirceur
Nous avons alors travaillé avec notre première circonstance supposée: la noirceur.
Quels sont les événements possibles qui peuvent découler de la noirceur? Nous avons
demandé aux acteurs de jouer la scène en fixant leur attention sur le fait qu'ils avaient
une visibilité réduite. Nous avons observé que la noirceur se manifeste comme un
petit obstacle pour l'exécution des actions, mais cela n'apporte pas vraiment de
changement dans le déroulement de la scène. En effet, les acteurs exécutent les
actions demandées, mais pour parvenir à jouer avec la circonstance demandée, ils
sont obligés d'illustrer la noirceur. L'acteur qui exécute l'action «je garde dans le
noir » doit se déplacer pour nous faire comprendre la circonstance principale, et
l'acteur qui arrive montre que ses déplacements sont altérés par la noirceur, mais cela
40
Après quelques essrus, nous avons compris que pour influencer l'action, il est
important de donner une qualité précise à chaque circonstance pour qu'elle puisse
produire des événements. Par exemple, une petite noirceur, un petit froid ou une
petite peur ne produisent pas d'événements marquants qui pourraient influencer
l'action menée par l'acteur. Nous avons conclu que si une circonstance supposée
n'est pas assumée et intégrée dans le jeu d'acteur jusqu'au bout, si elle n'est pas
poussée à 1' extrême, elle ne s'inscrit pas clairement dans la situation théâtrale et elle
ne peut donc pas influencer 1' action du personnage. Voilà pourquoi nous avons
commencé par pousser les circonstances à leur extrême afin que des événements
puissent émerger. Nous avons alors fait un essai afin de trouver les événements pour
les personnages dans la circonstance : la noirceur quasi totale.
Dans les essais qui ont suivi, nous avons observé que la noirceur se manifeste comme
un obstacle à 1' action, elle change sa qualité et ralentit le déroulement de la scène.
Tout cela est visible dans le langage physique des acteurs, car la noirceur impose un
changement dans leur état de corps. Les deux personnages évoluent, leurs actions
sont influencées par la même circonstance, la noirceur la plus totale, et ils essayent de
s'orienter avec leur voix et les bruits qu'ils produisent. Toute la tension de la scène
réside dans la tentative des personnages qui se retrouvent dans le noir d'exécuter leur
routine malgré cet obstacle. Les événements que la noirceur produit sur 1' action
créent souvent, pour nous, un effet comique. Elle rend les personnages maladroits et
amène une confusion dans leurs comportements. Pour un numéro de clown, cette
proposition aurait pu être pertinente. Cette circonstance favorise donc un temps
41
scénique plus rempli, mais il n'y a pas de véritable évolution. En effet, la noirceur
crée un obstacle dans 1' action des acteurs, mais elle ne produit pas d'événements.
L'obstacle finit par être surmonté sans que l'action évolue. Cette construction du
temps scénique n'est donc pas satisfaisante.
2.1.3.3 Le froid
Bien que le froid comme circonstance soit plus facilement saisissable pour l'acteur et
pour le spectateur, il ne produit pas d'événements significatifs, capables de bousculer
l'action des personnages, et celle-ci devient vite illustrative. Suivant les mêmes
principes, nous avons poussé à l'extrême l'importance du froid pour voir comment
cela affecte le personnage et ses actions. Nous nous sommes également demandé si le
froid subi par le gardien est une conséquence de conditions météorologiques extrêmes
ou la cause d'une faction prolongée; une question à laquelle nous n'avons pas su
répondre à cette étape-ci du travail. Cependant, une chose est devenue claire : 1' action
«je garde » devenait illustrative parce qu'elle était interprétée de façon trop générale.
Ce que nous nommions « action imposée » par 1' auteur est en réalité la fonction du
personnage qui suggère son action. En réalité, il nous revient de définir son action à
partir de ce que nous trouvons essentiel pour la scène et pour la pièce.
Voilà comment nous en sommes venus à 1' idée d'introduire une sous-action. ll s'agit
d'une action supplémentaire qui s'invente et se développe parallèlement à l'action
principale du personnage. Le but est de pousser l'acteur à rester actif dans une sous-
action, c'est-à-dire de générer une suite d'objectifs, de résoudre les obstacles qui
viennent avec, et tout cela en exécutant son action principale. Notre hypothèse veut
que nous inventions et que nous produisions les événements à partir de la sous-action
menée par l'acteur. Les réactions possibles du personnage face aux événements qui
interrompent sa sous-action appartiennent à 1' acteur et lui offrent des choix plus
intéressants pour dévoiler différentes caractéristiques de son personnage.
Nous avons établi une première sous-action qui découle de la circonstance le froid: le
garde réchauffe ses mains. La question qui vient ensuite, c'est pourquoi réchauffe-t-il
ses mains? D'où proviennent son impulsion et sa motivation? A-t-il seulement envie
de se réchauffer, ou essaye-t-il de faire autre chose avec ses mains? Nous avons fait
plusieurs essais avec différentes motivations pour cette sous-action et pour chacune
43
nous avons trouvé des événements intéressants. Admettons, par exemple, qu'il a juste
envie de se réchauffer. Nous avons demandé à l'acteur de commencer son action
principale, «je garde » dans un état catatonique, complètement frigorifié. La sous-
action débute avec le fait qu'il n'arrive pas à ouvrir sa main qui tient la lance, et cela
lui donne son impulsion et sa motivation. Dans ce froid extrême, le personnage ne
peut réchauffer ses mains et, par conséquent, il échappe sa lance. Ce fait pourrait
passer inaperçu, mais pourrait aussi devenir un événement, selon le degré
d'importance que nous allons lui accorder. Nous avons ici notre premier événement,
notre premier pivot dans la qualité de l'action du personnage. Comment va-t-il la
ramasser? Va-t-il essayer de la ramasser vite, comme un bon soldat? Est-il seulement
capable de se plier et de ramasser sa lance malgré son état frigorifié? Comment va-t-il
réagir s'il se fait surprendre sans sa lance à l'arrivée de l'autre garde? Va-t-il être
honteux? Avoir peur? Essayer de cacher son erreur? Réussira-t-il? Tout ce qu'il va
faire sera un indice sur sa compétence en tant que garde, sa psychologie et sa nature.
Les choix appartiennent aux acteurs et au metteur en scène. Chaque décision ouvre
une multitude de possibilités sur la façon de jouer la scène, et chaque événement
produit par la sous-action dévoile quelque chose de nouveau à propos de la
psychologie du personnage.
qu'il y avait seulement un des deux protagonistes qui commençait la scène avec un
ancrage temporel précis, alors que l'autre agissait avec une neutralité temporelle.
Donc, la scène est restée anecdotique, car il n'y avait pas de rencontre ni de conflit
réel entre les personnages. Voilà d'où est venue la nécessité de mieux définir la
situation dans laquelle les personnages existent afin de les obliger à agir et à réagir
clairement.
2.2. La situation
Nous aimerions apporter une clarification sur la définition du mot« situation». Voici
une des définitions tirées du dictionnaire Le Petit Robert: «C'est l'ensemble des
relations concrètes qui, à un moment donné, unissent un sujet ou un groupe au milieu
et aux événements et circonstances dans lesquelles il doit agir. » Soulignons
l'importance de ces trois termes : relation concrète, événements et circonstances.
Nous avons déjà choisi une circonstance, le froid, et nous avons vu que des
événements peuvent être inventés à partir de cette circonstance. ll nous reste donc à
concrétiser les relations entre les deux personnages. Pour nourrir la situation et
concrétiser les relations, nous avons décidé de garder le froid comme circonstance,
mais de le traiter comme une conséquence de quelque chose plutôt que comme un fait
climatique. Supposons que le garde n° 2 est en retard pour la relève pour une raison
quelconque et que c'est en raison de son retard que le garde n° 1 subit le froid.
Voici comment nous avons redéfini les deux temporalités de départ des personnages.
Le garde n° 1 exécute comme auparavant l'action «je garde», mais maintenant il
subit les effets de la circonstance « le froid », à cause du retard de son collègue. Le
garde n° 2 exécute comme auparavant l'action «j'arrive pour remplacer mon
45
collègue», et nous avons inventé la raison de son retard. Nous nous imaginons qu'il a
bu : il arrive sur scène légèrement ivre, en chantant, et il est complètement
inconscient de la gravité du problème qu'il a causé. Nous observons qu'une telle
temporalité de départ provoque un grand changement dans la qualité de son action et
qu'elle entre en conflit avec celle du garde n° 1. Selon le niveau d'ivresse du garde
n° 2, le conflit entre les gardiens change et, avec cela, le niveau de jeu et la couleur de
la scène. Le dénouement de la scène pourrait être très différent et cela a provoqué un
questionnement sur le jeu de pouvoir et la hiérarchie existant entre les deux gardes.
Le rapport entre les deux temporalités défini de cette façon rend la scène beaucoup
plus intéressante et nous offre un choix de relations interpersonnelles. Toutefois,
malgré la clarté de ce nouveau rapport de tension entre les personnages, leur temps
scénique ne devient pas plus important, la temporalité de départ de chacun ne subit
pas de développement. En réalité, les deux temporalités, telles que nous les avons
conçues, sont définies par des événements précédant 1' action et, par conséquent, la
tension entre les personnages est due à des événements passés. Les actions des
personnages ne produisent pas d'événements au temps présent, donc la situation
n'évolue pas. Le spectateur comprend qu'il y a des problèmes entre les personnages,
mais n'assiste pas à la naissance d'un conflit exigeant une résolution. Nous avons
donc cherché à produire des événements au temps présent afin de pousser la relation
interpersonnelle plus loin et de creuser ainsi la situation.
Nous avons proposé une autre raison pour le retard du garde n° 2. L'acteur arrive en
courant, le personnage est en panique, désorganisé et confus, mais il essaye de faire
semblant que tout est sous contrôle. De plus, son langage corporel rend manifeste son
réveil tardif. Le garde n° 1 comprend que son camarade est en retard parce qu'il a
46
dormi et, outré par son manque de sérieux, il le gifle. Ce geste produit un événement
important qui change la qualité d'action des deux personnages et offre une multitude
de possibilités pour la suite. Face à face, chacun avec une main sur son épée, le temps
s'arrête pour les gardiens. Cet instant marque le début d'un temps théâtral chargé
d'importance, qui se construit une seconde à la fois et qui peut se dérouler dans
différentes directions de façon imprévisible.
Nous voyons enfin deux bulles temporelles de départ bien définies, qui entrent en
collision et qui provoquent un événement conflictuel entre les gardiens capable
d'entraîner des changements dans la qualité de leurs actions. Pour la première fois,
nous avons ici tous les éléments nécessaires à la création d'une dramaturgie
temporelle du personnage.
En creusant ainsi la situation dans cette première scène, nous avons pu voir apparaître
les enjeux qui se trouvent dans l'ensemble de la pièce. Subitement, cette gifle, geste
de frustration, de mécontentement, de rage, est devenue un symptôme, un indice du
conflit interne qui régit peut-être tout le royaume du Danemark. Comme dira
Marcellus, un autre personnage, dans la scène 4 de l'acte 1 de Hamlet, « ll y a quelque
chose de pourri au royaume du Danemark.» Jusqu'à présent, nous n'avions pas établi
clairement notre lien avec la pièce et l'enjeu essentiel que nous voulions en tirer. Par
conséquent, nous restions toujours dans l'anecdotique. Nous nous rendons maintenant
compte qu'il faut préciser notre lecture ou notre vision de l'intégralité de l'œuvre; il
faut toucher à 1' essentiel pour permettre à une dramaturgie temporelle de surgir et de
se développer. Voici donc comment notre réflexion sur la création d'une dramaturgie
temporelle de personnage s'est cristallisée autour du terme « dysfonctionnement ». Le
dysfonctionnement se manifeste partout dans la pièce de Shakespeare : dans la cour
royale, dans la famille, dans les relations amoureuses, dans la façon de faire son
47
travail, dans les relations interpersonnelles, etc. Ce « Qui va là? »1, qui nous paraissait
au début comme une erreur de la part de Shakespeare, est alors devenu un code, un
indice du dérèglement majeur de l'état, un écho à tous les grands enjeux de la pièce.
Le mot « dysfonctionnement » a réorienté notre recherche : la composition de chaque
instant temporel a été recentrée autour de cet enjeu devenu essentiel pour nous.
2.2.3 Le dysfonctionnement
L'acteur commence la scène en position assise, endormi, la tête contre le mur, avec
toutes ses armes éparpillées autour de lui. En se réveillant, il découvre d'abord la
position inconfortable dans laquelle se trouve son corps. L'attention de l'acteur est
dirigée vers les sensations qui l'habitent. ll prend conscience de son inconfort ainsi
que de l'ampleur de la douleur et des zones où elle se répartit. ll découvre ensuite que
1
ou « Qui es là », selon les traductions
48
la douleur la plus forte se situe dans son dos, car la source de cette douleur provient
du fait qu'il s'est endormi sur sa gourde. Jusqu'ici, tous les événements inventés sont
liés à 1' état de corps du personnage. Par la suite, la gourde devient le centre de son
attention, et nous avons guidé 1' acteur afin qu'il continue à créer des événements en
1' examinant. Le premier événement se produit par le son du liquide dans la gourde, le
deuxième se produit par 1' odeur de ce liquide, le troisième est généré par le goût de
l'alcool que le personnage prend dans sa gourde, et le quatrième jaillit de la surprise
qu'il a de trouver quelque chose dans sa boisson. Dans cette deuxième série, les
événements s'inventent autour du rapport sensoriel du personnage avec la gourde et
sont plutôt liés à l'état de son esprit qu'à l'état de son corps. Dans les deux cas, les
événements sont générés par les sens du personnage, toujours dans un cercle
d'attention proche de lui. Dans la troisième série, nous avons placé le centre
d'attention de l'acteur loin de lui, pour l'obliger à travailler avec l'imaginaire de son
personnage. Dans cette façon de décortiquer la scène et de créer les événements en
série, nous avons constaté la validité de notre hypothèse. À la fin, 1' acteur est dans un
état de délire et il communique avec la lune comme un loup. L'arrivée du garde n° 2
brise le développement de sa temporalité et ouvre plusieurs champs de possibilités
pour poursuivre le reste de la scène. li comprend la raison du dysfonctionnement de
son camarade et il tient la gourde dans ses mains. Dans cette exploration, le garde
n° 2 se trouve, pour la première fois, dans une position de pouvoir et cela crée une
autre situation dramatique.
Nous constatons alors que notre proposition fonctionne. Toutes les séries de sous-
actions du personnage, qu'elles soient nourries par son environnement scénique et ses
sens ou qu'elles soient nourries par son imagination, produisent des découvertes.
Chacune de ces découvertes devient un événement et provoque un changement dans
la direction et la qualité de son action. Ce qui est intéressant dans cet essai, c'est la
progression que 1' on obtient dans 1' intimité du personnage ainsi que dans les relations
49
Nous avons ensuite essayé de créer une dramaturgie temporelle avec notre troisième
circonstance supposée: la peur. Nous avons trouvé pertinent d'étudier cette
circonstance en deux volets : la peur du spectre et la peur de 1' autre.
Nous avons commencé avec la peur du surnaturel (le spectre). Nous avons supposé
que cette-circonstance était applicable pour le garde n° 1 et nous avons mis le garde
n° 2 d~s une neutralité par rapport à cette circonstance. Nous avons donc deux
temporalités de départ complètement différentes pour les deux personnages. Pour les
diriger, nous utilisons les principes déjà confirmés auparavant: que la circonstance
supposée doit être assumée totalement, poussée à l'extrême, qu'elle doit jouer sur
l'état d'esprit qui se manifeste dans l'état de corps du personnage. Comme pour les
autres circonstances, il est important que les événements qui ont engendré la peur
50
précèdent l'action pour que le personnage soit déjà dans une temporalité précise créée
par la peur. La scène en soi est trop courte pour que 1' acteur commence dans une
neutralité et qu'il essaye en temps réel devant le public de bâtir la convention de peur.
Si le personnage est habité par une peur extrême déjà en partant, cela permettra à
1' acteur d'inventer plus d'événements au temps présent et d'évoluer encore davantage
durant la scène. Son jeu sera orienté sur sa réalité, à régler sa peur, plutôt que sur
l'illustration du fait qu'il commence à avoir peur. Pour alimenter sa temporalité avec
cette circonstance supposée, l'acteur s'appuie entièrement sur son imagination. ll doit
utiliser ses cinq sens dans la noirceur afin de créer des images terrifiantes et ensuite
les amplifier avec son imagination afin qu'elles s'inscrivent dans son langage
corporel. La transformation provoquée par la peur du garde n° 1 est énorme, elle
déforme complètement sa perception de 1'espace et fait en sorte que plus rien ne
fonctionne dans l'ordre des choses. L'arrivée de son collègue, sa voix et son rire ont
subitement une autre signification. Le garde n° 1 l'interprète comme s'il s'agissait de
l'apparition du spectre qui lui adresse la parole. Dans une impulsion d'autodéfense, le
garde n° 1 attaque son partenaire et manque de le tuer. La rencontre entre les deux
provoque encore un changement, car le garde n° 1 revient à la réalité et le garde n° 2
prend alors conscience qu'il aurait pu se faire tuer. Épuisé par la peur et les émotions
vécues, le garde n° 1 éclate en sanglots lorsqu'il comprend que la voix du fantôme
était en réalité celle de son collègue. Le garde n° 2, de son côté, fait un tout autre
chemin émotionnel. Au départ, il ne comprend pas la situation, puis il pense que le
garde n° 1 lui fait une blague. ll est surpris par l'attaque de ce dernier et se retrouve
dans l'urgence de le raisonner. La colère éclate avant de se transformer en empathie
envers son collègue. Toute cette palette d'émotions est jouée en moins d'une minute.
Nous avons constaté qu'avec la peur comme circonstance, nous pouvons facilement
créer une temporalité de départ pour l'un des personnages et remplir avec des
événements son temps scénique. Elle permet de générer une évolution claire dans les
actions menées par les deux personnages. Elle fait du temps vécu par les personnages
un moment inoubliable et rempli d'importance. Leur temps se construit au fur et à
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mesure de façon surprenante et modèle 1'état de leur esprit et de leur corps, ce qui est
le but de la création d'une dramaturgie temporelle. Remarquons également que,
contrairement aux essais précédents, les sous-actions nourrissent 1' action principale
plutôt que de prendre sa place.
Nous avons poursuivi notre recherche en plaçant les deux personnages sous
l'influence de la même circonstance, la peur, pour voir comment cela pouvait
influencer la dynamique de la scène.
Dans les explorations La peur 1 et La peur 2, les événements qui définissaient la
temporalité de départ précédaient le début de 1' action et les personnages étaient sous
l'influence immédiate de la peur. La mise en place ici ne permet pas aux personnages
de se voir, ce qui crée une tension qui évolue à chaque instant et qui augmente leur
degré de peur. Les deux protagonistes anticipent alors que le spectre est caché
derrière le coin et que c'est lui qui produit les petits bruits. L'attention des acteurs est
partagée entre ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent et chaque information capturée
transforme de façon inattendue et visible 1' action des personnages. Au début, les
événements se produisent au fur et à mesure, inspirés par le rapport à
l'environnement scénique et amplifiés par leur imaginaire. Ensuite, les personnages
ne peuvent reconnaître leur voix, car ils sont traumatisés par la peur, et les
événements sont source de malentendus. L'énorme ombre du garde n° 1 projetée sur
le sol, avec son épée dans la main, crée cette image finale d'horreur qui pousse le
garde n° 2 à se jeter par terre et à supplier en criant «Vive le roi! ». Le
développement parallèle des deux temporalités est ici influencé par un danger
inexistant. La scène est empreinte d'effets comiques même si les personnages vivent
un cauchemar. Le rapport entre eux devient encore plus intéressant une fois le
malentendu compris : comment cacher sa lâcheté et garder un peu de dignité, alors
qu'ils sont désarmés et essoufflés par les événements précédents ! Cela est un
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moment riche en possibilités d'interprétation pour les comédiens qui dévoilent des
personnalités différentes. La réplique « il est minuit passé » prend alors un tout autre
sens, les deux gardes comprenant subitement que le danger était le fruit de leur
imagination et qu'il est désormais temps que le vrai danger (le spectre) arrive. La fin
de la scène est devenue un moment d'adieu entre eux. Le garde n° 1 veut se sauver le
plus vite possible, mais essaye tout de même par sa gestuelle d'encourager son
camarade. Le garde n° 2 veut le retenir, car il se sent abandonné et sacrifié. Sa
dernière réplique,« Alors, bonne nuit!», se teinte d'un adieu avec le monde et la vie.
Nous constatons qu'avec une temporalité de personnages inspirée par la peur, la
scène prend une vraie dimension théâtrale. Le temps scénique des deux personnages
se construit au fur et à mesure et il est rempli avec importance. Nous avons remarqué
que la relation entre les deux personnages a changé et qu'une humanité touchante
apparaît. La circonstance supposée de la peur a transformé les deux soldats armés en
deux antihéros peureux. Même si le dysfonctionnement des personnages se situe sur
le plan personnel, la peur rend cette scène très intéressante. Les événements possibles
que nous avons inventés autour de la peur changent constamment la qualité et la
direction des actions. Donc, tous les éléments requis pour la création d'une
dramaturgie temporelle des personnages sont présents dans cette exploration. Dans
les deux scènes, il est intéressant d'observer comment les deux temporalités ont
évolué parallèlement, tout en étant nourries par un malentendu. Ici, pour la première
fois, il y avait un décalage entre la réalité de la situation telle que perçue par les
personnages et celle perçue par le public. Placer les personnages en situation de
conflit, tout en permettant au spectateur d'avoir une longueur d'avance sur la vraie
situation, rend toujours une scène intéressante au théâtre.
Bien que les résultats des deux derniers essais soient très satisfaisants et que
l'apparition d'une dramaturgie temporelle du personnage soit évidente, il y a un
élément manquant pour clore notre recherche. C'est ici que nous nous posons la
question: est-ce cela, l'essentiel dans la scène? Si nous voulons rester fidèle à notre
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désir de rattacher la première scène à ce qui est essentiel pour nous dans la pièce
intégrale, ces deux essais, bien que réussis théâtralement parlant, demeurent au bout
du compte anecdotiques, car le dysfonctionnement dont nous parlions ne s'exprime
que sur le plan personnel. Pour illustrer un dysfonctionnement de l'état, soit un
dysfonctionnement qui prend place dans l'univers complet des personnages, il nous
faut aller plus loin.
Nous avons donc cherché à créer une peur capable de dévoiler un dysfonctionnement
global de l'état à travers les relations humaines. La peur peut être inspirée par un
climat politique particulier qui engendre des relations interpersonnelles complètement
déformées et des rapports de force extrêmes modifiant la personnalité des
protagonistes. Nous avons proposé au garde n° 1 de commencer la scène avec une
temporalité basée sur une forte expérience militaire. Sa bulle temporelle de départ ne
devait pas être affectée ni par la noirceur ni par le froid. Le personnage a le contrôle
total de son corps et de tout ce qui l'entoure, il est au-dessus de toute influence
provenant de la nature, et il possède la capacité de voir et d'entendre des choses
insaisissables pour autrui. Nous voulions qu'il dégage par son comportement quelque
chose d'intimidant: la froideur d'un tueur qui se positionne constamment en rapport
de force face à l'autre. C'est dans cet état qu'il anticipe l'arrivée du garde n° 2 quand
subitement il disparaît comme par magie. Sait-il qu'il s'agit de son camarade ou
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pense-t-il que c'est quelqu'un d'autre? Nous ne voulions pas donner une réponse à
cette question, car c'est au public de décider quelles sont les intentions du
personnage. À son arrivée, le garde n° 2 trouve l'endroit désert et il ne comprend pas
l'absence de son partenaire. Derrière lui, dans la noirceur et le silence, surgit un petit
bruit d'une pierre qui tombe, un subterfuge du garde n° 1. ll sort son épée et cherche
la source de ce bruit. C'est dans ce moment de suspense qu'il lance sa première
réplique: «Qui est là?» Soudainement, le garde n° 1 apparaît derrière lui et le capture
par une prise mortelle, avec un couteau sur la gorge, le forçant ainsi à déposer son
épée. Le langage physique des acteurs est empreint d'une énorme tension corporelle,
c'est une lutte entre la vie et la mort. La deuxième réplique lancée par le garde n° 1,
«Non, c'est à vous de me répondre», est prononcée alors avec une voix calme et en
contrôle. Le mouvement que fait le garde n° 2 en essayant de se libérer provoque une
réaction brutale de la part du garde n° 1 qui renforce sa prise, le met à genoux, puis
appuie son couteau sur sa gorge. Dans cette position, la réplique du garde n° 2, «Vive
le roi», est émise dans un souffle étranglé. C'est le dernier recours du garde n°2 pour
rester en vie. La façon avec laquelle le garde n° 1 réagit, lorsqu'il découvre que la
personne qu'il a failli tuer est son camarade, peut varier. En disant «Bernardo», le
sous-texte de cette réplique pourrait signifier: «Désolé, je me suis trompé», ou bien :
«Sale pourri, tu mérites d'être tué». De son côté, le garde n° 2 peut se fâcher une fois
libéré ou, au contraire, devenir intimidé et effrayé. Peu importe le choix que nous
faisons, cette démonstration de force qu'exerce le garde n° 1 change complètement la
dynamique de la scène et nous enjoint à remettre en question le bon fonctionnement
de ce pays ainsi que sa situation sociopolitique.
Dans le prochain essai, nous avons poussé encore plus loin l'idée d'un
dysfonctionnement de l'état basé sur une crise politique. Nous avons imaginé que le
changement de roi a créé des allégeances différentes dans la société et dans 1' armée.
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Certains sont pour le nouveau roi, d'autres pour l'ancien. Donc, personne ne se fait
confiance et on ne sait plus qui est avec qui. La peur ici ne se joue que dans la
paranoïa des relations interpersonnelles. Les événements ne sont créés que par la
gestuelle des personnages, leurs mots et leur sous-texte. L'environnement physique
n'a aucun rôle à jouer dans cette exploration. Voici le cadre temporel de départ que
nous avons proposé aux deux acteurs.
Le garde n° 1 est immobile, lucide et concentré sur son travail. ll entend l'arrivée de
quelqu'un. ll peut présumer que c'est son camarade, mais, soigneusement, il recule
d'un pas pour s'abriter et attend calmement que les pas s'arrêtent.
Le garde n° 2 arrive avec une mission: découvrir quelle est l'appartenance politique
de son collègue. S'il est avec le nouveau roi, comme lui, c'est bien. Sinon, il doit le
convaincre de rejoindre son camp. ll n'a pas encore décidé comment amorcer la
conversation et aborder le sujet.
gardiens retombent dans leur échange de routine en se passant la lance et les clés.
Une fois l'échange terminé, le garde n° 1 veut s'en aller, mais il se retrouve
soudainement dans une prise mortelle aux mains du garde n° 2 qui tient un couteau
sur sa gorge: «As-tu eu une faction tranquille?» Plein de haine et de mépris, il dit:
«Es-tu prêt à mourir, sale chien?» Le garde n° 1 comprend qu'il est tombé dans un
piège et qu'il ne lui reste désormais que sa dignité. ll lance sa dernière réplique
ironiquement: «Pas une souris qui bouge.» La scène se termine sur l'assassinat du
garde n° 1, qui se fait égorger alors que le garde n° 2 lance : «Alors, bonne nuit. » Cet
assassinat gratuit est un écho de toute la problématique de la pièce. Oui, ici, nous
croyons avoir touché quelque chose qui nous semble vraiment essentiel pour la
pièce : un dysfonctionnement total dans le royaume du Danemark ! Le pouvoir a été
pris par la force. Le frère a tué son frère. L'amour et les valeurs familiales sont
remises en question. Les mensonges et les trahisons sont la règle. Les règlements de
comptes et le contrôle se font par la force. ll n'y a pas de justice, pas d'amitié.
L'essentiel dans cette première scène est mis en évidence, il résume et contient toute
la problématique de la pièce.
Plus tard durant notre recherche, nous avons consulté un extrait du recueil
d'entrevues de Thomas Ostermeier Le Théâtre et la peur. Ostermeier fait une
réflexion et une analyse sur l'œuvre intégrale de Shakespeare à partir de la première
réplique de la pièce Hamlet. Voici ce qu'inspire pour lui cette réplique de départ:
« Who's there? » «Qui est là?» Le premier vers d' Hamlet me semble
être un point de départ opportun pour tenter une lecture plus poussée de
certaines scènes shakespeariennes. «Qui est là?» au sens de: Qui est la
personne devant nous? Qui est l'autre? Qui nous parle? Qui sommes-
nous? Qu'est-ce qu'un être humain? Lorsqu'on commence à envisager
les réponses possibles à ces questions au sein d' Hamlet, cela se
complique davantage. On peut facilement imaginer une situation où par
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«Un homme traverse l'espace en silence tandis qu'on le regarde; voilà le théâtre.
Tout théâtre commence par un silence. Mais entre le silence de plomb, sans vie, et le
vrai silence du partage, mille questions sont ouvertes. » (Brook, 2006, quatrième de
couverture)
Voilà comment Peter Brook décrit 1' essence du théâtre. Et c'est précisément dans ce
silence que s'est inscrite la création de la temporalité du personnage. Instaurée par
l'acteur, cette création permet de remplir de sens ce silence et d'amorcer de possibles
réponses à ces mille questions. La recherche théorique et les expérimentations
pratiques effectuées durant ce mémoire-création ont permis de répondre aux
questions liées au temps scénique.
Les réflexions issues de nos expérimentations sur ce sujet ont influencé notre
démarche comme directeur d'acteurs et comme pédagogue. Le terme temporalité du
personnage est devenu, pour nous, un mot-clé pour aider l'acteur à trouver
l'impulsion qui provoquera ses actions et définira la qualité de sa représentation. En
travaillant sur la temporalité de départ, nous pouvons diriger l'attention de l'acteur
précisément dans les zones que nous voulons explorer et lui faire jouer une seule
chose à la fois. La recherche d'une temporalité et son développement dans l'espace
façonnent une méthode qui cerne 1' essentiel pour le personnage, pour la scène et pour
la pièce. En cherchant un développement dramaturgique fondé sur la temporalité du
personnage, nous éliminons ce qui est superflu et non intéressant. Ce processus de
création d'une dramaturgie temporelle est une façon de structurer notre imaginaire, de
nous surprendre nous-mêmes dans l'interprétation d'un texte et d'aller au-delà de la
signification des mots tels qu'on les connait: «Les mots, les noms des choses
donnent image à nos expériences.» (Mangue!, 2011, p. 27)
donnent le caractère de ce qui est dans notre temps. On ne peut pas concevoir la
temporalité sans prendre en compte les événements vécus, que ce soit en tant
qu'individu dans la vie, ou en tant que personnage dans la fiction. En inventant
1' ordre des événements vécus par notre personnage, nous le faisons agir de façon
authentique. Nous pouvons créer des événements avec tout et à partir de tout. Mais
pour nous, l'intérêt réside dans la création d'événements saisis à partir des enjeux
globaux de la pièce afin de toucher à 1' essentiel de 1' œuvre.
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